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Document 62021CJ0551

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 9 avril 2024.
Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne.
Intervention – Article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Demande présentée par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – Intérêt à la solution du litige – Admission.
Affaire C-551/21.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:281

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

9 avril 2024 ( *1 )

« Recours en annulation – Décision (UE) 2021/1117 – Protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) – Signature au nom de l’Union – Institution compétente pour désigner la personne habilitée à signer – Article 13, paragraphe 2, TUE – Respect par chaque institution de l’Union des limites des attributions qui lui sont conférées – Coopération loyale entre les institutions de l’Union – Article 16, paragraphes 1 et 6, TUE – Pouvoir du Conseil de l’Union européenne de définir des politiques et d’élaborer l’action extérieure de l’Union – Article 17, paragraphe 1, TUE – Pouvoir de la Commission européenne d’assurer la représentation extérieure de l’Union – Article 218 TFUE »

Dans l’affaire C‑551/21,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 7 septembre 2021,

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, B. Hofstötter, T. Ramopoulos et Mme A. Stobiecka-Kuik, puis par M. A. Bouquet, Mme M. Bruti Liberati, M. B. Hofstötter, et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, représenté par MM. L. Havas, F. Hoffmeister et S. Marquardt, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Antoniadis, B. Driessen et F. Naert, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

République tchèque, représentée initialement par Mme K. Najmanová, MM. M. Smolek, O. Šváb et J. Vláčil, puis par Mmes K. Najmanová, H. Pešková, MM. M. Smolek, O. Šváb et J. Vláčil, en qualité d’agents,

République française, représentée initialement par M. J.-L. Carré, Mme A.-L. Desjonquères et M. B. Herbaut, puis par Mme A.‑L. Desjonquères, M. B. Herbaut et Mme B. Travard, en qualité d’agents,

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté initialement par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, puis par Mme M. K. Bulterman, MM. J. M. Hoogveld et J. Langer, en qualité d’agents,

République portugaise, représentée par Mmes P. Barros da Costa, A. Pimenta et M. J. Ramos, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, MM. A. Arabadjiev, C. Lycourgos (rapporteur), N. Piçarra et Mme O. Spineanu‑Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, P. G. Xuereb, A. Kumin, N. Jääskinen, N. Wahl, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mars 2023,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande l’annulation de l’article 2 de la décision (UE) 2021/1117 du Conseil, du 28 juin 2021, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) (JO 2021, L 242, p. 3), ainsi que de la désignation, par le Conseil de l’Union européenne, par l’intermédiaire de son président, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer ce protocole.

Le cadre juridique

Le droit international

2

L’article 2, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne »), énonce :

« Aux fins de la présente Convention :

[...]

c) L’expression “pleins pouvoirs” s’entend d’un document émanant de l’autorité compétente d’un État et désignant une ou plusieurs personnes pour représenter l’État pour la négociation, l’adoption ou l’authentification du texte d’un traité, pour exprimer le consentement de l’État à être lié par un traité ou pour accomplir tout autre acte à l’égard du traité ;

[...] »

3

Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de cette convention :

« Une personne est considérée comme représentant un État pour l’adoption ou l’authentification du texte d’un traité ou pour exprimer le consentement de l’État à être lié par un traité :

a)

Si elle produit des pleins pouvoirs appropriés ; [...]

[...] »

4

L’article 18 de ladite convention prévoit :

« Un État doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but :

a)

Lorsqu’il a signé le traité ou a échangé les instruments constituant le traité sous réserve de ratification, d’acceptation ou d’approbation, tant qu’[il] n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité ; ou

b)

Lorsqu’il a exprimé son consentement à être lié par le traité, dans la période qui précède l’entrée en vigueur du traité et à condition que celle-ci ne soit pas indûment retardée. »

Le droit de l’Union

Le traité UE

5

Aux termes de l’article 13, paragraphe 2, TUE :

« Chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale. »

6

L’article 16 TUE est libellé comme suit :

« 1.   Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination conformément aux conditions prévues par les traités.

[...]

6.   Le Conseil siège en différentes formations, [...]

Le Conseil des affaires générales assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil. [...]

Le Conseil des affaires étrangères élabore l’action extérieure de l’Union selon les lignes stratégiques fixées par le Conseil européen et assure la cohérence de l’action de l’Union.

7.   Un comité des représentants permanents des gouvernements des États membres est responsable de la préparation des travaux du Conseil.

[...]

9.   La présidence des formations du Conseil, à l’exception de celle des affaires étrangères, est assurée par les représentants des États membres au Conseil selon un système de rotation égale, [...] »

7

L’article 17, paragraphe 1, TUE prévoit :

« La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels. »

8

L’article 27, paragraphe 2, TUE énonce :

« Le haut représentant [de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] représente l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. [...] »

Le traité FUE

9

L’article 218 TFUE dispose :

« 1.   Sans préjudice des dispositions particulières de l’article 207, les accords entre l’Union et des pays tiers ou organisations internationales sont négociés et conclus selon la procédure ci-après.

