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Document 52002XR0182

Rapport du Comité des régions sur "L'action communautaire en faveur des zones de montagne"

JO C 128 du 29.5.2003, pp. 25–40 (ES, DA, DE, EL, EN, FR, IT, NL, PT, FI, SV)

52002XR0182

Rapport du Comité des régions sur "L'action communautaire en faveur des zones de montagne"

Journal officiel n° C 128 du 29/05/2003 p. 0025 - 0040


Rapport du Comité des régions sur "L'action communautaire en faveur des zones de montagne"

(2003/C 128/05)

TABLE DES MATIÈRES

>TABLE>

1. Contexte général

1.1. Définition du concept de zone de montagne

Nombreuses sont à l'heure actuelle les définitions du concept de "zone de montagne" mais aucune d'entre elles n'est acceptée unanimement ni utilisée de façon systématique, chacune de ces définitions privilégiant la ou les dimensions spécifiques qu'elle juge pertinentes. Certaines de ces définitions sont reprises plus loin dans le texte.

1.1.1. Objectifs de la directive 75/268/CEE

La directive 75/268/CEE visait à réduire les écarts de revenu dont souffraient les agriculteurs des zones de montagne et des zones défavorisées par rapport aux autres régions européennes. Il s'agissait, dans l'ensemble, de compenser les désavantages naturels à caractère permanent de régions représentant 25 % de la superficie agricole utilisée et 15 % des exploitations recensées dans la Communauté, ainsi que 12 % de la production agricole communautaire, et de garantir ce faisant le maintien et, dans la mesure du possible, la modernisation de l'activité agricole dans ces régions.

On voulait de fait éviter, en diversifiant les incitants financiers dans le cadre de la politique structurelle, que les améliorations structurelles ne se réalisent surtout dans les régions les plus riches et les plus dynamiques. Dans les zones de montagne, l'altitude entraîne des conditions climatiques difficiles et une période de végétation raccourcie; de plus, les terrains en pente se prêtent moins bien à la mécanisation de l'agriculture, et dans les zones défavorisées les terrains sont souvent plus pauvres, si bien que les efforts à fournir pour en accroître le rendement sont parfois disproportionnés par rapport aux résultats espérés.

Au bout du compte, le maintien d'une activité agricole à long terme dans ces zones dépend dès lors de l'obstination de l'exploitant. Quant à l'aide octroyée à ce dernier, elle dépasse le cadre strictement agricole et s'étend à des aspects tels que la conservation du paysage, la protection contre l'érosion, la satisfaction d'exigences liées au tourisme, ainsi que le maintien d'une densité de population suffisante dans des régions menacées de dépeuplement.

1.1.2. Règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil

L'article 18 du règlement (CE) n° 1257/1999 concernant le soutien au développement rural par le Fond européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) propose la définition suivante pour les zones de montagne:

"1. Les zones de montagnes sont celles qui sont caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement sensible des coûts des travaux en raison de:

- soit l'existence de conditions climatiques très difficiles en raison de l'altitude, se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie,

- soit la présence, à une altitude moindre, de fortes pentes dans la majeure partie du territoire, telles que la mécanisation ne soit pas possible ou bien nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux,

- soit la combinaison de ces deux facteurs lorsque l'importance du handicap résultant de chacun d'eux pris séparément est moins accentuée, à condition que de cette combinaison résulte un handicap équivalent.

2. Les zones situées au nord du 62e parallèle et certaines zones adjacentes sont assimilées aux zones de montagne."

Ce règlement remplace les règlements (CE) n° 950/97 du Conseil du 20 mai 1997 concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture, qui avait à son tour remplacé le règlement (CEE) n° 2328/91 du Conseil du 15 juillet 1991 concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture et la directive 75/268/CEE du Conseil du 28 avril 1975 sur l'agriculture de montagne et de certaines zones défavorisées. Il complète en outre la déclaration 37 annexée aux actes d'adhésion de la Finlande et de la Suède qui reconnaît l'existence de handicaps naturels permanents liés aux hautes latitudes impliquant, du point de vue agricole, des saisons de croissance brèves, et qui sont équivalents aux handicaps liés aux hautes altitudes.

Le règlement précise les critères généraux de classification (altitude, fortes pentes, combinaison de ces deux facteurs) mais n'établit pas de niveau minimal à respecter par les États membres. En effet, en vertu d'une application plus étendue de la subsidiarité c'est désormais aux autorités nationales et/ou régionales qu'il incombe d'établir les niveaux à respecter et de procéder au classement des zones, conformément aux critères communautaires de base.

Dans les États membres et/ou dans les régions l'interprétation la plus commune des deux premiers critères est la suivante:

- l'altitude pouvant entraîner des conditions climatiques très difficiles est une altitude supérieure à 600-800 mètres (en référence aux territoires des communes ou à des fractions de ceux-ci);

- les fortes pentes qui rendent impossible la mécanisation ou bien nécessitent l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux sont celles dont la déclivité est supérieure à 20 % en moyenne par km (11° 18').

Figure ci-après le tableau avec les chiffres de 1996 concernant les zones de montagne et les zones défavorisées en termes de surface agricole utile (SAU), avec la précision qu'il s'agit de surfaces classées aux termes de la directive 75/268/CEE. Aussi en Finlande et en Suède la majorité des zones classées comme zones de montagne correspondent à des zones nordiques froides, alors que seulement 150000 hectares environ correspondent effectivement à des zones montagneuses.

>TABLE>

1.1.3. Avis d'initiative du Comité économique et social (CES 461/88)

Dans le rapport d'information de la section du développement régional sur "Une politique pour les zones de montagne", le Comité économique et social est parvenu à uniformiser la notion de "zone de montagne", en regroupant toute la gamme de situations géophysiques, climatiques, écologiques et socioéconomiques qui caractérisent la montagne européenne. C'est ainsi qu'une définition à caractère et finalités méthodologiques et pratiques a été établie et publiée dans l'avis d'initiative CES 461/88:

"Une zone de montagne est 'une entité géographique, environnementale, socioéconomique et anthropologique dans laquelle les désavantages résultant de la combinaison de l'altitude et d'autres facteurs naturels doivent être mis en rapport avec les contraintes socioéconomiques, la situation de déséquilibre territorial et le niveau de détérioration de l'environnement'."

Sur cette base, le Comité économique et social a assemblé les critères utilisés par chaque État membre pour définir les zones de montagne aux termes de la directive 75/268/CEE mentionnée ci-dessus et a essayé de les affiner en opérant une distinction, dans la mesure du possible, entre zones principalement de montagne "au sens strict" (régions ou communes dont plus de 66 % du territoire est montagneux) et zones partiellement de montagne "au sens large" (régions ou communes dont le territoire montagneux est compris entre 33 et 66 %).

