Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 52010IE0970

    Avis du Comité économique et social européen sur «La dimension sociale du marché intérieur» (avis d’initiative)

    JO C 44 du 11.2.2011, p. 90–98 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

    11.2.2011   

    FR

    Journal officiel de l'Union européenne

    C 44/90


    Avis du Comité économique et social européen sur «La dimension sociale du marché intérieur» (avis d’initiative)

    2011/C 44/15

    Rapporteur: M. JANSON

    Le 16 juillet 2009, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l'article 29, paragraphe 2, de son Règlement intérieur, d'élaborer un avis d'initiative sur:

    «La dimension sociale du marché intérieur».

    La section spécialisée «Emploi, affaires sociales et citoyenneté», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 5 mai 2010.

    Lors de sa 464e session plénière des 14 et 15 juillet 2010 (séance du 14 juillet 2010), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 143 voix pour, 15 voix contre et 19 abstentions.

    1.   Récapitulatif

    1.1   La dimension sociale constitue un élément essentiel du marché intérieur. Elle se caractérise par une multitude d'aspects. Le présent avis traite de ses enjeux économiques et juridiques. Des évolutions récentes ont soulevé des questions quant à l'aptitude de la dimension sociale à protéger les travailleurs. Le marché intérieur ne peut fonctionner convenablement s'il ne comporte pas une dimension sociale forte, et s'il ne bénéficie pas du soutien des citoyens.

    1.2   Le CESE croit fermement que l'UE a un rôle important à jouer dans le domaine social, dans la mesure où les problèmes sociaux ne peuvent être résolus par les seuls États membres. Afin de susciter l'adhésion politique et de créer des conditions favorables à la solidarité et à la cohérence, l'UE devrait mettre davantage l'accent sur les aspects sociaux dans les politiques qu'elle conduit.

    1.3   Un certain nombre d'évolutions défavorables, ainsi que d'autres facteurs, ont mis en péril la dimension sociale. L'économie européenne doit faire face à son défi le plus sérieux depuis des décennies. L'on a laissé se développer des bulles financières tandis que les mécanismes de contrôle et les méthodes traditionnelles d'évaluation des risques étaient éludés. Par suite, le chômage a augmenté et les marchés du travail tout comme la situation sociale vont continuer à se détériorer. C'est pourquoi l'emploi doit rester une des principales priorités de l'UE. L'Europe a besoin d'une croissance durable, d'un taux d'emploi élevé et d'un marché du travail de grande qualité afin d'assurer le financement des systèmes de protection sociale.

    1.4   Au cours de la dernière décennie, les systèmes de protection sociale ont fait l'objet de réformes visant à promouvoir des mesures d'incitation au travail plus efficaces dans les dispositifs de protection sociale afin d'accroître la valeur du travail et de favoriser la réinsertion sur le marché de l'emploi. L'une des conséquences en a toutefois été l'accroissement des inégalités, aggravant ainsi les problèmes sociaux. Les systèmes d'emploi et de protection sociale sont essentiels pour atténuer la pauvreté et en l'absence de prestations sociales, le renforcement des inégalités et les conséquences sociales de la crise seraient beaucoup plus rapides et graves. La détérioration des finances nationales de nombreux États membres, menant vers une crise avérée ou potentielle de la dette publique, pèse lourdement sur les systèmes de protection sociale. Une hausse de l'activité économique durable, un renforcement de la régulation des marchés financiers et une augmentation des investissements dans la recherche et l'éducation constituent autant d'éléments de solution à ce problème.

    1.5   Le marché intérieur est un domaine dans lequel s'expriment tout à la fois la dimension sociale et d'autres dimensions. Pour prospérer, il convient de créer une croissance économique durable et des emplois générant des rentrées fiscales qui assurent le paiement des prestations sociales. Les taux de chômage et les déséquilibres de la fiscalité montrent que bien des choses peuvent être entreprises pour remédier à la situation actuelle.

    1.6   Les aspects juridiques de la dimension sociale ont été remis en question parce que les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans quatre affaires (Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg) ont suscité des débats animés, notamment dans les cercles politiques et académiques, sur les éventuelles craintes que soient accrus les risques de dumping social. Le Parlement européen, le monde académique et les organisations représentatives des salariés (1) ont fait part des préoccupations que suscitent ces décisions. D'autres sont convaincus que les arrêts de la CJUE concernant ces affaires contribueront à un meilleur fonctionnement du marché intérieur.

    1.7   Par conséquent, le CESE demande instamment:

     

    À court terme, le CESE plaide pour que la directive concernant le détachement des travailleurs soit mise en œuvre plus efficacement. Il propose d'étudier l'idée de créer un «Interpol social européen» venant en renfort des activités des inspections du travail des différents États membres.

     

    Le CESE demande instamment à la Commission d'évaluer la situation prévalant dans l'Union européenne à la lumière des récents arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

     

    Le CESE soutient aussi les mesures proposées par la Commission qui visent à renforcer le dialogue social, y compris:

    la promotion d'un dialogue social de meilleure qualité et un mécanisme européen de règlement des litiges et de conciliation;

    le développement plus poussé du dialogue macroéconomique afin d'éviter une autre crise financière;

    la promotion du modèle social européen dans les relations internationales.

     

    À moyen terme, le CESE est favorable à une initiative de la Commission qui clarifie les obligations juridiques des pouvoirs publics nationaux, des entreprises et des salariés dans le cadre de la mise en œuvre de la directive relative aux conditions de détachement des travailleurs et qui garantisse que ces règles soient d'application générale. Le CESE juge intéressante la proposition du rapport Monti d'exclure le droit de grève du champ d'application du marché intérieur et estime qu'elle contribuerait à résoudre certains problèmes. Toutefois, cette initiative ne devrait pas exclure une révision partielle de la directive concernant le détachement des travailleurs afin de consentir une application cohérente du principe du lieu de travail, assurant ainsi par voie législative que des conditions de travail et de rémunération identiques doivent toujours être appliquées pour un même travail effectué au même endroit.

