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Document 52015IE0417

Avis du Comité économique et social européen sur le «Dumping social dans le secteur de l’aviation civile européenne» (avis d’initiative)

JO C 13 du 15.1.2016, p. 110–115 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

15.1.2016   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 13/110


Avis du Comité économique et social européen sur le «Dumping social dans le secteur de l’aviation civile européenne»

(avis d’initiative)

(2016/C 013/17)

Rapporteure:

Mme Anne DEMELENNE

Le 11 décembre 2014, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l’article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d’élaborer un avis d’initiative sur le thème:

«Dumping social dans le secteur de l’aviation civile européenne».

La section spécialisée «Transports, énergie, infrastructures, société de l’information», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 31 août 2015.

Lors de sa 510e session plénière des 16 et 17 septembre 2015 (séance du 16 septembre 2015), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 200 voix pour, 3 contre et 7 abstentions.

1.   Recommandations

1.1.

Le CESE approuve l’intention du président de la Commission européenne, qui, dans son allocution d’ouverture lors de la session plénière du Parlement européen du 15 juillet 2014 à Strasbourg, a déclaré: «Nous devons combattre le dumping social et nous le ferons». La commissaire européenne chargée des transports, Violeta BULC, s’est faite l’écho de cette déclaration, en ajoutant lors de l’audition des commissaires désignés en octobre 2014: «Je suis fermement opposée au dumping social. […] la refonte législative doit également couvrir la législation sociale». Le dumping social crée de la concurrence déloyale. Toutefois, il est difficile de le définir car ses causes sont complexes et les acteurs sont multiples. Dans l’aviation civile, il y a lieu de considérer notamment le rôle des décideurs politiques aux différents niveaux, des compagnies aériennes, des travailleurs, des passagers ainsi que l’environnement politique, juridique, économique et social, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu à la lutte contre le dumping social le statut d’objectif légitime permettant aux États membres de justifier certaines entraves à la liberté de circulation (1). En raison de ses préoccupations à l’égard de l’évolution récente du secteur de l’aviation civile, le CESE invite instamment la Commission à suivre de près l’évolution de la situation et à prendre des mesures si nécessaire. Lors de l’élaboration du «paquet aérien» qui a été annoncé dans le cadre du programme de travail de la Commission pour 2015, il y aura lieu de tenir compte de tous les éléments évoqués dans le présent document. En outre, le CESE estime nécessaire que la direction générale de la mobilité et des transports et la direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion travaillent en étroite collaboration.

1.2.

En se fondant sur les résultats de ses travaux sur les nouveaux modèles d’entreprise, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) doit analyser les évolutions en la matière afin de garantir une sécurité optimale des passagers et du personnel quel que soit le modèle d’entreprise, l’accent étant mis en particulier sur ces nouveaux modèles afin de stabiliser le secteur. Une attention particulière doit être apportée au contrôle, par les administrations concernées, sur le recours accru aux faux indépendants et aux entreprises de travail intérimaire.

1.3.

Le CESE escompte que les législations actuelles seront correctement appliquées et que les arrêts de la CJUE seront aussi pris en considération. Il s’agit principalement:

a)

de la sécurité sociale et du droit du travail:

convention de Rome I (1980) et règlement (CE) no 593/2008 (2),

règlements (UE) no 465/2012 (3) et (UE) no 83/2014 (4), qui définissent la notion de «base d’affectation»;

b)

du lien avec le statut d’indépendant:

directive 2014/67/UE (pour la première fois, la notion de lien de subordination est incluse dans la directive pour permettre de contrôler le statut d’indépendant) (5),

arrêt de la CJUE du 4 décembre 2014 dans l’affaire C-413/13, FNV Kunsten Informatie en Media contre Staat der Nederlanden: «Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que la disposition d’une convention collective de travail, telle que celle en cause au principal, prévoyant des tarifs minimaux pour les prestataires de services indépendants, affiliés à l’une des organisations de travailleurs contractantes, qui effectuent pour un employeur, en vertu d’un contrat d’entreprise, la même activité que les travailleurs salariés de cet employeur, ne relève pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE uniquement si ces prestataires constituent de “faux indépendants”, à savoir des prestataires se trouvant dans une situation comparable à celle desdits travailleurs. Il incombe à la juridiction de renvoi de procéder à une telle vérification.»

