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Document 52008AE1515

Avis du Comité économique et social européen sur la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur les contenus créatifs en ligne dans le marché unique COM(2007) 836 final

JO C 77 du 31.3.2009, p. 63–68 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

31.3.2009   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 77/63


Avis du Comité économique et social européen sur la «Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur les contenus créatifs en ligne dans le marché unique»

COM(2007) 836 final

(2009/C 77/16)

Le 3 janvier 2008, la Commission européenne a décidé, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur la

«Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur les contenus créatifs en ligne dans le marché unique».

La section spécialisée «Transports, énergie, infrastructures, société de l'information», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 16 juillet 2008 (rapporteur: M. RETUREAU).

Lors de sa 447e session plénière des 17 et 18 septembre 2008 (séance du 18 septembre 2008), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 115 voix pour, 1 voix contre et 5 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1   Droit des consommateurs

1.1.1

Le CESE est partisan d'une forte protection des consommateurs. À cet égard, il attend avec intérêt l'élaboration du guide pour les consommateurs et les utilisateurs de services de la société de l'information.

1.1.2

Selon le CESE ce guide devrait aborder, au moins les aspects suivants:

la neutralité du réseau pour renforcer le choix des consommateurs;

la protection adéquate des données personnelles, ainsi qu'un niveau élevé de sécurité de l'environnement électronique;

la mise en œuvre de règles volontaires et de marques de confiance pour le commerce électronique;

l'applicabilité des droits des consommateurs dans l'environnement numérique, en spécifiant les droits d'accès, le service universel ainsi que la protection contre les pratiques commerciales déloyales;

l'instauration de paramètres de qualité pour les services en ligne;

la mise à disposition en ligne d'un formulaire simple à caractère européen pour notifier les actes frauduleux;

un système de résolution de conflits extrajudiciaire en ligne.

1.2   Interopérabilité

1.2.1

Le CESE souligne que l'interopérabilité constitue un facteur économique central. Il constate en outre que les normes ouvertes sont essentielles pour faciliter l'interopérabilité et contribuent à renforcer la sécurité et la fiabilité.

1.2.2

L'absence permanente d'interopérabilité limite les citoyens européens dans leur accès aux équipements, services et contenus. Cela les oblige à payer des prix plus élevés pour les équipements et limite, dans le même temps, le choix de ces équipements, les forçant à utiliser des passerelles, car certaines parties concernées profitent de différences techniques inutiles pour créer des marchés monopolistiques.

1.2.3

L'idée de DRM (1) euro-compatibles semble au Comité une fausse bonne idée, qui pose plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait, et qui pourrait exclure certains créateurs de la diffusion en ligne; de plus, le marché des contenus est mondial, comme le montre le zonage, qui limite les libertés des utilisateurs.

1.3

Le Comité estime que la taxation plus ou moins anarchique de toutes les variétés de supports numériques ou de machines à mémoire, et avec de grandes différences entre pays membres, conduit à des distorsions importantes de marché.

1.4

Les mesures pénales et les procédures d'exception mises en œuvre dans le projet de loi «Olivennes» en France vont bien au-delà des exigences de l'OMC contenues dans l'accord signé en 1994 à Marrakech. Comme la Cour de justice l'a indiqué dans l'arrêt Pro Musicae, le principe de proportionnalité doit être respecté dans le choix des moyens à utiliser pour faire respecter le droit d'auteur, et il s'agit de trouver un équilibre satisfaisant entre les droits et libertés et les intérêts en cause.

1.5

C'est la raison pour laquelle, le CESE attend avec intérêt la recommandation que la Commission a prévu d'élaborer sur les contenus créatifs en ligne, pour se prononcer concrètement sur la transparence (étiquetage) et sur des formes nouvelles de fixation et de gestion des droits numériques à l'échelle européenne; l'incitation et la contribution à des régimes innovants pour la diffusion des contenus créatifs en ligne, ainsi que la recherche des moyens effectifs pour mettre fin aux copies illégales à des fins commerciales et à toute autre forme de spoliation des créateurs.

