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Document 52006AE1372

Avis du Comité économique et social européen sur la Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions: Un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme COM(2005) 596 final

JO C 324 du 30.12.2006, p. 68–73 (ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, NL, PL, PT, SK, SL, FI, SV)

30.12.2006   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 324/68


Avis du Comité économique et social européen sur la «Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions: Un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme»

COM(2005) 596 final

(2006/C 324/24)

Le 22 novembre 2005, la Commission a décidé, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur la communication susmentionnée.

La section spécialisée «Emploi, affaires sociales, citoyenneté», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 6 septembre 2006 (rapporteuse: Mme LE NOUAIL MARLIÈRE).

Compte tenu du renouvellement du mandat du Comité, l'Assemblée plénière a décidé de se prononcer sur cet avis au cours de la session plénière d'octobre et a désigné Mme LE NOUAIL MARLIÈRE, Rapporteur général, conformément à l'article 20 du Règlement Intérieur.

Lors de sa 430e session plénière du 26 octobre 2006, le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 105 voix pour, 1 voix contre et 5 abstentions.

1.   Conclusions

1.1

Le Comité recommande que:

la Commission éclaire les États membres, en leur indiquant plus précisément les liens ou compléments d'action à mettre en œuvre dans les plans nationaux demandés et explicite que le multilinguisme ou le plurilinguisme est un apport possible à l'intégration politique et culturelle de l'UE, est vecteur de compréhension et d'inclusion sociale;

l'étendue de l'offre d'enseignement soit concertée au niveau européen si l'on veut atteindre un résultat dans la durée, et que le réservoir potentiel de compétence ne soit pas réduit à un nombre restreint de langues;

toutes les pratiques multilingues dans les domaines professionnel, culturel, politique, scientifique, social, soient promues et encouragées;

les experts associés ne soient pas uniquement des spécialistes des disciplines sociales et scientifiques et incluent des praticiens linguistes, interprètes, traducteurs, enseignants et professionnels des langues;

les générations présentes d'adultes jeunes et moins jeunes soient dûment et mieux prises en considération dans ces orientations, au travers de la formation tout au long de la vie, et de leurs droits culturels lorsque la Commission entrera dans la phase programmatique;

la Commission s'appuie non seulement sur les travaux universitaires mais sur les actions des associations actives dans le domaine et soutienne les initiatives populaires en réseau de la société civile.

2.   Introduction: résumé de la communication de la Commission

Il s'agit d'une communication de la Commission définissant un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme et qui réaffirme son propre engagement en faveur du multilinguisme. Elle est qualifiée de «première communication de son histoire sur ce sujet». Elle explore diverses facettes des politiques européennes en la matière et propose des actions spécifiques.

Elle incite les États membres à jouer leur rôle et à promouvoir l'enseignement, l'apprentissage, et l'usage des langues. Elle crée l'événement en initiant un nouveau portail de consultation institutionnel en 20 langues.

La Commission présente, dans ce premier document politique sur le multilinguisme, une nouvelle stratégie-cadre assortie de propositions d'actions spécifiques dans les domaines de la société, de l'économie et des relations avec les citoyens. La Commission poursuit trois objectifs: encourager l'apprentissage des langues et promouvoir la diversité linguistique dans la société; favoriser une économie multilingue performante; donner aux citoyens un accès à la législation, aux procédures et aux informations de l'Union européenne dans leur propre langue. Rappelant que le Conseil européen de Barcelone avait souligné en 2002 la nécessité de promouvoir l'enseignement d'au moins deux langues étrangères, la Commission demande aux États membres d'adopter des plans d'actions en faveur du multilinguisme, d'améliorer la formation des enseignants de langues, de mobiliser les moyens nécessaires à l'apprentissage des langues dès le plus jeune âge et de renforcer l'enseignement des matières par l'intégration d'une langue étrangère. En rappelant que les entreprises européennes ont besoin de compétences dans les langues de l'Union européenne et dans celles de nos autres partenaires commerciaux dans le monde et que les secteurs de l'économie liés aux langues connaissent une évolution rapide dans la plupart des pays européens, la Commission propose un certain nombre d'actions pour renforcer l'aspect multilingue de l'économie de l'Union. En ce qui concerne sa politique de communication multilingue, la Commission envisage de renforcer le caractère multilingue de ses nombreux sites Internet et de ses publications par le biais de la création d'un réseau interne chargé de veiller à la cohérence des pratiques linguistiques de ses services. Elle propose aussi de créer un groupe à haut niveau sur le multilinguisme composé d'experts indépendants qui l'assisterait dans l'analyse des progrès réalisés dans les États membres, de tenir prochainement une conférence ministérielle sur le multilinguisme permettant aux États membres de faire état de leurs avancées en la matière et, enfin, de préparer une nouvelle communication développant cette approche globale du multilinguisme dans l'Union européenne.

