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Document 52001IE0724

    Avis du Comité économique et social sur le document de travail SEC(2000) 1973 de la Commission "Science, société et citoyens en Europe"

    JO C 221 du 7.8.2001, p. 151–166 (ES, DA, DE, EL, EN, FR, IT, NL, PT, FI, SV)

    52001IE0724

    Avis du Comité économique et social sur le document de travail SEC(2000) 1973 de la Commission "Science, société et citoyens en Europe"

    Journal officiel n° C 221 du 07/08/2001 p. 0151 - 0166


    Avis du Comité économique et social sur le document de travail SEC(2000) 1973 de la Commission "Science, société et citoyens en Europe"

    (2001/C 221/25)

    Le 30 mai 2001, le Comité économique et social, conformément aux dispositions de l'article 23, paragraphe 3 de son règlement intérieur, a décidé d'élaborer un avis sur le "document de travail SEC(2000) 1973 de la Commission - 'Science, société et citoyens en Europe'".

    La section "Emploi, affaires sociales, citoyenneté", chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 2 mai 2001 (rapporteur: M. Wolf).

    Lors de sa 382e session plénière des 30 et 31 mai 2001 (séance du 30 mai 2001), le Comité a adopté le présent avis par 81 voix pour et 1 voix contre.

    1. Introduction

    1.1. Le thème "Science, société et citoyens en Europe" revêt une grande importance pour la société. Le processus de formation de l'opinion de la Commission en la matière n'est pas encore terminé, mais elle a rédigé un document de travail, le SEC(2000) 1973. Le CES saisit cette occasion bienvenue pour exprimer tout en nuances sa propre opinion sur ce thème très complexe dans le cadre d'un avis d'initiative, en faisant référence à plusieurs reprises au document de travail de la Commission.

    1.2. D'emblée, le Comité économique et social approuve pleinement les constatations suivantes de la Commission:

    "La science et la technologie représentent une des forces qui modèlent le plus clairement l'évolution des sociétés, ..." et

    "Les questions qui se posent dans ce domaine sont parmi les plus complexes qu'affronte la société, du fait de leur caractère technique, des incertitudes qui leur sont attachées, des connaissances nécessaires pour les traiter et du caractère souvent dispersé de celles-ci;".

    1.3. De par les fonctions qu'il remplit en tant qu'organe de l'Union européenne et de par les membres qui le composent, qui sont issus des différentes catégories sociales des États membres, le CES se trouve dans une situation particulièrement appropriée pour rendre dans les chapitres ci-après un avis de fond détaillé sur ces questions.

    1.4. Le CES se réjouit de constater que le document de la Commission reprend notamment des idées que le Comité avait développées dans son avis(1) sur la communication de la Commission intitulée "Vers un espace européen de la recherche": le chapitre 5 de cet avis, "Recherche et société", aborde déjà en partie cette question.

    1.5. La communication de la Commission examine différentes questions qui se posent aujourd'hui sous l'intitulé "Science, société et citoyens", et qui se trouvent de plus en plus au centre des préoccupations des citoyens et des décideurs politiques:

    "- Comment mettre en oeuvre les politiques de recherche autour de vraies finalités de société et pleinement impliquer la société dans l'exécution des agendas de recherche?

    - Comment gérer le risque? Quelles sont les implications du principe de précaution? Comment prendre en compte à la fois les aspects et les conséquences éthiques du progrès technologique, et les impératifs de la liberté de la recherche et d'accès aux connaissances?

    - Que faire pour renforcer le dialogue Science/société, améliorer la connaissance de la science par les citoyens et l'intérêt des jeunes pour les carrières scientifiques, ainsi que pour accroître la place et le rôle des femmes dans les sciences et la recherche?"

    1.6. Le document s'articule par conséquent essentiellement autour de trois thèmes ou questions:

    - l'importance des connaissances scientifiques, de leur impact sur la société ainsi que de la manière dont celle-ci les perçoit et les gère;

    - la compréhension mutuelle et la communication entre les citoyens, la société, les scientifiques et les chercheurs;

    - la motivation qui pousse les jeunes à s'engager dans une formation scientifique et à embrasser la carrière de chercheur.

    1.7. Afin de classer les différents aspects de ces questions et d'en tirer des recommandations, le CES a subdivisé son avis en plusieurs chapitres:

    2. Le processus historique et son résultat

    3. Citoyens, société et connaissances scientifiques

    4. Société, chercheurs et recherche: compréhension mutuelle

    5. La formation scientifique, condition première d'une société de la connaissance

    6. Politique de recherche et finalités de société

    7. Résumé et recommandations.

    2. Le processus historique et son résultat

    2.1. L'une des principales caractéristiques qui distingue l'homme évolué de l'animal est certainement le besoin qu'il éprouve de s'interroger sur les questions fondamentales de l'existence et les lois qui régissent le monde et la morale.

    2.1.1. Dès l'Antiquité, l'homme a développé des théories philosophiques et scientifiques de base. Avec le savoir acquis dans le domaine des mathématiques, de la logique et de la géométrie, joint au développement continu de nouvelles technologies, ces connaissances ont contribué au développement des civilisations très avancées de l'époque.

    2.2. À partir de la Renaissance et du siècle des lumières, cette dynamique a été relancée en Europe et a débouché sur une impulsion culturelle et économique beaucoup plus profonde encore.

    2.2.1. Ce processus est le résultat de l'interaction étroite entre les nouveaux développements techniques et outils (imprimerie, poudre à canon, exploitation minière, navigation maritime, moulins à eau et à vent) et les échanges commerciaux, la découverte de continents inconnus, l'apparition de nouveaux projets de société ainsi que la découverte progressive de lois de la nature encore inconnues et, partant, la démystification des phénomènes naturels.

    2.2.2. Il s'est accompagné de tensions, de guerres et de vifs débats de société, suscités non pas seulement par des intérêts et des conflits de succession et de pouvoir, mais aussi par les bouleversements idéologiques, par les changements économiques et par l'évolution du monde du travail provoquée par les nouvelles techniques.

    2.2.3. Ceux qui découvrent et proclament de nouveaux savoirs n'ont pas toujours été bien intégrés dans la société, et ont même souvent été persécutés dans le cadre du champ idéologique conflictuel. C'est de là que sont nées les idées de liberté de la science et de liberté de doctrine.

    2.3. Les sciences ont pris une part prépondérante dans cette évolution. Leur caractéristique essentielle et leur succès reposent sur la méthode scientifique empirique, développée en Europe et consistant à combiner les découvertes expérimentales, l'interprétation théorique et la prévision.

    2.3.1. Parallèlement, les branches scientifiques, en particulier les sciences et les mathématiques, qui étaient dans un premier temps classées sous le terme générique commun de "philosophie", se sont imposées comme disciplines à part entière; leur évolution et leur développement continuent de produire une multitude de connaissances nouvelles et souvent révolutionnaires, dont le nombre ne cesse d'augmenter, et qui sont de plus en plus à la base des technologies modernes.

    2.3.2. Il ne faut toutefois pas que la spécialisation inévitable des disciplines scientifiques relègue au second plan leurs points communs. Plus la réalité complexe est examinée de manière approfondie et détaillée par la science, plus les approches "interdisciplinaires" gagnent en importance. Cela implique également une nouvelle tentative de rapprochement des sciences exactes et humaines.

    2.4. La science a de plus en plus pris le pas sur une vision mythique du monde.

    2.5. Ces processus ont donné lieu à une modification et à une amélioration des conditions de vie des peuples et des régions concernés, sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

    2.5.1. Un autre facteur décisif à cet égard a été le développement et l'utilisation intensive de machines et de processus industriels consommant de l'énergie (ou plus précisément, la transformant): l'énergie est devenue la "sève nourricière" du bien-être.

    2.5.2. Les conquêtes techniques, médicales, culturelles, sociales et politiques qui s'en sont suivies sont devenues la condition première et la caractéristique de l'actuelle société mobile du bien-être et de l'information. C'est seulement à partir du moment où ces développements ont été réalisés que la population (en Europe) a pu être libérée dans une large mesure du travail physique pur et qu'a pu être mis en place l'espace auquel n'avait auparavant accès qu'un cercle restreint de privilégiés et qui offre aujourd'hui de précieuses chances de formation à tous les citoyens, permettant l'instauration d'une société de la connaissance.

    2.5.3. La prospérité atteinte dans certains États ou régions - évaluée en fonction du produit national brut, du niveau d'emploi et d'autres indicateurs - est manifestement liée à l'importance de la recherche et du développement. Les performances scientifiques et techniques déterminent non seulement la compétitivité économique, mais aussi la reconnaissance culturelle et politique dont bénéficient les États et les peuples.

    2.6. L'homme a appris à se protéger efficacement contre un grand nombre des menaces élémentaires auxquelles il est depuis toujours confronté, à savoir la faim, le froid et les maladies. Il agit et se perçoit comme le maître de la terre. Ainsi, non seulement il détient la clé du bien-être, de la liberté et du pouvoir, mais il assume aussi de nouvelles responsabilités.

