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Document 52021IE2454

    Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Repenser le cadre budgétaire de l’Union européenne pour une reprise durable et une transition juste» (avis d’initiative)

    EESC 2021/02454

    JO C 105 du 4.3.2022, p. 11–17 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

    4.3.2022   

    FR

    Journal officiel de l'Union européenne

    C 105/11


    Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Repenser le cadre budgétaire de l’Union européenne pour une reprise durable et une transition juste»

    (avis d’initiative)

    (2022/C 105/03)

    Rapporteure:

    Dominika BIEGON

    Décision de l’assemblée plénière

    25.3.2021

    Base juridique

    Article 32, paragraphe 2, du règlement intérieur

     

    Avis d’initiative

    Compétence

    Section «Union économique et monétaire et cohésion économique et sociale»

    Adoption en section

    5.10.2021

    Adoption en session plénière

    20.10.2021

    Session plénière no

    564

    Résultat du vote

    (pour/contre/abstentions)

    168/3/5

    1.   Conclusions et recommandations

    1.1.

    Une révision des règles budgétaires européennes s’impose. En effet, la crise financière de 2008-2009 avait déjà mis en évidence certaines lacunes du cadre budgétaire actuel, lequel est confronté à de plus grands défis encore en raison de la pandémie de COVID-19. Dans de précédents avis, le CESE s’était félicité du réexamen de la gouvernance économique réalisé par la Commission européenne. Dans le présent avis, il réaffirme sa position quant à la nécessité des réformes et invite la Commission européenne à poursuivre sans attendre la révision du cadre de gouvernance économique de l’Union européenne, qui est actuellement à l’arrêt. La Commission devrait présenter des lignes directrices pour une période de transition courant jusqu’à la mise en place du nouveau cadre budgétaire, pendant laquelle aucune procédure pour déficit excessif ne devrait être activée et avec la possibilité d’utiliser la «clause relative aux circonstances inhabituelles», pays par pays.

    1.2.

    Le futur cadre budgétaire doit a) renforcer les investissements publics, b) autoriser une marge de manœuvre cyclique plus importante et c) permettre davantage de flexibilité et une différenciation accrue par pays en ce qui concerne les trajectoires d’ajustement de la dette, tout en garantissant la viabilité des finances publiques. La révision du cadre budgétaire de l’Union européenne n’est pas seulement nécessaire pour stabiliser l’économie à court et à moyen terme: elle est aussi vitale pour financer la transformation socio-écologique de notre économie et garantir le plein emploi, des emplois de qualité et des transitions justes.

    1.3.

    Plus particulièrement, la principale proposition du CESE concernant la révision du cadre budgétaire consiste à introduire une règle d’or pour les investissements publics, que le Comité a déjà présentée dans de précédents avis, en combinaison avec une règle en matière de dépenses. Le CESE accueille en outre favorablement la proposition du comité budgétaire européen concernant la différenciation des trajectoires d’ajustement budgétaire par pays.

    1.4.

    Enfin, le CESE souligne que la politique budgétaire est un secteur classique de la politique parlementaire, et que les décisions prises dans ce domaine ont des répercussions sur l’ensemble de la structure des dépenses et des recettes des pouvoirs publics. Tant les parlements nationaux que le Parlement européen doivent dès lors se voir attribuer un rôle important dans le futur cadre de gouvernance économique de l’Union européenne.

    1.5.

    Dans le même ordre d’idées, il est nécessaire d’associer davantage la société civile au semestre européen, tant à l’échelon national qu’au niveau de l’Union européenne, afin de mettre en place une politique économique équilibrée, qui concilie l’ensemble des intérêts. Cette observation vaut notamment pour la gouvernance de la facilité pour la reprise et la résilience, dans le cadre de laquelle la participation de la société civile n’est pas satisfaisante (1). Afin de créer un mécanisme de participation de la société civile qui soit efficace, il y a lieu de s’inspirer du principe de partenariat, qui a été établi de longue date dans le contexte de la gouvernance des Fonds structurels et d’investissement européens.

    2.   Contexte: les nouveaux défis après la pandémie de COVID-19

    2.1.