3.   Observations générales

3.1

Le Comité approuve l'initiative et remarque que le cadre stratégique est qualifié de «nouveau», et la communication de «premier document politique sur le multilinguisme». À cet égard les références nombreuses à l'ancien cadre stratégique (1) ne suffisent pas pour avoir une claire image du bilan. Le Comité pense qu'il serait utile que la Commission dégage une synthèse de l'apport attendu en terme de valeur ajoutée de ce nouveau cadre, et de son impact comparé. Existera-t-il une étude d'impact telle que définie dans l'accord interinstitutionnel Commission-CESE (2) et dans le cadre de simplification législative et de gouvernance? Le Comité avance que la Communication seule pourrait ne pas donner la visibilité nécessaire aux États membres pour approuver des programmes par ailleurs non contraignants. Bien que la stratégie cadre soit demandée par le Conseil, elle implique une harmonisation nécessaire pour optimiser les ressources éventuellement allouées par les États membres comme par l'Union européenne elle-même. Cette harmonisation ne peut s'élaborer que dans la connaissance claire des actions déjà conduites par les États membres ou par l'UE.

3.2

La Commission «réaffirme son propre engagement»: le Comité observe donc qu'il existe un engagement précédent. Le Comité remarque que l'état des pratiques internes de la Commission en matière de multilinguisme ne fait pas l'objet de satisfaction unanime tant à l'intérieur des services de la Commission que dans ses relations avec l'extérieur.

3.3

Le Comité observe le désagrément et le manque d'égalité de traitement entre les institutions d'une part et la société civile européenne dans toutes ses composantes (dialogue social autonome et dialogue civil) d'autre part. Toutes les notes, études, documents utiles et nécessaires à l'élaboration, la consultation et la discussion de la législation européenne elle-même sont produites et disponibles pour une part disproportionnée en anglais. Ainsi en est-il de plus en plus des réunions internes ou organisées par la Commission. Ainsi, pour être expert de la Commission faut-il de fait parler anglais, pour représenter la société civile à Bruxelles, aussi. De même, beaucoup d'études statistiques ou qualitatives auxquelles il a été fait référence dans le cadre du présent avis ne sont disponibles qu'en anglais (3).

3.4

Certains documents ne sont pas toujours disponibles dans la langue des rapporteurs institutionnels ou des acteurs consultés habituellement, ce qui montre que le consensus autour des trois langues de travail pivot des institutions de l'UE est loin d'être respecté tant dans la communication institutionnelle qu'informelle. Il paraît utile d'ajouter qu'il est ainsi facile d'écarter un certain nombre d'interlocuteurs d'un nombre croissant de débats. Il n'est dès lors pas surprenant de trouver dans diverses études statistiques présentées que l'échantillon de personnes interrogées préfère choisir de faire ses études en anglais puisque c'est la langue qui promet de rapporter de facto dans un nombre croissant de situations décisives. C'est exactement la motivation qui a conduit plusieurs générations de parents et de gouvernements au «choix préférentiel» d'apprentissage de l'anglais et à la situation présente.

3.5

L'annexe à la communication spécifie d'ailleurs que la langue «étrangère» la plus parlée dans l'UE n'est pas celle du plus grand nombre d'habitants dont c'est la langue maternelle. Cette langue serait parlée (serait car Eurostat ne précise pas de définition utilisée concernant le niveau ni le nombre de mots connus à partir duquel une langue peut être considérée comme parlée) par 47 % de l'échantillon interrogé, alors qu'elle ne serait la langue maternelle que de 13 % d'entre eux.

