Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 52008IE1216

Avis du Comité économique et social européen sur Les raisons de la différence entre inflation perçue et inflation réelle

JO C 27 du 3.2.2009, p. 129–139 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

3.2.2009   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 27/129


Avis du Comité économique et social européen sur «Les raisons de la différence entre inflation perçue et inflation réelle»

(2009/C 27/27)

Le 17 janvier 2008, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l'article 29 paragraphe 2, de son règlement intérieur, d'élaborer un avis d'initiative sur le thème:

«Les raisons de la différence entre inflation perçue et inflation réelle».

La section spécialisée «Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 3 juin 2008 (rapporteur: O. DERRUINE).

Lors de sa 446e session plénière des 9 et 10 juillet 2008 (séance du 9 juillet 2008), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 125 voix pour et 2 abstentions.

1.   Recommandations

1.1

Comme déjà recommandé antérieurement par le Comité, «les statistiques relatives aux salaires (voire aux revenus) devraient au moins être déclinées par quintiles afin de mieux évaluer l'impact de la politique salariale sur la stabilité des prix (1)». Le paragraphe 4.3.3 montre les différences dans les profils de consommation selon le niveau des revenus. À cela, s'ajoute le fait que la propension marginale à consommer varie également si bien qu'il est important de pouvoir identifier quelle classe de revenus profite de quelle augmentation salariale (en %). Sans cela, la politique monétaire pourrait réagir de manière inopportune aux augmentations salariales et de revenus.

1.1.1

De manière complémentaire et à l'instar de l'exercice effectué par la Banque Nationale de Belgique (2), il serait judicieux que la Commission européenne et/ou la Banque centrale européenne publie au moins une fois par an l'impact de l'inflation sur le pouvoir d'achat des ménages en fonction de leur niveau de revenus.

1.1.2

En ce qui concerne les îles européennes, il est nécessaire que toutes disposent au niveau local de services statistiques et d'indice des prix de manière à mesurer objectivement le surcoût imposé par leur insularité. Une méthodologie commune d'évaluation devrait émerger entre leurs services statistiques afin d'y parvenir.

1.2

De même, les États membres et Eurostat devraient être invités à exploiter mieux les relevés des prix qu'ils effectuent afin de produire des indices détaillés distinguant l'évolution des prix par catégorie de circuits de distribution et par catégorie de produits distingués selon leur gamme (produits bas de gamme, gamme moyenne, gamme supérieure). On peut en effet craindre que les produits — en particulier alimentaires — «bas de gamme» aient vu leur prix augmenter plus encore. En outre, une comparaison internationale des données de prix récoltés par les institutions chargés du calcul de l'inflation pourrait contribuer à répondre aux questions posées au point 1.4. Le CESE se demande également s'il ne serait pas pertinent de se pencher sur un indice des prix pour les personnes âgées.

1.3

Le Comité souhaite que les réflexions entamées aujourd'hui sous l'égide d'Eurostat pour proposer des méthodologies rigoureuses pour intégrer les évolutions du coût du logement dans la mesure de l'inflation aboutissent rapidement et soient accompagnées de propositions opérationnelles à soumettre aux partenaires sociaux et économiques concernés. De manière générale, le Comité demande d'être associé aux révisions méthodologiques de l'IPCH menées par Eurostat.

1.4

La Commission européenne devrait étudier l'évolution simultanée des indices des prix à la consommation, production et importation car il est surprenant que le prix à l'importation de certains témoins ait fortement diminué mais que cela ne soit pas ressenti par le consommateur final. Il ne serait pas acceptable qu'ils se laissent surfacturés parce qu'ils ignorent certaines informations capitales. Cela ne pourrait que se répercuter sur la monnaie unique qui souffrirait d'un discrédit à laquelle elle ne peut rien.

1.5

Conscient des difficultés rencontrées par Eurostat pour collecter les données, le Comité s'interroge toutefois s'il ne serait pas possible de publier plus rapidement les données relatives aux dépenses de consommation des ménages privés. Le délai actuel est de l'ordre de trois années (ainsi, les données de 2005 n'ont été communiquées qu'en 2008!!!). Certaines données (celles portant sur la répartition du revenu notamment) ne sont plus mises à jour depuis 2001. Aussi, on peut se demander si au vu des évolutions sociétales, il ne conviendrait pas de raccourcir le rythme de conduite des enquêtes (une enquête tous les six ans).