    Les règles budgétaires européennes ont besoin d’être révisées. Avant que la crise n’éclate, le comité budgétaire européen soulignait à juste titre, dans son évaluation 2019 des règles budgétaires de l’Union (2), deux problèmes majeurs. D’une part, les règles budgétaires ont tendance à être procycliques: après la crise financière de 2008-2009, en raison des préoccupations majeures que suscitait leur viabilité, les finances publiques ont été assainies trop tôt, ce qui a conduit l’économie européenne vers une récession à double creux. D’autre part, dans l’Union européenne, les investissements publics ont été la première cible de la réduction des dépenses. Si l’on compare le taux d’investissement public moyen pour la période de 2015 à 2019 à la moyenne d’avant la crise (2005-2009), on s’aperçoit que le taux d’investissement de 20 États membres sur 27 a diminué, dans certains cas de moitié, à tel point qu’entre 2013 et 2017, la valeur du stock de capital public s’est détériorée dans la zone euro sous l’effet d’investissements publics nets négatifs.

    2.2.

    La pandémie de COVID-19 pose des défis d’autant plus importants au cadre budgétaire européen: dans nombre d’États membres, la récession économique et les mesures visant à atténuer l’impact économique et social de la pandémie ont considérablement accru les niveaux de la dette et du déficit publics (en pourcentage du PIB) (3). Selon les estimations de 2020 (4) du comité budgétaire européen, si les règles budgétaires de l’Union européenne étaient mises en œuvre sans modification après l’abandon de la clause dérogatoire générale, la trajectoire attendue de réduction du ratio de la dette pèserait de manière excessive sur certains États membres, ce qui aurait des répercussions négatives majeures sur les plans économique, social et politique, et mettrait en péril la reprise économique dans l’Union européenne.

    2.3.

    La réforme des règles budgétaires de l’Union européenne n’est pas seulement nécessaire pour stabiliser l’économie à court et à moyen termes: elle est aussi vitale pour financer la transformation socio-écologique de notre économie et garantir le plein emploi, des emplois de qualité et des transitions justes. Pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat, il est nécessaire de moderniser en profondeur le stock de capital. Une économie durable requiert une augmentation massive des investissements publics, faute de quoi les économies européennes seront confrontées à des risques budgétaires liés au climat (5). Par ailleurs, il convient de garantir la viabilité budgétaire. Dans de précédents avis, le CESE avait déjà souligné la nécessité d’introduire une règle d’or en matière d’investissements publics dans le cadre budgétaire de l’Union européenne (6). Cette demande reste valable aujourd’hui. En effet, la Commission européenne a récemment estimé le déficit de financement global à quelque 470 milliards d’euros par an jusqu’en 2030 pour permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs en matière de climat et d’environnement à cette date (7). La Commission a souligné, à juste titre, que la mobilisation du volume de financement nécessaire serait un défi politique important et que de toute évidence, les investissements publics auraient un rôle crucial à jouer, notamment pour stimuler les investissements privés. La réforme du cadre budgétaire de l’Union européenne doit tenir compte de ces considérations.

    2.4.

    Le CESE attire l’attention sur le fait que lorsque la reprise économique sera bien engagée, les États membres devront s’atteler à réduire le ratio dette/PIB afin de conserver une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour faire face à la prochaine crise économique. La règle de dépenses proposée dans le présent avis (voir paragraphes 3.3.2 et 3.3.3) permettrait en effet aux États membres d’assainir leurs finances publiques en période de conjoncture favorable.

    2.5.

    Le CESE souligne que toute révision du cadre budgétaire de l’Union européenne doit tenir compte du contexte macroéconomique actuel. Tant le FMI (8) que la Commission européenne (9) affirment que les ratios dette/PIB devraient se stabiliser à court et moyen termes en raison des taux d’intérêt bas et de la hausse des taux de croissance. La viabilité de la dette souveraine dépend du taux de croissance (réel) du PIB, du solde primaire annuel et des taux d’intérêt (réels) sur l’encours de la dette souveraine. Le CESE invite instamment la Commission européenne à tenir compte de ces facteurs lors de l’évaluation de la viabilité de la dette des États membres.

    2.6.

    Le CESE souligne par ailleurs que la viabilité des finances publiques dépend dans une large mesure de recettes publiques fiables et d’une fiscalité équitable, en ce compris, par exemple, la lutte contre la fraude fiscale et la planification fiscale agressive. En outre, les nouvelles ressources propres annoncées devraient contribuer à rendre la fiscalité ainsi que la justice sociale et climatique plus équitables. La transparence des recettes et des dépenses, l’ouverture des contrats et la participation constante de la société civile au contrôle de la gestion des finances publiques sont également nécessaires pour garantir la viabilité des finances publiques.