2.   Le Conseil autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords.

3.   La Commission, ou le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité lorsque l’accord envisagé porte exclusivement ou principalement sur la politique étrangère et de sécurité commune, présente des recommandations au Conseil, qui adopte une décision autorisant l’ouverture des négociations et désignant, en fonction de la matière de l’accord envisagé, le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation de l’Union.

4.   Le Conseil peut adresser des directives au négociateur et désigner un comité spécial, les négociations devant être conduites en consultation avec ce comité.

5.   Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur.

6.   Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision portant conclusion de l’accord.

[...] »

Les antécédents du litige

10

Le 22 octobre 2015, le Conseil a adopté, sur recommandation de la Commission, une décision autorisant celle-ci à conduire, au nom de l’Union, des négociations avec la République gabonaise en vue d’un renouvellement, pour la période 2021-2026, du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union européenne et la République gabonaise.

11

À la suite de ces négociations, le 10 février 2021, les négociateurs ont paraphé le nouveau protocole de mise en œuvre de cet accord (ci-après le « protocole »).

12

Le 19 mai 2021, la Commission a présenté sa proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et l’application provisoire du protocole de mise en œuvre (2021-2026) de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne [COM(2021) 246 final].

13

L’article 2 de la décision telle que proposée par la Commission était libellé comme suit :

« Le secrétariat général du Conseil établit l’instrument de pleins pouvoirs autorisant la personne indiquée par la Commission à signer ledit protocole, sous réserve de sa conclusion ».

14

Le 28 juin 2021, le Conseil a adopté la décision (UE) 2021/1117. Cette décision comporte quatre articles ainsi rédigés :

« Article premier

La signature, au nom de l’Union, du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) [...] est autorisée, sous réserve de la conclusion dudit protocole.

Article 2

Le président du Conseil est autorisé à désigner la ou les personnes habilitées à signer le protocole au nom de l’Union.

Article 3

Le protocole est appliqué à titre provisoire à partir de la date de sa signature, dans l’attente de l’achèvement des procédures nécessaires à son entrée en vigueur.

Article 4

La présente décision entre en vigueur le jour de son adoption. »

15

Ce même 28 juin 2021, le président du Conseil a désigné le représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole au nom de l’Union. La République portugaise était l’État membre qui exerçait alors la présidence tournante du Conseil.

16

Le 29 juin 2021, ce représentant permanent a signé le protocole au nom de l’Union.

17

Le 30 juin 2021, la Commission et les États membres ont été informés, par le document ST 10307/21 du secrétariat général du Conseil (ci-après le « document ST 10307/21”), de cette signature et de l’application provisoire du protocole à compter du 29 juin 2021.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

18

La Commission demande à la Cour :

d’annuler l’article 2 de la décision 2021/1117 ;

d’annuler la désignation par le Conseil, par l’intermédiaire de son président, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole, et

de condamner le Conseil aux dépens.

19

Le Conseil demande à la Cour :

de rejeter le recours comme étant irrecevable ;

à titre subsidiaire, de rejeter le recours comme étant non fondé ;

de condamner la Commission aux dépens, et

à titre plus subsidiaire encore, dans l’hypothèse où la Cour annulerait les actes attaqués, d’indiquer, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, que les effets de ces actes doivent être considérés comme définitifs.

20

Par décision du président de la Cour du 26 janvier 2022, la République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

21

Par ordonnance du président de la Cour du 3 mars 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

22

Enfin, il convient de relever que, dans sa requête, la Commission fait valoir, tout en soulignant que cela ne fait pas l’objet d’un moyen à l’appui de son recours, que le Conseil a commis une erreur de droit en ce qu’il a fondé, sans autre précision, la décision 2021/1117 sur l’article 43 TFUE. Selon la Commission, le Conseil aurait dû indiquer, comme base juridique de cette décision, l’article 43, paragraphe 2, TFUE, afin que la procédure d’approbation applicable soit clairement spécifiée. Cela étant, le Conseil ayant demandé l’approbation du Parlement européen pour la conclusion du protocole, l’erreur commise n’aurait eu aucune conséquence juridique. Dans ces conditions, la Commission laisse à la Cour le soin d’apprécier si cette erreur doit ou non être constatée par la voie d’un obiter dictum.

Sur le recours

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

23

Le Conseil conclut à l’irrecevabilité du recours.

24

S’agissant, d’une part, des conclusions tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision 2021/1117, le Conseil, soutenu par les gouvernements hongrois, néerlandais et portugais, rappelle que l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que pour autant que l’élément dont l’annulation est demandée soit détachable du reste de cet acte. Il ne serait pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle sollicitée est susceptible de modifier la substance dudit acte, ce qu’il conviendrait de déterminer de manière objective.

