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Document 32020R0550

    Règlement délégué (UE) 2020/550 de la Commission du 12 février 2020 modifiant les annexes II et IV du règlement (UE) no 978/2012 du Parlement européen et du Conseil compte tenu du retrait temporaire des régimes visés à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (UE) no 978/2012 en ce qui concerne certains produits originaires du Royaume du Cambodge

    C/2020/673

    JO L 127 du 22.4.2020, p. 1–12 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

    Legal status of the document In force

    ELI: http://data.europa.eu/eli/reg_del/2020/550/oj

    22.4.2020   

    FR

    Journal officiel de l’Union européenne

    L 127/1


    RÈGLEMENT DÉLÉGUÉ (UE) 2020/550 DE LA COMMISSION

    du 12 février 2020

    modifiant les annexes II et IV du règlement (UE) no 978/2012 du Parlement européen et du Conseil compte tenu du retrait temporaire des régimes visés à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (UE) no 978/2012 en ce qui concerne certains produits originaires du Royaume du Cambodge

    LA COMMISSION EUROPÉENNE,

    vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

    vu le règlement (UE) no 978/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 appliquant un schéma de préférences tarifaires généralisées et abrogeant le règlement (CE) no 732/2008 du Conseil (1), et notamment son article 19, paragraphe 10,

    considérant ce qui suit:

    1.   PROCÉDURE

    (1)

    Le Royaume du Cambodge (ci-après le «Cambodge») bénéficie des préférences tarifaires prévues au titre du régime spécial en faveur des pays les moins avancés — Tout sauf les armes (ci-après le «TSA») — visé à l’article 1er, paragraphe 2, point c), du règlement (UE) no 978/2012 (ci-après le «règlement SPG»). Il figure également sur la liste des pays bénéficiaires du régime général visé à l’article 1er, paragraphe 2, point a), du règlement SPG. Conformément à l’article 18, paragraphe 1, du règlement SPG, le régime spécial en faveur des pays les moins avancés consiste en la suspension des droits du tarif douanier commun pour tous les produits des chapitres 1 à 97 de la nomenclature combinée et originaires du Cambodge, à l’exception de ceux du chapitre 93, à savoir les armes et les munitions.

    (2)

    Conformément à l’article 19, paragraphe 1, point a), du règlement SPG, le bénéfice des régimes préférentiels visés à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement SPG peut être temporairement retiré, en ce qui concerne l’ensemble ou une partie des produits originaires d’un pays bénéficiaire, pour violation grave et systématique des principes définis dans les conventions énumérées à l’annexe VIII, partie A, du règlement SPG (ci-après les «principales conventions de l’ONU/OIT relatives aux droits de l’homme et aux droits des travailleurs»).

    (3)

    Le 11 février 2019, la Commission a adopté une décision d’exécution comportant une annexe (ci-après l’«avis d’ouverture») (2) et ouvrant, conformément à l’article 19, paragraphe 3, du règlement SPG, la procédure de retrait temporaire des préférences tarifaires octroyées au Cambodge (ci-après la «procédure de retrait temporaire»). Le même jour, la Commission a signifié cette décision d’exécution au Parlement européen et au Conseil.

    (4)

    Les éléments dont la Commission disposait à l’époque faisaient apparaître qu’il existait des motifs suffisants pour justifier l’ouverture de la procédure de retrait temporaire. En particulier, le considérant 3 de la décision d’exécution et le point 5 de l’avis d’ouverture mentionnaient des éléments indiquant l’existence de violations graves et systématiques par le Cambodge des principes énoncés dans les quatre principales conventions de l’ONU/OIT relatives aux droits de l’homme et aux droits des travailleurs qui sont énumérées ci-après:

    le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) (ci-après le «PIDCP»),

    la Convention concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical (no 87) (1948) (ci-après la «convention no 87 de l’OIT»),

    la Convention concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective (no 98) (1949) (ci-après la «convention no 98 de l’OIT»), et

    le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) (ci-après le «PIDESC»).

    (5)

    Dans l’avis d’ouverture, la Commission a invité le Cambodge et les tiers à faire connaître leur point de vue à la Commission. Treize parties tierces se sont fait connaître dans le délai fixé dans l’avis d’ouverture et ont présenté des observations écrites à la Commission.

    (6)

    À la suite de l’ouverture de la procédure de retrait temporaire, la Commission a surveillé et évalué la mise en œuvre par le Cambodge des quatre conventions citées dans l’avis d’ouverture. Conformément à l’article 19, paragraphe 4, point b), du règlement SPG, la période de surveillance et d’évaluation a pris fin le 12 août 2019.

    (7)

    La Commission a recherché toutes les informations nécessaires conformément à l’article 19, paragraphe 6, du règlement SPG, y compris les évaluations existantes des organes de surveillance concernés et le point de vue du Cambodge. La Commission a effectué une mission de surveillance au Cambodge en juin 2019.

    (8)

    Durant la période de surveillance et d’évaluation, la Commission a toujours offert au Cambodge la possibilité de coopérer, de soumettre des points de vue et des observations et d’être entendu. Par exemple, le 24 juillet 2019, la Commission a invité le Cambodge à présenter par écrit sa position sur les constatations qui ont conduit à l’ouverture de la procédure de retrait temporaire. Le Cambodge a répondu à la Commission le 12 août 2019, contestant les motifs sur la base desquels la Commission avait décidé d’ouvrir la procédure de retrait temporaire. Dans sa réponse, le Cambodge a aussi attiré l’attention sur certaines mesures correctives prévues ou appliquées, principalement avant l’ouverture de la procédure de retrait temporaire.

    (9)

    Le 12 novembre 2019, la Commission a remis au Cambodge, conformément à l’article 19, paragraphe 7, du règlement SPG, un rapport présentant ses constatations et ses conclusions (ci-après le «rapport»). Le rapport a été établi sur la base des éléments de preuve recueillis par la Commission jusqu’au 31 octobre 2019 en ce qui concerne le respect des principes énoncés dans les quatre principales conventions de l’ONU/OIT relatives aux droits de l’homme et aux droits des travailleurs, y compris les preuves et informations présentées par le Cambodge et par les tiers à la procédure.

    (10)

    Le 12 décembre 2019, le Cambodge a présenté ses observations sur le rapport.