    2.7. En raison de l'accroissement toujours très important de la population (au niveau mondial) et des retombées de l'activité et du mode de vie de l'homme sur la nature et l'environnement, celui-ci est devenu un facteur déterminant de l'évolution future de notre planète Terre. Plusieurs auteurs (tels que Stoppani, Crutzen ou Stoermer) ont proposé de donner le nom d'"anthropocène" à la période actuelle de l'histoire terrestre.

    2.8. Outre les menaces immanentes et catastrophes (naturelles) telles qu'éruptions volcaniques, glaciations, chutes d'astéroïdes, séismes, inondations, épidémies, etc. - non influencées par l'homme (voir également les paragraphes 2.9 et 3.7.1), de nouvelles menaces imputables à l'homme, à son mode de vie et à ses technologies pèsent aujourd'hui sur la biosphère.

    2.8.1. Les armes hautement développées de destruction massive (armes ABC), dont l'emploi causerait des ravages inouïs, éventuellement au niveau mondial, jouent un rôle particulier à cet égard.

    2.9. Les citoyens et la société européenne se doivent en conséquence de préserver leurs conditions de vie et la biosphère, de prévenir les risques tout en sauvegardant et en améliorant le bien-être et la qualité de la vie, et d'assister dans le même temps les autres peuples. Il y a lieu d'approfondir l'étude des risques engendrés par l'homme et ses activités et de développer des techniques ou de trouver des arrangements en vue de les maîtriser ou de les prévenir.

    2.10. La société et les citoyens ont reconnu que la science est un élément essentiel de notre culture et que l'innovation et le progrès technique garantissent la compétitivité de l'Europe; cela demande une contribution accrue de la science et de la recherche. Tous les États membres (dans une mesure différente, certes) et l'Union européenne consacrent dès lors des moyens financiers considérables - même s'ils ne sont pas toujours suffisants - à la réalisation de ces objectifs.

    2.10.1. L'importance de ces moyens, leur répartition et leur utilisation doivent faire l'objet de processus décisionnels importants et difficiles dans lesquels interviennent la science, la société et les citoyens.

    2.10.2. La société, les citoyens et la science doivent agir de manière constructive, afin de construire l'avenir et de former la société de la connaissance. Eu égard à sa mission et à sa composition, il appartient au CES de jouer un rôle-clé en la matière.

    3. Citoyens, société et connaissances scientifiques

    3.1. L'une des caractéristiques de la société (civile) actuelle est d'avoir développé des formes structurées d'organisation des citoyens sur la base de leurs conceptions sociales, professionnelles, philosophiques ou culturelles et de leurs intérêts.

    3.1.1. Si, d'une part, il est vrai que les scientifiques font partie de la société, d'autre part, ils s'en distinguent tellement de par les spécificités de leur profession et les retombées de leurs travaux de recherche qu'il peut en résulter des problèmes de communication et de compréhension mutuelle mais aussi d'identification des compétences respectives.

    3.1.2. Les citoyens attendent des produits de la science qu'ils leur apportent la santé, la longévité, le bien-être (par exemple grâce aux innovations), la sécurité face aux dangers et la qualité de la vie. Par ailleurs, ils ont peur de l'inconnu et de ce qu'ils ne comprennent pas.

    3.1.2.1. De plus, la société et les citoyens attendent des scientifiques qu'ils travaillent suivant les règles de leur corporation, qu'ils disent la vérité, qu'ils soient honnêtes et n'enfreignent pas les valeurs éthiques reconnues.

    3.1.3. Il est vrai que d'une manière générale, les citoyens ne sont pas suffisamment informés sur les questions scientifiques et techniques, c'est-à-dire sur l'état des connaissances scientifiques, sur les possibilités et les risques de la recherche scientifique, sur le mode et les conditions de fonctionnement de la science et de la recherche, non plus que sur les possibilités et les risques liés aux techniques dérivées des découvertes scientifiques.

    3.1.4. D'une part, la science est investie par les citoyens et la société de pouvoirs salvateurs démesurés en raison de ses succès phénoménaux mais aussi des promesses faites par les scientifiques eux-mêmes. D'autre part, les risques et les menaces générés par la science et la technique, joints au fossé trop important et en forte augmentation entre les citoyens et les scientifiques en matière de connaissances, peuvent entraîner le retour à des croyances irrationnelles à l'égard de la science et de la recherche, voire une diabolisation de celles-ci. Telles sont les deux facettes des réflexions de la Commission présentées ci-après.

    3.1.4.1. Des attentes excessives et impossibles à satisfaire peuvent être source de déception et de scepticisme pour les citoyens et empêcher de nourrir des attentes tout à fait légitimes et d'entrevoir des perspectives réalistes.

    3.1.4.2. Non seulement ce serait priver la société, les citoyens et la science de toute base rationnelle de communication et d'évaluation que d'adopter une attitude irrationnelle à l'égard de la science ou de diaboliser celle-ci, mais en outre cela irait à l'encontre de l'essence même de la science.

    3.1.5. Le document de travail de la Commission étudie quelques aspects des relations entre la science, la société et les citoyens.

    3.2. Selon les termes du document de travail de la Commission, "la science et la société entretiennent aujourd'hui, en Europe, des relations paradoxales. D'un côté, la science et la technologie sont au coeur de l'économie et du fonctionnement de la société, et influencent positivement chaque jour davantage la vie des Européens. Ceux-ci ont à leur égard des attentes de plus en plus fortes, et il est peu de problèmes auxquels fait face la société européenne auxquels on ne demande, d'une manière ou d'une autre, à la science et à la technologie d'apporter des solutions".

    3.2.1. Ces attentes du citoyen sont le résultat de l'expérience acquise à ce jour. Au cours des deux cents dernières années en Europe, le revenu réel moyen des citoyens (qui correspond à la somme pouvant être dépensée pour la nourriture, l'habillement, le logement, la santé, l'éducation, les voyages et les loisirs) a augmenté dans des proportions au départ inimaginables. Rien qu'au cours des cent vingt dernières années, l'espérance de vie moyenne a plus que doublé.

    3.2.1.1. Les systèmes éducatifs qui, dans l'intervalle, sont accessibles à tous les citoyens et à toutes les catégories sociales, ont été développés à tel point qu'aujourd'hui, en Europe, l'âge moyen dans lequel les jeunes entrent dans la vie active correspond à l'espérance de vie moyenne d'il y a quatre cents ans. Les États de l'Union européenne sont dirigés par des systèmes de gouvernement démocratiques. La sécurité juridique, la protection sociale et la liberté personnelle ont atteint un niveau inégalé jusqu'ici.

    3.2.2. Étant donné que les possibilités de croissance quantitative ultérieure - ainsi que la disponibilité de ressources - semblent aujourd'hui limitées, les attentes actuelles du citoyen se concentrent davantage sur les innovations et les améliorations qualitatives, sur la consolidation de l'acquis, sur la maîtrise des risques et sur les techniques durables. Des découvertes et des connaissances tout à fait inattendues pourraient toutefois ouvrir des options et des perspectives nouvelles, dépassant les frontières nationales.

    3.2.3. La recherche et le développement sont le substrat de l'innovation, du bien-être et de la paix futurs.

    3.2.4. L'importance, les conditions et l'ampleur de ce progrès ne sont toutefois pas suffisamment enracinées dans la conscience générale des citoyens. De plus, leur perception est souvent occultée par des attentes démesurées déçues et par les risques, réels ou prétendus, qui découlent ou peuvent découler de l'application technique des connaissances scientifiques acquises.

    3.2.5. Le CES recommande par conséquent que les faits exposés aux paragraphes 2.5 et suivants soient mis plus clairement en évidence dès la formation scolaire (cf. chapitre 5), afin de rendre les citoyens conscients de la culture commune européenne et, partant, de l'importance historique que revêt l'espace de recherche européen, mais également afin que ces connaissances permettent la mise en place d'un rapport plus équilibré entre la société, les citoyens et la science.

    3.3. Le document de travail de la Commission constate toutefois également que "d'un autre côté, le progrès des connaissances et des technologies rencontre un scepticisme croissant pouvant aller jusqu'à l'hostilité, et l'aventure du savoir ne suscite plus l'enthousiasme sans réserve dont elle faisait l'objet il y a quelques décennies. On s'interroge de plus en plus fortement sur les conséquences sociales et éthiques du progrès des connaissances et des technologies, ainsi que sur les conditions dans lesquelles se font (ou ne se font pas) les choix fondamentaux dans ce domaine".

    3.3.1. Selon le CES, si la déclaration ci-dessus n'est, de manière générale, plus exacte - la demande relative à la société et à l'économie basées sur la connaissance a de nouveau changé - elle reflète l'état d'esprit d'une partie importante de la société. L'analyse des raisons de cette attitude met en lumière plusieurs éléments.

    3.4. La première explication est le fait évident, en principe trivial, que tout instrument ou outil (et il s'agit en l'occurrence de technologies et procédures particulièrement efficaces fondées sur les connaissances scientifiques) peut avoir une efficacité accrue s'il est utilisé correctement, mais peut également causer davantage de dégâts en cas de mauvaise utilisation volontaire ou par négligence. La possibilité d'utiliser les connaissances scientifiques à bon ou à mauvais escient sont les deux faces d'une même médaille (cf. également le paragraphe 3.4.5).