25

Or, l’article 2 de la décision 2021/1117 ne peut, selon cette institution et ces gouvernements, être détaché du reste de cette décision sans que la substance de celle-ci ne s’en trouve modifiée. Dès lors que toute décision du Conseil autorisant la signature d’un accord international contient nécessairement une disposition qui énonce la manière dont le signataire sera désigné, l’absence d’une telle disposition, découlant de l’annulation du seul article 2 de la décision 2021/1117, créerait un vide juridique allant à l’encontre de l’objet et de la finalité de cette décision, qui consistent en la signature et en l’application provisoire du protocole.

26

En ce qui concerne, d’autre part, les conclusions tendant à l’annulation de la désignation par le Conseil, par l’intermédiaire de son président, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole, le Conseil, soutenu par le gouvernement hongrois, fait valoir que le contenu de la requête ne permet pas d’identifier avec précision l’objet de ce chef de conclusions, en méconnaissance de l’exigence de clarté et de précision découlant de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour. En effet, la Commission ne mentionnerait pas les pleins pouvoirs accordés le 28 juin 2021 par le président du Conseil au représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne aux fins de signer le protocole au nom de l’Union. Le Conseil ajoute que le document ST 10307/21, auquel la Commission se réfère dans cette même requête, présente un caractère purement informatif, de sorte qu’il ne produit aucun effet juridique et ne saurait donc faire l’objet d’un recours en annulation.

27

Enfin, le Conseil conteste la recevabilité du recours en ce que celui-ci critique indirectement la base juridique matérielle choisie pour la décision 2021/1117. En effet, la Commission soulignerait qu’elle n’entend pas soulever un moyen à cet égard, puisque cette erreur n’a eu aucune conséquence juridique en l’espèce, tout en laissant à l’appréciation de la Cour la question de savoir s’il convient d’y remédier au moyen d’un obiter dictum. En raison de ce manque de clarté, le Conseil serait dans l’incertitude quant à la nécessité ou non de présenter une défense à ce sujet. Une telle présentation de la requête serait donc incompatible avec les exigences de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, dont il découle que la requête doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie adverse de préparer sa défense et à la Cour de statuer.

28

La Commission, soutenue par le haut représentant, conclut à la recevabilité du recours.

Appréciation de la Cour

29

Premièrement, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci. La vérification du caractère détachable des dispositions contestées suppose l’examen de la portée de ces dispositions, afin de pouvoir évaluer si leur annulation modifierait l’esprit et la substance de l’acte attaqué [arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Conseil, C‑425/13, EU:C:2015:483, point 94, et du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève), C‑24/20, EU:C:2022:911, point 47].

30

La question de savoir si une annulation partielle modifierait la substance de l’acte attaqué constitue un critère objectif et non un critère subjectif lié à la volonté politique de l’institution qui a adopté cet acte [arrêt du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève), C‑24/20, EU:C:2022:911, point 48 et jurisprudence citée].

31

En l’espèce, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort de leur libellé même, les trois premiers articles de la décision 2021/1117 ont, chacun, une portée distincte.

32

En effet, à l’article 1er de cette décision, le Conseil autorise la signature du protocole et, à son article 3, il en ordonne l’application provisoire. Par l’article 2 de ladite décision, visé par le présent recours, le Conseil autorise son président à désigner la ou les personnes habilitées à signer le protocole au nom de l’Union.

33

Les articles 1er et 3 de la décision 2021/1117 expriment ainsi la décision du Conseil d’approuver, quant à son contenu, le protocole négocié par la Commission et d’en ordonner l’application provisoire, tandis que l’article 2 de cette décision détermine l’autorité chargée de désigner le signataire de ce protocole. Comme Mme l’avocate générale l’a relevé aux points 34 à 37 de ses conclusions, la question de la désignation du signataire est sans influence sur la décision du Conseil d’approuver le contenu du protocole et d’en ordonner l’application provisoire. Du reste, tant la détermination de la personne habilitée à désigner le signataire que la désignation ultérieure, par cette personne, du signataire lui‑même pourraient intervenir dans des actes séparés sans que cela ait, objectivement, pour effet de modifier la substance ou l’esprit de l’article 1er ou de l’article 3 de la décision 2021/1117.

34

Quant à l’article 4 de cette décision, il se limite à prévoir la date de l’entrée en vigueur de celle-ci.

35

Il s’ensuit que l’article 2 de la décision 2021/1117 est détachable du reste de cette décision et peut, séparément, faire l’objet d’un recours en annulation.

36

Deuxièmement, la désignation par le Conseil du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole constitue un acte du Conseil, au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE, qui peut donc, conformément au deuxième alinéa de cet article, faire l’objet d’un recours de la Commission. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme le Conseil, soutenu sur ce point par le gouvernement hongrois, le chef de conclusions tendant à l’annulation de cette désignation est recevable.