1.4.

Le CESE reconnaît la position adoptée par les partenaires sociaux du groupe de travail sur le personnel navigant (Air Crew Working Group, voir paragraphe 5.1) et souligne que les lacunes suivantes devraient être traitées afin d’éviter tout impact social négatif non souhaité dans ce secteur. Pour cela, il conviendrait de prendre les mesures suivantes:

réviser les règles communes des opérations des services aériens pour, notamment, veiller à la bonne application de la législation sociale nationale et des conventions collectives de travail du secteur [règlement (CE) no 1008/2008); dans le même règlement, mieux définir la notion de «principal établissement d’activités» (principal place of business) pour que la licence d’exploitation soit octroyée par un État si le volume d’activité de transport aérien y est substantiel,

empêcher toute concurrence déloyale de la part de pays non membres de l'Union européenne sur les transporteurs aériens communautaires par le biais de subventions, d’aides d’État et de pratiques tarifaires déloyales [règlement (CE) no 868/2004],

dans le cadre de la coordination des systèmes de sécurité sociale, mieux définir les bases multiples d’affectation dans le secteur de l’aviation civile (en ce y compris les bases temporaires) et raccourcir la période transitoire fixée à dix ans [règlement (UE) no 83/2014],

étendre le «permis unique» au personnel navigant pour garantir l’égalité de traitement entre tous les travailleurs du secteur (directive 2011/98/UE).

1.5.

En outre, le CESE propose que, dans le cadre d’une action coordonnée entre la direction générale de la mobilité et des transports et la direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, la Commission étudie l’application de la directive relative au travail intérimaire dans le secteur de l’aviation. Le CESE estime qu’il y a lieu de promouvoir l’emploi direct, qui devrait rester la forme habituelle de l’emploi dans le secteur de l’aviation, et qu’il doit être possible de limiter les contrats temporaires susceptibles de nuire à la sécurité (2008/104/CE). En outre, il conviendrait de disposer d’une définition commune du «travailleur salarié» et du «travailleur indépendant» au niveau de l’UE.

1.6.

Le CESE soutient une éventuelle initiative des partenaires sociaux de l’UE (PS) dans le domaine de l’aviation en vue de négocier un accord portant sur les conditions de travail et les droits sociaux des salariés du secteur. Les PS sont d’ailleurs susceptibles d’avoir sur certains instruments législatifs des positions communes qu’ils pourraient soumettre à la Commission. Enfin, la Commission devrait consulter les partenaires sociaux sur tout instrument législatif et/ou initiative de l’UE ayant des effets sociaux (6).

1.7.

Compte tenu du fait que la proposition de règlement sur les services d’assistance en escale a été retirée du programme de travail de la Commission et qu’il n’existe pas de normes sociales à l’échelle de l’UE dans ce domaine, il est nécessaire de se pencher sur la question du transfert de personnel en cas d’appel d’offres et/ou de perte partielle d’activités. Pour remédier à ce problème, la Commission est en train de consulter les partenaires sociaux européens sur l’opportunité de présenter une proposition consolidée sur la révision de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 (maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises) pour fin 2015.

1.8.

Le CESE entreprendra un travail interne distinct en vue de compléter les questions sociales soulevées dans le présent avis.

1.9.

Le CESE recommande que la Commission exerce une surveillance constante des conditions de travail dans l’aviation civile sur une base permanente.

2.   Introduction

2.1.

Vu sa contribution à l’économie européenne en termes d’emploi et de croissance, l’aviation est un secteur stratégique pour l’Union européenne. D’après les estimations, le secteur représente 2,6 millions d’emplois directs et indirects et contribue au PIB européen à concurrence d’un milliard d’euros par jour, promouvant le commerce et le tourisme (7).

2.2.

