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Document 62018CC0197

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 28 mars 2019.
Procédure engagée par Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Wien.
Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 91/676/CEE – Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles – Objectif de réduire la pollution – Eaux atteintes par la pollution – Teneur en nitrates de 50 mg/l au maximum – Programmes d’action adoptés par les États membres – Droits des particuliers à la modification d’un tel programme – Qualité pour agir devant les autorités et les juridictions nationales.
Affaire C-197/18.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:274

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 28 mars 2019 ( 1 )

Affaire C‑197/18

Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland,

Robert Prandl,

Gemeinde Zillingdorf,

autres parties :

Bundesministerin für Nachhaltigkeit und Tourismus, anciennement Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft,

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche)]

« Demande de décision préjudicielle – Environnement – Directive 91/676/CEE – Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles – Risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte – Obligation d’établir un programme d’action – Effet direct – Droit des personnes concernées »

I. Introduction

1.

Dès l’année 1991, l’Union européenne s’est dotée d’une législation pour lutter contre la pollution de l’eau par les nitrates, constituée de la directive 91/271/CEE ( 2 ) (ci-après la « directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires »), qui traite notamment de la construction et de l’exploitation des stations d’épuration, et de la directive 91/676/CEE ( 3 ) (ci-après la « directive sur les nitrates »), qui porte sur les nitrates d’origine agricole. Ces mesures ont en premier lieu pour objectif de protéger les écosystèmes d’un apport excessif d’éléments nutritifs. Cependant, les nitrates présentent également des risques sanitaires, notamment pour les nourrissons ( 4 ). Pour cette raison, la directive 98/83/CE ( 5 ) (ci-après la « directive sur l’eau potable ») prévoit une valeur limite de 50 milligrammes de nitrates par litre, valeur que l’on retrouve également dans la directive sur les nitrates.

2.

Les requérants au principal, un distributeur d’eau, un particulier et une commune, réclament par conséquent des mesures pour garantir une teneur en nitrates des eaux souterraines inférieure à 50 mg/l. Les autorités compétentes contestent en revanche que les requérants aient qualité pour exiger ces mesures. En outre, la nécessité même de mesures supplémentaires est controversée, de même que l’effet direct des dispositions invoquées.

3.

La présente procédure donne à la Cour une nouvelle occasion de se pencher sur la question de savoir qui peut se prévaloir des dispositions du droit de l’environnement de l’Union devant les juridictions nationales. Et, pour la première fois, il conviendra d’aborder le point de savoir dans quelle mesure la directive sur les nitrates peut être invoquée devant ces juridictions.

II. Le cadre juridique

A.   La convention d’Aarhus

4.

L’article 2 de la convention d’Aarhus ( 6 ), intitulé « Définitions », stipule, à ses points 4 et 5 :

« 4.   Le terme “public” désigne une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes.

5.   L’expression “public concerné” désigne le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel ; [...] »

5.

L’article 3, paragraphe 6, de la convention d’Aarhus porte sur l’articulation avec les droits existants :

« Rien dans la présente convention n’oblige à déroger aux droits existants concernant l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. »

6.

L’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus prévoit un droit de recours :

« En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement. »

B.   Le droit de l’Union

1. La directive sur les nitrates

7.

L’objectif de protection de la directive sur les nitrates est énoncé à son sixième considérant :

« considérant qu’il est dès lors nécessaire, pour protéger la santé humaine, les ressources vivantes et les écosystèmes aquatiques et pour garantir d’autres usages légitimes des eaux, de réduire la pollution directe ou indirecte des eaux par les nitrates provenant de l’agriculture et d’en prévenir l’extension ; [...] »

8.

Le treizième considérant de la directive 91/676 évoque le calendrier des mesures de protection :

« considérant qu’il est admis que les conditions hydrogéologiques dans certains États membres sont telles qu’il faudra peut-être de nombreuses années pour que les mesures de protection entraînent une amélioration de la qualité des eaux ».

9.

Les objectifs concrets de la directive sur les nitrates sont formulés à son article 1er :

« La présente directive vise à :

réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles,

prévenir toute nouvelle pollution de ce type. »

10.

La notion de « pollution » est définie à l’article 2, sous j), de la directive 91/676 comme étant « le rejet de composés azotés de sources agricoles dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et au système écologique aquatique, à porter atteinte aux agréments ou à gêner d’autres utilisations légitimes des eaux ».

11.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, les États membres doivent en principe définir les zones vulnérables :

« Les eaux atteintes par la pollution et celles qui sont susceptibles de l’être si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises sont définies par les États membres en fonction des critères fixés à l’annexe I. »

12.

L’article 3, paragraphe 5, de la directive sur les nitrates prévoit toutefois une exception à ce principe :

« Les États membres sont exemptés de l’obligation de désigner des zones vulnérables spécifiques lorsqu’ils établissent et appliquent à l’ensemble de leur territoire national les programmes d’action visés à l’article 5 conformément à la présente directive. »

13.

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la République d’Autriche fait usage de l’exception prévue à l’article 3, paragraphe 5, de la directive sur les nitrates.

14.

L’article 5 de la directive sur les nitrates traite des « programmes d’action » :

« 1.   Pour les besoins des objectifs visés à l’article 1er [...], les États membres établissent des programmes d’action portant sur les zones vulnérables désignées.

[...]

4.   Les programmes d’action sont mis en œuvre dans un délai de quatre ans à compter de leur élaboration et ils contiennent les mesures obligatoires suivantes :

a)

les mesures visées à l’annexe III ;

b)

les mesures que les États membres ont arrêtées dans le(s) code(s) de bonne pratique agricole élaboré(s) conformément à l’article 4, à l’exception de celles qui ont été remplacées par les mesures énoncées à l’annexe III.

5.   En outre, les États membres prennent, dans le cadre des programmes d’action, toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires, s’il s’avère, dès le début ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action, que les mesures visées au paragraphe 4 ne suffiront pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er. Dans le choix de ces mesures ou actions, les États membres tiennent compte de leur efficacité et de leur coût par rapport à d’autres mesures préventives envisageables.

6.   Les États membres élaborent et mettent en œuvre des programmes de surveillance adéquats pour évaluer l’efficacité des programmes d’action établis en vertu du présent article.

Les États membres qui appliquent les dispositions de l’article 5 à l’ensemble de leur territoire national surveillent la teneur en nitrates des eaux (eaux de surface et eaux souterraines) à des points de mesure sélectionnés, qui permettent de déterminer l’étendue de la pollution des eaux par les nitrates à partir de sources agricoles.

7.   Les États membres réexaminent et, le cas échéant, révisent leurs programmes d’action, y compris toute mesure supplémentaire prise en vertu du paragraphe 5, tous les quatre ans au moins. Ils informent la Commission de toute modification apportée aux programmes d’action. »

15.

L’article 10, paragraphe 1, de la directive sur les nitrates régit l’obligation des États membres de faire rapport à la Commission européenne :

« Les États membres soumettent à la Commission, pour la période de quatre ans qui suit la notification de la présente directive et pour chaque période ultérieure de quatre ans, un rapport contenant les informations visées à l’annexe V. »

16.

Les critères aux fins de la désignation des zones vulnérables sont fixés à l’annexe I de la directive sur les nitrates. Le point A 2) de cette annexe concerne les eaux souterraines :

« si les eaux souterraines ont, ou risquent d’avoir, une teneur en nitrate supérieure à 50 milligrammes par litre si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises ».

17.

En vertu de l’annexe V, point 4, sous e), de la directive sur les nitrates, les États membres doivent communiquer à la Commission des estimations sur l’efficacité de leurs programmes d’action :

« les estimations des États membres concernant les délais approximatifs dans lesquels on peut s’attendre à ce que les eaux définies conformément à l’article 3, paragraphe 1, réagissent aux mesures prévues dans le programme d’action, ainsi qu’une indication du niveau d’incertitude que présentent ces estimations ».

