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Document 52008IE1686

    Avis du Comité économique et social européen sur Le rôle de l'UE dans le processus de paix en Irlande du Nord (avis d'initiative)

    JO C 100 du 30.4.2009, p. 100–108 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

    30.4.2009   

    FR

    Journal officiel de l'Union européenne

    C 100/100


    Avis du Comité économique et social européen sur «Le rôle de l'UE dans le processus de paix en Irlande du Nord» (avis d'initiative)

    2009/C 100/16

    Lors de sa session plénière des 12 et 13 décembre 2007, le CESE a décidé, conformément à l'article 19 paragraphe 1 de son règlement intérieur, de mettre en place un sous-comité chargé d'élaborer un avis d'initiative sur:

    «Le rôle de l'UE dans le processus de paix en Irlande du Nord».

    Le sous-comité «Le rôle de l'UE dans le processus de paix en Irlande du Nord», chargé de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 23 septembre 2008 (rapporteuse: Mme Jane MORRICE).

    Lors de sa 448e session plénière des 22 et 23 octobre 2008, le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 151 voix pour, une voix contre et deux abstentions.

    1.   Conclusions

    1.1   De nombreuses leçons peuvent être tirées de la participation de l'UE au processus de paix en Irlande du Nord. Depuis l'époque la plus sombre du passé troublé de cette province, des avancées exceptionnelles ont été réalisées en termes sociaux, économiques, mais surtout politiques. La situation en matière de sécurité s'est améliorée, la réorganisation de l'administration publique est en bonne voie, l'arrivée d'étrangers, d'immigrés comme de touristes, a non seulement pour effet de stimuler l'économie mais aussi de modifier des visions traditionnelles empreintes de sectarisme; la coopération transfrontalière dépasse les espérances et le partage du pouvoir entre les anciens adversaires est aujourd'hui admis comme étant «politiquement correct».

    1.2   À ce stade, il serait toutefois totalement déplacé de tenir un discours complaisant. La vision choquante des «murs de la paix» qui divisent les communautés catholique et protestante à Belfast est un rappel triste mais réaliste des sérieuses difficultés auxquelles fait encore face le processus de paix, en particulier en matière de réconciliation transcommunautaire, et de l'étendue de ce qui reste à accomplir. Des décennies de violence, de haine, de suspicion, d'ignorance et d'intolérance ont conduit à une division sans précédent entre communautés en Irlande du Nord. Si les habitants parviennent à «un degré acceptable» de paix derrière leurs murs, dans leurs maisons, villages, églises, écoles ou stades de sport, ces vies «parallèles», ne peuvent être qu'une étape de transition dans le cadre d'un processus menant au respect, à la compréhension mutuels et à l'harmonie, même s'il faudra peut être des générations pour que cela se concrétise.

    1.3   Le rôle joué par l'UE dans le cadre du processus de paix en Irlande du Nord a été et reste sans précédent dans l'Histoire. Le fait que le soutien apporté par l'UE à ce processus soit relativement méconnu montre la justesse de l'approche mise en œuvre. L'UE n'a pas cherché vainement à interférer dans une situation qui était hors de sa portée ni à masquer les difficultés existantes. La méthode de consolidation de la paix employée par l'UE en Irlande du Nord reposait sur un engagement unique et de long terme de ressources importantes, planifié et exécuté de manière stratégique, fondé sur les principes du partenariat social et de la subsidiarité et inspiré, à chaque étape, par des consultations locales intégratives.

    1.4   À travers une alliance de mesures d'intervention directe et indirecte, l'UE a contribué à ce que le processus de paix donne naissance à un environnement favorable à la résolution du conflit, une fois les conditions politiques réunies, et a joué un rôle moteur pour un renforcement réel de la paix, qu’il reste encore à parachever.

    1.5   L'UE ne s'est jamais élevée pour réclamer sa part du succès dans le processus de paix. Il est néanmoins important que la valeur et l'importance du rôle de l'UE restent dans l'Histoire. En effet, non seulement l'UE continuera, dans les années à venir, à apporter son soutien dans ce contexte, notamment pour la réconciliation, mais, en outre, les leçons qui ont été tirées des programmes PEACE de l'UE pourraient contribuer aux efforts pour promouvoir la paix et la réconciliation dans d'autres parties du monde. L'UE n'aura jamais toutes les réponses, mais comme le montre l'expérience nord-irlandaise, elle dispose des moyens et de l'expérience pour aider les autres à les trouver.

    1.6   En qualité de principal «modèle» mondial en matière de consolidation de la paix, l'UE, ainsi que les États membres qui la composent, disposent de l'expertise, de l'expérience, de la diversité, des ressources et de la réputation pour soutenir la résolution des conflits et la consolidation de la paix partout où cela est nécessaire dans le monde. Mais elle a encore davantage. Elle a l'obligation de le faire et est tenue de placer la consolidation de la paix au cœur même de sa future orientation stratégique.

    2.   Recommandations

    2.1   Les recommandations sont divisées en deux chapitres distincts. Le premier couvre les domaines d’action au sein de l’Irlande du Nord, et des régions limitrophes dans lesquelles l’aide de l’UE devrait être concentrée, en vue de faire progresser le processus de réconciliation. Le second chapitre porte sur le contexte plus large de l’aide européenne destinée à construire la paix et la réconciliation dans d’autres zones de conflit, à partir des leçons tirées de l’expérience de l’Irlande du Nord, dont les grandes lignes sont exposées dans le «kit d’outils pour la résolution des conflits» présenté ci-dessous.

