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Document 52015XX0307(03)

Rapport final du conseiller-auditeur — Lundbeck (AT.39226)

JO C 80 du 7.3.2015, p. 6–12 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

7.3.2015   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 80/6


Rapport final du conseiller-auditeur (1)

Lundbeck (AT.39226)

(2015/C 80/06)

I.   CONTEXTE

1.

La présente affaire a pour objet des accords passés en 2002 entre le laboratoire de princeps Lundbeck et quatre fabricants de génériques concernant la production et la vente de l’antidépresseur citalopram.

2.

La Commission a entamé l’instruction de l’affaire sur la base d’informations communiquées par l’autorité danoise de la concurrence en octobre 2003 et l’a interrompue lorsqu’elle a réalisé son enquête sur la concurrence dans le secteur pharmaceutique, qui a duré de janvier 2008 à juillet 2009 (2).

3.

La Commission a ouvert une procédure formelle d’examen en janvier 2010 contre Lundbeck et en juillet 2012 contre quatre entreprises de génériques impliquées dans cette infraction. Elle a alors émis une communication des griefs.

II.   PROCÉDURE ÉCRITE

1.   Communication des griefs

4.

Le 24 juillet 2012, la Commission a adressé une communication des griefs (ci-après la «CG») à Lundbeck, Alpharma, A.L. Industrier, Arrow, Resolution Chemicals, GUK, Merck et Ranbaxy (3). Elle y estimait, à titre préliminaire, que les règlements amiables conclus entre le laboratoire de princeps et les entreprises de génériques étaient des accords dits de «pay for delay», visant à retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques, et qu’ils constituaient, par conséquent, une restriction de concurrence par objet, contraire à l’article 101 du TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE.

2.   Accès au dossier

5.

Toutes les parties ont eu accès au dossier, sur DVD, en août 2012.

6.

En septembre 2012, Alpharma, imitée ensuite par d’autres parties, a présenté une demande motivée d’accès à toutes les parties expurgées des documents dits «de Matrix» contenus dans le dossier de la Commission. Aux fins de répondre à ces demandes, la DG Concurrence a invité Lundbeck, qui avait fourni les documents de Matrix, à en demander la divulgation. La procédure de divulgation qui a suivi a duré plusieurs mois.

3.   Délai de réponse à la communication des griefs

7.

La DG Concurrence a dans un premier temps fixé le délai de réponse des parties à la CG à dix semaines, et l’a prorogé une fois d’environ trois semaines. Lorsque Alpharma a demandé une nouvelle prorogation au motif qu’elle désirait prendre connaissance des documents de Matrix avant de répondre à la CG, la DG Concurrence a encore prorogé brièvement le délai mais en considérant ce dernier comme définitif. Elle a informé les parties qu’elles auraient la possibilité de compléter leurs réponses si les documents de Matrix ne devenaient accessibles qu’après expiration de ce délai. Alpharma, Arrow, GUK et Merck ont ensuite insisté pour obtenir une prorogation du délai jusqu’à ce qu’elles aient pris connaissance des documents en question.

8.

Après le rejet de cette demande par la DG Concurrence, les quatre parties m’ont saisi de la question de l’extension du délai de réponse à la CG. Elles alléguaient une violation de leurs droits de la défense au cas où elles devraient répondre avant d’avoir eu accès à tout le dossier car les documents de Matrix contenaient des informations essentielles à leur défense.

Suspension des délais

9.

Il est vrai que les parties ne sont en principe pas tenues de répondre à la CG tant qu’elles n’ont pas eu accès à l’intégralité du dossier et que l’ensemble des litiges portant sur les demandes d’accès supplémentaire n’ont pas été réglés. Afin de déterminer l’importance des documents de Matrix pour la défense des parties et d’établir si la décision de la DG Concurrence d’imposer un processus échelonné pour l’envoi des réponses des parties à la CG pouvait, compte tenu de l’importance des documents de Matrix pour ces dernières, être jugé acceptable, à titre exceptionnel, aux fins d’économies de procédure, j’ai suspendu le délai qu’elle avait établi (4).

