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Document 62019CC0255

Conclusions de l'avocat général M. G. Hogan, présentées le 30 avril 2020.
Secretary of State for the Home Department contre O A.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber).
Renvoi préjudiciel – Directive 2004/83/CE – Normes minimales relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Qualité de réfugié – Article 2, sous c) – Cessation du statut de réfugié – Article 11 – Changement de circonstances – Article 11, paragraphe 1, sous e) – Possibilité de réclamer la protection du pays d’origine – Critères d’appréciation – Article 7, paragraphe 2 – Soutien financier et social – Absence de pertinence.
Affaire C-255/19.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:342

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 30 avril 2020 ( 1 )

Affaire C‑255/19

Secretary of State for the Home Department

contre

OA

partie intervenante :

Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)

(demande de décision préjudicielle formée par l’Upper Tribunal [Immigration and Asylum Chamber] [tribunal supérieur (chambre de l’immigration et de l’asile), Royaume-Uni])

« Renvoi préjudiciel – Directive 2004/83/CE – Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale – Réfugié – Article 2, sous c) – Acteurs de la protection – Article 7 – Cessation du statut de réfugié – Article 11 – Changement de circonstances – Article 11, paragraphe 1, sous e) – Possibilité de se réclamer de la protection du pays de sa nationalité – Critères d’appréciation »

I. Introduction

1.

Le droit moderne des réfugiés trouve essentiellement son origine dans la convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 ( 2 ). L’article 1er, section A, paragraphe 2, de cette convention prévoit que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle […], ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

2.

Eu égard aux questions précises que la juridiction de renvoi pose dans la présente demande de décision préjudicielle, il est peut-être frappant que « les critères pour l’octroi du statut de réfugié prévus à l’article 1er, section A, paragraphe 2, de la convention [de Genève] s’inscrivent clairement dans un cadre se référant à l’État et à la nationalité » ( 3 ). Pourtant cette définition n’est guère étonnante, car la protection internationale ( 4 ) est un aspect des obligations des États en droit international et, en 1951, seuls les États-nations étaient considérés comme les acteurs étatiques pertinents en droit international.

3.

Toutefois, à certains égards, une évolution s’est faite dans la pensée moderne sur l’étendue de la protection de l’État en ce qui concerne les réfugiés, notamment dans le cadre du droit de l’Union. C’est ce qui ressort de l’article 7 de la directive qualification ( 5 ).

4.

À son article 7, la directive qualification prévoit que la protection peut être accordée soit par l’État [article 7, paragraphe 1, sous a)], soit par « des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci » [article 7, paragraphe 1, sous b)].

5.

La présente demande de décision préjudicielle a trait, entre autres, à l’interprétation adéquate qu’il convient de donner à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification et, en particulier, à la question de savoir si l’existence d’acteurs privés tels qu’un réseau de clans et de familles fournissant une protection pourrait suffire pour remplir les exigences de cette disposition. Elle offre donc à la Cour l’occasion de se prononcer sur un aspect important de la directive qualification, que la Cour n’a eu la possibilité d’examiner que dans une seule affaire jusqu’à présent, et ce d’ailleurs de façon uniquement incidente ( 6 ).

6.

Cette demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’une procédure devant l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) [tribunal supérieur (chambre de l’immigration et de l’asile), Royaume-Uni], opposant OA au Secretary of State for the Home Department (ministre de l’Intérieur, ci-après le « SSHD ») concernant la cessation de son statut de réfugié.

7.

La procédure devant la juridiction de renvoi a trait, en substance, à la cessation du statut de réfugié, en particulier la portée des termes « protection du pays dont il a la nationalité » au sens notamment de l’article 2, sous c), et de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification, à la détermination des acteurs de la protection aux fins de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et au niveau de protection à accorder conformément à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive.

8.

La juridiction de renvoi a également fait référence à la pertinence éventuelle, en l’espèce, de la disponibilité d’un soutien financier pour une personne qui pourrait être renvoyée dans son pays d’origine. Il faut donc examiner cette question dans le cadre de la cessation du statut de réfugié.

9.

Au préalable, il convient cependant, d’abord, de décrire la procédure devant la Cour et, ensuite, d’exposer les dispositions juridiques pertinentes.

II. La procédure devant la Cour

10.

Des observations écrites sur les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi ont été déposées par le gouvernement du Royaume-Uni, par les gouvernements français et hongrois, ainsi que par la Commission européenne.

11.

Le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020, à minuit (HNEC). Conformément à l’article 86, paragraphe 2, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique ( 7 ), la Cour demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant que la période de transition définie à l’article 126 de cet accord prenne fin, à savoir, en principe, le 31 décembre 2020.

12.

En outre, en application de l’article 89 de l’accord de retrait, l’arrêt de la Cour qui sera prononcé à une date ultérieure a force obligatoire dans tous ses éléments pour le Royaume-Uni et au Royaume-Uni.

13.

La présente demande de décision préjudicielle a été déposée au greffe de la Cour le 26 mars 2019. La Cour demeure donc compétente pour statuer sur cette demande et l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) est lié par l’arrêt que la Cour rendra dans la présente procédure.

14.

Une audience s’est tenue devant la Cour le 27 février 2020 et le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement français et la Commission y ont assisté.

III. Le cadre juridique

A.   Le droit international

15.

L’article 1er, section C, paragraphe 5, de la convention de Genève prévoit :

« Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus :

[…]

5)

Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ; Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures. »

B.   Le droit de l’Union

16.

L’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») dispose :

« Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne […] »

17.

L’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose :

« 1.   L’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu’aux autres traités pertinents.

[…] »

1. La directive qualification

18.

Le considérant 19 de la directive qualification précise ce qui suit :

« La protection peut être accordée non seulement par l’État, mais également par des partis ou des organisations, y compris des organisations internationales, satisfaisant aux conditions visées par la présente directive, qui contrôlent une région ou une superficie importante du territoire de l’État. »

19.

L’article 1er de la directive qualification dispose :

« La présente directive a pour objet d’établir des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de la protection accordée. »

20.

L’article 2 de la directive qualification, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[…]

c)

“réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

d)

“statut de réfugié”, la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ;

[…] »

21.

L’article 4 de la directive qualification, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », dispose aux paragraphes 3 et 4 :

« 3.   Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)

tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

[…]

c)

le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être expos[é] pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

[…]

4.   Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas. »

22.

L’article 6 de la directive qualification, intitulé « Acteurs des persécutions ou des atteintes graves », dispose :

« Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a)

l’État ;

b)

des partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c)

des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 7. »

23.

L’article 7 de la directive qualification, intitulé « Acteurs de la protection », dispose :

« 1.   La protection peut être accordée par :

a)

l’État, ou

b)

des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci.

2.   Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe 1 prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

[…] »

24.

L’article 11 de la directive qualification, intitulé « Cessation », dispose :

« 1.   Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié dans les cas suivants :

[…]

e)

s’il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister ;

[…]

2.   Aux fins de l’application du paragraphe 1, points e) et f), les États membres examinent si le changement de circonstances est suffisamment significatif et non provisoire pour que la crainte du réfugié d’être persécuté ne puisse plus être considérée comme fondée. »

C.   Le droit du Royaume-Uni

25.

La directive qualification a été transposée dans le droit du Royaume-Uni par les Immigration Rules ( 8 ) (règles en matière d’immigration) et par le Refugee or Person In Need of International Protection Regulations 2006 (règlement de 2006 sur les réfugiés ou les personnes ayant besoin d’une protection internationale) ( 9 ).

26.

Les règles pertinentes en matière d’immigration prévoient ce qui suit :

« Révocation ou refus de renouvellement du statut de réfugié

338A. Le statut de réfugié accordé à une personne au titre de l’article 334 est révoqué ou n’est pas renouvelé si l’une des dispositions des articles 339A à 339AB s’applique. Le statut de réfugié accordé à une personne au titre de l’article 334 peut être révoqué ou ne pas être renouvelé si l’article 339AC s’applique.

La convention relative au statut des réfugiés cesse de s’appliquer (cessation)

339A. Le présent article s’applique lorsque le [SSHD] constate que l’une ou plusieurs des conditions suivantes sont réunies :

[…]

v) les circonstances à la suite desquelles la personne a été reconnue comme étant un réfugié ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ; […]

[…]

Aux fins de l’application des points v) et vi), le [SSHD] examine si le changement de circonstances est suffisamment significatif et non provisoire pour que la crainte du réfugié d’être persécuté ne puisse plus être considérée comme fondée. »

27.

L’article 4 du règlement de 2006 sur les réfugiés ou les personnes ayant besoin d’une protection internationale définit les acteurs de la protection comme suit :

« 1.   Pour décider si une personne est un réfugié ou une personne pouvant bénéficier de la protection humanitaire, la protection contre la persécution ou les atteintes graves peut être assurée par :

a)

l’État ; ou

b)

des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci.

2.   Une protection est considérée comme étant généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe 1, sous a) et b), prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves en disposant d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque la personne visée au paragraphe 1 a accès à cette protection.

3.   Pour décider si une personne est un réfugié ou une personne pouvant bénéficier de la protection humanitaire, le [SSHD] peut déterminer si une organisation internationale contrôle un État ou une partie importante du territoire de celui-ci et fournit une protection au sens du paragraphe 2. »

IV. Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

28.