    2.7.

    Dans de précédents avis, le CESE avait salué le réexamen de la gouvernance économique réalisé par la Commission européenne et souligné son caractère nécessaire (10). Il avait aussi proposé que la réforme de la gouvernance économique fasse l’objet d’un débat lors de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il conviendrait de ne pas considérer comme un sujet tabou le fait d’adapter à la situation économique actuelle de l’Union européenne les dispositions sur la gouvernance économique prévues par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le CESE réitère son appel à cet égard, en particulier dans le contexte de la crise de la COVID-19. Afin d’empêcher le retour aux anciennes règles budgétaires et de réaliser la transition vers une gouvernance économique axée sur la prospérité, le CESE insiste pour que le processus de révision reprenne dès que possible (11).

    3.   Observations particulières

    3.1.   Rééquilibrer la gouvernance économique de l’Union européenne

    3.1.1.

    La politique budgétaire devrait s’inscrire dans un cadre de gouvernance plus large, équilibré et à plusieurs niveaux. Le CESE plaide en faveur d’une gouvernance économique axée sur la prospérité, qui accorde la priorité au bien-être social et économique des citoyens, de manière que personne ne soit laissé pour compte, tout en garantissant la viabilité de la dette publique. Aussi appelle-t-il de ses vœux une politique économique équilibrée, qui accorde la même importance à la réalisation de toute une série d’objectifs politiques essentiels tels que la croissance durable et inclusive, le plein emploi, le travail décent et une transition juste, une répartition équitable des revenus et des richesses, la santé publique et la qualité de vie, la durabilité environnementale, la stabilité des marchés financiers, celle des prix, l’équilibre dans les relations commerciales, une économie sociale de marché compétitive et la viabilité des finances publiques. Ces objectifs sont cohérents tant avec ceux énoncés à l’article 3 du traité sur l’Union européenne qu’avec les actuels objectifs de développement durable des Nations unies (12).

    3.1.2.

    Pour soutenir les États membres sur la voie d’une économie durable et inclusive, il ne suffit pas de leur accorder une marge de manœuvre budgétaire plus importante moyennant le respect de certaines conditions. Il faut aussi promouvoir des incitations aux réformes. L’actuel cadre de gouvernance économique de l’Union européenne repose sur trois piliers: a) la surveillance budgétaire, b) la surveillance macroéconomique et c) la coordination des politiques sociales et de l’emploi. Ce cadre met donc déjà fortement l’accent sur les réformes. Plusieurs études empiriques relèvent que même si elles prévoyaient des réformes, la plupart des recommandations par pays formulées dans le passé se concentraient sur le renforcement de la compétitivité et l’assainissement des budgets publics (13). Le CESE invite instamment les institutions de l’Union européenne à faire en sorte que les futures recommandations par pays soient davantage équilibrées: les critères budgétaires, ainsi que les objectifs climatiques de l’Union européenne et le socle européen des droits sociaux devraient aussi être des piliers essentiels de ces recommandations. Il convient d’accorder une attention particulière aux réformes qui encouragent la transition vers une économie verte et numérique (telles que les politiques actives du marché du travail et les programmes d’apprentissage tout au long de la vie, y compris les programmes de reconversion et d’aide au changement de carrière), ainsi qu’aux réformes qui garantissent une absorption efficace des fonds de l’Union européenne (par exemple, le renforcement des capacités techniques des administrations publiques pour gérer les projets d’investissement, l’efficacité des systèmes de marchés publics ouverts et les réformes visant à supprimer d’autres obstacles non monétaires à une politique d’investissement efficace).

    3.2.   Renforcer les investissements publics

    3.2.1.

    Le CESE souligne qu’il faut réformer le cadre budgétaire de l’Union européenne de manière à mieux protéger les investissements publics (14). Ceux-ci ont un effet multiplicateur particulièrement important et leur réduction a donc des effets extrêmement délétères sur la croissance économique et l’emploi. Les coupes opérées dans les dépenses publiques en général, et dans les investissements publics en particulier, sont particulièrement préjudiciables en période de ralentissement et de contraction économiques (15). En outre, de nombreuses études relèvent également que l’investissement public stimule la croissance à long terme (16). Une augmentation à long terme des investissements publics permet par ailleurs aussi de créer des conditions plus sûres pour la planification dans le secteur privé (17).

    3.2.2.