    (11)

    Le présent règlement délégué s’appuie sur les constatations énoncées dans le rapport et les éléments de preuve qui les étayent, sur les évaluations et examens ultérieurs réalisés à la lumière de la réponse du Cambodge et sur les faits et développements survenus après le 12 décembre 2019.

    2.   VIOLATIONS GRAVES ET SYSTÉMATIQUES DES PRINCIPES ÉNONCÉS DANS LE PIDCP

    2.1.    Droit à la participation politique (article 25 du PIDCP)

    (12)

    L’article 25 du PIDCP dispose que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 dudit Pacte et sans restrictions déraisonnables:

    a)

    de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;

    b)

    de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;

    c)

    d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

    2.1.1.    Constatations

    (13)

    Le Cambodge a pris une série de mesures répressives à l’encontre du principal parti d’opposition, le parti du salut national du Cambodge (ci-après le «PSNC»), restreignant ainsi la participation politique et les droits électoraux dans le pays. Il a notamment modifié la loi sur les partis politiques (ci-après la «LPP»), a fait arrêter le président du PSNC, Kem Sokha, et a ordonné la dissolution judiciaire du PSNC.

    (14)

    En mars et juillet 2017, l’Assemblée nationale cambodgienne a apporté à la LPP plusieurs modifications interdisant à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale de diriger un parti politique. En outre, la LPP modifiée accorde au ministère de l’intérieur un large pouvoir d’appréciation pour suspendre les activités des partis politiques et demander à la Cour suprême d’ordonner la dissolution d’un parti. En octobre 2017, l’Assemblée nationale a aussi modifié plusieurs lois électorales définissant le mécanisme de redistribution des sièges obtenus par un parti dissous.

    (15)

    Le 3 septembre 2017, Kem Sokha, chef du PSNC, a été arrêté pour trahison et conspiration visant à renverser le gouvernement cambodgien avec l’aide d’une puissance étrangère (3).

    (16)

    Après plus d’un an de détention provisoire, Kem Sokha a été libéré sous caution le 10 septembre 2018 et placé sous contrôle judiciaire. Le 10 novembre 2019, le contrôle judiciaire a été levé, mais Kem Sokha avait toujours l’interdiction d’exercer des activités politiques en attendant le verdict de son procès (4).

    (17)

    Le 16 novembre 2017, la Cour suprême du Cambodge a ordonné la dissolution du PSNC et a interdit à 118 de ses hauts fonctionnaires d’exercer toute activité politique durant cinq ans. La décision de la Cour suprême était notamment fondée sur le texte modifié de l’article 44 de la LPP, qui autorise la Cour suprême à dissoudre un parti ou à en suspendre les activités durant cinq ans s’il enfreint l’article 6, paragraphe 2, et l’article 7 de ladite loi. La Cour Suprême a dissous le PSNC en se fondant en partie sur les mêmes allégations que celles sur lesquelles s’est fondé le juge d’instruction dans le cadre de l’affaire pendante contre Kem Sokha (5).

    (18)

    À la suite de la dissolution du PSNC, 5 007 conseillers communaux et locaux, qui avaient été élus en juin 2017, ont été démis de leurs fonctions. Les membres du PSNC siégeant à l’Assemblée nationale ont été remplacés par des personnes non élues. Par la suite, lors des élections indirectes au Sénat du 25 février 2018, le Parti du peuple cambodgien (ci-après le «PPC»), qui était au pouvoir, a remporté tous les sièges en jeu (6). Du fait de la dissolution du PSNC, le pays ne comptait plus aucune opposition digne de ce nom à l’approche des élections nationales du 29 juillet 2018, lors desquelles le PPC a remporté les 125 sièges de l’Assemblée nationale, ce qui a donné naissance de facto à un État monopartite sans opposition parlementaire.

    2.1.2.    Position du Cambodge

    (19)

    Le Cambodge fait valoir que la LPP modifiée s’applique indifféremment à tous les partis politiques, répond à toutes les exigences essentielles que doit remplir tout pays démocratique et vise à prévenir les abus contraires aux principes démocratiques fondamentaux.

    (20)

    Le Cambodge justifie l’arrestation de Kem Sokha en invoquant l’article 443 du code pénal, qui condamne le crime de conspiration avec une puissance étrangère, et prétend posséder la preuve que M. Kem Sokha complotait pour renverser le gouvernement (7). Il fait valoir que, puisque M. Sokha était président du PSNC, son parti était impliqué dans son acte de trahison, d’où sa dissolution forcée.

    (21)

    En outre, le Cambodge affirme que la décision de la Cour suprême du 16 novembre 2017 ordonnant la dissolution du PSNC a été prise par un État souverain, et que l’exécution des décisions judiciaires nationales relève des affaires intérieures d’un État souverain attaché au respect de l’état de droit.

    (22)

    En ce qui concerne les élections du 29 juillet 2018, le Cambodge souligne que l’enregistrement de 20 partis politiques et la participation de 6 956 900 électeurs prouvent clairement que les modifications apportées à la LPP et la redistribution des sièges qui en a résulté n’ont pas privé les Cambodgiens de leur droit de participer à la direction des affaires politiques. La constatation relative à la violation de l’article 25 du PIDCP ne serait donc pas justifiée.

    2.1.3.    Évaluation

    Modifications de la LPP

    (23)

    Les modifications apportées à la LPP en 2017 introduisent notamment des dispositions qui établissent un large pouvoir d’appréciation permettant de dissoudre les partis politiques et d’interdire aux chefs de partis d’exercer des activités politiques pour une durée indéterminée, et ce, sans avoir à suivre une procédure régulière (8).

    (24)

    En vertu de l’article 38 de la LPP, le ministère de l’intérieur dispose d’un large pouvoir décisionnel à l’égard des partis politiques, dont il est, de facto, l’administrateur. Par exemple, il peut décider de suspendre les activités d’un parti politique et demander à la Cour suprême de dissoudre ce parti. Étant donné que l’article 38 de la LPP n’énonce pas de critères clairs et transparents concernant ces demandes de dissolution, le ministère de l’intérieur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour proposer de dissoudre un parti.