    2.2   L’Irlande du Nord

    2.2.1   Les leçons tirées de l’expérience de l’Irlande du Nord démontrent que la construction de la paix est un processus stratégique à long terme. Il commence par mettre un terme à un violent conflit, et évolue par étapes vers la stabilité politique, la coexistence pacifique, la réconciliation et, pour finir, l’harmonie sociale, la prospérité économique et une «société partagée». L’aide de l’UE à ce processus doit donc être à long terme, eu égard à la nature fragile des premières étapes, et du temps nécessaire pour parvenir à une réelle réconciliation. Alors que le volume de l’aide financière européenne va probablement se réduire, et devenir plus ciblée au fur et à mesure que la province sort du conflit, la signification du rôle de l’UE en tant que partenaire du processus, et sa capacité à développer ses relations avec cette région sous d’autres formes créatives devraient continuer d'augmenter.

    2.3   Recommandation no 1: L'UE devrait continuer à apporter un soutien de long terme à la consolidation de la paix en Irlande du Nord et ce faisant, il conviendrait qu'elle mette davantage l'accent sur:

    la réconciliation transcommunautaire dans des domaines tels que la culture, les arts, le sport, les loisirs, le logement et l'éducation, la création d'emplois et la prestation de services publics;

    les groupes marginalisés travaillant dans le cadre d'une structure transcommunautaire, qui deviendraient les principaux bénéficiaires des aides, le soutien aux groupes travaillant sur une identité unique (soit protestante, soit catholique), ne restant possible que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque ceux-ci constituent un préalable essentiel à la construction de capacité transcommunautaire;

    les victimes du conflit, pour les aider à reconstruire leurs vies, surmonter le traumatisme et partager leur expérience avec des groupes similaires d’autres communautés, et dans d'autres zones de conflit;

    soutenir des initiatives aboutissant à une «société partagée», contribuant à réduire la nécessité de dupliquer les services en matière de logement, de santé, d’éducation, et les infrastructures de loisirs et de sport;

    la participation des organisations bénévoles et communautaires, des syndicats et des entreprises à tous les niveaux du processus décisionnel relatif aux fonds PEACE de l'UE;

    la restauration des structures de partenariat local qui servaient à rapprocher les partenaires sociaux et les responsables politiques dans les premiers stades du programme PEACE;

    la réduction de la bureaucratie, en particulier pour les projets de faible ampleur dans les communautés rurales et urbaines, avec des évaluations de projets conçues d'après des critères sociaux comme économiques.

    2.4   Recommandation no 2: la cellule spéciale de la Commission européenne sur l'Irlande du Nord devrait continuer à guider, faciliter et soutenir, pour la province, des formes créatives et innovantes de développement en-dehors de celles qui dépendent du financement du programme PEACE, telles que la recherche, les transferts de connaissances, l’éducation et l’aide à la mise en réseau international au sujet de la résolution de conflits.

    2.5   Le contexte plus large

    2.6   L’Union a le devoir, non seulement de tirer les leçons de son expérience en Irlande du Nord, mais également de transmettre ces leçons à d’autres, qui font à leur tour l’expérience de différents niveaux de conflit, que ceux-ci se situent à l’intérieur de, sur leurs frontières, ou bien dans le reste du monde. Ceci servira à tirer le maximum du rôle positif que peut jouer l’Union européenne dans la résolution des conflits mondiaux.

    2.7   Recommandation no 3: il conviendrait que les principales leçons de cette expérience soient partagées entre les institutions de l'UE, les autorités des États membres, et la scène internationale, avec l'aide des éléments suivants:

    une base de données complète des bonnes pratiques en matière de résolution de conflits (proposition du PE);

    un recueil des évaluations du programme PEACE et des projets couronnés de succès dans ce cadre;

    des recherches ultérieures en matière de rôle de l'UE dans toute une gamme de domaines (situations de conflit au niveau interne, transfrontalier et externe).

    2.8   Recommandation no 4: ces initiatives pourraient être facilitées par la mise en place, en Irlande du Nord, d'un mécanisme institutionnel européen de résolution des conflits, qui devrait s'appuyer sur les travaux existants en matière de résolution des conflits, sur le plan local et international et dont les détails devraient faire l'objet d'un débat à l'échelon européen avec les partenaires sociaux, débat initié par le CESE afin d'explorer la meilleure façon de développer un système de résolution des conflits ayant une dimension européenne.

    2.9   Recommandation no 5: il conviendrait d'adopter et de développer plus avant le kit d'outils ci-joint afin de s'en servir pour analyser les situations de conflit et de fournir des informations en vue de l'intervention de l'UE, en fonction de la situation et lorsque c'est nécessaire. Ce kit d'outils rassemble toute une gamme d'instruments employés par l'UE, qui pourraient servir de référence et constituer une ressource dans le cadre de travaux axés notamment sur la protection des minorités, l'égalité, le renforcement des capacités, la coopération transcommunautaire et transfrontalière et le développement socioéconomique dans d'autres zones au sein de l'UE, au niveau de ses frontières ou dans des zones de conflit situées au-delà de ses limites territoriales.

    Kit de l'UE la résolution des conflits

    Outils de diagnostic

    Analyse socioéconomique et politique

    Manuels de référence

    Expérience d'autres régions du monde (notamment des mécanismes de résolution des conflits)

    Recueil/Base de données de programmes/projets

    Prise en compte des théories de résolution des conflits

    Vision stratégique

    Perspective objective (supranationale) de long terme associée à une approche de prise de risque

    Application des leçons qui ont été tirées

    Connaissance acquise et développée

    Évaluation du stade auquel se trouve le conflit

    Fixation de la procédure d'intervention, en fonction du stade du conflit et de sa localisation (au sein de l'UE, au niveau de ses frontières ou au-delà)

     

    INSTRUMENTS FINANCIERS

    INSTRUMENTS NON FINANCIERS

    Instruments de grande envergure

    (niveau macro)

    Réseaux financés par l'UE axés sur la transformation des conflits

    Institutions, politiques de l'UE, opportunités existant dans ce cadre

    Approche, méthodologie, exemple de l'UE

    Européanisation (au niveau national) normes, valeurs, institutions, procédures de l'UE (y compris la participation des partenaires sociaux)

    Espace neutre pour favoriser le dialogue/dégager un consensus

    Approche équitable pour instaurer la confiance.