La libéralisation du transport aérien au début des années 1990 a sans aucun doute apporté des avantages aux voyageurs: démocratisation, tarifs aériens moins élevés et offre diversifiée. Mais quels en sont les effets sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail dans le secteur? Les données Eurostat montrent une stagnation du nombre d’emplois — tant directs qu’indirects — dans les compagnies aériennes, et ce en dépit d’une croissance annuelle moyenne de quelque 5 % entre 1998 et 2010 (8). Cela s’est traduit par une augmentation sensible de la productivité, de même que par d’autres développements. En outre, les compagnies aériennes externalisent les emplois de personnel de cabine et de pilote ou les remplacent par des formes de travail plus flexibles (dans une récente étude des partenaires sociaux européens du secteur de l’aviation civile, seulement 52,6 % des répondants travaillant pour des compagnies aériennes à bas prix affirment avoir un contrat d’emploi direct). On ne dispose pas de données complètes sur les salaires. Toutefois, l’exemple du Royaume-Uni montre une nette diminution de la rémunération pour le personnel de cabine dans ce pays (9). Bref, les emplois prestigieux et de grande qualité d’il y a quelques années sont en train de disparaître, d’être externalisés ou remplacés par une productivité supérieure et une main-d’œuvre meilleur marché.

2.3.

En raison de la concurrence féroce à laquelle les compagnies aériennes sont confrontées, les marges bénéficiaires sont plus faibles que dans les autres secteurs (selon l’IATA, le bénéfice net après impôt de l’industrie du transport aérien au niveau mondial s’est élevé en moyenne à 0,1 % des recettes au cours des 40 dernières années) (10) et les employeurs cherchent des moyens de réduire les coûts afin de rester compétitifs. Si certains coûts (par exemple, le carburant ou les frais liés à la propriété des appareils) sont dans une certaine mesure considérés comme fixes, quelques compagnies aériennes estiment que le coût de la main-d’œuvre peut être sans cesse raboté. Certaines compagnies ont également découvert que tirer parti de la liberté d’établissement dans l’UE constitue un moyen pour continuer à réduire encore davantage les coûts en ayant recours au dumping social.

2.4.

Plusieurs compagnies historiques confrontées à une concurrence de plus en plus intense de la part des compagnies à bas coûts ont développé une version à bas prix de la marque principale pour des vols court-courriers ou ont engagé une main-d’œuvre à faible coût pour leurs activités principales. Certaines compagnies à bas prix visent à présent les grands aéroports et à attirer davantage de voyageurs d’affaires, ce qui les place en concurrence plus directe avec les compagnies traditionnelles. Cela entraîne une baisse du nombre d’emplois décents (revenu équitable, sécurité sur le lieu de travail, protection sociale, liberté d’expression, d’organisation et de participation, égalité) (11) dans les compagnies aériennes traditionnelles (12). Cependant, les pratiques sociales des compagnies à bas coûts ne sont pas automatiquement créatrices de dumping social.

2.5.

Le développement de la concurrence au niveau mondial et de l’UE suscite des inquiétudes quant à la viabilité et la compétitivité de l’aviation européenne, tant sur le plan économique que social. Afin de garantir une concurrence loyale, il y a lieu de créer des conditions plus équitables. La concurrence entre les compagnies aériennes devrait porter sur les produits innovants, la qualité et le prix, au lieu de s’exercer par le recours à l’utilisation de vides législatifs et/ou d’emplois à bas coûts. Des dispositions doivent être prises pour assurer la compétitivité et le développement durable de l’industrie européenne et la préservation d’emplois de qualité en Europe.

2.6.

Le dumping social — lorsqu’il existe — est un frein à la concurrence loyale. Le dumping social ne doit avoir aucune incidence sur la sécurité, qui doit rester la priorité numéro un. Les approches bilatérales non coordonnées des différents pays devraient être remplacées par une véritable politique extérieure commune de l’Union européenne dans le domaine de l’aviation, qui devrait, entre autres, couvrir la question des investissements étrangers dans les compagnies aériennes européennes, la propriété et le contrôle, les aides d’État, l’accès au marché et la concurrence loyale.

2.7.

La sécurité est primordiale dans le secteur de l’aviation. Comme le souligne le livre blanc, «la sécurité aérienne européenne est bonne, mais elle n’est pas la meilleure du monde. L’objectif doit être de devenir la région du monde la plus sûre pour l’aviation» (13). En dépit de l’absence de données statistiques, l’AESA a déjà signalé que la fragmentation et l’externalisation des emplois liés à la sécurité, y compris ceux du personnel navigant et de la maintenance, pourraient avoir des effets néfastes sur la sécurité. Les «nouveaux» modèles d’entreprise optimisent les processus budgétaires, opérationnels et sociaux. Il est indispensable que l’AESA étudie tous ces modèles et prenne toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que la sécurité ne soit pas compromise. Le CESE soutient les travaux du groupe de travail spécial nouvellement créé au sein de l’AESA, auquel de telles tâches ont été confiées. Aucun risque ne doit être pris car il y va de la sécurité des gens (14).

