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Document 52010IE1164

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Après la crise: un nouveau système financier dans le marché intérieur» (avis d'initiative)

JO C 48 du 15.2.2011, p. 38–44 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

15.2.2011   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 48/38


Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Après la crise: un nouveau système financier dans le marché intérieur» (avis d'initiative)

2011/C 48/08

Rapporteur: M. IOZIA

Corapporteur: M. BURANI

Le 18 février 2010, le Comité économique et social européen a décidé, conformément aux dispositions de l'article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d'élaborer un avis sur le thème:

«Après la crise: un nouveau système financier dans le marché intérieur».

La section spécialisée «Marché unique, production et consommation», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 8 juillet 2010.

Lors de sa 465e session plénière des 15 et 16 septembre 2010 (séance du 16 septembre 2010), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 160 voix pour, 8 voix contre et 2 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1   Au moyen du présent avis d'initiative, le CESE se propose d'indiquer certaines réformes possibles du système financier européen, s'agissant de ses modalités de réglementation et de ses modalités de fonctionnement, en vue de réduire les risques systémiques. La crise récente reste susceptible de retrouver vigueur et intensité si l'on n'enraye pas la spéculation sauvage et si les gouvernements n'apportent pas les réponses qui se font attendre depuis trop longtemps.

1.2   Après la crise, quel système financier pour le marché intérieur? La BCE, le SEBC, les banques commerciales, les banques d'investissement, les institutions financières mutuelles et coopératives, les banques éthiques, les assurances, les fonds de pension, les fonds d'investissement, les fonds de capital-investissement, les fonds spéculatifs, les agences de notation; les producteurs, les distributeurs et les vendeurs de produits et titres financiers; les bourses et les marchés non réglementés; les régulateurs, les autorités de surveillance, les agences de notation de crédits: voilà les acteurs principaux du système financier qui seront appelés à modifier leur comportement, à se conformer à une réglementation plus rigoureuse et à adapter leur organisation aux nouvelles tâches qui leur seront confiées.

1.3   Il ne faut pas considérer que tous les acteurs du marché sont de manière généralisée responsables de la crise. Heureusement, certains secteurs importants tout comme certains groupes transnationaux de taille n'ont pas été directement impliqués dans la crise, parce que leurs activités avaient été soigneusement tenues à l'écart du grand casino financier. Des sociétés d'assurances, des banques coopératives et populaires, des caisses d'épargne mais aussi certaines banques commerciales européennes et mondiales de renom n'ont pas eu à rectifier leurs comptes en raison de pertes financières ni demander l'aide de leur gouvernement.

1.4   «La raison de la crise, c'est la misère morale» - le CESE partage ce point de vue émis par Tomáš Bat'a en 1932, tout en étant malheureusement contraint de constater que rien n'a changé! Les travailleurs et les pensionnés, les entreprises, les citoyens, les organisations de la société civile, les consommateurs et les utilisateurs: tous ont grandement intérêt à pouvoir compter sur un système financier efficace et sûr, aux coûts raisonnables, auquel confier leur épargne en toute confiance, auquel s'adresser en vue d'obtenir un soutien pour une initiative économique. Instrument indispensable de croissance économique et enceinte où se jouent d'importantes fonctions sociales comme les pensions, l'assurance-maladie et l'assurance accident, l'assurance-dommages, c'est tout cet édifice qui est menacé par la crise financière en raison d'une perte de confiance généralisée.

1.5   Il faut reconstituer un capital de confiance à l'égard des institutions financières, mais aussi envers les institutions politiques et les autorités de réglementation et de surveillance, qui n'ont ni su, ni pu éviter cette catastrophe qui a coûté jusqu'à présent 2300 milliards d'euros, selon les estimations les plus récentes du FMI.

1.6   L'opinion publique a été bouleversée. La crise de liquidité provoquée par la crise financière a touché de plein fouet l'économie réelle qui en a subi l'énorme contrecoup: le chômage dépasse désormais 10 %, avec des pointes à 22 % en Lettonie et 19 % en Espagne, le nombre de chômeurs excédant les 23 millions d'unités en décembre. Ces chiffres sont encore appelés à augmenter. Les finances publiques enregistrent des déficits énormes qui devront être résorbés au moyen de mesures d'assainissement qui auront sans aucun doute une incidence négative sur la croissance, mais seront un frein à une reprise qui s'annonçait déjà molle, c'est-à-dire sans effet positif sur l'emploi.