1.6

Enfin, le CESE recommande de soutenir les institutions publiques et les organisations non gouvernementales qui contribuent à éclairer les consommateurs et à les aider dans des choix qui deviennent de plus en plus difficiles à déchiffrer, tant les techniques de marketing et les offres groupées se sophistiquent.

2.   Introduction

2.1

Depuis son lancement (fixation des parités en 1999, circulation des pièces et billets en 2002 pour les premiers membres de l'UEM), la monnaie unique a fait l'objet de toutes les critiques possibles: si dans un premier temps, la dépréciation de l'euro par rapport aux grandes devises internationales a suscité certaines moqueries, son envolée au cours des trois dernières années a suscité des craintes en ce qui concerne la compétitivité extérieure des entreprises européennes. Certains gouvernements ont d'ailleurs alimenté ce sentiment afin de dissimuler leurs propres erreurs de politiques économiques. Une frange — certes très minoritaire — a même pointé du doigt la monnaie unique comme facteur expliquant au moins partiellement l'absence de convergence réelle des pays de la zone euro ce qui a pu les amener à considérer le retrait de leur pays de la zone euro.

2.2

Les statistiques relatives à l'Indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) indiquent que l'inflation a considérablement chuté durant la troisième phase de préparation de l'UEM et qu'elle s'est maintenu à un niveau historiquement bas depuis, probablement parce qu'une comparaison plus facile des prix a stimulé la concurrence et limité les hausses de prix. Pourtant, une large majorité d'Européens estiment que l'euro porte la responsabilité des difficultés que traversent leur économie nationale et que le passage à la monnaie unique a créé des pressions inflationnistes qui ont rogné leur pouvoir d'achat. D'ailleurs, certains seraient favorables au retour au double affichage des prix, ce qui marquerait un retour en arrière dévastateur pour les partisans de l'intégration européenne. Il en résulte une méfiance à l'égard de l'euro et, au-delà, de l'Union Économique et Monétaire. Ainsi, en septembre 2002, 59 % des Européen(ne)s estimaient «globalement avantageuse» la monnaie unique contre 29 % de sceptiques (sondage Eurobaromètre, 2006). Quatre ans plus tard, l'enthousiasme suscité par un des plus grands projets politiques européens de ces 20 dernières années s'est plus qu'effrité, 81,4 % des citoyen(ne)s considérant que l'euro a entraîné une augmentation des prix.

2.3

Jusqu'à l'introduction de l'euro, l'évolution de la perception de l'inflation par les consommateurs correspondaient globalement à celle de l'IPCH. Cela n'a plus été le cas depuis 2002 et en 2003, le décalage a été le plus important avant de se résorber partiellement. À partir de 2006, l'écart s'est à nouveau approfondi. Depuis fin 2004, l'inflation perçue s'est stabilisée autour d'un niveau supérieur à celui enregistré en 2001.

Image

2.4

Dans la plupart des pays qui ont rejoint l'UE en 2004, l'inflation effective a augmenté au moment de l'adhésion — voire dès 2003 — suite au relèvement de la fiscalité indirecte et des prix administrés, des prix agricoles notamment. Elle est retombée dans un certain nombre de pays par la suite. Mais, l'inflation perçue a augmenté plus rapidement. La République tchèque est le seul pays où l'inflation perçue est inférieure à l'inflation réelle selon les données du début de 2008.

2.5

Si l'on considère le cas de la Slovénie qui est le premier de ces pays à avoir adopté la monnaie unique, on constate également que l'inflation perçue a bondi en 2007 lors du passage à l'euro fiduciaire et que ce saut a été «préparé» par des anticipations de hausses de prix au cours des deux années qui ont précédé cet événement.

Image

2.6

Ces questionnements sur la santé de l'euro contrastent avec l'appréciation que les pays y compris extra-européens s'en font: selon le FMI, la part de l'euro dans les réserves internationales a augmenté d'environ 18 % en 1999 à environ 25 % en 2004. Ce succès est encore plus grand dans les pays émergents. Aussi, le fait que 37 % de toutes les transactions de change mondiales et qu'entre 41 % et 63 % des importations/exportations soient libellées en euro atteste de sa réussite.