    3.4.1. La question qui se pose est dès lors la suivante: peut-on, d'entrée de jeu, priver l'homme de la possibilité de développer des technologies ou des méthodes extrêmement efficaces en raison de la crainte légitime qu'il ne les utilise de manière erronée et destructrice ou qu'il n'en perde le contrôle? En d'autres termes, peut-on ou doit-on empêcher la découverte de lois naturelles, sous le prétexte qu'elles peuvent servir de base au développement de techniques très puissantes?

    3.4.2. La question est finalement de savoir si les citoyens et la société ont la faculté et la force de développer des règles relatives à une utilisation responsable des méthodes et des résultats de leurs propres recherches, de les adapter aux nouvelles connaissances, et de garantir leur respect.

    3.4.3. Étant donné que des procédures et des techniques extrêmement efficaces ont été découvertes et développées et qu'elles peuvent en principe être utilisées à des fins destructrices, nous sommes donc, dans les faits, confrontés à un problème sérieux et à une tâche considérable: développer, à l'avenir également, des procédures de contrôle sociales, politiques et, de plus en plus, globales, qui nous permettront de saisir les chances qui s'offrent à nous d'améliorer la santé, l'économie et le développement individuel, tout en atténuant et en maîtrisant le risque éventuel d'effets dévastateurs.

    3.4.4. La liberté scientifique est inscrite dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Elle ne peut être limitée que par d'autres droits fondamentaux tels que le droit à la dignité humaine, à la vie et à l'intégrité corporelle (cf. paragraphe 3.7).

    3.4.5. Ce serait une erreur de croire que l'on peut, grâce à une "meilleure" politique de recherche autoriser exclusivement une recherche "à des fins louables" et exclure ainsi d'emblée tout risque éventuel d'effets dommageables ou d'utilisation destructrice.

    3.5. Le CES soutient par conséquent la Commission dans sa volonté d'engager au niveau européen également un débat sur les questions évoquées aux paragraphes 3.2 et 3.3 et de développer les instruments appropriés à cet effet. Le CES confirme ainsi les affirmations suivantes du document de travail de la Commission:

    3.5.1. "Le traitement de la question du risque technologique et, plus généralement, des questions 'Science/société', appelle le développement, notamment au niveau européen, de nouvelles formes de dialogue entre chercheurs, experts, décideurs politiques, industriels et citoyens".

    3.5.2. "Les risques réels ou supposés doivent par ailleurs être mis en perspective. On les mettra en balance avec les bénéfices qu'apportent la science et la technologie à la société en général, et à chaque individu en particulier."

    3.5.3. Le CES souligne son engagement et sa volonté de participer largement, en sa qualité d'organe de l'Union européenne, au débat en la matière. Le fait qu'il se compose de membres dotés d'une expertise et d'un bagage très différents garantit une possibilité de prise en compte équilibrée des différents points de vue de la société en son sein.

    3.5.4. Le CES souligne, s'agissant du choix des experts scientifiques qui seront spécifiquement mis à contribution et du traitement qui leur sera réservé, la nécessité de remplir certaines conditions essentielles pour assurer l'efficacité et le succès d'un tel débat; il faudrait que ces experts, entre autres, présentent les qualités suivantes ou jouissent des libertés suivantes:

    - connaissances solides, attestées et entretenues par une participation continue à la recherche active;

    - liberté d'expression;

    - indépendance externe et interne (aussi grande que possible);

    - faculté de s'exprimer de manière claire et compréhensible.

    3.6. En outre, les peurs et les craintes irraisonnées des citoyens nourries par l'ignorance, les malentendus ou un manque d'éléments d'appréciation constituent un problème particulier (constat qui se réfère à l'état des connaissances scientifiques au moment considéré). Il convient de souligner que la capacité d'imaginer l'ampleur de certaines situations est souvent insuffisamment développée, par exemple: les risques que présentent pour la santé certaines substances ou doses de radiation.

    3.6.1. À cet égard, l'on est frappé par le fait que des risques mineurs et souvent seulement supposés suscitent de plus en plus fréquemment des craintes considérables, surtout dans les pays d'Europe dans lesquels les menaces et les risques élémentaires (par exemple: famine, froid, épidémies, extrême pauvreté, arbitraire juridique, répression, absence de liberté) ont pu être le mieux maîtrisés grâce au progrès technique, social et politique. (Il faudrait engager des recherches afin de déterminer si l'être humain dispose d'un potentiel psychique particulier, dans une large mesure indépendant des données objectives, pour développer devant l'inconnu des craintes que le cas échéant il recherche voire suscite lui-même).

    3.6.2. Il faut à cet égard s'efforcer de procéder à des évaluations solides en établissant des comparaisons avec d'autres risques, en particulier avec des risques inévitables et omniprésents.

    3.6.3. Afin de parvenir à une évaluation si possible objective et équilibrée dans chaque cas d'espèce tout en ne perdant pas de vue les risques réels, il est indispensable de disposer d'une connaissance suffisante des différents problèmes techniques, scientifiques et sociaux. Cette connaissance solide passe par une formation solide. Cela s'applique à la demande formulée par la Commission dans son document de travail (cf. en particulier le chapitre 5) d'"améliorer la connaissance de la science par les citoyens".

    3.7. Lors du débat sur ces problèmes qui doit être mené au niveau européen, comme le demande à juste titre la Commission, il faudrait toutefois toujours veiller à établir de manière plus claire que ce ne fut le cas jusqu'ici:

    - si les risques et problèmes éthiques se trouvent déjà dans le processus d'acquisition du savoir, donc au stade de la recherche elle-même (comme ce peut être le cas par exemple concernant les recherches sur des êtres vivants);

    - dans une utilisation potentiellement dangereuse des techniques qui peuvent être développées sur la base de nouvelles connaissances;

    - ou dans l'accroissement de la population (ou sa diminution dans certaines régions), la prospérité grandissante et les habitudes de consommation et de vie qui y sont liées et sont souvent trop insouciantes.

    3.7.1. Dans cette dernière catégorie se rangent surtout les problèmes et les risques d'ordre essentiellement écologique engendrés par la croissance démographique rapide ainsi que par l'augmentation de la consommation de ressources, des émissions, de l'utilisation des sols, en d'autres termes du bien-être matériel, etc. Les bienfaits de la science peuvent devenir source de problèmes en raison de leur incidence sur le comportement humain (par exemple: "piège du bien-être").

    3.7.2. Souvent, ce sont les membres de la communauté scientifique elle-même qui, les premiers, ont mis le doigt sur ces problèmes (par exemple: trou dans la couche d'ozone, effet de serre) et proposé des solutions, et ainsi lancé un processus politique (par exemple, protocole de Montréal) (cf. paragraphe 6.3.2).

    3.8. Dans ce contexte, la Commission se demande en outre s'il est possible et souhaitable de mener, au niveau de l'UE, des réflexions communes et uniformes sur les valeurs éthiques liées à ces problèmes (par exemple: les cellules souches embryonnaires) et d'élaborer, sur cette base, un dispositif réglementaire européen.

    3.8.1. Le CES recommande, d'une part, que la Commission prenne des mesures afin d'identifier et de clarifier au mieux l'aspect objectif et scientifique ainsi que l'aspect éthique de ces questions, afin de permettre sur cette base la mise en oeuvre d'un processus de décision politique (cf. paragraphe 4.9).

    3.8.2. Compte tenu des avis clairement différents, voire contradictoires, des États membres sur certaines de ces questions, le CES recommande toutefois que l'on prenne d'infinies précautions concernant un dispositif réglementaire européen uniforme, afin de ne pas hypothéquer l'intégration européenne par des polémiques, notamment émotionnelles, entre les États membres qui pourraient, le cas échéant, être évitées.

    3.9. De plus, l'on a parfois l'impression que la lutte que se livrent les sciences humaines et les sciences exactes pour la reconnaissance de leur suprématie dans la société (C.P. Snow: "Les deux cultures") joue un rôle important dans ce débat.

    3.9.1. Le CES recommande par conséquent que l'on appuie toutes les mesures susceptibles d'éviter la polarisation et qui favorisent une interaction accrue entre sciences humaines et sciences exactes. Cela implique également l'instauration d'un dialogue sur des sujets tels que la méthodologie, l'élaboration de concepts, l'évaluation des résultats, entre autres.

    3.9.2. Le CES se réfère notamment à l'utilisation accrue de méthodes empiriques par la recherche sociétale (de moins en moins teintée d'idéologies). Un exemple particulièrement frappant à cet égard est actuellement donné par la recherche sur le cerveau, qui combine de plus en plus différentes disciplines telles que la neurologie, la physique, la psychiatrie, la psychologie, la linguistique et l'informatique. Par ailleurs, il existe également une certaine analogie et certains points communs entre la science, les mathématiques et l'art, par exemple la recherche de solutions simples, harmonieuses et esthétiques (cf. paragraphe 4.7).

    3.9.3. Le CES souligne ici le rôle indispensable que jouent les sciences humaines dans l'ordre social et juridique, la langue et la culture (en Europe) ainsi que dans la formation d'une identité historique et sociale. Il approuve par conséquent également le document de travail de la Commission lorsqu'il affirme qu'il faut "... mieux prendre en compte la contribution spécifique que les sciences humaines peuvent apporter ...".