2.   Proposition de la Commission

2.1

Les aspects majeurs de la communication et des questions de la Commission visent à:

réguler et harmoniser un marché européen des contenus créatifs en ligne;

un droit d'auteur et des droits voisins européens; des licences multi-territoriales; une meilleure protection des droits relatifs à la propriété littéraire et artistique;

des DRM européens, en fonction des supports, et interopérables, en particulier sur les contenus en ligne;

assurer la sécurité des communications et des règlements financiers, lutter contre le piratage et les escroqueries, afin de renforcer la confiance dans l'économie numérique et permettre le développement des services en ligne;

le plus gros problème à venir concernera sans nul doute les questions relatives à la copie privée, au centre de nombreuses polémiques en Europe. Car les différents membres de l'Union sont loin d'avoir une législation harmonisée sur la question.

2.2

Selon le document de travail des services de la Commission, publié séparément de la Communication et uniquement en langue anglaise (2), de 41 pages, compte tenu du caractère transfrontalier des communications en ligne et des nouveaux modèles commerciaux exigés par les nouvelles technologies, les politiques de l'Union devraient viser la promotion et la diffusion rapide de ces nouveaux modèles pour diffuser en ligne les contenus et savoirs. Les «contenus créatifs distribués en ligne» sont des contenus et services tels que les media audiovisuels en ligne (film, télévision, musique, radio), les jeux en ligne, la publication en ligne, les contenus éducatifs en ligne, ainsi que les contenus générés par les usagers (réseaux sociaux, blogs, etc.).

2.3

L'objectif premier, déjà affirmé dans i2010 (3), est de constituer un espace unique européen de l'information. Les problèmes rencontrés persistent alors que les plateformes technologiques de diffusion se diversifient et se déploient.

2.4

En ce qui concerne le problème de la confiance dans l'économie numérique, une question récurrente est celle de l'interopérabilité entre les matériels, les services et les plateformes, et certains estiment que la criminalisation des échangeurs de fichiers «peer to peer» (P2P) ou «Bit Torrent» et des régimes draconiens des droits de propriété intellectuelle ne créent pas un climat de confiance, d'autant qu'avec l'explosion des contenus créés par les usagers qui ajoute une nouvelle dimension à leur rôle dans l'économie numérique, un certain nombre de défis en résultent envers les politiques publiques, dans de multiples domaines, tels que la confiance et la sécurité.

2.5

L'usage des DRM est fortement critiqué par les organisations de consommateurs, qui considèrent qu'ils portent atteinte aux droits essentiels des consommateurs. Ils comportent aussi des risques pour la protection des données, et ne sont pas faciles à gérer pour les utilisateurs. Mais certains représentants de l'industrie les défendent et soutiennent que les problèmes d'interopérabilité viennent des fabricants de matériel et des concepteurs de logiciels.

2.6

Sur le marché mondial, les opérateurs de marchés nationaux font face à la diversité des langues et à l'étroitesse de certains marchés ainsi qu'à la diversité des règles nationales concernant les licences. Les FAI soutiennent les licences et les règlements multiterritoriaux, mais on est plutôt défavorable à cela dans d'autres secteurs de l'industrie. Les licences nationales permettraient une meilleure rémunération des auteurs; néanmoins un nombre important d'institutions de collecte des droits agissent dans plusieurs pays. En outre, les organisations musicales et les opérateurs mobiles veulent une simplification du recouvrement des droits.

2.7

Les FAI critiquent aussi la diversité des régimes de collecte et de montants des droits pour copie privée, de plus en plus lourds et complexes, et contestent leur utilité face à l'usage des DRM.

2.8

L'absence de disponibilité des contenus pour la distribution en ligne et la fragmentation du marché, ainsi que la diversité des contrats conclus pour diverses formes d'exploitation marginalisent la mise en ligne rapide des créations et constituent un frein sérieux au développement des services.

