PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentée le 7 juin 2010 ( 1 )

I — Introduction

1.

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 67 TFUE et 267 TFUE. La première question posée par la Cour de cassation (France) est relative à la conformité, avec l’article 267 TFUE, de la loi organique française no 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution de la République française, qui institue la «question prioritaire de constitutionnalité» en application dudit article 61-1. Ce nouveau mécanisme est le fruit d’une réforme constitutionnelle, entrée en vigueur le 1er mars 2010, qui instaure un contrôle de constitutionalité des dispositions législatives a posteriori. La Cour de cassation demande à la Cour de préciser si l’article 267 TFUE s’oppose aux articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067, du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique française no 2009-1523 (ci-après l’«ordonnance no 58-1067»), qui imposent aux juridictions nationales de se prononcer en priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution de la République française d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union.

2.

La seconde question posée est relative à la conformité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français, qui autorise le contrôle d’identité de toute personne par les autorités de police indiquées notamment dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 (ci-après la «convention signée à Schengen le 19 juin 1990»); et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà de cette frontière, avec l’article 67 TFUE qui prévoit l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures.

II — Le cadre juridique

A — Le droit de l’Union

3.

Aux termes de l’article 20 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1):

«Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.»

4.

L’article 21 de ce règlement, intitulé «Vérifications à l’intérieur du territoire», prévoit:

«La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:

a)

à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:

i)

n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;

ii)

sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;

iii)

sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;

iv)

sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;

b)

à l’exercice des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, effectués sur les personnes par les autorités compétentes en vertu du droit de chaque État membre, par les responsables portuaires ou aéroportuaires ou par les transporteurs pour autant que ces contrôles soient également effectués sur les personnes voyageant à l’intérieur d’un État membre;

c)

à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;

d)

à l’obligation des ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur le territoire d’un État membre conformément aux dispositions de l’article 22 de la convention d’application de l’accord de Schengen.»

5.

L’article 37 de ce règlement, intitulé «Communication d’informations par les États membres», prévoit:

«Le 26 octobre 2006 au plus tard, les États membres communiquent à la Commission leurs dispositions nationales relatives à l’article 21, points c) et d), […].

Ces informations communiquées par les États membres sont publiées au Journal officiel de l’Union européenne, série C.»

6.

En application de l’article 37 du règlement no 562/2006, la République française a notifié le texte suivant relatif à l’obligation de détention et de port de titres et de documents en vertu de l’article 21, point c), de ce règlement:

«La législation française prévoit cette obligation à l’article L.611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), lequel énonce qu’en dehors de tout contrôle d’identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquelles elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints» ( 2 ).

B — Le droit national

7.

L’article 61-1 de la Constitution de la République française dispose:

«Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.»

8.

L’article 62 de la Constitution de la République française dispose:

«Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.»

9.

L’article 88-1 de la Constitution de la République française énonce:

«La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.»

10.

L’article 1er de la loi organique no 2009-1523 prévoit:

«Après le chapitre II du titre II de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé:

Chapitre II bis

De la question prioritaire de constitutionnalité

Section 1

Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation

Article 23-1. — Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office. […]

Art. 23-2. — La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies:

1o

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;

2o

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances;

3o

La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

[…]

Section 2

Dispositions applicables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation

Art. 23-4. — Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Art. 23-5. — Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d’irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d’office.

En tout état de cause, le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État ou la Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1o et 2o de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé.

[…]»

11.

L’article L.611-1 du Ceseda prévoit:

«En dehors de tout contrôle d’identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) du code de procédure pénale.

À la suite d’un contrôle d’identité effectué en application des articles 78-1, 78-2 et 78-2-1 du code de procédure pénale, les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents visés à l’alinéa précédent.»

12.

Aux termes de l’article 78-1 du code de procédure pénale français:

«L’application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires mentionnées aux articles 12 et 13.

Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants.»

13.

L’article 78-2, premier à troisième alinéas, du code de procédure pénale français dispose:

«Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner:

qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction;

ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit;

ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit;

ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.»

14.

L’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français dispose:

«Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des 20 kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.»

III — Le cadre factuel

15.

MM. Melki et Abdeli, tous deux de nationalité algérienne, en situation irrégulière en France, ont fait l’objet, en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français, d’un contrôle de police dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec la Belgique et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà. Le 23 mars 2010, le préfet du Nord de la République française a notifié, respectivement, un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire à MM. Melki et Abdeli.

16.

MM. Melki et Abdeli ont chacun déposé devant le juge des libertés et de la détention saisi par le préfet d’une demande de prolongation de cette rétention un mémoire posant une question prioritaire de constitutionnalité. Ils ont chacun soutenu que l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français portait atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution de la République française. Par deux ordonnances du 25 mars 2010, le juge des libertés et de la détention a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question suivante:

«L’article 78-2, [quatrième] alinéa, du code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution de la République française?»

17.

Le juge des libertés et de la détention a ordonné également la prolongation de la rétention de MM. Melki et Abdeli pour une durée de quinze jours.

18.

Selon la juridiction de renvoi, MM. Melki et Abdeli, pour soutenir que l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français est contraire à la Constitution de la République française, invoquent l’article 88-1 de celle-ci. Ils soutiennent que les engagements résultant du traité de Lisbonne, dont celui concernant la libre circulation des personnes, ont une valeur constitutionnelle au regard de l’article 88-1 de ladite Constitution et que l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français qui autorise des contrôles aux frontières de la France avec les États membres est contraire au principe de libre circulation des personnes posé par l’article 67 TFUE qui prévoit que l’Union assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures.

IV — Le renvoi préjudiciel

19.

Dans ses demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi expose, premièrement, qu’il résulte de l’article 23-2 de l’ordonnance no 58-1067 que les juges du fond ne peuvent pas statuer sur la conventionnalité ( 3 ) d’une disposition légale avant de transmettre la question de constitutionnalité. En outre, en application de l’article 62 de la Constitution de la République française, les décisions du Conseil constitutionnel ne seraient susceptibles d’aucun recours et s’imposeraient aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Selon la Cour de cassation, il s’ensuit que les juridictions du fond se voient privées, par l’effet de la loi organique no 2009-1523, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour avant de transmettre la question de constitutionnalité. En outre, si le Conseil constitutionnel juge la disposition législative attaquée conforme au droit de l’Union, elles ne pourraient plus, postérieurement à cette décision, saisir la Cour d’une question préjudicielle. La Cour de cassation expose également que, aux termes de l’article 23-5 de l’ordonnance no 58-1067, la Cour de cassation ne pourrait pas non plus, en pareille hypothèse, procéder à une telle saisine malgré les dispositions impératives de l’article 267 TFUE ni se prononcer sur la conformité du texte au droit de l’Union.

20.

Deuxièmement, la Cour de cassation s’interroge sur la conformité des dispositions de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français avec l’article 67 TFUE. Selon la juridiction de renvoi, l’article 67 TFUE ne reprend pas la dérogation au principe de libre circulation résultant de la réserve de l’ordre public ou de la sécurité nationale contenue dans la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.

21.

Dans ces circonstances, la Cour de cassation a posé, par deux demandes du 16 avril 2010, les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1)

L’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 s’oppose-t-il à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, [deuxième] alinéa, et 23-5, [deuxième] alinéa, de l’ordonnance no 58-1067 […], en ce qu’ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union?

2)

L’article 67 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 s’oppose-t-il à une législation telle que celle résultant de l’article 78-2, [quatrième] alinéa, du code de procédure pénale qui prévoit que, ‘dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des 20 kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté’?»

22.

Par ordonnance du président de la Cour du 20 avril 2010, les affaires C-188/l0 et C-189/l0 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

23.

Dans ses demandes de décision préjudicielle, la Cour de cassation a demandé à la Cour de statuer en urgence.

24.

Par ordonnance du président de la Cour du 12 mai 2010, il a été décidé que les présentes affaires soient soumises à la procédure accélérée prévue aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice et 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de cette dernière.

25.

Des observations écrites ont été présentées par MM. Melki et Abdeli, par les gouvernements français, belge, tchèque, allemand, grec, néerlandais, polonais et slovaque, ainsi que par la Commission. Tous, à l’exception du gouvernement slovaque, ont formulé des observations orales à l’audience du 2 juin 2010.

V — Sur la seconde question préjudicielle

26.

Nous considérons qu’il convient d’examiner en premier lieu la seconde question déférée dans la mesure où nous estimons que la réponse à la première question peut être trouvée dans la jurisprudence constante de la Cour en la matière, tandis que la seconde question présente une certaine nouveauté.

A — Sur la recevabilité de la seconde question préjudicielle

27.

Le gouvernement français conteste la recevabilité de la seconde question préjudicielle. À cet égard, il soutient que le litige au fond, dans le cadre duquel le juge des libertés et de la détention a statué sur la compatibilité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français avec le droit de l’Union, est éteint ( 4 ). Ainsi, la seule instance encore en cours serait celle résultant de la transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, afin que la juridiction se prononce sur une éventuelle transmission de la question au Conseil constitutionnel. Or, par sa décision no 2010-605 DC, du 12 mai 2010, le Conseil constitutionnel aurait confirmé sa jurisprudence en vertu de laquelle le contrôle du respect du droit international ou de l’Union ne ferait pas partie du contrôle de constitutionnalité et ne relèverait donc pas de sa compétence. Dans ces conditions, le gouvernement français considère que la question de savoir si l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français est compatible avec l’article 67 TFUE est dépourvue de toute pertinence dans le cadre de la seule instance encore en cours, qui est celle devant la Cour de cassation. Dès lors, la réponse qu’apporterait la Cour à la seconde question de la Cour de cassation serait inutile. Partant, cette question serait irrecevable.

28.

Il convient de noter que l’objection de recevabilité formulée par le gouvernement français relative à la seconde question est basée sur son interprétation du droit national selon laquelle le contrôle du respect du droit de l’Union ne fait pas partie du contrôle de constitutionnalité ( 5 ) et ne relève donc pas de la compétence du Conseil constitutionnel. À cet égard, le Gouvernement français s’appuie notamment sur la décision no 2010-605 DC du 12 mai 2010.

29.

Eu égard aux références dans les décisions de renvoi aux articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067, qui prévoient non seulement des moyens contestant la conformité d’une disposition législative aux droits et aux libertés garantie par la Constitution de la République française, mais également des moyens contestant la conformité d’une disposition législative aux engagements internationaux de la République française et partant du droit de l’Union, nous considérons qu’il ne ressort pas clairement du dossier devant la Cour que la seconde question préjudicielle posée par la Cour de cassation est dépourvue de toute pertinence dans le cadre de l’instance pendante devant ladite juridiction relative à la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité. Il semble que la décision no 2010-605 DC du 12 mai 2010 constitue un instrument interprétatif relatif aux articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067 mais que ladite décision n’a pas modifié le libellé des dispositions en question.

30.

Il s’ensuit que nous considérons que la seconde question est recevable.