3.6

Ceci paraît au Comité être une entrave de fait à l'exercice démocratique de participation directe et indirecte des citoyens comme de leurs représentants — Parlement et Comités (CESE, CdR) à l'élaboration des réglementations les concernant. Dans les faits lorsque des rapporteurs des institutions, des représentants de la société civile sont consultés dans le cadre des instances ou institutions démocratiques et légales, ils ne peuvent souvent se faire une idée de ce qu'avance la Commission qu'au prix d'un effort ou d'une approximation inéquitable. Comment peut-on ignorer que le citoyen n'a eu à aucun moment ex ante, un accès effectif à l'information? Ceci est particulièrement incohérent dans le cadre d'une communication sur ce thème. Sortir de cette incohérence collective, intellectuelle, culturelle et de cette dépendance économique qui nuit à une nécessaire bonne participation, nécessite des moyens et une volonté politique.

Le Comité observe donc avec satisfaction que la Commission compte pallier ces inconvénients en créant un portail plus performant mais ce portail concerne le multilinguisme et non l'ensemble de sa communication. Les buts poursuivis par la Commission sur sa communication institutionnelle au «Chapitre relations de la Commission avec les citoyens» ne sont pas très clairs: la présente communication pourrait apparaître comme un simple prolongement du plan D. Communiquer en 20 langues officielles ne change pas la nature de la communication institutionnelle qui est faite a posteriori des décisions sur lesquelles le citoyen n'intervient pas et ne renforce pas en soi la participation citoyenne.

3.7

De nombreux observateurs relèvent que les premières pages des portails ou sites institutionnels peuvent abriter des documents en apparence multilingues mais en approfondissant, la consultation ne révèle disponibles que des documents en anglais.

3.8

Le Comité souligne que toute langue est légitime dans son appartenance au patrimoine humain culturel et remarque que la langue anglaise pourrait souffrir d'un usage intensif mal maîtrisé parce qu'imposé sur le plan technique et moins valorisé sur le plan culturel. Cette remarque renvoie le Comité à ses observations spécifiques ci-après, sur les statuts et les usages.

3.9

Le Comité observe un déséquilibre dans l'approche retenue, basée sur l'aspect économique (consommation, information, professions et industrie, société de l'économie la connaissance) du multilinguisme et qui pourrait être rééquilibrée au profit de considérants humains, sociaux et sociologique, culturels et politiques. Si le cœur de ce qui différencie l'être humain de l'animal, comme mentionné lors de la Conférence de presse lançant cette communication de la Commission, est le langage et l'échange qu'il induit entre les êtres humains, la communication devrait dûment considérer que les échanges humains ne sont pas uniquement marchands ou commerciaux, non plus que relatifs seulement aux rapports de défense du territoire ou de ressources qui y existent. Ainsi, la communication gagnerait-elle à s'appuyer sur les travaux de l'Unesco en la matière pour suggérer des recommandations positives (4).

3.10

Le Comité approuve le lien qui est fait entre la stratégie de Lisbonne, sa mise en œuvre, la stratégie européenne pour l'emploi et le nouveau cadre stratégique mais suggère que la communication approfondisse les dispositions concrètes nécessaires (en travaillant plus en cohérence entre les services internes et les directions générales de la Commission (emploi, culture, etc.)). Le Comité recommande que la Commission éclaire les États membres, en leur indiquant précisément les liens ou compléments d'action à mettre en œuvre et explicite que le multilinguisme ou le plurilinguisme est un apport possible à l'intégration politique et culturelle de l'UE et est vecteur de compréhension et d'inclusion sociale. Une étude d'impact sectorielle devrait inclure le nombre et la qualité des emplois préservés ou créés et la portée réelle attendue sur les salaires.

Le Comité soutient l'invitation faite aux États membres de «mettre en place des plans nationaux qui donnent une structure, une cohérence et une orientation aux actions en faveur du multilinguisme», mais observe que l'étendue de l'offre doit être coordonnée au niveau européen si l'on veut atteindre un résultat dans la durée, où le réservoir potentiel de compétence ne soit pas réduit à un nombre restreint de langues.

Dans le cadre de la «stratégie pour une économie européenne de la connaissance la plus compétitive du monde», il paraît opportun de penser globalement le nombre de langues ressources dans l'Union européenne afin qu'il dépasse le nombre de langues disponibles et pratiquées à l'intérieur du marché intérieur, si l'Union européenne ne veut pas se retrouver prisonnière de ses barrières linguistiques.