2. La directive sur l’eau potable

18.

L’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive sur l’eau potable porte sur les normes minimales de qualité pour l’eau potable :

« 1.   Les États membres fixent, pour les paramètres figurant à l’annexe I, les valeurs applicables aux eaux destinées à la consommation humaine.

2.   Les valeurs fixées conformément au paragraphe 1 ne sont pas moins strictes que celles figurant à l’annexe I. [...] »

19.

En vertu de l’annexe I, partie B, de la directive sur l’eau potable, la valeur limite pour la concentration en nitrates est de 50 mg/l.

3. La directive-cadre sur l’eau

20.

L’article 4, paragraphe 1, sous b), ii), de la directive 2000/60/CE ( 7 ) (ci-après la « directive-cadre sur l’eau ») précise les objectifs environnementaux en ce qui concerne les eaux souterraines :

« les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau souterraines, assurent un équilibre entre les captages et le renouvellement des eaux souterraines afin d’obtenir un bon état des masses d’eau souterraines, conformément aux dispositions de l’annexe V, au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 et sous réserve de l’application de l’article 11, paragraphe 3, point j) ».

21.

L’article 4, paragraphe 1, sous c), de la directive-cadre sur l’eau prévoit une réglementation spéciale pour les zones protégées :

« les États membres assurent le respect de toutes les normes et de tous les objectifs au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, sauf disposition contraire dans la législation communautaire sur la base de laquelle les différentes zones protégées ont été établies.

[...] »

22.

L’article 4, paragraphe 4, de la directive-cadre sur l’eau permet de reporter jusqu’à douze ans les échéances indiquées au paragraphe 1 de ce même article.

4. La directive sur les eaux souterraines

23.

L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2006/118/CE ( 8 ) (ci-après la « directive sur les eaux souterraines ») précise les critères d’une masse d’eau en bon état chimique :

« Une masse d’eau ou un groupe de masses d’eau souterraine est considéré comme étant en bon état chimique lorsque :

[...]

b)

les valeurs correspondant aux normes de qualité des eaux souterraines qui figurent dans la liste de l’annexe I [...] ne sont dépassées en aucun point de surveillance de cette masse ou de ce groupe de masses d’eau souterraine ; [...] »

24.

La norme de qualité des eaux souterraines est fixée, à l’annexe I, point 1, de la directive sur les eaux souterraines, à 50 mg/l en ce qui concerne la concentration en nitrates.

C.   Le droit autrichien

25.

L’article 10, paragraphe 1, du Wasserrechtsgesetz (loi sur la protection de l’eau) prévoit, en ce qui concerne l’utilisation des eaux souterraines, que le propriétaire foncier n’a pas besoin de l’autorisation de l’autorité de gestion de l’eau pour utiliser l’eau souterraine pour les besoins domestiques et économiques, dès lors que l’extraction se fait uniquement au moyen de pompes ou d’élévateurs actionnés manuellement ou bien que le prélèvement est effectué dans une proportion raisonnable au regard du terrain.

III. Les faits et la demande de décision préjudicielle

26.

Le Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland (syndicat intercommunal du Burgenland-Nord pour la gestion du réseau de conduites d’eau, Autriche, ci-après le « Wasserleitungsverband »), M. Robert Prandl et la Gemeinde Zillingdorf (commune de Zillingdorf, Autriche, ci-après la « commune de Zillingdorf ») ont demandé à l’autorité ministérielle compétente, à l’époque le Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft (ministère fédéral de l’Agriculture, la Sylviculture, l’Environnement et la Gestion de l’eau, Autriche), de modifier le programme d’action adopté sous la forme d’un règlement national aux fins de la mise en œuvre de l’article 5, paragraphe 4, de la directive sur les nitrates de manière à ce que celui-ci soit conforme à cette directive et que la protection que celle-ci accorde, en particulier la protection de la santé humaine, soit garantie en cas d’utilisation de l’eau provenant de la masse d’eau souterraine dans laquelle se situent les fontaines des trois parties.

27.

Le Wasserleitungsverband est le quatrième plus grand distributeur d’eau d’Autriche. Il fournit par conséquent un volume relativement important de services liés à l’utilisation de l’eau, étant donné qu’il dispose de plus de 45 points de jaillissement actifs, fontaines et sources, et approvisionne annuellement en moyenne environ 160000 personnes. Il s’agit d’une collectivité de droit public, plus précisément d’un syndicat regroupant plusieurs communes. Il est tenu, en vertu d’un règlement de droit national, d’assurer sur un territoire spécifiquement délimité la mission publique d’approvisionnement en eau, y compris la perception des redevances y afférentes. Les propriétaires de terrains bâtis situés dans sa zone d’approvisionnement sont en règle générale tenus de raccorder leurs bâtiments au réseau d’approvisionnement. Le Wasserleitungsverband est également habilité à adopter un règlement aux fins de la perception des redevances pour la mise à disposition d’eau (ayant la qualité d’eau potable). Il prend des dispositions afin d’abaisser la concentration de nitrates dans l’eau souterraine captée à des fins d’utilisation comme eau potable, avant la distribution aux consommateurs, en dessous du seuil de 50 mg/l.

28.

M. Prandl, un particulier de Basse-Autriche, couvre actuellement ses besoins en eau non potable avec la fontaine domestique située sur sa parcelle de terrain. En raison des niveaux de concentration de nitrates élevés, il ne l’utilise pas pour l’eau potable. La totalité de la quantité d’eau potable qu’il consomme provient donc d’un distributeur d’eau public.

29.

La commune de Zillingdorf est une commune de Basse-Autriche qui exploite une fontaine municipale d’eau non potable. Cette fontaine était à l’origine une fontaine d’eau potable, mais en raison du niveau élevé de sa teneur en nitrates, elle a été déclassée et n’est plus utilisée que pour le captage d’eau non potable.

30.

Au moment de l’introduction des demandes, la teneur en nitrates des eaux souterraines dépassait de plus de 100 % les 50 mg/l à certains points de mesure du Wasserleitungsverband, et c’est encore le cas à ce jour. L’eau de la fontaine domestique de M. Prandl présentait, au moment de la demande, une concentration en nitrates de 59 mg/l, qui était toutefois retombée sous le seuil de 50 mg/l en décembre 2017. Il est admis que ces valeurs sont sujettes à variations, de sorte que l’on ne saurait considérer que ce chiffre est appelé à rester durablement sous ce seuil de 50 mg/l. L’eau de la fontaine de la commune de Zillingdorf présentait au moment de la demande une teneur en nitrates de 71 mg/l, et cette valeur restait toujours élevée en décembre 2017.

31.

Il est incontesté qu’aucune eau présentant une concentration en nitrates supérieure à 50 mg/l n’est directement utilisée en tant qu’eau potable. Aucun risque immédiat pour la santé pouvant par ailleurs résulter des valeurs élevées de concentration en nitrates constatées en l’espèce n’est connu.

32.

Il est également incontesté que, conformément à l’article 5, paragraphe 4, de la directive sur les nitrates, des mesures en vue d’atteindre les objectifs de cette directive ont été prises, et continuent d’être prises, par le biais du programme d’action. De même, il est acquis que les valeurs de concentration en nitrates dans les territoires délimités par les trois demandeurs ont été et demeurent élevées de manière constante sur une période déterminée.

33.

Il existe en Basse-Autriche une obligation de raccordement au réseau public de distribution d’eau. Néanmoins, M. Prandl pourrait, en vertu du droit national, utiliser une fontaine domestique sans autorisation, sous réserve de respecter certaines restrictions légales. L’approvisionnement en eau de M. Prandl et de la commune de Zillingdorf n’est pas effectué par le Wasserleitungsverband, mais par d’autres distributeurs d’eau publics. Les concentrations élevées de nitrates ne représentent pas de risque immédiat pour la santé.

