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Document 62023CC0627

Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 5 septembre 2024.


ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:692

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 5 septembre 2024 (1)

Affaire C627/23

Commune de Schaerbeek,

Commune de Linkebeek

contre

Holding Communal SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/71/CE – Admission de valeurs mobilières à la négociation – Augmentation de capital – Prospectus à publier – Notion de “valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux” – Actions d’une société holding ne pouvant être détenues que par les provinces et les communes et leur cession étant soumise à l’agrément du conseil d’administration »






I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE (2), telle que modifiée par la directive 2008/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008 (3).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les communes de Schaerbeek et de Linkebeek (Belgique) à la société Holding Communal SA, au sujet d’une augmentation de capital de cette dernière, votée sans avoir été précédée de la publication d’un prospectus et à laquelle ces communes ont souscrit.

3.        Je proposerai à la Cour de répondre à la Cour de cassation (Belgique) que l’opération litigieuse d’augmentation de capital en cause, qui s’analyse comme une offre au public de valeurs mobilières, aurait dû être précédée de la publication d’un prospectus, même si la cession ultérieure de ces actions est soumise à l’agrément du conseil d’administration et que lesdites actions ne peuvent être détenues que par des provinces et des communes.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 93/22/CEE

4.        Le onzième considérant de la directive 93/22/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières (4), énonçait :

« considérant que la définition très large des valeurs mobilières et des instruments du marché monétaire retenue dans la présente directive n’a d’effet que pour cette directive et qu’elle n’affecte donc en rien les différentes définitions d’instruments financiers retenues dans les législations nationales à d’autres fins, et notamment à des fins fiscales ; que, par ailleurs, la définition des valeurs mobilières ne vise que les instruments négociables et que, par conséquent, les actions ou les valeurs assimilables à des actions, émises par des organismes tels que les “Building societies” ou les “Industrial and Provident societies”, dont la propriété ne peut, dans la pratique, être transférée qu’à travers leur rachat par l’organisme émetteur, ne sont pas couvertes par cette définition. »

5.        L’article 1er, point 4, de cette directive disposait :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

4)      “valeurs mobilières” :

–        les actions et autres valeurs assimilables à des actions,

–        les obligations et autres titres de créance, négociables sur le marché des capitaux,

et

–        toutes autres valeurs habituellement négociées permettant d’acquérir de telles valeurs mobilières par voie de souscription ou d’échange ou donnant lieu à un règlement en espèces,

à l’exclusion des moyens de paiement. »

2.      La directive « prospectus »

6.        Les considérants 5, 10, 12, 16, 18 et 19, de la directive « prospectus » énoncent :

« (5)      Le 17 juillet 2000, le Conseil a institué un comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières. Dans son rapport initial du 9 novembre 2000, ce comité déplorait l’absence de définition commune de la notion d’offre au public de valeurs mobilières, ce qui a pour conséquence qu’une même opération est assimilée à un placement privé dans certains États membres, mais pas dans les autres. Le système actuel décourage les entreprises de mobiliser des capitaux à l’échelle [de l’Union européenne], les empêchant ainsi d’accéder effectivement à un vaste marché financier, liquide et unifié.

[...]

(10)      La présente directive et ses mesures d’exécution ont pour objet de garantir la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés, conformément aux normes réglementaires exigeantes édictées par les enceintes internationales compétentes.

[...]

(12)      Pour garantir la protection des investisseurs, il convient également que soient couverts tous les titres de capital et les titres autres que de capital offerts au public ou admis à la négociation sur des marchés réglementés, tels que définis par la directive [93/22], et non pas uniquement les valeurs mobilières admises à la cote officielle d’une bourse de valeurs. La définition étendue que donne la présente directive de la notion de valeurs mobilières, qui inclut les warrants, les warrants couverts et les certificats représentatifs d’actions, n’est valable qu’aux fins de la présente directive et, dès lors, n’affecte en aucune façon les diverses définitions des instruments financiers utilisées dans les législations nationales à d’autres fins, notamment fiscales. Certaines des valeurs mobilières définies dans la présente directive confèrent à leur détenteur le droit d’acquérir des valeurs mobilières transférables ou de recevoir un montant en espèces par le biais d’un règlement en espèces déterminé par référence à d’autres instruments, notamment des valeurs mobilières transférables, des devises, des taux d’intérêt ou des rendements, des produits de base ou d’autres indices ou indicateurs. Les certificats d’actions et les titres convertibles, par exemple les valeurs mobilières convertibles au choix de l’investisseur, relèvent de la définition de titres autres que de capital figurant dans la présente directive.

[...]

(16)      L’un des objectifs de la présente directive est de protéger des investisseurs. Il convient donc de différencier les besoins de protection des diverses catégories d’investisseurs, notamment en fonction de leur niveau de compétence. Il n’est ainsi pas nécessaire de publier un prospectus en cas d’offre limitée aux investisseurs qualifiés. [...]

[...]

(18)      La fourniture d’une information complète sur ces valeurs mobilières et leurs émetteurs renforce, conjointement aux règles de conduite, la protection des investisseurs. En outre, cette information constitue un moyen efficace de renforcer la confiance du public dans les valeurs mobilières, contribuant ainsi au bon fonctionnement et au développement des marchés concernés. La façon appropriée de rendre cette information disponible consiste en la publication d’un prospectus.