37

Cette considération n’est pas remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel la Commission n’a pas, avec le degré de clarté et de précision requis par l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et l’article 120, sous c), du règlement de procédure, indiqué l’objet de ce chef de conclusions dès lors qu’elle ne s’est pas référée, dans sa requête introductive d’instance, aux pleins pouvoirs accordés le 28 juin 2021 par le président du Conseil au représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne. En effet, il n’est pas contesté entre les parties que ces pleins pouvoirs, qui n’ont pas été publiés, ont été transmis par le secrétariat général du Conseil uniquement à la République gabonaise, tandis que la Commission a seulement été destinataire, le 30 juin 2021, du document ST 10307/21 portant information de ce que le protocole avait été signé la veille par le représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne.

38

Au demeurant, et alors qu’une copie des pleins pouvoirs a finalement été communiquée à la Commission dans le cadre du présent litige en annexe du mémoire en défense du Conseil, la Commission a précisé, dans son mémoire en réplique, que le chef de conclusions tendant à l’annulation de la désignation par le Conseil, par l’intermédiaire de son président, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole visait ces pleins pouvoirs.

39

Dans ces conditions, la Commission a pleinement respecté les exigences de clarté et de précision découlant de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, sous c), du règlement de procédure, en indiquant, dans sa requête, que la désignation du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole fait partie intégrante de l’objet de son recours en annulation et en se référant, à cet égard, au seul document qui lui avait été adressé à ce sujet, tout en apportant, dans son mémoire en réplique à la suite de la communication par le Conseil des pleins pouvoirs, la précision visée au point précédent.

40

S’agissant, troisièmement, de l’exception d’irrecevabilité du recours en tant que celui-ci vise la base juridique de la décision 2021/1117, celle-ci doit être rejetée comme étant inopérante. En effet, ainsi que la Commission l’a souligné dans sa requête, sa suggestion tendant à ce que soit inclus, dans l’arrêt de la Cour, un obiter dictum au sujet de cette base juridique ne relève pas des moyens de son recours, cette institution ayant d’ailleurs indiqué, dans cette même requête, que l’erreur qu’elle reproche n’a eu aucune conséquence juridique en l’espèce.

41

Il résulte de tout ce qui précède que le recours est recevable.

Sur le fond

42

À l’appui de son recours, la Commission avance deux moyens, chacun d’entre eux étant divisé en deux branches. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison, dans sa première branche, avec l’article 13, paragraphes 1 et 2, TUE et, dans sa seconde branche, avec l’article 4, paragraphe 3, TUE. Le second moyen est tiré, dans sa première branche, d’une violation des articles 296 et 297 TFUE et, dans sa seconde branche, d’une violation de l’article 13, paragraphe 2, TUE.

43

Il convient d’examiner d’abord la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 13, paragraphes 1 et 2, TUE.

Argumentation des parties

44

La Commission, soutenue par le haut représentant, fait valoir que l’article 17, paragraphe 1, TUE lui confère la prérogative d’assurer seule la représentation extérieure de l’Union dans les matières qui ne relèvent pas de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Cette prérogative inclurait, notamment, la signature des accords internationaux au nom de l’Union ou la désignation du signataire de tels accords au nom de celle-ci. C’est donc en méconnaissance de ladite prérogative que le Conseil, par les actes visés par le présent recours, aurait porté atteinte à l’équilibre institutionnel établi par les traités, dont le respect est imposé par l’article 13, paragraphes 1 et 2, TUE.

45

À cet égard, il importerait de distinguer le processus décisionnel interne de l’Union, qui conduit le Conseil à autoriser la signature de l’accord international négocié par la Commission, de la signature elle-même de cet accord. La signature constituerait un acte de représentation extérieure, au sens de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, conformément au droit international coutumier reflété dans la convention de Vienne. Il incomberait, dès lors, à la Commission de désigner la personne chargée de signer ledit accord.

46

Cette répartition des compétences entre le Conseil et la Commission serait corroborée par l’article 218, paragraphe 5, TFUE, qui habilite le Conseil à autoriser la signature de l’accord, mais non à désigner le signataire.

47

Il n’existerait, dès lors, aucun conflit entre l’article 17, paragraphe 1, TUE et l’article 218, paragraphe 5, TFUE, la seconde de ces dispositions ne dérogeant pas à la première.

48

En habilitant le représentant permanent de l’État membre exerçant la présidence du Conseil à signer le protocole au nom de l’Union, le Conseil aurait agi comme si lui-même, sa présidence tournante et son secrétariat général assuraient encore la représentation extérieure de l’Union. Or, depuis l’entrée en vigueur des traités UE et FUE, issus du traité de Lisbonne, tel ne serait plus le cas.

