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Document 62014CJ0422

Arrêt de la Cour (première chambre) du 11 novembre 2015.
Christian Pujante Rivera contre Gestora Clubs Dir SL et Fondo de Garantía Salarial.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Social n° 33 de Barcelona.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Licenciements collectifs – Directive 98/59/CE – Article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) – Notion de ‘travailleurs employés habituellement’ au sein de l’établissement concerné – Article 1er, paragraphe 1, second alinéa – Notions de ‘licenciement’ et de ‘cessations de contrat de travail assimilées à un licenciement’ – Modalités de calcul du nombre de travailleurs licenciés.
Affaire C-422/14.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:743

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 novembre 2015 ( * )

«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Licenciements collectifs — Directive 98/59/CE — Article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) — Notion de ‘travailleurs employés habituellement’ au sein de l’établissement concerné — Article 1er, paragraphe 1, second alinéa — Notions de ‘licenciement’ et de ‘cessations de contrat de travail assimilées à un licenciement’ — Modalités de calcul du nombre de travailleurs licenciés»

Dans l’affaire C‑422/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 33 de Barcelona (tribunal du travail no 33 de Barcelone, Espagne), par décision du 1er septembre 2014, parvenue à la Cour le 12 septembre 2014, dans la procédure

Cristian Pujante Rivera

contre

Gestora Clubs Dir SL,

Fondo de Garantía Salarial,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice‑président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour M. Pujante Rivera, par Me V. Aragonés Chicharro, abogado,

pour Gestora Clubs Dir SL, par Me L. Airas Barreal, abogado,

pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García‑Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. R. Vidal Puig, M. Kellerbauer et J. Enegren, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 225, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Pujante Rivera à son employeur, Gestora Clubs Dir SL (ci‑après «Gestora»), ainsi qu’au Fondo de Garantía Salarial (Fonds de garantie des salaires) au sujet de la légalité de son licenciement.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 2 et 8 de la directive 98/59 se lisent comme suit:

«(2)

considérant qu’il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté;

[...]

(8)

considérant que, pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs au sens de la présente directive, il convient d’assimiler aux licenciements d’autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, pour autant que les licenciements soient au moins au nombre de cinq».

4

L’article 1er de cette directive, intitulé «Définitions et champ d’application», dispose:

«1.   Aux fins de l’application de la présente directive:

a)

on entend par ‘licenciements collectifs’: les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres:

i)

soit, pour une période de trente jours:

au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;

ii)

soit, pour une période de quatre‑vingt‑dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés;

b)

on entend par ‘représentants des travailleurs’: les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres.

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq.

2.   La présente directive ne s’applique pas:

a)

aux licenciements collectifs effectués dans le cadre de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, sauf si ces licenciements interviennent avant le terme ou l’accomplissement de ces contrats;

[...]»

5

L’article 5 de ladite directive prévoit:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs.»

Le droit espagnol

6

La directive 98/59 a été transposée en droit espagnol par l’article 51 de la loi sur le statut des travailleurs (Ley del Estatuto de los Trabajadores), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci‑après l’«ET»).

7

L’article 41, paragraphes 1 et 3, de l’ET, qui porte sur les modifications substantielles des conditions de travail, dispose:

«1.   La direction de l’entreprise peut imposer des modifications substantielles des conditions de travail si elle établit que ces modifications sont justifiées par des raisons économiques, techniques, d’organisation et de production. Sont considérées comme telles les raisons liées à la compétitivité, la productivité ou l’organisation technique ou du travail dans l’entreprise. Sont considérées comme modifications substantielles des conditions de travail, entre autres, celles qui affectent:

[...]

d)

le système de rémunération et le salaire;

[...]

3.   [...] Dans les cas prévus sous a), b), c), d) et f) du paragraphe 1 du présent article, si le travailleur est lésé par la modification substantielle, il aura le droit de résilier son contrat et de percevoir une indemnité de 20 jours de salaire par année de service avec application d’un prorata mensuel pour les périodes inférieures à un an et avec un maximum de neuf mois.»