>TABLE>

Sur la base du rapport d'information mentionné ci-dessus, le Comité économique et social a émis l'avis suivant:

"Il s'impose d'harmoniser les critères juridiques de classification des zones de montagne adoptés jusqu'à présent tant par les États que par la Communauté, et ce également afin d'éliminer d'éventuelles distorsions de la concurrence entre les entreprises des divers États membres. Une telle harmonisation requiert l'établissement d'un système de critères, défini au niveau communautaire, et comprenant les différents facteurs de handicaps, naturels et socioéconomiques, comme le suggère la définition formulée (au paragraphe 1.1).

Les paramètres à prendre en considération pour l'établissement de ce système devront être les suivants:

a) handicaps naturels: ne pas se limiter aux variables prises en considération par la directive 75/268/CEE (altitude, déclivité et combinaison des deux), mais bien:

- en ce qui concerne le régime climatique, ajouter à l'altitude la latitude et la situation géographique;

- en ce qui concerne les aspects morphologiques et pédologiques, aux critères de la déclivité en ajouter d'autres tels le relief, la nature du sol, etc;

b) handicaps socioéconomiques:

- faible densité de la population;

- isolement dû à l'éloignement des centres urbains et du pouvoir économique et politique;

- dépendance excessive de la population à l'égard de l'activité agricole;

- insuffisance des débouchés en aval des zones de montagne ayant une frontière commune avec des pays extracommunautaires et mal desservies du point de vue des communications;

c) degré de détérioration de l'environnement:

La combinaison, dans les différents cas, des variables indiquées, permet d'attribuer à un territoire le caractère de 'zone de montagne' et fait varier le seuil altimétrique à partir duquel une zone peut être définie comme montagneuse. Le choix, la définition et la combinaison de ces différents facteurs ne peuvent donc être uniformes pour l'ensemble de la Communauté, mais doivent être adaptés aux diverses situations (...).

La plupart des législations nationales et la directive 75/26/CEE font référence, pour la délimitation des zones de montagne, aux territoires des communes ou à des fractions de ceux-ci. Il en est résulté dans de nombreux cas un découpage excessif du territoire devant être pris en considération. Il faut que les mesures destinées aux zones de montagne interviennent sur des 'blocs' de territoires compacts comprenant la zone de montagne proprement dite et les zones qui lui sont immédiatement contiguës et qui forment avec elles une même entité géographique, économique et sociale. (...)."

La carte des sols élaborée récemment par l'European Soil Bureau pourra être utilisée en l'occurrence pour définir les nouveaux critères de délimitation des zones de montagne.

1.1.4. Programme des Nations Unies pour l'environnement

L'Année 2002 ayant été proclamée Année internationale de la montagne, le programme des Nations Unies pour l'environnement s'est engagé à définir les concepts de montagne et de zone de montagne:

"L'altitude, la déclivité et les gradients écologiques qu'elles génèrent sont le facteur clé d'une telle définition, mais leur combinaison est complexe. En se contentant d'établir des seuils d'altitude on exclut aussi bien les systèmes montagneux les plus anciens que les moins élevés et on exclut dans le même temps des zones relativement élevées mais dont le relief topographique est modeste et qui ne présentent que peu de gradients écologiques. Utiliser comme critère la déclivité, seule ou en combinaison avec l'altitude, peut résoudre ce dernier problème, mais non le premier (NdT: texte non disponible en français.)."

Sur la base des données disponibles à l'échelle mondiale les classes de montagne suivantes ont été définies de façon empirique:

- altitude comprise entre 200 et 1000 mètres et variation d'altitude supérieure à 300 mètres;

- altitude comprise entre 1000 et 1500 mètres et déclivité supérieure à 5° ou variation d'altitude supérieure à 300 mètres;

- altitude comprise entre 1500 et 2500 mètres et déclivité supérieure à 2;

- altitude comprise entre 2500 et 3500 mètres;

- altitude comprise entre 3500 et 4500 mètres;

- altitude supérieure à 4500 mètres.

1.2. Importance des zones de montagne en Europe

Par comparaison à d'autres continents, l'Union européenne dispose d'une vaste gamme d'environnements montagneux très diversifiés qui vont des régions arctiques à la Méditerranée, en passant par les Alpes et d'autres massifs, dans des régions à climat tempéré. Les zones de montagne couvrent environ 38,8 % de la superficie totale de l'UE. Elles représentent un patrimoine très spécifique de ressources vitales pour toute l'Europe: eau, forêts, espèces et habitats rares, racines culturelles uniques, espaces de ressources et de repos, etc.

On distingue dans l'Union européenne 4 groupes principaux de zones de montagne:

- les zones de montagne et assimilées (zones arctiques) du Nord de l'Europe (Finlande, Suède, Écosse);

- les zones de montagne de l'Europe tempérée, avec la Cordillère Cantabrique, les Pyrénées, le Massif central, le Jura, les Vosges et la Forêt noire, les Alpes, les Ardennes, le Pays de Galles, etc.;

- les montagnes méditerranéennes avec le Massif ibérique, les Apennins, les montagnes de la Grèce continentale et insulaire et celles des grandes îles comme la Crète, la Sicile, la Sardaigne, la Corse et Majorque;

- les montagnes-îles périphériques et certaines régions ultrapériphériques, comme les archipels atlantiques (région macronésienne, qui désigne les archipels des Canaries, des Açores et de Madère) et les départements d'Outre-Mer (Guadeloupe, Martinique, Réunion et Guyane française).

>TABLE>

Source:

informations diverses tirées d'une publication du Parlement européen intitulée: "Vers une politique européenne des montagnes: problèmes, impact des mesures et adaptations nécessaires".

1.3. Éléments d'analyses rapportés à l'économie

Les activités économiques des zones de montagne se sont concentrées principalement dans les vallées qui constituent des passages naturels; or, bien des vallées sont devenues des goulets d'étranglement pour les transports et l'augmentation de la circulation des biens et des services comporte des risques croissants pour la sécurité et l'environnement, ainsi que, en partie, pour les conditions de vie des populations. Dans de nombreuses zones de montagne l'activité économique se fonde, pour autant que possible, sur l'agriculture, le tourisme et d'autres services. Dans d'autres, l'activité économique est souvent très limitée. Si certaines zones de montagne ont des possibilités de développement économique et sont intégrées dans le reste de l'économie de l'Union, la majorité des zones de montagne présente toutefois différents problèmes: 61,5 % des zones de montagne et des zones arctiques sont éligibles à l'objectif 1 et 24,7 % à l'objectif 2 (Selon rapport sur la cohésion économique et sociale(1).

On peut obtenir une typologie sommaire des zones de montagne en combinant les facteurs naturels et les indicateurs socioéconomiques. Cette typologie, pour approximative qu'elle demeure, est utile lorsque l'on tente de cerner la situation.

