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Document 52011IE1612

Avis du Comité économique et social européen sur «Le rôle de la société civile dans l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde» (avis d'initiative)

JO C 24 du 28.1.2012, p. 51–55 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

28.1.2012   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 24/51


Avis du Comité économique et social européen sur «Le rôle de la société civile dans l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde» (avis d'initiative)

2012/C 24/10

Rapporteure: Mme Madi SHARMA

Le 14 septembre 2010, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l'article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d'élaborer un avis d'initiative sur le thème:

«Le rôle de la société civile dans l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde».

La section spécialisée «Relations extérieures», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 5 octobre 2011.

Lors de sa 475e session plénière des 26 et 27 octobre 2011 (séance du 27 octobre 2011), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 152 voix pour, 3 voix contre et 5 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1   Le Comité économique et social européen (CESE) considère qu'un accord de libre-échange (ALE) entre l'UE et l'Inde pourrait être avantageux pour les deux parties, compte tenu des bénéfices qu'il peut apporter sous forme de développement renforcé, de compétitivité, de richesse et d'emplois. Le commerce représente un moyen important de soutenir le développement et de réduire la pauvreté. Ses incidences économiques, sociales et environnementales doivent toutefois être évaluées avec soin, en toute transparence et de manière globale, dans l'intérêt de l'ensemble des parties. Dans ce contexte, la société civile a un rôle moteur à jouer.

1.2   Le processus de négociation de cet ALE, notamment la mise en évidence de ses possibles répercussions, présente plusieurs faiblesses auxquelles les deux parties doivent remédier avant que l'ALE ne soit finalisé. Selon le document de prise de position des services de la Commission, une plus grande attention aurait pu être accordée aux incidences sur l'emploi informel, et une analyse plus poussée des effets de l'accord sur le déplacement de la main d'œuvre permettrait de prévoir plus en détail d'autres incidences sociales comme l'impact sur la pauvreté, la santé et l'éducation (1).

1.3   Le CESE rappelle que, conformément à l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la politique commerciale commune de l'UE doit être menée «dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'UE» et que, conformément à l'article 3 du traité sur l'Union européenne, elle doit contribuer, entre autres, au développement durable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme. Le commerce n'est pas une fin en soi.

1.4   Le CESE recommande d'entreprendre sans délai de nouvelles études qui prennent expressément en considération la véritable incidence de l'ALE sur la société civile de l'Inde et de l'UE (notamment sur le Mode 4 (OMC), les PME, les droits des travailleurs, les femmes, la protection des consommateurs, l'économie informelle, l'agriculture, la pauvreté et l'accès à des produits de base tels que les médicaments vitaux). Par souci de transparence, ces études devraient être réalisées sur la base d'études universitaires publiques et d'ateliers auxquels participerait la société civile. Les conclusions pourraient alors être prises en compte dans le cadre des négociations qui, à l'heure actuelle, sont en phase finale.

1.5   Le CESE appelle le Conseil, le Parlement et la Commission à faire en sorte que l'UE, avant la conclusion d'un accord,

prenne en considération les avis et les préoccupations de la société civile de l'UE;

évalue l'impact sur les scénarios probables liés au Mode 4, en étudiant la quantité et la qualité de travail par secteur et par État membre, en pleine consultation avec les partenaires sociaux;

respecte ses obligations légales qui lui imposent de garantir que l'ALE n'accroît pas la pauvreté;

et que l'accord:

soit régi par une clause des droits de l'homme en bonne et due forme, conformément aux pratiques de l'UE à ce jour et à la politique qu'elle affiche;

comporte un chapitre ambitieux sur le développement durable incluant des dispositions en matière de main d'œuvre et d'environnement qu'il soit possible de faire respecter au moyen des procédures normales de règlement des différends, en prévoyant des recours efficaces;

crée notamment un cadre fondé sur les droits de l'Organisation internationale du travail pour les travailleurs actifs dans l'économie informelle;

comporte une clause de sauvegarde sociale bilatérale prenant en considération tant les risques auxquels peut être confrontée l'industrie intérieure de l'UE et de l'Inde que ceux encourus par la société, notamment les déplacements de main-d'œuvre.