    3.9.4. À la croisée entre sciences exactes et humaines et à l'interface entre celles-ci se posent des questions d'une importance essentielle: la responsabilité de la science, la théorie scientifique, l'éthique (notamment de la science et de la recherche) et l'idée différente que se fait l'homme, à la suite des nouvelles découvertes scientifiques, de sa place dans l'univers et sur la terre.

    3.9.5. La première mission culturelle commune des sciences humaines et exactes est d'élargir, d'approfondir, de diffuser et de conserver les connaissances relatives à l'homme et à l'univers.

    4. Société, chercheurs et recherche: compréhension mutuelle

    4.1. Afin de garantir la compétitivité et la réussite dans une société et une économie basées sur la connaissance, il est primordial de constituer et d'entretenir un "capital humain", autrement dit de former et de garder les chercheurs. La situation actuelle est extrêmement préoccupante.

    4.1.1. Le CES considère dès lors qu'il est extrêmement urgent de rendre attrayantes non seulement la formation scientifique, mais également la profession de chercheur à laquelle elle aboutit, afin:

    - qu'un nombre suffisant de jeunes optent pour l'étude des sciences exactes;

    - qu'à l'issue de leur formation, la science européenne dispose elle aussi d'une réserve suffisante en "capital humain" dans la concurrence que se livrent les différentes parties intéressées au niveau mondial.

    4.1.2. Dans une société basée sur la connaissance, la recherche en tant que profession doit être reconnue de manière à inciter les jeunes à poursuivre des études difficiles, longues (qui durent en fin de compte toute la vie) et stimulantes (cf. paragraphe 5.2). À cette fin, il convient d'offrir aux hommes comme aux femmes des possibilités de carrière adéquates - également du point de vue économique - ainsi qu'un statut social adapté à l'importance de cette orientation professionnelle.

    4.1.2.1. Le CES attire par exemple l'attention sur la communication de la Commission du 17 février 1999 intitulée "Femmes et sciences - Mobiliser les femmes pour enrichir la recherche européenne", qui représente un premier pas dans cette direction.

    4.1.3. Dans ce contexte, il faut également veiller à ce que la science et la recherche ainsi que leurs résultats ne soient pas refusés en bloc par une grande partie de la société, car personne ne souhaite choisir une profession dont l'exercice et les résultats ne jouissent d'aucune considération.

    4.1.4. Une telle mission demande que les acteurs politiques et économiques pensent différemment et agissent en conséquence.

    4.2. Pour devenir compétents, compétitifs ou pour occuper une position de pointe dans une branche scientifique précise, les personnes et les groupes professionnels concernés doivent d'abord opérer un travail d'adaptation exigeant, qui demande souvent plusieurs années. De plus, il est souvent nécessaire de mettre en place des équipements techniques de haute qualité et de créer un milieu stimulant par la mise en place de structures de recherche. C'est un investissement précieux et coûteux dans le "capital humain" et l'infrastructure de recherche.

    4.3. Par conséquent, une bonne politique de recherche, pour qu'elle soit couronnée de succès, ne peut pas être lancée, arrêtée ou réorientée au gré des cycles conjoncturels ou des tendances politiques du moment; une continuité et une fiabilité suffisantes sont indispensables.

    4.3.1. La définition des priorités politiques dans certains États membres au cours de la dernière décennie, qui allait à l'encontre de ces points de vue, a largement contribué à la baisse sensible du nombre de jeunes entamant des études scientifiques ou techniques, ce qui représente aujourd'hui une menace pour la compétitivité de l'Europe sur le marché mondial.

    4.4. Quelles que soient l'importance de la continuité et d'un développement évolutif pour le succès de la recherche, il ne faut pourtant pas en conclure qu'il y a lieu de persévérer sans aucun esprit critique dans une direction de recherche initialement choisie. Cependant, la marge de manoeuvre et la manière dont il sera procédé à chaque changement de direction devront être chaque fois mûrement réfléchies.

    4.4.1. Des résultats de recherche - souvent inattendus - incitent généralement à explorer de nouvelles pistes fructueuses, la plupart du temps à l'initiative des chercheurs eux-mêmes, ce qui permet d'accélérer le processus grâce aux connaissances spécifiques requises.

    4.4.2. La plupart des grandes découvertes - telles que, dans le domaine de la physique, la force et l'induction électromagnétiques, les ondes électromagnétiques, les rayons X, le tube cathodique, le transistor et le laser, ou en biologie, la structure de l'ADN (double hélice) - furent le résultat d'une recherche fondamentale non axée sur des applications spécifiques.

    4.4.3. À cet égard, il suffit d'une seule idée nouvelle pour déclencher une avalanche d'innovations dans de nombreux secteurs économiques et domaines techniques. Les exemples les plus récents sont ceux des techniques de l'informatique, de la communication et de l'ingénierie génétique.

    4.4.4. Un processus ciblé et planifié - et les décisions politiques nécessaires - ne peuvent toutefois être mis en marche que si, à partir d'un concept nouveau, l'objectif peut être défini et la voie à suivre est suffisamment claire.

    4.5. L'état actuel des connaissances et les produits technologiques maintenant disponibles - qui sont à la base du niveau de vie actuel des citoyens européens - sont le fruit de la conjonction de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et du développement technologique orienté vers les produits.

    4.5.1. La recherche et le développement dans l'UE s'appuient ainsi sur deux piliers importants: la recherche et le développement dans l'industrie et la recherche et le développement dans les universités et les instituts de recherche bénéficiant d'aides publiques (milieux académiques). Le CES a déjà abondamment indiqué dans un précédent avis(2) à quel point la coopération et l'échange de connaissances entre ces deux piliers est importante, mais aussi quels obstacles s'y opposent et doivent être éliminés d'urgence.

    4.5.2. Ces points communs mais aussi la complémentarité des tâches de l'industrie et des milieux académiques dans la production des technologies modernes actuelles débouchent sur une certaine répartition des responsabilités face à la nécessité de créer des produits utiles et sans danger ni nocivité lorsqu'ils sont employés correctement.

    4.5.3. La science (milieux académiques et industriels) fournit les connaissances, l'industrie fournit les produits, les citoyens et la société décident de leur utilisation (cf. également le paragraphe 3.5.1 et le chapitre 6).

    4.6. Cela étant, il existe des malentendus entre la société, les citoyens et la communauté scientifique sur l'essence même de la recherche scientifique; et il faut éviter que cela ne donne lieu à des erreurs en ce qui concerne la politique de la recherche et les instruments de contrôle à utiliser. Quelques-uns de ces malentendus sont examinés dans les paragraphes suivants.

    4.7. La recherche est un pas vers l'inconnu, et chaque individu, chaque groupe, choisit sa manière de procéder; ces méthodes varient et se complètent en fonction des besoins, des talents et des tempéraments. Les chercheurs sont des gestionnaires, des ingénieurs, des collectionneurs, des coupeurs de cheveux en quatre, ou des artistes. Faire de la recherche, c'est tâtonner dans le brouillard, deviner par intuition, mesurer un terrain inconnu, collecter et classer des informations, trouver de nouveaux signaux, déceler des relations et des modèles génériques, reconnaître de nouvelles corrélations, développer des modèles mathématiques, élaborer les concepts et la symbolique nécessaires, mettre au point et construire de nouveaux appareils, chercher des solutions simples et rechercher l'harmonie. C'est aussi confirmer, assurer, élargir, généraliser et reproduire.

    4.7.1. Il est inévitable - voire indispensable - que dans le cadre de ce processus de recherche et de découverte mettant en concurrence des approches de solutions et des schémas explicatifs, les différents chercheurs ou groupes de chercheurs ("écoles") discutent entre eux, se contredisent mutuellement, voire s'affrontent dans certains cas. Le progrès de la connaissance naît de la confrontation entre l'hypothèse et la critique, de la comparaison de "données" avec d'autres "données".

    4.7.2. L'un des malentendus entre la société et les chercheurs provient donc de l'impression que les chercheurs n'ont eux-mêmes pas de réponse à de nombreuses questions, qu'ils se contredisent souvent (et donc qu'ils ne maîtrisent même pas leur spécialité).

    4.7.3. C'est en effet le cas, uniquement lorsque et parce que les chercheurs parlent de choses qui ne sont encore que supposées, incertaines, inconnues. Parce qu'ils émettent des opinions, des hypothèses, et ne parlent pas encore de connaissance certifiée méthodiquement. Et parce qu'en raison de la brièveté de leurs propos, imposée par l'interviewer, souvent, ils n'expriment pas, ou ne peuvent pas exprimer cela clairement (cf. également le paragraphe 4.8.7).

    4.7.4. La caractéristique essentielle décisive de la connaissance des sciences (naturelles) est avant tout le passage de cette phase de recherche scientifique à la reproductibilité des résultats finalement atteints et à la démonstration de leur domaine d'application (et de ses limites). En définitive, c'est la nature qui décide de l'exactitude des tentatives d'explication.

    4.7.5. Étant donné qu'il est nécessaire de prouver la reproductibilité, les expériences réalisées en parallèle ou répétées par d'autres groupes de chercheurs (expériences effectuées, en général, à l'aide de techniques ou de procédés différents) et que l'on qualifie souvent de "double recherche" forment une composante essentielle de la méthode et du progrès scientifiques. Cette double recherche constitue un rempart contre les fautes, les erreurs ou même les falsifications.