10.

La demande d’accès supplémentaire portait sur 29 documents interprétatifs comptant quelque 4 000 pages expurgées. Ces documents provenaient du litige Lagap au Royaume-Uni et de litiges parallèles dans d’autres pays européens, traitaient de processus de fabrication et avaient été recueillis à l’occasion d’inspections portant sur des contrefaçons de brevets effectuées dans les locaux d’une entreprise appelée Matrix. Ils ont été expurgés sur le fondement d’une ordonnance par consentement émise au Royaume-Uni et d’ordonnances de non-divulgation émises par d’autres juges nationaux des brevets.

11.

À mon initiative, la DG Concurrence a établi avec Lundbeck et Matrix un calendrier déterminant à quel moment les autres parties obtiendraient l’accès demandé aux documents de Matrix. Tous les documents du Royaume-Uni sont ensuite devenus disponibles avant la fin de 2012, et les documents provenant des litiges parallèles ont suivi jusqu’au 31 janvier 2013.

Prolongation du délai

12.

Le 18 décembre 2012, j’ai décidé d’accorder aux parties une prorogation supplémentaire du délai de réponse à la CG. Leurs réponses devaient donc parvenir à la Commission une fois qu’elles auraient eu la possibilité de consulter tous les documents de Matrix liés au litige du Royaume-Uni, mais avant que les documents liés aux litiges parallèles ne deviennent disponibles, à savoir pendant la période courant entre le 9 et le 14 janvier 2013.

13.

J’ai pris cette décision en tenant compte à la fois du droit des parties d’être dûment entendues et de l’intérêt public de réaliser des économies de procédure. De mon avis, les documents de Matrix liés au litige du Royaume-Uni étaient potentiellement utiles aux fins de la défense des parties, mais non «essentiels» comme certains l’avaient soutenu. En revanche, les documents de Matrix liés aux litiges parallèles n’ajoutaient guère d’informations à celles provenant des documents du litige du Royaume-Uni. J’en ai donc conclu que les droits de la défense seraient préservés si les parties obtenaient la possibilité de prendre connaissance des documents provenant du litige du Royaume-Uni avant de répondre à la CG. J’ai aussi pris en compte le fait que la DG Concurrence avait offert aux parties la possibilité de compléter leurs réponses si elles désiraient le faire après avoir eu accès à tous les documents de Matrix. Les quatre parties ont communiqué leurs réponses en temps voulu et aucune d’elles n’a fait usage de son droit de les compléter après consultation des documents de Matrix devenus accessibles une fois le délai expiré.

14.

Étant donné qu’aucune des parties ne m’a plus communiqué d’observations relatives aux documents de Matrix, je considère cette question comme réglée.

4.   Allégations ayant trait à la procédure soulevées dans les réponses à la CG

15.

Alpharma, Arrow, GUK, Lundbeck et Merck ont soulevé un certain nombre d’allégations dans leurs réponses à la CG, mais elles ne l’ont fait qu’à l’égard de la DG Concurrence. En ce qui concerne les droits de la défense, Alpharma, GUK et Merck ont allégué que la longueur excessive de l’enquête de la Commission constituait une violation de leurs droits de la défense (5). Dans tous les cas, ont-elles argumenté, la durée de la procédure était excessive et la Commission devait tirer les conséquences appropriées de ce fait. J’analyserai ci-dessous les deux éléments de cette allégation.

16.

L’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne établit que les institutions de l’Union européenne sont tenues d’agir dans des délais raisonnables lorsqu’elles conduisent des procédures administratives. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres de chaque affaire, et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission a suivies, de la conduite des parties au cours de la procédure et de la complexité de l’affaire (6).

17.

Il ressort des informations dont je dispose que ni le contexte de l’affaire, ni sa complexité, pas plus que les différentes étapes procédurales décrites dans la CG ou le comportement des parties ne semblent justifier la durée considérable de la procédure, huit ans et neuf mois s’étant écoulés entre la date à laquelle l’enquête de la Commission a débuté et celle à laquelle la CG a été émise.