34.

La décision qui est à présent attaquée devant le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche) a rejeté la demande de ces trois parties, au motif que celles-ci ne pouvaient se prévaloir de droits subjectifs publics et n’étaient pas directement concernées. Le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne) a donc saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« L’article 288 TFUE, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 4, ou avec les dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 5, et de l’annexe I, point A 2), de la [directive sur les nitrates] doit-il être interprété dans le sens que

a)

un distributeur public d’eau, qui fournit des services liés à l’utilisation de l’eau et qui, en faisant cela, avant de livrer l’eau potable à des consommateurs (soumis à une obligation de raccordement), traite cette eau, qu’il prélève des fontaines qui sont à sa disposition à des fins de prélèvement et qui présente des niveaux de concentration de nitrates élevés, en vue d’obtenir des niveaux de concentration des nitrates dans l’eau de moins de 50 mg/l avant la livraison aux consommateurs, et qui est tenu de distribuer l’eau dans une aire territoriale déterminée, est directement concerné, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (en l’espèce par une transposition éventuellement insuffisante de la [directive sur les nitrates]), dans la mesure où il est contraint, en raison de plans d’action prétendument insuffisants (car la valeur de 50 mg/l de concentration de nitrates dans l’eau est dépassée dans le territoire de ce distributeur d’eau) d’adopter des mesures de traitement de l’eau, et que dès lors, dans le cadre de [ladite directive], lui sont reconnus des droits subjectifs

a.1)

à la modification d’un programme d’action national déjà adopté en vue de la transposition de la directive sur les nitrates (conformément à l’article 5, paragraphe 4, de [cette directive]) de telle manière que des mesures plus strictes soient adoptées, dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [ladite directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

a.2)

à l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées (au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la directive sur les nitrates) dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [cette directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

b)

un consommateur qui serait légalement habilité à utiliser l’eau de sa propre fontaine domestique dans le cadre de l’autoconsommation, et qui, en raison de valeurs élevées de concentration de nitrates, n’utilise pas cette eau (au moment de la demande à la base de la procédure au principal il ne pouvait pas l’utiliser et durant la présente procédure de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, il pourrait certes l’utiliser, mais il est incontestable qu’il faille s’attendre à une nouvelle augmentation de la concentration de nitrates dans l’eau, au-delà de 50 mg/l), mais se procure l’eau auprès d’un distributeur public, est directement concerné, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (en l’espèce par une transposition éventuellement insuffisante de la [directive sur les nitrates]), dans la mesure où, en raison de plans d’action prétendument insuffisants, la valeur de la concentration de nitrates dans l’eau dépassant les 50 mg/l dans l’eau de son point de prélèvement (fontaine domestique), il ne peut pas faire usage du droit qui lui est conféré par la loi, de manière limitée, d’utiliser l’eau souterraine dans sa propriété foncière, et que dès lors, dans le cadre de [ladite] directive, lui sont reconnus des droits subjectifs

b.1)

à la modification d’un programme d’action national déjà adopté en vue de la transposition de la directive sur les nitrates (conformément à l’article 5, paragraphe 4, de [cette directive]) de telle manière que des mesures plus strictes soient adoptées, dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [ladite directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

b.2)

à l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées (au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la directive sur les nitrates) dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [ladite directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

c)

une commune, qui, en tant que collectivité publique, n’utilise ou ne permet d’utiliser une fontaine communale qu’elle exploite à des fins d’approvisionnement en eau potable, en raison de valeurs de concentration des nitrates dans l’eau excédant les 50 mg/l, qu’en tant que fontaine d’eau non potable – sans que cela n’affecte l’approvisionnement en eau potable – est directement concernée, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (en l’espèce par une transposition éventuellement insuffisante de la [directive sur les nitrates], à cause de plans d’action insuffisants à cet égard), dans la mesure où, la valeur de concentration de nitrates dans l’eau excédant les 50 mg/l dans la source où elle est prélevée, un usage en tant qu’eau potable n’est pas possible, et que dès lors, dans le cadre de [ladite] directive, lui sont reconnus des droits subjectifs

c.1)

à la modification d’un programme d’action national déjà adopté en vue de la transposition de la directive sur les nitrates (conformément à l’article 5, paragraphe 4, de [cette directive]) de telle manière que des mesures plus strictes soient adoptées, dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [ladite directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

c.2)

à l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées (au sens de l’article 5, paragraphe 5, de la directive sur les nitrates) dans le but d’atteindre les objectifs fixés à l’article 1er de [cette directive], et, concrètement, d’atteindre une valeur de concentration de nitrates dans l’eau souterraine de 50 mg/l au maximum dans chaque point de prélèvement ?

Sachant que dans chacun de ces trois cas, la protection de la santé des consommateurs est assurée, dans les cas b) et c), moyennant le prélèvement de l’eau auprès de distributeurs commerciaux (avec obligation ou droit de raccordement) ou, dans le cas a), moyennant des mesures de traitement appropriées. »

35.

Des observations écrites ont été déposées par le Wasserleitungsverband, M. Prandl et la commune de Zillingdorf, s’exprimant conjointement en tant que parties demanderesses au principal, ainsi que par la République d’Autriche, le Royaume des Pays-Bas et la Commission. Ces parties, ainsi que la République de Pologne, ont également participé à l’audience du 6 février 2019.

IV. Appréciation juridique

36.

La présente demande de décision préjudicielle doit permettre de déterminer si les trois parties requérantes au principal, c’est-à-dire une entreprise publique de distribution d’eau, une commune qui exploite une fontaine et un particulier qui est propriétaire d’une fontaine, peuvent, sur le fondement de la directive sur les nitrates, exiger que les autorités compétentes prennent des mesures qui vont au‑delà du programme d’action national adopté pour la mise en œuvre de la directive susmentionnée, afin de parvenir à un niveau de concentration de nitrates inférieur à 50 mg/l dans les eaux souterraines.

37.

À cette fin, nous nous pencherons tout d’abord sur le point de savoir dans quelle mesure les parties requérantes peuvent en principe se prévaloir de dispositions de la directive sur les nitrates, puis nous examinerons dans quelles conditions pourrait exister un droit à l’adoption de mesures plus poussées garantissant une réduction du niveau de concentration en nitrates conformément à cette directive.

A.   La possibilité de se prévaloir de la directive sur les nitrates

38.

En ce qui concerne le droit des trois parties requérantes au principal à se prévaloir de la directive sur les nitrates, la République d’Autriche et le Royaume des Pays-Bas font valoir que la pollution des fontaines par les nitrates n’entraîne pas de risque concret pour la santé, étant donné que le service public de distribution d’eau offre en quantité suffisante une eau potable qui ne présente pas une teneur en nitrates excessive. Avec la République de Pologne, ils mettent en garde contre l’autorisation d’une actio popularis.

39.

Cette argumentation n’emporte pas la conviction.

40.

En l’absence de règles fixées par le droit de l’Union concernant les modalités du contrôle juridictionnel, il appartient à l’ordre juridique interne de l’État membre concerné de régler ces modalités en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 9 ).

41.

Le principe d’effectivité, surtout, est déterminant dans la présente affaire. En effet, il serait incompatible avec l’effet contraignant reconnu aux directives par l’article 288 TFUE d’exclure en principe que des personnes concernées puissent faire valoir une obligation imposée par une directive ( 10 ). Du moins les personnes physiques ou morales directement concernées par une violation des dispositions d’une directive doivent par conséquent pouvoir exiger des autorités compétentes, le cas échéant en saisissant les juridictions compétentes, le respect des obligations en cause ( 11 ).

42.