Typologie des montagnes et des zones arctiques selon la définition adoptée par l'UE pour les zones de montagne et les zones éligibles aux objectifs prioritaires des Fonds structurels

>TABLE>

Pour être durable, le développement des zones de montagne exige efficacité économique, justice sociale, cohésion territoriale et sauvegarde de l'environnement. Le tableau suivant illustre les principaux défis et les potentialités des zones de montagne européennes.

Défis et potentialités des zones de montagne

>TABLE>

1.4. Incidence des politiques communautaires et nationales

Un certain nombre de politiques communautaire ont dès à présent une incidence majeure sur l'évolution des zones de montagne. Il s'agit notamment des politiques suivantes:

- la politique agricole commune: l'indemnité compensatoire en faveur des zones défavorisées, les mesures agro-environnementales, l'organisation de marché relative aux produits des zones de montagne (lait, viande), etc.

- la politique structurelle - objectifs 1 et 2 - et de cohésion;

- les initiatives communautaires dans le domaine du développement rural (Leader+) et de la coopération transfrontalière, internationale et interrégionale (Interreg III A, B et C) - cf. le programme de coopération Interreg III B "Espace alpin" qui couvre l'Allemagne, l'Autriche, la France, l'Italie, la Suisse, la Slovénie et le Lichtenstein;

- les politiques forestières;

- les réflexions menées sur l'aménagement du territoire, à travers le Schéma de développement de l'espace communautaire (SDEC) et sa mise en oeuvre;

- la politique commune de l'environnement: les "directives principales" dans le domaine de l'eau, des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages, des sols, etc.;

- la politique de R & D technologique et les grandes améliorations qui devraient en résulter pour la vie des individus.

2. Réflexion des institutions sur le thème des montagnes

Depuis plusieurs années se succèdent en Europe résolutions et recommandations relatives à la montagne, adoptées par les ministres compétents, par la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d'Europe (aujourd'hui Congrès des pouvoirs locaux et régionaux) par l'Assemblée parlementaire et par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe.

Ainsi, il est opportun de rappeler, pour leur importance politique et technique, notamment les documents suivants:

- Avis du CES (1988) intitulé "Une politique pour les zones de montagne";

- Avis du CdR (1995) sur la "Charte européenne des régions de montagne";

- Avis du CES (1996) sur le thème "L'Arc alpin - une occasion de développement et d'intégration";

- Avis du CdR (1997) sur "Une politique pour l'agriculture de montagne en Europe";

- Rapport de la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen (1998) sur le thème "Une nouvelle stratégie pour les zones de montagne", laquelle fait référence à l'étude réalisée par la direction générale des études du Parlement européen intitulée "Vers une politique européenne des montagnes";

- Résolution du Parlement européen sur 25 ans d'application du régime communautaire en faveur de l'agriculture dans les régions montagneuses.

Enfin, le CESE examine en ce moment un avis approfondi (rapporteur: M. Bastian) sur "L'avenir des territoires de montagne dans l'Union européenne".

2.1. La Convention sur la protection des Alpes

La Convention sur la protection des Alpes a été signée en octobre 1991 par les représentants des gouvernements des pays alpins et de l'Union européenne afin de définir une politique commune applicable à l'ensemble de la région alpine, conformément aux principes relatifs au développement durable. Pour la première fois l'ensemble de l'Arc alpin, considéré comme un tout indivisible, a été proclamé patrimoine commun européen.

La Convention a pour objectif général de concilier les besoins économiques et sociaux des populations des Alpes avec les exigences liées à la sauvegarde de l'environnement.

La Convention est entrée en vigueur en mars 1995, au moment de sa ratification par l'Autriche, l'Allemagne, le Lichtenstein, la Slovénie et l'Union européenne. Elle a été ensuite ratifiée par les autres États de la chaîne Alpine. Elle prévoit un programme de recherche axé principalement sur 4 thèmes (qualité de l'air, régime des eaux, déchets, population et culture) tandis que les protocoles d'application de la Convention devraient offrir des encouragements à l'adoption de politiques relatives aux transports, au tourisme, à la défense du sol, au patrimoine forestier, à l'énergie, à l'agriculture, etc.

La Convention s'est dotée d'organes qui se réunissent régulièrement et font un travail de mise en oeuvre. Toutefois, du côté de l'Union européenne, on ne recense pas d'actes politiques, ou d'instruments d'action qui se réfèrent explicitement à la Convention ou à ses protocoles d'application, bien qu'elle soit partie contractante de la Convention. Elle a aussi raté l'occasion de participer aux travaux des organes de la Convention. Il s'agit là d'un constat décevant, dans la mesure où le massif des Alpes est le plus important d'Europe en tant que territoire, de population et de pays concernés: en ce sens, la Commission aurait pu agir concrètement comme instigatrice de politiques communautaires en faveur des zones de montagne.

2.2. La Charte européenne des régions de montagne

La nécessité d'élaborer une "Charte européenne de la montagne", afin d'établir les principes d'aménagement, de développement et de protection des territoires de montagne, avait été formulée par la Iième Conférence européenne des zones de montagne tenue à Trente (Italie) en 1988, mais ce n'est que six années plus tard, à l'occasion de la IIIe Conférence, tenue à Chamonix du 15 au 17 septembre 1994, que le document a été approuvé par les participants: plus de 200 administrateurs, représentant les États membres du Conseil de l'Europe. L'adoption définitive de la Charte par les États membres n'est pas encore terminée. La Charte, qui tend à la définition d'une politique européenne pour la montagne, repose sur une approche globale et intégrée, qui tient compte des recommandations adoptées par la Conférence de Rio de Janeiro de 1992 sur l'environnement et le développement.

Significatif, en outre, est le principe de "subsidiarité", qui associe les organismes locaux et régionaux aux phases d'élaboration et de gestion de la politique européenne. On reconnaît ainsi concrètement le rôle que les populations de montagne doivent jouer, également dans la recherche d'un juste équilibre entre activités économiques et exigences écologiques. Il est utile de rappeler les finalités de la Charte telles que définies à l'article 6, qui stipule:

"Les parties fonderont leur politique, leur législation et leurs actions en montagne en fonction des objectifs suivants:

I. Reconnaissance explicite des régions de montagne et de leur spécificité;

II. Prise en considération et reconnaissance de l'entité géographique de chaque zone montagneuse, afin d'éviter que les divisions administratives existantes ou à venir ne constituent un obstacle à la mise en oeuvre de la politique de la montagne;

III. Maintien sur place des populations et lutte contre l'exode des jeunes;

IV. Implantation ou modernisation des infrastructures et des équipements nécessaires à la qualité de la vie des populations et au développement des régions de montagne;

V. Maintien et amélioration des services publics de proximité;

VI. Préservation des terres agricoles et pastorales, maintien et modernisation indispensables des activités agricoles par une approche spécifique de l'agriculture de montagne;

VII. Promotion des ressources énergétiques endogènes;

VIII. Conservation des activités industrielles et artisanales existantes et implantation d'activités fondées sur les technologies nouvelles;

IX. Développement du secteur tertiaire, et notamment de l'activité touristique, comme complément des moyens de vie traditionnels;

X. Préservation de l'identité et diffusion des valeurs culturelles spécifiques à la montagne et à chaque zone montagnarde homogène.