8

Conformément à l’article 50 de l’ET, les modifications substantielles des conditions de travail effectuées par l’employeur sans respecter les dispositions de l’article 41 de l’ET et portant atteinte à la dignité du travailleur constituent un motif valable pour le travailleur de demander la cessation du contrat. Dans un tel cas, le travailleur a droit aux indemnités prévues au titre d’un licenciement injustifié.

9

L’article 51, paragraphes 1 et 2, de l’ET prévoit:

«1.   Aux fins des dispositions de la présente loi, on entend par ‘licenciement collectif’ la cessation de contrats de travail pour des causes économiques, techniques, d’organisation ou de production lorsque, au cours d’une période de 90 jours, elle affecte au minimum:

a)

10 travailleurs dans les entreprises qui en emploient moins de cent;

b)

10 % du nombre des travailleurs dans les entreprises qui emploient entre 100 et 300 travailleurs;

c)

30 travailleurs dans les entreprises qui emploient plus de 300 travailleurs.

[...]

Est également considérée comme licenciement collectif la cessation des contrats de travail de la totalité du personnel de l’entreprise, à condition que le nombre de travailleurs affectés soit supérieur à cinq, lorsqu’elle résulte de la cessation totale de l’activité d’entreprise, pour les mêmes causes que celles signalées ci‑dessus.

Pour le calcul du nombre de cessations de contrat auquel se réfère le premier alinéa du présent paragraphe, il faut également tenir compte de toutes les autres cessations intervenues au cours de la période de référence à l’initiative de l’entrepreneur pour d’autres motifs non inhérents à la personne du travailleur et distincts de ceux prévus à l’article 49, paragraphe 1, sous c), de la présente loi, pourvu que le nombre de cessations soit au moins égal à cinq.

Lorsque, au cours de périodes successives de 90 jours et en vue d’éluder les prescriptions du présent article, l’entreprise procède à des cessations de contrat au titre de l’article 52, sous c), de la présente loi pour un nombre inférieur aux seuils indiqués et sans qu’il y ait de cause nouvelle justifiant son action, ces cessations nouvelles sont réputées effectuées en fraude de la loi et seront déclarées nulles et de nul effet.

2.   Le licenciement collectif doit être précédé d’une période de consultations avec les représentants légaux des travailleurs pendant une durée maximale de 30 jours civils ou de 15 jours pour les entreprises de moins de 50 travailleurs. La consultation des représentants légaux des travailleurs devra porter, au minimum, sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs et d’en atténuer les conséquences par des mesures sociales d’accompagnement, comme des mesures de reclassement ou des actions de formation ou de recyclage professionnel pour améliorer l’employabilité.

[...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

Gestora fait partie du groupe Dir, dont l’activité principale est l’exploitation d’installations sportives, telles que des salles de gymnastique et de fitness. Gestora fournit aux différentes entités gérant ces installations des services au niveau, notamment, du personnel, des promotions et du marketing.

11

M. Pujante Rivera a été engagé par Gestora le 15 mai 2008 sur la base d’un contrat à durée déterminée de six mois. Après plusieurs prorogations, ledit contrat a, le 14 mai 2009, été converti en un contrat à durée indéterminée.

12

Le 3 septembre 2013, Gestora employait 126 salariés, dont 114 liés par un contrat à durée indéterminée et 12 salariés disposant d’un contrat à durée déterminée.

13

Entre les 16 et 26 septembre 2013, Gestora a procédé à dix licenciements individuels pour raisons objectives. L’une des personnes licenciées était M. Pujante Rivera qui a reçu, le 17 septembre 2013, une communication l’informant qu’il était mis fin à son contrat pour raisons économiques et de production.

14

Pendant les 90 jours précédant le dernier de ces licenciements pour raisons objectives, qui remontait au 26 septembre 2013, les cessations contractuelles suivantes ont eu lieu:

17 pour fin du service faisant l’objet du contrat (durée du contrat inférieure à quatre semaines);

1 pour réalisation de la tâche prévue dans le contrat de prestation de services;

2 départs volontaires;

1 licenciement disciplinaire reconnu et indemnisé comme «injustifié» au sens de l’ET, et

1 cessation de contrat demandée par la travailleuse sur la base de l’article 50 de l’ET.