La condition tenant à ce que la personne soit concernée exclut que la possibilité de se prévaloir de dispositions directement applicables des directives puisse déboucher sur une actio popularis.

43.

Dans l’affaire au principal, les requérants sont directement concernés du seul fait que la pollution de l’eau souterraine par les nitrates gêne l’utilisation légitime de leurs fontaines. En outre, au moins une des parties, M. Prandl, est directement concernée par le risque sanitaire que représente la pollution par les nitrates.

1. La gêne apportée à l’utilisation des fontaines

44.

La Cour a jusqu’à présent constaté, en ce qui concerne les personnes physiques, que les considérations relatives à la condition tenant à ce que celles-ci soient directement concernées valent tout particulièrement pour une directive qui vise à protéger la santé de la population, c’est-à-dire la santé publique ( 12 ). Il s’agit d’un objectif que partage la directive sur les nitrates, ainsi qu’il ressort de son sixième considérant et de son article 2, sous j) ( 13 ). Toutefois, dans le cas présent, ce n’est qu’indirectement au titre de la protection de la santé que les requérants sont concernés au premier chef.

45.

En soi, cela n’est pas un obstacle, car la Cour a seulement constaté que les considérations relatives à la possibilité d’invoquer les dispositions du droit de l’environnement de l’Union valent tout particulièrement pour des dispositions qui visent à protéger la santé. L’arrêt Folk, dans lequel la Cour a considéré qu’une atteinte à des droits de pêche suffisait à justifier que leurs détenteurs puissent invoquer des dispositions de la directive 2004/35/CE ( 14 ), lues en combinaison avec la directive-cadre sur l’eau ( 15 ), montre qu’il est admis que les personnes puissent être concernées à d’autres titres que la santé.

46.

Dans l’affaire au principal, les requérants sont tous les trois directement concernés, car ils sont en droit, d’après la demande de décision préjudicielle, d’utiliser leurs fontaines pour le captage d’eau potable, mais ne peuvent exercer ce droit sans soumettre l’eau ainsi captée à un traitement supplémentaire. En effet, une eau qui présente une teneur en nitrates supérieure à 50 mg/l n’est pas utilisable en tant qu’eau potable, conformément à la valeur limite fixée, pour des raisons de protection de la santé, en application de l’article 5 et de l’annexe I, partie B, de la directive sur l’eau potable.

47.

Il ressort notamment de l’article 2, sous j), de la directive sur les nitrates que les requérants sont ainsi concernés à un titre qui relève de l’objectif de protection de cette directive et qui est donc nécessairement pertinent sur le plan juridique. Selon cette disposition, la directive vise en effet à empêcher la pollution qui gêne les utilisations légitimes des eaux.

48.

D’après la demande de décision préjudicielle, l’utilisation des fontaines aux fins du captage d’eau potable intervient en toute légalité. Contrairement à ce qu’estime la République d’Autriche, l’applicabilité de cette disposition ne suppose pas l’existence d’un droit à prétendre pouvoir capter partout de l’eau ayant la qualité d’eau potable. L’emploi du terme « rechtmäßig » (« conforme au droit ») dans les versions en langue allemande et en langue néerlandaise de la directive sur les nitrates indique déjà que cette disposition vise la gêne apportée à une utilisation de l’eau tout simplement permise, sans que l’utilisateur n’ait besoin de faire valoir un droit impérativement opposable. Les versions en langue française et en langue anglaise sont encore plus claires à cet égard, car elles utilisent respectivement les termes « légitime » et « legitimate ». Nous comprenons ces versions linguistiques en ce sens qu’elles font référence à l’utilisation de l’eau selon le bon droit des personnes concernées.

49.

En outre, l’annexe I, point A 1), de la directive sur les nitrates, en établissant la limite de la concentration de nitrates prise en compte pour la désignation des eaux vulnérables par référence à celle prévue à la directive 75/440/CEE ( 16 ) – entre-temps abrogée –, montre que l’utilisation de l’eau en tant qu’eau potable est justement une utilisation incluse dans l’objectif de protection de la directive sur les nitrates ( 17 ).

50.

Il est donc amplement suffisant, pour être concerné par une éventuelle violation de la directive sur les nitrates qui gênerait l’utilisation de l’eau souterraine en tant qu’eau potable, que cette utilisation en tant qu’eau potable soit licite. Une personne concernée à ce titre doit en principe avoir le droit de demander que ladite directive soit respectée.

51.

Peu importe dans ce cadre de savoir si une personne est, comme le Wasserleitungsverband, en mesure de répercuter d’éventuels coûts supplémentaires sur les tiers. En effet, cette nécessité est elle aussi une circonstance qui gêne l’utilisation licite de l’eau souterraine.

52.

La nécessité de prouver la qualité de personne concernée a par ailleurs pour conséquence que les requérants au principal ne peuvent pas exiger le respect de la directive sur les nitrates en Autriche de manière générale, mais uniquement pour autant que les eaux souterraines qu’ils utilisent sont touchées. Ainsi, il semble douteux que M. Prandl ou la commune de Zillingdorf soient concernés par la qualité de la masse d’eau souterraine du plateau de Parndorf qui, dans les observations que ceux-ci ont présentées conjointement au Wasserleistungsverband, est présentée comme étant particulièrement polluée.

2. La protection de la santé

53.

Par ailleurs, au moins une des parties, M. Prandl, est directement concernée par le risque pour la santé résultant de la pollution par les nitrates.

54.

La Cour n’exige pas, toutefois, que ce risque pour la santé soit concret et inéluctable. Cela ressort particulièrement clairement de l’arrêt du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348), qui concernait les plafonds d’émission nationaux pour certains polluants. La question de savoir si un dépassement de ces plafonds entraîne un risque pour la santé dépend de la répartition des polluants ( 18 ). Toutefois, indépendamment de cela, la Cour a constaté qu’il y a des particuliers directement concernés, lesquels peuvent exiger le respect de ces plafonds ( 19 ).

55.

Nous ne voyons pas de raison d’adopter, par rapport à cette jurisprudence, une approche plus restrictive pour admettre qu’une personne est directement concernée. En vertu de l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevée. Selon les termes de cette dernière disposition, elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive. Il serait incompatible avec ces principes que de subordonner la possibilité de saisir les juridictions afin d’obtenir le respect du droit de l’environnement de l’Union à l’existence d’un risque concret et inéluctable pour la santé. Il se pourrait en effet, dans ce cas, que des préjudices pour la santé surviennent avant même que le justiciable ait pu obtenir le respect effectif des dispositions en cause.

56.

Par conséquent, au moins les personnes physiques, c’est-à-dire, dans l’affaire au principal, M. Prandl, sont en droit de se prévaloir de la directive sur les nitrates en ce qui concerne les détériorations de la qualité de l’eau souterraine qui les concernent.

57.

En revanche, le Wasserleitungsverband et la commune de Zillingdorf sont des personnes morales et ne sont donc pas directement concernés par d’éventuels risques pour la santé. On peut certes supposer, surtout en ce qui concerne la commune de Zillingdorf, qu’il incombe à celle-ci, en vertu du droit interne, de protéger la santé de ses habitants. Il se peut que le Wasserleitungsverband ait des obligations similaires envers ses clients. La demande de décision préjudicielle ne contient toutefois aucune indication à cet égard, si bien qu’il n’est pas utile d’approfondir cette réflexion.

3. La convention d’Aarhus

58.

Certes, cette interprétation de la notion de personne concernée découle déjà directement des principes fondamentaux du droit de l’Union. Cependant, elle a également le mérite, par ailleurs, de transposer correctement les obligations qui découlent des dispositions combinées de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus et de l’article 47, paragraphe 1, de la Charte. Aux termes de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par leur droit interne doivent pouvoir engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement. L’article 47, premier alinéa, de la Charte dispose quant à lui que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal.

59.