B — Sur le fond

31.

Les requérants au principal estiment que le règlement no 562/2006 n’établit aucune distinction entre les ressortissants des États membres et les ressortissants des États tiers qui bénéficient de la liberté d’aller et de venir sur le territoire de l’Union. Ils observent que les articles 67 TFUE et 77 TFUE n’envisagent aucun tempérament ni aucune exception à l’exercice de ladite liberté et que ces derniers prévoient une absence pure et simple de contrôle aux frontières intérieures sans qu’aucune circonstance de quelque nature que ce soit ne vienne rétablir la possibilité d’un contrôle. Selon les requérants au principal, le quatrième alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale français contrevient en lui-même à cette liberté dans la mesure où les vérifications sont faites uniquement «en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi». Ils considèrent que cette disposition permet le développement de contrôles d’identité systématiques dans les zones frontalières de la France, et donc aux frontières intérieures au sens de l’Union. Par ailleurs, ce serait également dans ce sens que l’article 78-2 du code de procédure pénale français est appliqué par les juridictions françaises. Les requérants au principal estiment aussi que la possibilité d’effectuer des contrôles aux frontières intérieures dans des hypothèses exceptionnelles clairement définies par les articles 23 à 25 du règlement no 562/2006 sont différentes de celles retenues par la disposition législative française.

32.

Le gouvernement français observe que les dispositions en question se justifient, tout d’abord, par la présence de flux de populations de passage importants. En vue d’assurer notamment une lutte efficace contre l’immigration illégale, les autorités de police nationale devraient donc pouvoir procéder dans la zone en question à des vérifications de la détention des documents prévus par la loi. En effet, en vertu de l’article L.611-1 du Cedesa, les personnes de nationalité étrangères devraient pouvoir produire les pièces ou documents sous couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France. D’autre part, les dispositions en cause se justifieraient par la nécessité de lutter contre un type de délinquance spécifique dans les zones de passage et aux abords des frontières. Selon le gouvernement français, les contrôles de police exercés sur le fondement de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français dans une zone de vingt kilomètres en deçà de la frontière se distinguent clairement des contrôles aux frontières. Premièrement, ces contrôles viseraient à vérifier l’identité d’une personne, afin soit de prévenir la commission d’infractions ou de troubles à l’ordre public, soit de rechercher les auteurs d’une infraction. Deuxièmement, ils se fonderaient sur des informations générales et l’expérience des services de police qui auraient démontré l’utilité particulière des contrôles dans cette zone. Troisièmement, ils seraient conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures. Le gouvernement français estime que ces contrôles ne présentent, en effet, aucune des caractéristiques du contrôle aux frontières, qui, comme l’indique l’article 7 du règlement no 562/2006, doit être fixe, permanent et systématique.

33.

Le gouvernement allemand considère que des contrôles de police (non systématiques) en zone frontalière demeurent possible dans le respect des conditions prévues à l’article 21 du règlement no 562/2006. Le gouvernement grec estime que les mesures de police prévues à l’article 78-2 du code de procédure pénale français ne visent pas à contrôler les frontières et n’aboutissent pas à un refus d’entrée. Il considère que ces mesures n’ont d’autre but que de vérifier que la personne contrôlée détient et peut présenter, comme elle y est tenue, les autorisations et les documents prévus par la loi, afin de prouver son identité. Selon le gouvernement grec, ces contrôles n’ont pas lieu de manière systématique, mais relèvent du pouvoir discrétionnaire des autorités concernées, qui «peuvent» les imposer, et n’y sont pas obligées. De ce fait, il estime que ces mesures concernent des contrôles qui sont conçus et exécutés d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures. Enfin, lesdites mesures de police seraient justifiées par d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et viseraient, précisément, à lutter contre la criminalité transfrontalière.

34.

Le gouvernement slovaque considère que, pour des raisons d’ordre public et de sécurité intérieure, les États membres ont le droit de procéder sur leur territoire à des contrôles de police, lorsque ceux-ci n’ont pas pour objectif un contrôle aux frontières intérieures, et ce, par exemple, dans le but de lutter contre la criminalité qui dépasse le cadre frontalier ou le terrorisme. Il est également d’avis que le pouvoir de procéder à des contrôles d’identité dans le cadre des frontières intérieures de l’État membre, et ainsi de garantir le respect de l’obligation d’avoir sur soi un visa et un titre ou d’en posséder, est également conforme à l’article 21, sous c), du règlement no 562/2006.

35.

Le gouvernement néerlandais observe que le contrôle français dans la zone frontalière se distingue, par sa finalité et son contenu, du contrôle aux frontières. Le contrôle aux frontières aurait pour but de s’assurer que les personnes, les moyens de transport et les objets peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres appartenant à l’espace Schengen ou à le quitter. Ce contrôle serait axé sur les conditions d’entrée dans un État membre appartenant à l’espace Schengen ou sur les conditions pour le quitter. Ledit contrôle comporterait en tout état de cause la vérification de la possession d’un document de voyage valide. Dans le cas de l’entrée sur le territoire, le but du séjour et les moyens d’existence pourraient également être contrôlés. Selon le gouvernement néerlandais, il peut également être vérifié si l’entrée d’une personne, d’un moyen de transport ou d’un objet sur le territoire peut représenter un risque pour l’ordre public et la sécurité. Il s’agirait là d’un tout autre contrôle que le contrôle français dans la zone frontalière. Ce dernier aurait pour finalité de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi notamment les documents d’identité ou les titres de séjour. Le contrôle de la détention de ces documents serait, quant à son contenu, un contrôle d’une autre nature et d’une autre finalité que le contrôle aux frontières. En outre, le contrôle français dans la zone frontalière différerait également du contrôle aux frontières, comme le comprend le gouvernement néerlandais, dans la façon dont il est effectué. Selon le gouvernement néerlandais, le contrôle aux frontières est effectué d’une façon systématique et continue, et vis-à-vis de toute personne qui franchit la frontière. Selon le gouvernement belge, l’article 67 TFUE doit être lu à la lumière de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 qui fait partie intégrante du droit de l’Union et n’interdit pas aux autorités nationales d’effectuer un contrôle d’identité. Par conséquent, selon le gouvernement belge, le droit de l’Union ne s’oppose pas à une législation telle que celle résultant de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français.

36.

Le gouvernement tchèque estime que les conditions fixées par le règlement no 562/2006 excluent que les organes de police d’un État membre fassent preuve généralement de plus de sévérité lors des contrôles d’identité dans la zone frontalière (à l’intérieur des frontières de l’espace Schengen) que sur le reste du territoire national, que cette attitude découle de dispositions légales ou réglementaires, de directives internes ou simplement de la pratique des organes compétents. Selon ce gouvernement, l’établissement de pouvoirs ou de procédures de police particuliers en vue d’un contrôle lié de manière générale à un territoire frontalier particulier sans motif concret digne d’être pris en considération est par nature une mesure de contrôle aux frontières intérieures. Cette conclusion ne changerait rien à la possibilité pour l’État membre de procéder à des contrôles de police sur son territoire sur la base d’une norme générale, c’est-à-dire sans lien avec les frontières intérieures et leur franchissement. La Commission, sous réserve des vérifications qui relèvent de la compétence du juge national, considère que la seule catégorie de personnes plus susceptibles d’être décelées par des contrôles d’identité effectués à proximité de la frontière est composée précisément des personnes qui viennent de franchir la frontière de manière illicite. Partant, selon la Commission, les dispositions de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français ne constituent pas une simple vérification du respect de l’obligation de détenir des documents d’identité. Elles devraient, en revanche, être qualifiées de contrôles aux frontières dissimulés, interdits de prime abord par l’article 20 du règlement no 562/2006 ( 6 ).

37.

Dans les décisions de renvoi, la juridiction de renvoi a expressément invoqué les dispositions de l’article 67, paragraphe 2, TFUE qui prévoit notamment que l’Union assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures. En conséquence, nous considérons que la seconde question préjudicielle de la Cour de cassation part du principe que les dispositions de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français pourraient constituer des contrôles des personnes aux frontières intérieures.

38.

Étant donné que nous considérons que la présente question a trait uniquement au franchissement des frontières intérieures par les personnes, nous n’examinerons ni les règles applicables aux contrôles aux frontières extérieures ni le vaste corpus d’autres mesures mises en place au sein de l’Union pour compenser l’absence recherchée par les États membres de contrôles des personnes aux frontières intérieures ( 7 ).

39.

Avec l’adoption du règlement no 562/2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, des mesures visant à assurer l’absence de tout contrôle des personnes lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures et des règles applicables au contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l’Union ont été mises en place ( 8 ). Selon son vingtième considérant, le règlement no 562/2006 respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

40.

Il ressort de l’article 20 du règlement no 562/2006 que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. En assurant l’absence de vérifications sur des personnes aux frontières intérieures, l’article 20 du règlement no 562/2006 interdit, en principe, ces vérifications ( 9 ). Selon l’article 2, point 10, du règlement no 562/2006, les «vérifications aux frontières» sont «les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes, y compris leurs moyens de transport et les objets en leur possession peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter».

41.

Il s’ensuit que les vérifications aux frontières s’orientent vers le droit d’entrer sur le territoire des États membres ou de le quitter ( 10 ).

42.

Il convient de relever que l’article 21 de ce même règlement prévoit que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte à certaines prérogatives des États membres. Cependant, nous estimons que les termes employés pour désigner ces prérogatives sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général de la suppression du contrôle aux frontières intérieures. Ces prérogatives doivent être appliquées par les États membres selon le principe de bonne foi et conformément au but et à l’esprit dudit principe général.

43.

Dès lors, nous considérons que ces prérogatives, qui sont énumérées limitativement à l’article 21 du règlement no 562/2006, ne devraient pas porter atteinte à la suppression du contrôle aux frontières intérieures. Par ailleurs, cela ressort clairement de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 qui prévoit que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte, notamment, à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État en vertu du droit national, y compris d’ailleurs dans les zones frontalières, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières. Cette même disposition énonce quatre circonstances dans lesquelles l’exercice des compétences de police ne pourrait être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières, à savoir, premièrement, les mesures de police n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières, deuxièmement, elles sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière, troisièmement, elles sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures et, quatrièmement, elles sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste.

44.

Il ne ressort pas clairement du libellé de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 si les quatre circonstances en question sont cumulatives ou pas. En outre, nous considérons qu’il y a un certain chevauchement entre ces circonstances, notamment, entre la troisième et la quatrième. À notre sens, ces quatre circonstances sont énoncées uniquement à titre d’exemple ( 11 ), la question clé étant celle de savoir si des mesures de police ont un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, une question qui doit être examinée au cas par cas.

45.