15

La travailleuse concernée par cette dernière cessation a été informée le 15 septembre 2013, conformément à l’article 41 de l’ET, de la modification de ses conditions de travail, à savoir une réduction de 25 % de sa rémunération fixe, sur la base des mêmes motifs objectifs que ceux invoqués dans les différentes autres cessations intervenues entre les 16 et 26 septembre 2013. Cinq jours plus tard, la travailleuse concernée a accepté une rupture conventionnelle. Au cours d’une procédure de conciliation administrative ultérieure, Gestora a cependant reconnu que les modifications du contrat de travail notifiées à la travailleuse avaient excédé la portée de l’article 41 de l’ET et a accepté une cessation du contrat de travail fondée sur l’article 50 de cette loi, moyennant le paiement d’une indemnité.

16

Au cours des 90 jours suivant le dernier des licenciements pour cause objective, cinq cessations de contrat de travail sont encore intervenues, du fait de l’arrivée à échéance du contrat à durée déterminée de moins de quatre semaines et de trois départs volontaires.

17

Le 29 octobre 2013, M. Pujante Rivera a introduit un recours contre Gestora et le Fonds de garantie des salaires devant la juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Social no 33 de Barcelona (tribunal du travail no 33 de Barcelone). Le travailleur conteste la validité de son licenciement pour raisons objectives, au motif que Gestora aurait dû appliquer la procédure de licenciement collectif, conformément à l’article 51 de l’ET. En effet, selon M. Pujante Rivera, si l’on tient compte des cessations de contrat intervenues dans les périodes de 90 jours qui ont respectivement précédé et suivi son propre licenciement, le seuil numérique prévu à l’article 51, paragraphe 1, sous b), de l’ET a été atteint étant donné que, hormis les cinq départs volontaires, toutes les autres cessations de contrats constituent des licenciements ou des cessations de contrats assimilables à des licenciements.

18

Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social no 33 de Barcelona (tribunal du travail no 33 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Dans l’hypothèse où l’on considérerait que les travailleurs temporaires dont les contrats cessent pour survenance régulière du terme sont exclus du champ d’application et de protection de la directive 98/59 en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de celle‑ci [...], serait‑il conforme à la finalité de cette directive que, en revanche, ces travailleurs soient pris en compte pour déterminer le nombre de personnes ‘habituellement’ employées dans l’établissement (ou l’entreprise, en Espagne) qui sert à calculer le seuil numérique du licenciement collectif (10 % ou 30 travailleurs) visé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de ladite directive?

2)

La règle d’‘assimilation’ des ‘cessations’ aux ‘licenciements’ visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 98/59 est subordonnée à la condition que ‘les licenciements soient au moins au nombre de cinq’. Doit‑elle être interprétée en ce sens que cette condition se réfère aux ‘licenciements’ préalablement effectués ou intervenus à l’initiative de l’employeur visés à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de cette directive et non au nombre minimum de ‘cessations assimilables’ pour que cette assimilation se fasse?

3)

La notion de ‘cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du travailleur’, visée à l’article 1er, paragraphe 1, dernier alinéa, de la directive 98/59, englobe‑t‑elle la cessation contractuelle convenue entre l’employeur et le travailleur et qui, bien que fondée sur une initiative du travailleur, répond à une modification des conditions de travail opérée par l’employeur dans un contexte de crise pour l’entreprise et donne finalement lieu au versement d’une indemnité équivalant à celle due en cas de licenciement injustifié?»

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

19

Gestora a, dans ses observations écrites, mis en doute la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que les dispositions de la directive 98/59 dont l’interprétation est demandée, tout comme celles du droit national, sont claires et ne se contredisent pas. La juridiction de renvoi utiliserait la demande préjudicielle dans le seul but de conforter son interprétation. Or, il n’appartiendrait pas à la Cour de trancher les divergences d’opinion sur l’interprétation ou l’application des règles de droit national.

20

Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts Budějovický Budvar, C‑478/07, EU:C:2009:521, point 63; Zanotti, C‑56/09, EU:C:2010:288, point 15, ainsi que Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 27).

21

Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence.

22

En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’interprétation de la directive 98/59 et, en particulier de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de celle‑ci, est nécessaire à la solution du litige au principal, notamment afin de déterminer si les faits à l’origine de celui‑ci sont ou non constitutifs d’un licenciement collectif au sens de ladite directive.