1.7   Ces dernières années, le CESE a élaboré plusieurs avis dans lesquels il formulait des réflexions, souvent ignorées, qui auraient certainement contribué, si elles avaient été écoutées, à éviter ou tout au moins à atténuer les effets dévastateurs de la crise.

1.8   Le CESE demande aux institutions européennes d'accélérer le processus de réforme. Un an et demi après la présentation des conclusions de la commission de Larosière, le processus décisionnel européen n'est pas encore entré dans sa phase conclusive. Les gouvernements ont malheureusement affaibli les velléités de réforme, en excluant par exemple la possibilité d'une intervention d'une autorité européenne sur les institutions financières transnationales.

1.8.1   Le CESE se félicite de la communication de la Commission sur les initiatives législatives destinées à renforcer la réglementation et la transparence du marché financier. Ces propositions, qui ont été présentées alors que le présent avis était en cours d'élaboration, vont dans la direction souhaitée. L'amélioration de la surveillance des agences de notation de crédit et le lancement d'un débat sur le gouvernement d'entreprise en constituent les principaux aspects. Les rapports sur les compensations à l'égard des administrateurs et sur les politiques de rémunération complètent le train de mesures. La Commission s'est engagée à présenter, dans un délai de six à neuf mois, de nouvelles propositions pour améliorer le fonctionnement des marchés de produits dérivés, des mesures sur la vente à découvert et les contrats d’échange sur défaut ainsi que des améliorations de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF).

1.8.2   Le CESE attend avec beaucoup d'intérêt les autres initiatives annoncées dans le domaine de la responsabilité, notamment la révision des directives relatives aux systèmes de garantie des dépôts et aux systèmes d’indemnisation des investisseurs. La directive sur les abus de marché et celle sur l’adéquation des fonds propres (DAFP IV)) seront révisées. Par ailleurs, de nouvelles propositions sont en cours d'élaboration sur les produits d'investissement de détail. En outre, afin de réduire l'arbitrage réglementaire, la Commission présentera une communication sur les sanctions dans le secteur des services financiers.

1.9   Le CESE estime qu'il faut travailler plus intensément pour préparer le système financier de l'après-crise, qui devra être transparent, socialement et éthiquement responsable, mieux contrôlé, plus novateur, et qui devra connaître une croissance équilibrée, compatible avec le reste du système économique, orienté vers la création de valeur à moyen et à long terme et vers une croissance durable.

1.10   Plusieurs millions de personnes travaillent dans le monde de la finance. Ce sont dans leur immense majorité des personnes dignes, qui travaillent avec professionnalisme et qui méritent le respect de tous. C'est une petite minorité d'irresponsables dénués de scrupules qui ont terni la réputation d'une catégorie tout entière de travailleurs.

1.11   Le CESE recommande une transparence accrue, en particulier pour l'identification des risques. Les marchés de gré à gré ne devraient pas être ouverts à des échanges bilatéraux, mais opérer exclusivement par le biais d'une contrepartie centrale, qui en surveillant le niveau global de risque, serait susceptible de limiter l'accès aux transactions pour les parties dont l'exposition est trop élevée. Les échanges devraient avoir lieu sur une plateforme unique, ou tout au plus sur un ensemble défini de plateformes, ce qui améliorerait la transparence des marchés.

1.12   La responsabilité sociale des entreprises dans le secteur financier devrait se décliner dans toutes les activités et dans chaque comportement. Les volumes de vente ont été privilégiés au détriment de conseils en investissement judicieux. Le retour à une éthique professionnelle élevée doit s'accompagner d'une condamnation explicite de la part des associations sectorielles, qui devraient induire des comportements corrects en adoptant des mesures de prévention et des sanctions à l'égard des entreprises jugées coupables de mauvaise foi, de fraude et d'agissements susceptibles de poursuites pénales.

1.13   Une gouvernance plus ouverte et démocratique des autorités nationales et européennes, qui inclue les acteurs concernés dans les activités de réglementation et de surveillance. Travailleurs, entreprises, consommateurs et utilisateurs devraient avoir un rôle reconnu dans la gouvernance d'entreprise. Le CESE préconise que la société civile soit davantage associée aux consultations et évaluations d'impact. Dans de récentes décisions portant sur le choix des groupes d'experts, la Commission privilégie toujours exclusivement la sphère industrielle et ne prévoit pas une participation satisfaisante des consommateurs et des travailleurs. Le CESE continue de plaider avec insistance pour une représentation équilibrée de la société civile au sein des groupes d'experts et des comités mis en place par la Commission.