    Les éléments susmentionnés justifient une approche qui examine en priorité les investissements publics lors de l’évaluation du respect, par les États membres, des règles budgétaires de l’Union européenne. Le CESE recommande d’appliquer une «règle d’or» aux investissements publics (18) afin de préserver non seulement la productivité mais aussi la base sociale et écologique requise pour le bien-être des générations futures, tout en garantissant la viabilité budgétaire. De manière générale, le CESE propose d’appliquer, dans le cadre budgétaire révisé, la notion de «règle d’or», qui est un concept classique des finances publiques (19). Cela signifie qu’il faut exclure les investissements publics nets du calcul des déficits nominaux. Si, comme le demande le CESE (voir paragraphes 3.3.2 et 3.3.3), on applique une règle de dépenses, les investissements publics nets devraient également être exclus du plafond des dépenses publiques, tandis que les coûts d’investissement seraient répartis sur toute la durée du cycle de vie de l’investissement et non sur une période de quatre ans, comme c’est le cas actuellement. L’investissement public net accroît le stock de capital public et/ou social et procure des avantages aux générations futures (20). Celles-ci héritent du service de la dette publique mais, en échange, elles reçoivent un certain stock de capital public équivalent et augmenté.

    3.2.3.

    Le CESE souligne qu’avec la règle d’or, les investissements bénéficient d’un traitement préférentiel dans le cadre budgétaire de l’Union européenne, mais que cela ne dispense pas les gouvernements de l’obligation de justifier les projets d’investissement concernés et de dégager une majorité en leur faveur. La transparence et la responsabilité parlementaire doivent, en tout état de cause, être préservées, notamment afin de garantir que seuls les investissements publics au service du bien commun soient réalisés.

    3.2.4.

    Le CESE recommande de commencer par procéder à une révision en profondeur de la «clause d’investissement». Tout d’abord, le CESE propose que la «clause d’investissement» du pacte de stabilité et de croissance soit interprétée de manière plus souple. Elle a rarement été invoquée jusqu’à présent, essentiellement parce qu’elle fait l’objet de critères d’éligibilité restrictifs (21). Ces critères d’éligibilité devraient être assouplis: en principe, les investissements publics devraient justifier que l’on s’écarte temporairement des trajectoires d’ajustement, quelle que soit la position de l’État membre dans le cycle économique, et même si lesdits investissements entraînent un dépassement de la valeur de référence pour le déficit fixée à 3 % du PIB.

    3.2.5.

    Les écarts par rapport à l’objectif budgétaire à moyen terme (OMT) ou à la trajectoire d’ajustement en vue de la réalisation de cet objectif ne sont aujourd’hui autorisés que s’ils sont liés à des dépenses nationales ayant pour visée des projets cofinancés par l’Union européenne (22). Le CESE propose que l’on élargisse la définition des investissements. Par ailleurs, celle définition doit être claire et applicable pour éviter toute «comptabilité créative». Les lignes directrices élaborées par la Commission européenne à l’intention des États membres dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience et la définition des investissements qui y figurent sont un bon point de départ (23), étant donné qu’elles prévoient des investissements dans des actifs corporels, mais aussi dans la santé, la protection sociale, l’éducation et la formation, ainsi que des investissements ayant pour visée la transition écologique et numérique.

    3.2.6.

    Le CESE accueille favorablement la taxinomie des activités durables. Celle-ci définit clairement ce qu’est une «activité économique durable sur le plan environnemental», notion qui permet à son tour de définir les «investissements durables sur le plan environnemental» (24). Le CESE recommande dès lors d’utiliser, outre la règle d’or, la taxinomie bien développée de l’Union européenne pour les activités durables en tant que base pour évaluer la durabilité des investissements publics. Il attend en outre avec intérêt les propositions de la Commission en matière de budgétisation verte.

    3.3.   Une marge de manœuvre plus cyclique pour la politique budgétaire

    Réformer les méthodes d’ajustement cyclique ou introduire une règle de dépenses

    3.3.1.