     

    À plus longue échéance, l'Union européenne devrait s'efforcer de renforcer la dimension sociale du marché intérieur et d'en exploiter pleinement les possibilités. L'impact total du traité de Lisbonne et de la Charte des droits fondamentaux qui lui est annexée n'est pas encore perceptible sur l'équilibre entre les droits fondamentaux et les droits économiques. Renforcer la dimension sociale exige de renforcer les droits sociaux fondamentaux et de limiter très strictement toute restriction des droits fondamentaux, dont font partie les droits sociaux. On pourrait envisager de modifier le traité afin d'atteindre cet objectif.

    2.   Le marché intérieur et la dimension sociale

    2.1   En 1987, le CESE avait adopté un avis (2) sur les aspects sociaux du marché intérieur. Le Comité proposait dans ce document que la Communauté européenne garantisse un certain nombre de droits sociaux fondamentaux liés au marché du travail. Son objectif était de veiller à ce que le marché intérieur lancé depuis peu ne conduise pas à des distorsions du marché, et de souligner que la Communauté poursuivait également des objectifs sociaux. La dimension sociale comprend la législation et les accords passés au niveau européen en vue de garantir que les salariés jouissent de certains droits fondamentaux sur leur lieu de travail. Cependant, la coopération s'impose aussi afin de stimuler l'emploi dans l'UE.

    2.2   À la suite de cet avis, la Commission européenne avait publié nombre de documents, marquant le point de départ d'une évolution favorable à une interprétation plus large et plus approfondie de la dimension sociale du marché intérieur (3). Comme l'avait écrit la Commission européenne, «La dimension sociale du marché intérieur est une composante fondamentale de ce projet, car il ne s'agit pas seulement de renforcer la croissance économique et d'augmenter la compétitivité extérieure des entreprises européennes, mais aussi d'aboutir à une utilisation plus efficace et plus complète de toutes les ressources disponibles et à une juste répartition des bénéfices qui en découleront» (4).

    2.3   En 1989, le CESE a joué un rôle actif dans la définition du contenu de la Charte sociale qui a investi les travailleurs de droits sociaux fondamentaux auxquels ni la pression de la concurrence ni la poursuite d'une compétitivité accrue ne devaient porter atteinte. Selon le CESE, l'exercice de ces droits fondamentaux présuppose qu'il n'existe aucune restriction injustifiable à leur encontre.

    2.4   Le présent avis essaie de cerner les évolutions récentes les plus importantes affectant les possibilités de fonctionnement de la dimension sociale. Ces dernières années, le CESE a adopté plusieurs avis traitant de la dimension sociale, dont le présent avis s'inspire en partie (5). Ce qui est clair d'entrée de jeu, c'est que, dans une économie sociale de marché, le marché intérieur ne peut pas fonctionner correctement sans dimension sociale forte ou sans que les citoyens européens ne l'acceptent. Les avantages d'un marché unique fonctionnant convenablement sont nombreux et importants pour les entreprises, les travailleurs, les citoyens et l'économie en général. La lecture des préambules des traités montre toutefois que le marché intérieur a été conçu comme un outil au service du bien-être des citoyens, et non comme un objectif en soi.

    2.5   Quatre raisons principales sous-tendent donc la dimension sociale:

    la libre circulation des personnes;

    l'existence de droits sociaux indivisibles auxquels toute société devrait adhérer et qu'elle devrait respecter en toutes circonstances; il s'agit du droit à l'action collective, à la liberté syndicale et à la négociation collective et des autres droits figurant dans les conventions fondamentales de l'OIT et les conventions internationales et européennes relatives aux droits sociaux et aux droits de la personne;

    le renforcement du fonctionnement du marché intérieur et l'atténuation de ses incidences négatives, afin de susciter une adhésion aux projets politiques et économiques et de renforcer la cohésion sociale;

    la politique sociale constitue également un élément essentiel d'une compétitivité accrue.

    2.6   La «politique sociale» est une compétence partagée entre les niveaux national et européen. La plupart des dispositions dans ce domaine mettaient l'accent sur l'instauration de la libre circulation des travailleurs et de la liberté d'établissement dans la perspective du marché commun. La dimension sociale a toutefois gagné en importance. Les traités qui se sont succédé ont étendu le vote à la majorité à des domaines tels que la législation relative à l'égalité des chances, l'information et la consultation des travailleurs et les politiques visant à venir en aide aux chômeurs. Quoi qu'il en soit, la législation ne disposait pas (et ne dispose pas) de base juridique pour couvrir les questions telles que la rémunération, le droit d'association, le droit de grève ou le droit de lock-out, même si les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et la législation européenne abordent ces questions. Le traité de Nice a officialisé le statut de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le traité de Lisbonne a quant à lui renforcé le caractère officiel de ces droits en rendant la Charte des droits fondamentaux juridiquement contraignante.

    2.7   Les politiques sociales relèvent avant tout de la responsabilité des États membres. Cependant, les défis sociaux qui apparaissent du fait de l'évolution du monde ou de l'Europe ont une incidence sur les personnes résidant dans les États membres; dès lors, une approche européenne coordonnée est nécessaire. L'UE a abordé le dilemme de la double compétence en ayant recours à différentes méthodes. Elle s'est efforcée de faire respecter les règles sociales en définissant une série de normes minimales. Une autre méthode possible est la méthode ouverte de coordination (MOC). Celle-ci pourrait être mieux utilisée, et de façon plus efficace, en recourant à l'approche des «principes communs», introduite récemment, et en permettant la participation de la société civile à la formulation et même à la négociation des objectifs de la stratégie de Lisbonne à l'échelle européenne (6).