Le droit des immigrants d'apprendre la langue du pays d'accueil devrait être accompagné de celui de conserver leur langue et leur culture d'origine (5). L'Union européenne devrait considérer ces langues comme une ressource humaine supplémentaire dans son chemin vers la «compétitivité mondiale». Certaines entreprises y ont déjà songé mais il faut encore rappeler que ces réflexions devraient associer les travailleurs et leurs représentants syndicaux, ainsi que les organisations de consommateurs ciblés. Il faudrait aussi s'appuyer sur les collectivités locales qui ont initié des actions concrètes, comme par exemple l'accueil en vue de «l'intégration» dans les langues les plus courantes des immigrants récents.

3.11

Un autre domaine de l'économie qui mériterait un approfondissement dans la communication est celui des besoins et motivations des travailleurs dans l'exercice de leurs professions ou au sein des instances de consultations, comités d'entreprise européens par exemple. Le Comité considère qu'il est regrettable que la communication puisse envisager de préconiser des programmes harmonisés qui ne tiennent pas compte de ces besoins particuliers. Il appartient à une communication de cette dimension de suggérer des thèmes qui donnent des perspectives et des moyens aux entreprises et aux travailleurs d'être les premiers vecteurs de cette économie de la connaissance la plus compétitive du monde, dans le plein respect des compétences du dialogue social et des droits fondamentaux (6).

3.12

Le Comité reconnaît la spécificité multilingue européenne (7). Toutefois l'Europe n'est pas le seul continent, ou pays, ou ensemble politique, où l'on parle un nombre élevé de langues différentes.

4.   Quelques observations spécifiques

4.1

Les débats et la Charte européenne des langues minoritaires et régionales du Conseil de l'Europe (8) ne doivent pas cacher d'autres enjeux tels que:

a)

Le statut des langues. Une langue peut être: officielle, de travail, communautaire, minoritaire, dominante, d'échanges culturels, scientifiques ou commerciaux, institutionnels, diplomatiques, d'usage courant, d'usage professionnel (santé, enseignement, construction, industrie, industrie et arts de la mode, etc.). Le respect de la diversité linguistique que préconise et défend l'Union européenne exige que l'on envisage aussi de proposer des solutions diverses et proportionnées face à cet ensemble de situations et de besoins dans lequel une proposition unique qui tenterait de réduire la question linguistique à une logique «enseignement — débouchés — emploi» ou encore «techniques des langues — marché nouveaux produits — marché intérieur» ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de voir chaque citoyen et citoyenne de l'UE parler deux langues qui lui soit étrangère en plus de sa langue maternelle mais pourrait conduire à l'effet contre-productif de voir réduire le nombre de langues effectivement connues ou parlées sur l'espace culturel européen. Le Comité recommande que tout usage professionnel, culturel, politique, scientifique, etc., dans son espace particulier soit permis et encouragé et soutient les nombreuses initiatives populaires initiées au sein de la société civile. Toute communication verbale ou écrite permise et soutenue dans les langues originelles agrandit l'espace public des libertés, sans toutefois nécessairement avoir vocation à être traduite ou interprétée. La question du nombre de langues en usage n'est donc pas subordonnée au coût de sa traduction-interprétation ou de son enseignement.

b)

Un certain pouvoir social est lié à la capacité d'utiliser telle ou plusieurs langues, l'accès et la distribution des ressources d'apprentissage multilingue détermine dans une certaine mesure l'exclusion ou l'inclusion sociale, la pauvreté matérielle ou culturelle car la connaissance d'une langue donne accès à des réseaux sociaux professionnels mais surtout culturels et de solidarité. Le fait d'être d'un réseau contribue à augmenter l'autonomie individuelle, tout en étant facteur d'intégration dans la société contemporaine. On exclurait certaines populations en n'envisageant pas dès maintenant de garantir cette ambition multilingue à tous les niveaux pertinents de la société, y compris dans les groupes vulnérables ou défavorisés.

c)

