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Document 62022CJ0392

    Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 29 février 2024.
    X contre Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats 's-Hertogenbosch.
    Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et d’immigration – Demande de protection internationale – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 4 – Risques de traitement inhumain ou dégradant – Critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Article 3, paragraphe 2 – Portée des obligations de l’État membre ayant sollicité la reprise en charge du demandeur par l’État membre responsable et souhaitant procéder au transfert du demandeur vers ce dernier État membre – Principe de confiance mutuelle – Moyens et niveau de la preuve du risque réel de traitement inhumain ou dégradant, résultant de défaillances systémiques – Pratiques de renvoi sommaire (pushback) vers un pays tiers et de rétention aux postes-frontières.
    Affaire C-392/22.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:195

     ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

    29 février 2024 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et d’immigration – Demande de protection internationale – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 4 – Risques de traitement inhumain ou dégradant – Critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Article 3, paragraphe 2 – Portée des obligations de l’État membre ayant sollicité la reprise en charge du demandeur par l’État membre responsable et souhaitant procéder au transfert du demandeur vers ce dernier État membre – Principe de confiance mutuelle – Moyens et niveau de la preuve du risque réel de traitement inhumain ou dégradant, résultant de défaillances systémiques – Pratiques de renvoi sommaire (pushback) vers un pays tiers et de rétention aux postes-frontières »

    Dans l’affaire C‑392/22,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s-Hertogenbosch (tribunal de la Haye, siégeant à Bois‑le‑Duc, Pays-Bas), par décision du 15 juin 2022, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

    X

    contre

    Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid,

    LA COUR (quatrième chambre),

    composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteure), MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

    avocat général : M. J. Richard de la Tour,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour X, par Me A. Khalaf, advocaat,

    pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, A. Van Baelen et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. D. G. Pintus, avvocato dello Stato,

    pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

    pour la Commission européenne, initialement par Mme L. Grønfeldt et M. G. Wils, puis par M. G. Wils, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X au Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») au sujet de la décision de ce dernier portant refus de prise en considération de la demande de protection internationale introduite par X aux Pays-Bas.

    Le cadre juridique

    3

    Aux termes des considérants 3, 20, 32 et 39 du règlement Dublin III :

    « (3)

    Le Conseil européen, lors de sa réunion spéciale de Tampere les 15 et 16 octobre 1999, est convenu d’œuvrer à la mise en place d’un [régime d’asile européen commun (RAEC)], fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 (ci-après [la] “convention de Genève”), et d’assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire de maintenir le principe de non-refoulement. À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers.

    [...]

    (20)

    Le placement en rétention des demandeurs devrait respecter le principe sous-jacent selon lequel nul ne devrait être placé en rétention pour le seul motif qu’il demande une protection internationale. La durée du placement en rétention devrait être la plus courte possible et répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité. En particulier, le placement en rétention des demandeurs doit être conforme à l’article 31 de la convention de Genève. Les procédures prévues par le présent règlement en ce qui concerne une personne placée en rétention devraient être appliquées en priorité, dans les délais les plus courts possibles. En ce qui concerne les garanties générales en matière de placement en rétention ainsi que les conditions du placement en rétention, le cas échéant, les États membres devraient également appliquer aux personnes placées en rétention sur le fondement du présent règlement les dispositions de la directive 2013/33/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (J0 2013, L 180, p. 96)].

    [...]

    (32)

    Pour ce qui concerne le traitement des personnes qui relèvent du présent règlement, les États membres sont liés par les obligations qui leur incombent en vertu des instruments de droit international, y compris par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.

    [...]

    (39)

    Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la “Charte”)]. En particulier, il vise à assurer le plein respect du droit d’asile garanti par l’article 18 de la [Charte] ainsi que des droits reconnus par ses articles 1er, 4, 7, 24 et 47. Le présent règlement devrait donc être appliqué en conséquence. »

    4

    L’article 3 de ce règlement, intitulé « Accès à la procédure d’examen d’une demande de protection internationale », dispose :

    « 1.   Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

    2.   Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

    Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [Charte], l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

    Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable.

    [...] »

    5

    L’article 5, paragraphes 1 à 3, dudit règlement prévoit :

    « 1.   Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4.

    2.   L’entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque :

    [...]

    b)

    après avoir reçu les informations visées à l’article 4, le demandeur a déjà fourni par d’autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l’État membre responsable. L’État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l’État membre responsable avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1.

    3.   L’entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1. »

    6

    Aux termes de l’article 21 du même règlement :

    « 1.   L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur.

    [...]

    3.   Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement.

    [...] »

    7

    L’article 22 du règlement Dublin III est libellé comme suit :

    « [...]

    2.   Dans le cadre de la procédure de détermination de l’État membre responsable, des éléments de preuve et des indices sont utilisés.

    3.   La Commission [européenne] établit et revoit périodiquement, par voie d’actes d’exécution, deux listes indiquant les éléments de preuve et les indices pertinents conformément aux critères figurant aux points a) et b) du présent paragraphe. [...]