Les circonstances en question constituent donc des facteurs ou des indices qui peuvent aider à constater que l’exercice des compétences de police n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, mais l’existence d’une ou plusieurs circonstances n’est pas nécessairement un élément décisif à cet égard. Par conséquent, nous considérons qu’il ressort de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 que l’exercice des compétences de police exclut des mesures qui ont un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières même si dans un cas concret elles remplissent une ou plusieurs des circonstances énoncées à l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 ( 12 ).

46.

L’article 21, sous c), du règlement no 562/2006 prévoit que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents ( 13 ). Toutefois, nous considérons que les éventuels contrôles du respect de l’obligation de détention et de port de titres et de documents sont susceptibles de constituer, en fonction des circonstances, une entrave au principe général de la suppression du contrôle aux frontières intérieures, notamment, lorsque ces contrôles sont pratiqués de façon systématique, arbitraire ou inutilement contraignante ( 14 ).

47.

Il ressort des décisions de renvoi que le contrôle de police effectué sur les requérants au principal en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français a été effectué dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec la Belgique et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà. Il semble, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que les contrôles en question ne soient pas intervenus à un point de passage frontalier ni d’ailleurs à la frontière. Nous considérons, ainsi que la Commission l’a d’ailleurs soutenu, que, afin de garantir l’effet utile de l’article 20 du règlement no 562/2006, et nonobstant une certaine ambiguïté dans le libellé de l’article 2, point 10, de ce règlement ( 15 ), des vérifications frontalières ne doivent pas nécessairement se produire dans un espace géographique qui coïncide avec une frontière pour être considérées comme des contrôles des personnes aux frontières intérieures. À notre sens, pour contrôler si des vérifications n’enfreignent pas l’article 20 du règlement no 562/2006, il convient d’examiner, notamment, leur objectif et/ou leurs modalités et/ou leurs effets selon les spécificités du cas en question ( 16 ).

48.

En effet, l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures serait compromise si les États membres pouvaient mettre en place des vérifications frontalières déguisées à l’intérieur de leurs territoires, à l’écart des frontières.

49.

Afin de vérifier la portée de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français et sous réserve de vérification par la juridiction nationale, il convient de comparer cette disposition notamment avec les autres dispositions dudit article 78-2 qui prévoit les conditions dans lesquelles les autorités de police françaises peuvent procéder à des contrôles d’identité.

50.

Selon l’article 78-2, premier alinéa, du code de procédure pénale français, les autorités de police françaises peuvent inviter à justifier de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou a tenté de commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. En application de l’article 78-2, deuxième alinéa, du code de procédure pénale français, l’identité de toute personne peut être contrôlée, selon les mêmes modalités sur réquisitions écrites du procureur de la République française aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise. Conformément à l’article 78-2, troisième alinéa, du code de procédure pénale français, l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa dudit article 78-2, pour prévenir une atteinte à l’ordre public ( 17 ).

51.

Il semble que la portée de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français se distingue nettement des autres dispositions susvisées de cet article. D’une part, l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français s’applique à une zone géographique spécifique du territoire national français délimitée à l’avance par la loi et, d’autre part, l’identité de toute personne peut être contrôlée selon les modalités prévues, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi. Dès lors, cette disposition a vocation à s’appliquer sans aucune limitation à chaque personne qui se trouve dans la zone ciblée ( 18 ).

52.

Il s’ensuit que l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français élabore incontestablement un régime distinct et plus sévère pour des contrôles d’identité dans des zones frontalières que pour le reste du territoire français.

53.

Le gouvernement français a expliqué à la Cour que les contrôles opérés en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français visaient à vérifier l’identité d’une personne, soit afin de prévenir la commission d’infractions ou de troubles à l’ordre public, soit afin de rechercher les auteurs d’une infraction. Toutefois, nous considérons que cette observation n’est pas étayée par les documents devant la Cour. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, les trois premiers alinéas de l’article 78-2 du code de procédure pénale français visent spécifiquement les contrôles d’identité à ces fins ( 19 ). En revanche, les contrôles d’identité opérés en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français sont axés uniquement sur la localisation géographique de la personne en question à savoir, notamment, une zone allant jusqu’à vingt kilomètres en deçà de la frontière.

54.

Eu égard au champ d’application géographique des contrôles d’identité en question, au fait qu’ils sont aptes à être appliqués à chaque personne qui se trouve dans la zone géographique indiquée et à l’absence d’explication solide de l’objectif qu’ils poursuivent, nous estimons qu’ils constituent des vérifications liées au franchissement de la frontière qui ne sont pas couvertes pas les prérogatives des États membres en application de l’article 21 du règlement no 562/2006. Au vu de tout ce qui précède, nous considérons que les contrôles d’identité en question constituent des vérifications aux frontières dissimulées qui sont interdits par l’article 20 du règlement no 562/2006 et qui ne rentrent pas dans les exceptions limitées prévues à l’article 21 de ce règlement.

55.

Par conséquent, nous sommes d’avis que l’article 67 TFUE et les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 s’opposent à une législation telle que celle résultant de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français qui prévoit que «dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des 20 kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté».

VI — Sur la première question préjudicielle

56.

Par sa première question, qui a trait à l’interprétation de l’article 267 TFUE, la Cour de cassation demande à la Cour de préciser si cette disposition s’oppose à une législation nationale résultant d’une loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution de la République française en ce que cette législation impose aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à cette Constitution d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union. En particulier, la Cour de cassation se demande si les règles procédurales introduites, premièrement, par l’article 23-2 de l’ordonnance no 58-1067 et qui exigent qu’une juridiction, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et aux libertés garantis par ladite Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la République française, se prononce par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation auxquels il appartient de décider de saisir le Conseil constitutionnel et, deuxièmement, par l’article 23-5 de cette ordonnance qui exige que le Conseil d’État ou la Cour de cassation, lorsqu’il est saisi de tels moyens, se prononce par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel portent atteinte à la liberté des juridictions françaises de poser des questions préjudicielles à la Cour garantie par l’article 267 TFUE. À cet égard, nous sommes d’avis que l’article 62 de la Constitution de la République française auquel la Cour de cassation fait référence dans ses demandes de décision préjudicielle et qui prévoit que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours doit aussi être examiné dans le cadre de la première question préjudicielle.

57.

Nous estimons que, par sa première question, la Cour de cassation cherche, notamment, à savoir si le droit national peut limiter la liberté d’une juridiction nationale à saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel en application de l’article 267 TFUE.

A — Sur la recevabilité de la première question préjudicielle

58.

Le gouvernement français conteste la recevabilité de la première question préjudicielle. À cet égard, il soutient que cette question repose sur une interprétation manifestement erronée du droit national, de telle sorte qu’elle revêt un caractère purement hypothétique. La Commission, tout en ne contestant pas la recevabilité de la première question préjudicielle, exprime des incertitudes quant au cadre juridique national présenté dans les décisions de renvoi. En particulier, elle considère que la portée du contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel français ne ressort pas clairement des indications fournies par la juridiction de renvoi.

59.

Il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation de dispositions nationales ni de juger si l’interprétation que donne la juridiction de renvoi de celles-ci est correcte. En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre cette dernière et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire, tel que défini par la décision de renvoi, dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles ( 20 ).

60.

Or, il ressort des demandes de décision préjudicielle que celles-ci sont fondées sur la prémisse selon laquelle le droit français, et notamment les articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067 ainsi que l’article 62 de la Constitution de la République française, limite la liberté des juridictions nationales, y compris celle de la juridiction de renvoi, de saisir la Cour en application de l’article 267 TFUE et de statuer sur la compatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union. À notre sens, étant donné que les litiges au principal sont centrés sur la compatibilité du droit national avec le droit de l’Union ( 21 ), la première question préjudicielle n’apparaît pas manifestement dénuée de pertinence pour la solution des litiges au principal.

61.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de déclarer la première question préjudicielle recevable.

B — Sur le fond

62.

À titre liminaire, nous noterons que la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des litiges où les dispositions de droit national limitaient la possibilité pour une juridiction nationale de poser une question préjudicielle à la Cour en application de l’article 267 TFUE ( 22 ). Dans ses arrêts en la matière, la Cour s’est systématiquement prononcée dans le sens de la possibilité la plus étendue pour les juridictions nationales de poser des questions à la Cour sur la validité et l’interprétation du droit de l’Union. Nous rappellerons donc, en réponse à la première question déférée, la jurisprudence bien établie et standardisée de la Cour en la matière. En outre, de notre point de vue, la réponse à la première question ne saurait être influencée par le fait que l’objectif de la loi organique en question semble être d’accorder une protection procédurale supplémentaire aux particuliers en application du droit national.

63.

En application de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’actes adoptés par les institutions de l’Union ( 23 ).

64.

L’objectif essentiel de la compétence accordée à la Cour en application de l’article 267 FTUE est d’assurer que le droit de l’Union soit appliqué de manière uniforme par les juridictions nationales. En effet, cet objectif est poursuivi par la Cour et les juridictions nationales dans un esprit de collaboration ( 24 ) et sur la base d’une confiance mutuelle et d’un dialogue judiciaire. La procédure de renvoi préjudiciel instaurée par l’article 19 TUE et l’article 267 TFUE est un instrument procédural qui est vital pour assurer l’application cohérente et le respect du droit de l’Union devant toutes les juridictions nationales des vingt-sept États membres.

65.

Il ressort clairement du libellé de l’article 267 TFUE lui-même que la compétence de la Cour est très étendue et que cette dernière, agissant dans un esprit de coopération, n’est pas, en principe, encline à déclarer irrecevables les questions renvoyées par les juridictions nationales sur l’interprétation des traités ou sur la validité et l’interprétation des actes des institutions de l’Union.

66.

En effet, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande introduite par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 25 ). En outre, il résulte de l’article 267 TFUE que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel ( 26 ). Il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour ( 27 ). En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 28 ).

67.

Les juridictions nationales dont les décisions sont susceptibles de recours juridictionnel de droit interne sont, en vertu de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, libres d’apprécier la nécessité éventuelle de saisir la Cour d’une demande d’interprétation à titre préjudiciel, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elles, tandis que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne sont, en application de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, tenues, lorsqu’une une telle question se pose devant elles, de saisir la Cour ( 29 ).

68.

À cet égard, il ressort clairement de l’arrêt Cilfit e.a. ( 30 ) que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne sont tenues, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elles, de déférer à leur obligation de saisine, à moins qu’elles n’aient constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ( 31 ).

69.

La Cour a souligné, dans son arrêt Rheinmühlen-Düsseldorf ( 32 ), que les juridictions nationales avaient la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions de droit de l’Union nécessitant une décision de leur part ( 33 ). En outre, la Cour a jugé que la faculté du juge national de saisir la Cour ne saurait, en principe, être supprimée par une règle de droit national qui lie le juge aux appréciations portées en droit par la juridiction supérieure ( 34 ). À cet égard, dans son arrêt ERG e.a. ( 35 ), la Cour a dit pour droit que la juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre, notamment si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent.

70.