OA est un ressortissant somalien arrivé au Royaume-Uni, au cours de l’année 2003, au titre d’un visa à entrées multiples en tant que conjoint de la femme avec qui il était marié à l’époque et qui avait reçu le statut de réfugié au mois d’octobre 2001. Par la suite, OA a obtenu le statut de réfugié en tant que personne à charge de son épouse de l’époque. L’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a constaté qu’il fait partie d’un clan minoritaire déterminé et qu’il avait résidé initialement à Mogadiscio, la capitale de la République fédérale de Somalie. Il a constaté également que, au début des années 90, lui et son épouse de l’époque avaient subi des persécutions de la part d’une milice spécifique et que, à différentes périodes au cours des années 90, ils avaient été tous deux attaqués et blessés physiquement. L’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a déclaré que, s’il était renvoyé à Mogadiscio, OA aurait des possibilités d’emploi, même si elles étaient limitées à des emplois où des aménagements pourraient être faits en raison de sa mobilité réduite. En outre, l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a constaté qu’OA a de la famille proche à Mogadiscio et qu’il pourrait attendre de celle-ci un certain soutien financier. Il a précisé qu’OA pourrait aussi chercher un tel soutien auprès de sa sœur, dont la dernière adresse connue semble être à Dubaï (Émirats arabes unis), ainsi qu’auprès d’autres membres de son clan au Royaume-Uni ( 10 ).

29.

Le 8 juillet 2014, le SSHD a informé OA de son intention de révoquer son statut de réfugié en raison d’un changement de circonstances dans son pays d’origine

30.

Le 27 avril 2016, le SSHD a pris une mesure d’expulsion à l’encontre d’OA. De plus, le 27 septembre 2016, il a révoqué le statut de réfugié d’OA au titre de l’article 1er, section C, paragraphe 5, de la convention de Genève et l’a exclu de la protection humanitaire en vertu de l’article 339D des règles en matière d’immigration. Dans sa lettre du 27 septembre 2016 à OA, le SSHD a précisé que celui-ci disposait encore d’un soutien clanique à Mogadiscio et que la jurisprudence fournissant des orientations pour le pays concerné indiquait que sa sécurité ne dépendrait pas de l’existence d’un soutien d’un clan majoritaire. Le SSHD a en outre décidé que le retour en Somalie d’OA ne violerait pas les obligations du Royaume-Uni au titre de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »), signée à Rome le 4 novembre 1950.

31.

OA a formé un recours contre ces décisions. Le 20 juillet 2017, ce recours a été rejeté par le First-tier Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) [tribunal de première instance (chambre de l’immigration et de l’asile), Royaume-Uni]. En raison d’une erreur de droit matérielle, ce rejet a été annulé par l’Upper Tribunal (tribunal supérieur), qui a renvoyé l’affaire à un autre membre du même First-tier Tribunal (tribunal de première instance). Par décision du 30 janvier 2018, cette dernière juridiction a jugé que le renvoi d’OA en Somalie violerait l’article 3 de la CEDH. Toutefois le recours d’OA sur les moyens tirés de l’asile a été rejeté.

32.

À la suite de l’autorisation accordée au SSHD d’interjeter appel, cette décision du First-tier Tribunal (tribunal de première instance) a été annulée, le 13 novembre 2018, par l’Upper Tribunal (tribunal supérieur).

33.

L’affaire est à présent réexaminée dans son ensemble devant l’Upper Tribunal (tribunal supérieur).

34.

Le SSHD affirme que, en vertu des règles en matière d’immigration ainsi que de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification et en appliquant les orientations pour le pays concerné fournies dans les décisions rendues par l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) dans l’arrêt MOJ and Others (return to Mogadishu) Somalia CG [2014] UKUT 00442 (IAC) [arrêt MOJ e.a. (retour à Mogadiscio) – orientations pour la République fédérale de Somalie, ci-après l’« arrêt MOJ »], il était en droit de conclure qu’il y a eu un changement durable de circonstances dans le pays dont OA a la nationalité en ce que, dans la région de Mogadiscio dont il est originaire, les clans minoritaires ne faisaient plus l’objet de persécutions de la part des clans majoritaires et qu’il existait une protection étatique effective.

35.

OA soutient que, étant donné qu’il s’agissait d’un cas de cessation, il était significatif que le point de vue du SSHD était en contradiction avec l’évaluation fournie, au mois de juin 2014, par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (ci‑après le « HCR »), qui, concernant la question de l’existence de la protection étatique, observait que la situation sécuritaire à Mogadiscio suscitait de graves inquiétudes et que les clans minoritaires demeuraient particulièrement défavorisés à Mogadiscio, ainsi que dans le sud et dans le centre de la Somalie. OA affirme à la fois que ses craintes d’être persécuté à Mogadiscio sont fondées et que les autorités étatiques n’y sont pas en mesure de le protéger contre des atteintes graves. Il soutient également que l’analyse faite par l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) dans l’arrêt MOJ reposait sur une interprétation erronée de la protection étatique. Selon les principes directeurs du HCR sur la cessation ( 11 ), la protection étatique doit être assurée par la structure de l’État et par les actions de celui-ci. Or, l’appréciation faite dans l’arrêt MOJ selon laquelle une protection étatique était généralement assurée à Mogadiscio se fondait en partie sur la disposition d’un soutien et d’une protection de la part de membres de la famille ou d’autres membres du clan. Cependant, les acteurs familiaux ou claniques sont des acteurs non pas étatiques mais privés. Pour déterminer si les circonstances à Mogadiscio qui avaient justifié de lui octroyer (en 2003) le statut de réfugié avaient changé de manière significative et durable au point qu’il ne pouvait plus « continuer [à refuser] de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité », il n’était juridiquement pas admissible de tenir compte des fonctions de protection exercées par des acteurs non étatiques.

36.

L’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a considéré que la solution du litige au principal nécessitait une interprétation des règles nationales mettant en œuvre la législation de l’Union sur la qualification des réfugiés, à savoir la directive qualification.

37.

Par décision du 22 mars 2019, l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a posé les questions préjudicielles suivantes à la Cour :

« 1)

La “protection du pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité” au sens de l’article 11, paragraphe 1, sous e), et de l’article 2, sous e), de la [directive qualification] doit-elle être comprise comme une protection de l’État ?

2)

Pour décider s’il existe une crainte fondée d’être persécuté au sens de l’article 2, sous e), de la [directive qualification] et s’il existe une protection contre cette persécution conformément à l’article 7 de cette directive, le “critère de la protection”, ou “examen de la protection”, doit-il être appliqué aux deux questions et, si tel est le cas, est-il régi par les mêmes critères dans chaque cas ?

3)

Si l’on laisse de côté l’applicabilité de la protection par des acteurs non étatiques au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous b), [de la directive qualification] et si l’on suppose que la réponse à la première question ci-dessus est affirmative, l’effectivité ou la disponibilité de la protection doivent-elles être évaluées uniquement par rapport aux actes et fonctions de protection des acteurs étatiques ou peut-on considérer les actes et fonctions de protection accomplis par des acteurs privés (société civile) tels que les familles ou des clans ?

4)

Les critères régissant l’“examen de la protection” qui doit être mené lors de l’analyse de la cessation dans le contexte de l’article 11, paragraphe 1, sous e), [de la directive qualification] sont-ils (comme on le suppose dans les deuxième et troisième questions) les mêmes que ceux qui doivent être appliqués dans le contexte de l’article 7 de cette directive ? » ( 12 )

V. Remarques préliminaires

38.

De la demande de décision préjudicielle, il semblerait que l’affaire dont la juridiction de renvoi est saisie concerne la cessation du statut de réfugié d’OA, son exclusion de la protection humanitaire en vertu de l’article 339D des règles en matière d’immigration, ainsi que la question de savoir si son renvoi en Somalie porterait atteinte à l’article 3 de la CEDH ( 13 ) et, par voie de conséquence, aux articles 4 et 19, paragraphe 2, de la Charte ( 14 ).

39.

Or, les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi concernent uniquement le problème de la cessation du statut de réfugié et non le problème distinct de savoir si OA pourrait se retrouver exposé à une grande pauvreté s’il était renvoyé en Somalie, ce qui enfreindrait éventuellement les garanties contenues à l’article 3 de la CEDH et, par extension, l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.

40.

Il doit donc être précisé qu’un certain nombre de constatations de fait contenues dans la demande de décision préjudicielle semblent ne pas être directement pertinentes pour la cessation du statut de réfugié et les questions spécifiques posées. Ces constatations de fait semblent avoir trait aux autres questions dont la juridiction de renvoi est saisie ( 15 ). Je propose dès lors de tenter de distinguer les faits qui sont pertinents pour les questions posées à la Cour de ceux qui ne le sont pas.

41.

Avant d’examiner les questions spécifiques sur la cessation du statut de réfugié, d’autres observations préliminaires peuvent également s’imposer. Tout d’abord, comme l’a souligné l’avocat général Mazák ( 16 ), de même que la Cour dans l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, point 52), il ressort des considérants 3, 16 et 17 de la directive qualification que la convention de Genève reste « la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés ». De plus, la directive qualification a été adoptée « pour aider les autorités compétentes des États membres » à appliquer cette convention « en se fondant sur des notions et des critères communs » ( 17 ).

42.

Ensuite, là où leur libellé s’écarte du texte de la convention de Genève, les dispositions de la directive qualification doivent néanmoins être interprétées en adhérant le plus possible aux objectifs sous-jacents de cette convention même. En effet, l’article 78, paragraphe 1, TFUE prévoit que la politique commune de l’Union en matière d’asile et de protection subsidiaire doit être conforme à la convention de Genève et l’article 18 de la Charte prévoit que le droit d’asile « est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève ». Cela implique à son tour que le législateur de l’Union a entendu que toute mesure législative, telle la directive qualification, doive autant que possible se conformer à la fois à la lettre et à l’esprit de la convention de Genève.

43.

Enfin, ainsi qu’il ressort de son considérant 10, la directive qualification elle-même doit être interprétée d’une façon qui respecte les principes fondamentaux reconnus par la Charte ( 18 ), y compris les exigences retenues à l’article 1er de celle-ci, où sont inscrits le respect et la protection de la dignité humaine ( 19 ).