    Le CESE souligne que la méthode d’ajustement cyclique de la Commission européenne est opaque et susceptible de générer des effets procycliques. La méthode utilisée par la Commission européenne pour déterminer le solde structurel s’est révélée problématique, car le calcul du PIB potentiel est fortement influencé par la situation économique en cours. Dans les phases de ralentissement économique, par exemple, le PIB potentiel est rapidement et fortement revu à la baisse, même si cela pourrait ne pas refléter les conditions réelles (25). La révision à la baisse du PIB potentiel a de graves conséquences sur le calcul du déficit structurel et les efforts d’assainissement qui sont dès lors jugés nécessaires. Faire en sorte que le calcul du PIB potentiel soit moins influencé par les fluctuations conjoncturelles peut ouvrir aux États membres une marge de manœuvre budgétaire considérable pour élaborer des politiques économiques contracycliques. Cette proposition de réforme pourrait être mise en œuvre facilement, et ne devrait être considérée que comme une exigence minimale pour mieux adapter les règles budgétaires de l’Union européenne aux fluctuations cycliques. Toutefois, même après une réforme, le déficit structurel restera un concept extrêmement complexe, et son calcul est pratiquement impossible à expliquer aux citoyens et aux parties prenantes. Compte tenu des problèmes techniques et de l’opacité du concept, il convient d’envisager d’autres options.

    3.3.2.

    Une autre réforme possible consiste à abandonner complètement la notion contestée de déficit structurel et à appliquer à la place une règle de dépenses publiques dans un cadre budgétaire révisé (26). Contrairement au déficit corrigé des variations conjoncturelles, les dépenses publiques peuvent être observées en temps réel et sont directement contrôlées par les pouvoirs publics. Il convient de favoriser l’investissement public en séparant le budget des dépenses courantes de celui des dépenses d’investissement et en ne limitant que la croissance nominale des dépenses du budget ordinaire. Cette approche permettrait de conjuguer la règle d’or et une règle de dépenses (27).

    3.3.3.

    Les dépenses publiques nominales seraient calculées déduction faite des paiements d’intérêts et des dépenses publiques conjoncturelles. Les limites pourraient être fixées en fonction du taux de croissance à moyen terme du PIB réel plus le taux d’inflation de 2 % que la Banque centrale européenne (BCE) a fixé comme objectif à moyen terme. Si des facteurs cycliques provoquent une baisse des recettes fiscales (en période de récession) ou une augmentation de celles-ci (en période de conjoncture élevée), la règle favorise la stabilité en faisant en sorte que les dépenses publiques n’augmentent que dans les limites fixées. Les dépenses excédant la limite prévue ne devraient être autorisées que si elles sont budgétairement neutres, c’est-à-dire si un autre poste budgétaire est amputé d’un montant équivalent ou si les recettes fiscales augmentent. Dans le cas d’une baisse fiscale générale, les taux de croissance des dépenses devraient prendre en compte cette perte de ressources. La proposition visant à associer une règle en matière de dépenses à une règle d’or concernant les investissements publics pourrait constituer un outil efficace pour limiter les dépenses publiques à des niveaux soutenables, tout en permettant aux stabilisateurs automatiques de fonctionner et aux pouvoirs publics de prendre des mesures discrétionnaires.

    Trajectoires flexibles et par pays en matière d’ajustement de la dette

    3.3.4.

    Le CESE soutient la proposition du comité budgétaire européen (2020) (28) visant à introduire des éléments propres à chaque pays dans un cadre budgétaire simplifié. En particulier, le CESE accueille favorablement la proposition consistant à adapter l’ajustement budgétaire dans les États membres, tout en faisant en sorte que la dette reste soutenable. Toute différenciation par pays des stratégies de réduction de la dette par rapport au PIB devrait reposer sur une analyse économique complète qui tienne compte de facteurs tels que le niveau initial de la dette et sa composition, les écarts entre taux d’intérêt et taux de croissance du point de vue de la viabilité, les perspectives d’inflation, les coûts prévus liés au vieillissement démographique et aux défis environnementaux, les niveaux de chômage et de pauvreté, la répartition des revenus et de la richesse, les déséquilibres internes et externes et, surtout, le caractère réaliste de l’ajustement budgétaire (par exemple, l’excédent primaire requis) (29).

    3.3.5.

    Le CESE rappelle que les valeurs de référence budgétaires ne sont pas définies à l’article 126 du TFUE lui-même, mais dans le protocole no 12 qui figure dans l’annexe au traité. Ces valeurs peuvent par conséquent être modifiées par un vote unanime au Conseil, sans devoir passer par une procédure formelle de modification du traité. Le CESE invite les institutions de l’Union européenne à envisager de relever le plafond de la dette, qui est fixé à 60 %, tout en tenant compte du contexte macroéconomique actuel et en veillant à assurer la viabilité du budget.

    3.3.6.