Dans l’arrêt Kücükdeveci ( 36 ), la Cour a récemment souligné le caractère facultatif du deuxième alinéa de l’article 267 TFUE et, à notre sens, le pouvoir d’appréciation dont disposent les juridictions des États membres en application de cette disposition. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la question qui se posait était de savoir si une juridiction nationale devait interroger la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union avant de pouvoir laisser inappliquée une disposition nationale qu’elle estimait contraire à ce droit lorsque, en vertu du droit national, la juridiction de renvoi ne pouvait laisser inappliquée la disposition nationale sans que cette disposition ait été au préalable déclarée inconstitutionnelle par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne). La Cour a déclaré qu’il incombait à la juridiction nationale, saisie d’un litige entre particuliers, d’assurer le respect du droit de l’Union, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la réglementation nationale, indépendamment de l’exercice de la faculté dont elle dispose, dans les cas visés à l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, d’interroger la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ( 37 ).

71.

Par ailleurs, dans l’arrêt Mecanarte ( 38 ), la Cour a déclaré que l’effet utile du système instauré par l’article 267 TFUE exigeait que les juridictions nationales disposent de la faculté la plus étendue de saisir la Cour. La Cour a dit pour droit dans cet arrêt, une affaire que nous considérons d’ailleurs assez comparable à la présente affaire, qu’une juridiction nationale saisie d’un litige concernant le droit de l’Union et qui constate l’inconstitutionnalité d’une disposition nationale n’est pas privée de la faculté ou dispensée de l’obligation, prévues à l’article 267 TFUE, de saisir la Cour de questions concernant l’interprétation ou la validité du droit de l’Union du fait que cette constatation est soumise à un recours obligatoire devant la cour constitutionnelle ( 39 ). En outre, s’agissant de la question de savoir si une juridiction nationale peut se dispenser d’un renvoi préjudiciel, dans la mesure où l’ordre juridique national met en place les moyens pour remédier aux vices d’une disposition nationale, la Cour a déclaré que le pouvoir d’appréciation du juge national au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE s’étendait également à la question de savoir à quel stade de la procédure il y avait lieu de déférer une question préjudicielle à la Cour. Il s’ensuit que le fait qu’une violation du droit de l’Union pourrait être remédiée dans le cadre du système du droit national ne déroge aucunement au pouvoir d’appréciation accordé au juge national au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE.

72.

Dès lors, nous sommes d’avis qu’il ressort clairement de la jurisprudence constante de la Cour que l’effet utile du droit de l’Union serait mis en échec si le recours obligatoire devant une cour constitutionnelle pouvait limiter ou déférer la compétence autonome accordée à toutes les juridictions nationales au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE de saisir la Cour de questions concernant l’interprétation ou la validité du droit de l’Union dans des affaires pendantes devant elles.

73.

En outre, lorsque le droit national limite ou défère le pouvoir d’appréciation des juridictions nationales de saisir la Cour de questions préjudicielles en application de l’article 267 TFUE, nous considérons que le principe de primauté, qui est la pierre angulaire du droit de l’Union, devrait être appliqué. Ce principe a encore été rappelé récemment dans les déclarations annexées à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 ( 40 ).

74.

Selon une jurisprudence bien établie, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ( 42 ).

75.

Nous estimons que l’article 267 TFUE constitue une partie intégrante de l’ordre juridique des États membres où il prime sur les règles de droit national dans la mesure où elles lui sont incompatibles. Toute juridiction peut et doit appliquer intégralement l’article 267 TFUE et, en cas de conflit entre cet article et une disposition de droit interne, en laissant au besoin inappliquée ladite disposition de sa propre autorité dans une affaire pendante devant elle.

76.

Il convient également de souligner que, outre le fait que les juridictions nationales disposent en application de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE dans des affaires pendantes devant elles d’un pouvoir d’appréciation relatif à la saisine de la Cour d’un renvoi préjudiciel et que ce pouvoir ne saurait être limité ou déféré par des mesures nationales, un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour lie ces juridictions pour la solution du litige au principal ( 43 ). Dans l’arrêt Simmenthal, précité, la Cour a jugé que l’effet utile de la procédure de renvoi serait amoindri si le juge national était empêché de donner, immédiatement, au droit de l’Union une application conforme à la décision ou à la jurisprudence de la Cour. En conséquence, nous considérons que, en cas de conflit entre une décision de la Cour à la suite d’un renvoi préjudiciel et d’une décision d’une juridiction nationale, y compris d’une cour constitutionnelle, la primauté du droit de l’Union impose au juge national d’appliquer la décision de la Cour et de laisser inappliquée la décision de la juridiction nationale contraire ( 44 ).

77.

Au vu de la présentation faite par la juridiction de renvoi du cadre juridique national et, en particulier, des règles concernant la question prioritaire de constitutionnalité, nous considérons que l’article 267 TFUE s’oppose à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, deuxième alinéa, et 23-5, deuxième alinéa, de l’ordonnance no 58-1067, en ce qu’ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution de la République française d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union.

VII — Conclusion

78.

Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation:

«1)

L’article 67 TFUE et les articles 20 et 21 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), s’opposent à une législation telle que celle résultant de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français qui prévoit que ‘dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des 20 kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté’.

2)

Au vu de la présentation faite par la juridiction de renvoi du cadre juridique national et, en particulier, des règles concernant la question prioritaire de constitutionnalité, l’article 267 TFUE s’oppose à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, deuxième alinéa, et 23-5, deuxième alinéa, de l’ordonnance no 58/1067, du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique française no 2009/1523, du 10 décembre 2009, en ce qu’ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution de la République française d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Notifications requises par l’article 37 du règlement no 562/2006 — Possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents en vertu de l’article 21, point c) (2008/C 18/03) (JO 2008, C 18, p. 15).

( 3 ) À savoir sur la conformité d’une disposition législative avec une convention internationale.

( 4 ) Selon le gouvernement français, la procédure de reconnaissance des intéressés par les autorités algériennes, nécessaire à la mise en œuvre de la reconduite à la frontière, n’a pu être mise en œuvre avant l’expiration du délai de quinze jours de rétention administrative. Dès lors, le 9 avril 2010, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, aurait décidé de remettre en liberté MM. Melki et Abdeli. Il en résulterait que, depuis cette date, MM. Melki et Abdeli ne font plus l’objet d’aucune mesure privative de liberté et les deux ordonnances du juge de la liberté et de la détention, qui n’avaient pas été contestées par ces derniers, ont également cessé de produire tout effet et sont devenues définitives.

( 5 ) Selon le gouvernement français, ce sont les juridictions ordinaires qui sont chargées du contrôle de conventionnalité, à savoir la conformité d’une loi à une convention internationale.

( 6 ) Le gouvernement polonais n’a pas présenté d’observations sur la seconde question.

( 7 ) Voir en ce sens, entre autres, décision 2008/616/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, concernant la mise en œuvre de la décision 2008/615/JAI relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière (JO L 210, p. 12), règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil, du 26 octobre 2004, portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO L 349, p. 1), décision-cadre 2006/960/JAI du Conseil, du 18 décembre 2006, relative à la simplification de l’échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l’Union européenne (JO L 386, p. 89), décision du Conseil du 6 avril 2009 portant création de l’Office européen de police (Europol) (JO L 121, p. 37) ainsi que règlement (CE) no 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (JO L 381, p. 4).

( 8 ) La Cour a constaté, dans son arrêt du 22 octobre 2009, Zurita García et Choque Cabrera (C-261/08 et C-348/08, Rec. p. I-10143, point 43), que l’article 62, points 1 et 2, sous a), CE [voir actuellement l’article 77, paragraphe 2, sous e), TFUE] constitue la base juridique de l’action du Conseil visant à arrêter des mesures assurant l’absence de tout contrôle des personnes lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures ainsi que des mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des États membres et n’a pas, en tant que tel, pour objet ou pour effet d’octroyer des droits aux ressortissants des États tiers ni d’imposer des obligations aux États membres.

( 9 ) En cas de menace grave à leur ordre public ou à leur sécurité, les États membres ont, exceptionnellement et sous réserve de respecter certaines conditions strictes, la possibilité de réintroduire temporairement le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures. L’étendue et la durée du contrôle aux frontières ne devraient dépassées ce qui est nécessaire pour répondre à cette menace. Voir les articles 23 à 31 du règlement no 562/2006.

( 10 ) Il convient de noter que selon le sixième considérant du règlement no 562/2006, «[l]e contrôle aux frontières n’existe pas seulement dans l’intérêt de l’État membre aux frontières extérieures duquel il s’exerce, mais dans l’intérêt de l’ensemble des États membres ayant aboli le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures. Le contrôle aux frontières devrait contribuer à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations internationales des États membres».

( 11 ) Nous considérons qu’il ressort des termes «en particulier» que la liste mentionnée à l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 est exemplative et non limitative.

( 12 ) Par exemple, quant aux troisième et quatrième circonstances en question, à notre sens, l’intensité effective des vérifications constitue seulement un facteur indicatif. En effet, il est possible de considérer que les vérifications frontalières dissimulées soient effectuées d’une façon moins intense que celles autorisées par le droit de l’Union.

( 13 ) Voir, par analogie, arrêt du 17 février 2005, Oulane (C-215/03, Rec. p. I-1215, point 34). Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que «le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre effectue des contrôles quant au respect de l’obligation d’être toujours en mesure de présenter un document d’identité, mais à condition d’imposer la même obligation à ses propres ressortissants en ce qui concerne leur carte d’identité».

( 14 ) Voir, par analogie, arrêt du 27 avril 1989, Commission/Belgique (321/87, Rec. p. 997, point 15).

( 15 ) Voir, également, article 2, point 9, du règlement no 562/2006 qui définit le «contrôle aux frontières» comme «les activités effectuées aux frontières, conformément au présent règlement et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération, consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières».

( 16 ) Voir en ce sens, également, article 21, sous a), du règlement no 562/2006.

( 17 ) À notre sens les autres dispositions de l’article 78-2, cinquième et sixième alinéas, du code de procédure pénale français relatives à la Guadeloupe, à la Guyane, à Mayotte, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ne sont pas pertinentes en l’espèce étant donné que les départements, collectivités et territoires d’outre-mer français sont exclus de l’espace de libre circulation Schengen.

( 18 ) Le gouvernement français a également invoqué l’article L.611-1 du Cedesa dans ses observations. Il convient de souligner que cette disposition n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné qu’il ressort clairement des décisions de renvoi que les requérants au principal ont fait l’objet de contrôles en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français. En tout état de cause, il semble également, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que normalement les contrôles des titres de séjour en application de l’article L.611-1 du Ceseda sont appliqués sur tout le territoire français et doivent être fondés sur des critères très stricts quant à la qualité de la personne visée en tant que personne de nationalité étrangère. Toutefois, étant donné que l’article L.611-1 du Cedesa prévoit que les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France, à la suite d’un contrôle d’identité effectué en application des articles 78-1, 78-2 et 78-2-1 du code de procédure pénale français, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que ledit article L.611-1 pourrait en fait être appliqué d’une façon plus rigoureuse dans la zone géographique pertinente au vu de son lien avec l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français. De surcroît, l’article 78-2-1 du code de procédure pénale français qui prévoit que les autorités de police sont habilitées, sur réquisitions du procureur de la République, à entrer dans les lieux à usage professionnel n’est pas pertinent en l’espèce. En tout état de cause, il semble que cette disposition soit appliquée sur tout le territoire français.