(19)      L’investissement en valeurs mobilières, comme toute autre forme d’investissement, comporte des risques. Des garanties visant à protéger les intérêts des investisseurs effectifs et potentiels doivent être mises en place dans tous les États membres, pour permettre auxdits investisseurs d’évaluer ces risques en connaissance de cause et de prendre ainsi leurs décisions d’investissement en pleine connaissance de cause. »

7.        L’article 1er de la directive « prospectus » dispose :

« 1.      La présente directive a pour objet l’harmonisation des exigences relatives à l’établissement, à l’approbation et à la diffusion du prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé situé ou opérant sur le territoire d’un État membre.

2.      La présente directive ne s’applique pas :

[...]

d)      aux valeurs mobilières inconditionnellement et irrévocablement garanties par un État membre ou par l’une des autorités régionales ou locales d’un État membre ;

[...] »

8.        L’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), ainsi que sous e), ii), de cette directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “valeurs mobilières” : les valeurs mobilières telles que définies à l’article 1er, point 4), de la directive [93/22], à l’exception des instruments du marché monétaire tels que définis à l’article 1er, point 5), de la directive [93/22] et dont l’échéance est inférieure à douze mois ; pour ces instruments, la législation nationale peut s’appliquer ;

[...]

d)      “offre au public de valeurs mobilières” : une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces valeurs mobilières : cette définition s’applique également au placement de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers ;

e)      “investisseurs qualifiés” :

[...]

ii)      les gouvernements nationaux et régionaux, les banques centrales, les organisations internationales et supranationales comme le Fonds monétaire international [FMI], la Banque centrale européenne [BCE], la Banque européenne d’investissement [BEI], et les autres organisations internationales analogues. »

9.        Aux termes de l’article 3 de la directive « prospectus » :

« 1.      Les États membres n’autorisent aucune offre de valeurs mobilières au public sur leur territoire sans publication préalable d’un prospectus.

2.      L’obligation de publier un prospectus ne s’applique pas aux catégories d’offres suivantes :

a)      une offre de valeurs mobilières adressée uniquement aux investisseurs qualifiés ; et/ou

b)      une offre de valeurs mobilières adressée à moins de 100 personnes physiques ou morales, autres que des investisseurs qualifiés, par État membre ; et/ou

c)      une offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un prix total d’au moins 50 000 euros par investisseur et par offre distincte ; et/ou

d)      une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s’élève au moins à 50 000 euros ; et/ou

e)      une offre de valeurs mobilières dont le montant total est inférieur à 100 000 euros. Cette limite est calculée sur une période de douze mois.

[...] »

10.      L’article 4, paragraphe 1, de cette directive énonce les catégories de valeurs mobilières dont l’offre au public n’est pas soumise à l’obligation de publier un prospectus.

11.      Aux termes de l’article 13, paragraphes 1 et 4, de ladite directive :

« 1.      Aucun prospectus n’est publié avant approbation par l’autorité compétente de l’État membre d’origine.

[...]

4.      Si l’autorité compétente estime, pour des motifs raisonnables, que les documents qui lui sont soumis sont incomplets ou qu’un complément d’information est nécessaire, les délais prévus aux paragraphes 2 et 3 ne courent qu’à partir de la date à laquelle les informations sont fournies par l’émetteur, l’offreur ou la personne qui sollicite l’admission à la négociation.

Si les documents sont incomplets, l’autorité compétente devrait en informer l’émetteur, pour les cas visés au paragraphe 2, dans les dix jours ouvrables qui suivent l’introduction de la demande. »

12.      L’article 25, paragraphe 1, de la même directive énonce :

« Sans préjudice de leur droit d’appliquer des sanctions pénales ou de leur régime de responsabilité civile, les États membres veillent à ce que, conformément à leur droit national, les mesures ou les sanctions administratives appropriées puissent être prises à l’encontre des personnes responsables, lorsque les dispositions adoptées en application de la présente directive n’ont pas été respectées. Les États membres veillent à ce que ces mesures soient effectives, proportionnées et dissuasives. »

3.      La directiveMiFID I

13.      Les considérants 1 et 44, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (5), telle que modifiée par la directive 2006/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006 (6), énoncent :

« (1)      La directive [93/22] visait à créer un environnement dans lequel des entreprises d’investissement et des banques agréées pourraient, sur la base de l’agrément délivré et de la surveillance exercée par leur État membre d’origine, fournir des services déterminés ou établir des succursales dans d’autres États membres. À cette fin, elle s’efforçait d’harmoniser les conditions initiales d’agrément et d’exercice applicables aux entreprises d’investissement, y compris les règles de conduite. Elle prévoyait aussi l’harmonisation de certaines règles afférentes au fonctionnement des marchés réglementés.

[...]

(44)      Dans le double objectif de protéger les investisseurs et d’assurer le bon fonctionnement des marchés des valeurs mobilières, il convient de garantir la transparence des transactions et de veiller à ce que les règles prévues à cet effet s’appliquent aux entreprises d’investissement lorsqu’elles opèrent sur ces marchés. Pour permettre aux investisseurs ou aux participants au marché d’évaluer, à tout moment, les conditions d’une transaction sur actions qu’ils envisagent et de vérifier, a posteriori, les modalités selon lesquelles elle a été exécutée, des règles communes devraient être fixées en ce qui concerne la publication des détails afférents aux transactions sur actions déjà effectuées et la divulgation des détails concernant les possibilités actuelles de transactions sur actions. Ces règles sont nécessaires pour garantir l’intégration réelle des marchés nationaux des actions, pour renforcer l’efficacité du processus global de formation des prix de ces instruments et pour favoriser le respect effectif des obligations d’exécution au mieux. La réalisation de ces objectifs suppose la mise en place d’un régime global de transparence applicable à toutes les transactions en actions, qu’elles soient exécutées par une entreprise d’investissement sur une base bilatérale ou par l’intermédiaire d’un marché réglementé ou d’un [système multilatéral de négociation (MTF)]. L’obligation faite aux entreprises d’investissement en vertu de la présente directive d’afficher un prix acheteur et vendeur et d’exécuter un ordre au prix affiché n’exempte pas les entreprises d’investissement de l’obligation d’acheminer un ordre vers un autre système d’exécution dès lors que l’internalisation serait de nature à empêcher l’entreprise de satisfaire aux obligations d’exécution au mieux. »