2.9

Le document de travail de la Commission reflète les résultats de deux consultations et montre la variété des positions des différents intérêts en cause; la Commission souhaiterait pourtant avancer sur les terrains (contestés) des licences multiterritoriales et d'un droit d'auteur européen, de la généralisation de DRM interopérables en particulier, et voir se constituer un véritable marché européen intégrant la diversité des cultures.

2.10

L'objectif est de faire en sorte que le marché européen du contenu en ligne (musique, film, jeux …) quadruple d'ici à 2010, pour passer de 1,8 milliard d'euros de revenus en 2005 à 8,3 milliards.

3.   Observations

3.1

Le Comité est pleinement conscient du fait que l'internet permet de collecter ou de distribuer sous forme numérique des biens et des services selon des méthodes qui violent le droit de propriété immatérielle des auteurs et distributeurs de contenus créatifs en ligne, ainsi que des attaques contre la vie privée, ou de nouvelles formes d'escroquerie contre les entreprises et les particuliers.

3.2

Les créations les plus mises en circulation de manière illégale sont les œuvres musicales contemporaines et, de plus en plus, les œuvres audiovisuelles, ainsi que les logiciels de toute nature. Le phénomène a pris une très grande ampleur durant la période où aucun modèle commercial prenant en considération les possibilités nouvelles d'enfreindre les droits de propriété immatériels n'a été proposé par les distributeurs. Il fallait aussi une pédagogie de l'usage de l'internet chez les adolescent(e)s dont aucune institution n'a pris l'initiative, et qui reste tout à fait insuffisante.

3.3

Les premières réactions ont été parfois extrêmes mais aussi, bien que plus rarement, laxistes. En général, les distributeurs ont mis en place des dispositifs contre la copie (les soi-disant «DRM») simultanément avec l'exigence de compensations financières pour les titulaires de droits et de mesures pénales extrêmement dissuasives, mais en pratique inapplicables compte tenu de la dimension de la fraude, sauf dans des cas de contrefaçons massives venues principalement de l'est de l'Europe et d'Asie. Quelques personnes ont été prises en faute afin de servir d'exemple dissuasif sans que l'on puisse mesurer la réalité de la dissuasion en l'absence d'enquêtes indépendantes et de chiffres réalistes sur les montants des pertes causées par les contrefaçons.

3.4

Mais le Comité exprime une certaine surprise devant la proposition de la Commission de créer des DRM «européens» et interopérables sur les contenus diffusés en ligne. En effet, en ce qui concerne la musique, des millions de titres sont déjà accessibles sur des sites commerciaux sans DRM; la tendance est à leur disparition progressive. Les firmes de distribution sont en train de mettre au point différents systèmes de distribution de cette catégorie de contenus, y compris des possibilités d'audition directe sans enregistrement ou d'abonnement spécial permettant de charger un certain nombre d'œuvres, la gratuité accompagnée de publicité «obligatoire», etc.

3.5

Les protections matérielles sur des supports mobiles, voire des terminaux, sont désormais vues plutôt comme des obstacles au «fair use» que comme des protections efficaces contre les pirates; elles peuvent aussi conduire à une intégration verticale (sites, codage propriétaire avec plus ou moins de perte de qualité, lecteurs dédiés: système de distribution Apple avec codage AAC et lecteur iPod ou iPhone) qui constitue un système anti-concurrentiel. Une protection fréquente, en particulier en ce qui concerne les logiciels ou les jeux, ou certaines publications en ligne, est fondée sur une clé numérique de déblocage de l'accès, adressée à l'acheteur après règlement de son achat à l'unité ou de son abonnement pour une certaine durée: ce système est assez efficace, et déjà largement répandu.

3.6

Les DRM numériques intégrés interopérables apparaissent au Comité comme des systèmes dépassés en pratique; sans doute serait-il préférable de bien observer les évolutions dans les différents secteurs du marché des contenus en ligne, qui semblent aller dans une direction favorable pour la protection des droits d'auteur et droits voisins, sur la base notamment de codes de conduite appropriés et de modèles commerciaux réalistes (4), plutôt que de figer par une initiative européenne, une situation transitoire et qui se modifie rapidement.