2.7

Cet avis d'initiative ambitionne de mieux expliquer le développement de l'inflation ainsi que les raisons de la différence persistant entre l'inflation perçue par le grand public et l'inflation réelle et de formuler le cas échéant quelques recommandations.

3.   Évolution des prix dans la zone euro et les trois pays qui n'en sont pas membre

3.1

Pour beaucoup d'Européen(ne)s, l'euro a suscité une hausse des prix. Mais si tel était le cas, alors l'inflation afficherait des profils différents selon que l'on observe les pays de la zone euro et les autres. Or, l'évolution des prix dans la zone euro a été similaire à celle des trois pays (Danemark, Royaume-Uni, Suède) qui à l'époque n'avaient pas la monnaie unique.

3.1.1

La matrice des corrélations indique dans quelle mesure les mouvements dans les prix sont similaires entre la zone euro et les trois autres pays d'une part, et entre chacun de ces pays. Les chiffres de chaque cellule varient entre 0 (absence de corrélation) et 1 (corrélation parfaite).

Matrice des corrélations, 2000-2002

 

Zone euro

Danemark

Suède

Royaume-Uni

Zone Euro

1,00

0,52

0,67

0,67

Danemark

 

1,00

0,35

0,47

Suède

 

 

1,00

0,47

Royaume-Uni

 

 

 

1,00

Matrice des corrélations, 2002-2004

 

Zone euro

Danemark

Suède

Royaume-Uni

Zone Euro

1,00

0,29

0,78

0,80

Danemark

 

1,00

0,34

0,40

Suède

 

 

1,00

0,75

Royaume-Uni

 

 

 

1,00

Source: Eurostat; calculs propres.

3.1.2

La corrélation entre les inflations de la zone euro et du Royaume-Uni et de la Suède s'est consolidée suite à l'entrée en vigueur de l'euro. Le contraire s'observe avec le Danemark. Cependant, on notera que la corrélation entre les prix danois et anglais s'estompe et que la corrélation avec les prix suédois reste stable mais plus faible.

3.1.3

Il est également frappant de constater qu'à l'exception du Danemark avec le Royaume-Uni, la corrélation de ces trois pays hors euro est plus forte avec la zone euro qu'entre eux!

3.2

Ceci démontre que les mouvements de prix à l'intérieur de la zone euro ne peuvent être imputés à l'euro puisque ils ont été similaires dans les pays qui n'ont pas adopté la monnaie unique.

3.3

Le tableau suivant reprend les 12 grandes catégories de biens et services (fonctions de la consommation individuelle des ménages) qui entrent en compte dans le calcul de l'ICPH, indique leur pondération respective et le rythme d'accélération des prix dans les deux années qui ont précédé/suivi l'euro. Force est de constater qu'à ce niveau, seules trois montrent une nette accélération du prix (boissons alcoolisées, tabac pour lesquelles la hausse peut s'expliquer par des accises plus élevées; la santé et les transports). Cela n'exclut pas qu'à un niveau plus désagrégé, une accélération ait été enregistrée (cf. les loyers dont les prix sont passés de + 1,5 % de hausse entre 2000 et 2002 à 2 % entre 2002 et 2004).

Zone euro

2000-2002

2002-2004

Accélération du prix

Pondération moyenne 2000-2004

cp00 Ensemble ICPH

2,31

1,99

 

 

cp01 Produits alimentaires et boissons non alcoolisées

4,47

1,50

Image

157,91

cp02 Boissons alcoolisées, tabac et narcotiques

3,11

5,42

Image

39,71

cp03 Articles d'habillement et articles chaussants

0,64

-0,09

Image

75,87

cp04 Logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles

2,81

2,19

Image

154,96

cp05 Ameublement, équipement ménager et entretien courant de la maison

1,68

1,12

Image

79,84

cp06 Santé

1,59

4,93

Image

36,04

cp07 Transports

1,49

2,51

Image

153,67

cp08 Communications

-5,07

-0,73

Image

28,23

cp09 Loisirs et culture

1,22

0,10

Image

98,10

cp10 Enseignement

3,46

3,49

Image

9,21

cp11 Hôtels, cafés et restaurants

3,69

3,23

Image

91,25

cp12 Autres biens et services

2,86

2,53

Image

75,25

Source: Eurostat; calculs propres.

