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Document 52016IE1275

Avis du Comité économique et social européen sur le «Mécanisme européen de contrôle du respect de l’État de droit et des droits fondamentaux» (avis d’initiative)

JO C 34 du 2.2.2017, p. 8–14 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

2.2.2017   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 34/8


Avis du Comité économique et social européen sur le «Mécanisme européen de contrôle du respect de l’État de droit et des droits fondamentaux»

(avis d’initiative)

(2017/C 034/02)

Rapporteur:

José Antonio MORENO DÍAZ

Corapporteur:

Ákos TOPOLÁNSZKY

Consultation

Comité économique et social européen, 21 janvier 2016

Base juridique

Article 29, paragraphe 2, du règlement intérieur

 

Avis d’initiative

 

 

Compétence

Section spécialisée «Emploi, affaires sociales, citoyenneté»

Adoption en section spécialisée

27 septembre 2016

Adoption en session plénière

19 octobre 2016

Session plénière no

520

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

202/1/7

1.   Observations et propositions du Comité économique et sociale européen: un mécanisme de l’Union européenne pour le contrôle du respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux

1.1.

L’Union européenne n’est pas seulement un marché commun; c’est aussi une communauté qui partage des valeurs communes, comme l’indique l’article 2 du traité. Elle reconnaît en outre les droits, les libertés et les principes énoncés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces valeurs, sur lesquelles s’appuie l’Union européenne, constituent le fondement de l’intégration et font partie de l’identité européenne. Elles constituent non seulement des critères d’adhésion, mais doivent par la suite être respectées par les États membres dans la pratique. Il est donc essentiel que les procédures prévues par le traité soient appliquées lorsque ces valeurs sont menacées. Le Comité économique et social européen (CESE) considère que les institutions européennes devraient adopter une stratégie d’anticipation et de prévention dans le cadre de leurs activités politiques de manière à devancer et à éviter les problèmes.

1.2.

À l’instar de nombreuses organisations de la société civile, le CESE s’inquiète de la détérioration de la situation relative aux droits de l’homme et de la dérive populiste et autoritaire qui gagne du terrain, ainsi que du risque que cette situation fait peser sur la qualité de la démocratie et la sauvegarde des droits fondamentaux, ces derniers étant garantis à la fois par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne et constituant des principes généraux du droit de l’Union européenne (1).

1.3.

Les valeurs évoquées dans les points précédents sont menacées partout en Europe. De nombreuses organisations de la société civile dénoncent la situation dans plusieurs États membres et espèrent que le CESE adoptera de nouvelles initiatives permettant aux institutions européennes de réagir avec fermeté. C’est non seulement l’Union européenne qui est en danger, mais aussi la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques nationales et européennes. Le CESE estime que ce risque est très grave et systémique.

1.4.

Le contenu spécifique des principes et normes dérivés de l’État de droit peut varier au niveau national, en fonction du système constitutionnel de chaque État membre. Toutefois la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que les documents élaborés par le Conseil de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, précisent ces principes et valeurs de l’Union européenne. Parmi ces principes figurent la légalité, qui suppose l’existence d’une procédure législative transparente, responsable, démocratique et pluraliste, l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, des juridictions indépendantes et impartiales, un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, l’égalité devant la loi, et la défense des droits de l’homme, y compris, bien sûr, ceux des personnes appartenant à des minorités.

1.5.

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme ont confirmé que ces principes n’étaient pas de nature purement formelle et ne relevaient pas de simples exigences procédurales, mais qu’au contraire ils constituaient les moyens de garantir la conformité à la démocratie et aux droits de l’homme, et le respect de ceux-ci. L’État de droit est un principe constitutionnel comportant des composantes à la fois de procédure et de fond.

1.6.

Le respect de l’État de droit est intrinsèquement lié au respect de la démocratie et des droits fondamentaux: il ne peut exister de démocratie et de protection des droits fondamentaux sans respect de l’État de droit. À l’inverse, les droits fondamentaux ne sont effectifs que s’ils peuvent être invoqués en justice. La démocratie est protégée grâce au rôle fondamental du pouvoir judiciaire, notamment celui des cours constitutionnelles. Il convient d’ajouter qu’il s’agit de droits des personnes, et non des États membres ou des gouvernements. C’est pourquoi il est urgent d’accorder la priorité à leur défense.