1.14   Une gouvernance des entreprises en vertu de laquelle les exigences d'honorabilité et de transparence seraient étendues des administrateurs aux actionnaires, dont on considère jusqu'à présent que le capital est par définition d'origine licite, alors que des exemples notoires montrent qu'il n'en est pas toujours ainsi.

1.15   Le rôle des gestionnaires est devenu exorbitant, tout comme leur rémunération a atteint des niveaux stratosphériques, qui ont été maintenus même après les nationalisations intervenues pour sauver certains établissements de la faillite. Il faut une sérieuse politique de limitation des bonus, qui ne seraient éventuellement distribués qu'en récompense de résultats stables à moyen terme et supérieurs à la moyenne du système, tout comme il faudrait des incitations au personnel qui ne seraient pas liées à des campagnes pour des produits bancaires qui ne respectent pas les besoins des consommateurs, mais à des ventes responsables ainsi qu'à la valorisation de la qualité et du capital humain en termes de contribution professionnelle, de satisfaction de la clientèle et de professionnalisme élevé.

1.16   Le CESE recommande l'adoption de mesures sérieuses et efficaces par les autorités nationales de surveillance, qui ne semblent pas fort convaincues de l'opportunité d'une action qui ne serait pas seulement moralisatrice, mais qui tendrait à préserver pour l'avenir le profil de risque, explicite et occulte. Il aurait été possible d'éviter de nombreuses opérations fortement risquées entreprises pour multiplier profits et bonus.

1.17   Le CESE demande que soit supprimée de la législation européenne la référence à une notation pour ce qui est de la classification des investissements et leur couverture dans les fonds à risque, suivant les principes de Bâle II. Il demande que les autorités nationales revoient la politique d'investissement.

1.18   La classification de la dette souveraine des États membres devrait uniquement être effectuée par une nouvelle agence européenne indépendante. L'annonce du déclassement de la dette souveraine d'un pays, comme c'est arrivé récemment dans le cas de la Grèce et d'autres pays européens en difficulté, a causé de sérieuses difficultés sur les marchés, incitant les spéculateurs à attaquer résolument les émissions et amplifiant la perception d'une crise grave.

1.19   Les aides concédées à la Grèce serviront à protéger le système financier international qui a souscrit à concurrence de centaines de milliards d'euros la dette grecque, se fiant notamment à la plus importante banque d'affaires du monde, qui a caché d'importants financements n'apparaissant pas sur les comptes officiels d'Athènes. Les banques françaises (76,45 milliards) et allemandes (38,57) ont à elles seules concédé 115 milliards de prêts: une fois de plus, les contribuables européens seront amenés à payer pour les comportements illégaux. L'addition économique et sociale que les citoyens grecs devront honorer est énorme.

1.20   Le CESE juge opportun d'approfondir le thème de la fiscalité de certaines activités financières, en particulier celles qui sont éminemment spéculatives. Un avis sur le sujet a été récemment adopté.

1.21   Le CESE recommande que soient mis au point des systèmes intégrés de gestion de la crise qui prévoient des critères efficaces d'alarme précoce, de prévention et de sortie de crise. Il est nécessaire de développer des mécanismes fiables de responsabilité réciproque entre les autorités des États membres, surtout s'agissant des grands groupes européens: en Europe centrale et orientale, par exemple, les marchés financiers sont presque exclusivement dans les mains des compagnies d'assurance et des banques de l'Ouest.

2.   Introduction

2.1   «La raison de la crise, c'est la misère morale.

Le point d'inflexion de la crise économique? Je ne crois pas aux points d'inflexion spontanés. Je crois que ce que nous avons pris l'habitude d'appeler “crise économique” n'est qu'un nom différent donné à la misère éthique.

La misère morale est la cause. La crise économique n'est qu'une conséquence. Nombreux dans notre pays pensent que l'argent peut nous sauver du déclin économique. Je crains les conséquences d'une telle erreur. Dans la situation où nous sommes, nous n'avons nul besoin de coups d'éclat ou de subterfuges.

Nous avons besoin d'une attitude morale par rapport aux personnes, au travail et à la propriété publique.