La démocratie: Le Comité soutient l'ambition de voir chaque citoyen parler ou pratiquer deux langues qui lui soit étrangères en plus de sa langue maternelle mais aujourd'hui combien de citoyens et citoyennes ont réellement toutes les chances de la voir réalisée de leur vivant? Pour les «élites» professionnelles, politiques, économiques de la génération adulte présente, ce sera déjà un objectif difficile à tenir dans les cadres du «Plan d'action 2004-2006 pour promouvoir l'apprentissage des langues et la diversité linguistique» et du «Programme Culture 2007-2013» (9), tant pour les institutions européennes que nationales, mais si la cible ambitieuse de «chaque citoyen(ne)» est maintenue, le Comité mesure l'étendue de l'entreprise. On sait par exemple quelle langue étrangère non maternelle s'est imposée au niveau le plus précoce de démarrage d'une langue étrangère. Les langues dites rares ou moins courantes (10) sont connues d'un plus petit nombre de personnes, car démarrées plus tard dans les cursus scolaires ou universitaires. Aussi le Comité soutient-il la recommandation visant à créer la possibilité d'apprendre une langue étrangère dès le plus jeune âge, à condition que le choix de langues proposées soit pensé dans un cadre global qui devrait faire l'objet principal de la communication. Il s'agit de l'avenir et du type de société laissés aux générations futures.

d)

La survie des langues en tant que patrimoine linguistique européen: Il n'est pas la même chose de vouloir faire parler à un grand nombre de citoyens une deuxième ou troisième langue que de vouloir faire vivre un grand nombre de langues européennes en Europe ou dans le monde. Ce ne sont pas des objectifs antagonistes mais ils nécessitent deux approches et mises en œuvre distinctes. À cet égard particulier, l'initiative de la Commission concernant le travail normatif visant à rendre compatible l'usage des langues et les nouvelles technologies de l'information et de la communication devrait tenir compte du risque d'appauvrissement si les efforts étaient concentrés de manière disproportionnée dans ce domaine particulier (11). Le Comité recommande que les experts associés ne soient pas uniquement des spécialistes des disciplines sociales et scientifiques mais incluent des praticiens linguistes, des interprètes, traducteurs, enseignants et professionnels des langues. Les déclarations et conventions de l'Unesco susmentionnées indiquent par exemple clairement que déjà un nombre insuffisant de langues sont présentes sur Internet au regard du patrimoine mondial et que cet usage limité a un effet sur la qualité et le nombre des langues encore existantes.

e)

La conservation de l'usage des langues minoritaires ou régionales, voire locales, en Europe, ne devrait pas être considéré à l'aune de leur coût d'enseignement. Non seulement comme il est reconnu maintenant par une littérature abondante, leur enseignement dès le plus jeune âge encourage la souplesse intellectuelle et développe des capacités cognitives utiles à des apprentissages futurs, mais il autorise des passerelles vers des langues sœurs ou cousines. Ainsi dans le temps, il ne suffit pas de permettre de conserver le patrimoine en le transmettant dès le plus jeune âge, ou en le réhabilitant dans la sphère privée comme publique, il faut également considérer que pour vivre, une langue doit être parlée et connaître un environnement qui favorise son existence publique et donc sociale, car il ne sert à rien d'apprendre des langues dans l'enseignement primaire que l'on abandonne dans le secondaire faute de continuité de l'enseignement disponible (12). La dynamique économique peut être prise en compte dans les systèmes d'enseignement si l'on met en œuvre les passerelles nécessaires vers d'autres langues et que l'apprentissage d'une langue minoritaire ou régionale peut être valorisé plus tard dans le cursus scolaire comme appui vers une deuxième langue. L'étude des parentés linguistiques est à cet égard aussi cruciale que la comptabilisation du nombre de langues parlées (13).

f)

La proximité n'est pas seulement de rendre accessible sur le Net les textes officiels ou institutionnels mais également de permettre à des citoyens européens de pays proches géographiquement de mieux se connaître et de mieux connaître leurs langues respectives et d'échanger, la langue étant un canal de communication mais également une représentation du monde. Elle partage cette qualité avec d'autres vecteurs: (peinture, musique, graphisme, mime et danse, arts plastiques etc.). Il est nécessaire de permettre à ces mêmes citoyens de connaître et d'échanger dans leurs langues appartenant à des groupes linguistiques différents, dans le respect des cultures et des identités constitutives de l'identité ou de valeurs européennes. Le Comité insiste sur le rôle positif des échanges et jumelages auxquels se réfère le Comité des régions (14) et souligne que quelle que soit la stratégie, en matière d'apprentissage des langues, la demande est aussi nécessaire que l'offre. Aussi la motivation à apprendre les langues devrait-elle être envisagée sous d'autres aspects que le seul aspect utilitaire (économie et emploi).

