Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62020CJ0505

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 12 mai 2022.
Procédure engagée par RR et JG.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne – Directive 2014/42/UE – Article 4 – Confiscation – Article 7 – Gel – Article 8 – Garanties procédurales – Gel et confiscation d’un bien appartenant à une personne tierce à la procédure pénale – Réglementation nationale ne prévoyant pas de recours pour des tiers au cours de la procédure judiciaire et n’admettant pas la restitution éventuelle dudit bien avant la clôture de la procédure pénale.
Affaire C-505/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:376

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

12 mai 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne – Directive 2014/42/UE – Article 4 – Confiscation – Article 7 – Gel – Article 8 – Garanties procédurales – Gel et confiscation d’un bien appartenant à une personne tierce à la procédure pénale – Réglementation nationale ne prévoyant pas de recours pour des tiers au cours de la procédure judiciaire et n’admettant pas la restitution éventuelle dudit bien avant la clôture de la procédure pénale »

Dans l’affaire C‑505/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 8 octobre 2020, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure engagée par

RR,

JG,

en présence de :

Spetsializirana prokuratura,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39), de l’article 8 de cette directive ainsi que de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale au cours de laquelle RR et JG, en tant que tiers à cette procédure, ont sollicité, devant la juridiction de renvoi, la restitution de leurs biens saisis pendant la phase préliminaire de ladite procédure.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 15, 31, 33, 34 et 38 de la directive 2014/42 énoncent :

« (15)

Sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale, il devrait être possible de confisquer des instruments et produits du crime ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits. Une telle condamnation définitive peut aussi résulter d’une procédure par défaut. Lorsque la confiscation sur la base d’une condamnation définitive n’est pas possible, il devrait toutefois être toujours possible, dans certaines circonstances, de confisquer des instruments et produits, au moins en cas de maladie ou de fuite du suspect ou de la personne poursuivie. Cependant, dans ces cas de maladie et de fuite, l’existence de procédures par défaut dans les États membres serait suffisante pour respecter cette obligation. Lorsque le suspect ou la personne poursuivie est en fuite, les États membres devraient prendre toutes les mesures raisonnables et ils peuvent exiger que la personne concernée soit citée à comparaître ou informée de la procédure de confiscation.

[...]

(31)

Compte tenu de la limitation du droit de propriété qu’entraînent les décisions de gel, ces mesures provisoires ne devraient pas être appliquées plus longtemps que nécessaire pour sauvegarder les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure. Ceci peut obliger la juridiction à contrôler que la finalité de la décision de gel, à savoir prévenir la dissipation des biens, demeure valide.

[...]

(33)

La présente directive porte sensiblement atteinte aux droits des personnes, non seulement des suspects ou des personnes poursuivies, mais aussi des tiers qui ne font pas l’objet de poursuites. Il est donc nécessaire de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes lors de la mise en œuvre de la présente directive. Cela inclut le droit d’être entendu pour les tiers qui font valoir qu’ils sont les propriétaires des biens concernés ou qui affirment détenir d’autres droits de propriété (“droits réels”, “ius in re”), tels qu’un droit d’usufruit. La décision de gel devrait être communiquée à la personne concernée le plus rapidement possible après son exécution. Les autorités compétentes peuvent toutefois reporter la communication de ces décisions à la personne concernée pour les besoins de l’enquête.

(34)

La communication de la décision de gel a, entre autres, pour but de permettre à la personne concernée d’attaquer la décision. C’est pourquoi cette communication devrait s’accompagner d’indications précisant, au moins brièvement, le ou les motifs de la décision concernée, étant entendu que ces indications peuvent être très succinctes.

[...]