( 19 ) Cela ne signifie pas que des contrôles d’identité réalisés en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français ne pourraient pas, dans des cas concrets, révéler ou prévenir des infractions, mais il semble, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, qu’il y a d’autres dispositions dudit code traitant spécifiquement de ces enjeux.

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2008, Dynamic Medien (C-244/06, Rec. p. I-505, point 19 et jurisprudence citée).

( 21 ) Voir point 18 ci-dessus.

( 22 ) Anciennement l’article 234 du traité CE et l’article 177 du traité CEE.

( 23 ) Étant donné que la validité d’un acte des institutions de l’Union n’est pas en cause en l’espèce, nous concentrerons nos réflexions dans cette prise de position sur la question d’interprétation du droit de l’Union en application de l’article 267 TFUE.

( 24 ) Voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2009, Kattner Stahlbau (C-350/07, Rec. p. I-1513, point 29 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks (C-333/07, Rec. p. I-10807, point 46 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir ordonnances du 18 juin 1980, Borker (138/80, Rec. p. 1975, point 4); du 5 mars 1986, Greis Unterweger (318/85, Rec. p. 955, point 4); arrêts du 19 octobre 1995, Job Centre (C-111/94, Rec. p. I-3361, point 9), et du 14 juin 2001, Salzmann (C-178/99, Rec. p. I-4421, point 14).

( 27 ) Arrêt du 28 avril 1983, Les Fils d’Henri Ramel (170/82, Rec. p. 1319, point 8).

( 28 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38), et du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C-118/08, Rec. p. I-635, point 25).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 15 septembre 2005, Intermodal Transports (C-495/03, Rec. p. I-8151, points 31 et 33).

( 30 ) Arrêt du 6 octobre 1982 (283/81, Rec. p. 3415, point 21).

( 31 ) Toutefois, il ressort également de l’arrêt Cilfit e.a., précité, que la possibilité accordée à une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de ne pas soumettre à la Cour toute question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elle doit être appréciée sur la base, entre autres, des diverses versions linguistiques des dispositions du droit de l’Union en question. Étant donné qu’il y a actuellement vingt-trois langues de travail officielles au sein de l’Union et que chaque version linguistique est authentique, il semblerait peu probable qu’une juridiction nationale pourrait en fait avoir recours à cette possibilité (extrêmement réduite).

( 32 ) Arrêt du 16 janvier 1974 (166/73, Rec. p. 33, point 3).

( 33 ) Voir, également, arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio (C-210/06, Rec. p. I-9641, point 88).

( 34 ) La Cour a également déclaré dans son arrêt Rheinmühlen-Düsseldorf, précité, qu’il en serait autrement si les questions posées par une juridiction sont identiques à des questions posées par la juridiction de dernière instance. Il convient de noter que dans l’arrêt du 12 février 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf (146/73, Rec. p. 139, point 3), la Cour a déclaré que s’agissant d’une juridiction dont les décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à ce que les décisions d’une telle juridiction saisissant la Cour à titre préjudiciel restent soumises aux voies de recours normales prévues par le droit national (voir, également, arrêt Cartesio, précité, point 89). Il s’ensuit que la question se pose si et dans quelle mesure des voies de recours nationaux pourraient limiter le pouvoir d’une juridiction nationale de saisir la Cour en application de l’article 267 TFUE. La Cour dans son arrêt du 12 février 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, précité, a souligné que nonobstant l’existence des voies de recours nationaux, elle doit s’en tenir à la décision de renvoi qui doit produire ses effets tant qu’elle n’a pas été rapportée (voir, également, arrêt Cartesio, précité, points 92 à 97). Il ressort de la jurisprudence de la Cour en la matière que, tout en reconnaissant l’existence des voies de recours en droit national, lorsqu’une affaire est pendante devant une juridiction nationale, le droit national ne saurait limiter la compétence autonome de cette juridiction de saisir la Cour avec un renvoi préjudiciel. Dans ces circonstances, la Cour doit s’en tenir à la décision ayant ordonné le renvoi préjudiciel, qui doit produire ses effets tant qu’elle n’a pas été rapportée ou modifiée par la juridiction qui l’a rendue, seule cette dernière juridiction pouvant décider d’un tel rapport ou d’une telle modification. Pour une affaire où la Cour a décliné sa compétence pour statuer, car le litige n’était plus pendant devant la juridiction de renvoi, voir ordonnance du 24 mars 2009, Nationale Loterij (C-525/06, Rec. p. I-2197, points 8 à 11). Il convient de noter que dans cette dernière affaire la juridiction de renvoi n’a pas retiré la demande de décision préjudicielle.

( 35 ) Arrêt du 9 mars 2010 (C-379/08 et C-380/08, Rec. p. I-2007, point 26).

( 36 ) Arrêt du 19 janvier 2010 (C-555/07, Rec. p. I-365).

( 37 ) En effet, au point 55 dudit arrêt, la Cour a jugé que «[l]e caractère facultatif de cette saisine est indépendant des modalités s’imposant au juge national, en droit interne, pour laisser inappliquée une disposition nationale que celui-ci estime contraire à la Constitution».

( 38 ) Arrêt du 27 juin 1991 (C-348/89, Rec. p. I-3277, point 44).

( 39 ) Voir points 45 à 49 dudit arrêt. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Tribunal Fiscal Aduaneiro do Porto (Portugal) se demande, en premier lieu, s’il est compétent pour procéder au renvoi préjudiciel, dans la mesure où il constate l’inconstitutionnalité des dispositions nationales en cause, étant donné que la constatation de l’inconstitutionnalité d’une règle du droit interne est soumise, selon l’article 280, paragraphe 3, de la Constitution de la République portugaise, au recours devant la Cour constitutionnelle portugaise et que, par conséquent, seule cette dernière pourrait être compétente pour procéder au renvoi préjudiciel dans de telles affaires et, en second lieu, si le renvoi préjudiciel n’est pas superflu, dans la mesure où il peut être remédié, dans l’ordre juridique national, aux vices d’une disposition nationale. Voir, également, arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani (C-261/95, Rec. p. I-4025, points 16 à 21).

( 40 ) Déclaration 17 relative à la primauté dispose:

«La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence.

En outre, la Conférence a décidé d’annexer au présent Acte final l’avis du Service juridique du Conseil sur la primauté tel qu’il figure au document 11197/07 (JUR 260):

“Avis du Service juridique du Conseil du 22 juin 2007

Il découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est un principe fondamental dudit droit. Selon la Cour, ce principe est inhérent à la nature particulière de la Communauté européenne à l’époque du premier arrêt de cette jurisprudence constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l’affaire 6/64, Costa contre ENEL ( 41 ), la primauté n’était pas mentionnée dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement. Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l’existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice.

( 41 ) ‘Il [en] résulte (…) qu’issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même.’”»

( 42 ) Voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629, point 24); du 4 juin 1992, Debus (C-13/91 et C-113/91, Rec. p. I-3617, point 32); du 18 juillet 2007, Lucchini (C-119/05, Rec. p. I-6199, point 61), ainsi que du 27 octobre 2009, ČEZ (C-115/08, Rec. p. I-10265, point 138). Voir, également, arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak (C-314/08, Rec. p. I-11049, point 84), dans lequel la Cour a dit pour droit que le report par une cour constitutionnelle (en l’espèce le Trybunał Konstytucyjny, le Tribunal constitutionnel polonais) de la date à laquelle les dispositions litigieuses perdront leur force obligatoire ne fait pas obstacle à ce que la juridiction de renvoi, conformément au principe de la primauté du droit de l’Union, n’applique pas ces dispositions dans le cadre du litige dont elle est saisie si elle les juge contraires au droit de l’Union.

( 43 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 3 février 1977, Benedetti (52/76, Rec. p. 163, point 26), et du 14 décembre 2000, Fazenda Pública (C-446/98. Rec. p. I-11435, point 49), ainsi que ordonnance du 5 mars 1986, Wünsche (69/85, Rec. p. 947, point 13). Voir, également, point 64 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 novembre 2000, Österreichischer Gewerkschaftsbund (C-195/98, Rec. p. I-10497). Dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C-42/07, Rec. p. I-7633), l’avocat général Bot a déclaré que l’interprétation uniforme du droit de l’Union ne peut être assurée que si les arrêts de la Cour ont, pour les juridictions nationales, un caractère contraignant. Ce caractère contraignant constitue aussi le corollaire de l’obligation des juridictions nationales d’assurer l’application effective du droit de l’Union (points 204 et 205).

( 44 ) Voir, par analogie, arrêt Filipiak, précité.


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 juin 2010 ( *1 )

Dans les affaires jointes C-188/10 et C-189/10,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Cour de cassation (France), par décisions du 16 avril 2010, parvenues à la Cour le même jour, dans les procédures contre

Aziz Melki (C-188/10),

Sélim Abdeli (C-189/10),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mmes R. Silva de Lapuerta et C. Toader, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, E. Juhász, T. von Danwitz (rapporteur), J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu l’ordonnance du président de la Cour du 12 mai 2010 décidant de soumettre les renvois préjudiciels à une procédure accélérée conformément aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 juin 2010,

considérant les observations présentées:

pour MM. Melki et Abdeli, par Me R. Boucq, avocat,

pour le gouvernement français, par Mme E. Belliard, M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet et M. Jacobs ainsi que par M. T. Materne, en qualité d’agents, assistés de Me F. Tulkens, avocat,

pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, B. Klein et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes T. Papadopoulou et L. Kotroni, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. de Ree, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par Mme J. Faldyga ainsi que par MM. M. Jarosz et M. Szpunar, en qualité d’agents,

pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. J.-P. Keppenne et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 67 TFUE et 267 TFUE.

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux procédures engagées à l’encontre respectivement de MM. Melki et Abdeli, tous deux de nationalité algérienne, et visant à obtenir la prolongation de leur maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes du préambule du protocole (no 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 290, ci-après le «protocole no 19»):

«Les hautes parties contractantes,

notant que les accords relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes signés par certains des États membres de l’Union européenne à Schengen le 14 juin 1985 et le 19 juin 1990, ainsi que les accords connexes et les règles adoptées sur la base desdits accords, ont été intégrés dans le cadre de l’Union européenne par le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997;

souhaitant préserver l’acquis de Schengen, tel que développé depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, et développer cet acquis pour contribuer à la réalisation de l’objectif visant à offrir aux citoyens de l’Union un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures;

[…]

sont convenues des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne».