1.7.

À la lumière des travaux de la commission des affaires constitutionnelles (AFCO) du Parlement européen, ainsi que des rapports de la Commission et de la résolution du Parlement européen du 27 février 2014 sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne, le CESE estime qu’en temps opportun, il serait nécessaire de modifier l’article 51 (2) de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de manière à étendre son champ d’application et à faire en sorte que toutes les dispositions de la charte soient applicables dans les États membres (3).

1.8.

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme entretiennent un dialogue régulier; celui-ci pourrait être renforcé si l’Union européenne signait la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Le CESE propose que la Commission soumette, dans le courant du premier semestre de 2017, une proposition en vue de l’adhésion de l’Union européenne à cette convention, laquelle est prévue à l’article 6, paragraphe 2, du traité.

1.9.

Les obligations qui incombent aux pays candidats au titre des critères de Copenhague doivent continuer à s’appliquer aux États membres après leur adhésion à l’Union en vertu de l’article 2 du traité et, de ce fait, le CESE considère que l’ensemble des États membres devraient être régulièrement évalués afin de vérifier qu’ils continuent à se conformer aux valeurs fondamentales de l’Union européenne, et d’éviter une rupture de la confiance mutuelle.

1.10.

Le CESE estime que les institutions européennes doivent renforcer les procédures et mécanismes afin de protéger et de défendre la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux dans les États membres. Au cours des dernières années et, en particulier, avant 2014, nous avons constaté avec inquiétude qu’en dépit du fait qu’elle ait lancé des procédures d’infraction dans certains cas, la Commission n’est pas parvenue à s’acquitter de manière efficace de son rôle de gardienne des traités et n’a pas été en mesure d’apporter une réponse adéquate aux violations des valeurs et principes européens qui ont été constatées dans plusieurs États membres.

1.11.

Le CESE encourage la Commission à adopter une démarche active en matière de protection et de défense, dans tous les États membres, des valeurs et principes de l’Union européenne, tels qu’ils sont énoncés à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, et à faire usage de toutes les possibilités offertes par le cadre de 2014.

1.12.

Le CESE propose l’adoption d’une approche commune par les trois principales institutions de l’Union européenne (Parlement, Conseil et Commission). Le dialogue et la coopération entre les institutions sont essentiels face à un problème aussi important que celui-ci. Le CESE recommande que le Conseil soutienne le cadre existant de la Commission en adoptant une décision visant à consolider le cadre et à soutenir le renforcement de l’État de droit.

1.13.

Les organisations de la société civile jouent un rôle important dans la promotion des valeurs démocratiques, le bon fonctionnement de l’État de droit et la protection des droits fondamentaux. Étant donné la réduction de l’espace démocratique et les contraintes imposées aux organisations non gouvernementales (ONG) dans les États membres, le rôle positif joué par ces organisations sur le terrain mérite l’admiration. Le Comité collabore très activement avec les partenaires sociaux et les ONG pour garantir la sauvegarde des droits fondamentaux et des droits des minorités, des réfugiés et des immigrés.

1.14.

En tant qu’organe représentant la société civile organisée européenne, le CESE souhaite entamer un dialogue avec le Parlement, le Conseil et la Commission en vue d’améliorer la gouvernance et de renforcer la coordination des politiques entre les institutions de l’Union et les États membres, ainsi que de mettre en place un système d’alerte précoce.

1.15.

Le CESE juge essentiel d’établir un mécanisme européen juridiquement contraignant, un cadre associant étroitement le Parlement, le Conseil et la Commission, au sein duquel le Comité jouerait un rôle important en tant que représentant de la société civile. Ce mécanisme viendra compléter le cadre de la Commission et le dialogue intergouvernemental lancé par le Conseil. Il pourrait s’appeler «nouveau mécanisme de Copenhague» (4) et serait soumis à un contrôle démocratique et judiciaire (5).

Ce mécanisme devrait, entre autres, examiner des aspects tels que la légalité, la hiérarchie des normes, la sécurité juridique, l’égalité, la non-discrimination, le libre accès à la justice et le droit à un procès équitable, la prévention des abus de droit et des comportements arbitraires de la part des pouvoirs publics, la séparation des pouvoirs, le respect et la protection du pluralisme politique, des minorités, de la diversité sociale et sexuelle, etc., le respect de la liberté d’expression et de la presse, en vue de détecter les lacunes existantes et de réclamer qu’elles soient corrigées.