Ces objectifs seront réalisés dans le respect de la sauvegarde de l'environnement grâce à une appréciation d'ensemble des ressources humaines et naturelles, en rompant avec la dichotomie traditionnelle entre développement économique et protection du milieu naturel et en recherchant un équilibre entre les activités humaines et les exigences écologiques."

Comme on peut le constater, il s'agit d'un programme ambitieux et moderne dans son approche.

2.3. Le second rapport sur la cohésion économique et sociale

La Commission européenne a adopté récemment un second rapport sur la cohésion économique et sociale.

Le rapport de la Commission - il apparaît en cela exceptionnellement novateur et important - mentionne explicitement les "zones spécifiques" - dans la Synthèse, première partie: Situations et tendances - et affirme:

"Les îles et les archipels, les zones de montagne et les zones périphériques - y compris les 'régions ultrapériphériques' - forment une partie importante de l'Union et partagent de nombreux traits, physiques et géomorphologiques communs à côté d'importants désavantages économiques. En règle générale, ces zones connaissent des problèmes d'accessibilité qui rendent plus difficile l'intégration économique avec le reste de l'Union. Un grand nombre d'entre elles reçoivent déjà une aide régionale de l'Union européenne: 95 % des zones de montagne et des îles sont couvertes par les objectifs 1 et 2. Dans le même temps, la situation économique et sociale peut être très variable ...."

Plus loin, en définissant les priorités pour la cohésion économique et sociale le rapport mentionne les "zones souffrant de graves handicaps géographiques ou naturels", dans lesquelles les efforts pour parvenir à une bonne intégration dans l'économie européenne se heurtent à des difficultés à cause des caractéristiques particulières de ces zones et précise:

"Ces zones - les régions ultrapériphériques, les îles, les zones de montagne, les zones périphériques, les zones à faible densité de population - constituent souvent une composante majeure du patrimoine culturel et environnemental de l'Union. Elles éprouvent souvent de grandes difficultés pour fixer leur population. Les surcoûts des services de base, tels que les transports, peuvent entraver le développement économique."

Il semble évident que la Commission elle-même place les zones de montagne sur le même plan que celles déjà visées à l'article 158 du traité.

Suite au débat intervenu sur son second rapport, la Commission a pris l'initiative de mener une série d'études sur les zones présentant de forts handicaps géographiques ou naturels. Deux études sont déjà en cours: l'une sur les régions insulaires et l'autre sur les zones de montagne (y compris les zones arctiques). L'étude prévoit également la mise au point de critères de délimitation.

La Commission a ensuite procédé à l'évaluation des débats menés à l'occasion du second Forum européen sur la cohésion en mai 2001 et en a tiré la conclusion(2) que l'Union a besoin d'une politique de cohésion capable de s'adresser à trois catégories de régions:

- les régions présentant un important retard de développement et se trouvant principalement, mais non exclusivement, dans les pays candidats;

- les régions des quinze ayant achevé le processus de convergence;

- d'autres régions confrontées à de graves difficultés structurelles, et notamment les zones urbaines, les zones rurales, encore très dépendantes de l'agriculture, les zones de montagne, les zones insulaires et d'autres régions encore, caractérisées par des handicaps naturels ou démographiques.

Bien que cette prise en compte semble limitée pour l'instant au niveau de la seule Commission, il est un fait que la spécificité montagneuse apparaît comme reconnue et faisant l'objet d'études et d'approfondissements. Une preuve supplémentaire de ce nouvel intérêt manifesté par la Commission à l'égard des montagnes d'Europe nous est donnée par la Conférence, organisée les 17 et 18 octobre 2002 à Bruxelles par les Commissaires chargés des politiques régionales et de l'agriculture, avec la participation du Président Prodi et d'autres Commissaires. Bien que la Conférence se soit achevée sans document final, le niveau des rapports et les thèmes abordés ne peuvent être considérés que comme des éléments positifs permettant d'espérer que cette nouvelle tendance connaîtra des développements favorables et concluants.

Du reste, cette attention pour la montagne est sollicitée de toutes parts. Ces dernières semaines, une fois encore, le Comité économique et social européen a approuvé un document d'un grand intérêt qui préconise une vision commune de la montagne en inscrivant dans les traités la spécificité de ces territoires.

Il est proposé une fois encore une stratégie fondée sur la compensation des handicaps ne pouvant être éliminés, la réduction active des facteurs de handicap, la mise en valeur de l'identité et des ressources de la montagne. Le document s'achève sur l'invitation à faire de la politique européenne en faveur des montagnes un modèle de développement durable et équitable vis-à-vis des populations.

2.4. L'Année internationale de la montagne

Le 10 novembre 1998 l'Assemblée des Nations Unies a proclamé à l'unanimité l'année 2002 "Année internationale de la montagne", avec les objectifs suivants:

I. Promouvoir le développement durable des régions de montagne;

II. Améliorer la qualité de vie des habitants des régions de montagne;

III. Protéger le fragile écosystème des montagnes.

De nombreux pays européens ont lancé des initiatives préparatoires en vue de la conférence que l'ONU organisera en 2002 au niveau mondial.

Toutefois aucun acte politique formel et aucune initiative législative en rapport avec les objectifs des Nations Unies n'ont été élaborés à ce jour au niveau communautaire.

2.5. Le chapitre 13 de l'Agenda 21 et le Sommet mondial de Johannesburg

L'Agenda 21 a été approuvé à la Conférence mondiale sur la Terre le 14 juin 1992 à Rio de Janeiro. De nombreux chapitres de l'Agenda se réfèrent explicitement à la montagne et notamment:

Chapitre 2: Coopération internationale

Chapitre 3: Lutte contre la pauvreté

Chapitre 6: Protection et promotion de la santé

Chapitre 7: Promotion d'un modèle viable d'établissements humains

Chapitre 8: Intégration du développement durable dans le processus décisionnel

Chapitre 11: Lutte contre le déboisement

Chapitre 12: Lutte contre la désertification

Chapitre 14: Développement agricole et rural durable

Chapitre 15: Préservation de la diversité biologique

Chapitre 18: Protection et gestion des ressources en eau douce

Chapitre 24: Participation des femmes à un développement durable

Chapitre 26: Reconnaissance du rôle des populations autochtones

Chapitre 27: Collaboration avec les ONG

Chapitre 28: Initiatives des collectivités locales à l'appui de l'Agenda 21

Chapitre 32: Renforcement du rôle des agriculteurs

Chapitre 33: Financement du développement durable

Chapitre 34: Transfert des techniques écologiquement rationnelles

Chapitre 35: La science au service d'un développement durable

Chapitre 36: Éducation, sensibilisation du public et formation

Chapitre 37: Création de capacités pour le développement durable

Chapitre 39: Instruments juridiques internationaux

Chapitre 40: Informations pour la prise de décisions (etc.).