VI. Analyse des questions préjudicielles

A.   Sur la première question préjudicielle : le sens de la notion de « protection » du « pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité », telle qu’elle figure à l’article 2, sous c), et à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification

44.

La première question préjudicielle se rapporte au sens de la notion de « protection » du « pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité » telle qu’elle apparaît à l’article 2, sous c), et à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification ( 20 ). En substance, la question est de savoir si ces termes doivent être compris comme renvoyant à la protection de l’État ( 21 ).

45.

Pour ma part, je pense que tant la formulation exacte des dispositions précitées que leur contexte montrent clairement, et ce à une exception importante près, que, par les termes « la protection du pays dont il a la nationalité », il est fait référence à la protection étatique ( 22 ) accordée par le pays dont le demandeur a la nationalité, en l’espèce, la République fédérale de Somalie.

46.

En tout cas, il ressort de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), qu’il faut comprendre ces dispositions de cette façon. Ainsi, par exemple, la Cour a observé aux points 57 à 59 de cet arrêt qu’un réfugié est un ressortissant d’un pays tiers qui, « en raison de circonstances existant dans son pays d’origine, [doit] être confronté à la crainte fondée d’une persécution exercée sur sa personne pour au moins l’un des cinq motifs énumérés dans la directive et dans la convention de Genève. Ces circonstances démontrent, en effet, que le pays tiers ne protège pas son ressortissant contre des actes de persécution. Elles sont la cause de l’impossibilité pour l’intéressé, ou du refus justifié de celui-ci, de se réclamer de la “protection” de son pays d’origine au sens de l’article 2, sous c), de la directive, c’est-à-dire au sens de la capacité de ce pays de prévenir ou de sanctionner des actes de persécution » ( 23 ).

47.

Dans un souci d’exhaustivité, j’ajouterais toutefois que les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, de la directive qualification sous-entendent nécessairement que, dans certains cas, des acteurs autres que l’État, tels des partis ou des organisations, peuvent fournir une protection considérée comme équivalente à celle de l’État, en lieu et place de celui-ci, pour autant que des critères stricts sont remplis. Je propose de développer davantage ce point dans le cadre de l’examen de la troisième question préjudicielle.

B.   Sur la deuxième question préjudicielle : le critère de la protection – l’interaction entre l’article 2, sous c), de la directive qualification (définition du « réfugié » – crainte fondée d’être persécuté) et l’article 7 de cette même directive (existence d’une protection)

48.

La deuxième question de la juridiction de renvoi se rapporte à l’interprétation de l’article 2, sous c), et de l’article 7 de la directive qualification dans le cadre de la cessation du statut de réfugié au titre de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de cette directive. Cette question doit faire l’objet d’une réponse au regard du fait qu’OA, qui fait face à une éventuelle cessation de son statut de réfugié au Royaume-Uni, affirme craindre des persécutions d’acteurs non étatiques ( 24 ) et l’absence de toute protection effective de l’État dans le pays dont il a la nationalité.

49.

En substance, la juridiction nationale demande si l’existence d’une protection contre la persécution, au sens de l’article 7 de la directive qualification, est évaluée uniquement lors de l’examen de la question de savoir s’il existe une crainte fondée d’être persécuté, telle que visée à l’article 2, sous c), de cette directive, ou si un tel « examen de la protection » est également mené lors de l’examen de la question de savoir si une protection existe contre de telles persécutions. La juridiction de renvoi demande également si les critères de l’existence d’une telle protection sont les mêmes dans les deux cas.

50.

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette question est soulevée en raison des décisions divergentes des juridictions du Royaume-Uni quant à la notion de « protection » contenue à l’article 1er, section A, paragraphe 2, de la convention de Genève et, par voie de conséquence, quant à celle contenue à l’article 2, sous c), de la directive qualification ( 25 ).

51.

Dans une approche, celle basée sur la décision de la Court of Appeal (England and Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni] dans l’arrêt AG and Others v Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1342, la vérification de la « protection » n’a lieu qu’« au stade de l’examen de l’existence d’un risque réel d’atteintes graves ».

52.

Dans l’autre approche, celle que Lord Hope of Craighead a énoncée dans l’arrêt Horvath v Secretary of State for the Home Department [2000] UKHL 37, [2001] 1 Appeal Cases 489, la vérification de la protection a lieu à deux stades différents. Ainsi, dans cet arrêt, Lord Hope of Craighead a déclaré que, « [l]orsqu’il s’agit d’une allégation de persécution par des agents non étatiques, le caractère suffisant de la protection de l’État est pertinent pour déterminer si chacun des deux critères, à savoir celui de la “crainte” et celui de la “protection”, est rempli. La prémisse appropriée, une fois que le tribunal a constaté que le demandeur d’asile a une crainte réelle et fondée de violence grave ou de mauvais traitements pour un motif énoncé dans la convention, consiste à examiner si ce que ledit demandeur craint est une “persécution” au sens de la convention. À ce stade, la question de savoir si l’État peut et veut accorder une protection est directement mise en cause par une approche globale de la définition qui est fondée sur le principe de substitution. […] » ( 26 ) [Traduction libre]

53.

La juridiction de renvoi observe que, selon la House of Lords (chambre des Lords) dans l’arrêt Horvath v Secretary of State for the Home Department [2000] UKHL 37, sauf à considérer la protection comme un élément interdépendant de la notion de « persécution », il serait possible à une personne de remplir les conditions de la notion de « réfugié » simplement en démontrant une crainte fondée de subir des atteintes graves, même si cette personne était pleinement protégée contre celles-ci. Cela violerait le principe de substitution ( 27 ).

54.

Dans le cadre de l’application à la fois de l’article 2, sous c), et de l’article 7, de la directive qualification, ainsi que, en effet, à son tour de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de cette directive, je pense que l’on peut pousser trop loin l’analyse de ce qui, en fin de compte, constitue une seule et même notion, qui applique, de ce fait, des critères identiques ( 28 ).

55.

Lors de l’examen de toute demande visant à obtenir le statut de réfugié, la question doit toujours être de savoir si le demandeur a établi une crainte fondée de persécution dans le cadre de l’article 2, sous c), de la directive qualification. L’emploi du terme « avec raison » dans la définition de la notion de « réfugié » que contient cette disposition requiert, entre autres, une analyse de la question de savoir si les conditions dans le pays dont le demandeur a la nationalité ou dans son pays d’origine sont telles qu’elles justifient objectivement sa crainte d’être persécuté.

56.

Ce critère requerra nécessairement, à mon sens, de vérifier objectivement si, dans le pays dont le demandeur a la nationalité, il existe ou non une protection accordée par les acteurs de la protection, tels que définis à l’article 7 de la directive qualification, contre les persécutions ( 29 )et si le demandeur a accès à cette protection ( 30 ).

57.

C’est pourquoi, en substance, je suis d’accord avec l’observation de la Commission ( 31 ) selon laquelle le statut de réfugié doit être déterminé au regard d’un seul critère de la protection répondant aux exigences établies à l’article 7 de la directive qualification. Je soulignerais, toutefois, que la protection dans le pays dont le demandeur a la nationalité doit être disponible contre tous les acteurs des persécutions tels que définis à l’article 6 de la directive qualification ( 32 ).

58.

Même si, à strictement parler, aucune définition de la notion de « protection » ne figure à l’article 2 de la directive qualification, celle-ci est en fait décrite à l’article 7, paragraphe 2, de cette directive. Cette protection existe lorsque les acteurs de la protection visés à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive prennent « des mesures raisonnables pour empêcher la persécution […], entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution […] » ( 33 ), et lorsque le demandeur « a accès à cette protection » ( 34 ).

59.

Ainsi, la nécessité ininterrompue d’une protection internationale (statut de réfugié) dans un cas comme celui de la présente affaire est déterminée, entre autres, par la capacité ou non d’un acteur de la protection de prendre des mesures raisonnables pour empêcher la persécution du demandeur par des acteurs non étatiques et ce, entre autres, en disposant d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes commis, entre autres par des acteurs non étatiques ( 35 ).

60.

Si, pour quelque raison que ce soit, des acteurs de protection ne prennent pas ou ne peuvent du reste pas prendre de telles mesures raisonnables pour empêcher la persécution du demandeur, alors ce dernier est en principe en droit de bénéficier du statut de réfugié ( 36 ).

61.

Je considère donc que, pour s’assurer si une personne a une crainte fondée d’être persécutée par des acteurs non étatiques, visée à l’article 2, sous c), de la directive qualification, l’existence d’une « protection », telle que décrite à l’article 7, paragraphe 2, de la directive qualification, par des acteurs de la protection doit être prise en considération. La même analyse doit être menée en ce qui concerne la cessation du statut de réfugié visée à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification.

C.   Sur la troisième question préjudicielle : l’interprétation de la notion de « protection » accordée par l’« État » contenue à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive qualification – inclusion des actes de protection par les clans ou les familles

62.

La problématique que la troisième question soulève est au cœur de la présente demande de décision préjudicielle. Elle est la suivante : si la « protection dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité » au sens de l’article 11, paragraphe 1, sous e), et de l’article 2, sous c), de la directive qualification se réfère à la protection de l’État visée à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de cette directive, cette protection peut-elle englober également les actes et fonctions de protection accomplis par des acteurs purement privés tels que des familles ou des clans qui pourraient offrir une protection au demandeur ?

63.

