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Document 62021CJ0502

Arrest van het Hof (Achtste kamer) van 15 juni 2023.
David Price tegen Raad van de Europese Unie.
Zaak C-502/21 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:482

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

15 juin 2023 (*)

« Pourvoi – Recours en annulation – Accord sur le retrait du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Décision (UE) 2020/135 – Ressortissants du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord – Conséquences de cet accord sur le statut de citoyen de l’Union européenne et des droits attachés à ce statut pour ces ressortissants – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir – Conditions – Intérêt à agir »

Dans l’affaire C‑502/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 août 2021,

David Price, demeurant à Le Dorat (France), représenté par Me J. Fouchet, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bauer, Mme J. Ciantar et M. R. Meyer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. David Price demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 8 juin 2021, Price/Conseil, (T‑231/20, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2021:349), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l’annulation partielle, d’une part, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») et, d’autre part, de la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1, ci-après la « décision litigieuse ») (ci-après, ensemble, les « actes litigieux »).

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Le requérant est un ressortissant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord qui résident en France.

3        Le 23 juin 2016, les citoyens du Royaume-Uni se sont prononcés par référendum en faveur du retrait de leur État de l’Union européenne.

4        Les 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union, en application de l’article 50, paragraphe 2, TUE.

5        Le 24 janvier 2020, les représentants de l’Union et du Royaume-Uni ont signé l’accord de retrait.

6        Le 30 janvier 2020, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision litigieuse. En vertu de l’article 1er de cette décision, l’accord de retrait a été approuvé au nom de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique.

7        Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni s’est retiré de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Le 1er février 2020, l’accord de retrait est entré en vigueur.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

8        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 23 avril 2020, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation partielle des actes litigieux.

9        Par l’ordonnance du 24 juin 2020, Price/Conseil (T‑231/20 R, non publiée, EU:T:2020:280), le président du Tribunal a rejeté la demande de mesures provisoires introduite par le requérant.

10      Le 9 juillet 2020, le requérant a déposé au greffe du Tribunal une demande tendant à être autorisé à déposer un mémoire récapitulatif. Le 21 juillet 2020, le président de la dixième chambre du Tribunal a décidé de ne pas verser ce mémoire au dossier.

11      Par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2020, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours.

12      Le requérant n’a pas déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité dans le délai imparti.

13      Par une ordonnance du 5 novembre 2020, le Tribunal a joint ladite exception d’irrecevabilité au fond et réservé les dépens.

14      Le 18 janvier 2021, le Conseil a déposé un mémoire en défense. Le 11 février 2021, le président de la dixième chambre élargie du Tribunal a décidé de ne pas notifier ce mémoire en défense au requérant.

15      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, en premier lieu, considéré, aux points 18 à 20 de celle-ci, que, bien qu’il eût précédemment décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, il était suffisamment informé par les pièces du dossier pour statuer par voie d’ordonnance, conformément à l’article 130 de son règlement de procédure.

16      En deuxième lieu, s’agissant de l’objet du recours, après avoir rappelé, aux points 21 à 27 de l’ordonnance attaquée, que, lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre un accord international conclu par l’Union, le juge de l’Union requalifie ce recours comme étant dirigé contre la décision approuvant la conclusion de cet accord international, le Tribunal a requalifié le recours introduit par le requérant comme étant dirigé uniquement contre la décision litigieuse.

17      En troisième lieu, en ce qui concerne le bien-fondé de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, le Tribunal a estimé que le requérant ne satisfaisait à aucune des conditions prévues pour avoir qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

18      À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 31 de l’ordonnance attaquée, que, aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir du requérant, il y avait lieu de prendre en compte non seulement la décision litigieuse, mais également la nature et le contenu de l’accord de retrait.

19      Dans ce contexte, le Tribunal a constaté, premièrement, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que le requérant n’était destinataire ni de la décision litigieuse ni de l’accord de retrait et que, par conséquent, il ne disposait pas d’un droit de recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE.