Plus jamais de soutien pour les faillites, plus jamais de dettes, plus jamais de valeurs prodiguées pour rien, plus jamais d'exploitation des travailleurs. Il est certaines choses que nous aurions dû mieux faire pour nous remettre en selle après la pauvreté de la période de guerre et rendre le travail et l'épargne davantage profitables, souhaitables et honnêtes, plutôt que de nous adonner à la paresse et au gaspillage. Tu as raison, il faut surmonter la crise de confiance, mais nous n'y parviendrons pas grâce à des moyens techniques, financiers ou de crédit. La confiance est une donnée personnelle et ne peut être rétablie que par un comportement moral et l'exemple personnel». Tomáš Bat'a, 1932.

2.2   Rien n’a changé.

2.2.1   La citation, inhabituelle dans les avis du Comité, sert à introduire le thème abordé ici de manière bien plus incisive que ne pourrait le faire une analyse docte et maintes fois entendue de la crise, des erreurs du monde politique, des autorités de contrôle, des agences de notation, de la finance, et aussi des investisseurs et des actionnaires. Des fleuves d’encre ont déjà été répandus: il suffit de dire que les mesures mises en œuvre, en cours d’examen ou envisagées en matière de surveillance macro- et microprudentielle sont en substance valables et rationnelles, mais qu'il manque encore un lien organique et structurel entre surveillance du marché (banques, assurances, marchés financiers) et contrôle des systèmes de paiement; ces derniers sont susceptibles de fournir de précieux signes – à condition d’être interprétés comme il se doit – de défaillances individuelles ou de menaces systémiques. Il faut que les autorités examinent l’opportunité de se doter de ce système de contrôles croisés.

2.2.2   À la différence du passé, la société civile n’entend pas abandonner le débat sur l’avenir du système financier aux spécialistes, aux techniciens et aux politiques: elle entend participer activement à la construction d’un système financier viable, vu qu'inexorablement, les conséquences de leurs choix retombent sur les travailleurs, les entreprises et les citoyens. L’argent public utilisé dans un premier temps pour sauver les banques les plus exposées, et dans un second temps, apporter une bulle d’oxygène à l’économie étranglée par une crise de liquidité sans précédent, a fait s'accroître les déficits et les dettes publics, qui devront être assainis par de nouvelles manœuvres correctrices, lesquelles se répercuteront sur les citoyens sous forme de charges et de taxes dont le besoin ne se faisait certainement pas sentir.

2.2.3   Le système financier d’après la crise ne doit et ne peut plus être celui qui a pris forme au long des 20 dernières années. Il devra renoncer à un rythme de croissance qu’une politique à court terme a fait exploser.

2.2.4   En effet, une rentabilité très élevée a poussé les entreprises les plus motivées à mettre en marche une phase de concentration jugée impensable il y a quelques années encore.

2.2.5   Ces concentrations ont été facilitées par la libéralisation, par la privatisation dans de nombreux pays, mais surtout par l’impulsion apportée par les directives sur le marché unique, qui ont supprimé non seulement les frontières territoriales, mais aussi celles qui séparaient les différentes catégories d’activités spécialisées: banques commerciales, banques d’investissement, sociétés financières, sociétés de bourse, dépositaires de titres, gestionnaires de systèmes de paiement, assurances, etc.

2.2.6   Les conglomérats financiers qui se sont constitués sont caractérisés par une forte hétérogénéité, des articulations complexes, des actionnariats croisés, des golden shares (pour les banques anciennement publiques, en particulier), ce qui rend extrêmement difficile, voire impossible, une surveillance globale des structures. C’est maintenant seulement, après la tempête, que l’on se rend compte de la nécessité de se doter de modalités de vigilance transnationales. Les processus décisionnels, cependant, progressent trop lentement. Les puissantes organisations financières s’emploient à limiter l’action régulatrice des autorités, et réussissent à convaincre certains gouvernements européens de souscrire à leurs raisons. Le rapport de Larosière, les directives connexes, la révision des accords de Bâle II et la modification des normes de l'IASB n’avancent qu’à grand-peine, et il semble que bon nombre des promesses de changements soient abandonnées sur le côté de la route.

2.3   La rentabilité

2.3.1   Rentabilité et croissance

2.3.1.1   Une rentabilité élevée a toujours été considérée comme un indice de santé d’une entreprise. C’est également un élément qui soutient sa croissance (en termes de dimensions) au moyen du réinvestissement des bénéfices. Une entreprise dont le rendement des capitaux propres s'élève à 10 %, en réinvestissant tous ses bénéfices, peut croître de 10 % par an en conservant un rapport constant entre dettes et fonds propres: si elle grandit plus rapidement, cela signifie qu’elle augmente le poids de sa dette ou qu’elle a recours à de nouveaux apports de capitaux propres.