    2.8   L'«acquis» social de l'Europe est remarquable: ce sont environ 70 directives et règlements qui ont été adoptés dans ce domaine depuis la création de l'Union européenne, dont la plupart l'ont été depuis 1985. Le CESE croit fermement que l'UE a un rôle social important à jouer. Les problèmes sociaux ne peuvent être résolus par les seuls États membres. Afin de susciter l'adhésion politique et de créer des conditions favorables à la solidarité et à la cohérence, l'UE devrait mettre davantage l'accent sur les aspects sociaux des politiques qu'elle conduit, tout en respectant le principe de subsidiarité.

    3.   Évolutions actuelles

    3.1   Évolution économique

    3.1.1   L'économie européenne doit faire face à son défi le plus sérieux depuis des décennies. Depuis le second semestre de 2008 (7), l'économie mondiale a été touchée par un fort ralentissement économique dont les effets se révèlent bien plus graves que prévu dans la plupart des pays. Alors que les économies semblaient justement commencer à se remettre de la crise bancaire, elles sont aujourd'hui menacées par la crise de la dette publique et l'austérité des mesures correctives rendues obligatoires.

    3.1.2   Le chômage est en hausse, ce qui empire la situation. Les répercussions de la crise financière et les exigences des organismes de prêt ont conduit à des coupes dans les systèmes de protection sociale, les retraites et les transferts sociaux. Cette situation aggravera la pauvreté et désavantagera les groupes de population les plus vulnérables, créant ainsi les conditions d'un cercle vicieux. Nombre d'entreprises européennes qui ont été touchées par la crise ont néanmoins pris, de concert avec les services publics pour l'emploi, des mesures pour garder leur main-d'œuvre et ainsi maintenir les personnes en situation d'emploi.

    3.1.3   L'apparition soudaine des évènements et leur diffusion rapide montrent l'émergence d'un nouveau phénomène dans l'économie mondialisée. Les causes en ont été multiples: des politiques monétaires et des politiques des taux de change ayant entraîné une liquidité excessive, l'absence ou l'insuffisance de la réglementation concernant certains secteurs ou opérateurs, la recherche de rendements irréalistes parallèlement à une sous-estimation ou une méconnaissance des risques de la part des acteurs du marché et des instances de surveillance et de régulation, des effets de levier excessifs, une mauvaise coordination des politiques macroéconomiques et des réformes structurelles insuffisantes (8).

    3.1.4   Inévitablement, la question se pose de savoir si le cadre économique actuel de l'UE, marqué notamment par un dialogue macroéconomique déficient, n'a pas en réalité aggravé la crise. Il a eu pour effet un affaiblissement des stabilisateurs automatiques, une explosion du crédit plutôt que des salaires réels, une chute des taux de croissance et une probabilité moindre de détecter les bulles financières. Le CESE estime que le transfert de la dette privée (banques) sur la dette publique (États et citoyens) pèse trop lourdement sur les citoyens, d'autant plus que la détérioration des finances publiques et les restrictions imposées par le pacte de stabilité et de croissance soulèvent des questions quant à la façon dont les investissements auxquels il est primordial de procéder au niveau des dispositifs de protection sociale seront financés à l'avenir.

    3.1.5   Dans sa phase la plus récente, la crise a révélé que de nombreux États membres ont laissé perdurer des déficits budgétaires insoutenables. Les mesures correctives qui devront être mises en œuvre pour assainir les finances publiques exerceront une pression énorme sur les systèmes fiscaux, les politiques et les programmes sociaux.

    3.1.6   Malgré les défauts qu'elles présentent, il convient de relever que la Commission envisage les subventions nationales d'État, y compris à des fins de protection du travail, dans le cadre d'une perspective européenne plus vaste. La politique de la concurrence, notamment en ce qui concerne les PME et les subventions des États aux banques, tient compte, à juste titre, de l'objectif socio-économique de maintenir des conditions égales pour tous en Europe.

    3.1.7   Le CESE a relevé auparavant (9) que les décideurs européens en matière économique avaient reconnu la nécessité de compléter leur démarche, dans le cadre de laquelle la politique économique s'était jusqu'ici appuyée sur des mesures orientées vers l'offre, par une politique macroéconomique contracyclique. Le CESE s'est également félicité de l'engagement pris s'agissant de prodiguer une meilleure protection aux membres les plus vulnérables de la société et d'assurer une coordination plus efficace de la politique économique. Cependant, le Comité a souligné que le plan de relance économique de l'Union européenne était relativement peu ambitieux comparé aux trains de mesures adoptés dans d'autres parties du monde.

    3.2   Évolution du marché intérieur

    3.2.1   Le CESE a fait l'éloge de la création et du développement du marché intérieur dans plusieurs avis (10). Le marché intérieur, qui couvre tous les États membres et les pays de l'EEE, profite aux consommateurs, aux entreprises et aux travailleurs en offrant un espace réglementaire unique pour la mobilité des marchandises, du capital, des personnes et des services.

    3.2.2   La Commission a exposé sa vision de l'avenir du marché unique (11). Elle fait remarquer que le marché unique a apporté des avantages aux consommateurs et aux entreprises, qu'il a soutenu la création d'emplois et stimulé la croissance, la compétitivité et l'innovation. De l'avis de la Commission, les points clefs pour l'avenir sont les suivants:

    les consommateurs et les entreprises auxquels le marché unique doit apporter de meilleurs résultats et plus d'avantages pour répondre à leurs attentes et préoccupations;

    tirer parti de la mondialisation;

    faire de la connaissance et de l'innovation la «cinquième liberté»;

    une dimension sociale et environnementale par laquelle la Commission s'engage à améliorer ses évaluations d'impact en vue d'anticiper plus efficacement les mutations du marché.

    L'échec le plus grave du marché intérieur a été son incapacité à stimuler l'emploi et l'activité économique au moyen d'investissements internes. Plus particulièrement, il a échoué à favoriser l'émergence et le développement de la technologie et de la recherche visant à poser les jalons d'une mutation de l'économie. Si l'on ne corrige pas cette situation, l'Europe se retrouvera à la traîne de l'économie mondiale.