4

L’article 2 de ce protocole énonce:

«L’acquis de Schengen s’applique aux États membres visés à l’article 1er, sans préjudice de l’article 3 de l’acte d’adhésion du 16 avril 2003 et de l’article 4 de l’acte d’adhésion du 25 avril 2005. Le Conseil se substitue au comité exécutif institué par les accords de Schengen.»

5

Fait partie dudit acquis, notamment, la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen (Luxembourg) le 19 juin 1990 (ci-après la «CAAS»), dont l’article 2 concernait le franchissement des frontières intérieures.

6

Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 à 3, de la CAAS:

«1.   Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué.

2.   Toutefois, lorsque l’ordre public ou la sécurité nationale l’exigent, une Partie Contractante peut, après consultation des autres Parties Contractantes, décider que, durant une période limitée, des contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation seront effectués aux frontières intérieures. Si l’ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la Partie Contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres Parties Contractantes.

3.   La suppression du contrôle des personnes aux frontières intérieures ne porte atteinte ni aux dispositions de l’article 22, ni à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes en vertu de la législation de chaque Partie Contractante sur l’ensemble de son territoire, ni aux obligations de détention, de port et de présentation de titres et documents prévues par sa législation.»

7

L’article 2 de la CAAS a été abrogé à partir du 13 octobre 2006, conformément à l’article 39, paragraphe 1, du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen, JO L 105, p. 1).

8

Aux termes de l’article 2, points 9 à 11, de ce règlement:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

[…]

9)

‘contrôle aux frontières’, les activités effectuées aux frontières, conformément au présent règlement et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération, consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières;

10)

‘vérifications aux frontières’, les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes, y compris leurs moyens de transport et les objets en leur possession peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter;

11)

‘surveillance des frontières’, la surveillance des frontières entre les points de passage et la surveillance des points de passage frontaliers en dehors des heures d’ouverture fixées, en vue d’empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières.»

9

L’article 20 du règlement no 562/2006, intitulé «Franchissement des frontières intérieures», dispose:

«Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.»

10

L’article 21 de ce règlement, intitulé «Vérifications à l’intérieur du territoire», prévoit:

«La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:

a)

à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:

i)

n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;

ii)

sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;

iii)

sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;

iv)

sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;

[…]

c)

à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;

[…]»

Le droit national

La Constitution du 4 octobre 1958

11

La Constitution du 4 octobre 1958, telle que modifiée par la loi constitutionnelle no 2008-724, du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Ve République (JORF du 24 juillet 2008, p. 11890, ci-après la «Constitution»), dispose à son article 61-1:

«Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.»

12

L’article 62, deuxième et troisième alinéas, de la Constitution prévoit:

«Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.»

13

Aux termes de l’article 88-1 de la Constitution:

«La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.»

L’ordonnance no 58-1067

14

Par la loi organique no 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution (JORF du 11 décembre 2009, p. 21379), un nouveau chapitre II bis, intitulé «De la question prioritaire de constitutionnalité», a été inséré dans le titre II de l’ordonnance no 58-1067, du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Ce chapitre II bis dispose:

«Section 1

Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation

Article 23-1

Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office.

[…]

Article 23-2

La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies:

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances;

La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

Article 23-3

Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Toutefois, il n’est sursis à statuer ni lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu’il n’a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

Section 2

Dispositions applicables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation

Article 23-4

Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Article 23-5

Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d’irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d’office.

En tout état de cause, le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État ou la Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n’être pas sursis à statuer.

[…]

Article 23-7

La décision motivée du Conseil d’État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision motivée par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.

[…]

Section 3

Dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel

[…]

Article 23-10

Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L’audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel.

[…]»

Le code de procédure pénale

15

L’article 78-2 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur au moment des faits, dispose:

«Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner:

qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction;

ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit;

ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit;

ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

[…]»

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

16

MM. Melki et Abdeli, ressortissants algériens en situation irrégulière en France, ont été contrôlés par la police, en application de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec la Belgique et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà de cette frontière. Le 23 mars 2010, ils ont fait l’objet, chacun en ce qui le concerne, d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d’une décision de maintien en rétention.

17

Devant le juge des libertés et de la détention, saisi par le préfet d’une demande de prolongation de cette rétention, MM. Melki et Abdeli ont contesté la régularité de leur interpellation et soulevé l’inconstitutionnalité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, au motif que cette disposition porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

18

Par deux ordonnances du 25 mars 2010, le juge des libertés et de la détention a ordonné, d’une part, la transmission à la Cour de cassation de la question de savoir si l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, la prolongation de la rétention de MM. Melki et Abdeli pour une durée de quinze jours.

19

Selon la juridiction de renvoi, MM. Melki et Abdeli soutiennent que l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale est contraire à la Constitution étant donné que les engagements de la République française résultant du traité de Lisbonne ont valeur constitutionnelle au regard de l’article 88-1 de la Constitution et que ladite disposition du code de procédure pénale, en tant qu’elle autorise des contrôles aux frontières avec les autres États membres, est contraire au principe de libre circulation des personnes énoncé à l’article 67, paragraphe 2, TFUE prévoyant que l’Union européenne assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures.

20

La juridiction de renvoi considère, en premier lieu, que se trouve posée la question de la conformité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale tant avec le droit de l’Union qu’avec la Constitution.

21

En second lieu, la Cour de cassation déduit des articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067 ainsi que de l’article 62 de la Constitution que les juridictions du fond tout comme elle-même sont privées, par l’effet de la loi organique no 2009-1523 ayant inséré lesdits articles dans l’ordonnance no 58-1067, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel.

22

Estimant que sa décision sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel dépend de l’interprétation du droit de l’Union, la Cour de cassation a décidé, dans chaque affaire pendante, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 267 [TFUE] s’oppose-t-il à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, alinéa 2, et 23-5, alinéa 2, de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 créés par la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009, en ce qu’ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union?

2)

L’article 67 [TFUE] s’oppose-t-il à une législation telle que celle résultant de l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale qui prévoit que ‘dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté’.»

23

Par ordonnance du président de la Cour du 20 avril 2010, les affaires C-188/10 et C-189/10 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

24

Le gouvernement français excipe de l’irrecevabilité des demandes préjudicielles.

25

En ce qui concerne la première question, le gouvernement français estime que celle-ci revêt un caractère purement hypothétique. En effet, cette question serait fondée sur la prémisse que le Conseil constitutionnel, lors de l’examen de la conformité d’une loi à la Constitution, peut être amené à examiner la conformité de cette loi au droit de l’Union. Toutefois, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n’appartiendrait pas à celui-ci, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, mais aux juridictions ordinaires des ordres administratif et judiciaire d’examiner la conformité d’une loi au droit de l’Union. Il en résulterait que, en vertu du droit national, le Conseil d’État et la Cour de cassation ne sont pas obligés de renvoyer au Conseil constitutionnel des questions relatives à la compatibilité de dispositions nationales avec le droit de l’Union, de telles questions ne se rattachant pas au contrôle de constitutionnalité.

26

S’agissant de la seconde question, le gouvernement français soutient qu’une réponse à cette question serait inutile. En effet, depuis le 9 avril 2010, MM. Melki et Abdeli ne feraient plus l’objet d’aucune mesure privative de liberté et, à compter de cette date, les deux ordonnances du juge des libertés et de la détention auraient cessé de produire tout effet. La question de la compatibilité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale avec l’article 67 TFUE serait également dépourvue de toute pertinence dans le cadre de la seule instance encore en cours devant la Cour de cassation, étant donné que, ainsi que le Conseil constitutionnel l’aurait rappelé dans sa décision no 2010-605 DC, du 12 mai 2010, celui-ci s’estimerait incompétent pour examiner la compatibilité d’une loi avec le droit de l’Union lorsqu’il est saisi du contrôle de la constitutionnalité de cette loi.

27

À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 22 décembre 2008, Regie Networks, C-333/07, Rec. p. I-10807, point 46; du 8 septembre 2009, Budejovicky Budvar, C-478/07, Rec. p. I-7721, point 63, et du 20 mai 2010, Zanotti, C-56/09, Rec. p. I-4517, point 15).

28

Or, en l’occurrence, les questions posées visent l’interprétation des articles 67 TFUE et 267 TFUE. Il ne ressort pas des motifs des décisions de renvoi que les ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention à l’égard de MM. Melki et Abdeli ont cessé de produire tout effet. En outre, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation, effectuée par la Cour de cassation, du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité est à l’évidence exclue au regard du libellé des dispositions nationales.

29

Partant, la présomption de pertinence dont bénéficie la demande de décision préjudicielle dans chacune des affaires n’est pas renversée par les objections émises par le gouvernement français.

30

Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle posée dans ces affaires doit être déclarée recevable.

Sur la première question

31

Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales imposant aux juridictions dudit État membre de se prononcer par priorité sur la transmission, à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois, d’une question relative à la conformité d’une disposition de droit interne avec la Constitution lorsque est en cause, concomitamment, la contrariété de celle-ci avec le droit de l’Union.

Observations soumises à la Cour

32

MM. Melki et Abdeli considèrent que la réglementation nationale en cause au principal est conforme au droit de l’Union, sous réserve que le Conseil constitutionnel examine le droit de l’Union et saisisse, en cas de doute sur l’interprétation de celui-ci, la Cour de justice d’une question préjudicielle, en demandant alors que le renvoi opéré soit soumis à la procédure accélérée en application de l’article 104 bis du règlement de procédure de la Cour de justice.

33

Le gouvernement français estime que le droit de l’Union ne s’oppose pas à la législation nationale en cause, dès lors que celle-ci ne modifie ni ne remet en cause le rôle et les compétences du juge national dans l’application du droit de l’Union. Afin d’étayer cette argumentation, ce gouvernement se fonde, en substance, sur la même interprétation de ladite législation que celle effectuée, postérieurement à la transmission des décisions de renvoi de la Cour de cassation à la Cour de justice, tant par le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 2010-605 DC, du 12 mai 2010, que par le Conseil d’État, dans sa décision no 312305, du 14 mai 2010.

34

Selon cette interprétation, il serait exclu qu’une question prioritaire de constitutionnalité ait pour objet de soumettre au Conseil constitutionnel une question de compatibilité d’une loi avec le droit de l’Union. Il n’appartiendrait pas à celui-ci, mais aux juridictions ordinaires des ordres administratif et judiciaire d’examiner la conformité d’une loi au droit de l’Union, d’appliquer elles-mêmes et selon leur propre appréciation le droit de l’Union ainsi que de poser, simultanément ou postérieurement à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, des questions préjudicielles à la Cour.

35

À cet égard, le gouvernement français soutient notamment que, selon la législation nationale en cause au principal, la juridiction nationale peut soit, sous certaines conditions, statuer au fond sans attendre la décision de la Cour de cassation, du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité, soit prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires afin d’assurer une protection immédiate des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union.