Le chapitre 13 entend définir la montagne comme un système unitaire. À cette fin, une collaboration exceptionnelle s'est instaurée entre organismes de l'ONU, gouvernements nationaux, organisations internationales, ONG et instituts de recherche. Il est bon de reprendre dans ce contexte la déclaration introductive du chapitre 13:

"Les montagnes sont un important réservoir d'eau, d'énergie et de diversité biologique. En outre, elles contiennent des ressources essentielles tels que les minéraux, les produits forestiers et agricoles, et les services récréatifs. En tant que grands écosystèmes au sein de l'écologie complexe de notre planète, les environnements de montagne sont indispensables à la survie de l'écosystème mondial. Toutefois les écosystèmes de montagne se modifient rapidement. Ils sont exposés à une érosion accélérée du sol, à des glissements de terrain et à une perte rapide de l'habitat et de la diversité génétique. Sur le plan humain, la pauvreté est très répandue parmi les montagnards et les connaissances des populations autochtones se perdent. En conséquence, la plupart des régions montagneuses du globe sont soumises à une dégradation de leur environnement. C'est pourquoi une gestion convenable des ressources des montagnes et un développement socio-économique de leurs populations justifient une action immédiate."

Tout récemment (septembre 2002), la Conférence de Rio a connu un nouveau développement à l'occasion du Sommet mondial sur le développement soutenable tenu à Johannesburg. Le chapitre 42 de son rapport final, repris ci-dessous, est consacré aux zones de montagne:

"§ 42. Les écosystèmes de montagne soutiennent des modes d'existence particuliers et recèlent d'importantes ressources dans leurs bassins hydrographiques; ils se caractérisent par une grande diversité biologique et par une flore et une faune uniques. Beaucoup sont particulièrement fragiles et exposés aux effets néfastes des changements climatiques et ont besoin d'une protection spéciale. Cela exige que des mesures soient prises à tous les niveaux pour:

a) élaborer et promouvoir des programmes, politiques et approches intégrant les aspects environnementaux, économiques et sociaux du développement durable des régions montagneuses et renforcer la coopération internationale pour son impact positif sur les programmes d'éradication de la pauvreté, en particulier dans les pays en développement;

b) appliquer, le cas échéant, des programmes de lutte contre la déforestation, l'érosion, la dégradation des sols, la perte de biodiversité, la perturbation des débits et le retrait des glaciers;

c) élaborer et appliquer, selon le cas, des politiques et programmes tenant compte des sexospécificités, financés par des fonds publics ou privés, en vue d'éliminer les handicaps dont souffrent les communautés montagnardes;

d) mettre en oeuvre des programmes visant à promouvoir la diversification et les activités économiques traditionnelles des régions montagneuses, des modes de subsistance durables et des systèmes de production à petite échelle, notamment par la mise en oeuvre de programmes de formation spécifiques et en améliorant l'accès aux marchés nationaux et internationaux ainsi que la planification des systèmes de communication et de transport, compte tenu de la fragilité particulière des zones montagneuses;

e) promouvoir l'association et la pleine participation des communautés montagnardes à la prise de décisions qui les concernent et intégrer les connaissances et les valeurs traditionnelles autochtones dans toutes les activités de développement;

f) mobiliser l'appui des pays et de la communauté internationale afin de promouvoir la recherche appliquée et le renforcement des capacités, fournir une assistance financière et technique en vue de la mise en oeuvre effective du développement durable des écosystèmes de montagne dans les pays en développement et les pays en transition et lutter contre la pauvreté parmi les communautés montagnardes par la mise en oeuvre de plans, projets et programmes concrets avec l'appui approprié de toutes les parties concernées, compte tenu de l'esprit de l'Année internationale de la montagne, 2002."

2.6. La Charte mondiale des populations de montagne

La Charte mondiale des populations de montagne a été adoptée le 9 juin 2000 à Chambéry, à l'issue du 1er Forum mondial de la montagne, par les représentants de 70 pays.

Il s'agit d'un projet à soumettre à la discussion avant de devenir la base et l'objectif de l'Organisation internationale des populations de montagne, qui sera mise en place pour en assurer la réalisation. Pour l'heure, ce projet se contente d'indiquer les principes généraux et il sera complété par la suite par les suggestions et les recommandations plus sectorielles qui émaneront du Forum et avec les contributions qui seront probablement apportées lors du nouveau rendez-vous prévu pour septembre 2002 à Quito (Équateur).

3. Situation juridique de la montagne européenne

L'Union européenne a été invitée à maintes reprises à se pencher sur les zones de montagne.

Une grande partie des documents élaborés par diverses instances ces dernières années visaient à obtenir l'adoption d'un règlement (ou d'une directive) du Conseil ou de la Commission contenant des mesures spécifiques pour les zones de montagne susceptibles de déboucher par la suite sur une politique intégrée multisectorielle.

Plus récemment d'autres instances ont préconisé l'adoption d'un "objectif" spécifique consacré aux zones de montagne, à ajouter à ceux prévus par la politique de cohésion et en vigueur jusqu'en 2000.

Il apparaît toutefois évident que la Communauté ne peut adopter aucune initiative spécifique (au-delà de celle, modeste et sectorielle, déjà existante en matière d'agriculture de montagne) à défaut d'une disposition ad hoc du Traité européen affirmant la compétence de la Communauté en la matière.

Aussi est-il nécessaire que l'Union reconnaisse la spécificité de la montagne et la nécessité, qui est son corollaire, de prévoir une politique européenne systématique sur cette matière, tout en respectant le principe de subsidiarité. Les caractéristiques de la "spécificité montagnarde", sont reconnaissables partout, même en présence de conditions économiques différentes, et donnent lieu à des conditions particulières de vie des populations, pour l'organisation et la gestion des services, pour l'information, pour l'accès et la mobilité. S'agissant des montagnes européennes, les politiques de protection et de promotion de l'environnement, du paysage, de la biodiversité, les politiques de sauvegarde de techniques agricoles spécifiques provenant de cultures anciennes propres à des populations qui s'y sont implantées dans un passé très lointain et provenant de régions très éloignées, la sauvegarde de cultures locales d'importance exceptionnelle, de biens historiques et artistiques, revêtent une importance et une urgence particulière.