4.   Raisons de la différence entre inflation perçue et observée

4.1   Explications socioéconomiques

4.1.1

L'introduction de l'euro a coïncidé avec les mois qui ont suivi le 11 septembre et qui ont baigné dans un climat d'insécurité globale, y compris économique. Cela a été renforcé par la dégradation de la conjoncture, période qui a fortement contrasté avec 1999 et 2000, années de croissance exceptionnelle.

4.1.2

L'un des principaux facteurs expliquant ce décalage persistant entre inflation perçue et observée tient à la combinaison de plusieurs facteurs: la fréquence d'achats des différents biens et services entrant dans le calcul de l'IPCH; l'évolution de leur prix respectif; l'importance que leur accordent les consommateurs.

4.1.2.1

Le tableau suivant tente d'objectiver ces facteurs en répartissant l'ensemble des témoins de l'IPCH en cinq «familles»: les biens et services qui font l'objet d'un achat régulier (au moins 1 fois par mois), ceux qui font l'objet d'un achat moins fréquent et ceux pour lesquelles la fréquence d'achat peut varier selon les individus et les circonstances. On distingue également pour les deux premières catégories selon que le bien ou service en question est soumis à une forte concurrence (inter)nationale.

4.1.2.2

Il apparaît clairement que globalement, les prix des témoins faisant l'objet d'une faible concurrence ont augmenté beaucoup plus rapidement que l'inflation moyenne au cours des années 2000-2007 (+ 2,12 %). Le tableau confirme également que les prix des biens achetés moins fréquemment et soumis à une forte concurrence ont fortement contribué à modérer l'inflation (+ 0,37 %), d'autant qu'ils expliquent une grande partie de l'inflation (avec un poids de 27 %, juste après la famille «achats réguliers/faible concurrence» avec 34 %).

Catégories de témoins

Intensité de la concurrence

% croissance annuelle 2000-7

Contribution à l'IPCH

Poids dans l'IPCH

Achats réguliers

faible

2,34

0,92

339,4

forte

2,00

0,06

28,8

Achats non réguliers

faible

2,91

0,51

204,7

forte

0,37

0,26

269,1

Variable

2,38

0,37

157,88

IPCH

 

2,12

2,12

1 000,00

Source: Eurostat; calculs propres.

4.1.2.3

Ce rôle des achats non réguliers à forte concurrence reflète les tendances du commerce international et de ses modifications structurelles. En 1995, deux tiers des importations manufacturières provenant de pays hors zone euro venaient de pays à coûts élevés. En 2005, leur part avait chuté à 50 %. Le recul est dû au Royaume-Uni, au Japon et aux États-Unis tandis que la part des pays émergents et dans une moindre mesure des nouveaux États membres s'est accrue. Les évolutions des taux de change peuvent aussi avoir encourager/freiner les relations commerciales avec les partenaires commerciaux de la zone euro.

Part des (groupes de) pays dans les importations de la zone euro

 

Coûts élevés

Dont

Coûts faibles

Dont

États-Unis

Japon

Royaume-Uni

Chine

Nouveaux États membres

1995

65,7

16,1

10,7

20,3

34,3

5

8

1997

65,2

17,7

9,6

21,2

34,8

5,8

8,4

1999

64,1

18,4

9,8

19,6

35,9

6,3

9,8

2001

60,2

18,1

8,5

18,6

39,8

7,9

11,6

2003

55,1

15,1

7,8

16,6

44,9

11

14

2005

50,7

13,9

6,7

15

49,3

14,8

13,1

Changement 1995-2005

-15,0

-2,2

-4,0

-5,3

15,0

9,8

5,1

Source: Banque Centrale Européenne, Bulletin Mensuel, août 2006.

4.1.3

On enregistre une volatilité des prix depuis 2002 qui est beaucoup plus importante que durant les années qui ont précédé le lancement de l'euro fiduciaire.

Image

4.1.4

Le niveau de revenu des ménages explique également leur ressenti à l'égard de l'évolution des prix. Complémentairement, les perceptions différentes dans la population peuvent être renforcées par l'augmentation du nombre de personnes vivant seules et qui doivent se contenter d'un salaire/revenu pour subvenir à toutes les dépenses. La situation est particulièrement difficile quand des enfants sont présents, pour les bas revenus, les personnes peu qualifiées, les femmes qui font toujours l'objet d'une discrimination salariale et dans l'emploi, les personnes couvertes par un contrat de travail flexible.