    [...]

    b) Indices

    i)

    Il s’agit d’éléments indicatifs qui, tout en étant réfutables, peuvent être suffisants, dans certains cas, en fonction de la force probante qui leur est attribuée.

    [...]

    4.   L’exigence de la preuve ne devrait pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne application du présent règlement.

    5.   À défaut de preuve formelle, l’État membre requis admet sa responsabilité si les indices sont cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés pour établir la responsabilité.

    [...] »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    8

    X est un ressortissant syrien. Il a présenté une demande de protection internationale en Pologne le 9 novembre 2021.

    9

    Il est ensuite entré aux Pays-Bas, le 21 novembre 2021, et a introduit une nouvelle demande de protection internationale dans ce dernier État membre le lendemain.

    10

    Le 20 janvier 2022, le Royaume des Pays-Bas a demandé à la République de Pologne de reprendre X en charge en vertu de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement Dublin III. Le 1er février 2022, ce dernier État membre a fait droit à cette demande en vertu de l’article 18, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.

    11

    Par une décision du 20 avril 2022, le secrétaire d’État n’a pas pris en considération la demande de protection internationale introduite par X aux Pays-Bas, au motif que la République de Pologne était responsable de l’examen de cette demande, et a rejeté les arguments invoqués par X pour s’opposer à son transfert.

    12

    X a saisi le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre cette décision, visant à obtenir l’interdiction de son transfert vers la Pologne. Simultanément, il a demandé que ce transfert soit interdit jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur ce recours, ce qui lui a été accordé.

    13

    La juridiction de renvoi indique que, dans le cadre de son recours, X soutient, en premier lieu, que les autorités polonaises ont violé ses droits fondamentaux.

    14

    À cet égard, la décision de renvoi fait état de ses affirmations selon lesquelles il aurait fait l’objet à trois reprises d’un renvoi sommaire (pushback) vers la Biélorussie après son entrée sur le territoire polonais, dont une fois de nuit. Il dit avoir finalement réussi à entrer en Pologne avec deux membres de sa famille, le 7 novembre 2021, et être resté dans les bois avant d’être pris et remis à des gardes-frontières. Il ajoute que, lors de ce séjour dans les bois, ses conditions de vie étaient devenues intenables. Il aurait consenti au relevé de ses empreintes digitales sous la menace d’être refoulé en Biélorussie et sur les conseils d’une organisation, dans l’ignorance que ce fait équivalait à la présentation d’une demande de protection internationale. À cette occasion, il aurait reçu des documents en langue polonaise et un document en langue arabe contenant des informations sur le règlement Dublin III, mais n’aurait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète. X déclare avoir ensuite été placé en rétention pendant environ une semaine dans le centre des gardes-frontières, comme tous les autres demandeurs de protection internationale, où il aurait fait l’objet d’un très mauvais traitement, notamment en raison du manque de nourriture et de l’absence de tout contrôle médical. X a fait valoir qu’il n’a pas présenté de plainte auprès des autorités polonaises quant à ces mauvais traitements au motif que ceux-ci lui auraient été infligés par ces autorités elles-mêmes.

    15

    X indiquerait craindre que ses droits fondamentaux soient de nouveau violés s’il était transféré vers la Pologne.

    16

    En second lieu, X ferait valoir que les juridictions polonaises ne sont pas indépendantes.

    17

    X a étayé ses affirmations par ses propres déclarations ainsi que par des rapports d’organisations non gouvernementales concernant la situation, en Pologne, des ressortissants de pays tiers et des personnes faisant l’objet d’une décision de transfert au titre du règlement Dublin III. Il a également invoqué la jurisprudence de la Cour, de la Cour européenne des droits de l’homme et de juridictions nationales.

    18

    Se fondant sur des rapports émanant de sources faisant autorité, qu’elle cite, et sur des documents officiels, la juridiction de renvoi fait état de l’attitude de plusieurs États membres qui consisterait à empêcher les ressortissants de pays tiers d’entrer sur leur territoire et de déclarations impliquant l’ensemble des États membres qui viseraient à prévenir l’émigration vers leur territoire. Elle estime qu’il existe une contradiction entre, d’une part, cette attitude et ces déclarations, et, d’autre part, les obligations des États membres en vertu de la convention de Genève, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et de la Charte, dont le respect est à la base du système européen commun d’asile. Plus précisément, elle vise, notamment, les pratiques de renvoi sommaire aux frontières.

    19

    La juridiction de renvoi indique que de telles pratiques sont contraires à l’obligation de traiter chaque demande de protection internationale et sapent le principe de confiance mutuelle ainsi que le fonctionnement de ce système, entre autres parce qu’elles ont pour effet d’inciter les ressortissants de pays tiers à contourner les États membres qui en font usage.

    20

    En l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que des informations objectives, fiables, précises et dûment actualisées montrent que la République de Pologne viole de manière systématique, depuis plusieurs années, plusieurs droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en se livrant à des renvois sommaires, régulièrement accompagnés d’un recours à la violence, et en détenant systématiquement et dans des conditions qualifiées d’« épouvantables » les ressortissants de pays tiers qui entrent illégalement sur son territoire.