20      Deuxièmement, s’agissant de la qualité pour agir du requérant au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, notamment de la condition selon laquelle le requérant doit être concerné individuellement, le Tribunal a rappelé, au point 46 de l’ordonnance attaquée, qu’il appartenait au requérant de démontrer que, en tant que la décision litigieuse l’aurait privé du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, cette décision l’atteignait en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire d’une telle décision.

21      Troisièmement, s’agissant de la qualité pour agir du requérant au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, le Tribunal a relevé, aux points 54 à 58 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse était un « acte non législatif de portée générale ».

22      Le Tribunal a estimé, aux points 74 et 75 de l’ordonnance attaquée, que la notion d’« acte réglementaire », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, devait être interprétée comme ne comprenant pas les décisions approuvant la conclusion d’un accord international, telles que la décision litigieuse, laquelle porte approbation de la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre de l’Union.

23      Dans ces conditions, le Tribunal a considéré, aux points 76 et 77 de l’ordonnance attaquée, que le requérant n’avait pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil devait être accueillie et que, partant, le recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

24      Par un acte déposé au greffe de la Cour le 13 août 2021, le requérant a formé un pourvoi contre l’ordonnance attaquée.

25      Par son pourvoi, le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        d’annuler les actes litigieux dans leur totalité ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler partiellement les actes litigieux en tant qu’ils distinguent les citoyens de l’Union et les ressortissants du Royaume-Uni à compter du 1er février 2020 et, notamment, le sixième alinéa du préambule et les articles 9, 10 et 127 de l’accord de retrait, et

–        de condamner le Conseil aux dépens, « y compris les frais d’avocat ».

26      Le Conseil demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner le requérant aux dépens.

27      Par les actes déposés au greffe de la Cour les 6 et 10 janvier 2023, les parties ont répondu à la question pour réponse écrite posée par la Cour, sur le fondement de l’article 61 de son règlement de procédure, portant sur les conséquences éventuelles à tirer de l’arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques (C‑673/20, EU:C:2022:449), quant à l’appréciation de la recevabilité du recours introduit devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi

28      Au soutien de son pourvoi, le requérant soulève, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de l’irrégularité de la procédure devant le Tribunal, le deuxième, d’erreurs de droit dans l’appréciation de la recevabilité du recours et, le troisième, d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 256, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE.

29      Il convient d’examiner, successivement, les premier, troisième et deuxième moyens de pourvoi.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

30      Par le premier moyen de pourvoi, le requérant fait valoir que le Tribunal a enfreint l’article 130 de son règlement de procédure ainsi que le principe du procès équitable.

31      À cet égard, le requérant soutient, en premier lieu, que cet article a pour objectif de permettre aux parties d’engager un débat sur l’ensemble des moyens proposés au Tribunal et, pour ce faire, de se conformer aux nouveaux délais qui leur sont fixés. Le requérant reproche ainsi au Tribunal, d’une part, d’avoir fixé, en vertu dudit article, un délai au Conseil pour présenter sa défense au fond, sans lui accorder par la suite un nouveau délai pour pouvoir faire valoir ses observations tant sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par cette institution que sur le mémoire en défense déposé par cette dernière.

32      D’autre part, le requérant conteste le refus du Tribunal de lui communiquer ce mémoire en défense et le rejet de son recours par l’ordonnance attaquée, sans tenir audience ni fournir une quelconque information sur le déroulement de l’instance à la suite de la jonction de l’affaire au fond.

33      Le requérant en déduit qu’il a été « trompé » sur le déroulement de la procédure devant le Tribunal et que les parties à l’instance n’ont pas été placées au même niveau, le requérant faisant valoir qu’il n’a pas eu la possibilité de formuler ses observations tant sur la validité de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil que sur le fond. En revanche, le Conseil aurait eu la possibilité de présenter deux mémoires. Cela étant, le Tribunal aurait ainsi méconnu le principe d’égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable, garanti notamment à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

34      Par ailleurs, le requérant soutient que le Tribunal a statué également en méconnaissance de l’article 64 de son règlement de procédure, dans la mesure où, selon les termes de cet article, il ne doit prendre « en considération que des actes de procédure et pièces dont les représentants des parties ont pu prendre connaissance et sur lesquels ils ont pu se prononcer ».