    Modèle européen de rétablissement de la paix: montrer l'exemple à suivre

    Partenariat étroit avec les principaux donateurs.

    Leviers et molettes

    (niveau intermédiaire)

    Programmes communautaires PEACE taillés sur mesure

    Fonds structurels ajustés pour répondre à l'objectif de résolution des conflits (définis en fonction de critères de «différenciation» appropriés)

    Coopération bilatérale/transfrontalière

    Accords et initiatives

    Modèle de partenariat social

    Evaluation du niveau du programme

    Cellule spéciale (collecte des informations locales, identification des opportunités et des domaines de coopération, promotion de la participation dans les programmes à l'échelle de l'UE)

    Approche fondée sur le partenariat – travail en coopération avec les partenaires politiques et sociaux locaux

    Consultation locale conduisant à une appropriation de la conception et du développement du programme au niveau local

    Engagement des institutions locales

    Suppression des barrières à travers les politiques de l'UE

    Instruments de précision

    (niveau micro)

    Agents de réalisation au niveau local pour agir sur le terrain

    Subventions globales pour s'assurer une réceptivité au niveau local et veiller à atteindre la cible adéquate

    Financement conditionnel pour promouvoir les bonnes pratiques

    Suivi pour favoriser un apprentissage continu.

    Soutien au renforcement des capacités et collaboration/coopération.

    Coopération transfrontalière, «ascendante», sur le plan économique, social et culturel

    Autoévaluation

    Européanisation (au niveau local) Participation des partenaires sociaux, engagement des citoyens, participation communautaire, déploiement de fonctionnaires de la Commission européenne

    Célébration des réussites

    Sensibilisation à travers la presse et la publicité

    3.   Introduction

    3.1   Le présent avis entend relater l'histoire relativement méconnue du succès remporté par l'Union européenne en matière de soutien au processus de paix en Irlande du Nord, mieux faire connaître l'expérience nord-irlandaise au sein de la société civile européenne, et établir un «kit d'outils» des méthodes employées par l'UE pour promouvoir la paix et la réconciliation, qui pourra être utilisé dans d'autres zones de conflit, de manière adaptée.

    3.2   L'avis porte principalement sur le soutien apporté par l'UE à travers les programmes européens PEACE, le Fonds international pour l’Irlande (FII) et INTERREG. Il examine de quelle manière ces fonds ont été conçus, ainsi que leur impact sur la vie sociale, économique, et politique de la région, en se concentrant sur le soutien que l'UE a apporté à la société civile (entreprises, syndicats, secteur associatif).

    3.3   Il étudie également les possibilités plus larges qui ont été offertes par l'UE en matière de coopération politique, diplomatique et administrative britannico-irlandaise et examine dans quelle mesure le «modèle européen de rétablissement de la paix» a été mis à profit pour promouvoir une évolution positive en Irlande du Nord.

    4.   Méthode

    4.1   Quatre réunions de travail ont été organisées, dont une conférence consultative qui s'est tenue en avril 2008 en Irlande du Nord. Cette conférence a permis de rassembler des informations à travers la consultation des acteurs concernés et des experts, des questionnaires et une consultation électronique, ce qui a permis d'établir des conclusions sur la base d'une expérience directe des programmes et des politiques de l'UE. En outre, les membres du sous-comité ont effectué une visite d’étude au cours de laquelle ils ont pu découvrir des projets financés par des fonds communautaires à Belfast.

    4.2   La conférence a coïncidé avec des événements marquant des avancées politiques significatives en Irlande du Nord et elle a compté parmi ses participants le premier ministre et le premier ministre adjoint, le ministre d’État irlandais et de hauts représentants de l’UE qui avaient participé à la mise en place du programme PEACE.

    4.3   Une des caractéristiques importantes de cet avis tient à la coopération fructueuse qui s'est instaurée entre les trois groupes du CESE, leurs experts et les membres français, espagnols, italiens, irlandais et britanniques du sous-comité, le Parlement européen (rapport de Brún) et la Commission européenne.

    5.   Historique

    5.1   Géographie/économie

    5.1.1   L'Irlande du Nord est située dans le Nord-est de l'île d'Irlande. Sur une surface de 14 245 km2, elle rassemble une population de 1 685 000 habitants, d'après les données du dernier recensement (2001), composée à 53,1 % de protestants, 43,8 % de catholiques, 0,4 % de personnes d'une autre confession et 2,7 % de personnes sans obédience religieuse. Cette population, qui compte plus de 40 % de moins de 29 ans, est parmi les plus jeunes d'Europe. Stable jusqu’à une période récente, en raison d’une migration nette en provenance de l’étranger, la population devrait, d'après les estimations, dépasser les 1,8 million d'ici 2011.

    5.1.2   Délaissant les activités manufacturières traditionnelles, comme la construction navale et le textile, l'économie s'oriente désormais davantage vers les services et vers l'extérieur. Depuis 2004-2005, la valeur ajoutée brute (VAB) a augmenté de 3,5 % en termes réels, ce qui se situe juste en dessous de la moyenne du Royaume-Uni mais est nettement inférieur à la croissance du PIB qu'a connue l'Irlande au cours de la période du «Tigre celtique», laquelle a atteint jusqu'à 10 % par an. La VAB/habitant se situe autour de 80 % de la moyenne du Royaume-Uni et le chômage est tombé à 3,6 %, après avoir atteint un chiffre record de 17,2 % en 1986. Ces statistiques masquent cependant plusieurs problèmes importants, parmi lesquels figurent notamment le niveau élevé d'inactivité économique, qui est de 26,9 %, soit le plus élevé de toutes les provinces du Royaume-Uni, et la forte dépendance de la province vis-à-vis des fonds publics pour le soutien aux secteurs tant public que privé, ce qui a constitué un frein à l’esprit d’entreprise (les financements publics représentent 62 % de la VAB).