Les constatations de fait de la juridiction de renvoi présentent une certaine pertinence dans ce cadre. Elle a observé que, en ce qui concerne « la situation du pays à Mogadiscio, les deux parties se sont contentées de s’appuyer sur les constatations faites par l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) dans l’arrêt MOJ » ( 37 ). Les constatations concernées de l’arrêt MOJ sont, entre autres, les suivantes :

« ii)

En règle générale, à son retour à Mogadiscio après une période d’absence, une personne qui est un “civil ordinaire” (c’est-à-dire qui n’est liée ni aux forces de sécurité, ni à tout aspect de l’administration du gouvernement ou d’une administration publique, ni à toute association non gouvernementale ou organisation internationale) ne courra aucun risque réel de persécution ou d’atteintes qui nécessite une protection en application de l’article 3 de la CEDH ou de l’article 15, sous c), de la directive qualification. […]

vii)

Une personne qui retourne à Mogadiscio après une période d’absence se tournera vers sa famille nucléaire, si elle en a une qui vit dans la ville, afin d’obtenir de l’aide pour se réinstaller et gagner sa vie. Bien qu’une personne ayant fait l’objet d’une mesure de retour puisse également demander de l’aide aux membres de son clan qui ne sont pas des parents proches, une telle aide ne sera sans doute accordée qu’à des membres d’un clan majoritaire, les clans minoritaires n’ayant que peu à offrir.

viii)

L’importance de l’appartenance clanique à Mogadiscio a changé. À présent, exerçant moins qu’auparavant une fonction de protection, les clans fournissent, éventuellement, des mécanismes de soutien social et aident à accéder aux moyens de subsistance. Il n’y a pas de milices claniques à Mogadiscio, ni de violence clanique, ni de traitement discriminatoire fondé sur le clan, même pour les membres de clans minoritaires.

[…]

xi)

Par conséquent, il n’y aura que ceux, sans soutien clanique ou familial, qui ne recevront pas de transferts de fonds de l’étranger et n’ont aucune chance réelle d’obtenir à leur retour un accès à un moyen de subsistance qui auront à faire face à la perspective de vivre dans des conditions en dessous de ce qui est acceptable en termes de protection humanitaire.

xii)

Les éléments de preuve montrent clairement que ce ne sont pas seulement les personnes originaires de Mogadiscio qui peuvent désormais retourner y vivre en général sans subir un risque visé à l’article 15, sous c), de la directive qualification ou courir un risque réel de misère extrême. Par contre, le transfert à Mogadiscio d’une personne appartenant à un clan minoritaire et sans lien antérieur avec la ville, ni accès à des fonds, ni autre forme de soutien clanique, familial ou social n’est probablement pas réaliste étant donné que, en l’absence de moyens pour se loger et d’une quelconque forme de soutien financier continu, le risque est réel de n’avoir d’autre solution que de vivre dans un abri de fortune dans un camp pour déplacés internes où la possibilité est bien réelle de devoir vivre dans des conditions en dessous des normes humanitaires acceptables. » ( 38 )

64.

Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi observe que la décision antérieure contenue dans l’arrêt MOJ présupposait que, « même si la protection pertinente doit être une protection de l’État, l’évaluation de l’effectivité de cette protection exige la prise en compte des fonctions de protection au sens large pour inclure celles exercées par les familles et les clans. Une approche similaire paraît avoir été adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme quant à la notion de “protection” contre les mauvais traitements visés à l’article 3 de la CEDH dans l’arrêt R. H. c. Suède (requête no 4601/14) du 10 septembre 2015, au paragraphe 73 [ ( 39 )]. Il y a donc un manque important de clarté quant au sens du terme “protection” dans le cadre de l’article 11, paragraphe 1, sous e), et de l’article 2, sous [c]), de la directive qualification. » ( 40 )

65.

Pour en revenir à présent aux faits du cas d’espèce, l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a aussi constaté, comme je l’ai déjà indiqué, qu’OA avait de la famille proche à Mogadiscio et qu’il pouvait se tourner vers elle pour obtenir un certain soutien financier. Il pouvait aussi chercher un soutien financier auprès de sa sœur (qui réside, apparemment, dans les Émirats arabes unis) ainsi qu’auprès d’autres membres du clan au Royaume-Uni.

66.

Bien qu’il n’y ait pas de constatation explicite à cet égard, la juridiction de renvoi paraît considérer implicitement dans la demande de décision préjudicielle que l’existence d’une structure de soutien clanique et familial fournirait à OA une structure de soutien qui constituerait une forme de protection de substitution, même si elle semble principalement axée sur des aides financières et autres aides d’ordre pratique, plutôt qu’une assistance visant à protéger sa propre sécurité personnelle.

67.

Dans ces conditions, la question se réduit en réalité à savoir si l’existence alléguée de telles aides financières et autres aides d’ordre pratique de la part d’acteurs privés peut satisfaire, du moins en partie, les exigences de l’article 7 de la directive qualification pour ce qui concerne tout examen de la protection. À mon sens, il ressort tant du libellé que du contexte général de l’article 7 que tel n’est pas le cas.

68.

L’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification précise que la protection peut être accordée soit par l’État, soit par « des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci ».

69.

Les termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification montrent donc clairement que les partis ou organisations concernés doivent contrôler l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci. L’article 7, paragraphe 2, de cette directive requiert, en outre, que ces partis ou organisations doivent prendre des mesures raisonnables pour fournir une protection contre la persécution ou des atteintes graves en « dispos[ant] d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave ».

70.

Tout cela exige que ces partis ou organisations doivent s’efforcer d’exercer ou de reproduire la souveraineté étatique (ou des pouvoirs qui s’en rapprochent) en ce qui concerne le pays d’origine du demandeur, car c’est ce que signifient et impliquent nécessairement les termes « qui contrôlent l’État » à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification. En particulier, ces partis et organisations doivent s’efforcer d’assurer un système de police et de justice basé sur les principes de la dignité humaine et de l’État de droit pour entrer dans le champ d’application de cette disposition. Ainsi que l’avocat général Mazák l’a observé dans les conclusions qu’il a présentées dans les affaires jointes Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2009:551), ces exigences législatives « impliquent la présence d’un acteur de la protection ayant, entre autres, l’autorité, la structure organisationnelle et les moyens de maintenir un niveau minimal d’ordre public dans le pays dont le réfugié a la nationalité » ( 41 ).

71.

Dans ses observations écrites et lors de l’audience du 27 février 2020, le gouvernement français s’est référé à un arrêt de principe de la Cour nationale du droit d’asile (France) du 3 mai 2016, no 15033525. Au point 4 de cet arrêt, cette juridiction a considéré que « lorsque le défaut de protection de l’État est établi, certaines autres autorités limitativement définies par l’article L. 713-2 [du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile] ( 42 ) peuvent offrir la protection que cet État n’est pas en mesure d’assurer sur son propre territoire ; que, parmi ces autorités, les organisations qui contrôlent une partie substantielle du territoire d’un État sont celles qui possèdent des structures institutionnelles stables leur permettant d’exercer un contrôle civil et armé, exclusif et continu sur un territoire délimité à l’intérieur duquel l’État n’exerce plus ni les obligations ni les prérogatives de sa souveraineté ; qu’une fois ces éléments constitutifs réunis, et sous réserve que cette organisation ne soit pas elle-même l’actrice des persécutions alléguées, il y a lieu de déterminer si la protection de substitution offerte par cette organisation est pour l’intéressé, accessible, effective et non temporaire ; […] » ( 43 ).

72.

L’on ne saurait mieux cerner la substance de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification, selon moi. Ce passage de l’arrêt précité de la Cour nationale du droit d’asile représente correctement, à mon sens, la position du législateur européen telle qu’elle se trouve à l’article 7 de la directive qualification, ainsi que, d’ailleurs, l’interprétation que la Cour a déjà donnée de cet article dans l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105).

73.

En ce qui concerne la présente affaire, il ne me paraît pas nécessaire d’être plus précis que cela, parce qu’il n’y a réellement rien dans la demande de décision préjudicielle qui laisse entendre que soit la structure de soutien familial, soit le système de clans en Somalie, et plus spécifiquement à Mogadiscio, pourrait même un tant soit peu satisfaire cette exigence, mais c’est en fin de compte à la juridiction nationale qu’il appartient de le vérifier.

74.

Tout au plus ressort-il des constatations générales antérieures de l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) dans l’arrêt MOJ (que cette même juridiction a adoptées aux fins de la présente affaire) et des constatations spécifiques relatives à OA en l’espèce que les éléments de preuve montrent simplement que, à Mogadiscio, le système clanique fournit une structure de soutien social sans caractère officiel, même si sans nul doute importante. Comme la juridiction de renvoi l’a observé, OA pourrait raisonnablement aussi se tourner vers les membres de sa famille (et peut-être aussi vers son clan) pour obtenir un certain soutien financier au cas où il serait renvoyé là-bas. Ces constatations appellent les observations qui suivent.

75.

Premièrement, dans le cadre de la cessation du statut de réfugié, l’existence d’un tel soutien financier n’est pas directement pertinente. En revanche, comme je l’ai déjà indiqué, cet aspect serait pertinent pour la question bien distincte de savoir si l’éloignement d’un ancien réfugié vers la Somalie exposerait cette personne au risque réel d’une pauvreté matérielle extrême, méconnaissant ainsi les garanties contre les traitements inhumains ou dégradants contenues à l’article 3 de la CEDH et, par extension, à l’article 4 de la Charte. C’est là la véritable interprétation à donner de décisions telles que l’arrêt R. H. c. Suède ( 44 ) auquel l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) a fait référence et dont j’examinerai, plus loin, les éléments.

76.

Deuxièmement, dans ces constatations de fait, il n’y a strictement rien, en l’espèce, qui laisse entendre que ce système de support clanique et familial contrôle le territoire de la Somalie ou une quelconque partie de celui-ci de la manière envisagée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification. Il n’est pas non plus donné à entendre que ces acteurs privés s’efforcent d’assurer un système de quasi-police et de justice basé sur les principes de la dignité humaine et de l’État de droit ou même qu’ils s’essaient d’offrir un système de police et de justice.