18.

En admettant qu’il soit établi que la procédure administrative a été déraisonnablement longue, la Commission ne serait dans l’interdiction d’infliger des amendes qu’à la condition que les parties puissent démontrer que l’incapacité de la Commission de conclure la procédure administrative dans un délai raisonnable était effectivement susceptible de nuire concrètement à leurs droits de la défense ou d’avoir une incidence négative sur ces derniers (7). La charge de la preuve incombe aux parties, qui sont tenues de présenter des preuves convaincantes à cet égard.

19.

Après examen des preuves présentées, je suis parvenu à la conclusion que les parties n’ont pas démontré à suffisance de droit que la longueur extraordinaire de l’enquête a enfreint leurs droits de la défense. En réponse en particulier aux allégations détaillées présentées par Alpharma, j’observe qu’il relève en premier lieu de la responsabilité de la partie concernée de faire en sorte que ni le passage du temps, ni la vente de l’entreprise impliquée dans l’infraction présumée ne provoquent les difficultés invoquées ou l’incapacité de produire toutes les preuves possibles qui la disculpent. Selon la jurisprudence, il incombe aux entreprises un devoir général de prudence en vertu duquel elles sont tenues de veiller à la bonne conservation en leurs livres et archives des éléments permettant de retracer leurs activités, afin, notamment, de disposer des preuves nécessaires dans l’hypothèse d’actions judiciaires ou administratives. Ce devoir leur incombe même lorsque l’entreprise concernée a été cédée bien avant le début de l’enquête (8). Une obligation similaire existe en ce qui concerne la possibilité de recueillir le témoignage d’anciens salariés. Il semblerait en outre qu’Alpharma n’ait pas indiqué avec la précision requise par la jurisprudence (9) la nature et la portée des informations la disculpant qui ont été prétendument perdues en raison du passage du temps.

20.

Ma conclusion selon laquelle les droits de la défense n’ont pas été enfreints ne signifie pas que la durée considérable de la phase d’enquête n’a aucune conséquence. En vertu du principe de bonne administration et conformément à la jurisprudence (10), j’estime que la première phase de la procédure administrative a été déraisonnablement longue et qu’il y a lieu d’en tenir compte lorsque l’amende sera fixée.

5.   Accès aux réponses des autres parties

21.

La DG Concurrence a donné à toutes les parties l’accès aux copies de la version non confidentielle des réponses à la CG des autres parties. Les parties ont eu la possibilité de présenter des observations écrites avant l’audition. Alpharma, Lundbeck et Ranbaxy ont présenté des observations supplémentaires avant l’audition, tandis que A.L. Industrier l’a fait par la suite.

III.   PROCÉDURE ORALE

22.

Toutes les parties à la procédure, à l’exception de Resolution Chemicals, ont exercé leur droit d’être entendues en audition, laquelle a eu lieu les 14 et 15 mars 2013.

IV.   PROCÉDURE APRÈS L’AUDITION

1.   Exposé des faits

23.

Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits à Alpharma, Arrow, GUK, Lundbeck et Ranbaxy. Un autre exposé des faits a été envoyé à l’ancienne société mère de GUK, Merk, et à l’ancienne société mère d’Alpharma, A.L. Industrier, le 6 mai 2013. Un délai de réponse de dix jours a été accordé à toutes les parties.

2.   Prolongation du délai

24.

Après réception de l’exposé des faits, Alpharma, Arrow, GUK et Lundbeck ont présenté une demande de prolongation du délai de réponse qui leur était imposé, en s’adressant d’abord à la DG Concurrence puis, après rejet de leur demande, à moi-même.

25.

GUK m’a demandé de suspendre le délai de réponse à l’exposé des faits dans l’attente de ma décision concernant ses allégations selon lesquelles la Commission aurait dû émettre une communication des griefs complémentaire (ci-après «CGC») pour certaines preuves mentionnées dans l’exposé des faits et un autre exposé des faits précisant l’usage qu’elle avait l’intention de faire de certaines preuves (voir la section IV.4. ci-dessous).