    5.2   Contexte historique/politique récent

    5.2.1   En tant que province du Royaume-Uni, l'Irlande du Nord a vu le jour à la suite de l'adoption de la loi sur le gouvernement de l'Irlande, qui a amené à la partition du Nord et du Sud de l'Irlande en 1921. Cette situation a conduit à la création d’une zone frontalière sur l’île et a marqué le début d’un processus de coexistence «dos à dos» en termes sociaux, économiques et politiques. Depuis lors, cette division constitue une source de discorde entre nationalistes nord-irlandais (principalement catholiques) et unionistes (principalement protestants). D'une manière générale, les premiers aspirent à une Irlande unie, tandis que les seconds souhaitent que l'Irlande du Nord continue à faire partie intégrante du Royaume-Uni.

    5.2.2   En 1921, la population était composée à 60 % de protestants et à 40 % de catholiques. La communauté unioniste majoritaire est restée au pouvoir pendant presque un demi-siècle. À la fin des années 60, les défenseurs des droits civiques ont organisé des marches pour exiger qu'il soit mis un terme à la discrimination. Il s'en suivit de violents combats et confrontations, que beaucoup considèrent comme marquant le début du récent «conflit nord-irlandais». En 1972, alors que le conflit atteignait son paroxysme, le Parlement d'Irlande du Nord fut dissout et Londres plaça la province sous son administration directe.

    5.2.3   Les décennies qui ont suivi ont été marquées par de nombreuses tentatives pour stabiliser la situation, et notamment des initiatives de réconciliation émanant principalement des organisations de la société civile, y compris des syndicats. La même période a néanmoins été le théâtre de terribles violences, qui, après 35 ans de conflit, ont coûté la vie à plus de 3 500 personnes et en ont laissé des milliers d’autres physiquement et mentalement marquées pour le restant de leur vie.

    5.2.4   Les cessez-le-feu paramilitaires de 1994 ont ouvert la voie aux pourparlers entre les partis politiques. En 1998, l'accord du Vendredi saint/de Belfast a été conclu et approuvé par une écrasante majorité de citoyens au cours de référendums séparés organisés au Nord et au Sud de la frontière. L'année suivante, un exécutif et une Assemblée d'Irlande du Nord ont été constitués, à côté de plusieurs organes Nord/Sud, la province se voyant réattribuer ses compétences dans les semaines précédant la fin du millénaire.

    5.2.5   En 2002, les travaux de l'Assemblée ont été suspendus, et ce n'est qu'en mai 2007 qu'un exécutif décentralisé et fondé sur le partage du pouvoir a été rétabli, sous la direction du DUP (Parti unioniste démocrate - unioniste) et du Sinn Fein (républicain). La province connaît actuellement sa plus longue période de stabilité politique depuis près de quatre décennies.

    5.3   La participation de l'UE au processus de paix

    5.3.1   Le Royaume-Uni et l'Irlande ont rejoint l'Union européenne en 1973, au moment où le conflit atteignait son paroxysme, et l’Irlande du Nord a obtenu un «statut spécial», se voyant désignée région d'«objectif 1», bien que ne remplissant pas toujours les conditions économiques connexes. Un tel statut était synonyme de financements additionnels pour le développement économique et social. Les fonds ainsi alloués étaient censés compléter le financement octroyé par le gouvernement britannique, mais beaucoup considéraient qu'ils étaient utilisés en compensation des exigences de financements publics.

    5.3.2   Au cours des premières élections directes au Parlement européen (1979), trois députés d'Irlande du Nord ont été élus (Ian PAISLEY, John HUME et John TAYLOR). En 1984, le Parlement européen a publié le «rapport Haagerup» sur l'Irlande du Nord et Lorenzo NATALI, vice-président de la Commission européenne, a promis d’«examiner d'un œil favorable la proposition de mettre en place un programme intégré pour l'Irlande du Nord et les comtés limitrophes». Il a néanmoins souligné qu’il lui fallait pour ce faire le feu vert des gouvernements britannique et irlandais.

    5.3.3   En 1986, les gouvernements britannique et irlandais ont mis en place le Fonds international pour l'Irlande (FII) pour «promouvoir le progrès social et économique et favoriser la réconciliation entre les nationalistes et les unionistes sur l'île d'Irlande». L'UE est un des principaux contributeurs de ce fonds (à côté des États-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande), doté d'une enveloppe de 849 millions d'euros qui a permis, depuis plus de 20 ans, de soutenir plus de 5 700 projets en Irlande du Nord et dans les comtés limitrophes de la République d'Irlande. Aux alentours de 2013, les financements versés par l’UE au FII auront totalisé 349 millions d’euros.

    5.3.4   La visite effectuée par le Président de la Commission européenne, Jacques DELORS, en 1992 en Irlande du Nord pour consulter les représentants locaux a renforcé son engagement en faveur de la paix dans la région. La même année, les barrières économiques au commerce entre le Nord et le Sud de l’île ont été levées avec l’achèvement du marché unique, lequel a fait naître, au fil du temps, des occasions intéressantes en matière de commerce et d'activité économique au niveau transfrontalier.

    5.3.5   En 1994, juste après les cessez-le-feu paramilitaires, Jacques DELORS a rencontré les trois députés d’Irlande du Nord (qui étaient alors Ian PAISLEY, John HUME et Jim NICHOLSON), et a convenu de la mise en place d’un nouveau grand ensemble de mesures européennes. Il a constitué une cellule spéciale et, à la suite de larges consultations au niveau local, le projet visant à mettre en place un programme PEACE d'une durée de trois ans et doté d'une enveloppe de 300 millions d'euros a été approuvé lors du sommet européen de 1994, quelques semaines avant la fin du mandat présidentiel de Jacques DELORS. Ce programme a été prolongé pour deux ans, avec un financement additionnel de 200 millions d'euros.