    21

    Les déclarations de X concernant les renvois sommaires dont il a fait l’objet, dont la crédibilité n’aurait pas été mise en doute par le secrétaire d’État, seraient concordantes avec ces informations.

    22

    Cette juridiction se demande si, dans l’hypothèse où des violations structurelles des droits fondamentaux ont lieu dans un État membre à l’égard d’un demandeur ou de ressortissants de pays tiers en général, l’autorité compétente doit s’abstenir de prendre une décision de transfert vers cet État membre ou si le principe de confiance mutuelle continue à s’appliquer pleinement.

    23

    Si une décision de transfert peut être prise, la juridiction de renvoi se demande si, dans une situation de violation systématique et généralisée des droits des ressortissants de pays tiers par l’État membre responsable, l’État membre requérant peut quand même se fonder sur le principe de confiance mutuelle pour apprécier la situation du demandeur après son transfert au regard de l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III.

    24

    Elle relève qu’il ressort du point 82 de l’arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218), et du considérant 32 du règlement Dublin III que le respect, par un État membre, de ses obligations en vertu du système européen commun d’asile n’est pas limité à la période postérieure au transfert d’un demandeur ni à l’article 4 de la Charte.

    25

    La juridiction de renvoi considère, par ailleurs, que, dans l’hypothèse où l’État membre requérant ne pourrait pas invoquer le principe de confiance mutuelle, des aménagements seraient concevables quant à la charge de la preuve.

    26

    Concrètement, en cas de violation systématique et généralisée par un État membre des droits fondamentaux, même autres que ceux garantis à l’article 4 de la Charte, la juridiction de renvoi envisage un abaissement du niveau de preuve requis du demandeur, d’une part, quant à ses déclarations relatives à des violations de droits fondamentaux et, d’autre part, quant aux risques potentiels en cas de transfert. Elle envisage même, à cet égard, un renversement de la charge de la preuve. Il pourrait dès lors appartenir à l’État membre requérant d’éliminer tout doute sérieux quant au risque réel de violation de l’article 4 de la Charte, voire de l’ensemble de ses droits fondamentaux, à l’égard de ce demandeur en cas de transfert, par analogie avec l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), concernant les risques encourus dans le pays d’origine.

    27

    En outre, elle est d’avis que l’État membre requérant pourrait demander des garanties individuelles aux autorités de l’État membre responsable concernant des conditions d’accueil adéquates, la poursuite de la procédure d’asile ainsi que l’absence de rétention sans base légale, et pourrait même contrôler le respect des garanties obtenues.

    28

    Enfin, la juridiction de renvoi relève que le demandeur expose de façon plausible qu’il n’aurait pas la possibilité effective d’introduire un recours en cas de violation de ses droits fondamentaux après un éventuel transfert et s’interroge sur les conséquences de ce fait.

    29

    Dans ces circonstances, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Compte tenu de ses considérants 3, 32 et 39, et lu conjointement avec les articles 1er, 4, 18, 19 et 47 de la Charte, le règlement Dublin III doit-il être interprété et appliqué en ce sens que le principe de confiance mutuelle entre les États [membres] est indivisible, de sorte que des violations graves et systématiques du droit de l’Union commises avant le transfert vers l’État membre éventuellement responsable à l’égard de ressortissants de pays tiers qui ne font pas (encore) l’objet d’une décision de retour au titre de ce même règlement font absolument obstacle à un transfert vers cet État membre ?

    2)

    Si la [première] question appelle une réponse négative, l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, lu conjointement avec les articles 1er, 4, 18, 19 et 47 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que, si l’État membre éventuellement responsable enfreint gravement et structurellement le droit de l’Union, l’État membre procédant au transfert au titre [de ce règlement] ne peut pas se fonder tout simplement sur le principe de confiance mutuelle entre les États [membres], mais doit dissiper tout doute ou doit établir à suffisance que le demandeur ne se retrouvera pas, après le transfert, dans une situation qui heurte l’article 4 de la Charte ?

    3)

    Quelles sont les [preuves] que le demandeur peut apporter à l’appui de ses arguments tendant à démontrer que l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III fait obstacle à son transfert et quel niveau de preuve faut-il requérir à cet égard ? Compte tenu des références [...] à l’acquis de l’Union [figurant] dans [les] considérants [de ce règlement], l’État membre procédant au transfert a-t-il une obligation de coopération et/ou de vérification ou, en cas de violations graves et structurelles de droits fondamentaux à l’égard de ressortissants de pays tiers, faut‑il obtenir de l’État membre responsable des garanties individuelles du respect des droits fondamentaux du demandeur après le transfert ? La réponse à cette question est-elle différente si le demandeur se trouve dans l’impossibilité d’étayer ses déclarations concordantes et précises par des documents, tandis que, compte tenu de la nature de ces déclarations, cela ne peut pas lui être demandé ?