    (25)

    Selon le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (ci-après le «HCDH») au Cambodge, le fait que le ministère de l’intérieur soit désigné comme étant l’administrateur des partis politiques est «contraire aux normes internationales qui exigent que les autorités réglementaires soient indépendantes de l’exécutif afin de garantir des conditions identiques pour tous sur le terrain politique» (9). En outre, comme l’a fait remarquer la rapporteuse spéciale des Nations unies, les modifications législatives et la redistribution des sièges qui en a résulté ont privé «des millions de Cambodgiens de leur droit de participer à la vie politique. Dans les circonscriptions où le PSNC a remporté les élections, les candidats de ce parti qui avaient été élus lors des élections de 2013 à l’Assemblée nationale et des élections communales de 2017 ont été remplacés par des représentants d’autres partis politiques, ce qui a également eu des conséquences lors de l’élection des sénateurs. La situation suscite de graves préoccupations quant au droit de prendre part à la direction des affaires politiques, qui implique le droit d’être représenté par des représentants qui ont été choisis» (10).

    (26)

    En janvier 2019, le Cambodge a modifié l’article 45 de la LPP de manière à y introduire une disposition permettant aux personnes interdites d’activité politique de demander au roi de faire rétablir leurs droits politiques en adressant une demande au Premier Ministre. Or, cette modification ne permet pas de rétablir intégralement les droits politiques des personnes faisant l’objet de l’interdiction, étant donné que celles-ci ne peuvent pas reprendre concrètement leurs activités politiques tant que le PSNC lui-même reste dissous. Qui plus est, c’est à leurs opposants politiques, et non à un organe indépendant, qu’incombe la décision de rétablir les droits politiques. Enfin, la modification de l’article 45 de la LPP ne règle pas la question des 5 007 conseillers communaux élus du PSNC qui ont été démis de leurs fonctions (11).

    (27)

    Compte tenu de ce qui précède, la Commission estime que la LPP, telle que modifiée en 2017, contient des dispositions contraires aux principes énoncés à l’article 25 du PIDCP.

    Dissolution du PSNC et arrestation de Kem Sokha

    (28)

    Le Cambodge soutient que le PSNC a été dissous parce que son chef, Kem Sokha, s’est rendu coupable de conspiration avec une puissance étrangère. Or, la Commission constate que le PSNC a été dissous avant même le début du procès de Kem Sokha. Elle fait observer que la rapporteuse spéciale des Nations unies a exprimé de vives préoccupations quant aux preuves qui ont motivé la dissolution du PSNC par la Cour suprême (12) et à la gravité de l’accusation fondée sur ces preuves (13).

    (29)

    Selon le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, la privation de liberté de Kem Sokha était motivée par des considérations politiques (14) et résultait de l’exercice de son droit à la liberté d’opinion et d’expression ainsi que de son droit de prendre part au gouvernement de son pays et à la direction des affaires publiques. À ce titre, elle était contraire aux articles 19 et 25 du PIDCP, notamment (15). La rapporteuse spéciale des Nations unies a elle aussi exprimé la crainte que Kem Sokha ait été arrêté pour des raisons politiques à l’approche des élections législatives de 2018 (16).

    (30)

    La dissolution du PSNC a eu pour effet de restreindre le droit de participer à la direction des affaires publiques de 118 de ses membres, de 55 membres du PSNC siégeant à l’Assemblée nationale et de 5 007 conseillers locaux et communaux élus, qui ont été démis de leurs fonctions. Comme l’a noté la rapporteuse spéciale des Nations unies, la dissolution du PSNC et l’interdiction d’exercer des activités politiques dont font l’objet ses membres remettent en cause l’authenticité des élections législatives du 29 juillet 2018 (17).

    (31)

    Les organes de surveillance des Nations unies ont tous exprimé des préoccupations à ce sujet et ont constaté que la redistribution des sièges du PSNC à d’autres partis, en particulier à l’échelon communal, privait les Cambodgiens de leur droit à la participation politique (18). Le rapport de 2018 de la rapporteuse spéciale des Nations unies conclut également que le retour en arrière dans le domaine des droits politiques au Cambodge, dont l’introduction dans la Constitution de dispositions relatives au crime de lèse-majesté, constitue une situation «grave», visant à faire taire les voix de l’opposition et entraînant une restriction importante des libertés fondamentales (19).

    (32)

    Depuis le lancement de la procédure de retrait temporaire en février 2019, la situation des droits politiques au Cambodge ne s’est guère améliorée. Le paysage politique cambodgien reste dominé par la répression des droits politiques. Le PSNC reste interdit, les droits politiques de ses partisans et de ses membres continuent d’être bafoués et le PPC a consolidé sa domination écrasante sur les institutions publiques (20). Presque tous les postes de chefs de commune et conseillers communaux du PSNC ont été confiés à des membres non élus du PPC (21). Malgré la levée, le 10 novembre 2019, du contrôle judiciaire auquel était soumis le chef de l’opposition Kem Sokha, les charges pesant contre celui-ci n’ont pas été abandonnées, et il encourt toujours des poursuites pénales. En outre, il lui est interdit d’exercer quelque activité politique que ce soit.

    2.1.4.    Conclusions sur l’article 25 du PIDCP

    (33)

    À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, la Commission estime que les mesures prises par le Cambodge depuis 2017, notamment les modifications apportées à la LPP ainsi que la dissolution du PSNC et la redistribution de ses sièges au sein de l’Assemblée nationale et des conseils locaux, nuisent gravement à la démocratie, à la participation politique et au pluralisme au Cambodge. Ces actes témoignent de l’existence d’un régime motivé par des considérations politiques, caractérisé par des mesures législatives, judiciaires et administratives conçues pour restreindre la participation politique et les droits électoraux, a fortiori à l’approche des élections générales de juillet 2018. Ils ont empêché les Cambodgiens d’exercer pleinement leurs droits politiques, y compris le droit de participer à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élus lors de véritables élections périodiques et d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de leur pays, comme le prévoit l’article 25 du PIDCP.

    (34)

    La Commission en conclut que la nature des droits enfreints ainsi que la durée, l’ampleur et les répercussions des violations constatées établissent l’existence de violations graves et systématiques par le Cambodge des principes énoncés à l’article 25 du PIDCP, au sens de l’article 19, paragraphe 1, point a), du règlement SPG.

    2.2.    Le droit à la liberté d’expression (article 19 du PIDCP)

    (35)

    L’article 19 du PIDCP dispose:

    «1.

    Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

    2.

    Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

    3.

    L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:

    a)

    au respect des droits ou de la réputation d’autrui;

    b)

    à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.»