    5.3.6   Il s’agissait du premier programme spécial de l'UE de soutien à la paix et à la réconciliation en Irlande du Nord et dans les comtés limitrophes de la République d'Irlande, connu sous le nom de PEACE I. Dans le cadre des vastes consultations qui ont été conduites au sujet du programme, le Comité économique et social européen a notamment élaboré un avis en 1995 (rapporteur: M. FRERICHS) (1), qui saluait cette initiative et soulignait la nécessité de mettre en place une approche de long terme et de faire preuve de souplesse dans l'allocation des financements.

    5.3.7   En 2000, PEACE I a été suivi par le programme PEACE II, négocié par les membres du nouvel exécutif nord-irlandais et bénéficiant d'une dotation financière de 531 millions d’euros. Il a été reconduit en 2005/2006 avec un financement communautaire de 78 millions d'euros. Le CESE a élaboré un deuxième avis (rapporteur: M. SIMPSON) qui demandaient aux financements du programme PEACE II de se concentrer davantage sur des projets favorisant la réconciliation, ainsi que sur les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs migrants. En 2007, PEACE III est entré en vigueur pour la période 2007-2013, avec une enveloppe financière de 225 millions d’euros. Au total, l'UE a contribué pour plus de 1,3 milliards d'euros à ces programmes.

    5.3.8   À la suite du transfert des compétences à la province en 2007, le président de la Commission européenne, José Manuel BARROSO, a mis en place une nouvelle cellule spéciale, sous la direction de Danuta HÜBNER, membre de la Commission européenne chargée de la politique régionale, pour réfléchir à la future coopération entre l’UE et l’Irlande du Nord. Publié en avril 2008, le rapport propose plusieurs solutions pour permettre à la région de participer davantage aux politiques de l'UE et note l'intérêt exprimé par les autorités de l'Irlande du Nord pour promouvoir la création d’un mécanisme institutionnel européen de résolution des conflits en faveur de la recherche, du conseil et du partage d'expérience.

    6.   L'impact de la participation de l'UE

    6.1   La participation de l'UE au processus de paix a revêtu toute une gamme de formes différentes allant d'un soutien politique à haut niveau à une intervention financière sur le terrain. C'est dans les années 1990 que cette activité a été la plus intense, en soutien aux progrès politiques qui ont été accomplis à la suite des cessez-le-feu et de la conclusion de l'accord du Vendredi Saint/de Belfast et elle se poursuit aujourd'hui avec la cellule spéciale de la Commission européenne qui se concentre sur de nouveaux domaines de coopération, PEACE III, le FII et INTERREG.

    6.2   L'assistance financière de l'UE pour la consolidation de la paix a constitué un élément central du soutien de l'UE au processus de paix. Cependant, les facteurs non financiers qui découlaient automatiquement de l'appartenance à l'UE ont eu un impact profond sur la promotion d'une évolution positive. La «sphère d'influence» de l'UE peut ainsi être divisée en deux segments distincts, mais qui se recoupent dans certains cas, à savoir les facteurs financiers et non financiers.

    6.3   Facteurs non financiers

    6.3.1   L'UE a offert un «espace neutre»qui a permis de favoriser le dialogue entre les responsables politiques britanniques et irlandais, après l'adhésion, en leur ouvrant de nouvelles occasions de rencontres régulières sur un terrain neutre. Cette configuration était également positive pour les députés nord-irlandais, ce qu'illustre parfaitement la rencontre de 1994 entre PAISLEY, HUME, NICHOLSON et DELORS, qui a conduit à la création du premier programme PEACE, et que PAISLEY a décrite comme étant l'une des réunions les plus productives de toute sa carrière. En outre, la coopération transfrontalière entre les fonctionnaires britanniques et irlandais sur les affaires quotidiennes a conduit à un «rapprochement» des administrations, qui a très certainement eu un impact positif sur le processus de paix.

    6.3.2   L'existence d'un tel «espace neutre» a peut-être joué un rôle plus important encore s'agissant du soutien apporté par l'UE au processus de paix sur le terrain. L'engagement, l'implication et la délégation de pouvoir vers la société civile ont été facilités par les institutions, et le déploiement du personnel qui a contribué à garantir le caractère équitable et intégratif de l'approche mise en œuvre.

    6.3.3   Un autre élément non financier important a résidé dans le fait que les décideurs britanniques et irlandais ont pu se familiariser avec la recherche du consensus dans le cadre des processus législatifs européens. Dans les négociations au Conseil, les États membres employaient un nouveau type de dialogue multilatéral, axé sur les transactions et les compromis, qui a constitué un instrument utile dans le cadre des discussions politiques au niveau local.

    6.3.4   L'émergence du marché unique européen en 1992 a eu un impact non financier important sur le processus de paix. La levée des barrières administratives au commerce transfrontalier a contribué au renforcement de la coopération entre les organisations entrepreneuriales de part et d'autre de la frontière et a favorisé un engagement durable du mouvement syndical en matière de coopération transfrontalière. Les contrôles de sécurité transfrontaliers ont néanmoins continué à freiner les principales avancées en matière de coopération économique et sociale.

    6.3.5   Au nombre des facteurs non financiers qui ont eu un impact limité dans les premiers temps, l'on peut citer la référence au modèle européen de rétablissement de la paix comme modèle à suivre pour la région. Lorsque l'Irlande du Nord a rejoint l'UE en 1973, beaucoup espéraient que l'effet stabilisateur de l'entrée dans l'UE serait quasi immédiat. Les divisions entre les communautés étaient néanmoins à ce point enracinées qu'il fallut du temps pour que le modèle européen ait un impact sur ce processus.