    4)

    La réponse [à la troisième question] sera-t-elle différente si le demandeur établit à suffisance que la saisine des autorités et/ou l’exercice de recours ne seront pas possibles et/ou efficaces dans l’État membre responsable ? »

    Sur la demande de procédure accélérée

    30

    La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée, conformément à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

    31

    Tout en exposant qu’elle a ordonné une mesure provisoire par laquelle elle a interdit le transfert du demandeur vers la Pologne jusqu’à ce qu’il soit statué sur la régularité de la décision de transfert en cause au principal par une décision juridictionnelle définitive, cette juridiction fait valoir que l’affaire au principal soulève une problématique importante touchant aux principes du système européen commun d’asile, à savoir celle liée aux pratiques de renvoi sommaire et de rétention aux postes-frontières des ressortissants de pays tiers ayant pénétré sur le territoire des États membres en vue de présenter une demande de protection internationale. Par ailleurs, les juridictions nationales seraient confrontées de manière croissante à cette problématique, de sorte que l’utilité de la décision préjudicielle à intervenir dépasserait le cadre de la présente affaire au principal. Ainsi, la nature du présent renvoi préjudiciel justifierait qu’il fasse l’objet d’une procédure accélérée.

    32

    L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

    33

    En l’occurrence, le 19 juillet 2022, le président de la Cour a décidé, la juge rapporteure et l’avocat général entendus, de rejeter la demande de la juridiction de renvoi visée au point 30 du présent arrêt.

    34

    En effet, il est de jurisprudence constante que l’application de la procédure préjudicielle accélérée dépend non pas de la nature du litige au principal, en tant que telle, mais des circonstances exceptionnelles propres à l’affaire concernée, lesquelles doivent établir l’urgence extraordinaire de statuer sur les questions posées (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

    35

    Or, la circonstance que l’affaire porte sur un ou plusieurs aspects essentiels du système européen commun d’asile ne constitue pas une raison établissant une urgence extraordinaire, pourtant nécessaire pour justifier un traitement par voie accélérée. Il en va de même de la circonstance qu’un nombre important de personnes sont potentiellement concernées par les questions posées (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 39 et jurisprudence citée).

    Sur la demande de renvoi de l’affaire à la grande chambre et d’ouverture de la phase orale de la procédure

    36

    À la suite de la présentation des conclusions, le 13 juillet 2023, le requérant au principal a demandé à la Cour, par lettre du 16 août suivant, le renvoi de la présente demande de décision préjudicielle à la grande chambre et suggère, dans le cas d’un tel renvoi, l’ouverture de la phase orale de la procédure.

    37

    Ces demandes ont été rejetées par une décision du président de la quatrième chambre du 23 août 2023.

    38

    À cet égard, il convient de relever que, conformément à l’article 60, paragraphe 1, du règlement de procédure, il appartient à la Cour de décider de la formation de jugement à laquelle une affaire doit être renvoyée, sous réserve qu’un renvoi devant la grande chambre ait été demandé, en application de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par un État membre ou une institution de l’Union européenne participant à la procédure. En outre, en application du paragraphe 3 dudit article 60, il relève de la seule appréciation de la formation de jugement devant laquelle une affaire a été renvoyée de demander à la Cour de renvoyer cette affaire à une formation de jugement plus importante.

    39

    Or, en l’occurrence, le renvoi devant la grande chambre a été demandé par le requérant au principal et aucun élément ne justifie le renvoi devant une formation de jugement plus importante. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner la suggestion du requérant au principal, présentée pour le cas où l’affaire serait renvoyée à la grande chambre, d’ouvrir la phase orale de la procédure. Les conditions pour l’application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure demeurent, en tout état de cause, remplies, la Cour étant suffisamment informée pour statuer.

    Sur les questions préjudicielles

    Sur les première et deuxième questions

    40

    À titre liminaire, il y a lieu de relever que, par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir quelle interprétation il convient de donner du règlement Dublin III, en particulier de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, de celui-ci, en cas de violations graves et systématiques du droit de l’Union commises à l’égard de ressortissants de pays tiers par l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un de ces ressortissants avant le transfert éventuel de celui-ci vers cet État membre. Plus particulièrement, elle se demande si de telles violations sont de nature à remettre en cause l’application du principe de confiance mutuelle entre les États membres au point qu’elles feraient obstacle à ce transfert, ou à tout le moins si elles impliquent que l’État membre requérant voulant procéder audit transfert s’assure que, en cas de transfert, le demandeur de protection internationale concerné ne sera pas exposé à un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

    41

    Il ressort de la décision de renvoi que ces questions concernent une situation dans laquelle un demandeur fait valoir que l’État membre responsable procède à des renvois sommaires à ses frontières extérieures (pushback) ainsi qu’à des rétentions à ses postes-frontières de ressortissants de pays tiers cherchant à présenter une demande de protection internationale, pratiques que le requérant au principal aurait lui-même subies.