26.

Je fais observer que si, en vertu du mandat des conseillers-auditeurs, je suis bien compétent pour examiner les allégations présentées par GUK et, effectivement, par les autres parties, il n’existe aucun fondement pour que j’émette une décision sur ces deux points. Il en découle également que je ne saurais suspendre le délai.

27.

Les quatre parties ont obtenu des prolongations de différentes durées compte tenu des circonstances de chaque cas. Toutes les parties ont présenté des réponses dans les délais qui leur avaient été impartis.

3.   Accès aux réponses des autres parties

28.

La DG Concurrence a donné à toutes les parties l’accès aux copies de la version non confidentielle des réponses à l’exposé des faits des autres parties et leur a accordé la possibilité de les commenter. Seule Lundbeck a présenté des observations.

4.   Allégations ayant trait à la procédure concernant l’exposé des faits

29.

Arrow, GUK et Lundbeck ont soulevé deux allégations ayant trait à la procédure qui concernaient l’exposé des faits. À la suite du rejet de ces allégations par la DG Concurrence, les parties ont soumis ces points à mon appréciation.

Une communication des griefs complémentaire est-elle nécessaire?

30.

En premier lieu, les parties ont soutenu, à propos de 10 points sur les 62 que contenait l’exposé des faits, que les nouvelles preuves et l’usage que la Commission avait l’intention d’en faire, selon les indications de cette dernière, dépassaient la simple corroboration des griefs formulés dans la CG. En réalité, selon les parties, par ces points la Commission avait considérablement reformulé ses griefs et en avait ajouté de nouveaux ou avait modifié la nature intrinsèque de l’infraction. Les parties contestaient donc que, dans l’hypothèse où la Commission souhaitait se fonder sur ces preuves, celles-ci puissent être communiquées au moyen d’un exposé des faits, sans qu’il soit nécessaire d’émettre une CGC.

31.

Une CGC est requise lorsque la Commission soulève de nouveaux griefs ou modifie la nature intrinsèque de ses griefs (11), alors qu’un exposé des faits est suffisant lorsqu’elle apporte uniquement de nouvelles preuves considérées comme utiles pour étayer les griefs déjà formulés dans la CG (12). L’exposé des faits est entièrement compatible avec les droits de la défense, en particulier lorsqu’il est utilisé pour réfuter des arguments présentés par les parties au cours de la procédure administrative (13).

32.

Après avoir analysé les 10 points de l’exposé des faits pour lesquels les parties prétendaient qu’une CGC était nécessaire, je ne peux conclure qu’un quelconque de ces points soulève de nouveaux griefs ou modifie la nature des griefs existants. Ces points de l’exposé des faits, tout comme les autres, sont dans une large mesure présentés en réponse aux observations des parties relatives à la CG. À la rigueur, un certain nombre d’allégations s’expliquent par une description insuffisante de l’usage qui serait fait des nouvelles preuves (voir plus bas). Dans tous les cas, l’introduction de nouvelles preuves à charge, même si leur nature diffère en partie de celle des preuves déjà produites, ne requiert pas de CGC. J’en conclus donc que la présentation des 10 points en question au moyen d’un exposé des faits ne constitue pas une violation des droits de la défense.

L’exposé des faits manque-t-il de clarté?

33.

En second lieu, en ce qui concerne 23 points sur les 62 que comporte l’exposé des faits, les trois parties allèguent que ce dernier manque de clarté, est ambigu ou est trop succinct quant à l’usage que la Commission a l’intention de faire d’une partie des nouvelles preuves. Ces points chevauchent partiellement les 10 points pour lesquels les parties ont demandé une CGC.

34.

Les parties ont notamment affirmé que le lien entre les preuves et les griefs formulés dans la CG n’était pas clair. Elles ont soutenu que ce manque de clarté entravait leur capacité à se défendre.

35.