(38)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la [Charte] et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950] (CEDH), selon l’interprétation qui en est faite dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La présente directive devrait être mise en œuvre conformément à ces droits et principes. La présente directive devrait être sans préjudice du droit national relatif à l’aide juridictionnelle et ne crée aucune obligation pour les systèmes d’aide juridictionnelle des États membres, qui devraient s’appliquer conformément à la [C]harte et à la CEDH. »

4

L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive établit des règles minimales relatives au gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure et à la confiscation de biens en matière pénale. »

5

L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3)

“instrument”, tout bien employé ou destiné à être employé, de quelque façon que ce soit, en tout ou en partie, pour commettre une ou des infractions pénales ;

4)

“confiscation”, une privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ;

5)

“gel”, l’interdiction temporaire du transfert, de la destruction, de la conversion, de l’aliénation ou du déplacement d’un bien, ou le fait d’en assumer temporairement la garde ou le contrôle ;

[...] »

6

L’article 3 de la même directive, intitulé « Champ d’application », est libellé comme suit :

« La présente directive s’applique aux infractions pénales couvertes par :

[...]

g)

la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue [(JO 2004, L 335, p. 8)] ;

h)

la décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée [(JO 2008, L 300, p. 42)] ;

[...] »

7

L’article 4 de la directive 2014/42, intitulé « Confiscation », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits, sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale, qui peut aussi avoir été prononcée dans le cadre d’une procédure par défaut. »

8

Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, « [l]es États membres adoptent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des biens appartenant à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique, lorsqu’une juridiction, sur la base des circonstances de l’affaire, y compris les éléments factuels concrets et les éléments de preuve disponibles, tels que le fait que la valeur des biens est disproportionnée par rapport aux revenus légaux de la personne condamnée, est convaincue que les biens en question proviennent d’activités criminelles ».

9

L’article 6 de ladite directive, intitulé « Confiscation des avoirs de tiers », dispose :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation, sur la base d’éléments ou de circonstances concrets, notamment le fait que le transfert ou l’acquisition a été effectué gratuitement ou en échange d’un montant sensiblement inférieur à la valeur marchande.

2.   Le paragraphe 1 ne porte pas atteinte aux droits de tiers de bonne foi. »

10

L’article 7 de la même directive, intitulé « Gel », prévoit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre le gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure. Ces mesures, qui sont ordonnées par une autorité compétente, incluent des mesures d’urgence à prendre, le cas échéant, afin de préserver les biens.

2.   Les biens en possession d’un tiers, tels que visés à l’article 6, peuvent faire l’objet de mesures de gel aux fins d’une éventuelle confiscation ultérieure. »

11

L’article 8 de la directive 2014/42, intitulé « Garanties », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes concernées par les mesures prévues par la présente directive aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits.

2.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la décision de gel soit communiquée à la personne concernée dans les meilleurs délais après son exécution. Cette communication s’accompagne d’indications précisant, au moins brièvement, le ou les motifs de la décision concernée. Lorsque cela est nécessaire pour éviter de compromettre une enquête pénale, les autorités compétentes peuvent toutefois reporter la communication de la décision de gel à la personne concernée.

3.   La décision de gel ne reste en vigueur que le temps nécessaire pour préserver les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.

4.   Les États membres prévoient la possibilité effective pour la personne dont les biens sont concernés d’attaquer la décision de gel devant un tribunal, conformément aux procédures prévues dans le droit national. Ces procédures peuvent prévoir que, lorsque la décision de gel initiale a été prise par une autorité compétente autre qu’une autorité judiciaire, ladite décision est d’abord soumise pour validation ou réexamen à une autorité judiciaire avant de pouvoir être attaquée devant un tribunal.

5.   Les biens gelés ne faisant pas l’objet d’une confiscation ultérieure sont immédiatement restitués. Les conditions ou règles de procédure régissant la restitution de ces biens sont fixées par le droit national.

6.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que toute décision de confiscation soit dûment motivée et communiquée à la personne concernée. Les États membres prévoient la possibilité effective pour une personne à l’encontre de laquelle une confiscation est ordonnée d’attaquer la décision devant un tribunal.

[...]

9.   Les tiers sont en droit de faire valoir leur titre de propriété ou d’autres droits de propriété, y compris dans les cas visés à l’article 6.

[...] »

Le droit bulgare

Le code pénal

12

L’article 53 du Nakazatelen kodeks (code pénal) énonce :

« (1)   Indépendamment de toute responsabilité pénale, sont confisqués au profit de l’État :

a)

les biens appartenant au coupable et qui étaient destinés ou qui ont servi à commettre une infraction pénale préméditée ; lorsque ces biens n’existent plus ou ont été cédés, le montant correspondant à leur valeur est déterminé ;

b)

les biens qui appartiennent au coupable et ont constitué l’objet d’une infraction pénale préméditée, dans les cas expressément prévus dans la partie spéciale du présent code.