14.      L’article 4, paragraphe 1, points 14, 17 et 18, de la directive MiFID I dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

14)      “marché réglementé” : un système multilatéral, exploité et/ou géré par un opérateur de marché, qui assure ou facilite la rencontre – en son sein même et selon ses règles non discrétionnaires – de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à la négociation dans le cadre de ses règles et/ou de ses systèmes, et qui est agréé et fonctionne régulièrement conformément aux dispositions du titre III ;

[...]

17)      “instruments financiers” : les instruments visés à la section C de l’annexe I ;

18)      “valeurs mobilières” : les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que :

a)      les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions ;

b)      les obligations et les autres titres de créance, y compris les certificats d’actions concernant de tels titres ;

c)      toute autre valeur donnant le droit d’acquérir ou de vendre de telles valeurs ou donnant lieu à un règlement en espèces, fixé par référence à des valeurs mobilières, à une monnaie, à un taux d’intérêt ou rendement, aux matières premières ou à d’autres indices ou mesures. »

15.      L’article 40, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres exigent que les marchés réglementés établissent des règles claires et transparentes concernant l’admission des instruments financiers à la négociation.

Ces règles garantissent que tout instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé est susceptible de faire l’objet d’une négociation équitable, ordonnée et efficace et, dans le cas des valeurs mobilières, d’être négocié librement. »

16.      Aux termes de l’article 69 de ladite directive :

« La directive [93/22] est abrogée à compter du 1er novembre 2007. Les références à la directive [93/22] s’entendent comme faites à la présente directive. Les références à des termes définis dans la directive [93/22], ou à des articles de ladite directive, s’entendent comme faites au terme équivalent défini dans la présente directive ou à l’article correspondant de la présente directive. »

17.      L’annexe I de la directive MiFID I établit la « [l]iste des services, des activités et des instruments financiers ». Au sein de la section C de cette annexe, qui liste les « [i]nstruments financiers », figure, au point 1, les « [v]aleurs mobilières ».

4.      Le règlement (CE) n° 809/2004

18.      L’article 3, deuxième alinéa, du règlement (CE) no 809/2004 (7), tel que modifié par le règlement (CE) no 1289/2008 de la Commission, du 12 décembre 2008 (8), énonce :

« Le prospectus contient les éléments d’information exigés aux annexes I à XVII selon le type d’émetteur et la catégorie de valeurs mobilières concernés [...] »

B.      Le droit belge

19.      L’article 3, paragraphe 1, de la loi relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés, du 16 juin 2006 (9), dispose :

« Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par “offre publique” une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les instruments de placement à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces instruments de placement, et qui est faite par la personne qui est en mesure d’émettre ou de céder les instruments de placement ou pour son compte.

Est présumée agir pour le compte de la personne qui est en mesure d’émettre ou de céder les instruments de placement, toute personne qui perçoit directement ou indirectement une rémunération ou un avantage à l’occasion de l’offre. »

20.      L’article 4, paragraphe 1, points 1 et 10, de cette loi prévoit :

« Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par “instruments de placement” :

1)      les valeurs mobilières ;

[...]

10)      tous les autres instruments permettant d’effectuer un investissement de type financier, quels que soient les actifs sous-jacents. »

21.      Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ladite loi :

« Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par “valeurs mobilières” toutes les catégories d’instruments de placement négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que :

1)      les actions de sociétés et autres instruments de placements équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités, en ce compris les instruments de placement émis par des organismes de placement collectif, revêtant la forme contractuelle ou de trust, en représentation des droits des participants sur les actifs de ces organismes, ainsi que les certificats représentatifs d’action ;

2)      les obligations et les autres titres de créance ou d’emprunt, y compris les certificats représentatifs de tels titres et les certificats immobiliers ;

3)      toute autre valeur donnant le droit d’acquérir ou de vendre de telles valeurs ou donnant lieu à un règlement en espèces, dont le montant est fixé par référence à des valeurs mobilières, à une monnaie, à un taux d’intérêt ou rendement, aux matières premières ou à d’autres indices ou mesures. »

22.      Le titre IV de la loi du 16 juin 2006 concerne « [l]e prospectus ». Au sein du chapitre 1 de ce titre, intitulé « Obligation de publier un prospectus », la section 1, relative au « [c]hamp d’application », contient l’article 17 qui énonce :

« Le présent chapitre s’applique à toute offre publique d’instruments de placement effectuée sur le territoire belge et à toute admission d’instruments de placement à la négociation sur un marché réglementé belge. »

23.      Au sein de la section 2 de ce chapitre, intitulée « Publication d’un prospectus », l’article 20 de cette loi est libellé comme suit :

« Toute opération visée au présent chapitre requiert la publication préalable d’un prospectus par l’émetteur, l’offreur ou la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé, selon le cas. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

24.      Holding Communal, anciennement dénommée « Crédit communal de Belgique », a été initialement constituée le 24 novembre 1860 afin de financer les investissements des pouvoirs locaux en Belgique. Elle a comme actionnaires les communes et les provinces belges, dont, notamment, les communes de Schaerbeek et de Linkebeek, qui se financent auprès d’elle.