    (36)

    Dans son observation générale no 34 sur le PIDCP, le Comité des droits de l’homme a estimé que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont étroitement liées, sont «essentielles» pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (22). Elles exigent aussi une presse et d’autres organes d’information libres, en mesure de commenter toute question publique sans censure ni restriction, et capables d’informer l’opinion publique.

    2.2.1.    Constatations

    (37)

    La législation du Cambodge contient certaines dispositions contraires aux obligations qui incombent à ce pays en vertu de l’article 19 du PIDCP, notamment des dispositions libellées en des termes généraux et vagues qui donnent aux autorités cambodgiennes une large marge d’appréciation pour appliquer ces lois et réglementations et entamer des poursuites pour infractions liées à l’exercice de la liberté d’expression. Au nombre de ces lois et dispositions figurent les modifications apportées à la Constitution cambodgienne en 2018, la disposition relative au crime de lèse-majesté inscrite dans le code pénal, la loi sur la presse, la loi électorale, la loi sur les télécommunications, la loi sur les associations et les organisations non gouvernementales, la loi sur les partis politiques, la loi sur les syndicats et le prakas no 170 relatif au contrôle des publications réalisées via l’internet sur les sites web et les réseaux sociaux au Royaume du Cambodge.

    (38)

    De surcroît, la Commission note que des journalistes ont été arrêtés, emprisonnés, accusés et inculpés, que le journal Cambodia Daily a été fermé à la suite d’un contrôle fiscal, et que Radio Free Asia et Voice of America, ainsi que d’autres fréquences de radio, ont elles aussi cessé leurs activités. Des journalistes ont été accusés ou emprisonnés sans raison apparente autre que le fait qu’ils auraient critiqué ouvertement le gouvernement cambodgien ou se seraient livrés à des activités de sensibilisation.

    (39)

    Plusieurs instances de surveillance internationales se sont également émues de cette situation. Dans sa déclaration de fin de mission du 5 mai 2019 sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, la rapporteuse spéciale des Nations unies a appelé le pays à «laisser davantage de place à une presse libre, et notamment une certaine marge de manœuvre aux journalistes indépendants». Le rapport 2019 du groupe de travail des Nations unies sur l’examen périodique universel (EPU) invitait instamment le Cambodge à libérer immédiatement toutes personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement le droit à la liberté d’expression et de réunion, à protéger les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les membres de l’opposition politique et les syndicalistes contre le harcèlement, la détention arbitraire et les violences physiques et à garantir un espace civique libre, en ligne et hors ligne, leur permettant de s’exprimer librement sans craindre des poursuites en vertu du Code pénal et de la loi sur les télécommunications (23). Le 18 avril 2019, le Cambodge a accepté la plupart de ces recommandations.

    (40)

    La multiplication, en 2019, des actions en justice contre d’anciens membres du PSNC montre que la loi est utilisée et détournée, de manière grave et systématique, pour cibler, intimider et harceler les personnes qui exercent leurs libertés fondamentales, notamment le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et le droit à la liberté d’expression. Les Cambodgiens contestataires sont réduits au silence et privés de leur droit à la liberté d’expression, de plus en plus souvent sur les médias sociaux et les plateformes en ligne. Ils sont menacés, intimidés ou passibles de poursuites pénales dès qu’ils expriment le moindre désaccord, y compris moyennant le recours à la disposition relative au crime de lèse-majesté introduite dans le code pénal il y a plus d’un an (24).

    2.2.2.    Position du Cambodge

    (41)

    Le Cambodge estime que les mesures ci-dessus prises contre les journalistes et les médias sont justifiées par l’application de ses dispositions législatives et réglementaires nationales en matière de fiscalité et de licences de radiodiffusion. Il souligne qu’une multitude d’organismes de presse sont actuellement enregistrés et en activité sur son territoire et ajoute qu’il a autorisé plusieurs radios à reprendre leurs activités et accordé aux radiodiffuseurs la permission de fournir du temps d’antenne.

    (42)

    En outre, le Cambodge évoque des évolutions législatives récentes, dont la mise en place d’un comité chargé d’examiner les modifications qui pourraient être apportées à la loi sur la presse et des travaux interministériels en cours sur un projet de loi concernant l’accès à l’information.

    2.2.3.    Analyse

    (43)

    Le recours à des lois pour restreindre le droit à la liberté d’expression est un sujet de grave préoccupation. Le 19 juin 2019, les experts des Nations unies, y compris le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, ont fait part de leurs craintes quant à l’utilisation du droit pénal pour cibler la liberté d’expression, tant en ligne que hors ligne, et ont rappelé au Cambodge que le droit à la liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et juste et que les restrictions à la liberté d’expression doivent être limitées et strictement définies. En outre, les actions en justice intentées par les autorités cambodgiennes contre des particuliers parce que ceux-ci ont simplement déclaré soutenir des dirigeants politiques ne sont pas autorisées en vertu de l’article 19, paragraphe 3, du PIDCP et constituent donc des restrictions injustifiées. La position du Cambodge, en particulier sa description du paysage médiatique national, contraste fortement avec son classement à la 143e position du classement mondial de la liberté de la presse. Le 8 novembre 2019, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge a rappelé au Cambodge que les arrestations fondées sur l’exercice des libertés d’opinion et d’expression dans le cadre du discours politique et de la réaction aux affaires publiques ne sont pas autorisées.

    (44)

    Conformément à de nombreux rapports mis à disposition par des entités de la société civile et des organismes internationaux de défense des droits de l’homme, la Commission estime également que le Cambodge a restreint le droit à la liberté d’expression en recourant à des lois et à des actions judiciaires et administratives, notamment des actions contre des journalistes, la presse ou d’autres médias, de même que contre des ONG et des particuliers, y compris des défenseurs des droits de l’homme. La Cambodge n’a pas pris de mesures concrètes pour remédier à ces lacunes, pas plus qu’il n’a agi pour mettre effectivement en œuvre les recommandations de l’EPU, bien qu’il les ait acceptées en ce qui concerne l’indépendance des médias et la liberté d’expression des journalistes (25).