1.5.1   Le CESE recommande qu'un mécanisme de suivi de la société civile soit mis en place. Il conviendrait de doter celui-ci du pouvoir de formuler des recommandations particulières quant à la nécessité d'activer la clause de sauvegarde sociale, auxquelles les autorités compétentes devraient être tenues d'apporter une réponse motivée. Il y a lieu de soutenir le renforcement des capacités et la formation de la société civile dans le cadre de ce suivi.

1.6   La teneur de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Inde demeure actuellement confidentielle et ses spécificités ne peuvent dès lors être analysées dans le présent avis.

2.   Introduction

2.1   Un accord de libre-échange (ALE) entre l'UE et l'Inde couvrirait plus d'un cinquième de la population mondiale, et serait à ce titre l'un des ALE les plus importants au monde. Il dispose du potentiel nécessaire pour apporter des avantages considérables à la société, dans l'UE comme en Inde.

2.2   Les deux parties sont confrontées à des défis économiques de grande ampleur: tant l'UE, avec sa population vieillissante et ses marchés saturés, que l'Inde, avec sa très forte population et l'essor de l'urbanisation. La libéralisation et l'ouverture accrue de ces deux marchés, compte tenu de l'inégalité de développement entre ces deux régions, pourraient être bénéfiques à la population de l'UE comme à celle de l'Inde.

2.3   Les organisations d'entreprises européennes et indiennes concèdent que des pertes d'emploi pourraient se produire. Néanmoins, en ouvrant davantage les deux marchés et moyennant le développement des compétences, des programmes de formation, le transfert réciproque de connaissances, le développement des infrastructures, la mise en œuvre de dispositions relatives aux chaînes d'approvisionnement et le recours aux entreprises communes, les échanges commerciaux entre l'Inde et l'UE pourraient susciter une croissance soutenue, une plus grande compétitivité et davantage d'emplois à longue échéance. Le Centre économique et technologique européen (EBTC), créé pour proposer des solutions pratiques aux entreprises qui pénètrent sur le marché indien, est appelé à jouer un rôle de premier plan dans les activités déployées pour relever certains de ces défis.

2.4   Promouvoir l'innovation dans le cadre d'un ALE peut assurer la compétitivité future des entreprises. De plus en plus, les entreprises européennes et indiennes coopèrent dans le domaine du développement technologique, dans tout un éventail de secteurs. L'Inde dispose d'une main-d'œuvre bon marché dont le niveau d'éducation est élevé, et de grandes capacités en matière de recherche et de développement. Toutefois, les deux parties ont besoin d'un environnement susceptible d'encourager les investissements durables dans l'innovation. L'expérience et le savoir-faire des entreprises de l'UE en Inde, et des entreprises indiennes dans l'UE, peuvent aussi constituer un atout de taille pour contribuer à satisfaire ces exigences.

2.5   L'ALE a des conséquences importantes pour l'investissement étranger. Afin d'attirer davantage de fonds, l'Inde libéralise et simplifie depuis 1991 son régime d'investissements directs étrangers (IDE), ce qui a conduit à une augmentation des afflux d'IDE. L'ALE poursuivrait sur cette lancée en dotant les entreprises de l'UE d'un accès au marché et en leur apportant la sécurité juridique (2). Dans le nouveau contexte créé par les accords de libre-échange (ALE), il convient d'évaluer soigneusement les conséquences pour l'Inde de l'ouverture aux investissements directs étrangers; il est par ailleurs nécessaire d'adopter une approche progressive concernant cette ouverture.

2.6   Le présent avis n'examine pas les avantages économiques potentiels de l'ALE. Il exprime en revanche les préoccupations du Comité quant aux conséquences sociales et environnementales incertaines de l'ALE pour l'Union européenne, en ce qui concerne plus particulièrement le Mode 4, et pour les segments de population les plus pauvres de la société indienne. Ces effets constituent un aspect important des intérêts des entreprises européennes en matière de diligence raisonnable et de protection des marques. Les questions de responsabilité sociale des entreprises, de main d'œuvre et de droits de l'homme ne s'arrêtent pas aux frontières de l'UE pour les entreprises européennes ayant une activité commerciale internationale.