77.

Un aspect supplémentaire à prendre en considération, ici, est que l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification s’écarte du texte même de la convention de Genève en ce qu’il prévoit que la protection peut être accordée par des acteurs non étatiques, y compris des organisations internationales. Bien que certains aient fait valoir avec force que, à cet égard, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification ne correspondait pas en réalité aux termes de la convention de Genève ( 45 ), il est peut-être suffisant, aux fins de la présente affaire, de dire que le législateur de l’Union entendait probablement ainsi tenir compte de l’expérience concrète acquise depuis l’entrée en vigueur de cette convention, il y a quelques décennies de cela, le 22 avril 1954. Cela englobe les interventions humanitaires des Nations unies, les interventions dans certains États de forces militaires multinationales ainsi que le phénomène des États « défaillants » où l’appareil général de l’État traditionnel a tout simplement cessé d’exister dans un quelconque sens utile. Ces développements ne paraissent pas avoir été anticipés par les auteurs de la convention de Genève, dans le cadre de laquelle l’existence d’une protection reposait sur un appareil de l’État opérationnel.

78.

Pour toutes les raisons que j’ai déjà indiquées, je pense qu’il faut partir du principe que, même en s’écartant ainsi du texte concret de la convention de Genève, le législateur de l’Union entendait que les objectifs fondamentaux qui sous-tendent cette convention soient en tout état de cause respectés. Il s’ensuit que l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification doit être interprété en gardant ce principe de base à l’esprit. En substance, la protection visée par la convention de Genève constitue fondamentalement la protection traditionnelle offerte par un État, à savoir un système judiciaire et de police opérationnel fondé sur le principe de l’État de droit.

79.

Tout cela renforce la conclusion selon laquelle la protection non étatique visée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification est non pas simplement la protection susceptible d’être offerte par des personnes ou organisations purement privées – comme, par exemple, une entreprise privée de sécurité qui garde un domaine clôturé ( 46 ) – mais plutôt celle qu’offrent des acteurs non étatiques qui contrôlent tout le territoire d’un État ou une partie substantielle de celui-ci et qui se sont également efforcés de reproduire les fonctions traditionnelles d’un État en fournissant ou soutenant un système judiciaire et de police opérationnel fondé sur le principe de l’État de droit. Autrement dit, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification doit ainsi être considéré comme une disposition supplémentaire et exceptionnelle qui tient compte de l’expérience contemporaine dont j’ai parlé plus haut et qui est celle où le pays dont le ressortissant d’un pays tiers a la nationalité est contrôlé en tout ou en partie par des acteurs non étatiques qui s’efforcent essentiellement de reproduire les systèmes de justice et de police de l’appareil traditionnel de l’État.

1. La décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire R. H. c. Suède

80.

En arrivant à la conclusion qui précède, je n’ai pas perdu de vue la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire R. H. c. Suède ( 47 ), à laquelle l’Upper Tribunal a fait référence et à laquelle les parties se sont également référées lors de l’audience. Comme cet arrêt l’admet lui-même, la décision rendue était étroitement liée aux faits du cas d’espèce. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné les affirmations d’une requérante qui soutenait que ses droits en application de l’article 3 de la CEDH seraient violés si elle était renvoyée à Mogadiscio. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’éloignement vers la Somalie (et, spécifiquement, vers Mogadiscio) de Mme R.H., dont la demande d’asile avait été antérieurement rejetée, ne violerait pas l’interdiction de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants qui figure à l’article 3 de la CEDH ( 48 ).

81.

À cet égard, la requérante avait fait valoir que, si l’ordre d’expulsion devait être mis en œuvre, elle courrait un risque réel soit d’être assassinée par ses oncles parce qu’elle avait refusé de se soumettre à un mariage forcé avant de fuir la Somalie, soit d’être forcée à se marier contre son gré à son retour. Elle avait aussi déclaré que la situation générale en Somalie était très grave pour les femmes, en particulier celles dépourvues d’un réseau masculin. Elle courrait donc le risque de vivre seule dans un camp de réfugiés, ce qui l’exposerait à de graves dangers ( 49 ). La Cour européenne des droits de l’homme a d’abord jugé qu’il n’y avait aucune indication que la situation à Mogadiscio était d’une nature telle qu’elle exposait toute personne présente dans cette ville à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Elle a ensuite examiné les circonstances personnelles de la requérante à son retour. Son recours a été rejeté sur la base des faits de la cause, la Cour européenne des droits de l’homme déclarant :

« 73.   En résumé, la Cour considère qu’il y a des incohérences significatives dans les exposés de la requérante. Les affirmations concernant ses expériences personnelles et les dangers qu’elle risque à son retour n’ont pas été rendues plausibles. Rien ne permet donc de conclure qu’elle retournerait à Mogadiscio en tant que femme seule avec les risques que cette situation comporte. À cet égard, la Cour observe que la requérante a été informée du décès de son père en 2010 et de celui de sa mère en 2011, ce qui indique qu’elle a conservé des contacts à Mogadiscio. En outre, elle a de la famille qui habite dans la ville, y compris un frère et des oncles. Elle doit donc être considérée comme ayant accès à la fois à un soutien familial et à un réseau de protection d’hommes. De surcroît, il n’a pas été démontré que la requérante serait obligée de vivre dans un camp de réfugiés et de déplacés internes.

74.   Par conséquent, sans faire abstraction de la situation difficile des femmes en Somalie, y compris à Mogadiscio, la Cour ne peut pas, en l’espèce, conclure que la requérante serait exposée à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la [CEDH] si elle était renvoyée dans cette ville. Ainsi, son éloignement vers Mogadiscio n’entraînerait pas la violation de cette disposition. » [Traduction libre].

82.

Certes, l’existence d’une structure de soutien familial était un facteur qui a influencé dans une certaine mesure la conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle la requérante ne serait pas exposée à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH si elle était renvoyée à Mogadiscio, mais il ne peut pas être affirmé que, sur ce point particulier, l’arrêt R. H. c. Suède (CE:ECHR:2015:0910JUD000460114) aurait énoncé un quelconque principe plus vaste. Le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les déclarations de la requérante n’étaient pas fiables le montre également ( 50 ). Les preuves de liens familiaux et de soutiens concrets à Mogadiscio et ailleurs auxquelles cette juridiction a fait référence paraissent avoir eu essentiellement pour objet de mettre en doute la véracité des déclarations de la requérante.

83.

Même s’il devait en être autrement, il y lieu de rappeler que le critère de la protection visé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive qualification est très différent de celui interdisant l’éloignement d’une personne vers un État où il existe un risque grave de traitements inhumains ou dégradants aux fins de l’article 3 de la CEDH, ou d’ailleurs aux fins de l’article 4 et de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. Par conséquent, je ne crois pas que l’arrêt R. H. c. Suède (CE:ECHR:2015:0910JUD000460114) soit d’une grande aide pour ce qui est des questions spécifiques que la juridiction de renvoi a posées concernant l’interprétation de la directive qualification.

84.

Je considère donc que, en application de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification, la « protection » peut être accordée par l’État ou, à titre subsidiaire, par des acteurs non étatiques qui contrôlent tout le territoire d’un État ou une partie substantielle de celui-ci et qui se sont également efforcés de reproduire les fonctions traditionnelles d’un État en fournissant ou soutenant un système judiciaire et de police opérationnel fondé sur le principe de l’État de droit. Un simple soutien financier ou matériel fourni par des acteurs non étatiques n’atteint pas le seuil de la protection que vise l’article 7 de la directive qualification.

D.   Sur la quatrième question préjudicielle : l’interprétation de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification

85.

La dernière question préjudicielle a trait à l’interprétation de l’article 11, paragraphe 1, de la directive qualification, qui concerne la cessation du statut de réfugié, et, plus spécifiquement, à la question de savoir si la référence faite à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de cette directive à « la protection du pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité » implique que tout examen quant à la nature de la protection existante dans ce pays dans le cadre d’une décision de cessation du statut de réfugié est, en substance, identique à celui visé à l’article 7 de ladite directive dans le cadre de tout octroi de ce statut.

86.

L’article 11, paragraphe 1, de la directive qualification traite des circonstances dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers cesse d’être un réfugié. Cette disposition prévoit dans les membres de phrases pertinents ce qui suit :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié dans les cas suivants :

[…]

e)

s’il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister ;

[…] »

87.

À cet égard, l’article 11, paragraphe 1, sous e) de la directive qualification reproduit presque verbatim les dispositions de l’article 1er, section C, paragraphe 5, de la convention de Genève. Cette dernière disposition prévoit également les conditions qui doivent être remplies pour qu’il puisse être mis fin au statut de réfugié ou que celui-ci cesse :

« Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus :

[…]

5.   Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ; […] »

88.

Il ressort des termes de la convention de Genève et – de manière déterminante aux fins de la présente affaire – de la directive qualification que tant l’octroi que la cessation du statut de réfugié sont axés sur la question de la nécessité. Tout comme est en droit d’obtenir le statut de réfugié un demandeur d’asile qui est en mesure de montrer une crainte fondée de persécution, l’inverse s’applique également. Si les circonstances qui ont donné lieu au besoin de la protection internationale et à l’octroi du statut de réfugié ont suffisamment changé au point que la protection internationale n’est plus nécessaire, alors le statut de réfugié peut, en principe, cesser ( 51 ).

89.