23

Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que les travailleurs bénéficiant d’un contrat conclu pour une durée ou une tâche déterminées doivent être considérés comme faisant partie des travailleurs «habituellement» employés, au sens de cette disposition, au sein de l’établissement concerné.

25

En vue de répondre à cette question, il importe, à titre liminaire, de rappeler que la Cour, au point 67 de son arrêt Rabal Cañas (C‑392/13, EU:C:2015:318), a déjà jugé que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que, aux fins de constater que des «licenciements collectifs», au sens de cette disposition, ont été effectués, il n’y a pas lieu de tenir compte des cessations individuelles de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, lorsque ces cessations interviennent à la date d’échéance du contrat ou à la date à laquelle cette tâche a été accomplie.

26

Il s’ensuit que les travailleurs dont les contrats cessent pour survenance régulière de leur terme ne doivent pas être pris en compte aux fins de déterminer l’existence d’un «licenciement collectif», au sens de la directive 98/59.

27

Dès lors, ne subsiste plus que la question de savoir si les travailleurs bénéficiant d’un contrat conclu pour une durée ou une tâche déterminées doivent être considérés comme faisant partie des travailleurs «habituellement» employés au sein de l’établissement concerné, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59.

28

À cet égard, d’abord, il importe de préciser que la notion de «travailleur», visée à cette disposition, ne peut être définie par un renvoi aux législations des États membres, mais doit trouver une interprétation autonome et uniforme dans l’ordre juridique de l’Union (arrêt Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, point 33).

29

Ensuite, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, ladite notion de «travailleur» doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées et que la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle‑ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (voir, notamment, arrêts Commission/Italie, C‑596/12, EU:C:2014:77, point 17, et Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, point 34).

30

Dans la mesure où, en l’occurrence, il n’est pas contesté que les contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées remplissent les caractéristiques essentielles ainsi définies, il convient de considérer que les personnes en bénéficiant doivent être considérées comme des «travailleurs», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59.

31

Enfin, s’agissant du point de savoir si, aux fins du calcul des seuils fixés à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), i) et ii), de la directive 98/59, ces travailleurs peuvent être considérés comme étant «habituellement» employés au sein de l’établissement concerné, au sens de cette disposition, il y a lieu de rappeler que cette directive ne saurait être interprétée en ce sens que les modalités de calcul de ces seuils, et partant lesdits seuils eux‑mêmes, sont à la disposition des États membres, dès lors qu’une telle interprétation permettrait à ces derniers d’altérer le champ d’application de ladite directive et de priver ainsi celle‑ci de son plein effet (arrêt Confédération générale du travail e.a., C‑385/05, EU:C:2007:37, point 47).

32

Il convient d’ajouter que l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, en visant les «établissements employant habituellement» un nombre déterminé de travailleurs, n’établit pas de distinction en fonction de la durée d’engagement de ces travailleurs.

33

Ainsi, il ne saurait d’emblée être conclu que les personnes bénéficiant d’un contrat conclu pour une durée ou une tâche déterminées ne peuvent pas être considérées comme des travailleurs «habituellement» employés par l’établissement concerné.

34

Cette constatation est corroborée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût‑ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés prévu à cette disposition. En effet, une telle disposition nationale étant susceptible de priver, fût‑ce temporairement, l’ensemble des travailleurs employés par certains établissements occupant habituellement plus de 20 travailleurs des droits qu’ils tirent de la directive 98/59, elle porte atteinte à l’effet utile de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt Confédération générale du travail e.a., C‑385/05, EU:C:2007:37, point 48).

35

Or, une interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59 selon laquelle les travailleurs bénéficiant de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées ne constituent pas des travailleurs employés «habituellement» par l’établissement concerné est susceptible de priver l’ensemble des travailleurs occupés par cet établissement des droits qui leur sont reconnus par ladite directive et porterait dès lors atteinte à l’effet utile de cette dernière.

36

Ainsi, dans l’affaire au principal, les 17 travailleurs dont les contrats sont venus à échéance au mois de juillet 2013 doivent être considérés comme étant «habituellement» employés au sein de l’établissement concerné dès lors que, comme la juridiction de renvoi l’a relevé, ces travailleurs avaient été engagés chaque année pour une tâche déterminée.