    4.7.6. Le savoir ainsi acquis et confirmé par la reproductibilité - et qui, en raison de son caractère limité et incomplet, peut être complété, élargi ou affiné par de nouvelles connaissances - fait ensuite son entrée dans les livres d'école et constitue le point de départ de nouvelles recherches.

    4.7.7. Toutefois, outre la reproductibilité, c'est aussi la cohérence de l'action simultanée des lois naturelles reconnues - à la base de tous les systèmes techniques, de l'appareil de résonance magnétique nucléaire à la navigation spatiale -, qui contribue à la confiance dans le savoir acquis et, lorsqu'elle est incomplète ou que l'on se heurte clairement à ses limites, qui donne lieu à de nouvelles questions. C'est ici que la tentative d'"uniformisation des lois naturelles" et finalement la recherche d'une "formule universelle" trouvent leur origine (nonobstant la restriction selon laquelle, conformément au postulat scientifique, il ne peut y avoir de "connaissance scientifique certaine").

    4.8. Une problématique particulièrement difficile et riche en malentendus est la question de la prévisibilité des développements futurs.

    4.8.1. Pour des constellations choisies, simples, par exemple en matière d'astronomie, les lois naturelles connues permettent des prévisions très précises. Mais même ici, les limites sont très strictes, et en principe, aucune précision claire ne peut être faite au-delà de ces limites (chaos déterministe, turbulence).

    4.8.2. Une autre limite fondamentale de la prévisibilité d'événements futurs est la nature statistique de la physique quantique.

    4.8.3. À cela s'ajoutent tous les problèmes dont il est impossible de prévoir l'évolution future à long terme en raison de l'action conjointe complexe d'un grand nombre de composants et facteurs déterminants, et ce, bien que l'on connaisse plus ou moins bien les lois auxquelles répond chacun des processus impliqués.

    4.8.4. Par conséquent, tandis que des prévisions fiables relatives, par exemple, à la position future de certains astres (éclipse du soleil) sont permises et possibles grâce à l'état actuel des connaissances certifiées, ce sont précisément les questions particulièrement pertinentes pour permettre la prise de décisions politiques (par exemple, concernant l'évolution future du climat, ou des crises économiques/idéologiques/politiques/démographiques prévues, des catastrophes naturelles, etc.) qui ne peuvent souvent faire l'objet que de suppositions, d'indications de développements potentiels ou de menaces éventuelles. Ce type de prévision est extrêmement difficile, et de ce fait, au moins aussi incertain que, par exemple, les pronostics des économistes à propos des cours de la Bourse.

    4.8.4.1. Manifestement, le lien entre l'opinion et le comportement des acteurs concernés constitue une autre source d'erreur potentielle, pouvant résulter de connaissances insuffisantes, d'intérêts spécifiques ainsi que de la volonté d'obtenir le consensus et l'adhésion du groupe.

    4.8.4.2. En agissant de la sorte, l'on confond connaissance scientifique et opinion majoritaire.

    4.8.4.3. Le mot imprimé et la présentation dans les médias peuvent à cet égard contribuer à renforcer encore cette opinion.

    4.8.5. Afin de procéder à une évaluation critique des prévisions et de la probabilité de leur réalisation, il convient dès lors de faire la différence entre les cas suivants:

    4.8.5.1. les prévisions nécessaires, permises, et souvent utilisables, reposant sur une extrapolation de tendances ou de chiffres (par exemple, chiffres de population) - exemples: besoin futur en professeurs, en routes, en habitations, en énergie, etc. - en admettant la continuité de l'évolution;

    4.8.5.2. les prévisions souvent impossibles concernant des nouveautés, bouleversements, découvertes, développements révolutionnaires (inattendus!) en matière de politique, de société, de technique ou dans d'autres domaines similaires, qui influencent fortement le cours général des choses et déplacent de nombreuses relations; souvent, après une longue période de turbulences et de flottement, un nouvel équilibre apparaît, avec de nouvelles tendances, etc.;

    4.8.5.3. les suppositions, avertissements ou craintes que les développements "prévisibles" visés au paragraphe 4.8.5.1 puissent aboutir progressivement à une aggravation de la situation ou à une crise (climat, population, résistance, révolution, pénurie de matières premières, etc.), et qu'un développement non prévisible tel que ceux visés au paragraphe 4.8.5.2 s'ensuive.

    4.8.6. En raison du grand intérêt de la société pour les développements futurs, la "futurologie" est devenue un domaine de recherche à part entière, malgré ou justement à cause de la problématique liée aux prévisions. En raison des limitations précitées, les différentes méthodes de pronostic doivent être étudiées et vérifiées, afin de définir avec quel taux de réussite elles ont permis dans le passé de prévoir des développements étonnants. Pour les décisions politiques, il importe au plus haut point de connaître la part de certitude ou d'incertitude d'une prévision ou d'un "scénario".

    4.8.7. Alors que d'une part, il appartient aux scientifiques d'attirer l'attention de la société sur de telles (paragraphe 4.8.4) menaces potentielles qu'ils ont identifiées, en précisant l'ampleur et les limites des connaissances, d'autre part, dans ce même domaine, l'on tente de valoriser des points de vues, voire des intérêts personnels, en leur apposant l'étiquette "science", ou de les faire valoir en choisissant chaque fois les "experts" appropriés.

    4.8.7.1. Ce dernier comportement peut également entraîner une perte de confiance du citoyen dans la science.

    4.8.7.2. En effet, la communication entre les citoyens et les scientifiques peut devenir particulièrement difficile - ce qui peut donner lieu à certaines tentations - lorsque, dans un environnement plutôt politique, les scientifiques sont confrontés à des intérêts ou des affirmations politiques et à la rhétorique qui y est liée, ou lorsque les scientifiques eux-mêmes sont associés à la défense de certains intérêts, c'est-à-dire lorsque la séparation entre la politique et la science devient floue.

    4.8.7.3. C'est pourquoi il est particulièrement important ici de définir des critères stricts (cf. paragraphe 3.5.4) pour juger de la qualification, des connaissances et de l'honnêteté des experts participant à la discussion, voire d'inclure ces éléments dans l'évaluation. Cela ne signifie aucunement que l'examen de ce type de problèmes (cf. paragraphe 6.8.1) ne doit se faire qu'entre experts. Cependant, il convient d'établir une distinction claire entre les citoyens intéressés, voire inquiets, d'une part et les experts dans chaque domaine d'autre part, et en ce qui concerne les déclarations des experts, il y a lieu de prêter attention aux compétences sur lesquelles elles reposent et à leur exactitude.

    4.8.8. Le CES recommande dès lors à la Commission de mettre tout en oeuvre pour que les citoyens perçoivent mieux ces aspects et fassent les distinctions nécessaires, et pour qu'une meilleure culture de dialogue se développe en conséquence entre les chercheurs, les citoyens et la société. Les médias doivent également y contribuer et assumer leur rôle d'intermédiaire de manière responsable. C'est précisément à ce niveau qu'il serait important de mieux faire la distinction entre compétence rhétorique et compétence professionnelle et de résister à la tentation de tomber dans un prosélytisme excessif.

    4.9. La question d'une éventuelle faute professionnelle et/ou éthique des scientifiques se pose également dans les relations entre les citoyens, la société et la science.

    4.9.1. Tandis qu'une faute professionnelle des scientifiques - mais également les erreurs qu'ils commettent en toute bonne foi - peuvent être découvertes et sanctionnées essentiellement grâce aux mécanismes d'autocontrôle de la science - dont l'instrument le plus efficace est l'exigence de reproductibilité (voir paragraphes 4.7.4 et 4.7.5), la question de la faute éthique touche à l'intégralité des rapports entre la société et la science.

    4.9.2. La faute éthique peut signifier que certains scientifiques ou groupes de chercheurs transgressent dans le cadre de leurs activités scientifiques les règles éthiques édictées et acceptées par la société. Leur motivation peut être la soif de connaissances, l'orgueil, l'appât du gain, le désir de gloire, etc. La science et la société doivent veiller conjointement à ce que de tels agissements soient découverts, déjoués et sanctionnés.

    4.9.3. La position de la société à propos des règles éthiques - qui est principalement influencée par les nouvelles connaissances et le progrès scientifique et technique - fait bien entendu l'objet d'un débat permanent entre tous les groupes sociaux (cf. paragraphe 3.8) et évolue en conséquence. Le CES soutient expressément la Commission dans la volonté d'assurer "... l'établissement de liens plus structurels entre les comités d'éthique existant au niveau national et européen" et "l'amélioration de la coordination des recherches ... en éthique des sciences menées en Europe..." qu'elle manifeste dans son document de travail.

    4.9.4. Mais il peut aussi y avoir faute, et qui plus est sous la pression de la société, lorsque la société dans son ensemble - ou dans sa majorité - enfreint des principes éthiques/moraux. Dans ce cas, la science est englobée par exemple dans les objectifs et positions idéologiques de la société à laquelle elle appartient; elle agit donc en accord avec celle-ci voire à sa demande. Se pose alors un problème qui dépasse le cadre du présent avis.