35      En second lieu, le requérant fait valoir que, le 11 janvier 2021, il a demandé la suspension de la procédure, sur le fondement de l’article 69 du règlement de procédure du Tribunal, afin que celui-ci se prononce, « après avoir entendu les parties », en vertu de l’article 54 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et que les parties n’ont cependant nullement été entendues sur cette demande de suspension.

36      Le Conseil fait valoir que le premier moyen de pourvoi est manifestement voué au rejet.

 Appréciation de la Cour

37      En premier lieu, s’agissant des allégations par lesquelles le requérant reproche au Tribunal d’avoir méconnu les articles 64 et 130 de son règlement de procédure, il convient de rappeler, premièrement, qu’aucune disposition du règlement de procédure du Tribunal ne saurait être interprétée en ce sens que le fait que le Tribunal a décidé, en application de l’article 130, paragraphe 7, de celui-ci, de réserver l’appréciation d’une exception d’irrecevabilité à l’arrêt mettant fin à l’instance signifie qu’il soit privé de la possibilité de rejeter, sans phase orale de la procédure, le recours comme étant irrecevable par voie d’ordonnance motivée. En effet, il ressort, au contraire, de l’article 130, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal que, en cas d’exception d’irrecevabilité ou d’incompétence, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 19 février 2008, Tokai Europe/Commission, C‑262/07 P, non publiée, EU:C:2008:95, points 26 et 27).

38      Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune irrégularité de procédure en décidant, d’abord, de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, au titre de l’article 130, paragraphe 7, de son règlement de procédure, et, ensuite, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

39      Par ailleurs, il ressort du point 11 de l’ordonnance attaquée que le requérant n’a pas déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité dans le délai imparti. Par conséquent, il suffit de constater que, le requérant ayant pu faire valoir ses observations sur ladite exception d’irrecevabilité et le Tribunal s’étant limité à statuer par voie d’ordonnance motivée sans trancher des questions de fond, le principe du contradictoire et, partant, les droits de la défense du requérant ont été respectés.

40      En outre, il convient de constater que le Tribunal n’ayant pas statué sur le fond de l’affaire dans l’ordonnance attaquée, il n’a pas non plus méconnu l’article 64 de son règlement de procédure, dans la mesure où il est manifeste que le Tribunal n’a pas pris en considération le mémoire en défense déposé par le Conseil. Dans ces circonstances, le requérant ne saurait non plus reprocher au Tribunal de ne pas avoir été en mesure de formuler ses observations sur le mémoire en défense déposé par cette institution. Cette argumentation doit donc être écartée.

41      En second lieu, s’agissant des allégations par lesquelles le requérant reproche au Tribunal de ne pas avoir entendu les parties sur leur demande de suspension de la procédure, présentée au titre de l’article 54 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 69 du règlement de procédure du Tribunal, il convient de relever qu’il ne ressort pas du dossier de l’affaire qu’une telle demande ait été déposée. Par conséquent, cette argumentation doit également être écartée.

42      Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier moyen de pourvoi doit être écarté.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

43      Le requérant conteste l’appréciation du Tribunal, figurant au point 79 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle l’article 256, paragraphe 3, TFUE n’habilite pas celui-ci à saisir la Cour par la voie préjudicielle, à la différence de ce qui est prévu, pour les juridictions nationales, à l’article 267 TFUE.

44      À cet égard, le requérant rappelle qu’il ressort du libellé de l’article 256, paragraphe 3, TFUE que, lorsque le Tribunal estime qu’une affaire appelle une décision de principe susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence du droit de l’Union, il peut renvoyer l’affaire devant la Cour afin qu’elle statue. Or, selon le requérant, la légalité de la décision litigieuse, notamment, en ce qui concerne la notion d’« acte réglementaire », est susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence de l’Union et, partant, l’affaire aurait dû être renvoyée à la Cour, ainsi qu’il a été prévu dans le traité FUE.

45      Le Conseil réfute l’argumentation du requérant.

 Appréciation de la Cour

46      À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a jugé, au point 78 de l’ordonnance attaquée, que, dans la mesure où le recours introduit par le requérant avait déjà été rejeté comme irrecevable, il n’y avait plus lieu de se prononcer sur la demande visant à ce que celui-ci posât quatre questions préjudicielles à la Cour en ce qui concerne l’interprétation et la validité de l’accord de retrait.