1.16.

Le Comité souhaite que le projet de rapport examiné par la commission LIBE du Parlement européen soit adopté et qu’un accord interinstitutionnel soit obtenu sur la mise en œuvre du pacte de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux. D’une manière générale, le CESE soutient la proposition dans la mesure où elle contient la base en vue de l’application d’un accord institutionnel juridiquement contraignant qui renforce la gouvernance européenne et la coordination des politiques entre les institutions de l’Union et les États membres. Le CESE devrait être inclus dans ce pacte, ce qui permettrait un débat avec la société civile au niveau du Comité, et le CESE devrait jouer un rôle dans le semestre pour la démocratie interinstitutionnelle, l’État de droit et les droits fondamentaux (semestre DEF) proposé.

1.17.

Le mécanisme devrait prendre appui sur des indicateurs qui, eux-mêmes, reposeraient sur des données quantitatives et qualitatives portant sur les domaines suivants:

l’État de droit,

la qualité de la démocratie,

la protection des droits fondamentaux.

1.18.

Le Comité insiste sur l’importance des titres I, II, III et IV de la charte pour l’établissement des indicateurs, en tenant compte du fait que les droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux sont «indissociables» des droits civils et politiques.

1.19.

Il est important que tant les États membres que les institutions, organes et agences de l’Union européenne respectent les droits fondamentaux, notamment les droits sociaux, en particulier en temps de crise. Cela vaut également pour les relations et les accords avec les pays tiers, non seulement du point de vue de leur conformité à ces droits, mais aussi sous l’angle de leur application effective.

1.20.

Le mécanisme requiert l’introduction d’un système de suivi et d’évaluation selon des procédures transparentes. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) devrait être explicitement mandatée pour soutenir un tel mécanisme. Le CESE souscrit à la proposition du Parlement de créer un groupe d’experts indépendants (6), présidé par le comité scientifique de la FRA.

1.21.

Le Comité propose qu’il fasse partie de ce groupe. Il propose également que les experts désignés par les différents gouvernements soient les médiateurs de chaque État membre.

1.22.

Sur la base des indicateurs et en suivant des procédures transparentes, le groupe d’experts examinera et évaluera la situation dans chaque État membre. Le CESE peut apporter une aide dans ce domaine en organisant des missions dans les États membres, en vue d’examiner la situation en collaboration avec la société civile locale, ainsi qu’établir des rapports.

1.23.

Le CESE soutient la mise en œuvre du semestre DEF. Chaque année, sur la base des rapports des experts, la Commission établira des rapports par pays incluant des recommandations; le Parlement organisera un débat interparlementaire et rédigera une résolution; le Conseil organisera le dialogue annuel et adoptera des conclusions. Le mécanisme doit fonctionner dans le contexte d’un nouveau cycle politique annuel, dans le but d’assurer une approche commune et cohérente au sein de l’Union.

1.24.

Le Comité souhaite participer à la préparation de l’accord interinstitutionnel, et pourrait envisager la création d’un groupe permanent en vue d’organiser des auditions avec la société civile et d’élaborer des projets d’avis et des rapports à ce sujet.

1.25.

Dans le cadre du semestre DEF, le Comité pourrait organiser un forum annuel en coopération avec les organisations de la société civile, afin d’examiner la situation relative à la démocratie, à l’État de droit et aux droits fondamentaux, et rédiger des propositions et des recommandations qui seront transmises au Parlement, au Conseil et à la Commission. Le Comité pourrait également coopérer avec les autres institutions pour la réalisation des analyses d’impact.

2.   Le traité et les questions connexes

2.1.

Ces dernières années ont mis en lumière l’absence de mécanismes appropriés pour protéger les valeurs énoncées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, qui dispose que «l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes».

2.2.

L’Union est fondée sur ces valeurs, notamment le respect de la démocratie, de l’État de droit et de la protection des droits de l’homme. Elle a la possibilité de vérifier le respect de ces valeurs lors de la période de préparation à l’adhésion d’un État, en vertu de ce que l’on appelle les «critères de Copenhague» ou «critères d’adhésion» (7). L’adhésion requiert du pays candidat qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection.