Image

Image

4.1.5

À noter que les caractéristiques des biens et services composant l'IPCH peuvent changer d'une année à l'autre et refléter une amélioration de leur qualité, sans que le prix en soit modifié. Mais, comme l'indice ne prend pas en compte pareille modification, cela sera enregistré comme une baisse de prix dans l'indice (et pourtant, cela n'exclut pas que le bien/service dans sa conception antérieure ne soit plus disponible sur le marché pour les consommateurs. La baisse ne serait ainsi qu'une baisse «sur papier» ne correspondant à rien dans la réalité). Selon la BCE, «le poids dans les dépenses des biens dont la qualité tend à s'améliorer beaucoup et fréquemment est estimé à environ 8-9 % de l'IPCH global» (automobile, ordinateurs, téléphones portables, …).

4.1.6

Il faut aussi évoquer les pratiques de certains détaillants et des entreprises qui lors du passage à l'euro fiduciaire, ont arrondi abusivement les prix vers le haut (loyers), certains coûts supplémentaires pouvant toutefois être justifiés par les opérations liées au réétiquetage, etc. ou par le fait que des hausses de prix n'aient pas été répercutées directement parce qu'ils préféraient «faire d'une pierre deux coups» en les reportant au moment du passage à l'euro. Eurostat estime que la contribution du passage à l'euro fiduciaire a représenté entre 0,12 et 0,29 point de pourcentage de l'IPCH global de la zone euro en 2002.

4.1.7

Finalement, certains événements ponctuels sans lien avec la monnaie unique ont coïncidé avec le passage à l'euro fiduciaire et ont pu contribuer à une hausse de l'inflation perçue. Il en est ainsi de l'important renchérissement du pétrole (+ 35 % entre décembre 2001 er avril 2002) et des mauvaises récoltes liées à la rigueur du froid hivernal ayant sévi en Europe qui ont également affecté les économies hors zone euro.

4.2   Explications d'ordre psychologique

4.2.1

Les consommateurs peuvent être plus sensibles aux hausses de prix qu'aux baisses de prix, quel que soit le produit concerné, cette sensibilité ayant été exacerbée par le saut dans l'inconnu qu'était la nouvelle monnaie unique, par la méfiance induite par un plus grand nombre de prix différents affichés pour un même produit suite au passage à l'euro et par l'importance des dépenses liées aux biens et services ayant fait l'objet d'une hausse (loyer, produits alimentaires, essence).

4.2.2

Comme les dépenses de logement des propriétaires occupants sont actuellement exclues du panier de l'IPCH, les fortes hausses de prix de l'immobilier dans certains pays peuvent expliquer la différence entre l'inflation perçue et l'inflation effective.

4.2.3

Aussi, les consommateurs qui convertissent en ancienne monnaie nationale le prix en euro d'un produit dont ils envisagent l'achat prennent comme référence le prix en vigueur avant l'entrée en vigueur de l'euro. Cela donne lieu à un biais car l'ancien prix n'est plus non plus d'actualité en raison de l'inflation (3).

4.2.4

Il faut également noter la confusion fréquemment faite par beaucoup de consommateurs, voire d'observateurs, entre l'évolution du pouvoir d'achat et les attentes croissantes en matière de niveau de vie. Or, de nombreux indices tendent à montrer que les attentes en matière de niveau de vie des consommateurs sont plus fortement stimulées encore qu'avant par des changements technologiques fréquents, l'apparition de nouveaux produits ou services (qui ont tendance à «s'ajouter» aux consommations habituelles), un marketing de plus en plus sophistiqué et une diffusion très rapide des standards de consommation dictés par la pression sociale. Or l'achat, par exemple, d'un GPS qui s'ajoute à d'autres consommations ou le remplacement de légumes par des légumes pré-lavés et préparés donnent l'impression de peser sur le pouvoir d'achat alors qu'ils relèvent d'une pression sur le budget des ménages par une augmentation des attentes plus rapide que celle des revenus.

4.3   Explications méthodologiques

4.3.1

Il n'est pas question de remettre en question la validité de l'IPCH qui repose sur l'observation et le relevé mensuels par les instituts de statistiques nationaux de plus de 700 biens et services représentatifs, ce qui correspond à près de 1,7 million d'observations dans 180 000 points de vente mensuellement.