Ce droit serait vidé de tout effet utile, voire de sa substance même, s’il devait être admis que, par l’imposition de tels critères, certaines catégories des « membres du public », a fortiori des « membres du public concerné » répondant aux exigences posées à l’article 2, paragraphe 5, de la convention d’Aarhus, se voient dénier tout droit de recours ( 20 ).

60.

En vertu de l’article 2, point 5, de la convention d’Aarhus, le public concerné englobe le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel. On rappellera que, conformément à l’article 2, point 4, de la convention d’Aarhus, le public est composé de personnes physiques ou morales.

61.

Pour les raisons qui ont déjà été citées, les requérants au principal sont, en tant que détenteurs de fontaines, tous concernés par la pollution des eaux souterraines et, partant, remplissent les conditions de l’article 2, point 5, de la convention d’Aarhus.

62.

Dans un souci d’exhaustivité, il convient de noter que l’existence de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ne saurait en aucun cas être comprise comme une restriction de la possibilité d’invoquer le droit de l’environnement de l’Union. En effet, aux termes de son article 3, paragraphe 6, rien dans cette convention n’oblige à déroger aux droits existants concernant l’accès à la justice en matière d’environnement. Le fait que l’article 9, paragraphe 3, de ladite convention renvoie aux critères prévus par le droit interne ne justifie donc pas de restreindre la possibilité d’invoquer le droit de l’Union.

4. Conclusion intermédiaire

63.

Il convient par conséquent de retenir qu’un distributeur d’eau public, un particulier et une commune, en tant que collectivité publique, peuvent en principe se prévaloir de la directive sur les nitrates lorsqu’ils sont concernés par une pollution des eaux souterraines par les nitrates, par exemple parce que cela gêne l’utilisation légitime de leurs propres fontaines à des fins de captage d’eau potable.

B.   Le droit à l’adoption de mesures afin de faire respecter la limite de 50 mg/l concernant la teneur en nitrates de l’eau souterraine

64.

Ce premier constat ne nous dit toutefois pas si les requérants au principal peuvent faire valoir un droit à l’adoption de mesures afin de faire respecter la limite de 50 mg/l concernant la teneur en nitrates de l’eau souterraine.

65.

Dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte ( 21 ). Le degré de précision peut être insuffisant, notamment, lorsque les dispositions en cause prévoient une marge d’appréciation. Dans de tels cas, il existe toutefois au moins un droit de faire vérifier par une juridiction si la législation nationale et l’application de celle-ci sont restées dans les limites de la marge d’appréciation tracée par ladite directive ( 22 ).

66.

La question de savoir si la directive sur les nitrates a été correctement transposée – ainsi que le souligne la République d’Autriche – ne peut pas avoir d’incidence à cet égard. Si la directive a été correctement transposée, les personnes concernées doivent pouvoir se prévaloir des dispositions de droit national adoptées à cette fin, et, dans le cas contraire, elles doivent pouvoir au moins se prévaloir des dispositions correspondantes de la directive. On notera au demeurant qu’en l’espèce, les requérants au principal estiment, à tout le moins, que la directive n’a pas été correctement appliquée.

67.

L’article 5, paragraphe 4, ainsi que l’article 4 et les annexes II et III de la directive sur les nitrates contiennent des règles impératives qui, au moins pour partie, ne laissent aucune marge d’appréciation. À titre d’exemple, on citera la limitation, au point 2, premier alinéa, de l’annexe III, de la quantité maximale de fertilisants pouvant être épandue par hectare ( 23 ). Étant donné que les personnes concernées par les pollutions aux nitrates peuvent en principe se prévaloir de la directive sur les nitrates, elles devraient aussi pouvoir exiger le respect effectif de ces quantités maximales et d’exigences analogues.

68.

La demande de décision préjudicielle porte toutefois sur la question de l’existence du droit, invoqué par les requérants au principal, à l’adoption de mesures garantissant un niveau de concentration des nitrates inférieur à 50 mg/l dans les eaux souterraines.

69.

Un tel droit pourrait découler de l’article 5, paragraphes 4 et 5, de la directive sur les nitrates. L’article 5, paragraphe 4, prévoit que des programmes d’action, dont le contenu résulte de l’annexe III, ainsi que de l’article 4 et de l’annexe II, sont mis en œuvre dans les zones vulnérables, soit, en Autriche, sur tout le territoire national. En vertu de l’article 5, paragraphe 5, les États membres prennent en outre, dans le cadre des programmes d’action, toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires, s’il s’avère, dès le début ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action, que les mesures visées au paragraphe 4 ne suffiront pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er de la directive.

70.

Les parties intéressées sont en désaccord surtout sur la question de l’obligation même de rester en dessous d’une concentration en nitrates de 50 mg/l, mais aussi, au-delà, sur la question du calendrier et du pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres.

1. La concentration en nitrates de 50 mg/l

71.

La République d’Autriche et le Royaume des Pays-Bas contestent que la directive sur les nitrates crée une obligation d’empêcher que la concentration en nitrates excède 50 mg/l, ou une obligation, lorsque cette valeur est déjà supérieure, de la faire baisser de manière à revenir en dessous de ce seuil.

a)  La responsabilité de l’agriculture

72.

On conviendra, en faveur de cette interprétation, que les mesures visées par la directive sur les nitrates ne sont pas des mesures ayant pour objet la pollution par les nitrates en général. Aux termes de son article 1er, ladite directive vise en effet à réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et à prévenir toute nouvelle pollution de ce type.

73.

Par conséquent, une pollution par les nitrates qui ne serait pas imputable à l’agriculture ne justifierait pas que des mesures soient prises au titre de la directive sur les nitrates. Toutefois, la cause d’une telle pollution ne doit pas être exclusivement agricole ( 24 ). En effet, des mesures sont nécessaires dès lors que le rejet de composés azotés d’origine agricole contribue de manière significative à la pollution ( 25 ). Une telle contribution significative a déjà été retenue par la Cour, par le passé, dans le cas de l’agriculture wallonne, responsable à hauteur de 19 % de l’azote total dans le bassin de la Meuse et à hauteur de 17 % de celui de l’Escaut, deux fleuves qui se jettent dans la mer du Nord eutrophisée ( 26 ). Cet exemple montre que des contributions relativement limitées de l’agriculture à la pollution par l’azote suffisent déjà à faire naître des obligations en vertu de la directive sur les nitrates.

74.

Le fait que la République d’Autriche applique des programmes d’action en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive sur les nitrates dans la zone dans laquelle les requérants au principal exploitent leurs fontaines est déjà la preuve que les rejets d’azote de l’agriculture autrichienne y contribuent de manière significative à la pollution par les nitrates des eaux souterraines. En effet, il n’y aurait pas lieu d’appliquer de tels programmes sans contribution significative de l’agriculture à la pollution des eaux.

b)  La concentration en nitrates autorisée dans les eaux souterraines

75.

Si l’agriculture contribue de manière significative à l’apport en nitrates, tant l’article 3, paragraphe 1, et l’annexe I, point A 2), de la directive sur les nitrates que la définition de la notion de « pollution » à l’article 2, sous j), de cette directive, lus conjointement à la directive sur l’eau potable, mènent à la conclusion qu’une concentration de nitrates supérieure à 50 mg/l dans les eaux souterraines doit être considérée comme une pollution. Dans ce cas, les États membres doivent prendre des mesures en application de l’article 5 de la directive sur les nitrates.

76.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les nitrates, les eaux atteintes par la pollution et celles qui sont susceptibles de l’être si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises sont définies par les États membres en fonction des critères fixés à l’annexe I. Tel est le cas, selon l’annexe I, point A 2), de ladite directive, si les eaux souterraines ont, ou risquent d’avoir, une teneur en nitrates supérieure à 50 mg/l si ( 27 ) les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises.

77.