2.3.

En revanche, il n’existe pas de mécanisme similaire qui pourrait être utilisé après l’adhésion d’un État. L’on parle du «dilemme de Copenhague» pour décrire l’absence d’un tel mécanisme de surveillance de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux.

2.4.

Le bon fonctionnement de l’Union européenne repose sur la «confiance mutuelle» que se portent les institutions européennes et les États membres, ainsi que les États membres entre eux, concernant le fait que les lois et les décisions politiques qui sont adoptées respectent les mêmes principes d’État de droit, de démocratie et de droits fondamentaux. Cette exigence permet d’assurer des conditions équitables de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux entre les États membres. Ce fonctionnement permet aussi aux gouvernements de coopérer dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, et notamment du droit pénal, de l’asile et de l’immigration.

2.5.

L’Union européenne a été créée pour garantir la paix et la prospérité dans tous les États membres et améliorer le bien-être de ses citoyens; cela dépend non seulement de l’existence du libre-échange, mais aussi de la protection des valeurs fondamentales de l’Union. Ces valeurs fondamentales donnent aux citoyens européens la garantie de vivre à l’abri de l’oppression et de l’intolérance et d’être dirigés par des gouvernements démocratiquement élus et responsables, qui agissent dans le respect de l’État de droit.

2.6.

Ces dernières années, certaines décisions politiques et législatives prises dans plusieurs États membres ont suscité des débats et des litiges avec les institutions européennes et les autres États membres, et la «confiance mutuelle» a été rompue. Bien souvent, il n’a pas été tenu compte comme il se doit des règles de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux, et l’Union européenne n’a pas été capable de réagir de manière adéquate.

2.7.

Le CESE observe avec une vive inquiétude que, dans plusieurs États membres, certains textes législatifs adoptés et certaines politiques mises en œuvre actuellement semblent témoigner d’une grave dégradation de la qualité de la démocratie: violations des droits de l’homme, notamment à l’encontre des minorités, manque d’indépendance de l’appareil judiciaire et des cours constitutionnelles, limitation de la séparation des pouvoirs, restrictions de la liberté de la presse, d’opinion, de réunion et d’association, d’information, liberté de mener des négociations collectives, limitations d’autres droits civils et sociaux fondamentaux. À plusieurs occasions, l’Union européenne a été confrontée, dans certains États membres, à des crises dues à des problèmes spécifiques liés à l’État de droit, et en réaction à ces situations, la Commission a exercé des pressions politiques et ouvert des procédures d’infraction.

2.8.

À ce jour, il n’a jamais été fait usage des mécanismes préventifs ni de ceux reposant sur des sanctions qui sont visés à l’article 7 du traité sur l’Union européenne, qui est la seule disposition figurant dans les traités permettant d’intervenir en cas de violation de la démocratie, de l’État de droit ou des droits fondamentaux, dans des domaines qui ne relèvent pas des compétences législatives de l’Union. Deux approches coexistent: l’une préventive et l’autre reposant sur des sanctions. Dans la pratique toutefois, aucun de ces dispositifs n’a jamais été utilisé du fait de leurs implications politiques et des exigences strictes régissant leur mise en œuvre: ils ne sont en effet applicables qu’en cas de «risque clair» de «violation grave et persistante».

2.9.

Le Parlement et la Commission peuvent intervenir lors de la phase préventive. Dans un second temps, le Conseil peut sanctionner un État membre en prononçant la suspension de certains de ses droits, notamment les droits de vote de ses représentants au sein du Conseil.

2.10.

Cependant, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’application de cette mesure, puisqu’aucun critère spécifique ou transparent ne s’impose à lui pour activer la procédure, décider des indicateurs utilisés, ni pour choisir les procédures d’évaluation. Le Parlement, la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne ne disposent que d’un mandat très limité dans ces situations (8); de même, aucune disposition n’est prévue pour consulter le CESE.

3.   Les actions des institutions européennes

3.1.