(2)   Sont également confisqués au profit de l’État :

a)

les biens qui ont constitué l’objet ou l’instrument d’une infraction pénale et dont la possession est interdite ; et

b)

les produits directs et indirects obtenus grâce à l’infraction pénale, s’ils ne doivent pas être restitués ou remboursés ; lorsque ces produits n’existent plus ou ont été cédés, le montant correspondant à leur valeur est déterminé.

(3)   Au sens du paragraphe 2, sous b) :

1.

constitue un “produit direct” tout avantage économique né en tant que conséquence immédiate de l’infraction ;

2.

constitue un “produit indirect” tout avantage économique résultant de la disposition d’un produit direct, ainsi que tout bien résultant de la transformation ultérieure totale ou partielle d’un produit direct, y compris lorsqu’il a été mélangé à des biens d’origine licite ; le bien est susceptible de confiscation à concurrence de la valeur du produit direct incorporé, ainsi que des augmentations du bien, lorsque ces augmentations sont directement liées à la disposition ou à la transformation du produit direct et à l’incorporation du produit direct dans le bien. »

Le code de procédure pénale

13

L’article 111 du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale), intitulé « Conservation des preuves matérielles », dispose :

« (1)   Les preuves matérielles sont conservées jusqu’à l’achèvement de la procédure pénale.

(2)   Les objets saisis aux fins de preuves matérielles peuvent être restitués aux ayants droit auxquels ils ont été confisqués avec l’autorisation du procureur avant la fin de la procédure pénale, uniquement lorsque cela n’entrave pas la mise au jour de la vérité objective et qu’ils ne font pas l’objet d’infractions administratives.

(3)   Le procureur se prononce sur les demandes de restitution dans un délai de trois jours. Un refus du procureur en vertu du paragraphe (2) est susceptible de recours par le titulaire des droits devant le tribunal compétent de première instance. Ce tribunal se prononcera sur l’appel dans les trois jours suivant sa réception, lors d’une séance à huis clos, et sa décision sera définitive.

(4)   Les objets périssables saisis en tant que preuves matérielles, retirés aux ayants droit et ne pouvant pas leur être restitués, sont remis aux institutions et entités juridiques concernées avec l’autorisation du procureur à être utilisés conformément à leur désignation ou doivent être vendus, auquel cas le produit de la vente est déposé auprès d’une banque commerciale, au service du budget national.

(5)   Les stupéfiants, les précurseurs de drogues et les plantes psychotropes, ainsi que les produits soumis à accise, peuvent être détruits avant l’achèvement de la procédure pénale conformément aux conditions et procédures prévues par la loi. Dans cette hypothèse, seuls les échantillons représentatifs saisis seront conservés jusqu’à la fin de la procédure.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Le 15 janvier 2019, à l’occasion du contrôle d’un véhicule conduit par WE et dans lequel se trouvait également RR, sa concubine et la propriétaire de ce véhicule, il a été constaté la présence de stupéfiants. WE et RR ont été mis en examen mais, ayant considéré, à l’issue de l’enquête, que RR n’était pas informée de la présence des stupéfiants, le procureur a mis fin aux poursuites pénales contre celle-ci. Toutefois, le véhicule, dont l’enquête a démontré qu’il était mis en permanence à la disposition de WE, est demeuré saisi en tant que preuve matérielle, conformément à l’article 111 du code de procédure pénale, dans le cadre de la procédure contre WE.

15

Le 7 août 2019, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte contre une bande organisée pour trafic de stupéfiants, une perquisition a été menée au domicile de JG au cours de laquelle ont été saisis deux téléphones portables et une somme d’argent. JG n’a toutefois pas été mis en examen, le procureur ayant estimé qu’il n’était pas impliqué dans l’infraction. Les deux téléphones portables et la somme d’argent sont demeurés saisis en tant que preuves matérielles, conformément à l’article 111 du code de procédure pénale, dans le cadre de la procédure ouverte contre les membres de la bande organisée.