    6.3.6   Aujourd'hui encore, après 35 années d'appartenance à l'UE, des «murs de la paix» séparant les communautés catholique et protestante existent toujours à Belfast. La majorité des enfants fréquentent des écoles séparées et 90 % des personnes vivent dans des communautés «distinctes».

    6.4   Impact financier

    6.4.1   L'impact financier de PEACE I sur le processus de paix a été considérable car il présentait un caractère unique et innovant - ne ressemblant à rien de ce qui avait été expérimenté jusque là par l'UE. Avec une enveloppe de 500 millions d'euros (1995-1999) pour soutenir la paix et la réconciliation, il constituait également le soutien financier le plus important alloué dans ce but précis. Il représentait 73 % du total des investissements, le reste étant fourni par les pouvoirs publics des deux pays et le secteur non gouvernemental.

    6.4.2   Un des facteurs importants qui a contribué à l'impact positif de PEACE I est le vaste processus de consultation qui a étayé sa conception. La société civile organisée, et notamment les ONG, les syndicats et les entreprises se sont sentis parties prenantes car leur contribution a été reconnue. Les députés nord-irlandais ont également été directement associés aux détails du processus. PEACE I a fait l'objet d'une publicité importante et était ainsi bien connu dans toute la zone concernée. Cette «reconnaissance» est toujours d'actualité aujourd'hui. Les statistiques montrent que près de la moitié de la population a bénéficié des programmes PEACE.

    6.4.3   L'originalité des mécanismes de financement du programme PEACE a également joué un rôle crucial dans son succès. Les organes de financement intermédiaires constituaient un moyen ingénieux de transférer la responsabilité au niveau local tout en renforçant les capacités. Les partenariats de district, auxquels participaient des représentants des entreprises, des agriculteurs, des secteurs associatif et communautaire, des syndicats ainsi que des élus du gouvernement local constituaient une «première» pour l'Irlande du Nord. Cette approche partenariale des décisions a joué un rôle tout aussi important pour le processus de consolidation de la paix que le financement en tant que tel.

    6.4.4   Il est largement reconnu que cette approche«ascendante» a permis de rendre les financements plus accessibles aux personnes situées «aux marges de la vie économique et sociale locale». En particulier, elle visait des groupes qui n'avaient jusqu'alors reçu que peu de soutien voire aucun, notamment les victimes et les anciens prisonniers, et elle a permis d'accélérer le financement à l'intention des autres groupes, tels que les organisations transcommunautaires et transfrontalières, les groupes de femmes et de jeunes.

    6.4.5   L'impact financier de ces programmes a été plus important que celui des financements que l'UE avait alloués par le passé, en raison de la garantie de «l'additionnalité» des fonds. Le financement avait ainsi davantage d'impact, et était plus visible dans la mesure où il intervenait «en addition et en complément» du financement du gouvernement à destination de la région. On dit souvent que ce n'était pas le cas pour les autres programmes de fonds structurels de l'UE.

    6.4.6   Le changement de priorité opéré entre les programmes a également eu un impact. «L'insertion sociale» constituait le principal poste de financement au titre de PEACE I, alors qu'il s'agissait du «renouveau économique» pour PEACE II. Dans le cadre du programme PEACE III, l'accent a été placé sur la «réconciliation», celle-ci étant considérée comme le meilleur moyen de résoudre les problèmes de division sectaire qui perdurent.

    6.4.7   La responsabilité de PEACE II/III a également été transférée à l'organe des programmes particuliers de l'Union européenne (Special EU Programmes Body–SEUPB) nouvellement créé à l'échelon transfrontalier. Certains aspects de ses travaux bénéficient du soutien de comités de suivi, qui réunissent des acteurs intéressés des secteurs public, syndical et privé d'Irlande du Nord et des comtés limitrophes. Si certains estiment que ce changement a eu pour effet de réduire le niveau d'implication sur le terrain, d'autres considèrent qu'il a permis d'offrir un «guichet unique» important pour tous les aspects du financement octroyé par l'UE au titre du programme PEACE et au niveau transfrontalier.

    6.4.8   Le FII a également eu un impact très important sur le processus de paix tant en termes de projets que par sa composition. Le FII rassemble des représentants de ses pays donateurs et cette forme de coopération originale, en particulier entre l'UE et les États-Unis, pourrait constituer un excellent exemple de bonne pratique pour les autres zones de conflit.

    6.4.9   Si le fonds INTERREG fonctionne dans l'ensemble de l'UE, l'impact spécifique qu'il a eu sur l'île d'Irlande a été particulièrement important pour le processus de paix. Complétant les éléments transfrontaliers des programmes PEACE, INTERREG a permis la réalisation d'investissements dans le domaine des infrastructures transfrontalières ainsi que des programmes socioéconomiques contribuant à encourager la coopération entre des communautés qui vivaient «dos à dos».

    6.4.10   D'autres initiatives de l'UE, telles que URBAN, EQUAL et LEADER, ont eu et continuent à avoir un impact moins direct, mais néanmoins important sur le processus de paix en Irlande du Nord.

    6.5   Impact sur la coopération transfrontalière

    6.5.1   À la suite de la partition de l'île en 1921, les deux juridictions ont évolué de manière séparée et antagoniste. L'impact de cette coexistence «dos à dos» était évident avant le conflit et a été exacerbé par 35 ans de violence. Les interactions transfrontalières étaient limitées en raison des dangers et des difficultés et les échanges transfrontaliers étaient les plus faibles de ceux enregistrés aux frontières internes de l'UE.

    6.5.2   Les politiques de l'UE ont favorisé et facilité un changement de paradigme en matière de coopération transfrontalière. Ce phénomène s'est trouvé accéléré du fait que l'Irlande comme le Royaume Uni étaient membres de la communauté européenne. Dans la sphère économique, les retombées «descendantes» du marché intérieur ont été particulièrement importantes, alors que dans la sphère sociale et culturelle, l'impact «ascendant» des programmes PEACE, qui intégraient les six comtés situés au Sud de la frontière, a été le moteur d'interactions transfrontalières inimaginables auparavant.