Il est essentiel de reconnaître formellement la spécificité des zones de montagne, préalablement à l'application éventuelle de mesures adoptées dans tel ou tel secteur.

Le titre XVII du traité (cohésion économique et sociale) stipule à l'article 158:

"Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale.

En particulier, la Communauté vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales."

Si l'on veut créer les conditions devant permettre aux institutions européennes de définir à l'avenir des politiques ou des interventions spécifiques en faveur des zones de montagne, il est indispensable de proposer que ces territoires soient mentionnés spécifiquement, à côté de ceux déjà indiqués dans la dernière partie de l'article 158 reprise ci-dessus. Dans la version actuelle l'expression "zones rurales" ne recouvre pas le concept de montagne: Ces deux termes ne sont pas identiques et il est indispensable désormais de reconnaître formellement la spécificité des montagnes.

4. Les montagnes dans l'Europe de demain

Ce que sera l'Europe demain constitue à l'heure actuelle une question centrale, essentielle, fondamentale pour l'Europe tout entière, qui s'interroge sur les modalités qui gouverneront le Vieux continent pendant le troisième millénaire.

Ce qui pouvait sembler un lieu commun, à savoir que l'Europe ne pourra se bâtir selon des schémas simples et mécaniques, ou selon la vision d'illuminés qui entendent régler le moindre détail autour d'une table, ni uniquement sur la base d'accords conclus entre États, apparaît désormais comme une évidence qui se consolide jour après jour.

La nouvelle Europe sera le résultat d'un procédé complexe, dans lequel l'unification de la société civile, l'intégration des intérêts, des fonctions, des sujets politiques et des relations avec l'extérieur devront se réaliser graduellement, moyennant une vaste concertation à haut niveau et conformément à un projet non pas technique mais politique.

Si cela a un sens, la nouvelle Europe devra miser largement sur les composantes qui font d'elle un ensemble compact du point de vue historique, humain, culturel et physique. Or, ne serait-ce pas précisément les montagnes qui apportent cet élément de connexion?

Peut-on envisager une Europe du troisième millénaire sans une politique destinée à des zones qui rattachent entre elles, également physiquement, les régions les plus développées du continent? Peut-être n'y pense-t-on pas souvent, mais les raccords entre les régions fortes de la nouvelle Union européenne sont assurés précisément par les chaînes de montagne, ce qui, de toute évidence, ne vaut pas seulement pour les transports, mais aussi, d'une manière générale, pour les liaisons entre espaces économiques. La vallée du Pô se rattache à la vallée du Rhin grâce à la chaîne des Alpes; la Catalogne, en plein essor économique, se rattache au Midi de la France par les Pyrénées; l'Italie elle-même trouve dans l'axe Alpes-Appenins l'ossature qui la soutient, comme dans l'image si bien trouvée par l'économiste italien Giustino Fortunato: les montagnes sont à la plaine ce que l'os est à la chair. Pour ne pas parler de l'intégration avec l'Est, où les Balkans constituent le trait d'union avec la réalité slave, et les monts Tatras le point de jonction entre la Pologne et la Hongrie, nouvelles régions d'Europe en 2004. Sans oublier que dans les zones de montagne également, l'on trouve des sommets d'excellence, en termes socio-économiques, de la réalité européenne (pour rester dans les Alpes, sur le sentier idéal qui va de Grenoble à Bratislava, on rencontre des réalités comme le Vorarlberg, le Tyrol, la Carinthie, la région de Salzbourg, outre les régions italiennes bien connues ...).

Une Europe de "régions fortes" reliées entre elles par l'"ossature des montagnes", pour reprendre l'image de Fortunato, aurait-elle un sens? Non, sans aucun doute. Ce qui est vrai par contre, c'est qu'il faut consacrer une politique européenne à la montagne. Non pour pouvoir ajouter la rubrique "montagne" aux aides accordées par Bruxelles à divers titres et dans une mesure variable, mais parce que la montagne constitue le paradigme même de l'intégration européenne. En fait, depuis longtemps les montagnes d'Europe symbolisent une conception politique pluraliste, fondamentalement tolérante, ouverte à la discussion et à la concertation. D'une certaine façon, cette disponibilité est inscrite dans leur DNA.

Et pourtant, les montagnes non plus ne sont pas épargnées par les défis que la mondialisation leur impose, et par l'accentuation du phénomène inverse, à savoir la poussée du sentiment d'appartenance au niveau local. Ce dernier, s'il n'est pas géré raisonnablement, conduit au "localisme", au particularisme, autrement dit, à des phénomènes qui sont à l'opposé de l'intégration et qui, ce n'est pas un hasard, alimentent les politiques anti-européennes. Ce n'est pas un hasard non plus si de tels phénomènes commencent à prendre pied également dans les régions de montagne, faute d'une politique européenne ad hoc et d'une prise en compte adéquate des spécificités des zones de montagne dans les différentes politiques sectorielles de l'UE.

Nous sommes convaincus que la Commission européenne et le Parlement européen doivent mieux évaluer le rôle potentiel d'intégration de la montagne en tant qu'élément de rassemblement pour l'ensemble de l'Union. Il suffirait de peu: un projet mobilisateur, un choix peut-être peu conventionnel, la volonté de surmonter d'un seul coup les éventuels obstacles techniques et bureaucratiques. Bref, il suffirait d'une politique qui parte de la constatation que l'Europe, si elle doit se faire, ne se réalisera qu'autour d'une conception nouvelle de l'État, différente de celle de l'État national, et qui trouvera ses fondements dans ces composantes nouvelles. La montagne constitue certainement l'une d'entre elles.

Aucun modèle ne suffira à lui seul, surtout dans les décennies qui nous attendent, où la société civile sera fortement influencée par l'interaction entre les intérêts et par le jeu des facteurs politiques et culturels. La nécessité d'une politique "haute", qui mette en place un nouveau modèle d'Europe en partant des éléments qui forment en quelque sorte le ciment entre ses différentes régions, se fera ressentir encore davantage.

C'est pour cette raison que la montagne est un grand défi pour l'Europe et que nous avons une "haute" idée de l'Europe, une Europe dans laquelle le débat politique ne portera pas seulement sur la qualité et la quantité de viande et de lait mais une Europe à laquelle la montagne pourra apporter sa contribution, pour autant que l'on aille au-delà des stéréotypes galvaudés que sont les chaussures de marche et les alpages, mais sans céder pour autant à la tentation réductrice qui entend faire de la montagne une simple question d'environnement ou d'agriculture, comme d'aucuns voudraient encore le faire croire sur le Vieux continent.

5. Les montagnes et les territoires urbains

Il est évident que le présent rapport, avec les considérations et les propositions qu'il contient, a été élaboré dans l'intérêt des populations qui, comme par le passé, vivent, travaillent et constituent des communautés civiles et politiques dans les zones de montagne.