La Commission a adopté une communication intitulée «Un nouveau cadre de l’Union européenne pour renforcer l’État de droit» [COM(2014) 158] en mars 2014. Le cadre sera activé si les États membres prennent des mesures, ou tolèrent des situations, qui sont susceptibles de porter atteinte de manière systématique à l’intégrité, à la stabilité ou au bon fonctionnement des institutions et aux mécanismes de protection prévus au niveau national pour garantir l’État de droit. Cela concerne notamment les problèmes liés à leur structure constitutionnelle, à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance ou à l’impartialité du pouvoir judiciaire ou au système de contrôle juridictionnel, y compris la justice constitutionnelle.

3.2.

Le cadre de la Commission a pour objectif de répondre aux menaces qui pèseraient sur l’État de droit dans les États membres, avant que les conditions d’activation des mécanismes établis à l’article 7 du traité sur l’Union européenne ne soient réunies. Il relève de la responsabilité de la Commission et est conçu pour combler une lacune. Il n’a pas vocation à remplacer, mais plutôt à précéder et à compléter les mécanismes dudit article 7. En cas de signes clairs attestant de l’existence d’une menace systémique envers l’État de droit dans un État membre, ce cadre faciliterait la tenue d’un dialogue structuré entre la Commission européenne et l’État membre concerné. Le processus de cet échange se déroulerait en trois grandes étapes: un avis de la Commission, une recommandation de celle-ci et un suivi de ladite recommandation. La Commission peut consulter des experts lorsqu’elle procède à l’évaluation (9).

3.3.

Le CESE accueille favorablement le cadre visant à renforcer l’État de droit qui a été adopté par la Commission. Celui-ci présente néanmoins certaines limites.

3.3.1.

L’évaluation ne prévoit aucun examen comparatif périodique concernant les problèmes et litiges dont les États membres sont à l’origine en lien avec la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux. Par définition, ce cadre ne peut être activé que lorsque le problème est devenu «systémique», ce qui constitue un seuil élevé. On pourrait considérer qu’une menace peut être «systémique» à partir du moment où l’appareil judiciaire n’est plus en mesure de garantir que le gouvernement agit dans les limites du droit, une situation qui intervient à un stade relativement tardif le cas échéant.

3.3.2.

La manière dont la Commission analyse l’information doit être transparente et assortie d’indicateurs précis ou de procédures objectives; elle doit également établir des protocoles permettant de consulter la société civile et le CESE.

3.3.3.

Le cadre ne prévoit aucun rôle spécifique pour le Parlement, bien que celui-ci lance ses propres initiatives politiques dans ce domaine.

3.3.4.

Il ne prévoit en outre aucun modèle de coopération interinstitutionnelle plus étroite.

3.4.

Le CESE est préoccupé par l’absence de suivi donné, au sein du Conseil, au cadre visant à renforcer l’État de droit.

3.4.1.

Lors de sa réunion du 16 décembre 2014, le Conseil des affaires générales a adopté des conclusions sur le rôle du Conseil pour garantir le respect de l’État de droit. Le Conseil a entrepris d’instaurer un dialogue annuel entre les États membres, qui se déroulera au sein du Conseil des affaires générales et sera préparé par le Coreper. La présidence luxembourgeoise a lancé ce dialogue en novembre 2015, et il est prévu que celui-ci porte sur différents sujets spécifiques qui n’ont pas été rendus publics: les gouvernements ont été invités à évoquer les aspects relatifs à l’État de droit de leur choix, ainsi qu’à donner un exemple de pratique satisfaisante de leur part et un exemple de situation représentant un défi en la matière. Cela a débouché sur une série de monologues plutôt que sur un dialogue. Les États n’ont pas interagi en se prêtant soutien ou assistance ou en émettant des critiques, aucun d’entre eux n’a formulé ni pris acte de recommandations et ils n’ont pas pris d’engagements pour déployer des mesures de suivi concernant les difficultés relevées. Fin 2016, sous la présidence slovaque, le Conseil procédera à une évaluation de l’expérience.

3.4.2.

Le Conseil n’a pas tenu compte, dans ses conclusions, du cadre de la Commission relatif à l’État de droit et n’y a pas fait référence. Les conclusions ne donnent pas un aperçu clair du rôle précis que le Parlement, la Commission et le CESE joueront dans ce dialogue.

3.5.