49

En effet, la disparition de la présidence tournante du Conseil dans la représentation extérieure de l’Union serait l’une des principales innovations du traité de Lisbonne dans le domaine des relations extérieures. L’objectif de cette modification consisterait à renforcer la visibilité et la reconnaissance internationales de l’Union, en assurant que les représentants des p ays tiers ne soient plus exposés aux changements dans la représentation extérieure de l’Union qui découlaient de la rotation de la présidence du Conseil entre les États membres et soient en contact non pas avec des représentants des États membres auprès de l’Union, mais avec des représentants de celle-ci, désignés par le haut représentant dans le domaine de la PESC et par la Commission dans tout autre domaine des relations extérieures de l’Union.

50

Les actes du Conseil visés par le présent recours s’inscriraient dans une pratique qui nie cette modification introduite par le traité de Lisbonne. Cette pratique serait par conséquent illégale, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance qu’elle est toujours mise en œuvre par le secrétariat général du Conseil et par le Bureau des traités et accords qui l’assiste.

51

L’article 2 de la décision 2021/1117 et la désignation du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme signataire du protocole au nom de l’Union devraient dès lors être annulés. Il conviendrait toutefois de maintenir les effets du protocole.

52

Le Conseil conclut au rejet de la première branche du premier moyen.

53

Cette institution, soutenue par les gouvernements tchèque, français, hongrois, néerlandais et portugais, estime que le présent recours constitue une tentative d’empiéter sur ses prérogatives en ce qui concerne la signature et, par extension, la conclusion d’accords internationaux au nom de l’Union, telles qu’énoncées dans les traités UE et FUE et telles qu’exercées par lui depuis des décennies.

54

À cet égard, le Conseil fait observer que, dans l’exercice de la compétence qui lui est attribuée pour autoriser la signature et conclure de tels accords, il est assisté par son secrétariat général, qui dispose à cette fin du Bureau des traités et accords, dont les tâches comportent notamment l’organisation de la signature d’accords internationaux.

55

Les pleins pouvoirs préparés par ce bureau pour le président du Conseil seraient fondés sur une évaluation de divers éléments, dont le niveau protocolaire du représentant désigné par le pays tiers concerné, l’importance politique de l’accord et le cadre dans lequel ou en marge duquel la cérémonie de signature est organisée.

56

La désignation de la personne ou des personnes habilitées à signer un accord international au nom de l’Union constituerait un prolongement et une composante de l’exercice, par le Conseil, de la prérogative que lui attribue l’article 218, paragraphe 5, TFUE d’« autoris[er] la signature ». Au regard de cette disposition, l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE serait dépourvu de pertinence pour ce qui concerne la signature d’accords internationaux. Une telle signature n’aurait pas simplement pour objet de communiquer la position de l’Union, mais créerait des effets juridiques en droit international, de sorte qu’elle ne saurait relever de la simple « représentation extérieure de l’Union ».

57

Toutes les étapes allant de la décision autorisant la signature à la signature elle-même formeraient un continuum juridique et procédural entrant dans la compétence du Conseil au titre de l’article 16, paragraphe 1, TUE, qui trouverait une expression spécifique à l’article 218, paragraphe 5, TFUE. Dès lors que la signature d’un accord international produit des effets juridiques, elle devrait être considérée comme un élément constitutif de la définition des politiques de l’Union.

58

Le Conseil et les gouvernements le soutenant soulignent, en outre, que les pouvoirs relatifs aux accords internationaux que les auteurs des traités confient à une institution le sont toujours de manière explicite. En l’absence de mention expresse, dans l’article 218, paragraphe 5, TFUE, limitant le pouvoir du Conseil en matière de signature, les auteurs des traités auraient établi un équilibre institutionnel qui ne permet pas à la Commission de revendiquer, sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, TUE, une compétence pour désigner le signataire.

59

Le fait que la personne désignée par les pleins pouvoirs soit qualifiée de « représentant », au sens du droit international coutumier codifié par la convention de Vienne, ne saurait impliquer, sauf à méconnaître la portée de l’article 16, paragraphe 1, TUE et de l’article 218, paragraphe 5, TFUE, que la signature apposée par cette personne relève de la « représentation extérieure de l’Union », au sens de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE. À supposer même que la signature d’un accord international puisse, dans l’abstrait, être un acte relevant de la représentation extérieure, il n’en demeurerait pas moins que l’article 218, paragraphe 5, TFUE fait partie des « autres cas prévus par les traités », visés à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, et qu’il fait donc exception au pouvoir de la Commission d’assurer la représentation extérieure de l’Union lorsqu’il s’agit d’organiser la signature d’un accord international.