    3.2.3   Le CESE préconise un meilleur équilibre entre le développement social, un environnement économique favorable et la protection de l'environnement, ce qui est essentiel pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur et promouvoir un développement durable à long terme. Plus l'intégration du marché intérieur sera poussée, plus l’objectif des traités d’assurer le bien-être des citoyens devra être rempli, et donc meilleure devra être la protection sociale à fournir. Avec 27 marchés du travail affichant des traditions législatives différentes, l'UE doit s'assurer que les règles en matière de mobilité intérieure n'affaiblissent pas des dispositifs qui fonctionnent déjà. Il y a lieu de prendre des mesures pour que la concurrence au sein du marché intérieur progresse d'une manière favorable à l'innovation et ne prenne pas la forme d'une compétition contre-productive et parfois ruineuse, entre les États membres de l'UE (12).

    3.2.4   En outre, à la suite de la crise, l'Europe devra faire face à une vague de restructurations d'entreprises. Le CESE constate que l'UE manque à l'heure actuelle d'une vision stratégique commune sur la façon de lutter contre les conséquences négatives de telles restructurations, ou de profiter de l'occasion pour renforcer la compétitivité de l'économie européenne dans l'économie mondiale. Le CESE invite la Commission à adopter, conjointement aux partenaires sociaux, une position européenne afin de protéger tous les salariés concernés. À cet égard, le Comité se félicite de l'initiative des partenaires sociaux européens de présenter une étude sur la restructuration dans l'UE et d'établir une «feuille de route» qui explique aux entreprises comment participer efficacement au processus de restructuration.

    3.2.5   Le CESE (13) a déclaré que si l'Union européenne veut préserver sa compétitivité à long terme, le marché intérieur doit garantir une croissance durable et à longue échéance, ce qui implique également la prise en compte de sa dimension environnementale. Le but poursuivi est d'améliorer significativement le fonctionnement du marché intérieur dans une économie sociale de marché et de garantir le respect des droits sociaux fondamentaux. Le CESE a également souligné que, le cas échéant et pour autant que de besoin, il conviendrait d'adopter dès que possible des mesures spécifiques appropriées pour protéger les travailleurs, déclarant que ni les libertés économiques, ni les règles de concurrence ne doivent prendre le pas sur les droits sociaux fondamentaux (14). Dans le même temps, le CESE est conscient qu'il est nécessaire de stimuler la création d'emploi et de promouvoir l'esprit d'entreprise, ainsi que d'établir des économies saines et durables dans les États membres.

    3.2.6   L'un des défauts auxquels il convient de s'attaquer si l'on souhaite que le marché intérieur remplisse son rôle consiste à accorder davantage d'importance et de sécurité juridique aux services d'intérêt général qui ont joué un grand rôle en tant que stabilisateurs économiques pendant la crise actuelle, et à développer la dimension internationale. Nous devons promouvoir notre modèle social sur la scène internationale comme facteur de développement et affirmer notre identité en tant qu'entité dont les composantes se soutiennent mutuellement, organe actif dans les forums internationaux et qui vise à doter la mondialisation d'un cadre plus solide. Si l'on veut que la mondialisation soit équitable, alors l'Europe doit œuvrer en faveur d'un commerce et d'une mondialisation plus équitable dans ses accords liés au commerce et autres accords internationaux.

    3.2.7   Le CESE est fermement convaincu que la mobilité en Europe doit rester une priorité politique pour l'UE. À cet égard, le CESE appelle les États membres qui appliquent toujours un régime transitoire pour la libre circulation des personnes à suivre les procédures découlant des traités et à démanteler ce régime (15).

    3.3   Évolution des systèmes de protection sociale

    3.3.1   Malgré un redressement partiel de l'économie, la situation sociale et l'emploi continueront à se détériorer, compte tenu notamment des mesures actuelles conçues pour résoudre la crise de la dette publique. La Commission annonce que pour les deux prochaines années, les prévisions font état d'une augmentation du taux de chômage à des niveaux jamais égalés depuis plusieurs décennies (16).

    3.3.2   Des actions ont été entreprises dans les États membres qui ont eu des effets positifs s'agissant de maintenir l'emploi et de contenir le chômage. Il s'agit de stimuler les investissements, de faciliter les négociations collectives ainsi que des mesures spécifiques au marché du travail financées par les régimes publics de chômage. Certains pays se sont appuyés sur la «flexibilité interne», et notamment sur différents dispositifs, qui, couplés à de la formation, visaient à réduire le nombre d'heures prestées. Dans certains pays, l'on a procédé à des licenciements à grande échelle, en partie à cause de l'absence de ce type de dispositions (17).

    3.3.3   L'emploi doit figurer parmi les principales priorités de l'UE. L'Europe a besoin d'un taux d'emploi élevé et d'un marché du travail de grande qualité. Pour être compétitif à l'échelle internationale, un marché du travail de grande qualité a besoin, à son tour, d'un esprit d'entreprise de grande qualité ainsi que d'investissements dans les secteurs public et privé. Le financement des systèmes de protection sociale repose sur le marché de l'emploi européen qui doit être en mesure d'intégrer un nombre aussi élevé que possible de travailleurs. L'Europe est toujours confrontée à des obstacles qui l'empêchent d'atteindre le plein emploi. Afin de maintenir à l'avenir des niveaux d'emploi élevés en Europe, l'accent a été réorienté sur la flexicurité, l'employabilité, une productivité plus élevée, et l'enseignement et la formation qui peuvent contribuer à mettre en place des marchés du travail plus efficaces. Qui plus est, il convient d'accorder la plus haute priorité aux mesures qui puissent stimuler l'emploi et la création d'entreprises, et aux actions visant à favoriser les investissements domestiques durables.