3.7

En ce qui concerne le droit d'auteur et les droits voisins, les accords et conventions internationaux existants constituent une base juridique en principe commune tant pour les États membres que dans les relations avec les pays tiers. Mais en pratique, des différences subsistent, en dépit du droit communautaire. Aussi, la proposition d'un «droit d'auteur européen» pour le marché intérieur rendrait la protection automatique dans tous les pays membres dès lors que ces droits sont reconnus dans l'un d'entre eux, et garantirait une protection uniforme.

3.8

À l'ère de l'internet et de la société de la connaissance, il est indispensable de trouver un véritable équilibre entre l'intérêt général et les intérêts privés. Les auteurs et distributeurs doivent être rémunérés équitablement. Les lecteurs ou auditeurs et usagers doivent pouvoir utiliser raisonnablement les contenus légalement acquis, dans un cadre privé, dans le domaine de la lecture publique ou dans l'enseignement dispensé aux différents niveaux des institutions éducatives.

3.9

Force est de constater l'existence d'un droit pénal rigoureux, protecteur du droit d'auteur et prévoyant à l'égard des particuliers qui n'en font pas commerce des sanctions exorbitantes dans divers pays, alors que les droits d'usage et de copie privés ont été restreints; par contre, les méthodes policières imposées aux fournisseurs d'accès à l'internet, qui peuvent s'avérer utiles pour la lutte antiterroriste paraissent disproportionnées et susceptibles de porter atteinte au droit à la vie privée dans un cadre judiciaire unilatéralement favorable aux distributeurs. Il est possible que ce type de législations soit finalement remis en cause devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, qui veille au respect de la vie privée. La Cour de Luxembourg pour sa part appelle au respect des principes de proportionnalité et à la recherche d'un équilibre entre les divers droits en présence (arrêt Pro Musicae).

3.10

En outre, des pays, souvent les mêmes, lèvent une taxe sur tous les types de supports numériques, en les considérant comme outils de piratage quels que soient les usages auxquels ils sont destinés. Bien que cette taxe soit souvent qualifiée de «taxe pour copie privée», elle génère en fait des revenus considérables dont la répartition est parfois loin d'être transparente. Cette approche assimilant toute copie privée ou de «fair use» à une violation des droits d'auteur et voisins est particulièrement insupportable pour les utilisateurs honnêtes des TIC, c'est à dire une très forte majorité, et pour les entreprises qui les utilisent à d'autres fins que la copie de chansonnettes ou de jeux. Au moins de tels prélèvements devraient-ils être modérés, et proportionnels au coût effectif du stockage des unités numériques (pourcentage du prix de vente du support divisé par la capacité en nombre de total de Go, par exemple, car on constate des distorsions considérables selon les supports.

3.11

Les droits des différentes parties prenantes doivent être respectés, mais dans le respect des directives en vigueur et selon le principe de proportionnalité, comme la Cour de justice l'a clairement exprimé dans son arrêt «Pro Musicae» (5).

4.   Observations complémentaires du Comité

4.1

Le Comité partage l'opinion selon laquelle l'interopérabilité, indispensable à la libre concurrence, peut uniquement être atteinte lorsque le consommateur peut utiliser le dispositif de son choix pour lire ses œuvres. La seule solution est pour cela que les œuvres soient encodées dans des standards ouverts, accessibles à tous. Or, tout système de DRM interdit par défaut la lecture d'une œuvre à tout dispositif, matériel ou logiciel, qui n'a pas été explicitement autorisé par l'éditeur du DRM. Par définition les DRM reposent sur le secret de leurs formats fermés dont les spécifications techniques ne sont pas accessibles publiquement. Les systèmes non autorisés et non certifiés par l'éditeur du DRM sont donc exclus de toute concurrence. Il n'existe d'ailleurs aucun DRM à ce jour reposant sur des standards ouverts. Cette solution impliquerait la mise en place de systèmes complexes de licences croisées, et certains créateurs pourraient se trouver exclus du marché du fait, par exemple, qu'ils n'utilisent pas de DRM. Tout un secteur de la création numérique, comprenant les instituts scientifiques et les centres de recherche, les universités, le logiciel libre, les créations sous des licences alternatives, pourrait être exclus du marché qui n'admettrait que des contenus commerciaux, ce qui paraît incompatible avec la société de l'information et de la connaissance à l'avant garde de laquelle l'Europe veut se placer.