60

Tout en reconnaissant que les traités UE et CE en vigueur avant le traité de Lisbonne ne contenaient pas de disposition équivalente à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, le Conseil et les gouvernements le soutenant observent que ces traités antérieurs, qui conféraient déjà certains pouvoirs de représentation extérieure à la Commission, n’accordaient cependant aucune compétence à celle-ci pour signer des accords internationaux. Il en serait toujours ainsi dans le cadre des traités UE et FUE. De la même manière, le fait que le traité de Lisbonne a transféré des pouvoirs de représentation extérieure de la présidence tournante du Conseil au haut représentant n’aurait pas modifié le pouvoir du Conseil, découlant désormais de l’article 218, paragraphe 5, TFUE, de désigner les signataires des accords internationaux. Le traité de Lisbonne n’aurait donc pas apporté les modifications invoquées par la Commission en ce qui concerne la signature de tels accords, les différences textuelles existant entre les dispositions antérieures et l’article 218, paragraphe 5, TFUE étant purement rédactionnelles.

Appréciation de la Cour

61

Il convient d’emblée de rappeler que les traités ont mis en place un système de répartition des compétences entre les institutions de l’Union, qui attribue à chacune de celles-ci sa propre mission dans la structure institutionnelle de l’Union et dans la réalisation des tâches confiées à celle-ci [arrêts du 22 mai 1990, Parlement/Conseil, C‑70/88, EU:C:1990:217, point 21, et du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15), C‑687/15, EU:C:2017:803, point 40].

62

Ainsi, l’article 13, paragraphe 2, TUE dispose que chaque institution de l’Union agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, aux conditions et aux fins prévues par ceux-ci. Cette disposition traduit le principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union, lequel implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres [arrêts du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, point 64, et du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève), C‑24/20, EU:C:2022:911, point 83].

63

L’article 13, paragraphe 2, TUE énonce, par ailleurs, que les institutions de l’Union pratiquent entre elles une coopération loyale.

64

En l’espèce, les pouvoirs du Conseil pertinents aux fins de l’examen de la première branche du premier moyen incluent, en particulier, celui visé à l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, TUE, qui attribue à cette institution des fonctions de « définition des politiques et de coordination conformément aux conditions prévues par les traités », et celui prévu à l’article 16, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE, selon lequel le Conseil des affaires étrangères « élabore l’action extérieure de l’Union selon les lignes stratégiques fixées par le Conseil européen et assure la cohérence de l’action de l’Union ».

65

Les pouvoirs pertinents de la Commission aux fins de ce même examen sont, quant à eux, énoncés à l’article 17, paragraphe 1, première, cinquième et sixième phrases, TUE. Ces phrases prévoient, respectivement, que la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin », « exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités » et « assure la représentation extérieure de l’Union » à l’exception toutefois, pour ce qui concerne cette dernière compétence, de la PESC et « des autres cas prévus par les traités ».

66

Conformément à cette répartition de compétences, et ainsi que le confirme d’ailleurs l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, il appartient au Conseil, sur proposition du négociateur, d’autoriser la signature d’un accord international au nom de l’Union. En effet, la décision portant sur le point de savoir s’il convient de signer un accord négocié par la Commission avec un pays tiers implique d’apprécier, dans le respect des lignes stratégiques fixées par le Conseil européen ainsi que des principes et des objectifs de l’action extérieure de l’Union, les intérêts de celle-ci dans le cadre des relations avec ce pays tiers et d’opérer des arbitrages entre les intérêts divergents relevant de ces relations. Par conséquent, cette décision fait partie des actes de définition des politiques de l’Union et d’élaboration de l’action extérieure de celle-ci, au sens de l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, et paragraphe 6, troisième alinéa, TUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Conseil/Commission, C‑660/13, EU:C:2016:616, points 39 et 40).

67

La décision autorisant la signature d’un accord international n’inclut toutefois pas l’acte ultérieur consistant en la signature même de cet accord. En effet, cette signature doit, à la suite de l’autorisation, être apposée après qu’ont été effectuées toutes les démarches nécessaires à cette fin, notamment à l’égard du pays tiers concerné. Parmi ces démarches figure l’émission des pleins pouvoirs portant désignation de la personne ou des personnes habilitées à signer l’accord au nom de l’Union.

68

Afin de déterminer quelle est, en droit de l’Union, l’institution compétente pour désigner le signataire d’un accord international, il y a lieu de se fonder sur la caractéristique principale de ladite désignation, qui consiste à habiliter une ou des personnes à agir au nom de l’Union à l’égard du pays tiers concerné.

69

À cet égard, il convient de relever, d’une part, que cette désignation n’exige pas une appréciation qui relève de la « définition des politiques » de l’Union ou des fonctions de « coordination » ou de l’« élabor[ation] de l’action extérieure » de celle-ci, au sens de l’article 16, paragraphes 1 et 6, TUE. Elle a certes lieu à la suite de la décision du Conseil portant autorisation de la signature de l’accord, mais ne participe pas de l’appréciation politique, sous‑tendant une telle décision, au terme de laquelle cette institution a consenti aux effets juridiques qui seront produits par la signature selon les règles pertinentes du droit international.