25.      Au cours de l’année 1996, le Crédit communal de Belgique a fusionné avec le Crédit local de France et a donné naissance au Groupe Dexia. Deux années plus tard, le Crédit communal de Belgique a été transformé en une société holding et a pris sa dénomination actuelle, Holding Communal. Cette dernière détient une participation importante dans la société anonyme Dexia et dans la société anonyme Dexia Banque, actuellement Belfius Banque.

26.      Dans le contexte de la crise financière de l’année 2008, Holding Communal a participé à l’augmentation du capital de la société anonyme Dexia à hauteur de 500 millions d’euros. Afin de pouvoir libérer cette souscription et après l’échec d’obtention d’un prêt pendant l’été 2009, le conseil d’administration de Holding Communal a décidé de faire appel aux actionnaires en leur proposant, notamment, une augmentation de capital par apports en numéraire donnant lieu à l’émission d’actions « cumulativement privilégiées A » (ci-après l’« opération litigeuse d’augmentation de capital »).

27.      Au mois de septembre 2009, une réunion d’information a été organisée, lors de laquelle des informations ont été communiquées aux actionnaires et le calendrier de l’opération a été adapté afin de tenir compte du processus décisionnel propre aux communes et aux provinces. Le 30 septembre 2009, lors de l’assemblée générale, tous les actionnaires de Holding Communal ont approuvé cette augmentation de capital. En ce qui concerne l’opération litigieuse d’augmentation de capital, il a été décidé que la souscription se ferait en deux tours. La commune de Schaerbeek a souscrit pour un montant de 8 161 689,60 euros, lors du premier tour, et de 1 359 011,84 euros, lors du second tour, et sa souscription a été financée par un emprunt de 8 161 698 euros auprès de Dexia Banque. Quant à la commune de Linkebeek, sa souscription était d’un montant de 53 575,68 euros à chacun des deux tours.

28.      Le 7 décembre 2011, l’assemblée générale extraordinaire de Holding Communal a décidé de la dissolution et de la mise en liquidation de cette société. Aucun boni de liquidation ne pouvant être distribué, les actionnaires ont perdu l’intégralité de leurs souscriptions.

29.      Les communes de Schaerbeek et de Linkebeek ont introduit un recours contre Holding Communal devant le tribunal de commerce francophone de Bruxelles (Belgique) aux fins de faire annuler leurs souscriptions à l’opération litigieuse d’augmentation pour violation de la loi du 16 juin 2006. Elles ont soutenu que, préalablement à l’invitation des actionnaires à souscrire à cette augmentation de capital, un prospectus aurait dû être publié conformément à cette loi. Ce tribunal a considéré que ladite loi, ainsi que la directive « prospectus », ne régissait l’offre des valeurs mobilières que pour autant qu’elles soient négociables sur le marché des capitaux et a conclu que les actions de Holding Communal ne constituaient pas des valeurs mobilières négociables sur un tel marché.

30.      Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), du 12 avril 2022, concluant que la loi du 16 juin 2006, transposant la directive « prospectus », ne régit l’offre des valeurs mobilières que si elles sont négociables sur le marché des capitaux. Néanmoins, les actions émises en contrepartie des apports en numéraire à l’opération litigieuse d’augmentation étaient des valeurs mobilières non négociables sur le marché des capitaux, puisqu’elles ne pouvaient être détenues que par des entités communales et provinciales et que leur cession était sujette à un agrément du conseil d’administration.

31.      Les communes de Schaerbeek et de Linkebeek ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation, et font valoir que les actions des sociétés demeurent négociables sur le marché des capitaux, même si cette négociation conduit à une opération limitée aux autorités communales et provinciales et si elle est soumise à l’agrément du conseil d’administration.

32.      Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive [“prospectus”], renvoyant lui-même à l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive [MiFID I], doit-il être interprété en ce sens que la notion de valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux englobe les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration ? »

33.      Des observations écrites ont été déposées par les communes de Schaerbeek et de Linkebeek, Holding Communal ainsi que la Commission européenne.

IV.    Analyse

34.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par des provinces et des communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration sont des valeurs mobilières négociables sur le marché des capitaux dont l’offre au public nécessite la publication préalable d’un prospectus.

35.      Pour répondre à cette question, il convient de relever que, l’article 3 de la directive « prospectus » énonçant que les États membres n’autorisent aucune offre de valeurs mobilières au public sur leur territoire sans publication préalable d’un prospectus, il est nécessaire de définir ce que sont, d’une part, les « valeurs mobilières » et, d’autre part, l’« offre au public ».

36.      S’agissant de ces notions, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (10). Or, en l’espèce, il n’existe pas de renvoi exprès au droit des États membres, donc lesdites notions doivent faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme.

37.      En premier lieu, concernant la notion d’« offre au public », l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive « prospectus » la définit comme « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces valeurs mobilières ». Les termes utilisés sont très larges, sans restriction quant aux personnes concernées ou aux modalités de forme de la communication. En revanche, il est nécessaire que cette communication comporte une information suffisante sur les conditions d’acquisition des titres.

38.      Par ailleurs, la directive « prospectus » énumère certaines catégories d’offres ne relevant pas de l’obligation de publication d’un prospectus en raison de la qualité des personnes visées par l’offre, du montant minimal de l’investissement individuel ou maximal de l’offre totale (article 3, paragraphe 2) ou certaines catégories de valeurs mobilières offertes au public ou admises à la négociation sur un marché réglementé ne nécessitant pas non plus la publication d’un tel prospectus (article 4). La question pourrait se poser de savoir si l’offre contestée remplissait les conditions de l’une des exceptions prévues, notamment, à l’article 3, paragraphe 2, sous b) (11), sous c) (12), ou sous d) (13), de cette directive.