16

RR et JG ont saisi le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), la juridiction de renvoi, d’une demande de restitution de leurs biens respectifs.

17

Selon cette juridiction, si la réglementation nationale prévoit la possibilité pour un tiers de demander, pendant la phase préliminaire de la procédure pénale, la restitution d’un bien saisi, elle ne permet pas de demander une telle restitution pendant la phase judiciaire de cette procédure, phase qui peut durer plusieurs années.

18

Ladite juridiction ajoute que l’article 53 du code pénal ne permet pas la confiscation du bien d’un tiers de bonne foi dans une situation telle que celle au principal, de sorte que les biens saisis au principal doivent être restitués à leurs propriétaires au terme de la phase judiciaire.

19

Partant, cette juridiction s’interroge sur la compatibilité de cette réglementation avec la directive 2014/42, lue à la lumière de l’article 17 de la Charte.

20

Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 8 de la directive 2014/42 autorise-t-il une loi nationale en vertu de laquelle, en cas de gel d’actifs saisis en tant qu’instruments ou produits supposés d’une infraction, la personne concernée n’a pendant la phase judiciaire de la procédure aucun droit de saisir le tribunal d’une demande de restitution de ces actifs ?

2)

Une loi nationale est-elle conforme à l’article 4, paragraphe 1, en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2014/42, et à l’article 17 de la Charte lorsque, selon cette loi, la confiscation d’un “instrument d’une infraction” n’est pas permise s’agissant d’un bien étant [la] propriété d’un tiers qui ne participe pas à l’infraction mais qui a mis ce bien à disposition de l’accusé pour une utilisation permanente telle que, dans le cadre de leurs relations internes, c’est surtout l’accusé qui exerce le droit de propriété ?

3)

En cas de réponse négative, l’article 8, paragraphe 6, deuxième phrase, et paragraphe 7 de la directive 2014/42 imposent-ils d’interpréter cette loi nationale en ce sens que ledit tiers, dont le bien avait été gelé et est susceptible d’être confisqué en tant qu’instrument d’une infraction, a le droit d’être partie à la procédure pouvant aboutir à la confiscation et a le droit de contester devant le tribunal la décision ordonnant une telle confiscation ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

21

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lorsque des biens sont saisis en tant qu’instruments ou produits supposés d’une infraction, le propriétaire de ces biens, tiers de bonne foi, n’a, pendant la phase judiciaire de la procédure pénale, aucun droit de saisir la juridiction compétente d’une demande de restitution desdits biens.

22

À titre liminaire, il convient de relever que les infractions liées à la criminalité organisée et au trafic de drogue, telles que celles en cause au principal, entrent dans le champ d’application matériel de la directive 2014/42.

23

En effet, en vertu de son article 3, sous g) et h), cette directive s’applique aux infractions pénales couvertes par les décisions-cadres 2004/757 et 2008/841, lesquelles portent respectivement sur les infractions pénales dans le domaine du trafic de drogue et la lutte contre la criminalité organisée.

24

L’article 8 de ladite directive, intitulé « Garanties », impose aux États membres, à son paragraphe 1, de prévoir au profit des personnes concernées par les mesures prévues par ladite directive un droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver les droits de ces personnes. Cette disposition réaffirme ainsi, dans le domaine visé par cette même directive, les droits fondamentaux visés à l’article 47 de la Charte, lequel énonce notamment que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article et notamment à ce que sa cause soit entendue équitablement (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna, C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, point 75).

25

En premier lieu, les mesures prévues par la directive 2014/42 portent, notamment, sur le gel de biens qui est défini à l’article 2, point 5, de cette directive comme étant « l’interdiction temporaire du transfert, de la destruction, de la conversion, de l’aliénation ou du déplacement d’un bien, ou le fait d’en assumer temporairement la garde ou le contrôle ».

26

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les biens en cause au principal sont demeurés sous la garde des autorités impliquées dans les poursuites pénales. Dès lors, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, il convient de considérer que la saisie en cause au principal constitue un « gel », au sens de cette disposition.