2.3.1.2   Il s’ensuit que les entreprises les plus rentables ont davantage de possibilités de croissance et de développement.

2.3.2   Rentabilité et risque

2.3.2.1   Souvent, pour accroître la rentabilité, il faut consentir davantage de risques. À cet égard, il est estimé que ce qui compte, c’est la rentabilité ajustée au risque. Seule l'augmentation de celle-ci au risque correspond à une création réelle de valeur (à savoir pour les actionnaires; ce n’est pas nécessairement les cas pour les autres parties intéressées).

2.3.2.2   Qui est l’arbitre de ce jugement de rentabilité ajustée au risque? Le marché financier, bien entendu.

2.3.2.3   Qu’est-ce que la crise nous a appris à cet égard? Que si la capacité d’interpréter et d’estimer de nombreux risques s’est améliorée, le marché n’est pas toujours en mesure de les quantifier correctement.

2.3.2.4   Il s’ensuit que certains modèles de rentabilité et de développement, tant des entreprises que des économies considérées dans leur ensemble, ne semblaient gagnants que parce que leurs risques n’étaient pas correctement évalués.

2.3.2.5   L’enseignement le plus important à retirer de la crise est que nous ne serons jamais capables d’estimer correctement tous les risques.

2.3.3   Les moteurs de la rentabilité

2.3.3.1   Les deux principaux moteurs de la rentabilité, et pas uniquement pour les entreprises financières, sont les suivants:

l’amélioration de l’efficacité, rendue possible par les économies d’échelle (croissance dimensionnelle) et les économies de gamme (extension de l’offre de produits et services);

l'innovation: offre de produits et services nouveaux sur lesquels les marges bénéficiaires, grâce à une moindre concurrence, sont plus élevées.

2.3.3.2   Pour ces raisons, nombre d’acteurs du marché financier ont scandé pendant longtemps les slogans du type «ce qui est grand est beau» et «l'innovation financière est un bien». Mais en fait, les risques liés à ces facteurs ont été sous-estimés. Rappelons-les ici:

2.3.3.3   Dimension – économies d’échelle: le risque principal est le risque systémique du «too big to fail» (trop grand pour faire faillite).

2.3.3.4   Ampleur de l’offre – économies de gamme: le risque principal reste de nature systémique, mais pourrait être résumé par l’affirmation suivante: «too interconnected to fail» (trop interconnecté pour faire faillite).

2.3.3.5   Innovation financière: l’innovation financière consiste à introduire de nouveaux produits/services pour gérer de nouveaux risques ou gérer de manière nouvelle des risques connus. S’il s’agissait d’activités banales, d’autres les auraient déjà menées à bien. L’estimation des risques que cela comporte est souvent assortie d’approximations notables.

2.4   La mauvaise estimation des risques de l’innovation financière est à l’origine de la crise financière. Mais l’innovation est essentielle pour atteindre une rentabilité élevée, trop élevée à la lumière des taux de croissance des économies développées. Il faut remonter à la source du problème, plutôt qu’à ses effets: nous devons accepter des taux de rentabilité et de croissance moins élevés que les nombres à deux chiffres auxquels il était non seulement légitime, mais aussi impératif d'aspirer. Et cela parce que, par définition, il est très probable qu’une rentabilité très élevée, dans une économie qui ne saurait croître comme il y a cinquante ans, comporte des risques qui ne peuvent être négligés. Si l’on n’affirme pas haut et fort que dans une économie développée, il est insensé et malsain d’aspirer à ce que les investissements affichent un rendement à deux chiffres, nous continuerons à nourrir le levain qui nous a mené au bord de l’effondrement du système.

2.5   Les activités des banques et des intermédiaires financiers

Le système financier sert de lieu d’intermédiation pour des activités monétaires et financières ainsi que pour des risques. L'intermédiation des risques advient essentiellement au moyen de contrats dérivés, en grande partie sur le marché de gré à gré. La politique monétaire peut influencer directement l’intermédiation monétaire et financière, mais est impuissante face aux dérivés. En effet, ceux-ci recourent à des liquidités très peu élevées.