39.      Il résulte de ces exceptions qu’une offre faite à plus de 100 personnes, autres que des investisseurs qualifiés [ce que peuvent être des gouvernements nationaux et régionaux en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive « prospectus »], est soumise à la publication d’un prospectus. Or, les éléments contenus dans la demande de décision préjudicielle ne permettent pas de savoir à combien de communes et de provinces a été faite l’offre en vue de l’opération litigeuse d’augmentation de capital et si les provinces constituent des gouvernements régionaux au sens de cette directive. Il appartiendra au juge de renvoi de vérifier ces éléments. En tout état de cause, le seuil de 100 personnes est très bas et, dès qu’il est franchi, un prospectus doit être publié.

40.      En outre, la demande de décision préjudicielle ne permet pas non plus de déterminer le montant total de valeurs mobilières acquises par chaque investisseur ou le montant nominal de la valeur mobilière offerte. Il n’est donc pas possible de savoir si le seuil de 50 000 euros, au-delà duquel un prospectus n’est pas obligatoire, est dépassé. Le juge de renvoi devra procéder à cette vérification. Néanmoins, cela démontre, a contrario, que, jusqu’à ce seuil élevé de 50 000 euros acquis par chaque investisseur ou de 50 000 euros correspondant au montant de l’action offerte, un prospectus est nécessaire.

41.      Ainsi, à l’exception de ces offres particulières prévues aux articles 3 et 4 de la directive « prospectus », toute offre de valeurs mobilières doit être considérée comme étant publique et doit, en conséquence, être précédée de la publication d’un prospectus.

42.      Le contexte dans lequel s’inscrit cette directive confirme cette interprétation large de la notion d’« offre au public » dans un souci d’harmonisation. En effet, le considérant 5 de ladite directive a rappelé que le rapport initial du 9 novembre 2000 du comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières déplorait l’absence de définition commune de la notion d’« offre au public de valeurs mobilières », « ce qui a pour conséquence qu’une même opération est assimilée à un placement privé dans certains États membres, mais pas dans les autres ». Le même manque de définition commune de l’« offre au public » a été relevé dans le rapport final de ce groupe de sages (14). De plus, l’exposé des motifs de la proposition de directive de la Commission (15) rappelle, dans la partie relative à l’article 2, que « l’introduction de la notion d’“offre au public” constitue une innovation majeure. Lors de l’adoption de la directive 89/298/CEE [du Conseil, du 17 avril 1989, portant coordination des conditions d’établissement, de contrôle et de diffusion du prospectus à publier en cas d’offre publique de valeurs mobilières (16)], il n’avait pas été possible de s’accorder sur une définition commune (cf. le considérant 7 de ladite directive) ». Par conséquent, à partir du moment où est créée une définition harmonisée, les exceptions doivent être interprétées strictement et les termes de la définition doivent faire l’objet d’une interprétation large.

43.      La conséquence de cette absence de définition de la notion d’« offre au public » était que, selon les États membres, pour un même type d’offres, la publication d’un prospectus était obligatoire ou non, entravant ainsi l’efficacité des marchés au sein de l’Union. Or, cette efficacité des marchés est l’un des objectifs, avec la protection des investisseurs, poursuivis par la directive « prospectus », ainsi qu’il est rappelé au considérant 10 de cette directive. En effet, la publication d’un prospectus se fait à l’issue d’un processus comprenant plusieurs étapes décrites à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive, à savoir l’établissement, l’approbation et la diffusion du prospectus.

44.      L’objectif d’efficacité des marchés est satisfait par la création d’un prospectus pouvant servir de passeport au sein de l’Union, puisqu’une information minimale de même nature est portée à la connaissance, par diffusion, dans le même type d’offres pour les investisseurs dans l’Union et que, en conséquence, un seul prospectus peut être élaboré pour une offre dans plusieurs États membres.

45.      La protection des investisseurs résulte, certes, du fait que la même information va être donnée à l’ensemble des investisseurs potentiels, mais aussi du fait que l’autorité compétente désignée par l’État membre va approuver ou non le contenu du prospectus après avoir demandé, le cas échéant, un complément d’information, ainsi qu’il est prévu à l’article 13, paragraphes 1 et 4, de la directive « prospectus ». Ainsi, les potentiels investisseurs ont la certitude qu’un prospectus publié a fait l’objet d’une vérification par cette autorité.

46.      La poursuite de ces deux objectifs alliée à la généralité des termes employés dans la définition de l’« offre au public » conduit à penser qu’une offre telle que celle proposée par Holding Communal est une offre au public, même si elle semble réservée aux actionnaires en place, sous réserve qu’elle n’entre pas dans l’une des catégories d’offres au public exemptées de l’obligation de publier un prospectus en application de l’article 3, paragraphe 2, de la directive « prospectus ».

47.      En second lieu, concernant la notion de « valeurs mobilières », celle-ci est définie à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus » par renvoi à la définition prévue à l’article 1er, point 4, de la directive 93/22.

48.      Dans cette directive, les valeurs mobilières étaient définies comme étant « les actions et autres valeurs assimilables à des actions, les obligations et autres titres de créance, négociables sur le marché des capitaux, et toutes autres valeurs habituellement négociées permettant d’acquérir de telles valeurs mobilières par voie de souscription ou d’échange ou donnant lieu à un règlement en espèces, à l’exclusion des moyens de paiement ». Ainsi, les actions étaient en elles-mêmes des valeurs mobilières et n’avaient pas besoin d’être négociables sur le marché des capitaux, contrairement aux obligations et aux autres titres de créances.