    3.3.4   Au cours de la dernière décennie, les systèmes de protection sociale ont fait l'objet de réformes visant à promouvoir des mesures d'incitation au travail plus efficaces dans les dispositifs de protection sociale, conformément à une philosophie axée sur l'offre et comportant des restrictions dans les prestations sociales et des critères d'éligibilité plus stricts. L'on estime que de telles mesures peuvent réduire le chômage. Les systèmes de protection sociale doivent trouver un juste milieu entre procurer un soutien pour favoriser le retour à l'emploi et fournir une aide au revenu en cas de chômage.

    3.3.5   L'on peut s'interroger sur l'efficacité de ces politiques. Les inégalités se sont accrues au cours des deux dernières décennies. Les systèmes de protection sociale sont essentiels pour atténuer la pauvreté et en l'absence de prestations sociales, le renforcement des inégalités et les conséquences sociales de la crise seraient beaucoup plus rapides et graves. La crise actuelle risque de mettre un terme à la tendance à la hausse de l'emploi et au renforcement de la cohésion sociale transnationale, en aggravant une évolution observée depuis longtemps en Europe, caractérisée par un accroissement des écarts de revenus au sein des États membres (18).

    3.3.6   Les mesures anticrise ont donné lieu à des résultats positifs dans de nombreux États membres. Par ailleurs, la Commission (19) observe que dans de nombreux pays les chômeurs ne perçoivent pas d'aides au revenu. Dans certains cas, ces aides sont mal ciblées et donnent à penser que les systèmes d'allocations non seulement ne sont pas en mesure de fournir un filet de sécurité global mais, qui plus est, ne s'adressent pas de manière appropriée à ceux qui en ont le plus besoin. C'est la qualité, tout comme la durabilité de ces dispositifs qui est en jeu (20). Compte tenu des effets de la crise économique et de l'évolution démographique, le risque existe que les systèmes de protection sociale, plutôt que de protéger le niveau de vie, soient limités au simple maintien de conditions de vie minimum. C'est particulièrement vrai dans certains États membres, là où les allocations dépassent déjà les recettes fiscales de l'État. Alors que le niveau de productivité continue d’augmenter dans les pays de l’Union, la pauvreté aussi. Il convient de s’interroger sur cette impossibilité apparente de procurer aux citoyens la couverture de leurs besoins les plus élémentaires et un emploi décent. À long terme, une solution réside dans la croissance de l'économie du secteur public et privé, alimentée par le développement d'entreprises compétitives.

    3.3.7   Néanmoins, la capacité de l'UE de fournir une protection adaptée contre les risques et d'associer la croissance économique aux progrès sociaux ne peut être maintenue qu'en intensifiant les efforts de réforme. Des avancées communes doivent être réalisées en accroissant les niveaux d'emploi, en augmentant la productivité, en instaurant des systèmes fiscaux adaptés, en assurant la viabilité des systèmes sociaux européens ainsi qu'en leur donnant la possibilité d'apporter une protection adaptée.

    3.4   Évolution judiciaire

    3.4.1   Les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans quatre affaires [Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg (21)] ont conduit à des débats animés dans les milieux politiques et universitaires et ont renforcé les craintes, tant justifiées qu'injustifiées, d'accroître les risques de dumping social. Ces arrêts ont également engendré des discussions dans les institutions européennes et parmi les partenaires sociaux.

    3.4.2   En octobre 2008, le Parlement européen a adopté une résolution (22) en réponse aux arrêts de la Cour européenne de justice. Le Parlement a affirmé que la liberté de fournir des services ne prime pas les droits fondamentaux inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et notamment le droit des syndicats à négocier, à conclure et faire appliquer les conventions collectives et à recourir à une action collective. Par ailleurs, le Parlement a affirmé que la législation européenne en vigueur présente des lacunes, ce qui est incohérent. Telle n'était pas l'intention du législateur communautaire qui cherchait à établir un juste équilibre entre la libre prestation des services et la protection des droits des travailleurs.

    3.4.3   Le débat académique (23) a été d'une importance décisive. En juin 2009, plus d'une centaine d'avocats et d'universitaires européens spécialistes du droit du travail ont adressé une lettre ouverte aux chefs d'État et de gouvernement pour faire part de leurs vives inquiétudes à l'égard de la détérioration des droits sociaux fondamentaux et de l'incidence des récents arrêts rendus par la CJUE sur les droits des travailleurs et leurs organisations. Ils ont aussi exprimé leur préoccupation quant au fait que ces arrêts créent de sérieux problèmes pour la protection effective des droits des travailleurs. Ils ont affirmé avec force que les droits fondamentaux ne doivent pas passer après les libertés du marché intérieur et le droit de la concurrence, mais qu'ils devraient au contraire être pleinement reconnus en tant que condition nécessaire au développement économique et social durable de l'Union européenne.

    3.4.4   À la fin du mois de mars 2009, à la demande de la Commission européenne et de la présidence française, les partenaires sociaux européens ont entamé une analyse conjointe des arrêts de la Cour de justice. Afin de mener à bien cette tâche, un groupe ad hoc a été mis en place, dont l'attention s'est concentrée sur un nombre limité de questions fondamentales, telles que le lien entre les libertés économiques et les droits sociaux; les barrières à éliminer et les conditions à créer pour améliorer la libre circulation et la prestation des services; la question de la transparence et de la sécurité juridique et l'enjeu du respect de la diversité des systèmes nationaux en matière de relations entre les partenaires sociaux (24).

    3.4.5   Le CESE, tout en respectant la prérogative de la CJUE d'interpréter les règles existantes, est d'avis que ces arrêts sont préoccupants à plus d'un titre, et rendent nécessaires l'analyse et une explication de leurs conséquences.