4.3.2

Mais il convient de rappeler que l'indice des prix à la consommation harmonisé résulte de certaines conventions, principalement en ce qui concerne (1) le choix des biens et services qui serviront comme témoins et rentreront dans sa composition et (2) la pondération de chacun de ceux-ci.

4.3.3

Cependant, comme le montre le tableau, la structure des dépenses des ménages fluctue en fonction de leurs revenus. Les variations les plus fortes s'observent pour les loyers d'habitations réelles qui représentent une dépense cinq à six fois plus lourde pour les 20 % des ménages les moins nantis par rapport aux 20 % les plus riches. Cette différence s'explique par le fait que ces derniers sont simultanément propriétaires et locataires. Dès lors, ils ressentent différemment l'évolution des prix de l'immobilier. Les ménages les plus pauvres consacrent aussi 81 % de plus de leurs revenus à l'acquisition de produits alimentaires et aux boissons non alcoolisées, ce qui les rend plus sensibles aux envolées des prix de ces matières alimentaires sur les marchés mondiaux. Les ménages plus riches consomment pour 67 % de plus que les ménages du 1er quintile en véhicules neufs. Comme sur la période 2000-2008, les prix des véhicules neufs ont évolué beaucoup plus lentement que l'IPCH, ils ressentent fortement cette évolution positive.

Zone euro — IPCH = 1 000

(année: 2005)

% croissance annuel moyen

(2000-2008; IPCH = 2,3)

1er quintile

5e quintile

Différence 1er-5e quantile

Dépenses de consommation moyenne (SPA)

Poids dans l'IPCH

Différence

cp01 Produits alimentaires et boissons non alcoolisées

2,5

195

108

80,6

143,3

154,91

11,6

cp02 Boissons alcoolisées, tabac et narcotiques

4,1

29

17

70,6

21,4

40,71

19,3

cp03 Articles d'habillement et articles chaussants

1,4

54

62

-12,9

60,3

74,20

13,9

cp04 Logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles

3,1

325

251

29,5

278,9

150,50

-128,4

dont: cp041 Loyers d'habitation réels

1,9

134

24

458,3

53,8

63,50

9,7

cp042 Loyer imputé au logement

106

151

-29,8

143,9

 

cp05 Ameublement, équipement ménager et entretien courant de la maison

1,3

41

69

-40,6

56,8

76,5

19,7

cp06 Santé

2,5

31

42

-26,2

35,7

41,67

5,9

cp07 Transports

2,8

92

146

-37,0

125,6

153,31

27,7

dont: cp071 Achats de véhicules

1,2

23

70

-67,1

48,1

47,93

-0,1

cp08 Communications

-2,7

37

24

54,2

28,6

29,19

0,6

cp09 Loisirs et culture

0,6

64

90

-28,9

83,0

94,66

11,7

cp10 Enseignement

4,0

7

10

-30,0

8,7

9,49

0,8

cp11 Hôtels, cafés et restaurants

3,2

42

67

-37,3

55,2

93,19

38,0

cp12 Autres biens et services

2,3

85

113

-24,8

102,5

81,67

-20,8

dont: cp121 Soins personnels

1,9

27

25

8,0

26,1

26,36

0,2

cp125 Assurances

2,5

44

63

-30,2

55,2

18,60

-36,6

Source: Eurostat; calculs propres.

4.3.3.1

Le tableau suivant illustre les différentes inflations subie selon les groupes de revenus extrêmes en fonction de leur profil de consommation et en présentent l'écart depuis 1996. Au cours de ces 12 dernières années, l'inflation frappant les plus pauvres a surpassé celle des plus riches à 6 reprises et le contraire a été observé 3 fois. Durant 3 années, on n'a pas constaté de différences significatives.

Image

4.3.3.2

Outre cet effet de structure, il apparaît que lors des périodes d'emballement des prix des matières premières alimentaires, les ménages les plus pauvres qui choisissent des marques bon marché ou qui s'approvisionnent chez les hard discounters seront plus affectés encore car la part des matières premières alimentaires est plus élevée dans le prix à la consommation des prix alimentaires (parce que, a contrario, la part des frais d'emballage, de marketing etc. est plus faible).