2.6   Le risque des produits dérivés, ou les risques de la gestion des risques

Les produits dérivés ont été le principal instrument d’innovation financière. Le marché de gré à gré a servi d’arène au partage des risques, d’enceinte où les risques originellement pris à sa charge par un seul acteur étaient transférés et fractionnés en d’innombrables transactions. En théorie, cela devrait aboutir à un fractionnement et, partant, à une édulcoration des caractéristiques déstabilisantes revêtues à l’origine par ces risques. L’on a toutefois négligé que les innombrables interconnexions propres à ces transactions comportent et introduisent un risque de contrepartie difficilement contrôlable - en réalité en faisant perdre le sens du risque global - et un phénomène du type «too interconnected to fail».

2.7   Vers un système financier plus stable

Il est erroné d’affirmer que parce qu’elle a contribué à créer les conditions nécessaires à la crise, l’innovation financière est assortie de connotations négatives. L’on ne saurait toutefois penser que ce qui est arrivé n’est qu’un simple accident de parcours: cela montre en revanche que le système tel qu’il existait n’est pas acceptable.

Une architecture intégrée de contrôle des risques doit reposer sur trois piliers: instruments, marchés et institutions.

2.7.1   Les instruments

Plutôt qu’interdire la création de nouveaux instruments, il faudrait appliquer une espèce de mécanisme d’enregistrement qui établisse à qui ils peuvent être offerts. Les instruments non enregistrés ne pourraient être utilisés que par des opérateurs qualifiés. On appliquerait le même principe que celui utilisé pour les médicaments: certains peuvent être vendus presque librement, d’autres sur prescription médicale, d’autres encore uniquement dans des structures particulières.

2.7.2   Les institutions

La supervision microprudentielle traditionnelle censée contrôler la stabilité individuelle d’un intermédiaire est insuffisante. Pour construire un cadre macroprudentiel, il faut tenir compte de deux externalités importantes:

l'interconnexion. Les institutions financières ont des expositions communes qui amplifient les conséquences négatives des risques. On en revient ici aux deux problèmes que sont «too big to fail» et «too interconnected to fail»;

la procyclicité. Le système financier devrait gérer les risques du système réel. En réalité, il arrive souvent que les dynamiques de l’un renforcent celles de l’autre, avec pour conséquence que les phases d'expansion et de contraction sont exacerbées plutôt qu’atténuées.

2.7.2.1   Le système bancaire parallèle a poursuivi des objectifs légitimes de flexibilité accrue, mais il a aussi servi à échapper aux règles prudentielles. Les acteurs réglementés, comme les banques, l’ont utilisé pour l’arbitrage dit prudentiel, en d’autres termes pour accroître le levier financier, à l'encontre des exigences posées par la réglementation. Ce système doit être encadré dans le périmètre réglementaire. Les banques ne doivent pouvoir l'utiliser pour éluder les exigences de capital qui leur sont imposées.

2.7.3   Les marchés

La crise a montré sans équivoque que les marchés financiers n’ont pas dans toutes les situations la capacité autonome de s’autocorriger pour établir de nouvelles conditions d’équilibre. Un passage assez rapide de l’abondance de transactions à l’illiquidité est donc possible.

2.7.3.1   Quand les transactions sont bilatérales, comme sur les marchés de gré à gré, la faillite d’une institution peut rapidement avoir un effet de contagion sur de nombreuses contreparties, avec le risque systémique qui s’ensuit. Pour limiter les risques systémiques des marchés, il est nécessaire que les échanges avec une contrepartie centrale se substituent aux échanges bilatéraux. En outre, les échanges devraient avoir lieu ou sur une même plateforme, ou sur un ensemble défini de plateformes, afin d’assurer une plus grande transparence. Il est vraisemblable que ces conditions supposent une standardisation accrue des contrats échangés: il ne s’agit pas là d’un effet collatéral indésiré, mais d’une conséquence positive qui améliorera la transparence des marchés.