g)

Les besoins en matière de cohésion et d'identité européenne ne sont pas que mercantiles ou identitaires. Il existe de réels besoins d'intercompréhension éprouvés par des personnes appartenant à des aires géographiques, sociales, culturelles marquées d'une évolution tantôt commune tantôt diverse. Il manque une étude d'impact quant à la prise en compte des aspects même mineurs qui peuvent s'avérer d'importance dans le long terme. Or, le temps nécessaire concernant l'offre et la demande en matière de formation linguistique se compte en années et en générations.

D'une manière plus générale, la communication ne structure pas son engagement par rapport au temps: passé, futur de court terme, de moyen terme, engagement vis-à-vis des générations futures.

Ainsi en est-il des aspects humanitaires, culturels, d'asile et d'immigration, des besoins et du rôle des collectivités territoriales locales en la matière, et des aspects sociaux professionnels. Les partenaires socio-économiques (UNICE, CEEP, CES), les organisations non gouvernementales actives dans les domaines des droits de l'homme, sociaux et culturels, les universitaires et les administrations devraient être consultés à égalité, c'est-à-dire non pour mettre en œuvre une stratégie décidée sans eux mais décidée avec et par eux. Ce serait la meilleure garantie d'une prise en compte de grande ampleur nécessaire à la réussite de ces orientations ambitieuses. La mise en œuvre et la réussite de la stratégie du Conseil «1+2» (15) nécessitent des moyens qui dépassent le cadre institutionnel et requièrent que le plus grand nombre possible de citoyens et de résidents de l'Union européenne participent, se sentent concernés et sollicités.

Le Comité approuve le cadre d'action en faveur de l'enseignement et de l'apprentissage des langues et observe que sa réussite sera fonction de l'adhésion des personnes qui sont concernées au premier chef, c'est-à-dire les enseignants eux-mêmes d'une part, les apprenants d'autre part.

Aussi avant d'entreprendre de nouvelles actions, la Commission et le Conseil devraient stabiliser leur stratégie en faisant mieux savoir du grand public et à la jeunesse les raisons explicites qui les ont conduits à choisir cette diversification particulière, plutôt que celui d'encourager la pratique d'une seule langue commune qu'elle soit vivante ou ancienne, moderne ou artificielle.

Les raisons profondes peuvent être brièvement et schématiquement résumées de la façon suivante:

L'encouragement à pratiquer et propager l'usage unique d'une langue vivante hégémonique donne lieu à des avantages économiques inéquitable pour le principal pays originaire et peut conduire à amoindrir les droits culturels et le patrimoine universel.

Le coût d'apprentissage et de généralisation d'une langue européenne planifiée scientifiquement et artificiellement comme l'espéranto serait moindre (durée d'apprentissage et conversion de l'existant) (16) que pour celui d'une langue vivante existante mais les conditions politiques et culturelles prévalant dans l'Union européenne ne sont pas réunies jusqu'à ce siècle (17).

Le scénario intermédiaire consistant à étendre le nombre de langues connues et pratiquées dans l'aire géographique et politique européenne a besoin d'être stabilisé en augmentant le nombre de leurs locuteurs.

C'est pourquoi, le Comité recommande que les générations présentes d'adultes jeunes et moins jeunes soient dûment et mieux prises en considération dans ces orientations, au travers de la formation tout au long de la vie, et de leurs droits culturels lorsque la Commission entrera dans la phase programmatique.

Les jeunes devraient être sensibilisés et motivés à entrer dans les métiers de la communication du vingt et unième siècle sur une base multilingue ou plurilingue (18). Les métiers impliquant la connaissance professionnelle et approfondie des langues (linguistes, interprètes, traducteurs et enseignants) devraient être davantage ou mieux valorisés, un premier moyen certain d'y parvenir étant de reconnaître leur rôle social et d'y associer les actuels praticiens.

L'apprentissage précoce tel que le recommande la Commission nécessite, comme elle le reconnaît d'ailleurs, des moyens et des personnels formés de manière appropriée mais aussi l'adhésion des parents à l'orientation qui leur est proposée, à savoir diversification dans les choix.