La Commission Juncker a inscrit l’État de droit au rang de ses priorités et s’est dotée d’un vice-président chargé de l’État de droit et des droits fondamentaux, en la personne de M. Frans Timmermans. Cependant, l’on ne sait pas encore si la Commission mettra au point des critères et des indicateurs pour mettre en œuvre le cadre relatif à l’État de droit.

3.6.

Prenant en considération une évaluation critique de la situation par la Commission de Venise, un organe du Conseil de l’Europe (10), la Commission a, pour la première fois, mis en œuvre ce cadre en ouvrant à l’encontre de la Pologne une procédure d’infraction aux règles de l’Union européenne.

3.7.

La commission LIBE du Parlement européen examine actuellement un projet de rapport d’initiative (11) intitulé «Recommandations à la Commission sur la création d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux» [2015/2254 (INL), rapporteur: Mme Sophia in ‘t Veld], qui invite, entre autres, «la Commission à présenter, avant la fin 2016, au titre de l’article 295 du [traité sur le fonctionnement de l’Union européenne], une proposition concernant la conclusion d’un pacte de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux sous la forme d’un accord interinstitutionnel fixant des dispositions visant à faciliter la coopération entre les institutions de l’Union et ses États membres dans le cadre de l’article 7 du [traité sur l’Union européenne], en intégrant, en harmonisant et en complétant les mécanismes existants, suivant les recommandations détaillées figurant en annexe».

3.7.1.

L’annexe contient le projet d’accord interinstitutionnel intitulé «Pacte de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux», qui doit faire l’objet d’un accord entre le Parlement, le Conseil et la Commission.

3.7.2.

Le pacte comprend un tableau de bord, un débat interparlementaire annuel ainsi que des dispositions pour traiter les risques potentiels ou violations, ainsi que pour activer le volet préventif ou correctif de l’article 7 du traité.

3.7.3.

Le Parlement propose de lancer un semestre pour la démocratie interinstitutionnelle, l’État de droit et les droits fondamentaux (DEF), destiné à rassembler le cadre de la Commission, le dialogue annuel du Conseil et le débat interparlementaire. Ce semestre européen sera assisté par un secrétariat et un panel d’experts, et présidé par le président du comité scientifique de la FRA, qui établira des indicateurs et analysera la situation dans les États membres ainsi que les recommandations.

3.7.4.

Ce cycle politique DEF inclura les rapports annuels du Parlement, du Conseil et de la Commission, tandis qu’un groupe de travail interinstitutionnel chargé des analyses d’impact sera mis en place.

Bruxelles, le 19 octobre 2016.

Le président du Comité économique et social européen

Georges DASSIS


(1)  Article 6 du traité sur l’Union européenne.

(2)  Article 51: «Les dispositions de la Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.»

(3)  La proposition de la Convention et les avis du CESE ne prévoyaient pas les limites introduites à l’article 51 par le Conseil européen.

(4)  Comme le propose le Parlement européen au paragraphe 9 de sa résolution du 27 janvier 2014 sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne (2012), P7_TA(2014)1773, rapporteur: M. Louis Michel.

(5)  Carrera, S., E. Guild et N. Hernanz The Triangular Relationship between Fundamental Rights, Democracy and the Rule of Law in the EU: Towards an EU Copenhagen Mechanism (en anglais), Centre d’études de la politique européenne (CEPS), livre broché, Bruxelles, 2013.

(6)  Désignés par les États membres, l’ALLEA, l’ENNHRI, la Commission de Venise, la CEPEJ, les Nations unies et l’OCDE.

(7)  Conclusions du Conseil européen de Copenhague, des 21 et 22 juin 1993.

(8)  Alors que le droit de l’Union européenne prévoit, pour la protection des droits de l’homme, un mécanisme permettant aux individus de défendre leurs droits, l’article 7 du traité sur l’Union européenne est un mécanisme juridique et politique de portée générale, qui est expressément soustrait à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne.

(9)  L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), le Réseau des présidents des Cours suprêmes judiciaires de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe (Commission de Venise), l’Association des Conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne et le Réseau européen des conseils de la justice.

(10)  Avis sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel de Pologne, Commission de Venise, le 11 mars 2016.

(11)  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-576.988+01+DOC+PDF+V0//FR


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