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Document 62008CO0076

Ordonnance du président de la Cour du 24 avril 2008.
Commission européenne contre République de Malte.
Affaire C-76/08 R.

Recueil de jurisprudence 2008 I-00064*

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2008:252

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

24 avril 2008 (*)

«Référé – Demande de mesures provisoires – Conservation des oiseaux sauvages – Directive 79/409/CEE – Chasse printanière – Interdiction – Dérogations au régime de protection – Condition relative à l’absence d’une ‘autre solution satisfaisante’ – Urgence»

Dans l’affaire C-76/08 R,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires au titre de l’article 243 CE, introduite le 21 février 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes D. Recchia et D. Lawunmi, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Malte, représentée par M. S. Camilleri, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Poiares Maduro, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour d’enjoindre à la République de Malte de s’abstenir d’adopter toutes mesures visant à appliquer la dérogation prévue à l’article 9 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1), telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, portant adaptation des directives 73/239/CEE, 74/557/CEE et 2002/83/CE dans le domaine de l’environnement, en raison de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (JO L 363, p. 368, ci-après la «directive 79/409»), pour la chasse de la caille des blés (Coturnix coturnix) et de la tourterelle des bois (Streptopelia turtur) lors de la migration printanière.

2        La Commission a également demandé, en vertu de l’article 84, paragraphe 2, du règlement de procédure, qu’il soit fait droit provisoirement à cette demande avant même que l’autre partie ait présenté ses observations.

3        Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit par la Commission le 21 février 2008 et visant à faire constater que, en ne remplissant pas les conditions énoncées à l’article 9 de la directive 79/409, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 de ladite directive en ce qui concerne la chasse de la caille des blés et de la tourterelle des bois au cours de la migration printanière.

 La procédure devant la Cour

4        La République de Malte, ayant été invitée à présenter ses observations sur la demande de mesures provisoires et à faire savoir à la Cour si elle avait déjà adopté ou avait l’intention d’adopter des mesures autorisant la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois pour l’année en cours, a, le 7 mars 2008, tout en présentant ses observations, indiqué à la Cour qu’aucune mesure n’a encore été adoptée en vue d’autoriser ladite chasse pour l’année 2008.

5        Les autorités maltaises ont, en outre, informé la Cour qu’une éventuelle décision ministérielle autorisant la chasse printanière de ces deux espèces pour l’année 2008 ne pourrait être prise qu’après le dépôt d’une recommandation émanant d’un comité national, le comité Ornis, et ce au moins quatre semaines avant la date envisagée par ce comité pour l’ouverture de la saison de chasse. Or, ce comité, bien qu’il se soit réuni à plusieurs reprises à cette fin, n’aurait pas encore déposé de recommandation.

6        Le 2 avril 2008, les parties ont été entendues en leurs explications orales. Lors de cette audience, la Commission a précisé que sa demande de mesures provisoires vise les années 2008 et 2009.

7        Par lettre du 11 avril 2008, les autorités maltaises ont confirmé qu’aucune décision ministérielle autorisant la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois pour l’année 2008 ne sera prise avant que la Cour n’ait rendu sa décision dans la présente procédure en référé.

 Le cadre juridique

8        La directive 79/409 a pour objet de garantir la protection, la gestion et la régulation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité CE est d’application. À cette fin, elle impose aux États membres d’instaurer un régime général de protection prévoyant, en particulier, l’interdiction de tuer, de capturer ou de perturber les oiseaux visés à son article 1er et de détruire les nids.

9        Aux termes de l’article 7 de la directive 79/409:

«1.      En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l’annexe II peuvent être l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution.

2.      Les espèces énumérées à l’annexe II partie 1 peuvent être chassées dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

3.      Les espèces énumérées à l’annexe II partie 2 peuvent être chassées seulement dans les États membres pour lesquels elles sont mentionnées.

4.      Les États membres s’assurent que la pratique de la chasse, y compris le cas échéant la fauconnerie, telle qu’elle découle de l’application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l’article 2. Ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation de la chasse ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. Lorsqu’il s’agit d’espèces migratrices, ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation de la chasse ne soient pas chassées pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. Les États membres transmettent à la Commission toutes les informations utiles concernant l’application pratique de leur législation de la chasse.»