3.   Le processus de négociation

3.1   Les négociateurs ont consulté de grandes entreprises, en Inde comme dans l'UE. En sa qualité d'organe consultatif représentant tous les segments de la société civile, le CESE craint néanmoins que les négociateurs ne placent pas tous les acteurs sociétaux sur un pied d'égalité dans le cadre des consultations; il prie instamment la Commission européenne, dès lors, de tenir pleinement compte des avis de toutes les parties prenantes européennes et indiennes. Il appelle par ailleurs la Commission à engager des consultations: avec les PME en ce qui concerne les incidences potentielles de l'ALE; avec les syndicats au sujet du manque de clarté des aspects relatifs aux garanties pour la main d'œuvre et au Mode 4; avec les organisations de consommateurs et les secteurs agricoles sur la sûreté des aliments, la sécurité alimentaire et l'économie informelle en Inde.

3.2   À l'instar de fondations de l'UE et d'entreprises informelles indiennes, bon nombre d'ONG et de syndicats, en Inde comme dans l'UE, ont fait part de leurs inquiétudes concernant les incidences négatives potentielles de l'ALE et les modalités qui ont présidé aux négociations (3). Tout en reconnaissant l'importance que revêt la confidentialité dans les négociations commerciales, le CESE demande instamment à la Commission européenne, pour raisons de transparence tout aussi impératives, de dissiper tout malentendu, en dévoilant ses propositions sur ces questions.

3.3   Le CESE estime que le commerce ne peut être exclu des compétences du Service européen pour l'action extérieure. La cohérence des politiques européennes est une condition essentielle au maintien des valeurs et des principes de l'Union européenne. Le Comité recommande que l'ensemble des directions générales concernées soient maintenues informées tout au long des négociations.

4.   Évaluations de l'impact sur le développement durable (EID)

4.1   La Commission européenne a chargé des consultants indépendants de réaliser une évaluation d'impact sur le développement durable (EID), dont les conclusions ont été rendues en 2009 (4). D'après cette étude, l'ALE entre l'UE et l'Inde aurait des conséquences sociales négligeables pour l'UE, à savoir aucun impact salarial et seulement des pertes d'emploi mineures (5), tandis que pour l'Inde, l'ALE entraînerait une augmentation des salaires des travailleurs qualifiés et non qualifiés de l'ordre de 1,7 % à court terme et de 1,6 % à long terme, ainsi que des déplacements de la main-d'œuvre, laquelle évoluerait vers des emplois mieux rémunérés (6).

4.2   La Commission européenne fait grand cas de cette EID lorsqu'elle met en avant les avantages globaux de l'ALE (7). Toutefois, il importe de noter que la même EID met aussi en garde contre les risques sociaux et environnementaux potentiels de l'ALE.

4.3   Dans l'Union, les syndicats font part de leurs préoccupations au sujet des droits des travailleurs dans l'UE et demandent que soit menée une évaluation de l'impact des scénarios possibles en ce qui concerne le mode 4, avant la conclusion des négociations. Cette analyse devrait étudier l'impact sur la qualité et la quantité de travail par secteur et par État membre. Elle devrait également s'appuyer sur des consultations exhaustives avec les partenaires sociaux, être réalisée avant et après l'introduction de l'ALE et formuler des recommandations contraignantes pour la prévention ou l'atténuation de tout impact négatif décelé.

4.4   L'EID qualifie «d'incertains» les effets de l'ALE sur les normes et les conditions de travail en Inde. Selon les statistiques officielles du gouvernement de l'Inde, près de 90 % de l'économie indienne est informelle (ou non organisée), un chiffre qui, selon les prévisions, devrait rester globalement stable dans un avenir proche (8). D'après les chiffres de l'OIT/OMC, les personnes actives dans le secteur informel vivent avec moins de 2 USD par jour (9). La majorité de la main-d'œuvre féminine (plus de 95 %) travaille dans le secteur informel et les femmes sont donc exposées au risque de manière disproportionnée.