4.2

Aucune de ces hypothèses n'est satisfaisante, par exemple pour l'importation des œuvres et contenus en provenance des pays tiers vers l'Europe et pour l'exportation en dehors de notre continent. Le ou les DRM logiciels européens devraient alors aussi être compatibles avec ceux des marchés extérieurs, beaucoup plus actifs souvent en matière audiovisuelle. Les DRM constituent une porte ouverte aux attitudes anticoncurrentielles et aux tentatives d'intégration verticale dans le secteur multimédia. Le cas de iTunes d'Apple qui utilise un DRM et un encodage propriétaires obligeant en pratique à utiliser un lecteur de type iPod ou iPhone illustre ce problème.

4.3

En ne dévoilant que les API (application programmer's interface) d'un DRM logiciel, et non la totalité du programme source, ce qui pourrait être une tentation assez forte chez certains fournisseurs, on courra toujours le risque de ne pas permettre une réelle interopérabilité.

4.4

Les pirates parviennent très rapidement à contourner ou reproduire l'équivalent de n'importe quel système de protection; au point que les fournisseurs de contenus n'ont plus confiance dans les DRM et sont à la recherche de nouveaux modèles commerciaux de diffusion, comme l'abonnement forfaitaire, l'écoute libre mais l'obtention de l'œuvre contre paiement, l'inclusion de publicité, etc. Il faudrait faire confiance au marché plutôt que de légiférer dans la hâte et la confusion, comme dans le cas français, où les textes se succèdent et donnent lieu à des jurisprudences contradictoires. La pression des lobbies des «majors» (cinq majors mondiales dominent la musique-chanson, six ou sept l'audiovisuel) a jusqu'ici été déterminante pour conduire certains pays à l'abandon du droit à la copie privée et à la criminalisation de l'échange de fichiers entre particuliers. Le dernier projet de loi français s'enlise dans cette voie sans issue de l'exagération répressive.

4.5

Comme le Comité l'a soutenu dans ses avis antérieurs, le droit pénal ne devrait s'appliquer qu'aux contrefaçons à but commercial (production et distribution, parfois par des maffias); dans certains pays membres, il est très facile, y compris sur des marchés ouverts, d'obtenir des contrefaçons de logiciels ou d'enregistrements musicaux et audiovisuels; une production européenne de contrefaçons existe, mais l'essentiel des copies proviennent d'Asie. C'est cette contrefaçon massive et à but commercial qu'il faudrait viser et sanctionner en priorité, de même que développer une coopération policière et judiciaire pour démanteler les réseaux criminels internationaux.

4.6

Vis-à-vis des échanges, en particulier entre adolescents, l'information sur la nécessité pour les auteurs et producteurs d'être équitablement rémunérés pour leur travail (surtout les auteurs qui souvent sont réduits à une portion congrue des droits perçus), l'éducation civique, sont à développer en priorité.

4.7

Tous les échanges massifs de fichiers ne sont pas nécessairement des échanges de fichiers protégés par des droits immatériels pécuniaires. Il peut s'agir d'échanges et publications gratuites de contenus divers (résultats d'expériences et travaux scientifiques, œuvres soumises à des licences non restrictives en ce qui concerne la copie ou la diffusion).

4.8

Cependant, c'est tout le réseau qui doit, selon le projet de loi en examen en France, faire l'objet d'une surveillance et de conservation sur une longue durée des données personnelles des internautes. Ces données devraient être ouvertes aux représentants des «majors», alors que si un tel système était mis en place, seules des autorités publiques munies d'un mandat judiciaire devraient pouvoir accéder à de telles données.