10      L’article 9 de la directive 79/409 dispose:

«1.      Les États membres peuvent déroger aux articles 5, 6, 7 et 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après:

a)      –       dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,

–        dans l’intérêt de la sécurité aérienne,

–        pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,

–        pour la protection de la flore et de la faune;

b)      pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions;

c)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.

2.      Les dérogations doivent mentionner:

–      les espèces qui font l’objet des dérogations,

–      les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés,

–      les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises,

–      l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes,

–      les contrôles qui seront opérés.

3.      Les États membres adressent à la Commission chaque année un rapport sur l’application du présent article.

4.      Au vu des informations dont elle dispose, et notamment de celles qui lui sont communiquées en vertu du paragraphe 3, la Commission veille constamment à ce que les conséquences de ces dérogations ne soient pas incompatibles avec la présente directive. Elle prend les initiatives appropriées à cet égard.»

11      La caille des blés et la tourterelle des bois, figurant à l’annexe II, partie 2, de la directive 79/409, ne peuvent être chassées, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de ladite directive, que dans les États membres pour lesquels elles sont mentionnées. Tel étant le cas en ce qui concerne la République de Malte, la chasse de ces espèces peut en principe avoir lieu sur le territoire de cet État membre, à condition toutefois que les prescriptions prévues par la directive 79/409 soient respectées.

12      À cet égard, il est constant que la caille des blés et la tourterelle des bois sont des espèces migratrices et que la chasse printanière intervient pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. Conformément à l’article 7, paragraphe 4, de la directive 79/409, la chasse printanière de ces espèces sur le territoire maltais doit donc, pour être licite, prendre la forme d’une dérogation en application de l’article 9 de ladite directive.

 Sur la recevabilité

13      Le gouvernement maltais met en cause la recevabilité de la demande de mesures provisoires.

14      D’abord, il soutient que cette demande est irrecevable car elle dépasse l’objet du recours au fond introduit en vertu de l’article 226, paragraphe 2, CE. Selon lui, le fait que les États membres doivent, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 79/409, adresser chaque année à la Commission un rapport sur l’application dudit article 9 et que, en vertu du paragraphe 4 de ce même article, la Commission est tenue de prendre en compte les informations figurant dans ce rapport, afin de déterminer si les conséquences des dérogations autorisées sont compatibles avec la directive 79/409, implique que la Commission ne peut déclarer l’incompatibilité de ces dérogations avec cette directive sans avoir au préalable reçu le rapport relatif à l’année en cause. Pour cette raison, l’objet du recours au fond ne saurait aller au-delà des années pour lesquelles la République de Malte a soumis son rapport, à savoir les années 2004, 2005 et, éventuellement, 2006, et, partant, ne pourrait concerner l’année 2007, pour laquelle le rapport n’a pas à être soumis avant la fin de l’année 2008. Il en est d’autant plus ainsi en ce qui concerne l’année 2008, pour laquelle non seulement le rapport ne peut pas encore être déposé, mais aussi les autorités maltaises n’ont même pas encore décidé de se prévaloir de la dérogation.

15      À cet égard, il suffit de constater que la demande de mesures provisoires, en ce qu’elle vise les deux prochaines périodes de chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois, ne dépasse pas le cadre du litige tel qu’il a été déterminé par le recours au fond de la Commission, ce recours ayant trait au principe même de cette chasse. Si le gouvernement maltais met en cause la recevabilité de ce dernier recours, il convient de préciser que ce problème ne doit, sauf dans des circonstances exceptionnelles dont la réalité n’a toutefois pas été établie en l’espèce, en principe pas être examiné dans le cadre d’une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l’affaire (voir, en ce sens, ordonnance du 27 janvier 1988, Distrivet/Conseil, 376/87 R, Rec. p. 209, point 21).

16      Ensuite, le gouvernement maltais estime que la présente demande en référé est irrecevable en ce qu’elle vise, en réalité, à anticiper la décision de la Cour sur le bien-fondé du recours au fond.

17      S’il est vrai que les mesures demandées doivent être provisoires en ce sens qu’elles ne préjugent pas les points de droit ou de fait en litige ni ne neutralisent par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement au principal [ordonnance du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C‑393/96 P(R), Rec. p. I-441, point 27], il convient d’observer que, en l’espèce, les mesures demandées se limitent à prévenir une détérioration de l’état de conservation de la caille des blés et de la tourterelle des bois pendant deux périodes de chasse printanière.