    (45)

    Le fait que le Cambodge s’est engagé à réviser et/ou à modifier un certain nombre de ses lois, y compris à l’occasion de l’EPU de 2019, et qu’il a pris un certain nombre de mesures administratives en vue d’un tel réexamen et/ou de telles modifications depuis l’ouverture de la procédure de retrait temporaire n’a jusqu’à présent pas donné lieu à des progrès tangibles pour mettre le droit du Cambodge en conformité avec ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, en particulier l’article 19 du PIDCP.

    (46)

    La Commission rappelle que, si le droit à la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions, celles-ci doivent satisfaire aux conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 3, du PIDCP, y compris la condition selon laquelle toute restriction doit être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée. Toutefois, la Commission estime que le Cambodge n’a pas suffisamment démontré que les restrictions au droit à la liberté d’expression énoncées dans son cadre juridique et dans la mise en œuvre de celui-ci remplissent les conditions énoncées à l’article 19 du PIDCP.

    2.2.4.    Conclusions relatives à l’article 19 du PIDCP

    (47)

    Compte tenu de la nature des droits enfreints et de la durée, de l’ampleur et de l’incidence des violations, la Commission constate que le recours, par le Cambodge, à sa législation et à ses actions judiciaires et administratives pour restreindre le droit à la liberté d’expression, de même que son incapacité de prendre les mesures nécessaires pour garantir un espace civique libre, constitue une violation grave et systématique des principes énoncés à l’article 19 du PIDCP, au sens de l’article 19, paragraphe 1, point a), du règlement SPG.

    2.3.    Droit à la liberté d’association et de réunion pacifique (articles 21 et 22 du PIDCP)

    (48)

    L’article 21 du PIDCP dispose que le droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.

    (49)

    L’article 22 du PIDCP dispose que:

    «1.

    Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts.

    2.

    L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.

    3.

    Aucune disposition du présent article ne permet aux États parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte — ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte — aux garanties prévues dans ladite convention.»

    2.3.1.    Constatations

    (50)

    Le Cambodge a mis en place une loi sur les organisations non gouvernementales (ci-après la «LANGO»), qui impose un certain nombre de restrictions à l’enregistrement des associations et à leurs activités, ainsi que des obligations étendues en matière de déclaration. Plus précisément, l’article 8 de la LANGO contient des motifs généraux permettant de restreindre l’enregistrement des organisations de la société civile (ci-après les «OSC»). L’article 9 de la LANGO oblige celles-ci à s’inscrire pour être autorisées à exercer une activité. L’article 25 de la LANGO, en liaison avec son article 30, institue des obligations de déclaration, dont certaines ne sont pas claires, en imposant aux OSC des restrictions qui vont au-delà de ce qui est autorisé en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP. En outre, l’exigence de neutralité (26) prévue à l’article 24 de la LANGO n’est pas définie et son application n’est pas claire. Enfin, la LANGO autorise la suspension ou la radiation d’une OSC en cas de non-respect de son propre statut même lorsqu’un tel manquement ne constitue pas un délit au sens du droit cambodgien.

    (51)

    Outre l’imprécision et le manque de clarté de son cadre juridique en vertu de la LANGO, il convient de relever que le Cambodge a pris un certain nombre de mesures visant à réprimer l’exercice de la liberté d’association. En particulier, les arrestations et les détentions de militants clés de la société civile, ainsi que de défenseurs des droits fonciers et de l’environnement, ont entraîné, et ce en dépit de la suspension des peines ou d’une grâce royale, un rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile (27). Nonobstant l’abrogation, en novembre 2018, du préavis de trois jours pour les manifestations de la société civile, la Commission a été informée par des OSC, y compris lors d’une mission au Cambodge en juin 2019, que les organisations en question continuent de faire l’objet d’un suivi et d’un harcèlement intrusifs de la part de la police locale, de l’armée et de l’appareil judiciaire. Certaines OSC ont indiqué que les familles de leurs membres étaient surveillées par les pouvoirs publics.

    (52)

    Cette situation est confirmée par les conclusions et recommandations du rapport de juillet 2019 sur le rôle et les réalisations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) au Cambodge (28), dans lequel le HCDH confirme avoir été informé que les activités des OSC étaient étroitement surveillées par la police et invite le Cambodge à accorder plus d’espace aux OSC. De telles préoccupations sont également référencées dans le rapport de 2019 relatif à l’examen périodique universel (ci-après l’«EPU»). Le Cambodge a accepté les recommandations de l’EPU visant à encourager le pays à cesser tout type de harcèlement, d’intimidation, de recours à la force et d’ingérence arbitraire dans les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique (29).

    2.3.2.    Position du Cambodge

    (53)

    Le Cambodge justifie ses actions par le fait que les autorités locales doivent garantir la sécurité et l’ordre public et que les OSC en question menaient des activités anticonstitutionnelles ou transmettaient des messages qui enfreignent la loi.

    (54)

    Le Cambodge confirme son engagement à réexaminer la LANGO et indique que des consultations sont en cours avec les OSC et que, dans tout pays démocratique, ce processus nécessite du temps.

    (55)

    Le Cambodge ajoute que les travaux préparatoires relatifs à un projet de loi sur l’accès à l’information se déroulent en coopération totale avec les organisations relevant des Nations unies, telles que le HCDH et le bureau de l’Unesco à Phnom Penh. En outre, le Cambodge a accordé aux OSC des délais plus longs pour procéder à leur enregistrement fiscal et s’acquitter de leurs obligations fiscales.

    2.3.3.    Analyse

    (56)

    En 2015, le HCDH avait déjà fait part de ses inquiétudes quant à la LANGO et à ses répercussions sur la capacité des OSC et des personnes physiques d’agir en matière de défense des droits de l’homme et de promouvoir la transparence et la responsabilité. Ces préoccupations ont été réitérées par le porte-parole du HCDH en août 2017. La question des lacunes de la LANGO a été soulevée par la Commission et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), notamment lors de la mission de surveillance de 2018, ainsi que par la communauté internationale, par exemple dans le cadre de l’EPU de 2019, et par le secrétaire général de l’ONU ainsi que la rapporteuse spéciale des Nations unies.

    (57)

    Même si le Cambodge a pris certaines mesures positives, telles que la mise en place d’un processus de révision de la LANGO, l’organisation de dialogues avec les OSC et l’abrogation du préavis obligatoire de trois jours pour les manifestations de la société civile, la Commission considère, sur la base de ses constatations, que ces mesures ne suffisent pas à combler les lacunes existantes. En particulier, le cadre juridique du Cambodge reste inchangé et il n’y a pas de mise en œuvre concrète des politiques et des déclarations relatives à la promotion et à la protection de l’espace dévolu à la société civile. En outre, on continue de signaler des cas de suivi, de surveillance, de harcèlement, d’arrestation et de détention de représentants et de militants de la société civile (30).