Le Comité reconnaît également le rôle de la famille comme positif dans le processus de facilitation de l'apprentissage précoce, et souligne l'apport culturel des familles de cultures «mixtes», comme par exemple lorsque les parents sont originaires de pays différents. Ces familles sont porteuses généralement de culture d'ouverture et de tolérance sur plusieurs générations, ainsi que le confirment plusieurs études européennes ou canadiennes.

h)

Au chapitre des traducteurs et interprètes, le Comité souligne que les besoins ne sont pas seulement institutionnels ou professionnels et économiques et que d'autres interlocuteurs parties prenantes doivent être entendus. Les besoins sociaux et culturels méritent d'être considérés au double titre de droits humains fondamentaux et d'achèvement du marché intérieur.

Par exemple lorsqu'on entend partout que les besoins en traduction et en interprétation ne peuvent être couverts tantôt par pénurie d'interprètes et de traducteurs, tantôt pour des raisons financières, le Comité suggère de réfléchir à la responsabilité des États et de l'UE: formation en nombre insuffisant, diversification des langues, coût des formations, salaires et statuts. Le Comité renvoie à tous les aspects qu'il a soulevés plus haut, ajoute que le secteur n'est pas le seul où il manque de professionnels disponibles, que le déficit démographique ne peut être la cause de toutes les pénuries. L'équilibre entre offre et demande de ce segment de marché du travail n'a certainement pas été suffisamment anticipé, alors que la construction européenne et les élargissements successifs, la mondialisation des échanges, auraient donné matière à tirer les enseignements des expériences du passé.

En résumé, le Comité recommande que les États membres contribuent activement à organiser le futur en la matière et soutient la Commission sur ce point.

4.2

Enfin, le Comité souhaite que la Commission organise les éléments de connaissance dont elle dispose ou pourrait disposer en matière de suivi des politiques linguistiques antérieures des États membres, pour être en capacité d'apprécier les actions auxquelles la Commission engage les États membres.

4.3

Le Comité constate les efforts de la Commission et approuve la démarche d'intention novatrice, soutient la diversité linguistique comme vecteur de diversité et de pluralisme culturel, social et politique, est conscient du risque contre-productif d'institutionnaliser davantage l'usage d'un nombre réduit de langues. Le Comité attend de la prochaine communication annoncée sur le sujet qu'elle fasse état d'une plus large consultation conduite auprès de la société civile.

4.4

Le Comité approuve l'initiative de la Commission d'intensifier le soutien aux travaux de recherches universitaires de l'enseignement supérieur dans le cadre du septième programme-cadre de recherche et recommande de s'appuyer non seulement sur les travaux universitaires mais sur les actions des réseaux des associations actives dans le domaine (19).

Le Comité a cité en annexe au présent avis les travaux des Assises européennes du plurilinguisme organisées en novembre 2005 par des associations de la société civile organisée (20) et qui ont aussi associé le Forum des instituts culturels (21). Ces Assises ont abouti à l'élaboration d'une «Charte du plurilinguisme» mise en débat sur le site de l'association ASEDIFRES, qui se propose de la remettre aux représentants parlementaires européens et institutionnels. Le Comité, en tant que «pont entre la société civile et les institutions» soutient et encourage de telles initiatives, comme bonne pratique identifiée.

Bruxelles, le 26 octobre 2006.

Le Président

du Comité économique et social européen

Dimitris DIMITRIADIS


(1)  COM(2002) 72/ COM(2003) 449/ COM(2005) 24 du 2.2.2005 / 2005/29/EC/ COM(2005) 356/ COM(2005) 229 et 465.

(2)  Protocole de coopération entre la Commission européenne et le Comité économique et social européen (novembre 2005).

(3)  Notes [2], [12], [17], [19], [24], [25], [26], [30], [31], [32], [37], etc. de la présente communication COM(2005) 596.

(4)  Déclaration Universelle de l'Unesco sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 10 décembre 2005, qui rappellent la nécessaire diversité linguistique et des moyens d'expression pour mettre en œuvre la diversité et le pluralisme culturel comme droits inaliénables universels indissociables et interdépendants. Il faut également citer la Déclaration universelle des droits linguistiques proclamée à Barcelone lors de la Conférence mondiale des droits linguistiques des 6 au 8 juin 1996 dont 66 organisations non gouvernementales nationales et internationales et réseaux de juristes sont signataires.