18      Enfin, le gouvernement maltais fait valoir que, par sa demande en référé, la Commission cherche à usurper les pouvoirs conférés par la loi aux autorités maltaises en évaluant et en décidant elle-même si le recours à une dérogation permettant la chasse printanière est ou non conforme aux dispositions de la directive 79/409. Pareil comportement serait d’autant plus critiquable que, en l’absence, à la date de la demande en référé, de toute décision des autorités maltaises autorisant la chasse printanière pour l’année 2008, il n’existe aucune mesure nationale susceptible d’être suspendue, de sorte que la demande de mesures provisoires serait manifestement prématurée.

19      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le système des voies de recours établi par le traité, une partie peut non seulement demander, conformément à l’article 242 CE, le sursis à exécution de l’acte attaqué dans l’affaire au fond, mais également invoquer l’article 243 CE, afin de solliciter l’octroi de mesures provisoires. En vertu de cette dernière disposition, le juge des référés peut notamment adresser, à titre provisoire, les injonctions appropriées à l’autre partie (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 5 août 1983, CMC e.a./Commission, 118/83 R, Rec. p. 2583, point 53).

20      Il s’ensuit que la demande de mesures provisoires est recevable.

 Sur le fond

21      Conformément à une jurisprudence constante, des mesures provisoires ne peuvent être accordées par le juge des référés que s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’elles sont urgentes en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’elles soient édictées et produisent leurs effets dès avant la décision au principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour du 29 avril 2005, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P-R, Rec. p. I‑3539, point 10 et jurisprudence citée).

22      Les conditions ainsi posées sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, précitée, point 11 et jurisprudence citée).

 Sur le fumus boni juris

23      La Commission fait valoir que les autorités maltaises ont pris des mesures pour appliquer la dérogation prévue à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 79/409, afin de permettre la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois pour les années 2004 à 2007 et que, s’agissant de l’année 2008, il n’y a aucun indice permettant de conclure qu’une mesure de ce type ne sera pas prise à brève échéance.

24      La Commission soutient que lesdites mesures n’entrent pas dans le champ de la dérogation prévue audit article 9, paragraphe 1, car les autorités maltaises n’auraient pas démontré qu’il n’y a pas d’autre solution satisfaisante à la chasse printanière des espèces concernées. Quant à l’argument supplémentaire présenté dans ses écritures, selon lequel ces mesures ne seraient justifiées par aucun des motifs énoncés à l’article 9, paragraphe 1, sous a) à c), de ladite directive, la Commission a indiqué, lors de l’audience, qu’elle y renonce.

25      Selon le gouvernement maltais, s’il est vrai que la chasse des espèces concernées est possible durant l’automne, il apparaîtrait, toutefois, que ces oiseaux ne seraient pas présents en quantité suffisante pendant cette période.

26      Au soutien de son argumentation, il expose d’ailleurs que, en 2006, seulement 11 % des tourterelles des bois (soit 4 142 oiseaux sur un total de 37 347) et 24,6 % des cailles des blés (soit 4 937 oiseaux sur un total de 20 052) ont été prélevées à l’automne.

27      Le gouvernement maltais ajoute que, pour ce qui est de l’année 2005, où l’on dénombrait 12 059 titulaires d’un permis de chasse, 15 239 cailles des blés ont été prises au printemps, ce qui correspond à 1,3 cailles par chasseur, contre seulement 5 109 en automne, ce qui correspond à 0,42 caille par chasseur. En ce qui concerne les tourterelles des bois, 31 493 ont été prises au printemps, ce qui correspond à 2,6 tourterelles par chasseur, contre seulement 4 990 en automne, ce qui correspond à 0,41 tourterelle par chasseur.

28      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé que la circonstance que la chasse pendant l’automne et l’hiver se déroule dans des conditions moins favorables par rapport à d’autres périodes de l’année est dépourvue de pertinence au regard du cadre juridique de protection établi par la directive 79/409 (voir arrêt du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C‑507/04, Rec. p. I‑5939, point 203).

29      Dans la présente affaire il est constant que la chasse des espèces concernées est possible en automne, même si le nombre des oiseaux prélevés est alors inférieur. En outre, le gouvernement maltais n’a, ni dans ses observations écrites ni lors de l’audience, clairement expliqué pourquoi et par rapport à quels besoins les prélèvements effectués durant la chasse automnale devaient être considérés comme insuffisants. Il importe, d’ailleurs, de préciser que l’objectif de la directive 79/409 n’est pas de garantir aux communautés de chasseurs un nombre minimal d’oiseaux à prélever par chasseur.