4.3.3.3

Aussi, les ménages les plus pauvres ne peuvent atténuer les répercussions des hausses de prix sur le budget dans la mesure où leur taux d'épargne est structurellement faible et qu'ils ont un accès plus difficiles au crédit et par ailleurs, risquent de tomber dans le piège du surendettement.

4.3.3.4

Ce constat reste valable au niveau des États membres car comme l'indique le tableau ci-dessous, les ménages consacrent des parts différentes de leurs revenus aux différentes catégories de biens et services en fonction de leurs caractéristiques géographiques (l'insularité impliquant des coûts de transport élevés), de leur niveau de développement socioéconomique (les familles roumaines et bulgares consacrant près de 3 fois plus que leurs homologues des autres pays à l'alimentation), etc. Les deux dernières colonnes indiquent dans quelle mesure les dépenses relatives sont chaque groupe de pays ou au sein de la zone euro sont homogènes (au plus le coefficient de variation est faible, au plus il y a homogénéité). Si les pays de la zone euro présentent de fortes similitudes, c'est moins le cas avec d'autres groupes de pays. Cela montre les limites de l'IPCH qui en étant fondé sur des pondérations moyennes ne peut par définition refléter les situations particulières des pays. Cette conclusion ne devrait pas être sous-estimée par les pays qui rejoignent la zone euro étant donné les implications en termes de politique monétaire et d'inflation.

 

Zone euro

(sauf Lux)

3 anciens hors zone euro

Nouveaux États membres hors zone euro

(hors Chypre, Malte et Slovénie)

Chypre, Malte

Roumanie, Bulgarie

Coefficient de variation entre ces groupes

Coefficient de variation intra-zone euro

Logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles

26,11

30,57

22,86

15,33

25,15

0,23

0,10

Produits alimentaires et boissons non alcoolisées

14,24

11,06

25,85

18,17

37,88

0,50

0,18

Transports

12,94

13,82

10,22

15,60

5,73

0,33

0,16

Autres biens et services

10,14

7,65

6,25

6,89

3,07

0,38

0,29

Loisirs et culture

8,65

12,33

6,98

8,02

3,54

0,40

0,32

Hôtels, cafés et restaurants

6,21

5,27

3,97

7,68

2,34

0,40

0,35

Boissons alcoolisées, tabac et narcotiques

2,61

2,56

3,05

2,32

4,78

0,32

0,40

Ameublement, équipement ménager et entretien courant de la maison

5,77

6,34

5,00

8,30

3,39

0,31

0,13

Articles d'habillement et articles chaussants

5,70

4,92

6,02

8,04

4,66

0,23

0,21

Santé

3,53

2,12

3,54

3,89

4,07

0,22

0,44

Communications

3,06

2,73

5,21

3,16

4,72

0,29

0,17

Enseignement

1,05

0,63

1,05

2,59

0,66

0,68

0,61

Remarque: données indisponibles pour le Luxembourg.

4.3.4

De la même manière, il existe une différence parfois considérable entre la structure moyenne des dépenses de consommation et la manière dont les témoins sont pondérés dans l'IPCH. Ainsi, en moyenne les ménages de la zone euro dépensaient 27,5 % de leurs revenus en logement, eau et énergie et pourtant cette rubrique n'intervient que pour 16,3 % de l'IPCH. Une sous-pondération concerne aussi la santé et les assurances. A contrario, l'IPCH sur-pondère les produits alimentaires, les transports et le poste «hôtels, restaurants et café».

Bruxelles, le 9 juillet 2008.

Le Président

du Comité économique et social européen

Dimitris DIMITRIADIS


(1)  Cf. l'avis du CESE “Les conséquences économiques et sociales de l'évolution des marchés financiers”, JO C 10 du 15.1.2008, p. 96, § 1.14.

(2)  Banque Nationale de Belgique «L'évolution de l'inflation en Belgique: une analyse de la Banque nationale de Belgique réalisée à la demande du gouvernement fédéral», Revue économique, 2008, p. 17.

(3)  Exemple: j'envisage d'acheter fin 2002 une voiture et me souviens qu'une année avant, elle m'aurait coûté 100. 100 me sert aujourd'hui de référence mais depuis, l'inflation mesurée par l'IPCH a été de 2,2 si bien que le prix auquel je devrais me référer n'est pas 100 mais 102,2. Si j'entreprends ce projet en 2007, l'écart sera encore plus grand car le prix serait de 114!


Top