Or, si une zone présentant une concentration en nitrates supérieure à 50 mg/l dans l’eau souterraine est réputée polluée, il convient, conformément à l’article 1er de la directive sur les nitrates, d’empêcher ou d’éliminer cette pollution.

78.

Par ailleurs, l’article 2, sous j), de la directive sur les nitrates définit la pollution comme étant le rejet de composés azotés de sources agricoles dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et au système écologique aquatique, à porter atteinte aux agréments ou à gêner d’autres utilisations légitimes des eaux.

79.

Une concentration de nitrates supérieure à 50 mg/l dans les eaux souterraines doit donc être considérée comme une pollution, ne serait-ce que parce qu’elle gêne l’utilisation légitime des fontaines aux fins du captage d’eau potable. En effet, la concentration maximale de nitrates autorisée dans l’eau potable est, en vertu de l’article 5 et de l’annexe I, partie B, de la directive sur l’eau potable, de 50 mg/l.

80.

La distinction entre eau brute et eau potable, exposée par la République d’Autriche, ne remet pas ce résultat en cause.

81.

Il est vrai, certes, que la directive sur les nitrates ne crée pas de droit à prétendre pouvoir utiliser sans restriction l’eau souterraine en tant qu’eau potable. Ainsi, cette directive ne formule pas d’exigence concernant d’autres polluants, ni des apports en nitrates qui ne sont pas imputables à l’agriculture.

82.

Comme nous l’avons déjà exposé, la directive sur les nitrates a toutefois vocation à garantir que le captage d’eau potable ne soit pas gêné par la pollution par les nitrates des eaux souterraines respectivement concernées ( 28 ), en tout cas pour autant que cette pollution soit imputable de manière significative à l’agriculture.

83.

Cette interprétation de la directive sur les nitrates est confortée par le fait que l’article 4, paragraphe 2, et l’annexe I, point 1, de la directive sur les eaux souterraines fixent également à 50 mg/l la concentration maximale de nitrates dans une eau souterraine en bon état. Certes, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, d’autres critères que celui-ci permettent de considérer que les eaux souterraines sont en bon état. Par ailleurs, les délais pour parvenir à cet état, tels que prolongés en application de l’article 4, paragraphe 4, de la directive-cadre sur l’eau, n’ont pas encore expiré. Il n’en demeure pas moins que le critère de la directive sur les eaux souterraines indique lui aussi que la valeur retenue dans la directive sur les nitrates doit être déterminante pour la constatation d’une pollution.

84.

Par conséquent, les mesures destinées à la mise en œuvre de la directive sur les nitrates doivent viser l’objectif d’empêcher ou d’éliminer des concentrations de nitrates supérieures à 50 mg/l dans les eaux souterraines lorsque les rejets de composés azotés d’origine agricole contribuent de manière significative à cette pollution.

2. Le calendrier

85.

La République d’Autriche fait toutefois également valoir que la directive sur les nitrates n’indique pas clairement l’échéance à laquelle les objectifs de l’article 1er de cette directive doivent être atteints.

86.

Il est exact que la directive sur les nitrates ne contient pas de délai à l’expiration duquel une pollution existante doit avoir été réduite au point d’être revenue en dessous de la valeur indiquée sans risquer de repasser de nouveau au‑dessus de cette valeur. En revanche, des délais en ce sens résultent de l’article 4, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre sur l’eau, lu conjointement à la directive sur les eaux souterraines, et ceux-ci n’ont pas encore expiré, grâce au jeu des prorogations légales.

87.

On notera au demeurant que des délais impératifs peuvent, s’agissant de l’état des eaux souterraines, en pratique se heurter à des difficultés insurmontables. En effet, le législateur constate au treizième considérant de la directive sur les nitrates qu’en raison des conditions hydrogéologiques dans certains États membres, il faudra peut-être de nombreuses années pour que les mesures de protection entraînent une amélioration de la qualité des eaux. D’autres facteurs tels que le volume des précipitations ou l’évaporation jouent également un rôle ( 29 ).

88.

Toutefois, même si la directive sur les nitrates ne fixe pas de date butoir pour la réalisation des objectifs de l’article 1er, elle prévoit néanmoins un calendrier impératif pour la prise des mesures nécessaires pour parvenir à ces objectifs. L’obligation de prendre de telles mesures existe en effet dès le début du premier programme d’action ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action et donc dès la première constatation de leur besoin ( 30 ). Il n’y a pas de pouvoir d’appréciation en ce qui concerne ce moment.

89.

En outre, l’article 5, paragraphe 7, de la directive sur les nitrates définit le rythme auquel les États membres doivent apprécier les expériences susmentionnées. En vertu de cette disposition, les États membres réexaminent et, le cas échéant, révisent leurs programmes d’action, tous les quatre ans au moins. Outre les mesures visées à l’article 5, paragraphe 4, de la directive sur les nitrates, ils doivent prendre dans ce cadre, en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, des mesures supplémentaires ou actions renforcées, si celles-ci sont nécessaires ( 31 ).

90.

Si aucune amélioration n’est constatée dans le cadre de ce réexamen régulier, il convient d’après la Cour d’en conclure que les programmes d’action ne sont pas suffisants ( 32 ). Dans ce cas, les États membres ne peuvent pas attendre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de doute raisonnable quant à la nécessité de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées ( 33 ). Comme la Commission le souligne, c’est d’autant plus le cas lorsque la pollution dure déjà depuis un certain temps.

91.

Un pouvoir d’appréciation existe tout au plus en ce qui concerne les mesures respectives ainsi que – de manière corollaire – la date à laquelle les objectifs de l’article 1er de la directive sur les nitrates sont réalisés.

92.

Toutefois, les États membres doivent exercer ce pouvoir d’appréciation et indiquer quelles sont les mesures supplémentaires qu’ils prennent et quand celles‑ci sont censées atteindre les objectifs cités. En effet, conformément à l’article 10, paragraphe 1, et à l’annexe V, point 4, sous e), de la directive sur les nitrates, ils soumettent tous les quatre ans à la Commission un rapport qui contient, entre autres, leurs estimations concernant les délais approximatifs dans lesquels on peut s’attendre à ce que les eaux vulnérables réagissent aux mesures prévues dans le programme d’action.

93.

Les États membres doivent donc réexaminer effectivement tous les quatre ans si les programmes d’action existants, adoptés aux fins de la mise en œuvre de la directive sur les nitrates, sont suffisants pour empêcher ou éliminer une pollution par les nitrates de l’eau souterraine supérieure à 50 mg/l, et prendre toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées nécessaires lorsqu’il s’avère que tel n’est pas le cas.

3. L’appréciation des programmes d’action

94.

Toutefois, l’examen du point de savoir si le programme d’action existant est suffisant suppose une estimation de ses incidences sur la pollution par les nitrates de l’eau souterraine. En outre, il peut s’avérer nécessaire d’évaluer quelles mesures supplémentaires sont requises.

a)  Le critère d’examen

95.

Une telle appréciation, concernant l’eau souterraine, n’est pas toujours facile, comme l’indique, déjà, le treizième considérant précédemment évoqué de la directive sur les nitrates, selon lequel il faudra peut-être de nombreuses années, en raison des conditions hydrogéologiques locales, pour que les mesures de protection entraînent une amélioration de la qualité des eaux. Ainsi que nous l’avons également déjà fait observer, d’autres facteurs tels que le volume des précipitations ou l’évaporation peuvent aussi jouer un rôle ( 34 ).

96.

Le droit de l’Union permet de conférer aux organismes compétents des États membres un pouvoir d’appréciation étendu dans le cadre de telles évaluations complexes, ainsi que nous l’avons récemment exposé dans nos conclusions dans l’affaire Craeynest ( 35 ). La Cour a également déjà reconnu une marge d’appréciation en ce qui concerne certaines dispositions de la directive sur les nitrates ( 36 ).