37

Il convient d’ajouter que la conclusion mise en évidence au point 35 du présent arrêt n’est pas remise en cause par l’argument avancé par la juridiction de renvoi selon lequel il serait contradictoire de ne pas faire bénéficier les travailleurs dont les contrats cessent pour survenance régulière de leur terme de la protection garantie par la directive 98/59, tout en prenant ces mêmes travailleurs en considération aux fins de déterminer le nombre de personnes employées «habituellement» par un établissement.

38

En effet, comme Mme l’avocat général l’a relevé aux points 31 et 32 de ses conclusions, cette divergence s’explique par les finalités distinctes poursuivies par le législateur de l’Union.

39

Ainsi, d’une part, ce législateur a considéré que les personnes bénéficiant de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées et dont les contrats prennent fin régulièrement par l’arrivée du terme ou l’accomplissement de la tâche ne nécessitent pas d’être protégés de la même manière que les travailleurs à durée indéterminée. Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/59, ces premières personnes peuvent toutefois jouir de la même protection que celle accordée aux travailleurs engagés à durée indéterminée s’ils se retrouvent dans une situation analogue, à savoir s’il est mis fin à la relation de travail avant le terme fixé dans le contrat ou que la tâche pour laquelle ils ont été engagés ait été accomplie.

40

D’autre part, ledit législateur, en soumettant l’application des droits conférés aux travailleurs par l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59 à des critères quantitatifs, a entendu prendre en considération les effectifs globaux des établissements en question afin de ne pas imposer aux employeurs une charge démesurée par rapport à la taille de leur établissement. Or, aux fins du calcul des effectifs d’un établissement pour l’application de la directive 98/59, la nature de la relation d’emploi est dénuée de pertinence (voir, en ce sens, arrêt Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, points 35 et 36).

41

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que les travailleurs bénéficiant d’un contrat conclu pour une durée ou une tâche déterminées doivent être considérés comme faisant partie des travailleurs «habituellement» employés, au sens de cette disposition, au sein de l’établissement concerné.

Sur la deuxième question

42

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, en vue d’établir l’existence d’un «licenciement collectif», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, entraînant l’application de cette dernière, la condition, figurant au second alinéa de cette disposition, que «les licenciements soient au moins au nombre de cinq» doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les licenciements ou couvre les cessations de contrats de travail assimilées à un licenciement.

43

À cet égard, il suffit de constater, à l’instar de Mme l’avocat général au point 40 de ses conclusions, qu’il ressort sans ambiguïté du libellé même de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 que la condition prévue au second alinéa de cette disposition ne vise que les «licenciements», à l’exclusion des cessations de contrats assimilées à un licenciement.

44

En effet, dès lors que l’article 1er, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 98/59 précise le mode de calcul des «licenciements» définis au premier alinéa, sous a), de ce même paragraphe et que cette dernière disposition établit les seuils de «licenciements» en dessous desquels ladite directive ne trouve pas à s’appliquer, toute autre lecture visant à étendre ou à restreindre le champ d’application de cette directive aurait pour effet de priver la condition en question, à savoir «que les licenciements soient au moins au nombre de cinq», de tout effet utile.

45

Cette interprétation est, de surcroît, corroborée par la finalité de la directive 98/59, telle qu’elle résulte de son préambule. En effet, aux termes du considérant 8 de cette directive, il convient, pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs, d’assimiler aux licenciements d’autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, pour autant que les «licenciements» sont au moins au nombre de cinq. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 43 de ses conclusions, ce sont ces «véritables» licenciements que le législateur de l’Union entendait viser par l’adoption des dispositions relatives aux licenciements collectifs.

46

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que, en vue d’établir l’existence d’un «licenciement collectif», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, entraînant l’application de cette dernière, la condition, figurant au second alinéa de cette disposition, que «les licenciements soient au moins au nombre de cinq» doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non pas les cessations de contrat de travail assimilées à un licenciement, mais exclusivement les licenciements au sens strict.

Sur la troisième question

47

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 98/59 doit être interprétée en ce sens que le fait pour un employeur de procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur relève de la notion de «licenciement», visée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive, ou constitue une cessation du contrat de travail assimilable à un tel licenciement, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, second alinéa, de ladite directive.