3.   La gouvernance

3.1   S'il est difficile de contrôler les marchés, il est plus difficile encore de contrôler la gouvernance: si, en apparence, le contrôle appartient aux détenteurs de la majorité, qu'elle soit effective ou établie au moyen de pactes, dans la pratique les différentes législations, certaines plus permissives que d'autres, permettent la création d'entités financières d'origine incertaine. Outre un problème général de transparence, un argument complexe entre en jeu: celui de la pénétration dans le monde de la finance de pouvoirs occultes ou de la criminalité financière. Relèvent de cette thématique les fonds souverains ou sous contrôle public, le blanchiment d'argent, la fraude fiscale, les paradis fiscaux; en d'autres termes, la présence – pas nécessairement majoritaire – d'intérêts «opaques». Le problème ne concerne pas uniquement les grands groupes; il s'étend, peut-être plus encore, à la multitude d'entreprises financières et de fonds d'investissement, qui ne doivent pas nécessairement être de grande taille. Les directives prévoient des règles pour l'admission de personnes dans les organes de direction et de gestion s'agissant des transactions en bourse, mais restent silencieuses quant à la nature et à l'origine des capitaux, ce qui revient à reconnaître implicitement le caractère licite de ceux-ci. Il ne s'agit pas ici d'introduire de nouvelles règles, mais de mettre en place des liens opérationnels entre les autorités compétentes en matière d'enquêtes et les autorités de surveillance.

3.2   Le talon d'Achille des grands groupes réside souvent dans une gouvernance faible construite par et pour les managers, devenus les vrais maîtres de l'entreprise. La dilution du capital due à l'intégration progressive entre acteurs du marché a entraîné un affaiblissement progressif des actionnaires de référence, qui a mené dans certains cas jusqu'à l'impossibilité de résister à une OPA hostile. De grands groupes internationaux ont été dans un premier temps achetés et ensuite dépecés par leurs concurrents, avec des conséquences très négatives pour l'économie réelle et les travailleurs.

3.3   «… Dans un avenir relativement proche, la société sera organisée selon un système tout à fait différent d'institutions fondamentales, économiques, sociales et politiques, où même les principales croyances sociales ou idéologies seront différentes. Dans cette nouvelle structure sociale, un groupe ou une classe différent(e) – les managers – constituera la classe dominante ou dirigeante» (James Burnham, The Managerial Revolution: What is Happening in the World. New York: John Day Co., 1941).

3.4   Le pouvoir politique, plutôt soumis aux grands managers bancaires, a accompagné cette transformation. Même à l'occasion des récentes acquisitions forcées de banques par certains États, il n'est pas parvenu à remettre un peu d'ordre dans les rapports entre managers et actionnaires. La défaite cuisante essuyée par le président OBAMA face aux dirigeants d'AIG, qui ont encaissé 165 millions de dollars en les prélevant directement sur les 170 milliards de dollars dégagés par le Trésor américain, montre la portée du pouvoir démesuré, et en l'occurrence arrogant et impudent, des managers. Aux États-Unis, les grandes banques ont pu se relever grâce aux 787 milliards de stimulus payés par les contribuables. Ils ont ensuite recouvert leurs managers de bonus (49,5 milliards pour Goldman Sachs, JPMorgan Chase et Morgan Stanley à elles seules). Et aujourd'hui, toujours grâce aux bonus magiques, elles réalisent des économies fiscales: étant donné que ces paiements sont déductibles, l'ensemble du système (selon les calculs de la société Robert Willens LLC) épargnera environ 80 milliards. En Europe, les montants sont plus modestes, mais la Banque royale d'Écosse (RBoS) a distribué 1,3 milliard de livres sterling. Rien n'a changé!

3.5   Il faut repenser en profondeur les mécanismes de gouvernance, en redistribuant le pouvoir existant au sein des entreprises entre actionnaires et managers et en ramenant chacun vers le domaine d'activité qui est le sien.

3.6   La participation des acteurs concernés à la gouvernance et une démocratie économique plus avancée peuvent contribuer à rééquilibrer le pouvoir et à réorienter les stratégies d'entreprise du très court terme au long terme, avec un avantage évident pour l'économie tout entière.

3.7   Des profits durables et stables, une gestion avisée des risques et une politique prudentielle des investissements devraient caractériser les nouvelles orientations du système financier après l'époque irraisonnée des taux de croissance à deux chiffres.

4.   Le crédit: facteur de développement et fonction sociale

4.1   Le rôle irremplaçable joué par le système financier s'agissant de convoyer des ressources vers des activités productives a de toute évidence des retombées sociales positives. Le travail et la richesse générés par les entreprises, notamment grâce au soutien reçu par les banques, permettent une redistribution de bien-être et de services à la collectivité. Le partage des risques par les assurances, quant à lui, procure stabilité et tranquillité à l'activité économique.