4.9

Le droit de copie privée devient une exception, soumise à de fortes restrictions, dans les «contrats» élaborés par les fournisseurs de contenus, en termes difficiles à comprendre, et qui sont contradictoires avec des achats d'impulsion, de mode souvent, de la part des consommateurs.

4.10

Si les auteurs et distributeurs professionnels sont en pratique les seuls à bénéficier d'une telle protection excessive de la loi, les producteurs individuels de contenus, ou les artistes encore inconnus du grand public, les utilisateurs de licences alternatives (GPL, LGPL, creative commons, etc. — une cinquantaine de variétés, environ) ne font pour leur part l'objet d'aucune protection spécifique, bien que ces licences soient régies par le droit d'auteur et ne soient pas obligatoirement gratuites; il leur faudra, eux, passer par le préalable d'un juge pour établir une plainte en contrefaçon, ce qui créerait une inégalité profonde devant la loi entre grands diffuseurs transnationaux et petites entreprises ou particuliers.

4.11

En fait, le Comité estime que la législation doit assurer la protection des consommateurs de bonne foi comme socle fondamental, ainsi que la juste rémunération des auteurs pour leur travail.

4.12

Les dispositions restrictives de l'usage d'une licence légalement acquise et l'accès aux données personnelles par des représentants des «majors» vont à l'encontre des buts poursuivis, car les contrefacteurs «commerciaux» sauront surmonter tous les obstacles techniques et dissimuler leurs traces sur le réseau, et ne seront de fait accessibles au contrôle que des échanges légaux ou illégaux de données par des internautes sans but commercial, même si un nombre important de ces échanges sont illégaux et doivent être combattus par des moyens appropriés à leur caractère de masse. Quelques condamnations «pour l'exemple» et la publicité qui en est faite pour «décourager» certains internautes ne suffiront pas à régler le problème, car les chances d'être pris sont statistiquement très minimes et n'inquiéteront pas, par exemple, des adolescents qui n'ont pas conscience des préjudices qu'ils causent à leurs auteurs préférés.

4.13

La conservation des données personnelles de tous les internautes par les FAI pour une longue durée constitue en soi une grave intrusion dans la vie privée des internautes; est-elle absolument nécessaire pour faire respecter le droit d'auteur et les droits voisins, ou ne serait-elle pas disproportionnée par rapport au but à atteindre? Ces derniers sont-ils des droits si absolus qu'ils exigeraient une atteinte permanente à la vie privée de tous les usagers d'internet?

4.14

Ces données conservées peuvent éventuellement servir à la lutte antiterroriste, mais en tout état de cause les internautes doivent bénéficier de garanties légales quant à la confidentialité de leurs connexions, qui peuvent cependant être levées dans un but d'intérêt général prédominant, par une autorité publique munie d'un mandat régulier et dans un but précis limité par les énonciations du mandat judiciaire.

4.15

Certains usages des données peuvent être autorisés de manière générale, à des fins de connaissance et d'analyse, sous certaines conditions, en particulier d'anonymisation des données. Par contre, il faudrait prohiber le croisement des fichiers nominatifs, le recueil de données nominatives à des fins de «profilage» dans un but d'efficacité publicitaire et leur conservation et croisement avec la liste des mots-clés utilisés dans les moteurs de recherche et autres pratiques déjà en usage, au profit notamment des «majors» et d'autres grandes sociétés, de telles pratiques portant aussi atteinte à la vie privée des citoyens.

4.16

Des taxes sont prélevées dans de nombreux pays sur tous les supports d'information, fixes ou mobiles, au bénéfice exclusif des titulaires de droits (surtout sur les contenus audio-visuels) y compris sur des supports non destinés à de tels usages; ce système considère tout usager d'un support numérique quelconque comme un pirate potentiel. Certaines catégories d'utilisateurs devraient être exonérées, notamment les entreprises. Par contre, les fournisseurs d'accès haut débit qui ont développé leurs réseaux sur l'usage illégal qui pouvait en être fait dans certains cas, pourraient être taxés à un taux assez bas mais lié à l'intensité du trafic entre particuliers afin de contribuer aux organismes de collecte des droits d'auteur et à la promotion de nouveaux contenus, mais les états ne devraient pas détourner à leur profit tout ou partie de ces taxes, hors des frais de collecte et de redistribution.