    42

    Il convient donc de considérer que, par ses deux premières questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le fait que l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un ressortissant de pays tiers procède, à l’égard de tels ressortissants cherchant à présenter une telle demande à sa frontière, à des renvois sommaires ainsi qu’à des rétentions dans ses postes-frontières fait obstacle au transfert de ce ressortissant vers cet État membre.

    43

    Il importe de rappeler que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres, à savoir la dignité humaine, qui comprend notamment l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants [arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Interno e.a. (Brochure commune – Refoulement indirect), C‑228/21, C‑254/21, C‑297/21, C‑315/21 et C‑328/21, EU:C:2023:934, point 130 ainsi que jurisprudence citée].

    44

    Le principe de confiance mutuelle entre les États membres a, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit (arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 81 et jurisprudence citée).

    45

    Partant, dans le contexte du système européen commun d’asile, et notamment du règlement Dublin III, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque État membre est conforme aux exigences de la Charte, de la convention de Genève ainsi que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 82 et jurisprudence citée).

    46

    Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un État membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs d’une protection internationale soient, en cas de transfert vers cet État membre, traités d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux (arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 83 et jurisprudence citée).

    47

    Ainsi, l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III prévoit qu’un demandeur de protection internationale ne peut être transféré vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande s’il existe de sérieuses raisons de croire qu’il courrait un risque de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, en raison de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une telle protection dans cet État membre.

    48

    En l’occurrence, le requérant au principal fait valoir l’existence de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil dans l’État membre responsable, consistant en des renvois sommaires aux frontières extérieures et des rétentions aux postes-frontières de ressortissants de pays tiers cherchant à présenter une demande de protection internationale ou ayant réussi à présenter une telle demande, mais également l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, dès lors que le renvoi sommaire d’un ressortissant de pays tiers constitue un obstacle à l’enclenchement de cette procédure.

    49

    La juridiction de renvoi considère que la réalité de telles pratiques est attestée par des informations objectives, fiables, précises et dûment actualisées.

    50

    S’agissant, en premier lieu, de pratiques de renvoi sommaire aux frontières extérieures de l’Union, qui reviennent à écarter du territoire de l’Union des personnes cherchant à présenter une demande de protection internationale ou à écarter de ce territoire des personnes ayant présenté une telle demande à l’entrée dudit territoire avant que cette demande ait fait l’objet de l’examen prévu par la législation de l’Union, il y a lieu de relever qu’elles violent l’article 6 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

    51

    Cette disposition, qui concerne l’accès à la procédure visant l’octroi d’une protection internationale, constitue l’un des fondements du système européen commun d’asile et fait partie des normes législatives de l’Union qui concrétisent le droit fondamental consacré à l’article 18 de la Charte d’obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 192). Ladite disposition implique que tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride a le droit de présenter une demande de protection internationale, y compris aux frontières d’un État membre, en manifestant sa volonté de bénéficier d’une protection internationale auprès d’une des autorités visées à cette même disposition. Ce droit doit lui être reconnu, même s’il se trouve en séjour irrégulier sur ce territoire et quelles que soient les chances de succès d’une telle demande [arrêt du 22 juin 2023, Commission/Hongrie (Déclaration d’intention préalable à une demande d’asile), C‑823/21, EU:C:2023:504, point 43 et jurisprudence citée].

    52

    Or, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 31 et 32 de ses conclusions, une pratique de renvoi sommaire porte atteinte à cet élément fondamental du système européen commun d’asile en ce qu’elle empêche l’exercice du droit de présenter une demande de protection internationale et, par voie de conséquence, le déroulement, selon les modalités prévues par la législation de l’Union, de la procédure consistant en l’introduction et en l’examen d’une telle demande.

    53

    Si elle méconnaît, en tout état de cause, l’article 6 de la directive 2013/32, une pratique de renvoi sommaire peut, en outre, porter atteinte au principe de non-refoulement. Ainsi qu’il découle du considérant 3 du règlement Dublin III, ce principe, en vertu duquel nul ne peut être renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, est garanti, en tant que droit fondamental, à l’article 18 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention de Genève, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 55]. Une pratique de renvoi sommaire porte donc atteinte audit principe uniquement si elle consiste à renvoyer des personnes cherchant à présenter, dans l’Union, une demande de protection internationale vers un pays tiers sur le territoire duquel elles subissent le risque susvisé.

    54

    S’agissant, en second lieu, de la pratique de rétention aux postes-frontières, le considérant 15 de la directive 2013/33 de même que le considérant 20 du règlement Dublin III rappellent le principe selon lequel nul ne devrait être placé en rétention pour le seul motif qu’il demande une protection internationale.

    55

    Eu égard à la gravité de l’ingérence dans le droit à la liberté résultant d’une mesure de rétention et compte tenu de l’importance de ce droit, le pouvoir reconnu aux autorités nationales compétentes de placer en rétention des ressortissants de pays tiers est strictement encadré. Une mesure de rétention ne peut ainsi être ordonnée ou prolongée que dans le respect des règles générales et abstraites qui en fixent les conditions et les modalités [arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention), C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 75 ainsi que jurisprudence citée].