4.2   La fonction sociale ne doit toutefois pas être confondue avec une évaluation «sociale» du risque. La banque est une entreprise comme une autre, et elle doit répondre des fonds qui lui sont confiés. Si une banque finance une entreprise qui se dirige vers la faillite, elle est passible de poursuites pénales, et si elle agit de même par rapport à des personnes privées, elle sera accusée de les avoir poussées au surendettement.

4.3   Le seul critère valable pour octroyer du crédit est une évaluation sévère, objective et responsable du risque, assortie toutefois d'une appréciation des fins sociales des fonds ainsi libérés: il y a une différence entre celui qui demande des fonds pour augmenter sa production ou pour éviter des licenciements et celui qui voudrait transférer ses activités à l'étranger. Il s'agit là de critères universels qui valent dans toutes les banques, grandes ou petites, qu'elles soient sociétés anonymes, coopératives ou caisses d'épargne, même dans celles qui exercent des fonctions dites «sociales», comme le microcrédit ou encore le crédit éthique ou socialement responsable.

5.   Quel système financier après la crise?

5.1   Il y a presque 80 ans, Tomáš Baťa indiquait la voie à suivre: un retour marqué à l'éthique professionnelle, la redécouverte de valeurs et de principes qui se sont fort affaiblis avec le temps; l'acceptation par les investisseurs de marges bénéficiaires plus sobres, mais plus stables, grâce à une politique à long terme; l'isolation des activités à caractère purement spéculatif, qui doivent être séparées du reste des activités financières et mieux réglementées.

5.2   Un système financier transparent, qui fournisse une information suffisante pour faire comprendre les risques inhérents aux opérations qui sont proposées, qu'il s'agisse des cartes revolving (il a été récemment interdit à des émetteurs de renom de continuer à vendre leurs produits pour infraction aux lois contre l'usure et le blanchiment d'argent!), de produits financiers simples ou de produits plus complexes.

5.3   Un système financier responsable. La recherche du profit rapide a incité de nombreuses entreprises financières à privilégier la quantité, les volumes de vente, plutôt que la qualité du service au client. Nombreux sont les épargnants qui se sont laissé influencer par des propositions d'achat de produits financiers qui se sont révélés tout à fait inadaptés à leurs besoins. Dans ces cas, il s'est agi de vente contraire aux conseils, au bon sens et aux règles déontologiques élémentaires plutôt que de vente après de bons conseils. Pour obtenir de meilleurs résultats, ces ventes ont été dopées par des pressions commerciales quotidiennes, pressantes, en échange de primes et de bonus, mais aussi d'actions assimilables à du harcèlement pour ceux qui ne parvenaient pas à atteindre les résultats exigés, toujours plus importants. Le système financier devrait lui aussi être régi par les principes établis par la loi en matière de fraude commerciale et de vices cachés.

5.4   Un système financier éthiquement responsable. Les associations sectorielles devraient adopter des mesures pour prévenir les agissements répréhensibles et prendre la responsabilité de sanctionner de manière exemplaire les entreprises qui ont été jugées coupables de mauvaise foi, d'escroquerie ou de comportements passibles de poursuites pénales. Ces prises de position font jusqu'à présent défaut.

5.5   Un système financier mieux contrôlé. On assiste à une multiplication des acteurs du système financier, en parallèle à une diminution de la capacité des autorités de surveillance à suivre avec minutie les évolutions du marché et des instances législatives à mettre de l'ordre sur les marchés et à en éloigner des sujets indésirables, voire des organisations criminelles. Un effort de rationalisation, de nettoyage et d'ordre s'impose. La finance, qui doit elle aussi suivre les modèles de gestion les plus avancés, n'est pas vraiment une industrie comme toutes les autres. Elle gère le capital spécifique qu'est la confiance des épargnants et des clients, laquelle est indispensable à son activité. Il suffisait d'une notation AAA donnée à un titre pour que l'épargnant se sente absolument tranquille. La réalité a montré que l'on est encore loin de mécanismes porteurs de certitude.

5.6   Un système financier novateur. La recherche de nouveaux instruments financiers visant à mieux répondre aux exigences du marché doit continuer à être le moteur de l'économie. Réduire les leviers financiers, multiplier les opportunités de protection à l'égard des risques et se contenter de rendements adéquats: ainsi peut se décliner le retour vers l'avenir. Deux pas en arrière pour l'aventurisme et trois pas en avant pour un avenir marqué au sceau d'un développement durable.

Bruxelles, le 16 septembre 2010.

Le président du Comité économique et social européen

Mario SEPI


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