    4.9.4.1. Eu égard à la structure politique actuelle de l'UE et de ses États membres, et compte tenu des droits fondamentaux qui y sont reconnus, il n'y a toutefois aujourd'hui aucune raison de craindre que ce problème puisse se représenter à l'avenir au sein de l'espace européen de la recherche.

    4.10. Le CES invite la Commission à tenir compte, dans le cadre de ses réflexions sur la gouvernance, des aspects examinés dans le chapitre 4 et à en rendre clairement compte aux acteurs politiques et économiques.

    5. La formation scientifique, condition première d'une société de la connaissance

    5.1. La valeur et l'importance de la science et de la recherche ne sont pas reconnues directement par tous les citoyens et par la société, dans certains États membres du moins. Selon le CES, il y a donc lieu de développer un concept européen en matière de politique de l'éducation(3), qui viserait à modifier cet état d'esprit.

    5.1.1. Certaines fondations et associations peuvent apporter une contribution importante à cet égard.

    5.1.2. Cette démarche devrait également tenir compte des pays candidats.

    5.2. Il a déjà été fait référence, au paragraphe 4.1.2, à l'importance d'une formation professionnelle académique exigeante et qualifiée pour les scientifiques et les chercheurs, ainsi qu'à la nécessité de présenter une image professionnelle du scientifique suffisamment attrayante pour attirer les jeunes doués pour ce métier.

    5.3. Le présent chapitre est surtout consacré au souhait du CES que des notions fondamentales suffisantes de sciences et de mathématiques soient intégrées davantage que ce n'est le cas actuellement, également dans le programme de base relatif à l'apprentissage d'autres professions et, au bout du compte, dans la formation générale de tous les citoyens. Les sciences et les mathématiques font elles aussi partie de notre bagage culturel.

    5.3.1. L'absence actuelle d'apprentissage de ces notions de base est particulièrement préjudiciable dans les domaines de la politique et des médias. Les hommes politiques doivent en effet prendre des décisions contraignantes pour la société et les médias jouer le rôle d'interfaces entre les spécialistes et les citoyens et élaborer des comptes rendus équilibrés et spécialisés sur des problèmes scientifiques et techniques.

    5.3.1.1. Pour établir la communication entre science et société, il ne suffit pas d'être disposé au dialogue: encore faut-il être capable de dialoguer et ce, des deux côtés. C'est l'une des conditions à remplir pour combler le fossé existant entre la science et les citoyens - sans préjudice de l'issue des débats peu fructueux et plutôt polarisants menés sur le rôle des différents acteurs dans l'acquisition et la diffusion des connaissances.

    5.3.1.2. L'autre condition est que les représentants de la science et ses institutions s'efforcent de communiquer leur savoir et leurs problèmes aux citoyens, dans la forme la plus compréhensible et la plus claire possible, et que les universités, les écoles supérieures techniques et les centres de recherche s'ouvrent au citoyen et à la société.

    5.4. Par conséquent, la tâche primordiale - qui est également une recommandation essentielle du CES - consiste à accorder aux sciences et aux disciplines scientifiques, ainsi qu'à la pensée mathématique, la place qui doit être la leur dans les programmes scolaires (cf. paragraphe 3.2.5) de la société de la connaissance dans laquelle nous vivons. Cela suppose bien entendu aussi d'être capable de parler correctement sa propre langue et d'en avoir une maîtrise parfaite.

    5.4.1. Parallèlement, il convient de développer des concepts pédagogiques visant à mieux classifier les matières scientifiques, à mieux évaluer leur importance et à mieux les enseigner. Il convient de rendre les connaissances lisibles et compréhensibles dans leur totalité et leur pluralité par l'apprentissage de lois générales et d'exemples caractéristiques.

    5.4.2. Le fait que cette approche implique, pour les enseignants et les étudiants, un effort intellectuel considérable devrait être considéré comme un stimulant et non comme un obstacle. Il s'agit là du moyen le plus efficace de réaliser l'objectif fixé par la Commission dans son document de travail: "Améliorer la connaissance de la science par les citoyens".

    5.4.3. Les connaissances, les idées et les jugements acquis durant la formation scolaire jouent en outre un rôle décisif dans le choix d'une future profession. Le CES approuve dès lors pleinement la Commission lorsqu'elle affirme dans son document de travail qu'"un renforcement de l'enseignement des sciences à l'école en Europe est par ailleurs nécessaire. Pour accroître l'attrait, aujourd'hui en déclin, des professions scientifiques et de la vie de recherche pour les jeunes".

    5.5. Toutefois, tout cela implique aussi, entre autres, de rendre suffisamment attractif le métier d'enseignant, nécessaire à la transmission de ce savoir, et de le doter d'un statut approprié. De même, il faut que les écoles soient convenablement équipées.

    5.6. Le CES souhaite en outre attirer l'attention sur le lien général qu'il convient aujourd'hui de rétablir entre la formation scolaire de base, l'apprentissage tout au long de la vie et les connaissances scientifiques. Ce rapport pourra être mieux développé, et de manière plus efficace, dans le cadre d'un espace européen de l'apprentissage et de l'éducation. Cet espace pourrait englober non seulement la dimension européenne de l'éducation, "mais aussi tous les défis et tous les processus qui, en matière éducative, concernent le citoyen européen"(4).

    6. Politique de recherche et finalités de société

    6.1. Le thème abordé dans ce chapitre est difficile et ne peut pas être traité sans soulever aucune controverse. Plusieurs des points de vues pertinents à cet égard ont en outre déjà été présentés dans les chapitres précédents.

    6.2. Les relations entre la science et la société, laquelle est généralement représentée par des hommes politiques, des fonctionnaires gouvernementaux ou des mandataires d'organismes d'aide, concernent surtout les accords sur les objectifs et les thèmes de recherche, le type et le volume des aides en faveur de la recherche, l'évaluation des résultats de la recherche et les personnes chargées d'y procéder. Cependant, il s'agit aussi de savoir dans quelle mesure la recherche peut être orientée, ou si elle devrait l'être.

    6.2.1. L'on aborde ainsi la question posée par le document de la Commission dont il a déjà été fait mention au début (voir paragraphe 1.5) du présent document: "Comment mettre en oeuvre les politiques de recherche autour de vraies finalités de société et pleinement impliquer la société dans l'exécution des agendas de recherche?".

    6.3. Cette question soulève d'emblée le problème des malentendus existant entre la société, la science et la recherche. Elle sous-entend d'abord que jusqu'à présent, la politique de recherche n'a pas poursuivi de vraies finalités de société.

    6.3.1. Au lieu de cela, l'on constate que le savoir actuel sur les lois de la nature et les nouvelles découvertes qui en découlent sont dus principalement à l'initiative, à la créativité et à l'enthousiasme des chercheurs, des inventeurs et des entreprises, et qu'ils sont en grande partie à l'origine du bien-être actuel en Europe.

    6.3.2. Même les problèmes actuels, par exemple en ce qui concerne la survie à long terme de notre écosystème - qu'ils soient anthropogènes ou indépendants de l'homme et de ses technologies - ont tout d'abord été décelés principalement par des membres de la communauté scientifique, qui en a informé le public et/ou les politiques (voir également le paragraphe 3.7.2).

    6.3.3. C'est pourquoi il y a lieu de souligner une fois de plus qu'en général, la société et le monde politique reconnaissent les risques ou les menaces naissants, mais également les possibilités économiques de nouvelles techniques (telles que la technologie de l'information), plus tard que la communauté scientifique. La science et la société doivent donc veiller conjointement à ce que le monde politique ne désavantage pas, en raison de ce décalage inhérent au système, tout ce qui est particulièrement actuel et nouveau au profit de techniques bien établies.

    6.3.4. La question citée au paragraphe 6.2.1 laisse en outre supposer, à tort, que "les politiques de recherche autour de vraies finalités de société" ne peuvent aboutir qu'à de "bons" résultats, et que les applications ultérieures et les effets nuisibles sont donc exclus dès le départ (voir également le paragraphe 3.4.5).

    6.4. La question citée au paragraphe 6.2.1 implique en outre que l'on pourrait et devrait "pleinement impliquer la société dans l'exécution des agendas de recherche".

    6.4.1. Bien que l'on ne voie pas par qui la recherche peut être effectuée sinon par les chercheurs, le CES reconnaît que l'intention de la Commission est positive et mérite d'être soutenue; elle vise en effet:

    - à faire en sorte que la primauté de la politique soit claire lors de l'attribution des moyens financiers nécessaires à la recherche;

    - à rapprocher les chercheurs des citoyens dans leur intérêt mutuel;

    - à prendre en compte la pluralité des objectifs et des intérêts de la société (et de ses diverses branches) dans l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes de recherche.

    6.4.1.1. Ainsi, la critique objective extérieure (par exemple, initiatives citoyennes, associations de consommateurs ou organisations laïques) à l'égard de la science peut avoir un effet très positif. Elle peut en effet aboutir à une nouvelle réflexion, voire au scepticisme, en particulier lorsque la discussion interne aux institutions menace d'échouer, notamment en raison de structures centralisées ou de pressions économiques/politiques (cf. ESB).