    (58)

    Le 3 décembre 2018, le Cambodge a fait une déclaration dans laquelle il s’engage à promouvoir un véritable partenariat avec les OSC. Toutefois, en juillet 2019, le secrétaire général des Nations unies a continué d’insister auprès du Cambodge pour qu’il renforce les garanties permettant aux OSC d’exercer librement leur activité et qu’il consolide et élargisse l’espace dévolu à ces organisations. Le secrétaire général des Nations unies a également souligné l’importance de la révision de la LANGO à cet égard (31).

    (59)

    Sur la base de la législation internationale relative aux droits de l’homme et de la jurisprudence du Conseil des droits de l’homme (CDH), la Commission estime que l’article 8 et l’article 25, en liaison avec l’article 30, de la LANGO sont contraires à l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP. Les articles 9, 20 et 24 de la LANGO violent eux aussi l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP, en raison des graves préoccupations liées à leur application (32).

    (60)

    Plus précisément, la Commission estime que les motifs de limitation de l’enregistrement des associations au titre de l’article 8 de la LANGO vont au-delà de ce qui est autorisé en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP. La Commission constate également que l’article 25 de la LANGO, en liaison avec son article 30, impose aux OSC des obligations de déclaration qui vont au-delà de celles qui sont autorisées en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP. En outre, la formulation vague et l’application peu claire de l’exigence de neutralité énoncée à l’article 24 de la LANGO ne satisfont pas aux exigences de l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP.

    2.3.4.    Conclusions relatives aux articles 21 et 22 du PIDCP

    (61)

    Compte tenu de la nature des droits enfreints, de la durée, de l’ampleur et de l’incidence des violations, la Commission constate que le recours, par le Cambodge, à sa législation et à ses actions judiciaires et administratives pour restreindre le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, de même que son incapacité de prendre les mesures nécessaires pour garantir un espace civique libre, constitue une violation grave et systématique des principes énoncés aux articles 21 et 22 du PIDCP, au sens de l’article 19, paragraphe 1, point a), du règlement SPG.

    (62)

    La Commission rappelle que, si le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique peut être soumis à certaines restrictions, celles-ci doivent satisfaire aux conditions énoncées à l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP, y compris la condition selon laquelle les restrictions définies dans une société démocratique «doivent répondre à des critères de nécessité et de proportionnalité». Toutefois, la Commission estime que le Cambodge n’a pas suffisamment démontré que les restrictions au droit à la liberté d’association et de réunion pacifique imposées ou prévues par sa législation remplissent les conditions énoncées à l’article 22 du PIDCP (33).

    3.   QUESTIONS EN SUSPENS DANS LE CADRE DES CONVENTIONS No 87 ET No 98 DE L’OIT, AINSI QUE DU PIDESC

    3.1.    Droits des travailleurs — liberté syndicale, protection du droit syndical et négociation collective (articles 2, 3, 4 et 7 de la convention no 87 de l’OIT; articles 1 et 3 de la convention no 98 de l’OIT; articles 19, 21 et 22 du PIDCP; articles 7 et 8 du PIDESC)

    (63)

    La Commission prend acte des informations et de la mise à jour fournies par le Cambodge en ce qui concerne les questions relatives aux droits des travailleurs énoncées dans l’avis d’ouverture.

    (64)

    La Commission note que les mesures prises par le Cambodge depuis le lancement de la procédure de retrait temporaire en février 2019 montrent que certaines améliorations ont été apportées en matière de droits des travailleurs. Toutefois, de graves lacunes et violations subsistent sur deux points, à savoir la clôture des procès civils et pénaux visant des responsables syndicaux et les enquêtes sur les meurtres de responsables syndicaux, telles que les recommande l’OIT.

    (65)

    La Commission estime qu’indépendamment des progrès considérables accomplis dans le règlement des nombreux litiges civils, pénaux et non résolus concernant les droits des travailleurs engagés à l’encontre de dirigeants syndicaux, de militants et de travailleurs, toutes les affaires pendantes devraient être résolues sans délai. Même s’il est louable, le règlement de plusieurs affaires n’enlève rien au fait qu’il y a eu des arrestations arbitraires par le passé, quand bien même elles étaient de courte durée.

    (66)

    La Commission note l’absence de résultats concrets dans les enquêtes sur les meurtres de dirigeants syndicaux commis en 2004 et 2007. En outre, ces enquêtes sont toujours ouvertes, malgré l’engagement pris par le Cambodge de traduire les auteurs en justice le plus rapidement possible, et malgré l’organisation de la réunion tripartite ad hoc convoquée en janvier 2019 par le Comité national de suivi de l’application des conventions internationales du travail ratifiées par le Cambodge ainsi que de la réunion interministérielle de février 2019.

    (67)

    La Commission estime que les affaires non résolues engagées au civil et au pénal à l’encontre de dirigeants syndicaux, de même que l’inachèvement des enquêtes indépendantes sur les meurtres de dirigeants syndicaux, constituent une violation grave des principes du droit à la liberté d’association consacrés par les conventions fondamentales no 87 et no 98 de l’OIT, ainsi que des articles 19, 21 et 22 du PIDCP.

    (68)

    La Commission considère également qu’un nouveau cycle de négociations avec les partenaires sociaux visant à poursuivre la révision de la loi sur les syndicats (ci-après la «LTU») devrait être lancé sans délai. Cette révision devrait porter en priorité sur l’ouverture du champ d’application de la LTU à l’ensemble des travailleurs et des fonctionnaires, les dispositions complémentaires destinées à faciliter l’enregistrement des syndicats et des associations d’employeurs, ainsi que la protection contre tous les actes de discrimination antisyndicale, le but étant d’assurer la pleine conformité de la LTU avec les conventions no 87 et no 98 de l’OIT.