4.5   L'EID met en avant les incidences environnementales potentielles, soulignant la probabilité d'effets négatifs modérés sur l'atmosphère (10), la qualité des sols (11), la biodiversité (12) et la qualité de l'eau (13). Le CESE estime qu'il convient de tenir compte des avertissements émis dans l'EID elle-même.

4.6   La méthodologie de l'EID est insuffisante pour pouvoir appréhender les véritables incidences. L'EID porte avant tout sur l'économie formelle, qui est comparativement simple à modéliser (14). Par contraste, l'analyse des effets sociaux et environnementaux qui y est menée s'appuie une méthodologie qualitative moins transparente. De même, l'EID n'analyse pas correctement l'impact sur les émissions de carbone, la sécurité des consommateurs ou la sécurité alimentaire.

4.7   Selon le document de position des services de la Commission, l'EID aurait pu analyser plus en profondeur les incidences de l'accord sur le travail décent, l'emploi informel et le déplacement de la main d'œuvre, ce qui aurait permis de prévoir plus en détail d'autres incidences sociales comme l'impact sur la pauvreté, la santé et l'éducation (15).

4.8   Il est étonnant que l'EID ne s'intéresse ni aux nombreuses autres études ayant mis en évidence les graves conséquences que l'ALE pourrait avoir en Inde (16), ni aux préoccupations de l'UE concernant en particulier le Mode 4 et l'emploi dans l'Union.

4.9   Le CESE a récemment adopté un avis relatif aux évaluations de l'impact sur le développement durable, dans lequel il pose des lignes directrices définissant une méthodologie fondée sur les meilleures pratiques, à utiliser pour évaluer l'ensemble des répercussions d'un ALE (17).

4.10   Le CESE recommande que soient entreprises de nouvelles études qui, sur la base de ces lignes directrices, prennent expressément en considération l'incidence de l'ALE sur la société de l'UE et la société indienne, notamment sur les droits des travailleurs, le Mode 4, les femmes, la protection des consommateurs, les PME, l'économie informelle, l'environnement, l'agriculture (y compris la sécurité alimentaire), la pauvreté et le changement climatique. Ces nouvelles études devraient s'accompagner d'études universitaires publiques et d'ateliers indépendants.

4.11   Rien de tout ce qui précède ne signifie que l'ALE aura forcément un impact négatif. Néanmoins, le présent avis établit à première vue le bien-fondé de l'hypothèse selon laquelle l'ALE pourrait vraiment exercer cet impact. Cela suffit à justifier un nouvel examen de la question par la Commission européenne, d'autant plus que, comme précisé ci-dessous, l'UE a pour responsabilité légale d'évaluer les effets de ses politiques extérieures sur le plan intérieur et sur les pays tiers.

5.   Responsabilités de l'Union européenne

5.1   Il incombe au premier chef à tout gouvernement engagé dans des négociations de nature à libéraliser les échanges commerciaux de prendre en considération les effets économiques et sociaux de ses politiques. Il ne fait aucun doute que l'Inde est la première responsable des effets qu'exercent ses politiques sur sa population. Le CESE reconnaît que les défis auxquels la Commission européenne est confrontée dans les négociations avec l'Inde, qui estime à juste titre devoir traiter à sa manière les questions relatives aux droits de l'homme, aux normes du travail, au développement durable et à sa société civile. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'UE n'assume aucune responsabilité indépendante en la matière. Il s'agit en effet d'une obligation légale.

5.1.1   En vertu de l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), les politiques commerciales et de développement de l'UE doivent être menées dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'UE, fixés à l'article 21 du traité sur l'Union européenne. Parmi ces principes figurent:

l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international;

quant aux objectifs, l'on peut citer:

soutenir le développement durable sur le plan économique, social et environnemental des pays en développement dans le but essentiel d'éradiquer la pauvreté.

5.2   Le CESE demande à la Commission européenne de s'acquitter de ses obligations légales qui lui imposent de veiller à ce que l'ALE UE-Inde respecte les droits de l'homme et ne compromette pas les efforts visant à encourager le développement durable du point de vue économique, social et environnemental ainsi que l'éradication de la pauvreté en Inde. Il insiste sur l'importance de créer un cadre fondé sur les droits de l'Organisation internationale du travail pour les travailleurs actifs dans l'économie informelle.