30      Dans ces conditions, il convient de constater que le caractère fondé du recours au fond ne peut être écarté d’emblée, même si, par ailleurs, les arguments invoqués par la République de Malte pour sa défense ne sauraient être méconnus.

 Sur l’urgence

31      Quant à la condition relative à l’urgence, il y a lieu de rappeler que la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire (ordonnance du président de la Cour du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), Rec. p. I‑8739, point 36 et jurisprudence citée).

32      C’est à la partie qui se prévaut d’un tel préjudice d’en établir l’existence. S’il n’est pas exigé, à cet égard, une certitude absolue que le dommage se produira et s’il suffit d’une probabilité suffisante qu’il se réalise, il n’en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage (voir ordonnance du président de la Cour du 20 juin 2003, Commission/Laboratoires Servier, C‑156/03 P-R, Rec. p. I‑6575, point 36).

33      La Commission, invoquant l’atteinte qui serait causée au patrimoine commun des États membres si la République de Malte autorisait à nouveau la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois, soutient que la poursuite de la pratique consistant à accorder systématiquement une dérogation autorisant la chasse pendant la migration de printemps aurait un effet dévastateur sur la population de ces espèces, espèces dont l’état de conservation n’est, en tout état de cause, pas favorable. Elle fait observer que la chasse printanière touche notamment des adultes matures, à savoir ceux parmi ces oiseaux qui sont nécessaires pour procréer afin de perpétuer l’espèce. Lors de l’audience, elle a souligné que le fait que la chasse printanière mettra à mort un certain nombre de ces oiseaux suffirait en soi pour établir la réalité d’un dommage irréparable.

34      Le gouvernement maltais estime que les affirmations de la Commission restent vagues et d’ordre général. Cette dernière ne fournirait pas de réelles justifications étayant ses allégations et se perdrait dans des contradictions. Ainsi, dans sa demande en référé, la Commission indique, à la note 5 en bas de page, qu’il «est difficile de démontrer que la chasse [aux espèces concernées] à Malte a en soi un effet dévastateur sur ces populations d’oiseaux en Europe», ce qui serait totalement contradictoire avec l’effet dévastateur de la chasse sur lesdites espèces qu’elle ne cesse de dénoncer dans cette même demande. Selon le gouvernement maltais, en l’absence d’un tel effet dévastateur, la réalité d’un préjudice grave et irréparable ne saurait être considérée comme établie.

35      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’application du critère de l’urgence, retenu par la Commission, lors de l’audience, conduirait à ce que l’urgence soit en pratique toujours considérée comme établie. En revanche, sur le fondement du critère préconisé par le gouvernement maltais, il faudrait démontrer que la chasse printanière pour les années 2008 et/ou 2009 aurait en soi un effet dévastateur sur les espèces concernées, ce qui apparaît très difficile sinon en pratique impossible.

36      Or, la procédure en référé n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés. Le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens et dans de nombreux cas il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile.

37      En outre, la législation communautaire sur la conservation des oiseaux sauvages doit être interprétée à la lumière du principe de précaution, qui est l’un des fondements de la politique de protection d’un niveau élevé poursuivie par la Communauté dans le domaine de l’environnement, conformément à l’article 174, paragraphe 2, premier alinéa, CE (voir, par analogie, notamment arrêt du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C‑127/02, Rec. p. I‑7405, point 44).

38      Partant, dans le cadre de l’appréciation de l’urgence, il convient de rappeler, tout d’abord, que la protection des oiseaux visés par la directive 79/409 est considérée comme étant une matière où la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres (voir arrêt du 8 juin 2006, WWF Italia e.a., C‑60/05, Rec. p. I‑5083, point 24). Ainsi que la Cour l’a jugé, toute activité de chasse est susceptible de perturber la faune sauvage et elle peut, dans de nombreux cas, conditionner l’état de conservation des espèces concernées, indépendamment de l’ampleur des prélèvements auxquels elle donne lieu. L’élimination périodique d’individus entretient en effet, parmi les populations chassées, un état d’alerte permanent qui a des conséquences néfastes sur de multiples aspects de leurs conditions de vie (arrêt du 19 janvier 1994, Association pour la protection des animaux sauvages e.a., C‑435/92, Rec. p. I‑67, point 16, et ordonnance du président de la Cour du 19 décembre 2006, Commission/Italie, C‑503/06 R, point 17).