49.      Toutefois, la directive 93/22 a été abrogée, à compter du 1er novembre 2007, par la directive MiFID I dont l’article 69 énonce que « [l]es références à la directive [93/22] s’entendent comme faites à la présente directive. Les références à des termes définis dans la directive [93/22], ou à des articles de ladite directive, s’entendent comme faites au terme équivalent défini dans la présente directive ou à l’article correspondant de la présente directive ». Dès lors que la directive MiFID I définit la notion de « valeurs mobilières », c’est cette définition qu’il convient d’analyser.

50.      Or, l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I définit les valeurs mobilières comme « les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement) » et donne une liste d’exemples comprenant notamment « les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions ». Dans cette nouvelle définition, les actions ne constituent des « valeurs mobilières » au sens de cette directive que si elles sont négociables sur le marché des capitaux, à la différence de ce qui était prévu dans la directive 93/22 et dans la proposition de la Commission qui a abouti à la directive « prospectus » (17). Dorénavant, il convient de tenir compte de la négociabilité des actions sur le marché des capitaux pour pouvoir les qualifier de « valeurs mobilières » au sens de la directive MiFID I.

51.      Premièrement, d’un point de vue littéral, la qualification de « valeurs mobilières » repose sur deux notions : la « négociabilité » et le « marché des capitaux ».

52.      D’une part, l’adjectif « négociable » peut se définir comme ce qui peut être négocié, faire l’objet d’une négociation, et spécialement dans le domaine de la bourse : se dit d’une valeur mobilière ou d’un effet public qui fait l’objet de transactions courantes et n’est frappé d’aucune restriction particulière (18).

53.      Ainsi, l’interprétation littérale du mot « négociable » renvoie à la possibilité d’une cession de façon générale ou à l’absence de toute restriction particulière à la cession. Dès lors, elle ne permet pas, à elle seule, de répondre à la question du juge de renvoi, puisque l’agrément par le conseil d’administration pourrait être analysé comme étant une restriction à la cession.

54.      D’autre part, s’agissant de la notion de « marché des capitaux », dans le domaine boursier, le marché se dit des différentes formes de convention qui régissent les transactions sur les valeurs mobilières (19). Ainsi, le marché des capitaux a une définition très large et ne fait pas référence uniquement au marché réglementé ou à une cotation en bourse : il renvoie à la notion de transactions sur une catégorie de biens, ici les valeurs mobilières.

55.      Deuxièmement, l’interprétation des notions de « négociabilité » et de « marché des capitaux » doit tenir compte du contexte dans lequel elles sont utilisées.

56.      Sur ce point, le considérant 12 de la directive « prospectus » énonce clairement que doivent être « couverts tous les titres de capital et les titres autres que de capital offerts au public ou admis à la négociation sur des marchés réglementés, tels que définis par la directive [93/22], et non pas uniquement les valeurs mobilières admises à la cote officielle d’une bourse de valeurs ».

57.      En outre, l’article 3, deuxième alinéa, du règlement no 809/2004, mettant en œuvre la directive « prospectus », précise que le prospectus contient les éléments d’information exigés aux annexes I à XVII de ce règlement, selon le type d’émetteur et la catégorie de valeurs mobilières concernés. Ainsi, le point 21.2.3 des annexes I et X dudit règlement énonce que les restrictions attachées à chaque catégorie d’actions existantes doivent être décrites. De façon encore plus précise, le point 4.8 de l’annexe III du même règlement impose de décrire toute restriction imposée à la libre négociabilité des valeurs mobilières (20). La même obligation de description existe en cas de convention de blocage des valeurs mobilières : le prospectus doit identifier les parties concernées, décrire le contenu de la convention et les exceptions qu’elle contient, et indiquer la durée de la période de blocage (21).

58.      Toutefois, comme le souligne la Commission, de telles restrictions ou conventions de blocage ne devraient pas aboutir à une impossibilité ou à une extrême difficulté de cession, car, dans cette hypothèse, les valeurs mobilières ne pourraient pas être considérées comme étant négociables. Une telle hypothèse pourrait exister en cas d’impossibilité de cession à un tiers, seul l’émetteur pouvant acquérir la valeur mobilière émise.

59.      Dès lors, il est clair que, dans le contexte de la directive « prospectus », des restrictions à la négociabilité des valeurs mobilières, voire des conventions de blocage, ne font pas obstacle en soi à ce que les titres concernés entrent dans la définition de valeurs mobilières soumises à l’obligation de publication d’un prospectus en cas d’offre au public, à condition toutefois que ces restrictions et conventions ne rendent pas une cession impossible ou extrêmement difficile.

60.      Dans le contexte de la directive 93/22 dont la définition des valeurs mobilières a été remplacée par celle retenue par la directive MiFID I, applicable en l’espèce, l’interprétation doit être la même, à savoir une vision large de la notion de « valeurs mobilières ». Ainsi, si le onzième considérant de la directive 93/22 rappelait que la définition des valeurs mobilières retenue était très large, il précisait également qu’elle ne visait que les instruments négociables et qu’étaient donc exclues de cette définition les actions dont la propriété, en pratique, ne pouvait être transférée qu’à travers le rachat par l’organisme émetteur, comme les « Building societies » ou les « Industrial and Provident societies ». C’est encore une hypothèse envisagée pour certains crypto-actifs (22).

61.      En outre, même s’il a trait à l’admission sur un marché réglementé, l’article 40, paragraphe 1, second alinéa, de la directive MiFID I prévoit que les valeurs mobilières doivent pouvoir y être négociées librement.