48

À cet égard, il convient de rappeler que la directive 98/59 ne définit pas expressément la notion de «licenciement». Néanmoins, eu égard à l’objectif poursuivi par cette directive et au contexte dans lequel s’insère l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de celle‑ci, il y a lieu de considérer qu’il s’agit d’une notion de droit de l’Union qui ne peut se définir par référence aux législations des États membres. En l’occurrence, cette notion doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement (arrêts Commission/Portugal, C‑55/02, EU:C:2004:605, points 49 à 51, ainsi que Agorastoudis e.a., C‑187/05 à C‑190/05, EU:C:2006:535, point 28).

49

En outre, il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les licenciements se distinguent des cessations du contrat de travail qui sont, dans les conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 98/59, assimilées aux licenciements par le défaut de consentement du travailleur (arrêt Commission/Portugal, C‑55/02, EU:C:2004:605, point 56).

50

S’agissant de l’affaire au principal, étant donné que c’est la travailleuse qui a sollicité la cessation du contrat de travail sur la base de l’article 50 de l’ET, il pourrait, à première vue, être considéré qu’elle a consenti à cette rupture. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 54 et 55 de ses conclusions, la cessation de ladite relation de travail trouve son origine dans le changement unilatéral apporté par l’employeur à un élément substantiel du contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de cette travailleuse.

51

En effet, d’une part, eu égard à la finalité de la directive 98/59 qui vise, ainsi qu’il ressort de son considérant 2, notamment le renforcement de la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, les notions définissant le champ d’application de ladite directive ne sauraient recevoir une interprétation restrictive, y compris la notion de «licenciement», figurant à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de celle‑ci (voir, en ce sens, arrêt Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, point 44).

52

Or, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la réduction de la rémunération fixe de la travailleuse en question a été imposée unilatéralement par l’employeur pour des raisons économiques ainsi que de production et a entraîné, en l’absence d’acceptation de la part de la personne concernée, la résiliation du contrat de travail accompagnée du paiement d’une indemnité calculée sur la même base que celles qui sont dues en cas de licenciement abusif.

53

D’autre part, selon la jurisprudence de la Cour, en harmonisant les règles applicables aux licenciements collectifs, le législateur de l’Union a entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents États membres et rapprocher les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de l’Union (arrêts Commission/Royaume‑Uni, C‑383/92, EU:C:1994:234, point 16, et Commission/Portugal, C‑55/02, EU:C:2004:605, point 48).

54

Or, la notion de «licenciement», figurant à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, conditionne, ainsi qu’il découle des points 43 à 45 du présent arrêt, directement l’application de la protection ainsi que des droits dont bénéficient les travailleurs en vertu de cette directive. Cette notion a, partant, une incidence immédiate sur les charges qu’entraîne cette protection. Dès lors, toute réglementation nationale ou interprétation de ladite notion qui reviendrait à considérer que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la résiliation du contrat de travail n’est pas un «licenciement», au sens de la directive 98/59, altérerait le champ d’application de ladite directive et priverait ainsi celle‑ci de son plein effet (voir, en ce sens, arrêt Confédération générale du travail e.a., C‑385/05, EU:C:2007:37, point 47).

55

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que la directive 98/59 doit être interprétée en ce sens que le fait pour un employeur de procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur relève de la notion de «licenciement», visée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive.

Sur les dépens

56

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens que les travailleurs bénéficiant d’un contrat conclu pour une durée ou une tâche déterminées doivent être considérés comme faisant partie des travailleurs «habituellement» employés, au sens de cette disposition, au sein de l’établissement concerné.

 

2)

En vue d’établir l’existence d’un «licenciement collectif», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, entraînant l’application de cette dernière, la condition, figurant au second alinéa de cette disposition, que «les licenciements soient au moins au nombre de cinq» doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non pas les cessations de contrat de travail assimilées à un licenciement, mais exclusivement les licenciements au sens strict.

 

3)

La directive 98/59 doit être interprétée en ce sens que le fait pour un employeur de procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur relève de la notion de «licenciement», visée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: l’espagnol.

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