    Enfin, il convient d’ajouter, à cet égard, que le fait de s’appuyer uniquement sur les stabilisateurs automatiques nationaux lors des périodes de récession n’est pas pleinement conforme à l’idée d’une politique contracyclique. Les déficits budgétaires causés par la baisse de la production et de l’emploi ne compensent pas totalement les pertes cycliques ni un retournement de cycle. Il ne s’agit que de réponses contracycliques partielles et passives, qui doivent être complétées par la prise de mesures temporaires et discrétionnaires actives en réponse aux baisses cycliques et qu’il convient d’inverser en phase de relance. Dans le passé, un certain nombre d’États membres ont décidé de continuer à réduire le ratio dette/PIB, ce qui a eu des conséquences fâcheuses sur l’économie, alors que des mesures de relance budgétaire auraient été plus adaptées. Pour autant que le contexte reste favorable aux taux d’intérêt, le futur cadre budgétaire devrait autoriser des déficits primaires plus importants, tout en maintenant des ratios dette/PIB constants ou à la baisse et en garantissant la viabilité de la dette. C’est la raison pour laquelle les clauses exceptionnelles doivent rester la pierre angulaire du futur cadre budgétaire de l’Union européenne et être adaptées en conséquence.

    Désactivation de la clause dérogatoire

    3.3.7.

    Si le CESE se félicite de l’activation de la clause dérogatoire générale prévue par le cadre budgétaire, il met toutefois en garde contre un «retour à la normale» trop rapide, qui pourrait imprimer une impulsion contracyclique et inciter les États membres à réduire leurs dépenses afin d’atteindre les objectifs à moyen terme, comme cela s’est produit après 2010, entraînant une récession à double creux. Cela irait à l’encontre de l’objectif du programme Next Generation EU et pourrait déclencher une nouvelle récession.

    3.3.8.

    Le CESE soutient la décision de la Commission européenne de continuer à appliquer la clause dérogatoire générale en 2022 et de la désactiver en 2023, pour autant que l’activité économique soit revenue au niveau d’avant la crise (30). En outre, le CESE partage l’avis de la Commission européenne lorsqu’elle affirme que «les situations propres à chaque pays continueront d’être prises en considération après la désactivation de la clause dérogatoire générale» (31). Enfin, la Commission devrait présenter des lignes directrices pour une période de transition courant jusqu’à la mise en place du nouveau cadre budgétaire, pendant laquelle aucune procédure pour déficit excessif ne devrait être activée et avec la possibilité d’utiliser la «clause relative aux circonstances inhabituelles», pays par pays. En outre, le CESE invite la Commission à poursuivre sans tarder la révision du cadre de gouvernance économique de l’Union européenne, qui a été interrompue. Au lieu d’un «retour», le CESE recommande d’amorcer un «virage» vers un cadre de gouvernance économique révisé selon les modalités indiquées ci-dessous (32).

    3.4.   Le rôle international de l’euro

    3.4.1.

    Notre monnaie commune, l’euro, jouit d’une réputation internationale solide, et son importance mondiale en tant que monnaie de réserve et d’échange est désormais reconnue. La réputation de l’euro en tant que monnaie stable et fiable dépend de règles budgétaires claires, compréhensibles et applicables, qui renforcent les investissements publics afin de moderniser le stock de capital et d’autoriser une marge de manœuvre plus cyclique en période de ralentissement économique, tout en garantissant la viabilité de la dette. Le CESE est dès lors convaincu qu’une révision des règles budgétaires ne doit en aucun cas compromettre la stabilité de l’euro en tant que principale monnaie de référence de l’Union. Lors du débat sur la révision des règles budgétaires, il convient d’accorder une attention particulière à la perception qu’ont les marchés financiers des perspectives à long terme de l’euro en tant que monnaie d’importance mondiale. D’une manière générale, la réputation de l’euro dépend de la stabilité économique, sociale et politique.

    3.5.   Renforcer le rôle des parlements et de la société civile dans la gouvernance économique de l’Union européenne

    3.5.1.

    Le CESE souligne que la politique budgétaire est un secteur classique de la politique parlementaire, et que les décisions prises dans ce domaine ont des répercussions sur l’ensemble de la structure des dépenses et des recettes des pouvoirs publics. Tant les parlements nationaux que le Parlement européen doivent dès lors se voir attribuer un rôle important dans le futur cadre de gouvernance économique de l’Union européenne. Il convient de renforcer le rôle du Parlement européen dans le cadre du semestre européen au moyen d’un accord interinstitutionnel. Par ailleurs, il y a lieu de respecter le principe de subsidiarité et la répartition des compétences prévus par les traités. Les parlements nationaux doivent demander aux gouvernements de rendre compte des politiques budgétaires qu’ils mènent. C’est la raison pour laquelle ils doivent être effectivement associés au semestre européen et à la mise en œuvre des plans nationaux pour la reprise.