    6.5.3   Parmi les objectifs mutuels figuraient l'accroissement du développement économique, des interactions sociales et une coopération plus étroite entre les différents gouvernements. Un des piliers de l'accord du Vendredi Saint/de Belfast a été la création d'un Conseil ministériel Nord/Sud et d'organes transfrontaliers. Ces institutions à financement conjoint sont sans précédent dans l'UE. Par ailleurs, l'idée d'une «économie spécifique à l'île» a fait son chemin et d'un concept radical, elle est devenue une idée généralement acceptée comme courante, utile et bénéfique.

    6.5.4   Ce renforcement de la coopération transfrontalière s'est souvent fait souvent sous l'impulsion des partenaires sociaux. Leur travail pionnier a permis la coopération des décideurs du Nord et du Sud pour améliorer la compréhension, l'appréciation et la confiance de part et d'autre de la frontière. L'étroite coopération qui en a résulté a concerné différents domaines mais c'est en matière économique qu'elle est actuellement la plus visible, ainsi qu'en termes de santé et d'éducation.

    6.5.5   Parmi les nombreux résultats positifs que cette démarche a apportés, on peut citer un programme de développement commercial et économique mis en place pour sept ans entre deux groupements d'entreprises du Nord et du Sud, à savoir la Confédération de l'industrie britannique (Confederation of British Industry's - CBI) et la Confédération irlandaise des entreprises et des employeurs (Irish Business and Employers Confederation - IBEC), financé par le FII, PEACE ET INTERREG, et qui a donné lieu à plus de 300 rencontres entre acheteurs et vendeurs. Les échanges ont doublé au cours de cette période (1991-1997), pour dépasser les deux milliards de livres.

    6.5.6   Les travaux réalisés par le mouvement syndical pour encourager les liens transfrontaliers et transcommunautaires sont également extrêmement important. Le Congrès irlandais des syndicats (Irish Congress of Trade Unions - ICTU), est un organe qui fonctionne sur tout le territoire de l'Irlande, et qui a travaillé sans relâche au cours du conflit pour promouvoir de meilleures relations entre les communautés. Le Congrès n'a pas cherché à bénéficier de financements pour ses travaux mais certains organes liés aux syndicats ont reçu un soutien de la part de l'UE.

    6.5.7   S'agissant de l'impact transfrontalier du programme PEACE, le fait que seuls les six comtés limitrophes du Sud pouvaient directement bénéficier des financements ainsi alloués a eu pour effet de limiter la portée du programme, notamment en matière de développement économique, à un moment où les régions au plus fort potentiel étaient précisément situées hors de la zone sud éligible.

    6.5.8   Cette coopération transfrontalière a atteint une ampleur totalement nouvelle, et considérablement plus large et plus profonde. Maintenant que la plupart des obstacles physiques, fiscaux, techniques et sécuritaires sont levés, permettant et encourageant des volumes sans précédent d'échanges commerciaux, d'interactions et de coopération transfrontaliers, le défi consiste à surmonter les barrières culturelles et sociales séculaires qui perdurent.

    6.5.9   L'essentiel est que les méthodes employées par l'UE pour soutenir la paix et à réconciliation au niveau économique et social et au sein de toutes les communautés offrent un modèle régional unique, dûment développé et de plus en plus éprouvé, pour appliquer la philosophie, l'expertise et la méthodologie propres à l'UE.

    6.6   Impact sur le développement économique

    6.6.1   En soutenant le processus de consolidation de la paix, l'UE a contribué à accélérer le développement économique en Irlande du Nord et dans les comtés limitrophes. Nombre d'évaluations a posteriori ont reconnu l'importance de l'impact direct de PEACE I et II sur le développement économique. Le principal effet indirect a tenu au fait que le rôle joué par l'UE pour favoriser le progrès politique et la consolidation de la paix a permis d'accélérer considérablement le développement social et économique.

    6.6.2   Les programmes PEACE, FII et INTERREG ont permis, par leur action conjointe, l'émergence d'un emploi durable ainsi que des améliorations en matière d'environnement et d'infrastructures, en particulier dans les zones touchées par le conflit. Ils ont apporté des possibilités en matière de développement et d'activité entrepreneuriale au sein des communautés et des groupes marginalisés, et ont contribué de manière significative au cours de la dernière décennie à la croissance rapide du commerce transfrontalier.

    6.6.3   S'agissant de la qualité des retombées, on s'accorde à dire que les programmes ont apporté une contribution substantielle à la construction d'une société pacifique et stable. De tels résultats ont pu être atteints, dans une large mesure, à travers le renforcement des capacités au sein des secteurs communautaire et associatif, lequel a permis de favoriser le processus de réconciliation.

    6.6.4   «Le partenariat social» constitue un grand pilier de la démarche de l'UE et les caractéristiques précitées de l'approche européenne à l'égard de la paix et de la réconciliation contribuent à stimuler et à encourager de nouveaux modes d'interaction entre les intérêts économiques et politiques, dans l'intérêt de l'ensemble de la société.

    6.6.5   La contribution de l'UE a favorisé l'émergence d'une vision stratégique de l'économie dans un environnement post-conflit. À mesure que l'on avance, nombre de nouvelles occasions intéressantes s'ouvrent à la région, notamment à travers une coopération plus étroite au sein de l'UE dans les domaines préconisés par la nouvelle cellule spéciale de la Commission européenne que sont notamment la recherche, l'innovation et le transfert de connaissance, mais aussi à travers le développement des relations économiques avec la zone euro.