97.

À la différence de l’affaire Craeynest,qui concerne la qualité de l’air ( 37 ), il n’apparaît pas en l’espèce que la pollution par les nitrates des eaux souterraines entraîne des risques graves pour la santé humaine ou pour des objectifs comparables de la protection de l’environnement dans l’Union. Par conséquent, aucune restriction de la marge d’appréciation des organismes compétents ne s’impose.

98.

Lors de l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, les États membres doivent toutefois tenir compte de l’objectif de la directive sur les nitrates, qui consiste à réduire la pollution des eaux souterraines par des nitrates d’origine agricole ( 38 ). Ils doivent aussi veiller à ce que les objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement soient atteints, conformément aux exigences de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE ( 39 ).

99.

Certes, l’autonomie procédurale des États membres permet aux juridictions nationales de soumettre à un contrôle juridictionnel strict les décisions prises dans l’exercice d’un pouvoir d’appréciation ( 40 ), mais le droit de l’Union ne les y oblige pas. Un contrôle juridictionnel limité aux erreurs manifestes d’appréciation et aux vices de procédure est en principe suffisant ( 41 ). Il convient par ailleurs de déterminer si les autorités compétentes ont examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce ( 42 ).

b)  L’examen des éléments pertinents

100.

Dans l’affaire au principal, il importe particulièrement de faire la lumière sur tous les éléments pertinents. L’article 5, paragraphe 6, première phrase, de la directive sur les nitrates énonce des exigences déterminantes à cet égard, car, en vertu de cette disposition, les États membres élaborent et mettent en œuvre des programmes de surveillance adéquats pour évaluer l’efficacité des programmes d’action établis en vertu dudit article.

101.

Cela signifie notamment que les États membres ne doivent pas se contenter de mesures des eaux souterraines lorsque celles-ci, en raison des conditions géologiques et climatiques, ne sont pas propres à renseigner sur l’efficacité des programmes d’action au rythme du réexamen quadriennal ( 43 ). Certes, le droit de l’Union n’exige pas l’impossible des États membres, mais ceux-ci doivent au moins recourir en cas de besoin à d’autres méthodes de mesure connues comme étant efficaces et, si celles-ci n’existent pas encore, chercher à développer de nouvelles méthodes plus adaptées. Conformément à cela, le rapport autrichien sur l’application de la directive sur les nitrates décrit un projet pilote d’échantillonnage d’eaux dites de « drainage» ( 44 ). On pourrait en outre envisager des modélisations ou des mesures dans le sol, au-dessus du niveau des nappes phréatiques.

102.

Certes, une marge d’appréciation existe également dans le cadre de la définition de ces méthodes et de l’appréciation de leurs résultats, car il s’agit également de questions scientifiques complexes. Les juridictions nationales doivent toutefois au moins pouvoir examiner si les instances compétentes appliquent de telles méthodes et si celles-ci – ainsi que leurs résultats – sont scientifiquement plausibles.

c)  La motivation du programme d’action

103.

La juridiction nationale devra également examiner si la motivation du programme d’action réfute, par l’articulation d’éléments plausibles et, surtout, cohérents, tous les doutes scientifiquement fondés quant au caractère suffisant dudit programme.

104.

Ainsi que la Commission l’a fait observer à juste titre, lors de l’évaluation du programme d’action par les instances compétentes, les principaux éléments significatifs sont les éventuels dépassements du seuil de 50 mg/l de nitrates dans les eaux souterraines, leur durée ainsi que la tendance. Il conviendra dans ce cadre de se pencher sur les déclarations des requérants au principal, selon lesquelles la pollution par les nitrates des eaux souterraines n’a pas diminué, malgré les programmes d’action qui existent depuis 2003, et qu’elle s’est même en partie aggravée.

105.

Un autre élément qui mérite attention est l’excédent d’azote qui, d’après le rapport autrichien sur l’application de la directive sur les nitrates, se monte en moyenne à 30 kg/ha par an depuis l’année 2007 ( 45 ). Un tel excédent est, au moins de prime abord, contraire à l’article 5, paragraphe 4, et à l’annexe III, point 1.3), de la directive sur les nitrates. En vertu de ces dispositions, les États membres doivent limiter l’épandage des fertilisants, en se fondant sur un équilibre entre les besoins prévisibles en azote des cultures et l’azote apporté aux cultures par le sol et les fertilisants. Or, un excédent d’azote ne saurait guère être considéré comme un équilibre.

106.

Les exigences concernant la motivation du programme ne sauraient toutefois être confondues avec la question de savoir si l’appréciation des instances compétentes est convaincante. Les exigences de motivation sont en principe remplies dès lors que les motifs avancés permettent de vérifier si l’appréciation est manifestement erronée.

d)  La constatation d’une erreur manifeste d’appréciation

107.

La Cour n’a pas encore développé de définition générale en ce qui concerne, enfin, la constatation d’une erreur manifeste d’appréciation. Il ressort toutefois de la jurisprudence qu’une décision n’est pas entachée d’une telle erreur lorsqu’elle peut « raisonnablement » être prise ( 46 ). En revanche, des contradictions manifestes, notamment, ou encore une absence d’éléments étayant les conclusions de la décision, peuvent être constitutives d’une erreur manifeste ( 47 ). Il est également possible de réfuter une telle appréciation en prouvant qu’elle n’est pas crédible, ou qu’elle n’est pas plausible ( 48 ).

e)  Conclusion intermédiaire

108.

En résumé, on retiendra que les juridictions nationales doivent pouvoir au moins examiner si l’appréciation de l’efficacité des programmes d’action et la décision de prendre des mesures supplémentaires ou des actions renforcées, ou d’y renoncer, comportent des erreurs manifestes, et vérifier si les instances compétentes ont respecté les limites de leur pouvoir d’appréciation ainsi que les exigences procédurales, notamment l’obligation de motivation, et étudié tous les éléments pertinents.

V. Conclusion

109.

Par conséquent, nous proposons à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle dans les termes suivants :

1)

Un distributeur d’eau public, un particulier et une commune, en tant que collectivité publique, peuvent en principe se prévaloir de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles lorsqu’ils sont concernés par une pollution des eaux souterraines par les nitrates, par exemple parce que cela gêne l’utilisation légitime de leurs propres fontaines à des fins de captage d’eau potable.

2)

Les mesures destinées à la mise en œuvre de la directive 91/676 doivent viser l’objectif d’empêcher ou d’éliminer des concentrations de nitrates supérieures à 50 mg/l dans les eaux souterraines lorsque les rejets de composés azotés d’origine agricole contribuent de manière significative à cette pollution.

3)

Les États membres doivent réexaminer effectivement tous les quatre ans si les programmes d’action existants, adoptés aux fins de la mise en œuvre de la directive 91/676, sont suffisants pour empêcher ou éliminer une pollution par les nitrates de l’eau souterraine supérieure à 50 mg/l, et prendre toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées nécessaires lorsqu’il s’avère que tel n’est pas le cas.

4)

Les juridictions nationales doivent pouvoir au moins examiner si l’appréciation de l’efficacité des programmes d’action et la décision de prendre des mesures supplémentaires ou des actions renforcées, ou d’y renoncer, comportent des erreurs manifestes, et vérifier si les instances compétentes ont respecté les limites de leur pouvoir d’appréciation ainsi que les exigences procédurales, notamment l’obligation de motivation, et étudié tous les éléments pertinents.


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Directive du Conseil du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO 1991, L 135, p. 40).

( 3 ) Directive du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO 1991, L 375, p. 1).