    3.2.    Non-discrimination, droits fonciers et droit de logement [articles 2, paragraphe 2, et article 11, paragraphe 1, du PIDESC]

    (69)

    La Commission prend note des informations et des mises à jour fournies par le Cambodge en ce qui concerne les titres fonciers, y compris la reconnaissance de la situation des populations autochtones dans le pays. La Commission note que le Cambodge a accompli des progrès tangibles dans la résolution des litiges fonciers concernant des concessions foncières économiques dans le secteur du sucre depuis l’ouverture de la procédure de retrait temporaire. Toutefois, des lacunes subsistent dans les domaines de l’enregistrement des terres, des dispositions en matière de titres de propriété et de la prise en considération des questions liées aux droits des communautés autochtones, et il n’y a toujours pas de réexamen approprié et impartial. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour mettre en place un cadre juridique approprié garantissant des mécanismes transparents et inclusifs en matière de règlement des différends fonciers.

    4.   CONCLUSIONS

    (70)

    Conformément à l’article 19, paragraphe 1, point a), du règlement SPG, les préférences tarifaires dans le cadre des régimes préférentiels visés à l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement peuvent être retirées temporairement pour violation grave et systématique des principes énoncés dans les principales conventions de l’ONU/OIT relatives aux droits de l’homme et aux droits des travailleurs.

    (71)

    Compte tenu des faits et considérations décrits aux points 2.1, 2.2 et 2.3, de la nature des droits enfreints et de la durée, de l’ampleur et de l’incidence des actions et des omissions du Cambodge, la Commission constate des violations graves et systématiques par le Cambodge des principes énoncés aux articles 19, 21, 22 et 25 du PIDCP.

    (72)

    En conséquence, et après avoir examiné les observations et points de vue du Cambodge, la Commission considère que le régime préférentiel accordé au Cambodge devrait être temporairement retiré jusqu’à ce qu’il soit décidé que les raisons justifiant le retrait n’existent plus.

    (73)

    Afin de déterminer quels produits devraient être concernés par ce retrait, la Commission tient compte des besoins du Cambodge en matière de développement économique et des objectifs du règlement SPG, notamment la nécessité pour le Cambodge de diversifier sa base d’exportation. En outre, la Commission tient compte des conséquences socio-économiques du retrait, y compris de l’incidence sur les travailleurs et les industries.

    (74)

    La Commission tient également compte des progrès accomplis par le Cambodge depuis l’ouverture de la procédure de retrait temporaire. Enfin, la Commission prend acte de la coopération positive avec le Cambodge tout au long du processus.

    (75)

    Par conséquent, la Commission conclut que les préférences tarifaires au titre du règlement SPG devraient être retirées pour certains produits originaires du Cambodge. Ces produits relèvent des codes du système harmonisé (SH) suivants: 1212 93, 4201 00, 4202, 4203, 4205 00, 4206 00, 6103 41, 6103 43, 6103 49, 6105, 6107, 6109, 6115 10, 6115 21, 6115 22, 6115 29, 6115 95, 6115 96, 6115 99, 6203 41, 6203 43, 6203 49, 6205, 6207, 6211 32, 6211 33, 6211 39, 6211 42, 6211 43, 6211 49, 6212, 6403 19, 6403 20, 6403 40, 6403 51, 6403 59, 6403 91, 6403 99, 6405 et 6406.

    (76)

    La Commission continuera à suivre la situation au Cambodge, notamment en ce qui concerne les droits civiques et politiques, les droits des travailleurs et les droits fonciers et de logement. La Commission peut modifier le retrait des préférences tarifaires. Au cas où le Cambodge remédierait complètement aux problèmes décrits dans le présent règlement délégué, la Commission pourrait rétablir les préférences tarifaires conformément à l’article 20 du règlement SPG,

    A ADOPTÉ LE PRÉSENT RÈGLEMENT:

    Article premier

    Le règlement (UE) no 978/2012 est modifié comme suit:

    1)

    À l’annexe II, sous l’intitulé «Pays bénéficiaires du régime général visé à l’article 1er, paragraphe 2, point a), qui font l’objet d’un retrait temporaire du régime en ce qui concerne tout ou partie des produits originaires de ces pays», le texte et le tableau sont remplacés par le texte suivant:

    «Colonne A: code alphabétique, selon la nomenclature des pays et des territoires pour les statistiques du commerce extérieur de l’Union

    Colonne B: nom du pays

    Colonne C: codes SH des produits pour lesquels les préférences tarifaires visées à l’article 1er, paragraphe 2, point a), sont temporairement retirées

    A

    B

    C

    KH

    Cambodge

    4201 00 , 4202, 4203, 4205 00 , 4206 00 , 6103 41 , 6103 43 , 6103 49 , 6105, 6107, 6109, 6115 10 , 6115 21 , 6115 22 , 6115 29 , 6115 95 , 6115 96 , 6115 99 , 6203 41 , 6203 43 , 6203 49 , 6205, 6207, 6211 32 , 6211 33 , 6211 39 , 6211 42 , 6211 43 , 6211 49 , 6212, 6403 19 , 6403 20 , 6403 40 , 6403 51 , 6403 59 , 6403 91 , 6403 99 , 6405, 6406»

    2)

    À l’annexe IV, après le premier tableau figurant sous l’intitulé «Pays bénéficiaires du régime spécial en faveur des pays les moins avancés visé à l’article 1er, paragraphe 2, point c)», le texte et le tableau sont remplacés par le texte suivant:

    «Pays bénéficiaires du régime spécial en faveur des pays les moins avancés visé à l’article 1er, paragraphe 2, point c), qui font l’objet d’un retrait temporaire du régime en ce qui concerne tout ou partie des produits originaires de ces pays

    Colonne A: code alphabétique, selon la nomenclature des pays et des territoires pour les statistiques du commerce extérieur de l’Union

    Colonne B: nom du pays

    Colonne C: codes SH des produits pour lesquels les préférences tarifaires visées à l’article 1er, paragraphe 2, point c), sont temporairement retirées:

    «A

    B

    C

    KH

    Cambodge

    1212 93 , 4201 00 , 4202, 4203, 4205 00 , 4206 00 , 6103 41 , 6103 43 , 6103 49 , 6105, 6107, 6109, 6115 10 , 6115 21 , 6115 22 , 6115 29 , 6115 95 , 6115 96 , 6115 99 , 6203 41 , 6203 43 , 6203 49 , 6205, 6207, 6211 32 , 6211 33 , 6211 39 , 6211 42 , 6211 43 , 6211 49 , 6212, 6403 19 , 6403 20 , 6403 40 , 6403 51 , 6403 59 , 6403 91 , 6403 99 , 6405, 6406»

    Article 2

    Le retrait temporaire visé à l’article 1er, points 1 et 2, ne s’applique pas aux importations de produits qui sont déjà en cours vers l’Union à la date du 12 août 2020, à condition que la destination de ces produits ne puisse pas être modifiée. Dans ce cas, un justificatif valable sera requis sous la forme d’un connaissement.