47      En outre, le Tribunal a rappelé, au demeurant, au point 79 de l’ordonnance attaquée, sa jurisprudence selon laquelle ni l’article 267 TFUE ni l’article 256, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE ne l’autorisent à saisir la Cour de questions préjudicielles avant de statuer sur un recours en annulation, dès lors que seules les juridictions nationales peuvent soumettre de telles questions à la Cour.

48      Or, les motifs ainsi contestés par le requérant dans le cadre du troisième moyen de pourvoi ayant été énoncés par le Tribunal à titre purement surabondant, l’argumentation invoquée à cet égard doit être écartée comme étant inopérante.

49      Eu égard aux considérations qui précèdent, le troisième moyen de pourvoi doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

50      Par le deuxième moyen de pourvoi, le requérant fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’appréciation de sa qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE. Ce moyen de pourvoi se divise en deux branches.

51      Par la première branche du deuxième moyen de pourvoi, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la décision litigieuse ne pouvait être qualifiée d’« acte réglementaire », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

52      Le requérant rappelle que la Cour a dit pour droit, dans l’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 60), que le critère d’« acte réglementaire » a pour finalité de permettre aux personnes physiques et morales l’introduction, dans des conditions moins strictes, d’un recours en annulation contre des actes de portée générale à l’exclusion des actes législatifs. Or, le Tribunal aurait ajouté, aux points 61 à 75 de l’ordonnance attaquée, une « autre condition » qui ne ressortirait pas de la jurisprudence issue de cet arrêt.

53      À cet égard, le requérant reproche au Tribunal d’avoir considéré, dans l’ordonnance attaquée, que l’accord de retrait était un accord international. Il soutient que le Royaume-Uni était encore un État membre de l’Union à la date où cet accord a été signé et que ce dernier doit donc être considéré comme un « acte interne » de l’Union.

54      La nature de l’accord de retrait serait corroborée, selon le requérant, d’une part, par l’objet même de cet accord, lequel serait, ainsi qu’il ressort du sixième alinéa du préambule de celui-ci, de régler les situations créées par le droit de l’Union et, d’autre part, par les dispositions dudit accord qui témoignent d’une limitation de la souveraineté du Royaume-Uni, telles que l’article 6 de celui-ci, qui prévoit que le droit de l’Union continue à s’appliquer lorsque l’accord de retrait y fait référence, et l’article 4 de celui-ci, qui dispose que, en cas de litige, les autorités judiciaires et administratives du Royaume-Uni doivent tenir dûment compte de la jurisprudence pertinente de la Cour prononcée après la fin de la période prévue à l’article 126 de cet accord, dite « période de transition ».

55      Par ailleurs, le requérant conteste l’analyse effectuée par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée concernant les « actes réglementaires » et, notamment celle relative au point de savoir si les décisions approuvant la conclusion d’un accord international pouvaient être considérées comme de tels actes. En particulier, le requérant reproche au Tribunal d’avoir omis de prendre en compte l’article 275 TFUE. Cet article prévoyant que certains accords internationaux ou certains actes sont exclus de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, la question serait dès lors de savoir en l’espèce « si l’accord de retrait est un acte relevant de la politique étrangère ou de sécurité commune ou adopté sur la base de dispositions relatives à cette politique ». Or, selon le requérant, ni la décision approuvant la conclusion d’un accord international ni la signature de cet accord ne relèvent de la politique étrangère ou de sécurité commune et les actes litigieux ne sauraient ainsi être exclus de la compétence de la Cour.

56      En outre, le requérant conteste l’appréciation du Tribunal quant à la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les autres actes de portée générale. Il soutient, à cet égard, que la compétence de la Cour s’exerce sur tous les actes des institutions de l’Union, qu’ils soient législatifs ou non, et que les accords internationaux sont par conséquent des actes réglementaires relevant de l’article 263 TFUE.