27

En deuxième lieu, s’agissant des situations dans lesquelles la directive 2014/42 permet de recourir à un gel de biens, l’article 7 de celle-ci prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre le gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.

28

Dans ce contexte, il convient d’examiner si les biens en cause au principal ont été gelés en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure, au sens de cet article 7.

29

À cet égard, au moment où les biens en cause au principal ont été gelés, une confiscation ultérieure de ces biens pouvait intervenir.

30

En effet, en ce qui concerne RR, il ressort de la décision de renvoi que cette dernière a été initialement mise en examen pour l’infraction de trafic de stupéfiants et que ce n’est qu’ultérieurement que l’implication de celle-ci dans cette infraction a été écartée par le procureur, de sorte que l’intéressée a été qualifiée de tiers de bonne foi, ce qui, selon la juridiction de renvoi, empêchait la confiscation de ses biens en vertu de la réglementation bulgare.

31

S’agissant de JG, il ressort de cette même décision de renvoi que la participation de celui-ci à l’activité criminelle en cause a été écartée seulement à la suite d’un examen des deux téléphones portables saisis, si bien que ces téléphones portables ainsi que la somme d’argent ont été gelés en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.

32

Partant, dans la mesure où les biens de RR et de JG pouvaient, au moment du gel, faire l’objet d’une confiscation ultérieure selon le droit bulgare, la situation de ces deux personnes entre dans le champ d’application de l’article 7 de la directive 2014/42. Par conséquent, elles sont concernées par une mesure prévue par cette directive, au sens de l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci.

33

En ce qui concerne, en troisième lieu, la circonstance que le propriétaire des biens gelés n’a, pendant la phase judiciaire de la procédure pénale, aucun droit de saisir la justice d’une demande de restitution desdits biens, il convient de rappeler que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 impose aux États membres de garantir un droit à un recours effectif et à un procès équitable pour que les personnes concernées puissent préserver leurs droits.

34

À cet égard, en raison du caractère général du libellé de cette disposition, les personnes auxquelles les États membres doivent garantir des voies de recours effectives et un procès équitable sont non seulement celles reconnues coupables d’une infraction, mais également les tiers dont les biens sont concernés par la décision de gel (voir, par analogie, arrêt du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna, C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, point 76 et jurisprudence citée).

35

Cette interprétation découle également du considérant 33 de la directive 2014/42, qui énonce, en substance, que celle-ci porte sensiblement atteinte aux droits des personnes, non seulement des suspects ou des personnes poursuivies, mais aussi des tiers qui ne font pas l’objet de poursuites tout en faisant valoir qu’ils sont les propriétaires des biens concernés. Il est donc nécessaire, selon ce considérant, de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin d’assurer la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes lors de la mise en œuvre de ladite directive (arrêt du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna, C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, point 77).

36

En outre, l’article 8 de la directive 2014/42 doit être lu à la lumière du considérant 31 de celle-ci, aux termes duquel, compte tenu de la limitation du droit de propriété qu’entraînent les décisions de gel, ces mesures provisoires ne devraient pas être appliquées plus longtemps que nécessaire pour sauvegarder les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure et qu’il en découle que cela peut obliger la juridiction concernée à contrôler que la finalité de la décision de gel demeure valide.

37

Une telle approche suppose que le tiers de bonne foi propriétaire d’un bien gelé puisse, également au cours de la procédure judiciaire, faire examiner par la juridiction compétente si les conditions posées pour le gel de ce bien demeurent remplies. Par conséquent, une réglementation nationale qui ne prévoit pas une telle possibilité est contraire à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42.

38

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lorsque des biens sont gelés en tant qu’instruments ou produits supposés d’une infraction, le propriétaire de ces biens, tiers de bonne foi, n’a, pendant la phase judiciaire de la procédure pénale, aucun droit de saisir la juridiction compétente d’une demande de restitution desdits biens.

Sur la deuxième question

39

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut la confiscation d’un bien appartenant à un tiers de bonne foi et utilisé comme instrument d’une infraction, y compris lorsque ce bien a été mis par ce tiers à la disposition permanente de la personne poursuivie.