70

À ce dernier égard, il y a lieu d’observer que, quelle que soit la personne désignée en tant que signataire en vertu des règles du droit de l’Union, les effets juridiques de la signature, dont l’obligation, visée notamment à l’article 18 de la convention de Vienne, de s’abstenir d’actes qui priveraient l’accord de son objet et de son but, seront les mêmes et engageront l’Union en sa qualité de sujet de droit international.

71

D’autre part, quant au point de savoir si la désignation du signataire est un acte qui « assure la représentation extérieure de l’Union », au sens de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, il y a lieu de relever que, selon son sens habituel, la notion juridique de « représentation » implique une action au nom d’un sujet auprès d’un tiers, une telle action pouvant être, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 50 de ses conclusions, une manifestation de volonté de ce sujet à l’égard de ce tiers.

72

Or, l’apposition, par la personne désignée à cette fin, de sa signature sur un accord international au nom de l’Union exprime justement la manifestation de la volonté de l’Union, telle que définie par le Conseil, à l’égard du pays tiers avec lequel cet accord a été négocié.

73

Le libellé de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, selon lequel la Commission « assure la représentation extérieure de l’Union », tend ainsi à établir que cette disposition confère à la Commission le pouvoir de prendre, en dehors de la PESC et à moins que les traités ne prévoient, sur ce point, une répartition différente des compétences, toute action qui, à la suite de la décision du Conseil portant autorisation de la signature d’un accord international au nom de l’Union, assure que cette signature soit apposée.

74

Cette interprétation littérale de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE s’inscrit dans la ligne du droit international coutumier.

75

À cet égard, en ce qui concerne la signature d’accords internationaux, il ressort du droit international coutumier tel que codifié en particulier à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la convention de Vienne que toute personne désignée dans un document émanant de l’autorité compétente d’un État ou de l’organe compétent d’une organisation internationale pour accomplir l’acte de signature doit être considérée, en vertu de ces pleins pouvoirs, comme représentant cet État ou cette organisation internationale.

76

L’apposition, par une telle personne, de sa signature sur un accord international au nom de l’Union relève ainsi, sous l’angle des règles du droit international coutumier, de la « représentation » de cette dernière.

77

Dès lors, au regard de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, il y a lieu de considérer que les démarches nécessaires aux fins de la signature d’un accord international après que cette signature a été autorisée par le Conseil, dont la démarche consistant à désigner le signataire, relèvent, en dehors de la PESC, de la compétence de la Commission d’« assurer la représentation extérieure de l’Union », à moins que le traité UE ou le traité FUE n’attribue la compétence d’organiser cette signature à une autre institution de l’Union. Cette dernière réserve, reflétée dans l’expression « autres cas prévus par les traités », constitue, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 72 de ses conclusions et ainsi qu’il résulte du libellé même de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, une exception à la compétence de la Commission énoncée dans cette disposition.

78

Le Conseil et les gouvernements le soutenant affirment que l’article 218 TFUE, qui prévoit une procédure unifiée et de portée générale concernant la négociation, la signature et la conclusion des accords internationaux que l’Union est compétente pour conclure [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 27 et jurisprudence citée], et dont le paragraphe 5 concerne l’autorisation de la signature de ces accords, relève, s’agissant de cette signature, des « autres cas prévus par les traités » visés à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE.

79

Toutefois, il y a lieu de relever que, contrairement à l’article 218, paragraphe 3, TFUE, qui, en ce qui concerne la négociation d’accords internationaux, confère au Conseil la compétence non seulement pour autoriser l’ouverture des négociations mais également pour désigner le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation de l’Union, l’article 218, paragraphe 5, TFUE fait mention d’une compétence du Conseil pour autoriser la signature et l’application provisoire de l’accord international et non d’une compétence pour désigner le signataire de celui-ci. Ainsi, comme l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 82 à 84 de ses conclusions, cette dernière disposition ne comporte pas de dérogation à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE.

80

Si la procédure de négociation, de signature et de conclusion des accords internationaux prévue à l’article 218 TFUE peut, dans son ensemble, être considérée, ainsi que l’observent le Conseil et les gouvernements le soutenant, comme un « continuum », il n’en demeure pas moins que, au cours de chacune des étapes de cette procédure identifiées dans cet article, chaque institution doit, sous réserve des seules exceptions expressément prévues, exercer ses compétences telles qu’attribuées par les traités, et ce conformément au principe de l’équilibre institutionnel rappelé au point 62 du présent arrêt. Or, pour ce qui est de la désignation du signataire d’un accord international, l’article 218, paragraphe 5, TFUE ne prévoit pas, au bénéfice du Conseil, une exception à la compétence que la Commission tire de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE.