57      Or, le requérant fait valoir que les actes litigieux sont des actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution et dont les effets, tels que la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, ne dépendent pas de l’existence de telles mesures. Il estime avoir qualité pour agir contre ces actes au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

58      Par la seconde branche du deuxième moyen de pourvoi, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne l’appréciation de sa qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, au motif que la spécificité de sa situation démontrerait qu’il est concerné individuellement par les actes litigieux.

59      En particulier, le requérant conteste les appréciations du Tribunal figurant aux points 42 et 43 de l’ordonnance attaquée, selon lesquelles les circonstances qu’il a invoquées ne permettraient pas de considérer qu’il fait partie d’un « cercle restreint de personnes », au sens de la jurisprudence citée au point 40 de cette ordonnance.

60      Le requérant fait valoir, à cet égard, que la recevabilité de son recours doit être appréciée à la date d’introduction de celui-ci. Or, à cette date, il faisait partie de la « très faible minorité » des ressortissants du Royaume-Uni qui devaient se voir reconnaître le droit de voter au second tour des élections municipales, qui se sont déroulées en 2020, dans la commune de Le Dorat (France).

61      Le requérant soutient, à cet égard, que la condition selon laquelle le requérant doit être concerné individuellement devait également s’apprécier en fonction des effets combinés des actes litigieux. Selon lui, les actes réglementaires sont susceptibles d’atteindre un grand nombre de personnes, mais c’est seulement en tenant compte de la façon dont ils atteignent les situations individuelles de celle-ci que cette condition peut être véritablement appréciée.

62      Par ailleurs, le requérant considère que le Tribunal a commis une erreur d’analyse au point 48 de l’ordonnance attaquée en considérant que la décision litigieuse l’atteignait « en raison de sa qualité objective de ressortissant du Royaume-Uni ». Le requérant rappelle que son recours visait à l’annulation des actes litigieux « en tant qu’il ne conserv[ait] pas la citoyenneté européenne et ses attributs », qu’il visait à démontrer que les citoyens du Royaume-Uni qui résidaient dans l’Union formaient un « groupe de personnes spécifiques » de telle sorte que « les omettre » les atteint plus que toute autre personne. Ainsi, ladite condition devrait s’apprécier au regard des effets de la décision litigieuse sur le requérant et non pas au regard de son seul objet.

63      En outre, le requérant conteste les appréciations du Tribunal figurant au point 50 de l’ordonnance attaquée, selon lesquelles l’impossibilité de voter lors des élections municipales françaises qui se sont déroulées en 2020 ne serait pas de nature à démontrer que, en tant que la décision litigieuse l’aurait privé du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, cette décision avait pour lui des conséquences si particulières et si spécifiques qu’elle l’individualisait d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire d’une telle décision.

64      Le requérant soutient, à cet égard, qu’il a démontré les effets de la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut sur sa situation particulière et que le Tribunal a donc commis une erreur de droit en définissant son intérêt à agir. À cet égard, il ferait partie d’un « cercle restreint de personnes » dans la mesure où il compterait parmi les potentiels électeurs britanniques aux élections municipales françaises. Ce « cercle restreint de personnes » serait encore plus restreint pour les personnes comme lui qui vont subir les prélèvements sociaux français et dont la famille est répartie entre le Royaume-Uni et un État membre. Ainsi, la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut aurait eu d’autres conséquences particulières comme la baisse de son niveau de vie et l’atteinte à sa vie privée et familiale qui démontreraient son intérêt à agir.

65      Le Conseil conteste les allégations du requérant et fait valoir que le Tribunal a considéré à juste titre que ce dernier n’avait pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE.

 Appréciation de la Cour

66      À titre liminaire, il convient de relever que le Tribunal a jugé que le requérant était irrecevable à agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, considérant, respectivement aux points 51 et 75 de l’ordonnance attaquée, qu’il n’était pas individuellement concerné par la décision litigieuse, au sens du deuxième membre de phrase de cette disposition, et que cette décision ne pouvait être qualifiée d’acte réglementaire, au sens du troisième membre de phrase de ladite disposition. Dans un souci d’économie de procédure, le Tribunal est parti de la prémisse selon laquelle la « perte » ou la « privation » du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut seraient une conséquence de l’adoption de ladite décision.