62.      Cette vision a été renforcée par la Commission elle-même dans une foire aux questions relatives à cette directive. Elle a indiqué, à cette occasion, que l’essence de la définition des valeurs mobilières était d’être, comme catégorie, négociables sur les marchés de capitaux (23). Elle a ajouté, concernant ces marchés, que leur définition incluait tous les contextes où il y avait une rencontre entre des intérêts vendeurs et acheteurs de titres (24).

63.      Il résulte de cette interprétation, tenant compte du contexte, que les restrictions à la négociabilité des actions de Holding Communal tenant à la nécessité d’avoir l’agrément du conseil d’administration pour céder ses actions à un nombre limité de catégories de personnes (les provinces et les communes) ne sont pas telles qu’elles empêchent, par principe, toute négociabilité des actions au sein de celles-ci, sauf à ce que la juridiction de renvoi établisse qu’il existe une impossibilité ou une extrême difficulté à procéder à une cession. En outre, je considère qu’il existe un marché des capitaux pour ces actions en raison du nombre des personnes morales pouvant être actionnaires. En effet, la Commission relève qu’il existe 581 communes et 10 provinces en Belgique : ce sont autant de personnes morales actionnaires ou susceptibles de le devenir en rachetant des actions appartenant à d’autres actionnaires. Or, ainsi que je l’ai rappelé au point 39 des présentes conclusions, au-delà de 100 potentiels investisseurs, la directive « prospectus » prévoit qu’un prospectus doit être établi, ce qui confirme le fait que le petit nombre des actionnaires, et donc la taille restreinte du marché secondaire, celui où se revendent les actions, n’est pas, en soi, un obstacle pour considérer que les actions sont négociables. Ces actions entrent, en conséquence, dans la définition des valeurs mobilières dont l’offre au public impose la publication d’un prospectus.

64.      Troisièmement, les notions de « négociabilité » et de « marché des capitaux » doivent être interprétées au regard des objectifs de la directive « prospectus » et de la directive MiFID I, qui contient la définition des valeurs mobilières.

65.      Comme rappelé au point 43 des présentes conclusions, la directive « prospectus » poursuit deux objectifs : assurer la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés. Ces objectifs sont également ceux recherchés par la directive MiFID I (25).

66.      Dès lors, lesdits objectifs conduisent à retenir une définition large de « négociabilité » et de « marché des capitaux », puisque le prospectus assure une meilleure information des investisseurs, étant donné que les mêmes informations minimales doivent être prévues dans le prospectus dont le contenu est contrôlé par une autorité nationale, et une meilleure efficacité des marchés, car un prospectus peut être utilisé dans plusieurs États membres.

67.      La Cour a déjà jugé que les considérants 10, 18 et 19 de la directive « prospectus » ont « pour objet de garantir la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés », que l’information complète sur les valeurs mobilières « constitue un moyen efficace de renforcer la confiance du public dans [ces valeurs], contribuant ainsi au bon fonctionnement et au développement des marchés concernés », et que « des garanties visant à protéger les intérêts des investisseurs effectifs et potentiels doivent être mises en place dans tous les États membres, pour permettre auxdits investisseurs d’évaluer [les] risques [que comporte l’investissement en valeurs mobilières] et de prendre ainsi leurs décisions d’investissement en pleine connaissance de cause » (26).

68.      Elle a également jugé que, compte tenu de ces objectifs, la publication d’un prospectus vise, d’une part, à permettre aux investisseurs d’évaluer les risques liés aux opérations d’offre au public de valeurs mobilières et d’admission de ces valeurs à la négociation, de manière à leur permettre de prendre une décision en connaissance de cause, et, d’autre part, à ce que le bon fonctionnement des marchés concernés ne soit pas entravé par des irrégularités (27).

69.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2014, Almer Beheer et Daedalus Holding (28), la Cour s’est fondée sur lesdits objectifs pour juger qu’une vente forcée de valeurs mobilières à la demande d’un créancier ne nécessitait pas la publication d’un prospectus, puisqu’elle n’avait pas les mêmes objectifs que ceux poursuivis par la directive « prospectus ». Toutefois, un raisonnement similaire ne peut être tenu dans le cadre de la question posée à la Cour dans la présente affaire puisque, d’une part, la vente a eu lieu dans des conditions normales, sans procédure juridictionnelle à la demande d’un tiers, et, d’autre part, la société Holding Communal était bien responsable de l’élaboration du prospectus éventuel en tant qu’émetteur des valeurs mobilières et avait toutes les informations nécessaires pour cette élaboration.

70.      Ainsi, l’interprétation téléologique conduit également à retenir une vision large des notions de « négociabilité » et de « marché des capitaux ».

71.      Dès lors, les actions de Holding Communal qui ne peuvent être cédées qu’à des provinces ou des communes belges avec l’accord du conseil d’administration relèvent de la catégorie des valeurs mobilières au sens de la directive « prospectus » et leur émission aurait dû être précédée de la publication d’un prospectus, dans la mesure où elles peuvent être échangées entre 581 communes et 10 provinces.

72.      Néanmoins, il appartiendra au juge de renvoi de s’assurer de plusieurs points : premièrement, que les conditions des exceptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, de la directive « prospectus » sont remplies ou non, deuxièmement, que les conditions d’agrément du conseil d’administration et de cessions uniquement possibles entre provinces et communes belges ne rendent pas impossible ou extrêmement difficile toute cession en raison d’autres éléments non évoqués dans la demande de décision préjudicielle, et, troisièmement, que, conformément aux dispositions de l’article 25, paragraphe 1, de cette directive, les mesures ou sanctions administratives mises en œuvre par les États membres en cas de non‑respect des dispositions de ladite directive soient effectives, proportionnées et dissuasives.