    3.5.2.

    Dans le même ordre d’idées, il est nécessaire d’associer davantage la société civile au semestre européen, tant à l’échelon national qu’au niveau de l’Union européenne, afin de mettre en place une politique économique équilibrée, qui concilie l’ensemble des intérêts. Cette observation vaut notamment pour la gouvernance de la facilité pour la reprise et la résilience, dans le cadre de laquelle la participation de la société civile n’est pas satisfaisante (33). Le principe de partenariat, qui est de tradition bien établie dans le cadre de la gouvernance des Fonds structurels et d’investissement européens, devrait servir de modèle à la création d’un mécanisme efficace en matière de participation de la société civile.

    3.5.3.

    En cas d’écart significatif par rapport aux indicateurs qui reflètent les objectifs de politique économique, il conviendrait d’engager des négociations entre les institutions de l’Union européenne et les États membres. Les deux parties devraient élaborer des solutions de concert et sur un pied d’égalité. Plutôt que de menacer les États membres concernés de sanctions financières, il pourrait être judicieux d’introduire des incitations positives pour atténuer le problème. La promotion d’une croissance inclusive et durable est le premier critère sur lequel doit reposer toute recommandation en la matière (34).

    3.5.4.

    Le CESE critique les «conditionnalités macroéconomiques» prévues dans le règlement portant dispositions communes applicables aux Fonds structurels et d’investissement européens, dans le règlement relatif à la facilité pour la reprise et la résilience et dans le traité intergouvernemental sur le mécanisme européen de stabilité, lesquelles permettent, d’une manière générale, de mettre un terme au versement des fonds de l’Union européenne si l’action des États membres concernés enfreint les règles budgétaires de l’Union européenne ou contribue à créer des déséquilibres macroéconomiques. Après la désactivation de la clause dérogatoire, ces conditionnalités macroéconomiques pourraient engendrer une contraction économique incitant les États membres à réduire leurs dépenses dans le but d’atteindre les objectifs budgétaires. Cela irait à l’encontre de l’objectif politique de la cohésion territoriale et des objectifs plus généraux du programme «Next Generation EU».

    3.5.5.

    Pour que la reprise soit durable, il est essentiel de mener une politique monétaire accommodante. Le Parlement européen pourrait utiliser ses résolutions sur les rapports annuels de la BCE et les auditions trimestrielles sur le «dialogue monétaire» qu’elle organise avec celle-ci pour se prononcer sur des objectifs secondaires et mettre en place un processus plus démocratique, assorti de lignes directrices en matière de politique macroéconomique et industrielle. Cette approche permettrait d’associer davantage les partenaires sociaux et les citoyens, ainsi que les parlements nationaux. La BCE bénéficierait ainsi d’une légitimité renouvelée pour un ensemble élargi d’objectifs. Elle pourrait travailler efficacement en déployant tous les outils dont elle dispose et en s’efforçant de fixer un ensemble d’objectifs clairs et définis au niveau politique, sous la direction d’institutions démocratiques. La BCE est une institution publique qui peut être appelée à soutenir les États membres pour leur permettre de se financer lorsque les taux d’intérêt sont à la hausse, que ce soit dans la perspective d’assurer la stabilité des prix ou de créer de l’emploi, en utilisant des instruments monétaires ciblés ou en agissant sur les taux d’intérêt et les écarts entre ceux-ci.

    Bruxelles, le 20 octobre 2021.

    La présidente du Comité économique et social européen

    Christa SCHWENG


    (1)  Résolution du CESE sur la participation de la société civile organisée aux plans nationaux pour la reprise et la résilience — Ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas (2021) (JO C 155 du 30.4.2021, p. 1).

    (2)  Comité budgétaire européen (2019): Assessment of EU fiscal rules with a focus on the six and two-pack legislation [«Évaluation des règles budgétaires de l’Union axée sur les paquets législatifs relatifs à la gouvernance économique (le “six-pack”) et à la surveillance budgétaire (“le two-pack”)»].

    (3)  Commission européenne, «Prévisions économiques européennes du printemps 2021».