3.   Dégradation des conditions de travail dans certains sous-secteurs de l’aviation

3.1.

S’agissant du dumping social dans le secteur de l’aviation civile, l’on peut faire une distinction entre deux domaines — le marché intérieur et l’aviation extérieure.

3.2.

Sur le marché intérieur, les principales responsables du dumping social sont les compagnies aériennes ayant adopté une stratégie «multibase» (main-d’œuvre engagée dans le pays X, travaillant dans un pays Y, avec un contrat de travail régi par les lois du pays Z), ce qui a pour effet de «dés-intégrer» le travailleur de son «pays d’origine» (c’est-à-dire son pays de nationalité et/ou de résidence). Le grand défi consiste à concilier la liberté d’établissement et la libre prestation des services avec les objectifs de qualité de l’emploi et de progrès social. Bien que les modifications intervenues dans le cadre du règlement Rome I (15) et de la coordination de la sécurité sociale (16) permettent d’atténuer certains problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs mobiles, d’autres questions restent à résoudre.

3.3.

La politique extérieure de l’UE en matière d’aviation ne protège pas suffisamment les intérêts des compagnies aériennes européennes et de leurs travailleurs dans cet environnement mondial en rapide évolution. Alors que les compagnies aériennes européennes doivent se conformer à un certain nombre d’exigences pour garantir une concurrence équitable (transparence, aides d’État, fixation des prix, etc.), les exigences imposées aux compagnies aériennes de pays tiers opérant vers des aéroports de l’UE ou à partir de ces derniers sont inapplicables ou inexistantes. Ces compagnies sont en concurrence directe avec les transporteurs aériens de l’UE, sur les mêmes routes, tout en bénéficiant d’avantages indus.

3.4.

Une autre question distincte est celle du recours à du personnel navigant issu de pays tiers à bord d’avions immatriculés dans l’UE. Dans le passé, du personnel de cabine étranger a toujours été employé à bord d’avions européens pour des raisons linguistiques ou culturelles. Récemment, certaines compagnies aériennes ont décidé de recourir à des ressortissants étrangers pour exploiter des vols vers ou à partir de l’UE (voire intra-européens!) en pratiquant des conditions de travail et de salaire inférieures. Ces compagnies sont néanmoins tenues d’appliquer les règles nationales de l’État membre qui a délivré le certificat de transporteur aérien.

4.   Nouveaux modèles d’entreprise et marché de l’emploi dans le secteur de l’aviation civile

4.1.

Les études réalisées par les partenaires sociaux (17) montrent que la dégradation des conditions de travail est omniprésente dans le secteur de l’aviation en Europe et qu’elle va au-delà des changements résultant de la concurrence, tant dans les compagnies aériennes traditionnelles que dans celles à bas coûts.

4.2.

Il n’existe pas de modèle uniforme de compagnie aérienne à bas coûts: les stratégies s’étendent de l’offre à prix plancher (sans aucun service) à celle d’une compagnie hybride combinant des éléments d’une compagnie à bas prix et d’une compagnie traditionnelle, en passant par l’offre de la compagnie à bas coûts «classique» aux promesses limitées, mais systématiquement tenues. Par conséquent, il n’existe pas non plus de modèle uniforme d’emploi: certaines compagnies offrent des emplois de qualité et des contrats à durée indéterminée, alors que d’autres recourent essentiellement à l’externalisation, à des agences et, dans certains cas, à du faux travail indépendant. Cela s’applique également à la représentation syndicale: certaines compagnies essaient délibérément d’éviter les syndicats, tandis que d’autres les reconnaissent et signent avec eux des conventions collectives. L’évolution des compagnies aériennes à bas coûts a également eu une incidence importante sur les services d’assistance en escale, notamment la manutention des bagages (politique plus stricte en matière de bagages à main), avec des temps de rotation courts et une formation en diminution.

4.3.