(5)  Avis du CdR, CdR 33/2006 adopté à sa 65ème session plénière, 14 juin 2006, rapporteur M. Seamus MURRAY, point 1.10.

(6)  L'article 21 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne interdit les discriminations au motif de la langue, l'article 22 dispose que l'UE respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique. On peut déjà citer des litiges émergents de situation de travail dans lesquelles ces droits garantis par le droit national ne sont pas respectés. (General electric medical systems GEMS, arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 2 mars 2006, France).

(7)  Point IV.2 de la communication.

(8)  Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du 5 novembre 1992, ratifiée par 21 des membres du Conseil de l'Europe, dont 13 États membres de l'UE.

(9)  COM(2004) 469.

(10)  «De moindre diffusion».

(11)  Les processus de modernisation dans l'enseignement des langues pour adultes, thèse de Mme Judith BARNA, Université Charles de Gaulle — Lille 3, France, 2005.

(12)  Avis du CESR d'Aquitaine-France, adopté par son Assemblée plénière du 14 décembre 2005, Langues et cultures d'Aquitaine, rapporteur M. Sergi JAVALOYÈS.

(13)  Conclusions du Conseil sur l'indicateur européen des compétences linguistiques (JO 2006/C172/01).

(14)  Avis précité, CdR 33/2006.

(15)  Une langue maternelle et deux langues étrangères vivantes, Conseil européen de Barcelone, 15-16 mars 2002, Conclusions de la présidence, partie I, 43.

(16)  L'enseignement des langues étrangères comme politique publique, François GRIN, 2005.

(17)  GRIN, 2005, opus cité, note 59 et 84 «Tout le monde a oublié que de nombreux États appuyaient, à l'époque de la SDN (Société des Nations), l'adoption de l'espéranto comme langue internationale ou que les assemblées plénières de l'UNESCO ont adopté, en 1954 et en 1985, des résolutions favorables à l'espéranto. Le dossier avait à l'époque (en septembre 1922) été bloqué par la France qui en avait interdit l'enseignement et la propagande comme vecteur dangereux d'internationalisme et comme concurrent au rôle de la langue française dans le monde». On citera aussi M. Umberto ECO, titulaire en 1992 de la Chaire européenne au Collège de France, Paris, dans sa leçon inaugurale «la Quête d'une langue parfaite dans l'histoire de la culture européenne».

Ici, le Comité soulève que les langues anciennes dites mortes ont peu à peu cessé d'être enseignées. Pourtant, au-delà de la recherche de savoir quelle lingua franca (langue commune) serait éventuellement la plus appropriée au monde européen contemporain, celles-ci portaient en elles les germes d'une compréhension mutuelle facilitée entre Européens, dans la mesure où elles sont à la source d'un grand nombre de langues européennes (partagées entre groupe indo-européen et groupe finno-ougrien), et que leur connaissance permet à ceux ou celles qui en bénéficient l'apprentissage rapide d'autres langues.

(18)  Il existe plusieurs définitions du plurilinguisme et du multilinguisme. Pour certains le plurilinguisme est la capacité individuelle de parler plusieurs langues et le multilinguisme l'environnement social sur une aire géographique où se pratiquent plusieurs langues (Assises européennes du plurilinguisme, 2005). Pour d'autres la définition est inverse (GRIN, 2005). Pour la Commission, le multilinguisme recouvre les deux aspects de capacités individuelles et d'environnement collectif.

(19)  Comme par exemple: Lingua Mon, Casa de les llengues, projet de «Maison des langues en danger», linguamon@linguamon.cat; réseau associatif Babel d'interprètes traducteurs bénévoles opérant auprès des forums sociaux mondiaux et régionaux; ou encore ASEDIFRES www.europe-avenir.com, association coorganisatrice des «Assises européennes du plurilinguisme en novembre 2005».

(20)  Participants, résultats et comptes rendus intégraux des travaux sur le site précité en note 21.

(21)  Les membres de ce forum sont les suivants: Alliance française, Centre culturel suédois, Centre de langue et culture italienne, Institut de l'Université de Londres à Paris, Institut Camões, Institut Cervantès, Institut finlandais, Institut Goethe, Institut hongrois, Institut néerlandais

http://www.forumdeslangues.net.


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