( 4 ) Umweltbundesamt (Agence fédérale de l’environnement, Allemagne), « Wast ist der Unterschied zwischen Trinkwasser, Rohwasser und Grundwasser ? », FAQs zu Nitrat im Grund- und Trinkwasser, 4 septembre 2018, https://www.umweltbundesamt.de/faqs-zu-nitrat-im-grund-trinkwasser#textpart-4.

( 5 ) Directive du Conseil du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO 1998, L 330, p. 32), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1787 de la Commission, du 6 octobre 2015 (JO 2015, L 260, p. 6).

( 6 ) Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2005, L 124, p. 4), signée le 25 juin 1998 et ratifiée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1), telle que modifiée par la directive 2014/101/UE de la Commission, du 30 octobre 2014 (JO 2014, L 311, p. 32).

( 8 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration (JO 2006, L 372, p. 19), telle que modifiée par la directive 2014/80/UE de la Commission, du 20 juin 2014 (JO 2014, L 182, p. 52).

( 9 ) Voir en ce sens arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5), du 27 juin 2013, Agrokonsulting (C‑93/12, EU:C:2013:432, points 35 et 36), et du 22 février 2018, INEOS Köln (C‑572/16, EU:C:2018:100, point 42).

( 10 ) Arrêts du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 66), du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU:C:2008:447, point 37), du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 44), et du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation (C‑664/15, EU:C:2017:987, point 34).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU:C:2008:447, point 39), et du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, point 100).

( 12 ) Arrêts du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU:C:2008:447, point 37), du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, point 94), et du 19 novembre 2014, ClientEarth (C‑404/13, EU:C:2014:2382, point 55).

( 13 ) Voir aussi arrêt du 29 avril 1999, Standley e.a. (C‑293/97, EU:C:1999:215, point 34).

( 14 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JO 2004, L 143, p. 56), telle que modifiée par la directive 2009/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009 (JO 2009, L 140, p. 114).

( 15 ) Arrêt du 1er juin 2017, Folk (C‑529/15, EU:C:2017:419, points 47 à 49).

( 16 ) Directive du Conseil du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres (JO 1975, L 194, p. 26).

( 17 ) Voir arrêt du 29 avril 1999, Standley e.a. (C‑293/97, EU:C:1999:215, point 34).

( 18 ) Voir, pour exemple, nos conclusions dans l’affaire Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:168, points 68 et suivants, en particulier point 85).

( 19 ) Arrêt du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, points 94 et 99 à 103).

( 20 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation (C‑664/15, EU:C:2017:987, point 46).

( 21 ) Arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 33), et du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 70).

( 22 ) Arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C‑72/95, EU:C:1996:404, point 56) ; du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 66) ; du 25 juillet 2008, Janecek (C‑237/07, EU:C:2008:447, point 46) ; du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, points 100 à 103) ; du 5 septembre 2012, Rahman e.a. (C‑83/11, EU:C:2012:519, point 25), et du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 44).

( 23 ) Arrêts du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, EU:C:2003:532, point 113), et du 4 septembre 2014, Commission/France (C‑237/12, EU:C:2014:2152, point 129).

( 24 ) Arrêts du 29 avril 1999, Standley e.a. (C‑293/97, EU:C:1999:215, point 30) ; du 8 septembre 2005, Commission/Espagne (C‑416/02, EU:C:2005:511, point 69), et du 22 septembre 2005, Commission/Belgique (C‑221/03, EU:C:2005:573, point 84).

( 25 ) Arrêts du 29 avril 1999, Standley e.a. (C‑293/97, EU:C:1999:215, point 35), et du 22 septembre 2005, Commission/Belgique (C‑221/03, EU:C:2005:573, point 87).

( 26 ) Arrêt du 22 septembre 2005, Commission/Belgique (C‑221/03, EU:C:2005:573, point 86).

( 27 ) [Note sans objet dans la version française.]

( 28 ) Voir points 46 à 50 des présentes conclusions.

( 29 ) D’après un rapport du Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft der Republik Österreich (ministère fédéral de l’Agriculture, de la Sylviculture, de l’Environnement et de la Gestion de l’eau de la République d’Autriche), Grundwasseralter in Österreich: mittlere Verweilzeiten in ausgewählten Grundwasserkörpern (décembre 2015, https://www.bmnt.gv.at/wasser/wasserqualitaet/grundwasseralter.html), le temps de résidence moyen des eaux souterraines dans les zones en cause dans l’affaire au principal est à certains endroits de 11 à 25 ans et même de 25 à 50 ans à d’autres.

( 30 ) Arrêts du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, EU:C:2003:532, point 166), et du 21 juin 2018, Commission/Allemagne (C‑543/16, non publié, EU:C:2018:481, point 53).

( 31 ) [Note sans objet dans la version française des présentes conclusions.]

( 32 ) Arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne (C‑543/16, non publié, EU:C:2018:481, point 61).

( 33 ) Arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne (C‑543/16, non publié, EU:C:2018:481, points 63 et 64).

( 34 ) Voir note 29.

( 35 ) Affaire Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:168, points 41 et suivants). Voir notamment, sur ce point, arrêts du 21 janvier 1999, Upjohn (C‑120/97, EU:C:1999:14, point 35), et du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C‑211/03, C‑299/03 et C‑316/03 à C‑318/03, EU:C:2005:370, point 76).

( 36 ) Arrêts du 29 avril 1999, Standley e.a. (C‑293/97, EU:C:1999:215, points 37 et 39) ; du 27 juin 2002, Commission/France (C‑258/00, EU:C:2002:400, point 53) ; du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, EU:C:2003:532, point 46), et du 4 septembre 2014, Commission/France (C‑237/12, EU:C:2014:2152, point 30).

( 37 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:168, points 47 et 48, ainsi que 53 et suivants).

( 38 ) Arrêts du 27 juin 2002, Commission/France (C‑258/00, EU:C:2002:400, point 53) ; du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, EU:C:2003:532, point 46), et du 4 septembre 2014, Commission/France (C‑237/12, EU:C:2014:2152, point 30).

( 39 ) Arrêt du 4 septembre 2014, Commission/France (C‑237/12, EU:C:2014:2152, point 30). Voir aussi, déjà, arrêt du 2 octobre 2003, Commission/Pays-Bas (C‑322/00, EU:C:2003:532, point 45).

( 40 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:168, point 39).

( 41 ) Arrêts du 21 janvier 1999, Upjohn (C‑120/97, EU:C:1999:14, point 35), et du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C‑211/03, C‑299/03 et C‑316/03 à C‑318/03, EU:C:2005:370, point 76). Voir dans le détail, sur ce point, nos conclusions dans l’affaire Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:168, points 38 à 51).

( 42 ) Arrêts du 9 mars 2010, ERG e.a. (C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, point 61) ; du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, point 88) ; du 18 juillet 2013, FIFA/Commission (C‑204/11 P, EU:C:2013:477, point 20, et C‑205/11 P, EU:C:2013:478, point 21) ; du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 48), et du 11 décembre 2014, Boudjlida (C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 38).

( 43 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne (C‑543/16, non publié, EU:C:2018:481, points 67 et 68).

( 44 ) Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft der Republik Österreich (ministère fédéral de l’Agriculture, de la Sylviculture, de l’Environnement et de la Gestion de l’eau de la République d’Autriche), EU Nitratrichtlinie 91/676/EWG: Österreichischer Bericht 2016, juin 2016, p. 58-59, https://www.bmnt.gv.at/wasser/wasser-eu-international/europaeische_wasserpolitik/Nitratbericht_2016.html.

( 45 ) Cité à la note 44, p. 40 et 41.

( 46 ) Arrêt du 12 mars 2002, Omega Air e.a. (C‑27/00 et C‑122/00, EU:C:2002:161, point 72).

( 47 ) Arrêt du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 60).

( 48 ) Arrêt du 14 juin 2018, Lubrizol France/Conseil (C‑223/17 P, non publié, EU:C:2018:442, point 39).

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