36

Tant le gouvernement français que le gouvernement belge font valoir que le mécanisme procédural de la question prioritaire de constitutionnalité a pour objet de garantir aux justiciables que leur demande d’examen de la constitutionnalité d’une disposition nationale sera effectivement traitée, sans que la saisine du Conseil constitutionnel puisse être écartée sur le fondement de l’incompatibilité de la disposition en question avec le droit de l’Union. En outre, la saisine du Conseil constitutionnel présenterait l’avantage que ce dernier peut abroger une loi incompatible avec la Constitution, cette abrogation étant alors dotée d’un effet erga omnes. En revanche, les effets d’un jugement d’une juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire, qui constate qu’une disposition nationale est incompatible avec le droit de l’Union, sont limités au litige particulier tranché par cette juridiction.

37

Le gouvernement tchèque, quant à lui, propose de répondre qu’il découle du principe de primauté du droit de l’Union que le juge national est tenu d’assurer le plein effet du droit de l’Union en examinant la compatibilité du droit national avec le droit de l’Union et en n’appliquant pas les dispositions du droit national contraires à celui-ci, sans devoir en premier lieu saisir la Cour constitutionnelle nationale ou une autre juridiction nationale. Selon le gouvernement allemand, l’exercice du droit de saisir la Cour à titre préjudiciel, conférée par l’article 267 TFUE à toute juridiction nationale, ne doit pas être entravé par une disposition de droit national qui subordonne la saisine de la Cour en vue de l’interprétation du droit de l’Union à la décision d’une autre juridiction nationale. Le gouvernement polonais estime que l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à une législation telle que celle visée par la première question posée, étant donné que la procédure y prévue ne porte pas atteinte à la substance des droits et des obligations des juridictions nationales tels qu’ils résultent dudit article.

38

La Commission considère que le droit de l’Union, et en particulier le principe de primauté de ce droit ainsi que l’article 267 TFUE, s’oppose à une réglementation nationale telle celle décrite dans les décisions de renvoi, dans l’hypothèse où toute contestation de la conformité d’une disposition législative au droit de l’Union permettrait au justiciable de se prévaloir d’une violation de la Constitution par cette disposition législative. Dans ce cas, la charge d’assurer le respect du droit de l’Union serait implicitement mais nécessairement transférée du juge du fond au Conseil constitutionnel. Par conséquent, le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité aboutirait à une situation telle que celle jugée contraire au droit de l’Union par la Cour de justice dans l’arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629). Le fait que la juridiction constitutionnelle puisse, elle-même, poser des questions préjudicielles à la Cour de justice ne remédierait pas à cette situation.

39

Si, en revanche, une contestation de la conformité d’une disposition législative au droit de l’Union ne permet pas au justiciable de se prévaloir ipso facto d’une contestation de la conformité de la même disposition législative à la Constitution, de sorte que le juge du fond resterait compétent pour appliquer le droit de l’Union, celui-ci ne s’opposerait pas à une réglementation nationale telle que celle visée par la première question posée, pour autant que plusieurs critères soient remplis. Selon la Commission, le juge national doit rester libre de saisir concomitamment la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’il juge nécessaire et d’adopter toute mesure nécessaire pour assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits garantis par le droit de l’Union. Il serait également nécessaire, d’une part, que la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité n’entraîne pas une suspension de la procédure au fond pour une durée excessive et, d’autre part, que, à l’issue de cette procédure incidente et indépendamment de son résultat, le juge national reste entièrement libre d’apprécier la conformité de la disposition législative nationale au droit de l’Union, de la laisser inappliquée s’il juge qu’elle est contraire au droit de l’Union et de saisir la Cour de justice de questions préjudicielles s’il le juge nécessaire.

Réponse de la Cour

40

L’article 267 TFUE attribue compétence à la Cour pour statuer, à titre préjudiciel, tant sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union que sur la validité de ces actes. Cet article dispose, à son deuxième alinéa, qu’une juridiction nationale peut soumettre de telles questions à la Cour, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, et, à son troisième alinéa, qu’elle est tenue de le faire si ses décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.

41

Il en résulte, en premier lieu, que, même s’il peut être avantageux, selon les circonstances, que les problèmes de pur droit national soient tranchés au moment du renvoi à la Cour (voir arrêt du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., 36/80 et 71/80, Rec. p. 735, point 6), les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessitant une décision de leur part (voir, notamment, arrêts du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166/73, Rec. p. 33, point 3; du 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89, Rec. p. I-3277, point 44, et du 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, Rec. p. I-9641, point 88).

42

La Cour en a conclu que l’existence d’une règle de droit interne liant les juridictions ne statuant pas en dernière instance à l’appréciation portée en droit par une juridiction de degré supérieur ne saurait, de ce seul fait, les priver de la faculté prévue à l’article 267 TFUE de saisir la Cour des questions d’interprétation du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts précités Rheinmühlen-Düsseldorf, points 4 et 5, ainsi que Cartesio, point 94). La juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre, notamment si elle considère que l’appréciation en droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent (arrêt du 9 mars 2010, ERG e.a., C-378/08, Rec. p. I-1919, point 32).

43

En deuxième lieu, la Cour a déjà jugé que le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, notamment, arrêts Simmenthal, précité, points 21 et 24; du 20 mars 2003, Kutz-Bauer, C-187/00, Rec. p. I-2741, point 73; du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387/02, C-391/02 et C-403/02, Rec. p. I-3565, point 72, ainsi que du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, Rec. p. I-11049, point 81).

44

En effet, serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union (voir arrêts Simmenthal, précité, point 22, ainsi que du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213/89, Rec. p. I-2433, point 20). Tel serait le cas si, dans l’hypothèse d’une contrariété entre une disposition du droit de l’Union et une loi nationale, la solution de ce conflit était réservée à une autorité autre que le juge appelé à assurer l’application du droit de l’Union, investie d’un pouvoir d’appréciation propre, même si l’obstacle en résultant ainsi pour la pleine efficacité de ce droit n’était que temporaire (voir, en ce sens, arrêt Simmenthal, précité, point 23).

45

En dernier lieu, la Cour a jugé qu’une juridiction nationale saisie d’un litige concernant le droit de l’Union, qui considère qu’une disposition nationale est non seulement contraire au droit de l’Union, mais également affectée de vices d’inconstitutionnalité, n’est pas privée de la faculté ou dispensée de l’obligation, prévues à l’article 267 TFUE, de saisir la Cour de justice de questions concernant l’interprétation ou la validité du droit de l’Union du fait que la constatation de l’inconstitutionnalité d’une règle du droit interne est soumise à un recours obligatoire devant la cour constitutionnelle. En effet, l’efficacité du droit de l’Union se trouverait menacée si l’existence d’un recours obligatoire devant la cour constitutionnelle pouvait empêcher le juge national, saisi d’un litige régi par le droit de l’Union, d’exercer la faculté qui lui est attribuée par l’article 267 TFUE de soumettre à la Cour de justice les questions portant sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union, afin de lui permettre de juger si une règle nationale est ou non compatible avec celui-ci (voir arrêt Mecanarte, précité, points 39, 45 et 46).

46

S’agissant des conséquences à tirer de la jurisprudence susmentionnée par rapport à des dispositions nationales telles que celles visées par la première question posée, il convient de relever que la juridiction de renvoi part de la prémisse que, selon ces dispositions, lors de l’examen d’une question de constitutionnalité qui est fondée sur l’incompatibilité de la loi en cause avec le droit de l’Union, le Conseil constitutionnel apprécie également la conformité de cette loi avec le droit de l’Union. Dans ce cas, le juge du fond procédant à la transmission de la question de constitutionnalité ne pourrait, avant cette transmission, ni statuer sur la compatibilité de la loi concernée avec le droit de l’Union ni poser une question préjudicielle à la Cour de justice en rapport avec ladite loi. En outre, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel jugerait la loi en cause conforme au droit de l’Union, ledit juge du fond ne pourrait pas non plus, postérieurement à la décision rendue par le Conseil constitutionnel qui s’imposerait à toutes les autorités juridictionnelles, saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il en serait de même lorsque le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une disposition législative est soulevé à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation.

47

Selon cette interprétation, la législation nationale en cause au principal aurait pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité que, le cas échéant, après la décision du Conseil constitutionnel sur cette question, les juridictions des ordres administratif et judiciaire nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation, prévues à l’article 267 TFUE, de saisir la Cour de questions préjudicielles. Force est de constater qu’il découle des principes dégagés par la jurisprudence rappelés aux points 41 à 45 du présent arrêt que l’article 267 TFUE s’oppose à une législation nationale telle que décrite dans les décisions de renvoi.

48

Toutefois, tel que cela ressort des points 33 à 36 du présent arrêt, les gouvernements français et belge ont présenté une interprétation différente de la législation française visée par la première question posée en se fondant, notamment, sur les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-605 DC, du 12 mai 2010, et du Conseil d’État no 312305, du 14 mai 2010, rendues postérieurement à la transmission des décisions de renvoi de la Cour de cassation à la Cour de justice.

49

À cet égard, il convient de rappeler qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, dans les affaires dont elle est saisie, quelle est l’interprétation correcte du droit national.

50

En vertu d’une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu’elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union (arrêts du 26 septembre 2000, Engelbrecht, C-262/97, Rec. p. I-7321, point 39; du 27 octobre 2009, ČEZ, C-115/08, Rec. p. I-10265, point 138, et du 13 avril 2010, Wall, C-91/08, Rec. p. I-2815, point 70). Eu égard aux décisions susmentionnées du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, une telle interprétation des dispositions nationales qui ont institué le mécanisme de contrôle de constitutionnalité en cause au principal ne saurait être exclue.

51

L’examen de la question de savoir si une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité est possible ne saurait remettre en cause les caractéristiques essentielles du système de coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales instauré par l’article 267 TFUE telles qu’elles découlent de la jurisprudence rappelée aux points 41 à 45 du présent arrêt.

52

En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, afin d’assurer la primauté du droit de l’Union, le fonctionnement dudit système de coopération nécessite que le juge national soit libre de saisir, à tout moment de la procédure qu’il juge approprié, et même à l’issue d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’il juge nécessaire.

53

Dans la mesure où le droit national prévoit l’obligation de déclencher une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité qui empêcherait le juge national de laisser immédiatement inappliquée une disposition législative nationale qu’il estime contraire au droit de l’Union, le fonctionnement du système instauré par l’article 267 TFUE exige néanmoins que ledit juge soit libre, d’une part, d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union et, d’autre part, de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, ladite disposition législative nationale s’il la juge contraire au droit de l’Union.

54

Il convient, par ailleurs, de souligner que le caractère prioritaire d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité d’une loi nationale dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives d’une directive de l’Union ne saurait porter atteinte à la compétence de la seule Cour de justice de constater l’invalidité d’un acte de l’Union, et notamment d’une directive, compétence ayant pour objet de garantir la sécurité juridique en assurant l’application uniforme du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85, Rec. p. 4199, points 15 à 20; du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, Rec. p. I-403, point 27, ainsi que du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119/05, Rec. p. I-6199, point 53).