    56

    En outre, le ressortissant d’un pays tiers ne peut être placé en rétention dans le cadre du système européen commun d’asile lorsqu’une mesure moins coercitive peut être efficacement appliquée [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention), C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 78].

    57

    Il découle des considérations qui précèdent que des pratiques, telles que celles constatées en l’occurrence, de renvoi sommaire et de rétention à des postes-frontières sont incompatibles avec le droit de l’Union et constituent des défaillances graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs. Toutefois, il n’en résulte pas nécessairement que ces défaillances répondent aux deux conditions cumulatives, énoncées à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III, qui doivent être remplies afin qu’il soit fait obstacle au transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’État membre dans lequel ces pratiques existent.

    58

    Selon cette disposition, seules les défaillances « systémiques » qui « entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [Charte] », rendent impossible un tel transfert.

    59

    En l’occurrence, s’agissant de la première de ces deux conditions, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si les défaillances constatées en Pologne perdurent et si elles concernent, de manière générale, la procédure d’asile et les conditions d’accueil applicables aux demandeurs de protection internationale ou, à tout le moins, à certains groupes de demandeurs de protection internationale pris dans leur ensemble, tels que le groupe de personnes cherchant à obtenir une protection internationale après avoir franchi ou tenté de franchir la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.

    60

    S’il devait s’avérer que tel est le cas, ces défaillances pourraient être qualifiées de « systémiques », au regard de la jurisprudence de la Cour qui permet d’assimiler aux défaillances systémiques les défaillances touchant certains groupes de personnes (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 90).

    61

    Dans le cas contraire, il s’imposerait de conclure que cette première condition énoncée à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III n’est pas remplie en l’occurrence. Cette disposition ne ferait, dans ce dernier cas, pas obstacle au transfert du demandeur vers l’État membre responsable.

    62

    En ce qui concerne la seconde condition, tenant à l’existence d’un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte résultant des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si des défaillances systémiques entraînent un risque, pour l’intéressé, d’être exposé à des traitements contraires à l’article 4 de la Charte.

    63

    À cet égard, il lui incombera d’examiner, d’une part, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant au principal courrait, en cas de transfert, un risque réel d’être à nouveau acheminé vers la frontière entre la Pologne et la Biélorussie et d’y faire l’objet d’un renvoi sommaire en Biélorussie éventuellement précédé d’une rétention à un poste-frontière et, d’autre part, si de telles mesures ou de telles pratiques l’exposeraient à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou le mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, en le plaçant dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, respectivement points 85 et 87 ainsi que 91 à 93).

    64

    Lors de cette appréciation, la situation à prendre en considération est celle dans laquelle le demandeur concerné risquerait de se trouver lors du transfert ou par suite du transfert vers l’État membre responsable [voir, par analogie, arrêts du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, points 85, 87 et 88, ainsi que du 30 novembre 2023, Ministero dell’Interno e.a. (Brochure commune – Refoulement indirect), C‑228/21, C‑254/21, C‑297/21, C‑315/21 et C‑328/21, EU:C:2023:934, points 134 et 135], et non celle dans laquelle il se trouvait lorsqu’il est initialement entré sur le territoire de cet État membre.

    65

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le fait que l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un ressortissant de pays tiers a procédé, à l’égard de tels ressortissants cherchant à présenter une telle demande à sa frontière, à des renvois sommaires ainsi qu’à des rétentions à ses postes-frontières ne fait pas obstacle par lui-même au transfert de ce ressortissant vers cet État membre. Le transfert dudit ressortissant vers ledit État membre est toutefois exclu s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait, lors du transfert ou par suite de celui-ci, un risque réel d’être soumis à de telles pratiques et que celles-ci sont, selon les circonstances qu’il appartient aux autorités compétentes et à la juridiction éventuellement saisie d’un recours contre la décision de transfert d’apprécier, susceptibles de le mettre dans une situation de dénuement matériel extrême d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant, interdit par l’article 4 de la Charte.

    Sur la troisième question

    66

    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, lu à la lumière de l’article 4 de la Charte, doit être interprété en ce sens, premièrement, que l’État membre ayant sollicité la reprise en charge d’un demandeur de protection internationale par l’État membre responsable et souhaitant transférer ce demandeur vers ce dernier État membre doit, avant qu’il puisse procéder à ce transfert, prendre en considération toutes les informations que lui fournit ledit demandeur, notamment en ce qui concerne l’existence éventuelle d’un risque réel d’être soumis, lors du transfert ou par suite de celui-ci, à des traitements inhumains ou dégradants, au sens dudit article 4, deuxièmement, qu’il doit coopérer à l’établissement des faits et/ou en vérifier la réalité et, troisièmement, que, en cas de violations graves et structurelles des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers dans l’État membre responsable, il doit demander à celui-ci de fournir des garanties individuelles du respect des droits fondamentaux dudit ressortissant en cas de transfert.