39      Ensuite, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page susmentionnée de la demande en référé de la Commission, sans que cela ait été contesté par le gouvernement maltais, «[l]’état de conservation des deux espèces en question n’est pas jugé favorable (voir Birds in Europe, BirdLife Conservation Series N° 12, BirdLife International, qui indique que la tourterelle des bois est en déclin modéré constant en Europe et que la caille des blés connaît un important déclin historique en Europe)».

40      Enfin, la question de l’urgence ne saurait être séparée du contexte plus large dans lequel se situe la présente affaire et qui est caractérisé par le fait que la Commission dénonce, dans le recours au fond, le principe même de la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois à Malte, tandis que le gouvernement maltais estime que cette chasse est conforme aux prescriptions de la directive 79/409 et qu’il lui est loisible de l’autoriser également dans le futur.

41      Il convient donc de prendre en considération l’effet cumulé de la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois pendant les dernières années, afin d’apprécier si la poursuite de cette chasse pour les années 2008 et 2009 justifie l’octroi des mesures provisoires demandées.

42      D’ailleurs, le comité national Ornis, auquel il revient de soumettre une recommandation au gouvernement maltais à la suite de laquelle ce dernier prendra ou non une décision autorisant la chasse printanière desdites espèces, a déjà été saisi et a décidé, selon les explications données par le gouvernement maltais, de surseoir à délibérer dans l’attente d’une décision de la Cour.

43      Sur le fondement de ce qui précède, il s’avère que la demande de mesures provisoires de la Commission ne saurait être écartée pour manque d’urgence en ce qui concerne l’année en cours. En revanche, quant à l’année 2009, l’urgence n’apparaît pas constituée, dans le cadre de la présente demande en référé.

 Sur la balance des intérêts

44      Il convient encore de déterminer si la balance des intérêts plaide, quant aux mesures provisoires demandées pour l’année 2008, en faveur de l’une ou de l’autre des parties.

45      La Commission soutient que l’intérêt de la protection du patrimoine commun de la Communauté l’emporte sur les effets négatifs possibles, pour les autorités maltaises ou pour des tiers, tels que les chasseurs de Malte, des mesures provisoires demandées.

46      Le gouvernement maltais estime que ses intérêts dans l’affaire au fond seraient définitivement et irrémédiablement compromis si les mesures demandées étaient accordées, ce qui serait d’autant plus grave au regard de l’absence de préjudice grave et irréparable.

47      Quant aux répercussions éventuelles de la demande en référé sur l’affaire au fond, il y a lieu de renvoyer au point 17 de la présente ordonnance. Pour le reste, il apparaît qu’il y ait à comparer, d’une part, l’intérêt invoqué par la Commission et consistant dans le respect de la directive 79/409 et, d’autre part, l’intérêt de la République de Malte consistant à pouvoir, si elle le souhaite, autoriser la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois.

48      Si, sur le fondement de la jurisprudence citée antérieurement, l’intérêt de la protection du patrimoine commun de la Communauté, fondé sur des justifications écologiques, est considérable en soi, l’intérêt des chasseurs n’apparaît pas comme ayant une valeur supérieure à celui-ci. D’après les informations disponibles dans le cadre de la présente procédure, une interdiction éventuelle de la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois en 2008 ne se heurterait, d’ailleurs, ni à des droits acquis par les chasseurs ni même, au regard des antécédents de cette procédure, à une attente légitime de ces derniers de poursuivre, au printemps 2008, une activité qui appartient davantage aux loisirs qu’à tout autre type d’occupation.

49      Dans ces conditions, il apparaît nécessaire d’ordonner à la République de Malte de s’abstenir d’adopter toutes mesures appliquant la dérogation de l’article 9 de la directive 79/409 pour la chasse de la caille des blés et de la tourterelle des bois lors de la migration printanière de l’année 2008.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne:

1)      La République de Malte s’abstient d’adopter toutes mesures appliquant la dérogation de l’article 9 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, portant adaptation des directives 73/239/CEE, 74/557/CEE et 2002/83/CE dans le domaine de l’environnement, en raison de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, pour la chasse de la caille des blés (Coturnix coturnix) et de la tourterelle des bois (Streptopelia turtur) lors de la migration printanière de l’année 2008.

2)      La demande de mesures provisoires est rejetée pour le surplus.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.

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