Comme le prévoit l’article 11, paragraphe 2, de la directive qualification, le changement de circonstances doit, bien sûr, être « suffisamment significatif et non provisoire » et, comme la Cour l’a observé au point 73 de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), cela signifie à son tour qu’il en sera ainsi uniquement « lorsque les facteurs ayant fondé les craintes du réfugié d’être persécuté peuvent être considérés comme étant durablement éliminés ». Tout cela implique que les États membres doivent aborder la question de la cessation du statut de réfugié avec une certaine circonspection, en donnant, le cas échéant, à la personne jouissant de ce statut le bénéfice de tout doute. Si cependant, pour reprendre les termes de la Cour, le risque de persécution peut être considéré comme ayant été « durablement élimin[é] », alors le statut de réfugié peut être révoqué.

90.

Toutefois, le point fondamental reste que tant l’octroi que la cessation de la protection internationale sont essentiellement symétriques. C’est très précisément cet aspect qui ressort clairement des points 65 à 70 de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), que la Cour a formulés dans les termes qui suivent :

« L’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive, de même que l’article 1er, section C, paragraphe 5, de la convention de Genève, prévoit la perte de la qualité de réfugié lorsque les circonstances à la suite desquelles cette qualité avait été reconnue ont cessé d’exister, soit, en d’autres termes, lorsque les conditions de l’octroi du statut de réfugié ne sont plus réunies.

En énonçant que lesdites circonstances “ayant cessé d’exister”, le ressortissant “ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité”, il établit, par son libellé même, un lien de causalité entre le changement de circonstances et l’impossibilité pour l’intéressé de maintenir son refus et donc de conserver son statut de réfugié, sa crainte originaire d’être persécuté n’apparaissant plus fondée.

En tant qu’il dispose que le ressortissant “ne peut plus continuer à refuser” de se réclamer de la protection de son pays d’origine, [l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive] implique que la “protection” en cause est la même que celle qui était jusqu’alors défaillante, à savoir celle contre les actes de persécution prévus par la directive.

De la sorte, les circonstances démontrant l’incapacité ou, à l’inverse, la capacité du pays d’origine d’assurer une protection contre des actes de persécution constituent un élément décisif de l’appréciation conduisant à l’octroi ou, le cas échéant, de manière symétrique, à la cessation du statut de réfugié.

Par suite, le statut de réfugié cesse dès lors que le ressortissant concerné n’apparaît plus exposé, dans son pays d’origine, à des circonstances démontrant l’incapacité dudit pays de lui assurer une protection contre des actes de persécution qui seraient exercés sur sa personne pour l’un des cinq motifs énumérés à l’article 2, sous c), de la directive. Une telle cessation implique ainsi que le changement de circonstances ait remédié aux causes qui ont entraîné la reconnaissance du statut de réfugié.

Pour parvenir à la conclusion que la crainte du réfugié d’être persécuté n’est plus fondée, les autorités compétentes, à la lumière de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, doivent vérifier, au regard de la situation individuelle du réfugié, que le ou les acteurs de protection du pays tiers en cause ont pris des mesures raisonnables pour empêcher la persécution, qu’ils disposent ainsi, notamment, d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution et que le ressortissant intéressé, en cas de cessation de son statut de réfugié, aura accès à cette protection. » ( 52 )

91.

Il s’ensuit à son tour que, dans les deux cas ( 53 ), la nature de l’examen de la protection est essentiellement la même. Le statut de réfugié sera accordé lorsque cette protection était absente et, de manière correspondante, la nécessité du statut de réfugié cessera lorsque les circonstances dans le pays dont le réfugié a la nationalité auront durablement changé ( 54 ) de telle sorte que des niveaux de protection adéquats y sont dorénavant assurés et que le requérant y a accès.

VII. Conclusion

92.

Partant, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles présentées par l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) [tribunal supérieur (chambre de l’immigration et de l’asile), Royaume-Uni], de la manière suivante :

La notion de « protection » du « pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité » contenue à l’article 2, sous c) et à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts se réfère essentiellement à la protection de l’État accordée par le pays dont le demandeur a la nationalité. Néanmoins, les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, de la directive 2004/83 sous-entendent nécessairement que, dans certains cas, des acteurs autres que l’État, tels des partis ou des organisations, peuvent fournir une protection considérée comme équivalente à celle de l’État, en lieu et place de celui-ci, lorsque ces acteurs non étatiques contrôlent tout le territoire d’un État ou une partie substantielle de celui-ci et qu’ils se sont également efforcés de reproduire les fonctions traditionnelles d’un État en fournissant ou soutenant un système judiciaire et de police opérationnel fondé sur le principe de l’État de droit. Un simple soutien financier ou matériel fourni par des acteurs non étatiques n’atteint pas le seuil de la protection que vise l’article 7 de la directive 2004/83.

Pour s’assurer si une personne a une crainte fondée d’être persécutée visée à l’article 2, sous c), de la directive 2004/83, et ce par des acteurs non étatiques, l’existence d’une « protection », telle que décrite à l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, par des acteurs de la protection doit être prise en considération. La même analyse doit être menée en ce qui concerne la cessation du statut de réfugié en application de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive 2004/83.

Les termes « la protection du pays dont [le ressortissant d’un pays tiers] a la nationalité » contenus à l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive 2004/83 impliquent que tout examen quant à la nature de la protection existante dans ce pays dans le cadre d’une décision de cessation du statut de réfugié est identique à celui visé à l’article 7 de cette directive. Pour parvenir à la conclusion que la crainte du réfugié d’être persécuté n’est plus fondée, les autorités compétentes, à la lumière de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/83, doivent vérifier, au regard de la situation individuelle du réfugié, que le ou les acteurs de protection du pays tiers en cause ont pris des mesures raisonnables pour empêcher la persécution, qu’ils disposent ainsi, notamment, d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution et que le ressortissant intéressé, en cas de cessation de son statut de réfugié, aura accès à cette protection.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 137, no 2545 (1954)]. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la « convention de Genève »).

( 3 ) O’Sullivan, M., « Acting the Part : Can Non-State Entities Provide Protection Under International Refugee Law ? », International Journal of Refugee Law, vol. 24, Oxford University Press, 2012, p. 89.

( 4 ) L’article 2, sous a), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12, ci-après la « directive qualification ») prévoit que la protection internationale se réfère au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire définis dans cette même directive. La convention de Genève ne se réfère qu’aux réfugiés et à leur statut.

( 5 ) Une explication s’impose. Il se fait que la directive qualification a été abrogée, avec effet au 21 décembre 2013, par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9). Dans son considérant 50, la directive 2011/95 indique que, « [c]onformément aux articles 1er, 2 et à l’article 4 bis, paragraphe 1, du protocole (no 21) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et sans préjudice de l’article 4 dudit protocole, ces États membres ne participent pas à l’adoption de la présente directive et ne sont pas liés par celle-ci ni soumis à son application ». Or, dans son considérant 38, la directive qualification indique que, « [c]onformément à l’article 3 du protocole sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, le Royaume-Uni a notifié, par une lettre du 28 janvier 2002, son souhait de participer à l’adoption et à l’application de la présente directive ». C’est pourquoi la directive qualification continue de s’appliquer au Royaume-Uni bien qu’elle ait été abrogée et remplacée par la directive 2011/95 pour la majorité des États membres.

( 6 ) Arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105). Il s’agissait dans ces affaires de cas de cessation du statut de réfugié, les requérants ayant reçu antérieurement ce statut de la République fédérale allemande en raison des persécutions qu’ils avaient subies en Iraq sous le régime de Saddam Hussein. Les autorités allemandes avaient tenté de révoquer leur statut de réfugié à la suite de la chute de ce régime, après l’invasion du pays dirigée par les États-Unis d’Amérique. Bien que l’affaire concernait donc principalement l’interprétation de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification, qui se rapporte à la cessation, la Cour a néanmoins observé incidemment (au point 75) que l’article 7, paragraphe 1, de cette directive ne s’opposait pas à ce que « la protection puisse être assurée par des organisations internationales, y compris au moyen de la présence d’une force multinationale sur le territoire du pays tiers ».

( 7 ) JO 2020, L 29, p. 1.

( 8 ) Consultables sur la page Internet https://www.gov.uk/guidance/immigration-rules/immigration-rules-part-11-asylum.

( 9 ) S.I. 2006/2525.

( 10 ) Voir point 29 de la demande de décision préjudicielle du 22 mars 2019, adressée à la Cour, où l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) expose son appréciation des faits contestés.

( 11 ) Voir « Principes directeurs sur la protection internationale : cessation du statut de réfugié dans le contexte de l’article 1C(5) et (6) de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés (clauses sur “les circonstances ayant cessé d’exister”) », HCR/GIP/03/03, 10 février 2003, point 15, p. 5.

( 12 ) Le gouvernement français considère que les première et deuxième questions de la juridiction de renvoi contiennent une erreur de plume, étant donné qu’il fallait se référer non pas à l’article 2, sous e), de la directive qualification, qui définit les termes « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », mais à l’article 2, sous c), de cette directive, qui définit le terme « réfugié ». Je partage cet avis. L’article 11 de la directive qualification, qui fait l’objet de la première question préjudicielle, et l’existence d’une « crainte fondée d’être persécuté », dont il s’agit dans la deuxième question préjudicielle, ne concernent que les réfugiés. En outre, OA s’est vu accorder au Royaume-Uni, en 2003, le statut de réfugié et non la protection subsidiaire. Ainsi, l’affaire dans la procédure au principal concerne la cessation du statut de réfugié visée par l’article 11 de la directive qualification et non la cessation de la protection subsidiaire visée par l’article 16 de cette directive. Je considère par conséquent que les première et deuxième questions de l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) se rapportent en réalité à l’article 2, sous c), de ladite directive. C’est pourquoi je me propose de limiter mes conclusions à une interprétation des règles de l’Union qui sont applicables aux réfugiés par opposition à celles afférentes à la protection subsidiaire.