67      Sans qu’il soit besoin d’apprécier si, en statuant ainsi, le Tribunal a commis une erreur de droit, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, toute circonstance ayant trait à la recevabilité du recours en annulation formé devant le Tribunal est susceptible de constituer un moyen d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office (ordonnances du 5 septembre 2013, ClientEarth/Conseil, C‑573/11 P, non publiée, EU:C:2013:564, point 20, et du 4 février 2021, Pilatus Bank/BCE, C‑701/19 P, non publiée, EU:C:2021:99, point 23).

68      Or, il est de jurisprudence constante, premièrement, que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui‑ci la concerne directement (voir en ce sens, notamment, arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 19, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 59).

69      Deuxièmement, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. L’intérêt à agir constitue ainsi la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir, en ce sens, arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C‑19/93 P, EU:C:1995:339, point 13, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 55 et 58). En revanche, l’intérêt à agir fait défaut lorsque l’issue favorable d’un recours ne serait pas de nature, en tout état de cause, à donner satisfaction au requérant (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C‑401/09 P, EU:C:2011:370, point 49, ainsi que du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 85).

70      Troisièmement, l’intérêt à agir et la qualité pour agir constituent des conditions de recevabilité distinctes qu’une personne physique ou morale doit satisfaire de façon cumulative afin d’être recevable à former un recours en annulation au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 62 ainsi que jurisprudence citée).

71      Eu égard aux circonstances de l’espèce et sans qu’il soit besoin d’apprécier si le Tribunal a commis une erreur de droit en statuant ainsi qu’il l’a fait aux points 42 à 51 et 74 à 91 de l’ordonnance attaquée, la Cour estime devoir soulever d’office la question de l’existence d’un intérêt à agir du requérant.

72      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 50, paragraphe 1, TUE énonce que tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. La décision de retrait relève de la seule volonté de l’État membre concerné, dans le respect de ses règles constitutionnelles, et dépend donc de son seul choix souverain (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 50, ainsi que du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 53).

73      Par ailleurs, la possession de la nationalité d’un État membre constituant, conformément à l’article 9 TUE et à l’article 20, paragraphe 1, TFUE, une condition indispensable pour qu’une personne puisse acquérir et conserver le statut de citoyen de l’Union et bénéficier de la plénitude des droits attachés à celui‑ci, la perte de cette nationalité entraîne donc, pour la personne concernée, celle de ce statut et de ces droits (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 57).

74      Ainsi, pour le requérant, la perte du statut de citoyen de l’Union et, par voie de conséquence, celle de potentiel électeur du Royaume-Uni aux élections municipales françaises, est une conséquence automatique de la seule décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union, en vertu de l’article 50, paragraphe 1, TUE (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 59), et non de l’accord de retrait ou de la décision litigieuse.

75      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable, en ce qu’il est dirigé contre les actes litigieux au motif que ces derniers auraient entraîné pour le requérant la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, alors que cette perte procède de la seule décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union, en vertu de l’article 50, paragraphe 1, TUE.

76      En effet, une annulation de la décision litigieuse ne saurait procurer un bénéfice au requérant qui soit susceptible de fonder un intérêt à agir, puisque cette perte ne serait, en tout état de cause, pas remise en cause par cette annulation.

77      Le requérant ne présentant pas un intérêt à agir contre la décision litigieuse, il n’y a pas lieu d’examiner son argumentation prise d’une appréciation erronée de sa qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE. En effet, une éventuelle erreur de droit serait sans incidence pour la solution du litige et n’affecterait pas le dispositif de l’ordonnance attaquée en tant que le recours a été rejeté comme étant irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Wagenknecht/Commission, C‑130/21 P, EU:C:2022:226, point 43 et jurisprudence citée).

78      Il s’ensuit que, pour les motifs énoncés aux points 75 et 76 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu, au point 77 de l’ordonnance attaquée, que le recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

79      Le deuxième moyen de pourvoi doit donc être écarté.

80      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi est rejeté.

 Sur les dépens

81      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

82      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

83      Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. David Price est condamné aux dépens.

Safjan

Jääskinen

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2023.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

M. Safjan


*      Langue de procédure : le français.

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