81

Il s’ensuit que, dans le cas où le Conseil a autorisé la signature d’un accord international qui, comme en l’espèce, ne relève pas de la PESC ou d’« autres cas prévus par les traités », il appartient à la Commission, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, d’assurer la signature même de cet accord.

82

Cette constatation n’est pas infirmée par le fait que le Conseil a continué, après l’entrée en vigueur des traités UE et FUE, à désigner les signataires des accords internationaux et à choisir régulièrement comme signataire le représentant permanent auprès de l’Union de l’État membre exerçant la présidence tournante du Conseil. En effet, une pratique, même constante, ne saurait modifier les règles des traités que les institutions sont tenues de respecter [voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15), C‑687/15, EU:C:2017:803, point 42 et jurisprudence citée].

83

Il convient enfin de relever que, conformément à l’article 17, paragraphe 1, première phrase, TUE, la Commission doit exercer sa compétence relative à la signature des accords internationaux dans l’intérêt général de l’Union. Elle est, en outre, tenue de respecter l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 13, paragraphe 2, TUE. Aussi incombe-t-il, en particulier, à cette institution d’assurer que, une fois adoptée la décision du Conseil autorisant la signature d’un accord, cette signature intervienne dans les meilleurs délais, et ce dans des conditions qui reflètent adéquatement l’importance de cet accord. Par ailleurs, dans le cas d’un changement fondamental de circonstances survenant après l’adoption de la décision autorisant la signature, il incombe à la Commission de consulter le Conseil afin que celui-ci puisse, le cas échéant, dans le cadre de l’exercice de ses compétences consacrées à l’article 16, paragraphes 1 et 6, TUE ainsi qu’à l’article 218 TFUE, tirer les conséquences de ce changement fondamental de circonstances avant que la signature ne soit apposée.

84

Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, la première branche du premier moyen du recours doit être accueillie.

85

Partant, il y a lieu d’annuler l’article 2 de la décision 2021/1117 ainsi que la désignation, sur la base de cette disposition, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole, sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde branche du premier moyen ni le second moyen du recours.

Sur le maintien des effets des actes annulés

86

Selon les termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

87

Il peut être fait usage de ce pouvoir, pour des motifs de sécurité juridique, notamment lorsque l’annulation d’un acte de l’Union adopté dans le cadre de la procédure de négociation, de signature et de conclusion d’un accord international est de nature à remettre en cause la participation de l’Union à cet accord ou à sa mise en œuvre, alors même que la compétence de l’Union à cet effet ne soulève pas de doute [voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (Arrangement de Lisbonne révisé), C‑389/15, EU:C:2017:798, point 81 et jurisprudence citée].

88

L’annulation de l’article 2 de la décision 2021/1117 et de la désignation, sur la base de cette disposition, de la personne habilitée à signer le protocole sans que leurs effets soient maintenus aurait pour conséquence de remettre en cause la signature du protocole au nom de l’Union, intervenue le 29 juin 2021, alors même que la compétence de l’Union pour consentir, au moyen d’une signature en son nom, aux effets juridiques visés notamment à l’article 18 de la convention de Vienne ainsi qu’à l’application provisoire du protocole ne soulève pas de doute et que, par ailleurs, la volonté de l’Union pour exprimer ce consentement est certaine, le Conseil ayant, à l’article 1er de la décision 2021/1117, autorisé la signature du protocole. Si, certes, cette autorisation a été donnée sous réserve de la conclusion du protocole, il convient cependant de constater que cette conclusion a, par la suite, eu lieu, ainsi qu’en témoigne l’adoption de la décision (UE) 2022/2066 du Conseil, du 21 février 2022, relative à la conclusion, au nom de l’Union européenne, du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) (JO 2022, L 277, p. 103), qui a exprimé l’approbation, par l’Union, du protocole.

89

Par conséquent, afin de préserver la sécurité juridique, il y a lieu de décider que les effets de l’article 2 de la décision 2021/1117 et de la désignation, sur la base de cette disposition, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole sont définitifs.

Sur les dépens

90

En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Conseil aux dépens et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de condamner ce dernier à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

91

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, la République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise supporteront leurs propres dépens.

92

Au titre de l’article 140, paragraphe 3, dudit règlement, le haut représentant supportera également ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’article 2 de la décision (UE) 2021/1117 du Conseil, du 28 juin 2021, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026), est annulé.

 

2)

La désignation, sur la base de l’article 2 de la décision 2021/1117, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026), est annulée.

 

3)

Les effets de l’article 2 de la décision 2021/1117 et de la désignation, sur la base de cette disposition, du représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne comme personne habilitée à signer le protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026), sont définitifs.

 

4)

Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux de la Commission européenne.

 

5)

La République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise et le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité supporteront leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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