    6.4.2. Par conséquent, le CES soutient également la déclaration suivante que fait la Commission à ce sujet dans son document de travail: "Les leçons à tirer des expériences européennes et nationales dans ce domaine devraient faire l'objet d'études comparées, afin de favoriser la diffusion et l'application des meilleures pratiques".

    6.4.3. Les observations ci-dessus relatives au paragraphe 6.4 concernent surtout la recherche ciblée. C'est pourquoi le CES souligne ici que le scénario évoqué ci-dessus ne peut se développer avec succès que dans le cas d'une recherche fondamentale diversifiée, désintéressée, et reposant sur une large base. Le CES appuie et complète ainsi la déclaration de la Commission dans son document de travail, selon laquelle "[il faut veiller] à conserver suffisamment de cette recherche de pure curiosité et désintéressée ...".

    6.5. La question citée au paragraphe 6.2.1 suppose également que la "société" sache quelles sont les "vraies finalités" autour desquelles la recherche doit être mise en oeuvre.

    6.5.1. Toutefois, la "société" est une abstraction, qui se présente en réalité comme un agrégat très hétérogène, avec une diversité d'empreintes culturelles, de religions, de perspectives, de projets de vie et d'objectifs. Les "finalités" de cette abstraction peuvent en tout cas se définir d'abord comme le conglomérat de toutes les perceptions, les attentes, et éventuellement, les craintes individuelles. Ce conglomérat de tous les intérêts individuels est aussi diffus que flou et n'est donc guère saisissable par la politique.

    6.5.2. La canalisation et l'agrégation de ces intérêts ne sont assurées que par l'organisation horizontale et verticale de la société ("groupes intermédiaires", partis, associations, syndicats, fondations, initiatives citoyennes, groupements, consortiums, etc.). À cet égard, l'importance du rôle des médias ne doit pas être sous-estimée.

    6.5.3. Ce n'est qu'à l'issue de ce processus très complexe de transmission et de condensation, au cours duquel les intérêts individuels sont transformés, filtrés et résumés à diverses reprises, que ceux-ci, en tant que "finalité de la société", peuvent déclencher l'action politique d'une instance supérieure et en faire l'objet.

    6.5.4. Les procédures et institutions démocratiques jouent un rôle décisif dans ce processus de collecte, de compensation et de condensation. C'est aussi ici, et au niveau européen, que se situe la mission du CES en tant qu'organe de l'Union européenne.

    6.5.5. Il importe dès lors que tout gouvernement, toute administration ou tout parti ait conscience de la différence - pouvant aller jusqu'au conflit - entre les intérêts individuels initiaux et leur forme agrégée politiquement efficace.

    6.6. Le caractère incertain de la base de décision ne dispense pas le monde politique de son obligation d'agir. Les dégâts doivent être évités et les risques réduits. À cette fin, il faut en général partir du principe que l'on dispose d'une connaissance des développements futurs, qui n'est souvent disponible que de manière limitée ou dans le pire des cas pas du tout (voir paragraphe 4.8.4).

    6.6.1.1. La politique consiste à agir pour la société, ce qui inclut aussi inévitablement l'expérimentation avec la société.

    6.6.2. Ce dilemme de l'action politique ne peut pas être résolu, mais il peut être désamorcé:

    6.6.2.1. par la connaissance de la prévisibilité limitée des développements futurs (et de l'incidence des décisions politiques) et par le fait d'être disposé à corriger les développements non souhaités ou les conséquences néfastes d'actions précédentes, ainsi que

    6.6.2.2. par l'optimisation de la base du savoir ("politique de la recherche") pour les décisions politiques et par la compréhension des conditions de fonctionnement, des possibilités et des limites de la science.

    6.7. Alors que des déclarations détaillées à propos de la politique générale (6.6.1) dépasseraient le cadre de cet avis du CES, les paragraphes suivants développent brièvement le paragraphe 6.6.2.2, rappelant en partie les déclarations figurant déjà aux chapitres 2 à 4.

    6.7.1. La première condition du développement d'une base de savoir optimale est le maintien ou la création d'un environnement économique, politique, social et culturel dans lequel la science est largement acceptée par le public et permettant à la créativité et à l'esprit d'invention de se développer au mieux. Les principaux éléments de cet environnement sont les suivants:

    - promouvoir la communication entre les citoyens et les scientifiques (et/ou entre les acteurs de la société et de la science); lever les obstacles existants;

    - diffuser une information dans les écoles, les universités et les médias à propos de la science; expliquer le processus le recherche, l'acquisition de savoir et l'inspiration guidant les scientifiques; montrer les points forts et les limites de la science, pour lutter contre les attentes irréalistes (pouvant aboutir au scepticisme à l'égard de la science);

    - s'assurer le concours, au sein des médias (entre autres au sein des chaînes publiques de télévision présentes dans certains États membres), de collaborateurs formés et cultivés ("agents d'information médiatiques"), afin que les informations puissent parvenir à de larges couches de population de manière efficace et appropriée;

    - dispenser à ces "agents d'information médiatiques", outre leur formation scientifique spécialisée, une formation sur la science, ses méthodes et son histoire;

    - expliquer clairement le risque potentiel de toute production d'idées (même dans les domaines de la science pure, de la philosophie ou de l'art); (rappelons les rejets socioculturels et spirituels qui ont suivi la théorie des mouvements planétaires de Copernic, la théorie de l'évolution de Darwin, la théorie de Marx ou celle de Freud sur la psychanalyse. Le potentiel conflictuel de domaines tels que la génétique, la recherche sur l'intelligence, la sociobiologie ou la recherche sur la différence entre les sexes est toujours important);

    - faire prendre conscience que le risque potentiel de nouvelles technologies ou de programmes de recherche ne peut en principe pas être complètement évalué objectivement. (Quelles seraient les conséquences d'une découverte de la gériatrie qui allongerait l'espérance moyenne de vie à 120 ans, par exemple?).

    6.7.2. La deuxième condition du développement optimal de la base du savoir est le maintien ou la création des meilleures conditions possibles de fonctionnement interne pour la science. À cette fin, il conviendrait (comme l'a également demandé la Commission) de mener des études indépendantes et rendre leurs résultats accessibles aux politiques. Les importantes mesures suivantes semblent évidentes:

    - renforcer la corrélation entre recherche fondamentale / recherche appliquée dans un système scientifique pluraliste et multipolaire;

    - protéger la liberté scientifique;

    - prévoir également des marges de manoeuvre dans la recherche appliquée;

    - garantir l'indépendance des scientifiques, par exemple par rapport à des pressions politiques, idéologiques ou économiques;

    - défendre et renforcer l'auto-organisation et l'autogestion de la science dans le cadre politique défini;

    - analyser les effets, le coût et l'efficacité des diverses procédures de demande de recherche et d'expertise;

    - prendre en compte la pluralité des objectifs et des intérêts de la société;

    - promouvoir et préserver également le savoir qui n'intéresse justement pas la "société".

    6.8. Les paragraphes suivants complètent les déclarations ci-dessus par quelques observations et points de vues spécifiques.

    6.8.1. Le CES soutient la Commission dans son effort visant à mettre en place, également au niveau européen, un dialogue permanent entre les représentants de la société et la communauté scientifique à propos des objectifs de la recherche, des questions éthiques y afférentes ainsi que des possibilités d'application et d'autres aspects des techniques pouvant être développées sur la base de cette recherche. Ce dialogue devrait réunir aussi bien des représentants des grandes sociétés scientifiques (telles que la Société européenne de physique, Academia Europaea et les sociétés scientifiques nationales) que des institutions actives dans la promotion de la recherche (telles que des groupements, des fondations et des associations) et devrait être associé à des visites d'instituts de recherche et à des discussions avec les différents chercheurs locaux. Outre la compréhension nécessaire des contenus, des attentes, des aides, etc., le dialogue devrait également permettre une meilleure entente entre les chercheurs et les représentants de la société.

    6.8.1.1. Le CES souligne son intention de participer activement à ce dialogue eu égard à sa mission et à sa composition. Comme prochaine étape, le Comité demande aux autres organes de l'Union européenne d'organiser conjointement avec lui une audition sur ce thème. Cette audition devrait rassembler entre autres des représentants de l'Academia Europaea, de l'industrie et des consommateurs, ainsi que d'autres organisations et personnalités intéressées par cette problématique.

    6.8.2. Toute politique de recherche devrait avoir pour principe fondamental: "le plus possible du bas vers le haut, le strict nécessaire du haut vers le bas", le plus de décentralisation possible, la centralisation réduite au strict nécessaire. Le CES estime que ce principe n'est pas en contradiction avec les objectifs de l'espace européen de recherche, mais signifie au contraire qu'au sein de la Commission également et dans le cadre de la politique de recherche qu'elle poursuit, il y a lieu de déléguer le plus possible la compétence, le pouvoir de décision et d'initiative, etc.

    6.8.3. La promotion et l'orientation de la recherche par des moyens supplémentaires axés sur un programme nécessite une base solide et suffisante d'instituts et institutions excellents - disposant de l'expérience nécessaire ainsi que des appareils et de l'infrastructure adéquats - à partir de laquelle de nouveaux thèmes peuvent être abordés et de nouveaux domaines rapidement conquis.