    Article 3

    Le présent règlement entre en vigueur le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

    Il est applicable à compter du 12 août 2020.

    Le présent règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.

    Fait à Bruxelles, le 12 février 2020.

    Par la Commission

    La présidente

    Ursula VON DER LEYEN


    (1)  JO L 303 du 31.10.2012, p. 1.

    (2)  JO C 55 du 12.2.2019, p. 11.

    (3)  Ces accusations s’appuient sur un enregistrement vidéo de 2013, dans lequel Kem Sokha décrivait une stratégie permettant de remporter des votes avec l’aide d’experts étrangers. Voir UA KHM 5/2017, 8 septembre 2017. Voir aussi A/HRC/39/73/Add.1, 7 septembre 2018.

    (4)  Le 9 décembre 2019, un tribunal cambodgien a annoncé que le procès de Kem Sokha s’ouvrirait le 15 janvier 2020.

    (5)  A/HRC/39/73/Add.1, point 20.

    (6)  58 des 62 sénateurs sont élus au scrutin indirect par les membres des conseils communaux. Les quatre autres sont nommés par le roi et l’Assemblée nationale.

    (7)  Le Cambodge soutient que la culpabilité de Kem Sokha est démontrée par une vidéo dans laquelle celui-ci aurait reconnu agir sous les ordres d’une puissance étrangère et s’être fixé pour objectif ultime de renverser le numéro un du gouvernement.

    (8)  Voir le rapport conjoint de l’EPNU sur le Cambodge dans le cadre du troisième cycle de l’EPU au Cambodge, point 11.

    (9)  HCDH, A human rights analysis of the amended law on political parties (Analyse de la loi modifiée sur les partis politiques au regard des droits de l’homme), 28 mars 2017.

    (10)  Conseil des droits de l’homme, rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, A/HRC/39/73, point 76 (2018).

    (11)  A/HRC/42/60, point 7.

    (12)  A/HRC/39/73/Add.1, point 20.

    (13)  UA KHM 5/2017, 8 septembre 2017.

    (14)  Conseil des droits de l’homme des Nations unies, avis adoptés par le groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-unième session (17-26 avril 2018), A/HRC/WGAD/2018/9, point 57.

    (15)  A/HRC/WGAD/2018/9, points 47 et 61.

    (16)  UA KHM 5/2017, 8 septembre 2018.

    (17)  A/HRC/39/73/Add.1 du 15 août 2018, point 87.

    (18)  Idem, points 23 et 87.

    (19)  A/HRC/39/73, point 89.

    (20)  Voir aussi A/HRC/42/60, 27 août 2019, point 71.

    (21)  Idem, point 5.

    (22)  Comité des droits de l’homme des Nations unies, Observation générale no 34, Article 19: Liberté d’opinion et liberté d’expression, CCPR/C/GC/34, 11 (12 septembre 2011).

    (23)  Conseil des droits de l’homme des Nations unies, rapport du groupe de travail sur l’examen périodique universel – Cambodge, A/HRC/41/17, p. 11 et suivantes, notamment les recommandations 110.12, 110.27, 110.29, 110.81, 110.83, 110.85, 110.87, 110.91, 110.93, 110.94, 110.96, 110.98 et 110.99 (5 avril 2019).

    (24)  Voir, à cet égard, la déclaration de la rapporteuse spéciale des Nations unies du 8 novembre 2019.

    (25)  A/HRC/41/17/Add. 1.

    (26)  L’article 24 de la LANGO prévoit que les OSC maintiennent leur neutralité à l’égard des partis politiques au sein du Royaume du Cambodge.

    (27)  A/HRC/39/73/Add.1, page 9.

    (28)  HCDH (31 juillet 2019) — Rapport annuel du HCDH sur ses travaux au Cambodge.

    (29)  Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies, Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel — Cambodge, A/HRC/41/17, acronymes ajoutés. L’EPU fait notamment les recommandations suivantes: modifier la LANGO pour l’harmoniser avec les obligations qui incombent à l’État en vertu du PIDCP et instaurer des conditions sûres et favorables pour la société civile et les syndicats (notamment recommandations 110.12, 110.25 et 110.102); protéger les ONG, en veillant à ce que les dispositions administratives de la LANGO ne servent pas à les fermer ou les supprimer, ou à leur porter préjudice (recommandation 110.28); prendre toutes mesures pour protéger et soutenir journalistes, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes, militants en faveur des droits fonciers et environnementaux et autres intervenants de la société civile, ainsi que membres de l’opposition politique (recommandation 110.85); prendre les mesures requises pour que le droit à la liberté de réunion et d’association ne se heurte pas à des restrictions arbitraires ou au recours excessif à la force (recommandation 110.107).

    (30)  Voir, à cet égard, la déclaration de la rapporteuse spéciale des Nations unies du 8 novembre 2019 invitant le gouvernement à respecter les droits à la liberté d’opinion, d’expression et de réunion. Voir également la lettre conjointe de la société civile adressée au Premier ministre du Cambodge, datée du 8 décembre 2019, exprimant de vives inquiétudes face à la répression, qui aboutit à réduire au silence les voix indépendantes et les critiques, et face au climat dans lequel évoluent actuellement les défenseurs des droits des travailleurs, les responsables syndicaux et les militants de la société civile.

    (31)  A/HRC/42/31 du 31 juillet 2019.

    (32)  Une analyse de la LANGO du point de vue des droits de l’homme est disponible, depuis 2015, sur le site web du bureau «Cambodge» du HCDH. Voir, par exemple, les conclusions du HCDH (pages 17 et 18) selon lesquelles l’article 24 porte atteinte à la liberté d’expression et à d’autres droits de l’homme, et l’article 25, en liaison avec l’article 30, restreint le droit à la liberté d’association au-delà de ce qui est autorisé en vertu de l’article 22, paragraphe 2, du PIDCP.

    (33)  Idem.


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