    67

    S’agissant du niveau et du régime de preuve permettant de déclencher l’application de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III, il y a lieu, en l’absence de précisions particulières dans cette disposition, de se référer aux dispositions générales et à l’économie de ce règlement.

    68

    À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre dudit règlement, le législateur de l’Union ne s’est pas limité à instituer des règles organisationnelles gouvernant uniquement les relations entre les États membres, en vue de déterminer l’État membre responsable, mais a décidé d’associer à ce processus les demandeurs de protection internationale, en obligeant les États membres à les informer des critères de responsabilité et à leur offrir l’occasion de fournir les informations permettant la correcte application de ces critères (arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 51).

    69

    En effet, tout d’abord, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 46 de ses conclusions, l’entretien individuel prévu à l’article 5 du règlement Dublin III de même que l’éventuel recours introduit contre la décision de transfert doivent permettre au demandeur de protection internationale de présenter les éléments en sa possession.

    70

    Selon l’article 5, paragraphes 1 et 3, du règlement Dublin III, l’entretien individuel vise notamment à faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable. Cet entretien doit avoir lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu’une décision de transfert soit prise.

    71

    Ensuite, il résulte de l’article 5, paragraphe 2, du règlement Dublin III que le demandeur doit avoir la possibilité de « fournir toutes les [...] informations pertinentes pour déterminer correctement l’État membre responsable ».

    72

    Il s’ensuit que le demandeur doit être mis en mesure de fournir tout élément de preuve ou tout indice pertinent, au sens de l’article 22, paragraphes 2 et 3, de ce règlement, se rapportant à la détermination de l’État membre responsable.

    73

    En outre, l’article 21, paragraphe 3, de ce règlement vise lesdits éléments de preuve ou lesdits indices, mais également les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans ledit règlement.

    74

    Enfin, l’article 22, paragraphes 4 et 5, de ce même règlement précise, d’une part, que l’exigence de la preuve ne devrait pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne application du présent règlement et, d’autre part, que, à défaut de preuve formelle, l’État membre requis admet sa responsabilité si les indices sont cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés pour établir la responsabilité.

    75

    Il résulte des éléments relevés aux points 68 à 74 du présent arrêt que le législateur de l’Union n’a imposé aucune exigence en ce qui concerne la nature et la force probante des informations que le demandeur peut présenter dans le cadre de sa participation à la procédure de détermination de l’État membre responsable, notamment afin d’établir l’existence éventuelle de motifs sérieux et avérés de croire qu’il courra un risque réel tel que visé à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement en cas de transfert vers un État membre responsable.

    76

    Par conséquent, il y a lieu de prendre en considération tout élément produit par le demandeur afin d’établir l’existence d’un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte, à charge pour les autorités juridictionnelles de l’État membre chargé de procéder à la détermination de l’État membre responsable d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité des défaillances invoquées [voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 90, ainsi que du 30 novembre 2023, Ministero dell’Interno e.a. (Brochure commune – Refoulement indirect), C‑228/21, C‑254/21, C‑297/21, C‑315/21 et C‑328/21, EU:C:2023:934, point 136].

    77

    En outre, il convient de relever que, indépendamment de la prise en considération des informations fournies par le demandeur, les États membres sont tenus de ne pas transférer un demandeur vers l’État membre responsable lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet État membre créent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 94, ainsi que du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 85). Ainsi, il ne saurait être exclu que l’État membre chargé de déterminer l’État membre responsable soit amené à prendre en considération, de sa propre initiative, des informations pertinentes dont il a connaissance pour décider de l’application de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III.

    78

    Il s’ensuit que l’État membre chargé de déterminer l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un ressortissant de pays tiers doit, d’une part, prendre en considération toutes les informations que lui fournit ce dernier, notamment en ce qui concerne l’existence éventuelle d’un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte en cas de transfert de ce ressortissant. Ce premier État membre doit, d’autre part, coopérer à l’établissement des faits en appréciant la réalité de ce risque, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, le cas échéant en tenant compte, de sa propre initiative, des informations pertinentes qu’il ne saurait ignorer concernant d’éventuelles défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’État membre responsable.

    79

    Dans l’hypothèse où de telles défaillances sont établies et constituent des motifs sérieux et avérés de croire que, en cas de transfert, le demandeur de protection internationale courrait un risque réel de traitement contraire à l’article 4 de la Charte, l’État membre chargé de la détermination de l’État membre responsable doit, conformément à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement Dublin III, poursuivre l’examen des critères énoncés au chapitre III de ce règlement afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

    80

    Cela étant, avant de conclure qu’il existe un risque réel de traitements inhumains ou dégradants en cas de transfert vers l’État membre responsable, l’État membre souhaitant procéder au transfert peut chercher à obtenir des garanties individuelles qui soient suffisantes pour exclure ce risque (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, points 83 et 84).