4.17

Les exemples de gestion des droits offerts par des pays scandinaves, en particulier la Suède, devraient être suivis plutôt que les législations et projets successifs français qui sont déséquilibrés et peu convaincants en ce qui concerne les aides aux jeunes créateurs de contenus et aux petites et moyennes entreprises.

4.18

Après une période de garantie de droits exclusifs d'une durée raisonnable, un système global pourrait prendre le relai, comme en Suède.

4.19

Lors de l'examen du projet de directive concernant la protection des «droits de propriété intellectuelle» (PI-PLA: Propriété industrielle, propriété littéraire et artistiques et autres droits voisins ou ad hoc reconnus et protégés dans l'Union), le Comité appelait déjà à une approche ferme mais mesurée de la lutte contre la contrefaçon à des fins mercantiles.

4.20

L'OMC de son côté mettait en garde, dans l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) contre d'éventuels abus de la part des propriétaires de droits, qui pourraient restreindre la concurrence ou ne pas être conformes à l'intérêt général.

4.21

«Objectifs: la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle devraient contribuer à la promotion de l'innovation technologique et au transfert et à la diffusion de technologie, à l'avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent les connaissances techniques et d'une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d'obligations».

4.22

Principes: … 2. Des mesures appropriées, pourvu qu'elles soient compatibles avec les dispositions du présent accord, pourront être nécessaires afin d'éviter l'usage abusif des droits de propriété intellectuelle par les détenteurs de droits ou le recours à des pratiques qui restreignent de manière déraisonnable le commerce ou sont préjudiciables au transfert international de technologie.

4.23

Les remarques précédentes du Comité, déjà contenues dans son avis du 29 octobre 2003 (6) sur la «Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle», sont notamment conformes aux objectifs des ADPIC (article 7), et à leurs principes (article 8 paragraphe 2), qui devraient figurer dans les considérants de la directive, car les sanctions éventuelles ne peuvent être entièrement détachées du droit matériel, ni s'abstenir de considérer les possibles abus de droit de la part des titulaires de droits de PI-PLA (7).

Bruxelles, le 18 septembre 2008.

Le Président

du Comité économique et social européen

Dimitris DIMITRIADIS


(1)  Digital Rights Management — Gestion des droits numériques (expression «politiquement correcte» pour signifier: dispositifs logiciels ou techniques empêchant la copie).

(2)  COM(2007) 836 final, Bruxelles, 3.1.2008 SEC(2007) 1710 Document de travail des services de la Commission.

(3)  «i2010 — Une société de l'information pour la croissance et l'emploi» (COM(2005) 229 final).

(4)  Le fait de vendre la musique sur internet au même prix que des CD vendus en magasin constitue une rente excessive pour les distributeurs, ce qui n'encourage pas la recherche de modèles réalistes tenant compte du prix de revient réel et d'un bénéfice commercial non disproportionné.

(5)  ARRÊT DE LA COUR (grande chambre) 29 janvier 2008.

Dans l'affaire C-275/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle

…, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

«Les directives 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (“directive sur le commerce électronique”), 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), n'imposent pas aux États membres de prévoir, dans une situation telle que celle de l'affaire au principal, l'obligation de communiquer des données à caractère personnel en vue d'assurer la protection effective du droit d'auteur dans le cadre d'une procédure civile. Toutefois, le droit communautaire exige desdits États que, lors de la transposition de ces directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d'assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l'ordre juridique communautaire. Ensuite, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d'interpréter leur droit national d'une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité.»

(6)  JO C 32 du 5.2.2004, p. 15.

(7)  L'«accord ADPIC», qui constitue l'annexe 1 C de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), est intitulé «Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle». Sous cette partie figure l'article 41, paragraphe 1 qui prévoit: «Les membres feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle telles que celles qui sont énoncées dans la présente partie, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord, y compris des mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure. Ces procédures seront appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif …».


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