( 13 ) Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dès lors que les droits garantis à l’article 4 de celle-ci correspondent à ceux garantis à l’article 3 de la CEDH, le sens et la portée desdits droits sont les mêmes que ceux que leur confère ledit article 3 de la CEDH. Voir arrêt du 24 avril 2018, MP (Protection subsidiaire d’une victime de tortures passées) (C‑353/16, EU:C:2018:276, point 37).

( 14 ) L’article 19, paragraphe 2, de la Charte prévoit que nul ne peut être éloigné vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

( 15 ) La juridiction de renvoi n’a pas mentionné l’éventualité qu’OA puisse bénéficier de la protection subsidiaire en cas de cessation de son statut de réfugié. À cet égard, dans l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, point 80), la Cour a observé que « [d]ans le système de la directive, la cessation éventuelle du statut de réfugié intervient sans préjudice du droit de la personne concernée de solliciter l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque sont réunis tous les éléments nécessaires, visés à l’article 4 de la directive, pour établir que sont remplies les conditions propres à justifier une telle protection, énoncées à l’article 15 de la directive. » L’article 2, sous e), de la directive qualification prévoit que, au cas où le demandeur ne peut pas être considéré comme un réfugié, mais où il existe néanmoins des motifs sérieux et avérés de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, il courrait « un risque réel de subir [d]es atteintes graves », et où il « ne [peut] pas ou, compte tenu de ce risque, n’[est] pas dispos[é] à se prévaloir de la protection de ce pays », alors cette personne a droit à la protection subsidiaire. Le « risque réel de subir [d]es atteintes graves » est défini à l’article 15 de la directive qualification comme étant celui : a) de la peine de mort ou l’exécution ; b) de la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international. Comme les termes l’impliquent, la notion de « protection subsidiaire » recouvre les cas des demandeurs qui ne sont pas en tant que tels exposés à des persécutions et n’entrent pas, de ce fait, dans les conditions du statut de réfugié, mais qui sont exposés à un risque sérieux de subir des atteintes graves s’ils devaient être renvoyés dans leur pays d’origine et ne peuvent se prévaloir de la protection de ce pays. Voir, notamment, arrêt du 8 mai 2014, N. (C‑604/12, EU:C:2014:302, points 29 et 30). L’article 16, paragraphe 1, de la directive qualification prévoit qu’un ressortissant d’un pays tiers « cesse d’être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire lorsque les circonstances qui ont justifié l’octroi de cette protection cessent d’exister ou ont évolué dans une mesure telle que cette protection n’est plus nécessaire ». Un demandeur peut être exclu de la protection subsidiaire en application de l’article 17 de la directive qualification s’il existe des « motifs sérieux » de considérer, entre autres, qu’il a commis un crime grave de droit commun ou qu’il « représente une menace pour la société ou la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ».

( 16 ) Conclusions de l’avocat général Mazák dans les affaires jointes Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2009:551, point 43).

( 17 ) Arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, point 52).

( 18 ) Arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, point 54).

( 19 ) L’article 1er de la Charte prévoit que « [l]a dignité humaine est inviolable ».

( 20 ) Bien que l’article 11, paragraphe 1, sous e), de la directive qualification emploie les termes « protection du pays dont il a la nationalité », il ressort de la définition du terme « réfugié » à l’article 2, sous c), de cette directive que ce dont il est question dans cette dernière disposition est une personne qui, dans certaines circonstances déterminées, ne peut ou ne veut se réclamer de la « protection du pays dont [elle] a la nationalité ».

( 21 ) À cet égard, même si les termes « pays d’origine » sont définis à l’article 2, sous k), de la directive qualification, cet article 2 ne contient aucune définition du terme « État » ou des termes « protection de l’État ». Toutefois, l’article 7 de cette directive comporte une description claire du niveau unique de protection requis de l’État et d’autres acteurs de protection. Je développerai davantage cette question dans les présentes conclusions.

( 22 ) L’article 7 de la directive qualification le laisse clairement apparaître. Si, au titre de cette exception, d’autres acteurs de la protection peuvent être admis en lieu et place de l’État, ceux-ci doivent effectivement fournir le même niveau de protection que l’État. C’est ce qui s’avère du niveau unique de protection décrit à l’article 7, paragraphe 2, de la directive qualification. La seule « concession » faite à cet égard quant aux acteurs non étatiques mentionnés à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive est l’étendue géographique de la protection. Celle-ci peut être limitée à une « partie importante du territoire » de l’État.

( 23 ) Mise en italique par mes soins.

( 24 ) Le dossier devant la Cour ne contient aucune allégation selon laquelle OA a été persécuté ou risque d’être persécuté par l’État somalien.

( 25 ) Le gouvernement du Royaume-Uni considère que la deuxième question préjudicielle appelle une réponse affirmative. Il déclare que la nécessité d’examiner l’étendue de la protection disponible apparaît de la même manière à trois stades. Premièrement, lors de l’examen de l’existence d’une crainte fondée de persécution ; alors, s’il existe en fait une protection fournie par des acteurs non étatiques à ce stade, cela doit être pris en considération dans le cadre des circonstances générales du cas du demandeur. L’existence d’une telle protection signifiera que le demandeur n’est pas en mesure de démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté. Deuxièmement, lorsque la crainte de persécution provient d’acteurs non étatiques, il est nécessaire d’examiner si soit l’État, soit des acteurs non étatiques peuvent fournir une protection effective. Troisièmement, il est nécessaire d’examiner si le demandeur ne veut pas ou ne peut pas se réclamer de « la protection du pays dont il a la nationalité ». Le gouvernement du Royaume-Uni a déclaré que les deuxième et troisième étapes identifiées ci-dessus constituent deux aspects de la même appréciation. En effet, l’ensemble du processus d’appréciation des trois stades identifiés doit être conduit dans le cadre d’une approche globale. Le point essentiel est que l’approche aux fins de l’appréciation de la protection fournie par des acteurs non étatiques est la même à chaque stade. Le gouvernement français a déclaré que, au point 70 de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), la Cour a jugé que, pour parvenir à la conclusion que la crainte du réfugié d’être persécuté n’est plus fondée, les autorités compétentes, à la lumière de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, doivent vérifier, au regard de la situation individuelle du réfugié, que le ou les acteurs de protection du pays tiers en cause ont pris des mesures raisonnables pour empêcher la persécution, qu’ils disposent ainsi, notamment, d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution et que le ressortissant intéressé, en cas de cessation de son statut de réfugié, aura accès à cette protection. A fortiori, un tel examen est nécessaire lorsqu’il s’agit de vérifier s’il existe une crainte fondée d’être persécuté au sens de l’article 2, sous c), de la directive qualification. Le gouvernement hongrois considère que, dans le cadre de l’examen de la condition tenant à la crainte fondée, ce n’est pas uniquement la protection par les acteurs étatiques ainsi que par une organisation qui contrôle une partie importante du territoire de l’État qui est pertinente. Les autorités administratives et juridictionnelles appelées à se prononcer dans les affaires d’asile doivent examiner, à propos de la condition tenant à une crainte fondée, si la protection disponible est suffisamment efficace, indépendamment du point de savoir si elle est assurée par des acteurs étatiques ou non étatiques.

( 26 ) Dans l’arrêt Horvath v Secretary of State for the Home Department [2000] UKHL 37, Lord Hope of Craighead a déclaré ce qui suit : « Il me semble que l’objectif de la convention qui est d’une importance cruciale pour résoudre les problèmes que la présente affaire soulève est celui qui se trouve dans le principe de la substitution. L’objectif général de la convention est de permettre à la personne qui, dans son propre pays, ne bénéficie plus de la protection contre la persécution pour un motif relevant de la convention de se tourner vers la communauté internationale pour obtenir une protection. Comme l’a observé Lord Keith of Kinkel dans Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Sivakumaran [1988] appeal cases 958, 992H-993A, son objectif général est d’offrir une protection et un traitement équitable à ceux pour qui ni l’une ni l’autre n’existe dans leur propre pays. » [Traduction libre]

( 27 ) De plus, la juridiction de renvoi a déclaré que, si l’analyse faite par la Court of Appeal (Cour d’appel) dans l’arrêt AG and Others v Secretary of State for the Home Department, [2006], EWCA Civ 1342 était correcte, « les deux examens de la protection à effectuer en application de l’élément tenant à la “crainte fondée d’être persécuté” dans la définition de la notion de “réfugié” ne constitueraient pas deux aspects d’une évaluation “globale” mais appliqueraient deux ensembles différents de critères : un examen purement factuel ou fonctionnel pour l’un et un examen axé uniquement sur les actes des acteurs étatiques pour l’autre (traitant la protection comme un terme technique ne visant que l’appareil de l’État). Bien qu’il soit conforme à une approche globale que le degré de protection étatique puisse indirectement être un facteur pour déterminer si une personne a une crainte fondée […], on voit mal pourquoi la nature de cet examen (qu’il s’agisse soit d’un examen factuel ou fonctionnel, soit d’un examen formaliste, soit d’un mélange des deux) devrait différer d’un examen à l’autre, en particulier eu égard au fait qu’ils sont interdépendants. Dans les deux applications, la protection doit assurément revêtir les mêmes qualités d’effectivité et (apparemment aussi) d’accessibilité et de caractère non provisoire » (voir point 48 de la demande de décision préjudicielle du 22 mars 2019).

( 28 ) Voir arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105) où, au point 67, la Cour déclare qu’« [e]n tant qu’il dispose que le ressortissant “ne peut plus continuer à refuser” de se réclamer de la protection de son pays d’origine, il implique que la “protection” en cause est la même que celle qui était jusqu’alors défaillante, à savoir celle contre les actes de persécution prévus par la directive ».

( 29 ) Et ce par les « acteurs des persécutions ou des atteintes graves », tels que définis à l’article 6 de la directive qualification.