Les employeurs comme les syndicats de l’aviation reconnaissent aujourd’hui que les stratégies d’entreprise et les politiques connexes en matière de ressources humaines et de relations industrielles pratiquées par certaines compagnies à bas coûts entraînent une «lente descente vers le plus petit dénominateur commun» (18). La délimitation entre les compagnies aériennes à bas coûts et les compagnies traditionnelles s’estompe peu à peu à mesure que des compagnies à bas coûts rejoignent des alliances ou sont incorporées dans des groupes aériens (traditionnels); dans le même temps, d’autres compagnies ont décidé de créer leur propre compagnie «maison» à bas prix. Certains transporteurs aériens traditionnels ont également engagé une main-d’œuvre à faible coût dans le cadre de leurs activités principales. Ces nouvelles organisations ne signifient pas que les compagnies traditionnelles et les compagnies à bas prix offrent les mêmes services.

4.4.

Il existe cependant des différences substantielles entre les États membres en ce qui concerne entre autres les conditions de travail, l’égalité de traitement, la santé et la sécurité au travail et la protection sociale (qui n’est coordonnée qu’au niveau de l’UE), ce qui crée une asymétrie entre la régulation économique (marché unique) et l’harmonisation et la cohésion sociale. Toutefois, certains États membres ont adopté des «solutions nationales» pour s’assurer que les travailleurs mobiles basés sur leur territoire bénéficient de conditions conformes à la législation du travail et sociale et aux conventions collectives nationales. Il conviendrait d’étudier cette question au niveau européen.

4.5.

Dans le domaine de l’aviation, la législation de base en matière d’emploi date de la période antérieure à la libéralisation et n’est dès lors plus du tout adaptée. Les règles de sécurité sociale s’appliquant au personnel de bord se sont améliorées, mais un risque de vide juridique subsiste. La notion de base d’affectation est problématique car elle est définie par l’opérateur, et au cas où les membres d’équipage sont des travailleurs indépendants, ceux-ci ne sont pas complètement contrôlés. Un autre problème est l’absence d’un texte européen unique proposant une définition positive du salarié et du travailleur indépendant dans la législation de l’UE, car l’on trouve des définitions différentes dans la jurisprudence de la CJUE et dans les directives, par exemple en ce qui concerne le critère de «subordination». Des règles spécifiques pour les travailleurs très mobiles sont nécessaires.

4.6.

L’une des trois grandes compagnies du Golfe a été publiquement mise en cause pour des pratiques qui enfreignent la législation de l’UE, telles que le licenciement de travailleuses enceintes, l’obligation d’obtenir la permission de se marier, etc. Toutefois, cette compagnie aérienne exploite toujours des vols vers l’UE et a même augmenté leur fréquence récemment vers certains aéroports. En raison des liens étroits entre les compagnies aériennes du Golfe, les aéroports et les autorités de l’aviation civile correspondantes, l’on peut également craindre que d’éventuels avantages indus soient accordés à ces compagnies. Il importe de remplacer les relations bilatérales entre États membres et pays tiers par une véritable politique extérieure coordonnée de l’UE dans le domaine de l’aviation.

5.   Le rôle des partenaires sociaux

5.1.

Le CESE soutient le rôle essentiel joué par les partenaires sociaux européens de l’aviation civile en conseillant les institutions européennes, ainsi qu’en examinant et en formulant leurs propres propositions. Le 5 juin 2014, les partenaires sociaux du groupe de travail sur le personnel navigant (Air Crew Working Group — ACWG) ont adopté une déclaration conjointe contre les pavillons de complaisance européens dans l’aviation, dénonçant les évolutions récentes qui menacent gravement le modèle social européen, l’emploi et la concurrence équitable sur le marché de l’aviation, et proposant des changements concrets de législation (19).

5.2.

S’agissant du futur ordre du jour du dialogue social, les partenaires sociaux de l’ACWG (AEA, ECA et ETF) ont adopté la déclaration conjointe suivante le 13 février 2015: «Les partenaires sociaux […] sont disposés à lancer des discussions sur un cadre pour le secteur de l’aviation en vue d’établir des conditions de concurrence équitables au niveau mondial. Des actions communes doivent être envisagées pour mettre un terme à la détérioration des conditions d’emploi et aux pavillons de complaisance. Les partenaires sociaux conviennent de poursuivre leurs travaux dans ce domaine. Ils prendront les mesures nécessaires pour contribuer activement, aux côtés des différentes institutions européennes et des autorités nationales, à définir d’urgence une stratégie pour l’aviation européenne, dotée de priorités, d’échéances et d’objectifs clairs au niveau mondial.»