    3.4.5.1   La hiérarchie entre les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux

    Avec les affaires Viking et Laval, la CJUE a reconnu que le recours à une action collective est un droit fondamental et qu'en tant que tel, il fait partie de la législation de l'UE; dans le même temps, elle a toutefois souligné qu'il n'est pas supérieur à d'autres aspects du droit de l'UE tels que la libre prestation de services ou la liberté d'établissement. Par ailleurs, la CJUE a donné à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement un effet direct horizontal. La CJUE a observé que les actions collectives doivent non seulement avoir «un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie(r) par des raisons impérieuses d’intérêt général. Mais encore faudrait-il, en pareil cas, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre» (25). Ainsi, le fait de reconnaître que les actions collectives représentent un droit fondamental est plus de l'ordre du principe que de la réalité. Par conséquent, la CJUE a estimé que les actions collectives constituent une restriction de ces libertés et a demandé si cette restriction peut être justifiée. Cela signifie que les actions collectives sont évaluées à l'aune des restrictions qu'elles comportent pour les libertés économiques. Des personnalités du monde universitaire ont fait observer que la Cour européenne des droits de l'homme (26) s'est, dans des cas récents, penchée sur la question depuis le point de vue opposé, c'est-à-dire que la question a été de considérer quelles étaient les restrictions acceptables dans le domaine des droits fondamentaux. Les arrêts de la CJUE suscitent certaines préoccupations quant à leur manque de cohérence avec la jurisprudence de la CEDH.

    3.4.5.2   La limitation des droits fondamentaux

    La Cour a jugé pour la première fois les limites d'une action collective du niveau national dans un contexte transnational. Le CESE considère particulièrement inquiétant que la CJUE ait introduit ici un critère de proportionnalité. Non seulement ce critère écarte la caractéristique propre aux droits fondamentaux de recourir à une action collective, mais il lèse également le droit de grève. À la lumière des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et des réactions, le CESE souligne que le processus de détermination des limites des libertés économiques et des droits sociaux fondamentaux dépend aussi des arrêts futurs et des questions qu'ils soulèvent.

    3.4.5.3   La directive concernant le détachement des travailleurs

    La directive concernant le détachement des travailleurs vise à assurer l'harmonisation qui s'impose tout en respectant la diversité nationale lors de la coordination des politiques nationales en matière de détachement temporaire transfrontalier des travailleurs. La CJUE a conclu que les problèmes rencontrés sont dus à l'absence de transposition nationale de certaines dispositions de la directive concernant le détachement des travailleurs (Laval), à l'incompatibilité des législations nationales [Rüffert (27)] ou à une interprétation trop large de la directive et à des mesures de contrôle peu claires et injustifiées (Luxembourg).

    D'après la Cour européenne de justice, cette directive ne contraint pas à l'égalité de traitement mais veille à ce que les exigences minimales soient respectées à l'égard des travailleurs détachés. Par conséquent, il s'agit de facto d'une directive maximale et non d'une directive minimale,. Néanmoins, les arrêts rendus par la CJUE n'empêchent pas l'application, par les employeurs, de meilleures conditions de travail et d'emploi. L'article 3.7 de la directive concernant le détachement des travailleurs a pour objet de veiller à ce que l'application pratique des règles minimales dans l'État membre d'accueil ne rende pas les conditions de travail pires que celles auxquelles le travailleur détaché serait soumis dans son pays d'origine. L'on a avancé que les arrêts suppriment certaines possibilités au niveau national d'imposer des normes plus contraignantes allant au-delà des règles obligatoires de protection minimale fixées dans la directive, que ce soit par une réglementation normative ou par des conventions collectives en faveur des travailleurs.

    Ceci fausse à son tour la concurrence au sein des États membres et sur le marché intérieur, dans la mesure où les entreprises d'un pays doivent respecter les règles nationales ou les conventions collectives, alors que les sociétés concurrentes des autres États membres peuvent appliquer des règles minimales.

    3.4.5.4   Le conflit entre systèmes juridiques différents

    Une autre conséquence découlant des arrêts rendus est le conflit entre le droit de l'Union et les règles internationales (28). Par conséquent, l'on peut soutenir qu'il y a un conflit de droit entre les conventions de l'OIT no 87 et no 98, ainsi qu'avec l'article 6, paragraphe 4 de la charte sociale européenne et la jurisprudence des institutions respectives, comme cela a été établi par les organes de contrôle de l'OIT (cas BAPA UK).

    4.   Conclusions

    4.1   L'évolution de ces dernières années et la crise actuelle fait naître de nouveaux risques d'accroissement des inégalités sociales. Par ailleurs, par ses propres décisions, l'UE a augmenté les risques d'inégalités sociales et de distorsion de la concurrence. Les évolutions économiques, sociales et judiciaires risquent d'aboutir à une situation où la dimension sociale du marché intérieur se trouve menacée, et où les droits fondamentaux et les droits sociaux de base proposés dans l'avis du CESE de 1987 sont mis à mal. La dimension sociale du marché intérieur devrait par conséquent être au centre de l'attention dans les années à venir mais afin d'améliorer les aspects économiques – emploi, prestations sociales, recettes fiscales – l'UE devra rectifier l'incapacité manifeste du marché intérieur à encourager la croissance au moyen d'emplois et d'entreprises de haute qualité et d'autres employeurs.

    4.2   L'emploi constitue l'un des aspects les plus importants de la dimension sociale. Étant donné la pression à laquelle sont soumises les finances publiques, le secteur public ne peut pas créer un nombre illimité d'emplois, de telle sorte que c'est au secteur privé que doit incomber l'essentiel de la création d'emplois. Les États membres doivent mettre en place les conditions favorables à un cercle vertueux recentré sur l'économie réelle, dans lequel les consommateurs génèrent des emplois, les entreprises créent des consommateurs et les investisseurs et les entrepreneurs des entreprises. Il importe aussi de considérer l'investissement social comme un soutien aux entreprises et à un bon climat des affaires. Dans ce cadre, l'économie sociale apporte une contribution extrêmement précieuse.

    4.3   Le CESE a contribué à nourrir le débat portant sur les défis auxquels doivent faire face les modèles sociaux européens et relatifs à la nature du modèle social européen (29). Le CESE a affirmé que «la force du modèle social européen» repose sur «l'interaction entre la compétitivité, la solidarité et la confiance mutuelle».