6.   Suivi et adaptation de l'ALE

6.1    L'UE doit veiller à ce que ses politiques ne soient pas susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la pauvreté et contribuent au contraire à son éradication. Il est possible de respecter cette obligation en faisant en sorte que l'ALE comporte des clauses aux termes desquelles il est possible d'influer sur le cours de la libéralisation des échanges prévue au cas où ces effets se manifesteraient, et en définissant un mécanisme de suivi efficace permettant d'activer ces clauses.

6.2   Clause relative aux droits de l'homme

6.2.1   L'UE a déjà inclus dans ses accords bilatéraux des dispositions visant à garantir que les accords ne portent pas atteinte aux objectifs sociaux. Depuis 1995, l'UE a pour politique de faire figurer une clause relative aux droits de l'homme dans chaque accord commercial et de coopération avec des pays tiers (18). Plus récemment, la pratique consistant à soumettre des accords ultérieurs à une clause des droits de l'homme figurant dans des accords-cadres existants s'est répandue. En fonction du libellé de la clause originale et de celui de la clause «de renvoi» dans l'accord ultérieur, cette pratique peut être efficace d'un point de vue juridique.

6.2.2   Il est essentiel que l'ALE UE-Inde soit soumis à une clause des droits de l'homme en bonne et due forme, quel que soit le moyen d'y parvenir. L'accord de coopération CE-Inde de 1994 comporte certes une clause des droits de l'homme, mais de modèle ancien. Selon la Cour de Justice de l'Union européenne, la fonction de cette clause est de permettre la suspension de l'accord de coopération (19). Elle ne permet pas, néanmoins, de suspendre d'autres accords, comme l'ALE (20). Il est indispensable que l'ALE respecte la politique prônée par l'UE en matière de clauses des droits de l'homme, que ce soit par l'introduction d'une nouvelle clause des droits de l'homme ou l'inclusion d'une clause de renvoi soigneusement formulée.

6.2.3   Le CESE insiste sur le fait qu'il est indispensable que l'ALE UE-Inde respecte la politique prônée par l'UE en matière de clauses des droits de l'homme, que ce soit par l'introduction d'une nouvelle clause des droits de l'homme ou l'inclusion d'une clause de renvoi soigneusement formulée. Cette position a également été approuvée par le Parlement européen (21).

6.3   Dispositions en matière de développement durable

6.3.1   Il est tout aussi important de maintenir et de renforcer les meilleures pratiques de l'UE qui consistent à introduire, dans les ALE, des critères relatifs à l'environnement et à la main-d'œuvre. L'ALE entre l'UE et la Corée et l'accord de partenariat économique (APE) entre l'UE et les pays du Cariforum comportent tous deux des dispositions demandant aux parties de s'assurer du respect des normes fondamentales de travail de l'OIT (une norme absolue) et du maintien de leurs niveaux actuels de protection de l'environnement et de la main d'œuvre (une norme relative), ainsi que d'autres dispositions connexes.

6.3.2   Le CESE se félicite de l'engagement du commissaire De Gucht qui a manifesté son attachement aux chapitres social et environnemental (22). Néanmoins, il invite aussi la Commission à faire en sorte que, contrairement aux dispositions des accords ci-dessus, ces dispositions soient assorties des mêmes solides mesures coercitives que celles qui existent en cas de violations d'autres parties de l'ALE ou, par exemple, de dispositions équivalentes à celles figurant dans les ALE des États-Unis (23). Le CESE appelle également la Commission à créer des mesures incitatives, par l'intermédiaire de programmes de coopération ou de mécanismes similaires, étayées par un système d'amendes effectives en cas de violation de ces dispositions, comme le recommande le Parlement européen (24).

6.3.3   La Commission européenne doit introduire dans l'ALE entre l'UE et l'Inde des dispositions relatives à la main-d'œuvre et à l'environnement qu'il soit possible de faire respecter en suivant les procédures normales de règlement des différends, avec des recours tels que la suspension des obligations commerciales ou l'imposition d'amendes.