Pour permettre à ses destinataires de se prononcer utilement sur de nouvelles preuves, l’exposé des faits doit mentionner les points de la communication des griefs auxquels ces preuves se rapportent et expliquer en quoi elles sont pertinentes par rapport aux griefs déjà communiqués (14).

36.

Si je suis d’accord sur le fait que dans quelques cas la Commission aurait pu mieux expliquer l’usage qu’elle avait l’intention de faire des nouvelles preuves, je ne considère pas que cela ait eu une incidence sur les droits de la défense des parties.

37.

Premièrement, sauf dans un cas, pour chaque preuve, l’exposé des faits renvoie à un point ou à une section de la CG et précise comment la Commission a l’intention de l’utiliser.

38.

Deuxièmement, dans le seul cas où l’exposé des faits ne renvoie pas à un point de la CG ainsi que dans les cas où les parties prétendent que la Commission n’a pas expliqué clairement ses intentions quant à l’usage qu’elle réservait aux nouvelles preuves, il est raisonnablement possible, à partir du contenu de l’exposé des faits et de la CG, de déduire la pertinence des nouvelles preuves en ce qui concerne un grief spécifique (15).

39.

Cette conclusion est confirmée par les réponses des parties à l’exposé des faits, dont il ressort qu’elles ont été capables de comprendre ou, pour le moins, de déduire raisonnablement de chacun des 23 points la pertinence des nouvelles preuves par rapport aux griefs qui leur étaient reprochés. À cet égard, j’observe que lorsqu’une partie ne répond pas à un point prétendument peu clair, le même point est traité au moins par une autre partie, et que cette dernière a correctement déterminé le lien entre les nouvelles preuves et le grief auquel elles se rapportent.

40.

Lorsque dans un cas une partie répond en se référant à un grief différent de celui auquel l’autre partie répond, c’est très probablement dû à d’autres raisons que le manque de clarté allégué de l’exposé des faits.

41.

J’en conclus donc que les points critiqués de l’exposé des faits n’ont pas entamé la capacité des parties d’exercer effectivement leurs droits de la défense et que les insuffisances alléguées n’ont pas eu d’influence sur l’issue de la procédure.

5.   Autres allégations ayant trait à la procédure concernant l’exposé des faits

Lundbeck

42.

Le 22 mai 2013, environ un mois après avoir répondu à l’exposé des faits, Lundbeck m’a adressé de nouvelles observations prétendant que le recours à ce dernier constituait une atteinte à son droit à un procès équitable et à l’exercice de ses droits de la défense. Ces observations réitéraient la plupart des arguments déjà traités ci-dessus, mais Lundbeck y soulevait également deux nouvelles allégations (16).

43.

En premier lieu, Lundbeck y affirmait que la Commission avait manqué à son obligation de conduire la procédure de manière impartiale et objective, et qu’elle avait ignoré des preuves étayant les arguments de Lundbeck et des fabricants de génériques et pris pour argent comptant des preuves qui semblaient servir l’accusation de manière indirecte. Selon Lundbeck, l’exposé des faits démontrait clairement que la Commission n’avait pas évalué les preuves du dossier de manière correcte, objective et non faussée, qu’elle avait omis de prendre en compte l’ensemble des preuves pertinentes, dont les observations de Lundbeck, et qu’elle n’avait pas exclu des preuves contestées ou insuffisantes.

44.

Après avoir examiné ces arguments de manière approfondie sans préjuger la validité des points soulevés sur le fond par Lundbeck, j’en conclus que ses allégations sont dépourvues de fondement. Le droit à une bonne administration suppose notamment l’obligation pour les institutions d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (17). Cependant, le fait que la Commission n’adhère pas aux arguments exposés par une partie ou qu’elle ait constamment une interprétation différente de la sienne des preuves pertinentes ne signifie pas que son jugement est biaisé. En outre, dans l’exposé des faits, la Commission se limite à invoquer de nouveaux faits. Elle n’y examine pas les arguments fournis par les parties dans leurs réponses à la CG ni les preuves qu’elles invoquent, cet examen devant être effectué dans la décision finale motivée point par point. Il semblerait donc inapproprié d’évaluer l’objectivité et l’impartialité de la procédure suivie par la Commission sur cette base. Cependant, même en prenant en considération la CG et les observations formulées par la Commission lors de l’audition, je ne peux considérer les allégations de Lundbeck comme justifiées.