Cependant, personne ne conteste que ces populations jouent un rôle utile non seulement pour leur région mais aussi - et dans une mesure croissante - pour les populations des plaines, des villes, des grandes régions peuplées productives: contrôle du territoire; sauvegarde de l'environnement et du paysage; protection du sol; offre d'espaces et de temps pour la culture, la santé, le sport et les loisirs; production d'éléments stratégiques comme le bois, l'eau, l'énergie; réservoir de produits particulièrement précieux parce que sains et expression d'un équilibre séculaire entre la nature et les besoins de l'homme; siège d'activités minières.

Une politique européenne des montagnes n'est pas utile aux seuls montagnards. C'est vraiment une politique pour tous les Européens.

6. Observations finales et propositions du Comité des régions

Le Comité des régions

1. fait observer qu'en Europe aucun territoire ne peut être destiné à être ou à rester une zone marginale, soumise à un abandon progressif;

2. souligne que des appels pressants parviennent inutilement depuis des années aux organes décisionnels de l'Union afin qu'ils prennent dûment en considération les montagnes européennes compte tenu de leur spécificité territoriale, déterminée par leurs handicaps naturels liés à l'altitude et la déclivité, à des conditions climatiques difficiles et à des caractéristiques géomorphologiques exceptionnelles, aux longues distances et à des difficultés spécifiques, et au coût correspondant de l'établissement et de l'entretien d'infrastructures de transport. Les conditions naturelles ont permis l'apparition d'une flore et d'une faune non seulement uniques mais aussi particulièrement diversifiées. Les conditions particulières de vie dans ces zones incluent également l'approvisionnement et la gestion des services, l'information, l'accès et la mobilité;

3. souligne que les montagnes européennes sont habitées depuis des millénaires et doivent continuer de l'être par des populations qui ne doivent pas se sentir abandonnées mais auxquelles il faut garantir concrètement des conditions de vie sociale et civile appropriées et modernes, ainsi que des possibilités de et un soutien à un développement économique durable à large spectre, de même qu'il faut garantir le respect et la protection des cultures locales et régionales;

4. observe que c'est dans les montagnes européennes que se manifeste une grande partie de la biodiversité et que la présence d'un niveau approprié de population active permet la protection de l'eau, du sol et de l'environnement, l'entretien des forêts et des biens culturels spécifiques ainsi que la production de produits et de services de très haute valeur pour l'ensemble de la population européenne;

5. affirme que les montagnes ont des spécificités propres et, bien qu'une bonne partie des "zones de montagne" soient aussi des "zones rurales", les deux concepts ne sont pas identiques; par analogie, bien que certaines zones de montagne soient sûrement à considérer comme des zones "moins favorisées", juge inacceptable que l'attention que prête l'Union aux montagnes se limite aux difficultés économiques;

6. fait part de sa conviction que le traité doit prendre en considération la notion de "cohésion territoriale" à titre complémentaire par rapport à la "cohésion économique et sociale";

7. estime qu'en mentionnant expressément la montagne dans le traité on créerait une compétence communautaire en la matière, permettant ensuite à la Communauté de procéder à des évaluations et d'élaborer des politiques systématiques en faveur de populations et de territoires déterminés, avec une reconnaissance formelle de la spécificité montagnarde, dans l'intérêt d'une coordination entre les différentes politiques de la Communauté, et bien entendu toujours dans le respect du principe de subsidiarité;

8. demande dès lors que l'article 158 du traité et son titre soient modifiés moyennant l'ajout explicite des "zones de montagne" à côté des "régions ou îles les moins favorisées y compris les zones rurales" déjà mentionnées et du terme "territoriale" parallèlement au concept de "cohésion économique et sociale";

9. estime nécessaire, outre l'affirmation juridique de la spécificité de la montagne, l'adoption d'une législation européenne sur la concurrence qui aurait pour point de départ cette reconnaissance et pour finalité la réduction des désavantages économiques et structurels dont souffrent les régions de montagne sur le plan de la production et sur le plan social par rapport aux autres régions, par la mise en place de soutiens financiers et économiques ainsi que de facilités fiscales de nature structurelle et durable;

10. perçoit dans les zones de montagne des patrimoines de culture et d'organisation sociale et politique qui doivent être valorisés et promus. L'identité de population est une richesse qu'il convient de préserver en tant que composante importante de ce qui fait toute la complexité, au sens positif, de chaque nation et de l'Europe;

11. se prononce énergiquement en faveur de l'adoption de règles soutenables en matière de politique des transports garantissant la mise en place de conditions-cadres unitaires pour la gestion des flux de trafic sur route et des réseaux ferroviaires dans les zones de montagne. Celles-ci ne sauraient se réduire à de simples couloirs de transit. Il s'agit de trouver des solutions intelligentes conciliant les exigences de croissance économique avec la protection de la santé humaine et de l'environnement. Cela inclut également l'expansion des infrastructures et l'amélioration de l'offre dans le trafic ferroviaire transfrontalier. Pour le financement de projets d'infrastructures particulièrement coûteux à l'intérieur de zones écologiquement sensibles, le droit communautaire doit permettre le financement transversal d'infrastructures ferroviaires au moyen des recettes provenant de réseaux routiers parallèles afin de soutenir le transfert nécessaire du trafic marchandises du pneu au rail;

12. remarque que les politiques de rationalisation des budgets publics et de privatisation des services en cours dans toute l'Europe engendrent des dommages, souvent irréversibles, pour les populations de montagne. Presque partout, on réduit les services tels l'enseignement, la santé, les transports, les postes et les télécommunications. La fourniture de services suffisants et de qualité est une condition de survie pour la population locale mais aussi un facteur décisif pour le développement et la croissance des zones de montagne dans leur ensemble. Il convient dès lors que l'administration publique assume une responsabilité particulière et tienne notamment compte, lors de toute restructuration de ces services, de la situation de ces zones, afin que leur niveau ne soit pas seulement maintenu mais amélioré. En tout état de cause, l'égalité d'accès à l'ensemble des services d'intérêt général visant le bien-être de la collectivité doit être inscrite clairement dans le traité CE. Il conviendra donc de prévoir dans les procédures de privatisation, des précautions et des garanties en vue de maintenir le niveau des services dans ces régions;

13. soutient que l'économie de montagne doit être rendue viable et qu'à cette fin il convient de prévoir dans les programmes communautaires:

- le développement des réseaux de services de proximité, notamment des services informatiques destinés aux entreprises, aux familles, aux écoles, aux institutions, aux ONG;

- les politiques qui favorisent l'insertion des jeunes dans les entreprises de différents secteurs, en privilégiant les jeunes exploitants;

- la promotion et la simplification de l'exercice de la pluriactivité;

- la promotion de qualifications professionnelles conformes aux évolutions temporelles.