    81

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que le règlement Dublin III, lu à la lumière de l’article 4 de la Charte, doit être interprété en ce sens que :

    l’État membre ayant sollicité la reprise en charge d’un demandeur de protection internationale par l’État membre responsable et souhaitant transférer ce demandeur vers ce dernier État membre doit, avant qu’il puisse procéder à ce transfert, prendre en considération toutes les informations que lui fournit ledit demandeur, notamment en ce qui concerne l’existence éventuelle d’un risque réel d’être soumis, au moment ou à la suite dudit transfert, à des traitements inhumains ou dégradants, au sens dudit article 4 ;

    l’État membre souhaitant procéder au transfert doit coopérer à l’établissement des faits et/ou en vérifier la réalité ;

    cet État membre doit s’abstenir de procéder à ce transfert en cas de motifs sérieux et avérés de croire qu’il existe un risque réel de tels traitements en cas de transfert ;

    ledit État membre peut néanmoins chercher à obtenir de l’État membre responsable des garanties individuelles et, si de telles garanties sont fournies et apparaissent à la fois crédibles et suffisantes pour exclure tout risque réel de traitements inhumains ou dégradants, procéder au transfert.

    Sur la quatrième question

    82

    Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réponse à la troisième question serait influencée par la circonstance, à la supposer établie, que le demandeur de protection internationale ne pourrait pas, ou pas efficacement, saisir les autorités et exercer des recours dans l’État membre responsable.

    83

    Il convient de rappeler que la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. Dans le cadre de cette coopération, il appartient à la juridiction nationale saisie du litige au principal, qui seule possède une connaissance précise des faits à l’origine de celui-ci et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 7 décembre 2023, mBank [Déclaration du consommateur], C‑140/22, EU:C:2023:965, point 47 et jurisprudence citée).

    84

    Cela étant, la Cour ne saurait statuer sur une question préjudicielle lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle du droit de l’Union, demandée par une juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige dont celle-ci est saisie, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 42 et jurisprudence citée).

    85

    À ce dernier égard, il convient de souligner l’importance de l’indication, par la juridiction nationale, des raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour (arrêt du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, EU:C:2005:741, point 46, ainsi que ordonnance du 15 avril 2011, Debiasi, C‑613/10, EU:C:2011:266, point 22).

    86

    En l’occurrence, il doit être constaté que la juridiction de renvoi n’expose pas avec le degré de clarté et de précision requis les difficultés auxquelles le requérant au principal pourrait être confronté dans l’hypothèse d’un transfert vers l’État membre responsable.

    87

    Par ailleurs, elle n’expose pas non plus clairement les raisons pour lesquelles elle établit un lien entre des difficultés pour introduire un recours effectif dans cet État membre après le transfert d’un demandeur et le niveau de preuve requis de celui-ci dans le cadre de la procédure de détermination de l’État membre responsable de l’examen de sa demande concernant les faits qu’il invoque à l’appui de son allégation qu’il courra un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte en cas de transfert vers ledit État membre en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans la procédure d’asile ou les conditions d’accueil.

    88

    Il s’ensuit que la quatrième question est irrecevable.

    Sur les dépens

    89

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride,

    doit être interprété en ce sens que :

    le fait que l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un ressortissant de pays tiers a procédé, à l’égard de tels ressortissants cherchant à présenter une telle demande à sa frontière, à des renvois sommaires ainsi qu’à des rétentions à ses postes-frontières ne fait pas obstacle par lui-même au transfert de ce ressortissant vers cet État membre. Le transfert dudit ressortissant vers ledit État membre est toutefois exclu s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait, lors du transfert ou par suite de celui-ci, un risque réel d’être soumis à de telles pratiques et que celles-ci sont, selon les circonstances qu’il appartient aux autorités compétentes et à la juridiction éventuellement saisie d’un recours contre la décision de transfert d’apprécier, susceptibles de le mettre dans une situation de dénuement matériel extrême d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant, interdit par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

     

    2)

    Le règlement no 604/2013, lu à la lumière de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux,

    doit être interprété en ce sens que :

    l’État membre ayant sollicité la reprise en charge d’un demandeur de protection internationale par l’État membre responsable et souhaitant transférer ce demandeur vers ce dernier État membre doit, avant qu’il puisse procéder à ce transfert, prendre en considération toutes les informations que lui fournit ledit demandeur, notamment en ce qui concerne l’existence éventuelle d’un risque réel d’être soumis, au moment ou à la suite dudit transfert, à des traitements inhumains ou dégradants, au sens dudit article 4 ;

    l’État membre souhaitant procéder au transfert doit coopérer à l’établissement des faits et/ou en vérifier la réalité ;

    cet État membre doit s’abstenir de procéder à ce transfert en cas de motifs sérieux et avérés de croire qu’il existe un risque réel de tels traitements en cas de transfert ;

    ledit État membre peut néanmoins chercher à obtenir de l’État membre responsable des garanties individuelles et, si de telles garanties sont fournies et apparaissent à la fois crédibles et suffisantes pour exclure tout risque réel de traitements inhumains ou dégradants, procéder au transfert.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

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