45.

En second lieu, Lundbeck affirme que l’article 6, paragraphe 3, point d), de la Convention européenne des droits de l’homme a été enfreint parce que l’exposé des faits repose sur des informations provenant en particulier d’une tierce partie qui n’a pas pris part à la procédure, sans que Lundbeck ait eu la possibilité de la soumettre à un contre-interrogatoire et d’examiner la véracité de ses affirmations.

46.

Je considère également cette allégation comme dépourvue de fondement. Pendant la procédure administrative, la Commission n’a pas l’obligation de donner aux parties la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires des tierces parties portant sur leurs déclarations devant la Commission. Les droits de la défense des parties sont respectés dès lors que les déclarations utilisées par la Commission sont enregistrées dans le dossier et rendues accessibles aux parties et qu’elles peuvent, après une décision finale, être contestées devant une juridiction de l’Union européenne (18). Tel a bien été le cas en l’espèce, Lundbeck ayant eu accès aux déclarations en question avant l’audition et ayant eu la possibilité de présenter des observations à leur sujet.

47.

Il y a également lieu d’observer que Lundbeck n’a soulevé ce point que très tard au cours de la procédure. Si Lundbeck estimait qu’il était utile pour sa défense d’entendre la tierce personne pendant la procédure administrative, elle pouvait suggérer à la Commission d’inviter la tierce partie à l’audition ou d’organiser une réunion triangulaire ainsi que les bonnes pratiques le prévoient (19). Selon les informations qui ont été mises à ma disposition, Lundbeck n’a pas fait de telles suggestions.

48.

Au vu de tout ce qui précède, je conclus que les droits de la défense de Lundbeck n’ont pas été enfreints.

Alpharma

49.

Le 3 juin 2013, cinq semaines après avoir répondu à l’exposé des faits, Alpharma m’a adressé une lettre qui soulevait trois points principaux (20).

50.

En premier lieu, cette partie affirme qu’il est probable que, dans sa décision finale, la Commission apporte des modifications importantes à ses conclusions concernant Alpharma au moins à trois égards, à savoir la concurrence potentielle, le montant du transfert de valeurs et le contexte juridique et économique. Alpharma a demandé à la Commission de lui donner la possibilité de présenter des observations relatives à ses conclusions modifiées avant l’adoption de la décision finale.

51.

J’ai analysé avec soin le projet de décision à la lumière des prétentions d’Alpharma et des trois exemples fournis. Je n’ai pu arriver à la conclusion que le projet de décision contient des modifications des griefs ou de nouvelles preuves sur lesquelles cette partie n’a pas eu la possibilité de présenter des observations, soit après réception de la CG, soit, par la suite, de l’exposé des faits. Le rejet de la demande d’Alpharma par la DG concurrence ne constitue donc pas une violation du droit d’être entendue de cette partie.

52.

En second lieu, Alpharma soutient que la CG n’est plus correcte eu égard aux cinq conclusions préliminaires qui la concernent: le contexte juridique et économique, le lien entre le paiement et les restrictions à la commercialisation, le montant du transfert de valeurs, la concurrence potentielle et la portée du règlement amiable. Elle estime que la CG est fondée, en ce qui concerne ces cinq conclusions, sur des hypothèses factuelles dont il a par la suite été démontré qu’elles étaient fausses. De son avis, l’exposé des faits n’a pas remédié à ces insuffisances, ce document introduisant plutôt de nouveaux faits contredisant ceux exposés dans la CG. Au vu d’un tel éventail de faits et d’allégations qu’elle juge à la fois complexe et contradictoire, Alpharma prétend que la Commission n’a pas indiqué les faits qu’elle considère comme exacts et qu’il est dès lors difficile de comprendre sur quelles preuves elle a l’intention de se fonder et quelles sont les allégations qu’elle soulève contre elle. Dans ces circonstances, Alpharma prétend qu’il lui est impossible de se défendre correctement. Sur cette base, Alpharma m’a demandé de recommander à la Commission d’émettre une CGC ou de fournir des éclaircissements précisant clairement les griefs à son encontre et les faits à l’appui de ces griefs avant d’adopter la décision finale.