    6.8.3.1. Un équilibre est donc nécessaire entre l'aide institutionnelle et les aides liées à un projet/programme.

    6.8.4. Une question importante à cet égard est la question de savoir comment - si tant est que cela soit possible - l'on peut mesurer la qualité de l'enseignement et de la recherche, et à cet égard, quelles sont les dépenses judicieuses et défendables. Cette question présente deux aspects:

    6.8.4.1. D'une part, l'expérience et l'expertise des meilleurs scientifiques ayant le mieux réussi seront justement nécessaires à cet égard. Toutefois, ceux-ci seront simultanément écartés de la recherche active en raison des procédures liées à cette tâche - expertise, requêtes, réunions, auditions, etc. Par conséquent, les mécanismes de la politique de la recherche ainsi que les systèmes d'aide, entre autres, doivent être aménagés de manière à produire une relation équilibrée et globalement productive entre ces deux point de vue.

    6.8.4.2. D'autre part, il faut veiller à ce que les découvertes vraiment nouvelles, voire révolutionnaires, ne soient pas exclues des subventions en raison de la procédure d'expertise choisie, parce qu'elles ne répondent pas aux critères des priorités établies en matière de recherche - qui n'ont pas pu prévoir ces nouveautés. (D'après des études scientifiques théoriques, l'on peut douter que cela soit possible!).

    6.8.5. C'est notamment la raison pour laquelle il est nécessaire de permettre et d'entretenir des approches, des procédures d'évaluation et des structures pluralistes et interdisciplinaires en matière de recherche, afin de stimuler et d'utiliser la concurrence qui en découlera et visera à trouver les meilleures idées et à obtenir les meilleurs résultats. C'est le terrain le plus favorable au progrès scientifique.

    6.8.6. Une bonne recherche, en particulier une recherche interdisciplinaire, a besoin d'un milieu pluraliste et souvent même chaotique, semble-t-il. La politique et l'administration doivent en tenir compte, car cette situation entrave la compréhension et la clarté nécessaires, qui auraient été plus faciles à obtenir dans un paysage de recherche bien structuré et monothématique.

    6.9. Par conséquent, le CES recommande fortement à la Commission de faire de la question de la meilleure "gouvernance" possible de la recherche un thème de recherche propre, qui tiendrait compte des expériences acquises à ce jour en matière de recherche, de gestion de la recherche, d'évaluation de la recherche et de théorie scientifique. Le CES estime que le document de travail de la Commission à l'examen, mais également le présent avis d'initiative, font déjà un pas important dans cette direction.

    7. Résumé et recommandations

    7.1. Le thème "Science, société et citoyens" revêt une grande importance pour la société. Le CES soutient la Commission dans sa volonté de se pencher sur cette question et d'inciter les acteurs concernés à engager un dialogue permanent à ce propos. En tant qu'organe de l'Union européenne, le CES s'estime qualifié pour prendre part à ce dialogue auquel il entend contribuer.

    7.1.1. Le présent avis d'initiative du CES est une contribution à ce dialogue. Comme prochaine étape, le CES invite les organes de l'UE à organiser conjointement une audition sur ce thème.

    7.2. Le présent avis d'initiative du CES traite de manière très détaillée le fossé entre les citoyens, la société et la science en matière de connaissances ainsi que les problèmes qui affectent les relations entre ces trois parties. Ceux-ci portent notamment sur:

    - les attentes des citoyens à l'égard de la science et de ses possibilités;

    - les possibilités et les risques inhérents aux techniques, à la médecine, aux aliments, etc., mis au point sur la base des connaissances acquises;

    - la prévisibilité des développements futurs;

    - l'essence de la science et de la recherche;

    - les possibilités et les erreurs de la politique de recherche, par exemple dans les domaines suivants:

    - la mesurabilité des performances scientifiques et les investissements qu'elle nécessite,

    - les "finalités de société",

    - les liens de coopération entre recherche - développement - production et/ou monde académique - industrie - consommateurs, et la transparence nécessaire,

    - la clarté de l'évaluation des résultats, la prévisibilité des risques.

    7.2.1. Par conséquent, le dialogue entre les citoyens, la société et la science sur la thématique abordée devrait être consacré entre autres aux questions suivantes:

    - les questions éthiques,

    - la politique de l'environnement et de l'énergie: biosphère, écosphère, ressources, économie,

    - la politique de la recherche, par exemple: objectifs, organisation et évaluation de la recherche,

    - recherche, innovation, industrie, consommateurs.

    7.3. Le CES recommande expressément que des mesures soient prises pour réduire ce fossé.

    7.3.1. Ces mesures devraient notamment viser à une ouverture accrue des universités, des instituts de recherches, etc. au citoyen, ainsi qu'à un meilleur engagement, plus ferme, des médias à fournir des informations claires et adéquates.

    7.3.2. Dans ce contexte, il convient en particulier que les écoles déploient des efforts beaucoup plus importants pour donner aux citoyens une formation solide dans le domaine de la science et de la recherche, y compris des conditions de fonctionnement d'une recherche fructueuse. À cette fin, il y a lieu de développer un concept européen approprié en matière de politique de formation, qui tienne également compte des pays candidats.

    7.3.3. Cette formation doit également inclure des connaissances sur le processus historique et sur les avancées prodigieuses de la culture européenne, qui ont permis les réalisations scientifiques et techniques actuelles et ont assuré aux citoyens européens des conditions de vie telles qu'ils n'en avaient jamais connues dans l'histoire.

    7.4. À côté des grands mérites de la science, à laquelle il faut imputer le bien-être actuel et les perspectives d'avenir, le CES relève également (i) les dangers et les risques pouvant résulter des technologies modernes fondées sur la connaissance ainsi que (ii) les menaces potentielles que fait peser sur la biosphère le mode de vie industriel actuel des hommes.

    7.5. Le CES recommande dès lors de faire également en sorte que l'on continue à adopter des règles claires en vue d'une utilisation responsable des techniques puissantes (développées sur la base des découvertes scientifiques) et de contrôler leur respect. Le CES souligne le rôle qu'il entend lui-même jouer dans ce processus.

    7.6. Le CES recommande que l'on appuie toutes les mesures susceptibles d'éviter la polarisation et qui favorisent une interaction accrue entre sciences humaines et sciences exactes. Cela implique également l'instauration d'un dialogue réciproque sur des sujets tels que la méthodologie, l'élaboration de concepts, l'évaluation des résultats, entre autres.

    7.7. Le CES met l'accent sur le manque de "capital humain" dans le domaine de la science et de la recherche. Le "capital humain" est la condition d'une recherche et d'un développement réussis, ainsi que de l'innovation et de la compétitivité économique. Le CES préconise l'adoption de mesures permettant de remédier à cette insuffisance. À cette fin, il importe notamment de rendre la recherche et le développement plus attrayants - y compris pour les femmes - et de doter le métier de scientifique d'un statut approprié.

    7.8. Le CES recommande que les conditions de fonctionnement requises pour assurer le succès et la compétitivité internationale de la recherche et du développement deviennent un thème de recherche à part entière et de prendre en compte les résultats de cette recherche dans les réflexions relatives à la gouvernance en matière de politique de recherche. À cet égard, il y a lieu de tenir compte des opinions et des recommandations présentées dans le présent avis d'initiative et de les défendre auprès des acteurs politiques et économiques.

    7.9. Le Comité reprend ici brièvement quelques-unes des thèses développées dans le présent avis:

    7.9.1. La "finalité de la société" n'est tout d'abord qu'une notion abstraite insaisissable. Une image de l'opinion, certes toujours différenciée, mais d'une structure plus compacte - même si elle n'est pas nécessairement consensuelle - n'apparaît qu'à l'issue de processus démocratiques complexes de condensation.

    7.9.2. Le caractère incertain de la base de décision ne dispense pas le monde politique de son obligation d'agir. La politique consiste à agir pour la société, ce qui inclut aussi inévitablement l'expérimentation avec la société. Ce dilemme de l'action politique ne peut pas être résolu, mais il peut être désamorcé:

    - par la connaissance de la prévisibilité limitée des développements futurs et par le fait d'être disposé à apporter les corrections éventuellement nécessaires;

    - par l'optimisation de la base du savoir ("politique de la recherche") pour les décisions politiques et par la compréhension des conditions de fonctionnement, des possibilités et des limites de la science.

    7.9.3. Les conditions d'une base de savoir optimale sont entre autres:

    - un dialogue permanent entre les acteurs de la science et de la société;

    - un environnement économique, politique, social et culturel dans lequel la science est acceptée et permettant à la créativité et à l'esprit d'invention de se développer au mieux;

    - les meilleures conditions possibles de fonctionnement interne de la science;

    - un nombre suffisant de citoyens disposés à embrasser la carrière scientifique et possédant les qualités requises à cet effet.

    Bruxelles, le 30 mai 2001.

    Le Président

    du Comité économique et social

    Göke Frerichs

    (1) JO C 204 du 18.7.2000.

    (2) JO C 204 du 18.7.2000, p. 70,"Vers un espace européen de la recherche".

    (3) Cette question est examinée de manière détaillée dans les avis et dans le JO C 139 du 11.5.2001, p. 85. (Dimension européenne de l'éducation).

    (4) JO C 139 du 11.5.2001, p. 85.

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