55

En effet, pour autant que le caractère prioritaire d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité aboutit à l’abrogation d’une loi nationale se limitant à transposer les dispositions impératives d’une directive de l’Union en raison de la contrariété de cette loi à la Constitution nationale, la Cour pourrait, en pratique, être privée de la possibilité de procéder, à la demande des juridictions du fond de l’État membre concerné, au contrôle de la validité de ladite directive par rapport aux mêmes motifs relatifs aux exigences du droit primaire, et notamment des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à laquelle l’article 6 TUE confère la même valeur juridique que celle qui est reconnue aux traités.

56

Avant que le contrôle incident de constitutionnalité d’une loi dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives d’une directive de l’Union puisse s’effectuer par rapport aux mêmes motifs mettant en cause la validité de la directive, les juridictions nationales, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, sont, en principe, tenues, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, d’interroger la Cour de justice sur la validité de cette directive et, par la suite, de tirer les conséquences qui découlent de l’arrêt rendu par la Cour à titre préjudiciel, à moins que la juridiction déclenchant le contrôle incident de constitutionnalité n’ait elle-même saisi la Cour de justice de cette question sur la base du deuxième alinéa dudit article. En effet, s’agissant d’une loi nationale de transposition d’un tel contenu, la question de savoir si la directive est valide revêt, eu égard à l’obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable. En outre, l’encadrement dans un délai strict de la durée d’examen par les juridictions nationales ne saurait faire échec au renvoi préjudiciel relatif à la validité de la directive en cause.

57

Par voie de conséquence, il y a lieu de répondre à la première question posée que l’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à une telle législation nationale, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres:

de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire,

d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et

de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union.

Sur la seconde question

58

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 67 TFUE s’oppose à une législation nationale qui permet aux autorités de police de contrôler, dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre d’un État membre avec les États parties à la CAAS, l’identité de toute personne, en vue de vérifier le respect, par celle-ci, des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi.

Observations soumises à la Cour

59

MM. Melki et Abdeli sont d’avis que les articles 67 TFUE et 77 TFUE prévoient une absence pure et simple de contrôles aux frontières intérieures et que le traité de Lisbonne a, de ce fait, conféré un caractère absolu à la libre circulation des personnes, quelle que soit la nationalité des personnes concernées. Par conséquent, cette liberté de circulation s’opposerait à une restriction telle que celle prévue à l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, qui autoriserait les autorités nationales à pratiquer des contrôles d’identité systématiques dans les zones frontalières. En outre, ils demandent de constater l’invalidité de l’article 21 du règlement no 562/2006, au motif qu’il méconnaît en lui-même le caractère absolu de la liberté d’aller et de venir telle que consacrée aux articles 67 TFUE et 77 TFUE.

60

Le gouvernement français soutient que les dispositions nationales en cause au principal se justifient par la nécessité de lutter contre un type de délinquance spécifique dans les zones de passage et aux abords des frontières présentant des risques particuliers. Les contrôles d’identité effectués sur le fondement de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale respecteraient pleinement l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006. Ils auraient pour objectif de vérifier l’identité d’une personne, soit afin de prévenir la commission d’infractions ou de troubles à l’ordre public, soit afin de rechercher les auteurs d’une infraction. Ces contrôles se fonderaient également sur des informations générales et sur l’expérience des services de police qui auraient démontré l’utilité particulière des contrôles dans ces zones. Ils seraient effectués sur la base de renseignements policiers provenant de précédentes enquêtes de la police judiciaire ou d’informations obtenues dans le cadre de la coopération entre les polices des différents États membres, qui orienteraient les lieux et les moments du contrôle. Lesdits contrôles ne seraient ni fixes, ni permanents, ni systématiques. En revanche, ils seraient réalisés à l’improviste.

61

Les gouvernements allemand, hellénique, néerlandais et slovaque proposent également de répondre par la négative à la seconde question, soulignant que, même après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, des contrôles de police non systématiques dans les zones frontalières demeurent possibles dans le respect des conditions prévues à l’article 21 du règlement no 562/2006. Ces gouvernements soutiennent notamment que les contrôles d’identité dans ces zones, prévus par la réglementation nationale en cause au principal, se distinguent par leur finalité, leur contenu, la façon dont ils sont effectués ainsi que par leurs conséquences du contrôle aux frontières au sens de l’article 20 du règlement no 562/2006. Lesdits contrôles pourraient être autorisés au titre des dispositions de l’article 21, sous a) ou c), de ce règlement.

62

En revanche, le gouvernement tchèque ainsi que la Commission considèrent que les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal. Les contrôles prévus par celle-ci constitueraient des contrôles aux frontières dissimulés qui ne pourraient pas être autorisés en vertu de l’article 21 du règlement no 562/2006, étant donné qu’ils seraient seulement permis dans les zones frontalières et ne seraient soumis à aucune autre condition que celle de la présence de la personne contrôlée dans l’une de ces zones.

Réponse de la Cour

63

À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi n’a pas posé de question préjudicielle relative à la validité d’une disposition du règlement no 562/2006. L’article 267 TFUE ne constituant pas une voie de recours ouverte aux parties au litige pendant devant le juge national, la Cour ne saurait être tenue d’apprécier la validité du droit de l’Union pour le seul motif que cette question a été invoquée devant elle par l’une de ces parties (arrêt du 30 novembre 2006, Brünsteiner et Autohaus Hilgert, C-376/05 et C-377/05, Rec. p. I-11383, point 28).

64

En ce qui concerne l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi de l’article 67 TFUE, qui prévoit, au paragraphe 2 de celui-ci, que l’Union assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures, il convient de relever que cet article figure au chapitre 1, intitulé «dispositions générales», du titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et qu’il ressort des termes mêmes dudit article que c’est l’Union qui est destinataire de l’obligation qu’il édicte. Dans ledit chapitre 1 figure également l’article 72, qui reprend la réserve de l’article 64, paragraphe 1, CE relative à l’exercice des responsabilités incombant aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.

65

Le chapitre 2 dudit titre V contient des dispositions spécifiques sur la politique relative aux contrôles aux frontières, et notamment l’article 77 TFUE, qui succède à l’article 62 CE. Selon le paragraphe 2, sous e), de cet article 77, le Parlement européen et le Conseil adoptent les mesures portant sur l’absence de tout contrôle des personnes lors du franchissement des frontières intérieures. Il s’ensuit qu’il y a lieu de prendre en considération les dispositions adoptées sur cette base, et notamment les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006, afin d’apprécier si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale telle que celle figurant à l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale.

66

Le législateur communautaire a mis en œuvre le principe de l’absence de contrôles aux frontières intérieures en adoptant, au titre de l’article 62 CE, le règlement no 562/2006 visant, selon le vingt-deuxième considérant de celui-ci, à développer l’acquis de Schengen. Ce règlement établit, en son titre III, un régime communautaire relatif au franchissement des frontières intérieures, remplaçant à partir du 13 octobre 2006 l’article 2 de la CAAS. L’applicabilité de ce règlement n’a pas été affectée par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En effet, le protocole no 19 y annexé prévoit expressément que l’acquis de Schengen demeure applicable.

67

L’article 20 du règlement no 562/2006 dispose que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. Aux termes de l’article 2, point 10, dudit règlement, des «vérifications aux frontières» désignent les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter.

68

S’agissant des contrôles prévus à l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, il y a lieu de constater qu’ils sont effectués non pas «aux frontières», mais à l’intérieur du territoire national et qu’ils sont indépendants du franchissement de la frontière par la personne contrôlée. En particulier, ils ne sont pas effectués au moment du franchissement de la frontière. Ainsi, lesdits contrôles constituent non pas des vérifications aux frontières interdites par l’article 20 du règlement no 562/2006, mais des vérifications à l’intérieur du territoire d’un État membre, visées par l’article 21 dudit règlement.

69

L’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 dispose que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, et que cela vaut également dans les zones frontalières. Il s’ensuit que des contrôles à l’intérieur du territoire d’un État membre ne sont, en vertu de cet article 21, sous a), interdits que lorsqu’ils revêtent un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

70

L’exercice des compétences de police ne peut, selon la seconde phrase de cette disposition, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières, sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière, sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures et, enfin, sont réalisées sur la base de vérifications effectuées à l’improviste.

71

En ce qui concerne la question de savoir si l’exercice des compétences de contrôle accordées par l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale revêt un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, il convient de constater, en premier lieu, que l’objectif des contrôles prévus par cette disposition n’est pas le même que celui du contrôle aux frontières au sens du règlement no 562/2006. Ce contrôle a pour objectif, selon l’article 2, points 9 à 11, dudit règlement, d’une part, de s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter et, d’autre part, d’empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières. En revanche, ladite disposition nationale vise la vérification du respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. La possibilité pour un État membre de prévoir de telles obligations dans son droit national n’est pas, en vertu de l’article 21, sous c), du règlement no 562/2006, affectée par la suppression du contrôle aux frontières intérieures.

72

En second lieu, le fait que le champ d’application territorial de la compétence accordée par la disposition nationale en cause au principal est limité à une zone frontalière ne suffit pas, à lui seul, pour constater l’effet équivalent de l’exercice de cette compétence au sens de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, compte tenu des termes et de l’objectif de cet article 21. Toutefois, s’agissant des contrôles à bord d’un train effectuant une liaison internationale et sur une autoroute à péage, la disposition nationale en cause au principal prévoit des règles particulières relatives à son champ d’application territorial, élément qui pourrait, quant à lui, constituer un indice pour l’existence d’un tel effet équivalent.

73

En outre, l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, qui autorise des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, ne contient ni précisions ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l’intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique, ayant pour objet d’éviter que l’application pratique de cette compétence par les autorités compétentes aboutisse à des contrôles ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006.

74

Afin de satisfaire aux articles 20 et 21, sous a), du règlement no 562/2006, interprétés à la lumière de l’exigence de sécurité juridique, une législation nationale conférant une compétence aux autorités de police pour effectuer des contrôles d’identité, compétence qui est, d’une part, limitée à la zone frontalière de l’État membre avec d’autres États membres et, d’autre part, indépendante du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, doit prévoir l’encadrement nécessaire de la compétence conférée à ces autorités afin, notamment, de guider le pouvoir d’appréciation dont disposent ces dernières dans l’application pratique de ladite compétence. Cet encadrement doit garantir que l’exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d’identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, tel qu’il ressort, en particulier, des circonstances figurant à la seconde phrase de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006.

75

Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question posée que l’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 s’opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet État avec les États parties à la CAAS, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

Sur les dépens

76

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à une telle législation nationale pour autant que les autres juridictions nationales restent libres:

de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire,

d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et

de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union.

 

2)

L’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), s’opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet État avec les États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen (Luxembourg) le 19 juin 1990, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.