53.

J’ai également examiné ce point de procédure de manière approfondie, sans prendre en compte les allégations d’Alpharma au fond. Cependant, je ne peux arriver à la conclusion que cette demande est fondée.

54.

Alpharma a déjà reçu une réponse à la question concernant les faits que la Commission considère comme exacts. Elle a en effet interrogé la DG concurrence à ce sujet, laquelle lui a répondu que la Commission estime que les nouveaux faits présentés dans l’exposé des faits sont exacts. Il y a également lieu d’observer à cet égard que la grande majorité des nouveaux faits présentés dans l’exposé des faits et concernant Alpharma ont été fournis par cette partie elle-même à la suite de l’émission de la CG, alors même que la DG concurrence lui avait déjà demandé de lui fournir ces informations en mars 2011.

55.

De plus, pour chaque nouveau fait, l’exposé des faits reçu par Alpharma indique à quelle partie de la CG il se rapporte et en précise la pertinence par rapport au grief concerné. Alpharma a donc eu la possibilité de présenter des observations sur les nouvelles preuves et sur leur pertinence par rapport aux griefs correspondants. Contrairement à ce qu’Alpharma semble suggérer, dans un exposé des faits ou dans une CGC, la Commission n’a pas l’obligation d’indiquer les faits initialement invoqués dans la CG qu’elle considère comme n’étant plus exacts à la lumière des preuves découvertes par la suite. La Commission n’a pas non plus l’obligation de procéder à une appréciation juridique des nouveaux faits. Ainsi qu’il a déjà été indiqué ci-dessus, la Commission n’a l’obligation d’émettre une CGC que lorsqu’elle souhaite modifier des griefs existants. J’en conclus par conséquent qu’il n’y a pas eu violation des droits de la défense d’Alpharma.

56.

Enfin, le mandat du conseiller-auditeur n’habilite pas ce dernier à recommander formellement à la Commission d’éclaircir certains griefs ni d’interpréter certains faits les étayant au bénéfice d’une partie, comme Alpharma semble le croire.

57.

En troisième lieu, mais en ce qui concerne un seul point, Alpharma prétend aussi que l’exposé des faits n’explique pas suffisamment les intentions de la Commission quant à l’utilisation des nouveaux faits. Je ne peux conclure à une violation des droits de la défense d’Alpharma et je renvoie à mon analyse d’allégations similaires avancées par d’autres parties à la procédure figurant à la section IV.4. ci-dessus. Dans tous les cas, la réponse d’Alpharma à l’exposé des faits démontre que cette partie a été en mesure de le comprendre.

58.

Enfin, Alpharma a souligné la durée excessive de la procédure administrative. À cet égard, je renvoie également à mon analyse d’allégations similaires figurant à la section II.4 ci-dessus.

V.   LE PROJET DE DÉCISION

59.

J’estime que le projet de décision ne porte que sur les griefs à l’égard desquels les parties ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue.

60.

Dans l’ensemble, j’estime que toutes les parties ont été en mesure d’exercer de manière effective leurs droits procéduraux en l’espèce.

Bruxelles, le 17 juin 2013.

Michael ALBERS


(1)  Conformément aux articles 16 et 17 de la décision du président de la Commission européenne du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO L 275 du 20.10.2011, p. 29) (ci-après la «décision 2011/695/UE»).