    (4)  Comité budgétaire européen (2020): Rapport annuel 2020.

    (5)  Finance Watch (2021), Fiscal Mythology Unmasked. Debunking eight tales about European public debt and fiscal rules («La mythologie budgétaire démasquée. Comment démonter huit fables sur la dette publique et les règles budgétaires européennes»).

    (6)  JO C 353 du 18.10.2019, p. 32; JO C 123 du 9.4.2021, p. 12; et JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (7)  Document de travail des services de la Commission du 27 mai 2020: Identifying Europe’s recovery need («Répertorier les besoins de l’Europe en matière de relance»), SWD(2020) 98 final.

    (8)  Moniteur des finances publiques du FMI, avril 2021.

    (9)  Debt Sustainability Monitor, Commission européenne, février 2021.

    (10)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (11)  JO C 123 du 9.4.2021, p. 12.

    (12)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (13)  Crespy, Amandine et Vanheuverzwijn, Pierre (2019), What Brussels means by structural reforms: empty signifier or constructive ambiguity? («Ce que Bruxelles entend par réformes structurelles: mots vides de sens ou ambiguïté constructive?»), dans: Comparative European Politics, vol.. 17, no 1, p. 92-111; Hacker, Björn (2019): A European Social Semester? The European Pillar of Social Rights in Practice («Un Semestre social européen? Le socle européen des droits sociaux en pratique»), Bruxelles, ETUI.

    (14)  Voir aussi «Comité budgétaire européen» (2019).

    (15)  Commission européenne (2016), Rapport sur les finances publiques dans l’UEM — 2016, Document institutionnel no 045; J-M Fournier (2016), «L’effet positif de l’investissement public sur la croissance potentielle», document de travail no 1347 du département des affaires économiques de l’OCDE.

    (16)  Moniteur des finances publiques du FMI (2020), Policies for the Recovery («Politiques pour la reprise»).

    (17)  H. Bardt, S. Dullien, M. Hüther and K. Rietzler (2020), For a sound fiscal policy. Enabling public investments, («Pour une politique budgétaire saine: rendre les investissements publics possibles»), document d’orientation no 6/2020, Institut der deutschen Wirtschaft (IW), Cologne.

    (18)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (19)  A. Truger (2020), Reforming EU Fiscal Rules: More Leeway, Investment Orientation and Democratic Coordination («Réformer les règles budgétaires de l’UE: accroître les marges de manœuvre, l’orientation vers les investissements et la coordination démocratique»), Intereconomics, 55(5).

    (20)  Voir également P. Bom et J. Ligthart (2014), What have we learned from three decades of research on the productivity of public capital? («Qu’avons-nous retenu de trois décennies de recherche sur la productivité du capital public?»), Journal of Economic Surveys, 28(5), 889-916.

    (21)  J. Valero (2019), New investment clause fails to win EU member state support («La nouvelle clause sur les investissements échoue à obtenir le soutien des États membres de l’UE»), Euractiv. Voir la communication de la Commission intitulée «Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance», COM(2015) 012 final.

    (22)  Commission européenne (2015).

    (23)  Commission européenne (2021), Guidance to Member States. Recovery and resilience plans («Orientations à l’intention des États membres. Plans pour la reprise et la résilience»), SWD (2021) 12 final, partie 2/2 [en anglais].

    (24)  JO C 62 du 15.2.2019, p. 103.

    (25)  A. Truger (2015), Austerity, cyclical adjustment and the remaining leeway for expansionary fiscal policies within the current EU fiscal framework («Austérité, ajustement cyclique et marge de manœuvre résiduelle pour des politiques budgétaires expansionnistes au sein de l’actuel cadre budgétaire de l’UE»), Journal for a Progressive Economy, 6, 32-37.

    (26)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (27)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (28)  Comité budgétaire européen (2020).

    (29)  Comité budgétaire européen (2020).

    (30)  Commission européenne (2021): «Coordination des politiques économiques en 2021: surmonter la COVID-19, soutenir la reprise et moderniser notre économie», COM(2021) 500 final.

    (31)  Commission européenne (2021): «Un an après le début de la pandémie de COVID-19: la réponse apportée en matière de politique budgétaire», COM(2021)105 final.

    (32)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.

    (33)  Résolution du CESE sur la participation de la société civile organisée aux plans nationaux pour la reprise et la résilience — Ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas (2021) (JO C 155 du 30.4.2021, p. 1).

    (34)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 227.


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