    4.4   Un moyen de résoudre le conflit opposant le marché intérieur aux droits sociaux consisterait à revenir à une politique fondée sur le principe «davantage de politiques nationales, moins d'Europe». Le CESE est d'avis que c'est exactement l'inverse dont nous avons besoin; il nous faut plus d'Europe, mais une Europe différente. Néanmoins, cela exige un nouveau système réglementaire pour la politique économique et sociale européenne. Seule une Europe véritablement démocratique et sociale peut éviter le danger d'un sentiment de désaffection grandissante des Européens vis-à-vis de la construction européenne. Néanmoins, l'UE doit aussi respecter les différents systèmes sociaux en place dans les États membres. Si la jurisprudence et le droit de l'Union européenne omettent de tenir compte de la diversité de l'UE, alors les normes minimales pourraient ne plus suffire à éviter le dumping social dans de nombreux pays.

    4.5   Un élément très important de la dimension sociale européenne réside dans une politique fiscale harmonisée et plus équitable à l'échelle européenne. Afin d'éviter une concurrence fiscale dommageable, le CESE apporte son soutien aux travaux portant sur une assiette consolidée commune. À long terme, ce système est nécessaire à un bon fonctionnement du marché intérieur (30). Le CESE a aussi plaidé en faveur d'une plus grande coordination paneuropéenne des politiques fiscales des États membres, en premier lieu dans les domaines où l'assiette de l'impôt est mobile et le risque d'évasion fiscale et de concurrence fiscale entre États membres est le plus important (31). L'évasion fiscale et la fraude, ainsi que les paradis fiscaux doivent tous être combattus.

    4.6   Il convient aussi de rappeler qu'en supprimant partiellement la possibilité de réglementer au moyen de la négociation collective les conditions prévalant sur le marché du travail, on rend celui-ci moins flexible. Les accords collectifs et le dialogue social constituent des instruments essentiels au concept de flexisécurité (32).

    5.   Comment s'assurer que la dimension sociale fonctionne plus efficacement

    5.1   À court terme, le CESE demande que la mise en œuvre de la directive concernant le détachement des travailleurs soit améliorée. Si l'on souhaite atteindre l'objectif de la directive, à savoir éviter le dumping social, alors des contrôles efficaces de l'application correcte des dispositions relatives au détachement des travailleurs constituent une condition préalable. Il convient de veiller à une coopération transnationale efficace entre les autorités s'il doit y avoir un contrôle efficace des conditions salariales et de travail des travailleurs détachés. Le CESE est favorable à la création d'un «Interpol social européen» doté de compétences en matière de coordination des activités des inspections des conditions sociales des différents États membres.

    5.2   À la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de droits fondamentaux, cette instance plaide que la «Convention est un instrument vivant… de façon à refléter le niveau d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme, lequel implique une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Autrement dit, les limitations apportées aux droits doivent être interprétées restrictivement» (33). Le CESE demande instamment à la Commission d'évaluer la situation prévalant dans l'Union européenne à la lumière des récents arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.

    5.3   L'implication et la participation des travailleurs ainsi que de leurs représentants et de leurs syndicats dans le cadre de la gestion des mutations contribuent d'une manière essentielle à rendre celles-ci socialement acceptables au niveau des entreprises (34). À plusieurs occasions, le CESE a souligné l'importance du dialogue social et du renforcement des systèmes de relations professionnelles aux niveaux national et européen, tout en respectant la diversité de ces systèmes dans les États membres (35). Le CESE soutient toutes les mesures proposées par la Commission qui visent à renforcer le dialogue social, y compris:

    la promotion d'un dialogue social de meilleure qualité et un mécanisme européen de règlement des litiges et de conciliation;

    le développement plus poussé du dialogue macroéconomique afin d'éviter une autre crise financière.

    5.4   À moyen terme, le CESE soutient une initiative de la Commission qui clarifie les obligations légales des autorités nationales, des entreprises et des travailleurs dans le cadre de la mise en œuvre de la directive concernant le détachement des travailleurs et qui veille à l'application universelle de ces règles. À cet égard, le CESE se félicite de l'engagement pris par le Président BARROSO devant le Parlement européen. Le Comité trouve intéressante la proposition du rapport Monti selon laquelle le droit de grève serait exclu du champ d'application du marché intérieur et estime que cela pourrait résoudre certains problèmes. Il ne faut pas pour autant exclure une révision partielle de la directive sur le détachement des travailleurs afin de consentir une application cohérente du principe du lieu de travail, permettant d'assurer par voie législative que des conditions de travail et de rémunération identiques doivent toujours être appliquées pour un même travail effectué au même endroit.

    5.5.   À plus longue échéance, l'Union européenne devrait s'efforcer de renforcer les droits sociaux fondamentaux.

    À plusieurs occasions, le CESE a appelé des politiques sociales européennes plus ambitieuses, notamment au vu de la crise en cours. L'UE doit s'engager à poursuivre une politique de plein emploi et visant à réduire les inégalités de revenus, à améliorer les conditions sociales, à renforcer l'État providence, à abolir les conditions d'emploi sans protection sociale et à développer les droits des travailleurs ainsi que la démocratie industrielle. L'impact total du traité de Lisbonne et de la Charte des droits fondamentaux qui lui est annexée n'est pas encore perceptible sur l'équilibre entre les droits fondamentaux et les droits économiques. Il reste à voir comment cela évoluera.

    Néanmoins, le renforcement des droits fondamentaux, y compris les droits sociaux, exige que toute restriction de ces droits soit limitée. Il y a lieu dès lors d'examiner au départ les droits fondamentaux et non les libertés économiques, conformément à la jurisprudence de la CEDH. Il convient de continuer à procéder à des ajustements du droit primaire de l'Union européenne directement applicable pour renforcer la dimension sociale.