14. juge utile de proposer à la Commission que le VIème programme cadre de recherche et développement tienne dûment compte des problématiques propres aux zones de montagne et que soit encouragée la mise en place d'un réseau européen entre tous les organismes de recherche opérant dans les zones de montagne;

15. affirme avec force que les différentes zones de montagne d'Europe ont besoin d'une politique communautaire qui aide les populations à gérer des actions cohérentes, coordonnées, intégrées, dans le cadre d'une autonomie locale et régionale étendue et approfondie et fondée sur des principes démocratiques. C'est également la condition requise pour que le principe de subsidiarité puisse s'appliquer pleinement;

16. invite la Commission à développer, dans la perspective de l'élargissement, une stratégie communautaire globale pour le développement soutenable des zones de montagne de l'Union et des pays candidats, qui inclue également le développement de l'espace rural et la sauvegarde de l'agriculture de montagne; une telle stratégie devrait comprendre notamment la coopération transfrontalière des régions de montagne et définir des mesures spécifiques dans le cadre des programmes Interreg, Phare, Tacis et Sapard afin d'associer les pays candidats et les autres régions limitrophes de l'Union aux actions en faveur des zones de montagne. C'est particulièrement important pour les Lapons, la population autochtone du nord et du centre de la Suède, de la Finlande, de la Norvège et du nord de la Russie;

17. considère comme déterminant que la Commission favorise la recherche sur les régions de montagne européennes afin d'aboutir à un classement commun, une réflexion sur les conséquences des changements climatiques pour ces régions; en outre, il invite à soutenir l'idée d'un label commun pour les produits des zones de montagne européennes compatible avec les normes européennes en la matière;

18. invite la Commission à élaborer une définition claire des zones de montagne, fondée sur les critères relatifs aux caractéristiques naturelles telles que l'altitude, la déclivité, la durée réduite des périodes de végétation et la configuration du sol ainsi que sur des critères socioéconomiques comme la densité de population, le développement démographique, la structure des âges, le morcellement et les potentialités de développement des zones économiques et la combinaison de ces critères, qui permette de distinguer clairement, étant donné la diversité des problèmes en jeu, les zones de montagne et les autres zones défavorisées lorsqu'il s'agira de définir des stratégies de développement et de mécanismes de soutien;

19. considère comme absolument nécessaire de compenser les handicaps naturels permanents au moyen d'indemnités; de maintenir de telles indemnités en tant qu'élément primordial de la politique en faveur des zones de montagne, conjointement à la diversification des activités économiques au moyen d'indemnités compensatoires différenciées;

20. insiste sur la nécessité que les zones de montagne bénéficient pour leur économie d'un soutien additionnel au départ des Fonds structurels, outre le soutien dont elles bénéficient par l'intermédiaire du second pilier de la PAC, en mettant l'accent sur les transports, les télécommunications, le soutien du développement pour les entreprises qui ne sont pas directement liées à l'agriculture et le tourisme; fait remarquer en outre, parmi les lignes prioritaires de développement, la nécessité de doter progressivement ces zones d'infrastructures et de services minimaux essentiels, tant dans les secteurs de l'instruction, de la santé et des transports, que dans ceux liés aux nouvelles technologies de la communication et de l'information;

21. souligne que les mesures relevant du deuxième pilier de la politique agricole doivent pouvoir s'intégrer avec les interventions des Fonds structurels. C'est pourquoi le Comité propose que le deuxième pilier de la politique agricole, le développement rural, soit organisé "à la carte", de sorte qu'il y ait des domaines d'intervention qui puissent se combiner avec des mesures proposées "à la carte" et faisant l'objet de discussions pour les futurs Fonds structurels. Pour que le résultat soit aussi efficace que possible, il faut que le niveau local et régional dispose d'une grande influence dans ce domaine;

22. demande que la Commission s'engage à évaluer la possibilité, pour les productions de qualité des zones de montagne, produites dans des zones délimitées conformément aux normes, de se voir décerner une mention additionnelle, outre les appellations DOP et IGP, attestant leur provenance montagnarde;

23. est favorable à la conclusion de conventions régionales, également dans le cadre de la coopération transfrontalière sur le modèle de la Convention des Alpes, afin d'institutionnaliser et d'intensifier la coopération destinée à résoudre des problèmes régionaux et transfrontaliers spécifiques, en fournissant ainsi un exemple concret de réalisation de l'Europe des régions;

24. Les efforts déployés pour assurer aux hommes et aux femmes des conditions égales doivent être intensifiés. Le Comité constate notamment que selon des études récentes, les actions réalisées dans ce domaine constituent elles-mêmes un facteur de développement. S'agissant de l'exode rural, des aides sociales bien développées et l'accès à une offre culturelle plus étendue sont très importants pour empêcher que les femmes et les jeunes quittent les zones rurales et les zones de montagne. Des mesures de formation et de perfectionnement suffisantes, notamment pour les jeunes, y compris les jeunes agriculteurs, sont d'une importance essentielle pour qu'ils puissent gagner leur vie;

25. estime qu'il convient d'adopter des mesures compensatoires aux niveaux national et régional en faveur des zones de montagne, ainsi que des dérogations aux dispositions communautaires sur les aides d'État, afin de permettre la fourniture de services d'intérêt public sur l'ensemble du territoire et pour compenser la réduction du soutien structurel que les régions subiront en raison de la multiplication des demandes d'aides structurelles suite à l'élargissement;

26. souligne la nécessité de doter dûment les zones de montagne d'instruments de politique structurelle, également après 2006, et de les maintenir aussi longtemps que subsisteront leurs problèmes spécifiques;

27. invite la Commission à prévoir, dans le cadre de la stratégie globale en faveur des zones de montagne, des mécanismes spécifiques de soutien pour l'utilisation préférentielle dans ces zones de sources d'énergie renouvelables, tout en préservant leur compatibilité avec l'environnement et le paysage, notamment pour l'exploitation des ressources en eau et pour la gestion soutenable des forêts de montagne;

28. invite la Commission à participer régulièrement aux travaux des organes de la Convention pour la protection des Alpes;

29. propose que les institutions européennes favorisent l'identification et la diffusion de bonnes pratiques relatives à la gestion du territoire de montagne, d'actions de développement soutenable et d'initiatives tendant à surmonter les difficultés de gestion des services. Enfin, il convient de souligner l'importance de l'échange transnational d'expériences locales et régionales;

30. invite la Commission à faire en sorte que le secteur laitier dans les zones de montagne bénéficie d'une attention particulière afin d'essayer de préserver l'agriculture extensive et pratiquée par de petites exploitations.

Bruxelles, le 12 février 2003.

Le Président

du Comité des régions

Albert Bore

(1) COM(2001) 24 final.

(2) COM(2002) 46 final.

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