5.3.

Il est également indispensable que la Commission européenne consulte davantage les partenaires sociaux. La décision 98/500/CE de la Commission concernant l’institution de comités de dialogue social stipule que dans les secteurs d’activité pour lesquels ils sont institués, les comités doivent être consultés sur les évolutions au niveau de l’UE ayant une incidence sociale. Il est fréquent que cette obligation ne soit pas respectée. Il importe également de se pencher sur les incidences sociales des règles en matière de sécurité élaborées par l’Agence européenne de la sécurité aérienne.

Bruxelles, le 16 septembre 2015.

Le Président du Comité économique et social européen

Henri MALOSSE


(1)  Arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C-341/05, EU:C:2007:809, point 103.

(2)  JO L 177 du 4.7.2008, p. 6.

(3)  JO L 149 du 8.6.2012, p. 4.

(4)  JO L 28 du 31.1.2014, p. 17.

(5)  JO L 159 du 28.5.2014, p. 11.

(6)  JO L 225 du 12.8.1998, p. 27.

(7)  Rapport de l’ATAG intitulé Powering global economic growth, employment, trade links, tourism and support for sustainable development through air transport (Stimuler la croissance économique mondiale, l’emploi, les relations commerciales, le tourisme et le soutien au développement durable grâce au transport aérien), 2014.

(8)  Rapport final sur la Study on the effects of the implementation of the EU aviation common market on employment and working conditions in the Air Transport Sector over the period 1997/2010 (Étude sur les effets de la mise en place du marché commun de l’aviation de l’UE sur l’emploi et les conditions de travail dans le secteur du transport aérien pendant la période 1997-2010), Steer Davies Gleave, Londres, 2012, p. 74.

(9)  Rapport final sur la Study on the effects of the implementation of the EU aviation common market on employment and working conditions in the Air Transport Sector over the period 1997/2010 (Étude sur les effets de la mise en place du marché commun de l’aviation de l’UE sur l’emploi et les conditions de travail dans le secteur du transport aérien pendant la période 1997-2010), Steer Davies Gleave, Londres, 2012, p. vii.

(10)  Rapport de IATA sur Vision 2050, Singapour, 12.2.2011, p. 2.

(11)  Thème mondial du «travail décent», Organisation internationale du travail.

(12)  Voir les études des partenaires sociaux européens. En 2012: The development of the low cost model in the European civil aviation industry, Peter Turnbull (université de Cardiff), Geraint Harvey (université de Swansea), étude commandée par la Fédération européenne des travailleurs des transports. En 2014: Evolution of the Labour Market in the Airline Industry due to the Development of the Low Fares Airlines, Peter Turnbull (université de Cardiff), Geraint Harvey (université de Birmingham), étude commandée par la Fédération européenne des travailleurs des transports. En 2015: Atypical Employment in Aviation, université de Gand, équipe dirigée par le Professeur Yves Jorens, étude commandée par l’Association européenne des personnels navigants techniques, l’Association des compagnies européennes de navigation aérienne et la Fédération européenne des travailleurs des transports.

(13)  Livre blanc intitulé «Feuille de route pour un espace européen unique des transports — Vers un système de transport compétitif et économe en ressources», COM(2011) 144 final, p. 22.

(14)  Rapport du groupe consultatif sur la réglementation de l’AESA relatif aux nouveaux modèles économiques du 17 avril 2015, p. 1, paragraphe 2; p. 5, paragraphe 9.3; p. 6, paragraphe 9.5.1; p. 7, paragraphe 9.5.2 et p. 7, paragraphe 9.6.

(15)  JO L 177 du 4.7.2008, p. 6.

(16)  JO L 284 du 30.10.2009, p. 1.

(17)  Thème mondial du «travail décent», Organisation internationale du travail.

(18)  Rapport sur la présentation par Scandinavian Airlines (SAS) aux autorités réglementaires américaines d’une demande d’autorisation de Norwegian Air International (NAI) à opérer en qualité de transporteur aérien étranger aux États-Unis, Airline Business, avril 2014.

(19)  Déclaration conjointe contre les pavillons de complaisance européens dans l’aviation, groupe de travail sur le personnel navigant du comité de dialogue social sectoriel, 5 juin 2014.


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