73.      Au regard de l’ensemble de ces éléments, je propose de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus » doit être interprété en ce sens que la notion de « valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux » englobe les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration, sous réserve que ces restrictions ne rendent pas la négociabilité de ces actions sur le marché des capitaux impossible ou extrêmement difficile.

V.      Conclusion

74.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation (Belgique) de la manière suivante :

L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE, telle que modifiée par la directive 2008/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de « valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux » englobe les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration, sous réserve que ces restrictions ne rendent pas la négociabilité de ces actions sur le marché des capitaux impossible ou extrêmement difficile.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2003, L 345, p. 64.


3      JO 2008, L 76, p. 37, ci-après la « directive “prospectus” ».


4      JO 1993, L 141, p. 27.


5      JO 2004, L 145, p. 1.


6      JO 2006, L 114, p. 60, ci-après la « directive MiFID I ».


7      Règlement de la Commission du 29 avril 2004 mettant en œuvre la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les informations contenues dans les prospectus, la structure des prospectus, l’inclusion d’informations par référence, la publication des prospectus et la diffusion des communications à caractère promotionnel (JO 2004, L 149, p. 1).


8      JO 2008, L 340, p. 17, ci-après le « règlement no 809/2004 ».


9      Moniteur belge du 21 juin 2006, p. 31352, ci-après la « loi du 16 juin 2006 ».


10      Voir arrêt du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat) (C‑670/22, EU:C:2024:372, point 109 et jurisprudence citée).


11      Une offre de valeurs mobilières adressée à moins de 100 personnes physiques ou morales, autres que des investisseurs qualifiés, par État membre.


12      Une offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un prix total d’au moins 50 000 euros par investisseur et par offre distincte.


13      Une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s’élève au moins à 50 000 euros.


14      Voir rapport final du comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières du 15 février 2001, disponible, en langue anglaise, à l’adresse Internet suivante : https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2015/11/lamfalussy_report.pdf (p. 12 et 15).


15      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation [COM(2001) 280 final].


16      JO 1989, L 124, p. 8.


17      Voir article 2, paragraphe 1, sous a), de la proposition de directive citée à la note en bas de page 15 des présentes conclusions : « Aux fins de la présente directive, on entend par “valeurs mobilières” : les actions et autres valeurs assimilables à des actions, les obligations et autres titres de créance négociables sur un marché réglementé et toute autre valeur normalement négociable permettant d’acquérir de telles valeurs mobilières par voie de souscription ou d’échange ou donnant lieu à un règlement en espèces. »


18      Voir Dictionnaire de l’Académie française.


19      Voir Dictionnaire de l’Académie française.


20      Il en est de même pour un certain nombre d’autres valeurs mobilières : voir annexe V, point 4.13 ; annexe X, points 27.10 et 28.10 ; annexe XII, point 4.1.10 ; annexe XIII, point 4.14, ainsi que annexe XIV, point 1.8, du règlement no 809/2004.


21      Voir annexe III, point 7.3, et annexe X, point 27.14, du règlement no 809/2004.


22      Voir, en ce sens, consultation du 29 janvier 2024 de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) sur le projet de recommandations sur les conditions et les critères de la qualification des crypto-actifs comme instruments financiers, disponible, en langue anglaise, à l’adresse Internet suivante : https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/2024-01/ESMA75-453128700-52_MiCA_Consultation_Paper_-_Guidelines_on_the_qualification_of_crypto-assets_as_financial_instruments.pdf (point 109).


23      Voir Questions – réponses de la Commission au sujet de la directive MiFID I, disponibles à l’adresse Internet suivante : https://finance.ec.europa.eu/system/files/2020-01/mifid-2004-0039-commission-questions-answers_en_0.pdf (p. 22) : « L’essence de la définition des valeurs mobilières énoncée à l’article 4, point 18, de la directive MiFID I est que, en tant que catégorie, elles sont négociables sur les marchés de capitaux. [...] Les participations dans des actions de sociétés de type partnership qui ne sont pas “négociables sur les marchés de capitaux” ne sont pas équivalentes aux actions négociables. Le facteur déterminant est donc de savoir si ces participations dans les sociétés de type partnership et les sociétés à responsabilité limitée sont négociables sur les marches de capitaux. Si les titres en question sont d’une nature telle qu’ils peuvent être négociés sur un marché réglementé ou un MTF, il s’agira d’une indication concluante que ce sont des valeurs mobilières, même si les titres individuels ne sont pas effectivement négociés. Inversement, s’ils ne peuvent pas être négociés dans de tels systèmes multilatéraux, cela peut indiquer qu’il ne s’agit pas de valeurs mobilières, mais cela n’est pas concluant. [...] Le concept de négociabilité contient la notion que l’instrument est négociable. Si des restrictions au transfert empêchent un instrument d’être négociable dans de tels contexte, il ne s’agit pas d’une valeur mobilière. » (traduction libre).


24      Voir Questions – réponses citées à la note en bas de page 23 des présentes conclusions (p. 1).


25      Voir considérants 5, 44 et 71 de la directive MiFID I.


26      Voir arrêt du 17 septembre 2014, Almer Beheer et Daedalus Holding (C‑441/12, EU:C:2014:2226, point 31)


27      Voir arrêt du 17 septembre 2014, Almer Beheer et Daedalus Holding (C‑441/12, EU:C:2014:2226, point 33)


28      C‑441/12, EU:C:2014:2226.

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