    6.7   Impact sur l'insertion sociale

    6.7.1   L'insertion sociale reste un principe fondamental et général de l'approche de l'UE à l'égard de la consolidation de la paix et les recherches sur ce thème confirment que le programme PEACE a soutenu des groupes qui n'avaient pas été pris en compte auparavant ou qui ne recevaient qu'un soutien minimal. Il a également favorisé l'intégration de groupe ethniques minoritaires, la confiance et la consolidation des capacités ainsi que le renforcement de la société civile au niveau local, et a permis l'implication de personnes autrefois exclues.

    6.7.2   En touchant plus de la moitié des habitants de la région, en tant que participants au projet, le programme PEACE a amené l'UE au contact des citoyens à travers ce qui a été décrit comme «un engagement de terrain sans précédent». Il a visé, renforcé et soutenu les membres de la société civile qui s'étaient engagés en faveur du changement dans des structures associatives au sein de leurs communautés. Cette reconnaissance a constitué un mécanisme important de renforcement de la confiance.

    6.7.3   Des méthodes de financement innovantes ont en outre été employées, faisant intervenir par exemple les organes de financement intermédiaires et les partenariats de district, qui devinrent ensuite les partenariats stratégiques locaux, pour mener une action de terrain et atteindre des zones que nombre d'autres initiatives d'insertion n'avaient pas pu toucher. La délégation des décisions financières à ces organisations locales a contribué à renforcer les capacités et a garanti l'implication des acteurs du terrain dans la conception et la réalisation des programmes.

    6.7.4   L'approche de l'UE s'est également distinguée par le recours au modèle de partenariat social européen dans le cadre des programmes PEACE. Des représentants des entreprises, des syndicats et du secteur associatif, ainsi que des «activités diverses» ont été consultés et associés au processus. Bien que ce principe continue à jouer un rôle central, nombre des structures de partenariat initialement constituées n'ont pas été maintenues. C'est un problème, car le rassemblement de partenaires sociaux et de responsables politiques dans le cadre de la prise de décisions faisait et devrait continuer à faire partie intégrante du processus de paix.

    6.7.5   Il est reconnu qu'un grand nombre d'habitants des zones les plus divisées et les plus défavorisées ont bénéficié des financements des programmes PEACE et INTERREG de l'UE ainsi que du FII, et les consultations montrent que le rôle joué par l'UE en la matière est très apprécié.

    6.8   Impact sur la paix et la réconciliation

    6.8.1   Pour ce qui est de la consolidation de la paix, l'intervention de l'UE a contribué à maintenir la dynamique du processus de paix et l'élan en faveur de la stabilité politique. Elle a également permis aux communautés de se sentir investies d'un rôle au niveau local dans des périodes d'incertitude politique. Mais les éléments rassemblés lors des consultations du CESE avec les acteurs concernés appuient largement la conclusion selon laquelle l'UE et ses programmes de financements ont contribué à la création d'une paix qui l'emporte aujourd'hui.

    6.8.2   En termes de processus long de réconciliation entre communautés, l'on peut citer différents exemples de l'impact positif que la coopération et un contact fondés sur une approche «ascendante» ont eu au niveau local selon un principe transcommunautaire et transfrontalier. Les programmes PEACE et le FII ont permis des avancées significatives s'agissant d'inciter différents segments de la communauté à instaurer des contacts entre eux. Bien que ces contacts aient conduit à l'émergence croissante d'une compréhension et d'une confiance mutuelles dans certains domaines, leur impact n'est pas encore suffisant pour permettre de venir à bout de la suspicion et la méfiance dans d'autres.

    6.8.3   La décision d'ajuster les programmes de financement de l'Union pour les cibler davantage sur la réconciliation entre communautés a donc rencontré un soutien général. Ceci devrait aider à amener les communautés à un niveau où les personnes qui vivent derrière des murs ont atteint un degré suffisant de confiance en eux-mêmes, à l'aise dans leurs relations avec les autres, et par dessus tout, en sécurité dans cette situation pour pouvoir vivre sans les murs qui les séparent. Mais cette décision doit venir d'eux. L'aide à la construction de capacité dans des domaines «d'identité unique» a été considérée comme un moyen d'y parvenir. Toutefois, ce processus peut avoir des inconvénients, en ce qu'il pourrait contribuer à la séparation en aidant des catégories à s'occuper de leurs membres. Etant donné que certains sont mieux préparés que d'autres à faire usage de ces financements, celui-ci pourrait également mener dans un sens à une inégalité de traitement entre différents groupes au sein de la société.

    6.8.4   Les progrès en direction d'une «société partagée» ont toutefois été également limités. Un rapport récent souligne le coût élevé de la ségrégation, qui résulte principalement de la nécessité de dupliquer les services pour répondre aux demandes des communautés catholique et protestante qui vivent de manière séparée. La ségrégation des services publics, qui sert uniquement à répondre aux craintes et à l'insécurité de la communauté, ne fait que renforcer les dépenses publiques dans des domaines comme le logement, la santé, les infrastructures de loisirs et de sport. Dans le domaine de l'éducation, seulement 6 % des enfants fréquentent des écoles qui pratiquent une approche véritablement intégrée catholique/protestante.

    6.8.5   La stabilité et la prospérité se renforcent mutuellement et à travers ses programmes de financement, l'UE a contribué à agir sur les conditions sociales et économiques qui découlaient du conflit, mais qui l'alimentaient également. Elle n'a cependant jamais été en mesure de s'attaquer aux causes profondes, politiques ou constitutionnelles, de ce dernier. Elle pouvait simplement jouer un rôle de facilitateur à cette fin et montrer l'exemple à suivre.

    Bruxelles, le 23 octobre 2008.

    Le Président

    du Comité économique et social européen

    Mario SEPI


    (1)  Avis du CES sur le projet de note à l'attention des États membres - Orientations pour une initiative dans le cadre du programme d'aide spéciale en faveur de la paix et de la réconciliation en Irlande du Nord et dans les comtés limitrophes de l'Irlande, COM (1995) 279 final, JO C 155 du 21 juin 1995 et JO C 236 du 11 septembre 1995.


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