7.   Clause de sauvegarde sociale

7.1   Tous les ALE commerciaux comportent des clauses de sauvegarde permettant de suspendre la libéralisation des échanges en cas d'atteinte à l'industrie intérieure ou de perturbation de celle-ci. L'ALE à l'examen devrait comporter des dispositions en ce sens, devant néanmoins être ciblées sur les risques en question.

7.2   Le CESE appelle la CE à faire en sorte que soit introduite une clause de sauvegarde sociale bilatérale prenant en considération tant les risques auxquels peut être confrontée l'industrie intérieure, dans l'UE comme en Inde, que ceux encourus par la société, notamment les déplacements de main d'œuvre. Cette clause devrait s'inspirer de l'article 25, paragraphe 2 point b) de l'APE Cariforum-UE, qui stipule qu'une mesure de sauvegarde peut être prise lorsqu'un produit: est importé sur le territoire de l'autre partie en quantités tellement accrues et à des conditions telles qu'il cause ou menace de causer des perturbations dans un secteur de l'économie, notamment si ces perturbations provoquent des problèmes sociaux majeurs.

8.   Mécanisme de suivi par la société civile

8.1   Tant la société civile de l'UE que celle de l'Inde sont très organisées et proactives. Les autorités des deux parties auraient intérêt à mettre à disposition un mécanisme de nature à renforcer la transparence et les consultations et à atténuer les craintes, garantissant que la société civile puisse être en contact direct avec les décideurs.

8.2   Le CESE recommande qu'un mécanisme de suivi par la société civile soit mis en place pour associer les acteurs issus des entreprises, des syndicats, des ONG, du monde universitaire et autres, comme recommandé dans l'EID. Le CESE pourrait participer à ce processus (25). Ce système pourrait être établi sur le modèle de l'ALE UE-Corée ou de l'APE Cariforum-UE, qui englobe toute une gamme d'acteurs de la société civile, formés et financés afin d'assurer un mécanisme de suivi efficace (26).

8.3   Tant l'étude d'impact sur le développement durable que le document de position des services de la Commission européenne recommandent l'instauration d'un mécanisme de suivi (27).

8.3.1   Un tel mécanisme devrait aussi avoir une fonction concrète dans le cadre de la clause de sauvegarde sociale. Normalement, l'application efficace des clauses de sauvegarde dépend du degré d'organisation du secteur touché. C'est évidemment beaucoup plus difficile dans le cas de l'économie informelle.

8.3.2   Le CESE recommande de doter le mécanisme de suivi par la société civile du pouvoir de formuler des recommandations particulières quant à la nécessité d'activer la clause de sauvegarde sociale, auxquelles les autorités respectives devraient être tenues d'apporter une réponse motivée.

Bruxelles, le 27 octobre 2011.

Le président du Comité économique et social européen

Staffan NILSSON


(1)  Document de prise de position des services de la Commission européenne – Évaluation de l'impact du commerce sur le développement durable concernant l'accord de libre-échange entre l'UE et l'Inde, 31 mai 2010.

(2)  JO C 318 du 29.10.2011, p. 150.

(3)  Plusieurs études mettent en avant les difficultés résultant des effets: des dispositions ADPIC+ sur les droits de propriété intellectuelle, de la libéralisation et de la déréglementation des services financiers, de la libéralisation du commerce de biens, notamment dans le secteur agricole, de l'entrée des grandes chaînes de distribution, des pratiques libéralisées en matière d''investissements et de marchés publics, et d'une interdiction des restrictions à l'exportation. Voir notamment, S. POLASKI et al, «Les choix de l'Inde en matière de politique commerciale: gérer différents défis» (India’s Trade Policy Choices: Managing Diverse Challenges, Carnegie, 2009); S. POWELL, «L'ALE UE-Inde: remarques initiales du point de vue du développement» (The EU India FTA: Initial Observations from a Development Perspective, Traidcraft, 2008); C. WICHTERICH, «Libéralisation des échanges, égalité homme-femme, espace politique: le cas de l'ALE contesté entre l'UE et l'Inde» (Trade Liberalisation, Gender Equality, Policy Space: The Case of the Contested EU-India FTA, WIDE, 2009), K. SINGH, «ALE Inde-UE: l'Inde devrait-elle ouvrir le secteur bancaire? - Rapport spécial» (India-EU FTA: Should India Open Up Banking Sector? Special Report, Delhi, 2009), CEO/India FDI Watch, «Les envahisseurs commerciaux: comment les grandes entreprises mènent les négociations de l'ALE UE-Inde» (Trade Invaders: How Big Business is Driving the EU-India FTA Negotiations, 2010).