(2)  http://ec.europa.eu/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/

(3)  H. Lundbeck A/S et Lundbeck Limited, Xellia Pharmaceuticals ApS et Alpharma LLC (dont le nom est à présent Zoetis Products LLC) (ci-après «Alpharma»), A.L. Industrier AS, Arrow Generics Limited et Arrow Group ApS (ci-après «Arrow»), Resolution Chemicals Limited, Generics [UK] Limited, Merck KGaA, et Ranbaxy (UK) Limited et Ranbaxy Laboratories Limited (ci-après «Ranbaxy»).

(4)  Dans cette affaire, la situation était à mon avis similaire à celle qui est décrite au considérant 15 de la décision 2011/695/UE et justifiait une décision de suspension similaire.

(5)  Alpharma a de nouveau soulevé cette question dans un courrier qui m’a été adressé le 3 juin 2013.

(6)  Arrêt du Tribunal dans l’affaire T-228/97, Irish Sugar/Commission (Rec. 1999, p. II-2969, point 278).

(7)  Arrêt du Tribunal dans l’affaire T-99/04, AC-Treuhand AG/Commission (Rec. 2008, p. II-1501, point 58).

(8)  Arrêt du Tribunal du 14 mars 2013 dans l’affaire T-587/08, Fresh del Monte Produce/Commission, non encore publié au Recueil, points 683 et 684.

(9)  Arrêt de la Cour dans l’affaire C-105/04 P, Nederlandse Federatieve Vereining voor de Groothandel op Elektronisch Gebied/Commission (Rec. 2006, p. I-8725, points 56 à 60).

(10)  Arrêt du Tribunal dans l’affaire T-240/07, Heineken Nederland et Heineken/Commission (Rec. 2011, p. II-3355, points 290 et 291).

(11)  Voir l’arrêt du 24 mai 2012 dans l’affaire T-111/08, MasterCard e.a./Commission, non encore publié au Recueil, point 268.

(12)  Voir l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T-23/1999, LR AF/Commission (Rec. 2002, p. II-1705, points 190 et 193), voir également les arrêts du Tribunal dans les affaires jointes T-236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01, Tokai Carbon/Commission (Rec. 2004, p. II-1181, point 45) et dans l’affaire T-340/03, France Télécom/Commission (Rec. 2007, p. II-107, point 30).

(13)  Affaire MasterCard e.a./Commission, précitée, point 273.

(14)  Voir l’arrêt du Tribunal dans l’affaire LR AF 1998/Commission susmentionné, point 191; voir également l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2012 dans l’affaire T-353/06, Vermeer Infrastructuur/Commission, non encore publié au Recueil, point 182.

(15)  En l’espèce, le problème qui se pose est que le lien entre l’exposé des faits et la CG n’est pas aisé à saisir, selon moi de manière similaire à ce qui avait eu lieu dans l’affaire T-11/89, Shell/Commission (Rec. 1992, p. II-757, points 56 et 62), sur laquelle a statué le Tribunal. Voir également l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003 dans les affaires jointes T-191/98 et T-212/98 à T-214/98, Atlantic Container Line AB et autres/Commission, (Rec. 2003, p. II-3275, point 162) et l’arrêt du Tribunal du 10 mars 1992 dans l’affaire T-13/89, ICI/Commission (Rec. 1992, p. II-1021, point 35). Par conséquent, le critère appliqué à cette dernière situation devrait être pertinent ici également.

(16)  Étant donné que Lundbeck m’a saisi d’une plainte détaillée à un stade très avancé de la procédure, je ne peux la traiter que de manière sommaire.

(17)  Arrêt du Tribunal dans l’affaire T-31/1999, ABB Asea Brown Boveri/Commission (Rec. 2002, p. II-1881, point 99).

(18)  Arrêt du Tribunal du 27 juin 2012 dans l’affaire T-439/07, Coats Holdings/Commission, non encore publié au Recueil, points 174 et 175.

(19)  Voir la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 du TFUE (JO C 308 du 20.10.2011, p. 6), points 68 et 69.

(20)  Étant donné qu’Alpharma a soulevé plusieurs points devant moi et m’a saisi d’une plainte exhaustive et très détaillée à un stade très avancé de la procédure, je ne peux la traiter que de manière sommaire.


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