    Bruxelles, le 14 juillet 2010.

    Le président du Comité économique et social

    Mario SEPI


    (1)  La Confédération européenne des syndicats représente 80 millions de salariés.

    (2)  Voir l'avis du CESE du 19.11.1987 sur les «Aspects sociaux du marché intérieur», rapporteur: M. BERETTA (JO C 356 du 31.12.87, pp. 31-33).

    (3)  Par exemple, «La dimension sociale du marché intérieur», document de travail de la Commission, SEC(88) 1148 final, du 14.9.1988 et la communication de la Commission sur son programme d'action relativement à la mise en œuvre de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, COM(89) 568 final du 29.11.1989.

    (4)  «La dimension sociale du marché intérieur», document de travail de la Commission, COM(88) 1148 final du 14.9.88.

    (5)  Voir les avis du CESE:

     

    du 6.7.2006 sur la «Cohésion sociale: donner du contenu à un modèle social européen», rapporteur: M. EHNMARK (JO C 309 du 16.12.2006, pp. 119 à 125)

     

    du 9.7.2008 sur le thème «Pour un nouveau programme européen d'action sociale», rapporteur: M. OLSSON (JO C 27 du 3.2.2009, pp. 99 à 107), et

     

    du 4.11.2009 sur «La stratégie de Lisbonne après 2010», rapporteur général: M. GREIF (JO C 128, du 18.5.2010, pp 3-9).

    (6)  Avis du CESE du 4.12.2008 sur la «Gouvernance efficace de la stratégie de Lisbonne renouvelée», rapporteure générale: Mme FLORIO (JO C 175 du 28.7.2009, pp. 13 à 19).

    (7)  Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2009.

    (8)  Voir l'avis du CESE du 15.01.2009 sur le «Plan européen pour la relance économique», rapporteur: M. DELAPINA (JO C 182 du 4.8.2009, pp. 71 à 74).

    (9)  Ibid.

    (10)  Voir l'avis du CESE du 14.5.2009 sur «L'impact des barrières législatives des États membres pour la compétitivité de l'UE», rapporteur: M. van IERSEL (JO C 277 du 17.11.2009, pp. 6 à 14).

    (11)  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – «Un marché unique pour l’Europe du XXIe siècle» (COM(2007) 724 final).

    (12)  Rapport de synthèse sur la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne et son avenir après 2010.

    (13)  Voir l'avis du CESE du 14.1.2009 sur «La dimension sociale et environnementale du marché intérieur», rapporteur: M. ADAMCZYK (JO C 182 du 4.8.2009, pp. 1 à 7).

    (14)  Voir l'avis du CESE du 14.5.2009 sur «L'impact des barrières législatives des États membres pour la compétitivité de l'UE», rapporteur: M. van IERSEL (JO C 277 du 17.11.2009, pp. 6 à 14).

    (15)  Voir l'avis du CESE du 25.3.2009 sur le thème «Identification des entraves subsistantes à la mobilité sur le marché intérieur du travail», rapporteure: Mme DRBALOVÁ (JO C 228 du 22.9.2009, pp. 14 à 23).

    (16)  Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2009.

    (17)  Les réponses à la crise économique au niveau des entreprises en Europe («Plant-level responses to the economic crisis in Europe»), Vera GLASSNER et Béla GALGÓCZI, WP 01.2009, ETUI (Institut syndical européen).

    (18)  Cette tendance à la croissance des inégalités est également évidente dans les pays de la zone OCDE.

    (19)  La situation sociale dans l'Union européenne en 2008.

    (20)  IRES 115.

    (21)  Viking C-438/05, Laval C-341/05, Rüffert C-346/06, COM/LUX C-319/06.

    (22)  Résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l'Union européenne (2008/2085(INI)).

    (23)  http://www.etui.org/fr/Sujets-d-actualite/Viking-Laval-Rueffert-Luxembourg/2-Articles-de-la-litterature-academique-sur-les-jugements.

    (24)  Rapport sur le travail conjoint des partenaires sociaux européens sur les arrêts de la CJE dans les affaires Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg.

    (25)  Viking C-438/05 (75)

    (26)  CEDH Demir et Baykara c Turquie (requête no 34503/97).

    (27)  Dans l'affaire Rüffert, la cour a jugé que l'avantage compétitif consistant à verser de plus bas salaires fait partie de la libre prestation de services et est par conséquent protégé.

    (28)  L'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire Rüffert n'a pas pris en considération la Convention no 94 de l'OIT et dès lors, l'interprétation a créé un conflit entre les différents systèmes juridiques.

    (29)  Voir l'avis du CESE du 6.7.2006 sur la «Cohésion sociale: donner du contenu à un modèle social européen», rapporteur: M. EHNMARK (JO C 309 du 16.12.2006, pp. 119 à 125).

    (30)  Voir l'avis du CESE du 26.9.2007 sur la «Coordination de la fiscalité directe», rapporteur: M. NYBERG (JO C 10 du 15.1.2008, pp. 113 à 117).

    (31)  Voir l'avis du CESE du 4.11.2009 consacré à la stratégie de Lisbonne de l'après-2010, rapporteur-général: M. GREIF.

    (32)  Voir l'avis du CESE du 11.7.2007 sur «La flexicurité (la négociation collective et le rôle du dialogue social)», rapporteur: M. JANSON (JO C 256 du 27.10.2007, pp. 108 à 113).

    (33)  CEDH Demir et Baykara c Turquie (requête no 34503/97).

    (34)  Voir l'avis du CESE du 29.9.2005 sur le thème «Dialogue social et mutations industrielles», rapporteur: M. ZÖHRER (JO C 24 du 30.1.2006, pp. 90 à 94).

    (35)  Voir l'avis du CESE du 11.7.2007 sur «La flexicurité (la négociation collective et le rôle du dialogue social)», rapporteur: M. JANSON (JO C 256 du 27.10.2007, pp. 108 à 113).


    Top