40

À titre liminaire, il convient de relever que la Commission européenne soulève l’irrecevabilité de cette question au motif que celle-ci n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, dès lors qu’il ressortirait de la décision de renvoi qu’une confiscation ne peut pas, en tout état de cause, être mise en œuvre dans l’affaire au principal. En effet, il serait contraire à la réglementation nationale de confisquer l’instrument en cause au principal, si bien que le parquet ne souhaiterait plus ni n’envisagerait plus la possibilité que cet instrument soit ultérieurement confisqué.

41

À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 13 novembre 2018, Levola Hengelo, C‑310/17, EU:C:2018:899, point 27 et jurisprudence citée).

42

En effet, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 13 novembre 2018, Levola Hengelo, C‑310/17, EU:C:2018:899, point 28 et jurisprudence citée).

43

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la réglementation nationale n’autorise pas la confiscation des biens de tiers de bonne foi dans une situation telle que celle au principal. Or, la juridiction de renvoi cherche précisément à savoir si, sur le fondement de la directive 2014/42, une telle confiscation s’impose dans cette situation. Partant, il ne ressort pas de manière manifeste que la deuxième question n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, de sorte que cette question est recevable.

44

Sur le fond, il y a lieu de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 prévoit la confiscation, notamment, des « instruments », au sens de l’article 2, point 3, de cette directive, sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale.

45

Toutefois, si cette disposition vise explicitement les instruments et une condamnation définitive pour une infraction pénale, son libellé ne précise pas si l’instrument qui fait l’objet d’une confiscation doit nécessairement appartenir à la personne condamnée.

46

Aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour doit, selon sa jurisprudence constante, tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également, notamment, du contexte dans lequel elle s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, MCP, C‑603/20 PPU, EU:C:2021:231, point 37 et jurisprudence citée).

47

En l’occurrence, s’agissant du contexte dans lequel l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 s’inscrit, il y a lieu de relever que l’article 5 de cette directive, relatif à la « confiscation élargie », prévoit, à son paragraphe 1, que celle-ci ne peut concerner que « les biens appartenant à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale », de sorte que les biens de tiers sont exclus du champ d’application de cet article.

48

S’agissant de l’article 6 de ladite directive, si celui-ci vise explicitement, comme le confirme son intitulé, la « confiscation des avoirs de tiers », cet article vise uniquement les « produits », et non pas les « instruments », de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, servir de fondement pour confisquer un instrument dans une situation telle que celle au principal.

49

Quant au considérant 15 de la directive 2014/42, à la lumière duquel l’article 4 de cette directive doit être lu, il énonce une obligation d’informer les suspects et les personnes poursuivies de la procédure de confiscation, sans mentionner aucunement les tiers.

50

Il découle de ces différentes dispositions que, la confiscation des biens appartenant à des tiers n’étant envisagée que dans les situations visées à l’article 6 de la directive 2014/42, la confiscation des biens prévue à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive ne peut concerner que les biens des suspects et des personnes poursuivies.

51

La circonstance, évoquée par la juridiction de renvoi, que le bien a été utilisé de manière permanente par la personne poursuivie n’est pas de nature à permettre la confiscation de ce bien, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi, au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42.

52

En tout état de cause et dans la mesure où la réglementation nationale ne permet pas une confiscation des biens de tiers de bonne foi dans une situation telle que celle au principal, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations à l’égard d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre de celui-ci devant une juridiction nationale (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 65 et jurisprudence citée).

53

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut la confiscation d’un bien appartenant à un tiers de bonne foi et utilisé comme instrument d’une infraction, y compris lorsque ce bien a été mis par ce tiers à la disposition permanente de la personne poursuivie.

Sur la troisième question

54

Compte tenu de la réponse donnée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lorsque des biens sont gelés en tant qu’instruments ou produits supposés d’une infraction, le propriétaire de ces biens, tiers de bonne foi, n’a, pendant la phase judiciaire de la procédure pénale, aucun droit de saisir la juridiction compétente d’une demande de restitution desdits biens.

 

2)

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut la confiscation d’un bien appartenant à un tiers de bonne foi et utilisé comme instrument d’une infraction, y compris lorsque ce bien a été mis par ce tiers à la disposition permanente de la personne poursuivie.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.

Top