( 30 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), où, aux points 56 à 59, la Cour a déclaré que, « aux termes de l’article 2, sous c), de la directive, le réfugié est, notamment, un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité “parce qu’il craint avec raison d’être persécuté” […], et qui ne peut ou, “du fait de cette crainte”, ne veut se réclamer de la “protection” de ce pays. Le ressortissant concerné doit ainsi, en raison de circonstances existant dans son pays d’origine, être confronté à la crainte fondée d’une persécution exercée sur sa personne pour au moins l’un des cinq motifs énumérés dans la directive et dans la convention de Genève. Ces circonstances démontrent, en effet, que le pays tiers ne protège pas son ressortissant contre des actes de persécution. Elles sont la cause de l’impossibilité pour l’intéressé, ou du refus justifié de celui-ci, de se réclamer de la “protection” de son pays d’origine au sens de l’article 2, sous c), de la directive, c’est-à-dire au sens de la capacité de ce pays de prévenir ou de sanctionner des actes de persécution. » (Mise en italique par mes soins)

( 31 ) La Commission a déclaré qu’« [e]lle estime que le fait de scinder la définition de “réfugié” fixée à l’article 2, point c), de la directive en deux éléments et d’appliquer au premier élément un critère de la protection distinct de celui prévu à l’article 7 – et plus restrictif que celui-ci – ne trouve de fondement ni dans la lettre ni dans l’économie de la directive. En effet, l’élaboration du critère par les juridictions britanniques est antérieure à l’adoption de la directive [qualification]. De plus, une telle approche équivaut, en substance, à contourner l’application de l’article 7 de la directive. En “insérant” un critère de la protection, plus restreint, au stade de la détermination du caractère fondé de la crainte d’un demandeur et en utilisant ensuite ce critère pour justifier le refus d’examiner plus avant si la protection répond aux conditions fixées à l’article 7 de la directive, un État membre rendrait, en substance, cette disposition inopérante. »

( 32 ) Conformément à l’article 6, sous c), de la directive qualification, les acteurs des persécutions ou des atteintes graves englobent « des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que [l’État], y compris les [partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci], ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 7 ». (Mise en italique par mes soins).

( 33 ) Lors de l’audience du 27 février 2020, le gouvernement du Royaume-Uni a soutenu que l’emploi du terme « généralement » à l’article 7, paragraphe 2, de la directive qualification sert à indiquer que les critères établis dans cette disposition ne sont pas exhaustifs, ni même indicatifs, mais constituent, au contraire, seulement des exemples énumérés spécifiquement de ce qu’implique la notion de « protection ». Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, les critères établis à l’article 7, paragraphe 2, de la directive qualification sont des exigences minimales et nécessaires pour qu’existe le degré de protection requis. C’est d’ailleurs ce qui ressort très clairement du libellé des points 70 et 71 de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105).

( 34 ) Voir article 7, paragraphe 2, de la directive qualification.

( 35 ) À mon sens, non seulement les « mesures raisonnables » doivent être prises, mais elles doivent aussi être raisonnablement effectives dans leur objectif.

( 36 ) Voir article 2, sous d), de la directive qualification. Si, par ailleurs, le demandeur court le risque non pas d’être persécuté mais malgré tout de subir des « atteintes graves » telles que définies à l’article 15 de cette directive, alors il est en principe en droit de bénéficier de la protection subsidiaire.

( 37 ) Voir point 21 de la demande de décision préjudicielle du 22 mars 2019. Il n’appartient pas à la Cour de mettre en doute les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de renvoi s’est fondée et avec lesquelles, d’ailleurs, les parties au litige dont elle est saisie étaient d’accord. Toutefois, si les constatations de fait concernant la situation à Mogadiscio sont basées exclusivement sur l’arrêt MOJ, alors il faut dire que certains passages dans cet arrêt pourraient en soi laisser entendre qu’un requérant tel qu’OA n’a aucune crainte fondée quant à un retour éventuel en Somalie et que, dans la mesure où elle soulève des questions de soutien financier, etc., la présente cause constitue en réalité une affaire se rapportant à des questions de traitements inhumains et dégradants dans le cadre d’une exposition éventuelle à une pauvreté matérielle extrême plutôt qu’à la cessation du statut de réfugié en tant que telle. Je tiens à souligner une fois encore, toutefois, qu’il n’incombe pas à la Cour de vérifier les constatations de fait de la juridiction de renvoi ni, du reste, d’aller au-delà des questions spécifiques que celle-ci a posées. Il pourrait aussi être mis en évidence que l’arrêt MOJ a été rendu en 2014 et il peut être légitime de se demander si les constatations qui y figurent sont aujourd’hui, six ans plus tard, toujours pleinement pertinentes. Je tiens aussi à observer que, lors de l’audience du 27 février 2020, le gouvernement français a déclaré que son appréciation de la situation en Somalie était très différente. Ces questions sont cependant, en fin de compte, des points qui doivent être tranchés par la juridiction de renvoi.

( 38 ) Voir point 38 de la demande de décision préjudicielle du 22 mars 2019.

( 39 ) Voir Cour EDH, 10 septembre 2015, R.H. c. Suède, CE:ECHR:2015:0910JUD000460114, § 73.

( 40 ) Voir point 49 de la demande de décision préjudicielle du 22 mars 2019.

( 41 ) Conclusions de l’avocat général Mazák dans les affaires jointes Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2009:551, point 54).

( 42 ) Les paragraphes 2 et 3 de cet article transposent les dispositions de l’article 7 de la directive qualification.

( 43 ) Mise en italique par mes soins.

( 44 ) Cour EDH, 10 septembre 2015, R.H. c. Suède, CE:ECHR:2015:0910JUD000460114.

( 45 ) O’Sullivan, M., « Acting the Part : Can Non-State Entities Provide Protection Under International Refugee Law ? », International Journal of Refugee Law, vol. 24, Oxford University Press, 2012, p. 98 à 108.

( 46 ) La référence faite par le gouvernement du Royaume-Uni au paragraphe 249 de l’arrêt de la Cour EDH du 28 novembre 2011, Sufi et Elmi c. United Kingdom (CE:ECHR:2011:0628JUD000831907), n’est pas, je pense, directement pertinente. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la possibilité que certaines personnes auraient exceptionnellement des accointances parmi des « acteurs puissants » à Mogadiscio pour obtenir une protection et vivre en sécurité dans la ville était vraisemblablement rare, car seules celles qui ont des relations placées au plus haut niveau seraient dans une position de se voir accorder une telle protection. Elle a également observé qu’un demandeur qui n’avait pas été en Somalie depuis un certain temps ne connaîtrait probablement personne à contacter pour lui permettre d’obtenir une protection à son retour. Elle a donc conclu que la violence à Mogadiscio était d’un niveau d’intensité tel que toute personne dans la ville, sauf peut-être ceux qui ont exceptionnellement des accointances parmi des « acteurs puissants », court un risque réel de subir des traitements interdits par l’article 3 de la CEDH. Le gouvernement du Royaume-Uni a lui-même admis lors de l’audience du 27 février 2020 qu’OA n’était plus allé en Somalie depuis 25 ans et il n’y a strictement rien qui laisse entendre qu’il relèverait de la catégorie des personnes privilégiées mentionnées plus haut. En tout état de cause, comme je l’ai déjà observé, le critère de l’article 3 de la CEDH est complètement distinct de la question du droit au statut de réfugié, eu égard aux termes de l’article 7 de la directive qualification.

( 47 ) Cour EDH, 10 septembre 2015, R.H. c. Suède, CE:ECHR:2015:0910JUD000460114.

( 48 ) Au paragraphe 56 de l’arrêt R.H. c. Suède (CE:ECHR:2015:0910JUD000460114), la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que « l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la [CEDH], lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si elle est éloignée, la personne concernée courra un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 dans le pays de destination. Dans un tel cas, l’article 3 entraîne une obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays (Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 93, ECHR 2014, et autre jurisprudence citée) » [traduction libre]. Au paragraphe 57 de l’arrêt R.H. c. Suède (CE:ECHR:2015:0910JUD000460114), la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que, « [e]n raison du caractère absolu du droit garanti, l’article 3 de la [CEDH] trouve aussi à s’appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Encore faut-il démontrer que le risque existe réellement et que les autorités de l’État de destination ne sont pas en mesure d’y obvier par une protection appropriée » [traduction libre].

( 49 ) La Cour européenne des droits de l’homme a d’abord examiné la situation à Mogadiscio et a jugé qu’il n’y avait aucune indication que la situation était d’une nature telle qu’elle exposait toute personne présente dans cette ville à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Cette juridiction a donc examiné la situation personnelle de la requérante.

( 50 ) Voir paragraphe 72 de l’arrêt, où la Cour européenne des droits de l’homme précise qu’elle a de sérieux doutes quant à la véracité des déclarations de la requérante.

( 51 ) Ainsi que la Court of Appeal for England and Wales (Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles) l’a résumé, il « devrait simplement y avoir une exigence de symétrie entre l’octroi et la cessation du statut de réfugié » [traduction libre]. Voir Secretary of State for the Home Department v MA (Somalia) [2018] EWCA Civ 994, [2019] 1 Weekly Law Reports 241, point 47, rendu par le juge Arden L.J.

( 52 ) Arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, points 65 à 70). Mise en italique par mes soins.

( 53 ) Dans le cadre de l’article 7 de la directive qualification et dans celui de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de celle-ci.

( 54 ) Au point 73 de l’arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105), la Cour a déclaré que « [l]e changement de circonstances a un caractère “significatif et non provisoire” au sens de l’article 11, paragraphe 2, de la directive, lorsque les facteurs ayant fondé les craintes du réfugié d’être persécuté peuvent être considérés comme étant durablement éliminés ».

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