(4)  ECORYS, CUTS et Centad, «Évaluation de l'impact du commerce sur le développement durable de l'ALE UE-Inde» (Trade SIA FTA EU and India), TRADE07/C1/C01, 18 mai 2009.

(5)  Ibidem, pp. 17-18. Les pertes d'emplois sont estimées à un niveau compris entre 250 et 360 pour 100 000.

(6)  Ibidem, les pertes d'emplois sont estimées à un niveau compris entre 1 830 et 2 650 pour 100 000.

(7)  Lettre du commissaire De Gucht aux parlementaires européens, 16 février 2011.

(8)  Commission nationale des entreprises du secteur informel, «Le défi de l'emploi en Inde: une perspective de l'économie informelle», volume 1, rapport principal (The Challenge of Employment in India: An Informal Economy Perspective, Volume 1, Main Report) - New Delhi, avril 2009), p. 2.

(9)  Bacchetta et al, «La mondialisation et les emplois informels dans les pays en développement»Globalization and Informal Jobs in Developing Countries (OIT/OMC: Genève, 2009).

(10)  Voir note 4, p. 277. (EID de 2009 – voir note 4 pour la citation in extenso)

(11)  Ibidem, p. 278.

(12)  Ibidem, p. 279.

(13)  Ibidem, p. 280.

(14)  Ibidem, p. 51.

(15)  Voir note 1.

(16)  Voir note 3.

(17)  CESE, EID et politique commerciale de l'UE, 5 mai 2011 (JO C 218 du 23.7.2011, p. 14).

(18)  Communication de la Commission sur la prise en compte du respect des principes démocratiques et des droits de l'homme dans les accords entre la Communauté et les pays tiers, COM(95) 216.

(19)  Affaire C-268/1994, Portugal/Conseil, Rec. [1996] I-6177, point 27.

(20)  BARTELS, «La conditionnalité applicable aux droits de l'homme dans les accords internationaux de l'UE» (Human Rights Conditionality in the EU’s International agreements), Oxford: OUP, 2005, p. 255. Le point de vue est sans doute différent pour des accords dans lesquels la clause sur les éléments essentiels est assortie d'une «clause de non exécution» prévoyant des «mesures appropriées».

(21)  Résolution du PE du 26 mars 2009, paragraphe 43, qui «souligne que les clauses relatives aux droits de l'homme et à la démocratie constituent un élément essentiel de l'ALE». Voir également la politique générale reflétée dans la résolution du PE du 11 mai 2011 dans laquelle le Parlement «réitère sa conviction que des clauses juridiquement contraignantes sur les droits de l'homme doivent faire partie intégrante de tous les accords internationaux conclus par l'Union, avec un mécanisme clair et précis de consultation sur le modèle de l'article 96 de l'accord de Cotonou» et la résolution du PE concernant la clause «droits de l'homme et démocratie» dans les accords extérieurs de l'Union européenne (2005/2057(INI)).

(22)  Voir note 7.

(23)  Cf. article 17, paragraphe 2 point b) de l'ALE entre les États-Unis et la Jordanie.

(24)  Résolution du PE du 25 novembre 2010 sur les droits de l'homme et les normes sociales et environnementales dans les ALE commerciaux internationaux, paragraphe 2.

(25)  Voir note 3, pp. 275-280

(26)  Voir note 17.

(27)  Voir note 4, p. 288; voir note 1, p. 2.


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