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Document 62024CO0288

Ordonnance de la Cour (huitième chambre) du 4 juillet 2024.
Procédure pénale contre M.R.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Berlin.
Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Procédure pénale – Détention préventive de la personne poursuivie – Conséquence d’une demande de décision préjudicielle sur la procédure au principal – Refus de la juridiction de renvoi de poursuivre la procédure au fond avant d’avoir reçu la réponse de la Cour – Impératif de célérité dans les procédures pénales et en particulier dans les affaires de détention – Demande de récusation du juge saisi pour suspicion légitime de partialité.
Affaire C-288/24.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:585

 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

4 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Procédure pénale – Détention préventive de la personne poursuivie – Conséquence d’une demande de décision préjudicielle sur la procédure au principal – Refus de la juridiction de renvoi de poursuivre la procédure au fond avant d’avoir reçu la réponse de la Cour – Impératif de célérité dans les procédures pénales et en particulier dans les affaires de détention – Demande de récusation du juge saisi pour suspicion légitime de partialité »

Dans l’affaire C‑288/24 [Stegmon] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I, Allemagne), par décision du 23 avril 2024, parvenue à la Cour le 24 avril 2024, dans la procédure pénale contre

M.R.,

en présence de :

Staatsanwaltschaft Berlin,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la huitième chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 267 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M.R. et concerne la légalité d’une demande de récusation d’un juge formée par la Staatsanwaltschaft Berlin (parquet de Berlin, Allemagne).

Le droit allemand

3

L’impératif général de célérité en matière pénale découle du principe d’État de droit consacré par le Grundgesetz (loi fondamentale).

4

En vertu de l’article 24 de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale), dans sa version publiée le 7 avril 1987 (BGBl. 1987 I, p. 1074, 1319), telle que modifiée par la loi du 27 mars 2024 (BGBl. 2024 I, no 109) (ci-après la « StPO »), le parquet, la partie civile ou la personne poursuivie peut demander la récusation d’un juge pour cause de suspicion légitime de partialité, à savoir lorsqu’il existe un motif légitime de nature à faire douter de l’impartialité de ce juge.

5

Conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la StPO, la formation de jugement à laquelle appartient le juge récusé statue sur la demande de récusation sans le concours de celui-ci.

6

L’article 121, paragraphe 1, de la StPO prévoit que, tant qu’un jugement n’a pas été rendu, la détention provisoire au titre d’une seule et même infraction ne peut être prolongée pour les mêmes faits au-delà de six mois que si la difficulté ou l’ampleur particulière de l’enquête ou une autre raison importante ne permettent pas encore de jugement et justifient le maintien en détention. Toutefois, en vertu de l’article 121, paragraphe 3, de la StPO, ce délai cesse de courir si l’audience de jugement a commencé avant l’expiration du délai de six mois.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7

La procédure au principal porte sur des accusations de trafic de stupéfiants dirigées contre M.R. Ces accusations sont fondées sur des informations résultant de l’exploitation de données issues de téléphones portables équipés d’un logiciel dénommé « EncroChat », lequel permettait un échange de communications chiffrées de bout en bout.

8

Dans le cadre de cette procédure, un mandat d’arrêt a été émis contre M.R. Il a été placé en détention provisoire une première fois, le 4 mai 2023.

9

Par un jugement du 29 juin 2023, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) a, premièrement, fait droit à la mise en accusation en ouvrant la procédure principale aux fins de la tenue d’une audience de jugement. Il a, deuxièmement, suspendu cette procédure afin de soumettre à la Cour une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale (JO 2014, L 130, p. 1), laquelle a été enregistrée au greffe de la Cour sous la référence Staatsanwaltschaft Berlin II (C‑675/23). Enfin, il a, troisièmement, annulé le mandat d’arrêt qui visait M.R., compte tenu de l’incertitude quant à la date à laquelle interviendrait la décision de la Cour.

10

Le 30 juin 2023, le parquet de Berlin a fait appel de ce jugement, en tant qu’il annule le mandat d’arrêt en cause. La Generalstaatsanwaltschaft Berlin (parquet général de Berlin, Allemagne) s’est jointe à l’appel le 10 juillet 2023.

11

Par une décision du 24 juillet 2023, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne) a annulé le jugement du 29 juin 2023, en tant qu’il annule ce mandat d’arrêt, et remis ce dernier à exécution. Dans les motifs de sa décision, il a indiqué que ce jugement, en tant qu’il suspend la procédure, ne fait pas obstacle à la mise à exécution dudit mandat d’arrêt. Il a estimé que le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) aurait, au contraire, l’occasion de reconsidérer son appréciation relative à la suspension de la procédure à la lumière de l’impératif de célérité qui s’impose à lui dans les affaires de détention et a rappelé « à toutes fins utiles » qu’une décision de suspension peut être contestée par un appel du parquet.

12

Le 26 juillet 2023, le parquet de Berlin a fait appel du jugement du 29 juin 2023, en tant qu’il suspend la procédure, au motif que la suspension ainsi que l’absence de mesures visant à faire avancer la procédure étaient contraires à l’impératif de célérité. Le 9 août 2023, le parquet général de Berlin s’est également joint à cet appel, en exposant qu’attendre la décision de la Cour était contraire à cet impératif.

13

Par une décision du 13 septembre 2023, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) a annulé le jugement du 29 juin 2023, en tant qu’il suspend la procédure. Il a indiqué qu’une suspension de procédure ne pouvait pas, en principe, être ordonnée aux fins de la clarification de questions de droit. Toutefois, une suspension de procédure en attendant la résolution d’une « procédure pilote » ayant donné lieu à un renvoi préjudiciel devant la Cour semblerait « défendable à titre exceptionnel ». Compte tenu de l’impératif de célérité, une telle possibilité serait, cependant, conditionnée au fait que la décision de la Cour dans le cadre de la « procédure pilote » soit imminente et que le retard n’entraîne pas d’inconvénients déraisonnables pour le prévenu. Le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) en a déduit que, dans ces conditions, le jugement du 29 juin 2023, en tant qu’il suspend la procédure, était « manifestement entaché d’erreur d’appréciation », car la date de prononcé de la décision de la Cour n’était pas connue. De surcroît, il ne serait pas exclu qu’une demande de décision préjudicielle supplémentaire s’avère nécessaire en raison des spécificités de l’affaire.

14

Par un jugement du 20 octobre 2023, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) a néanmoins annulé une nouvelle fois le mandat d’arrêt en cause, en invoquant l’impératif de célérité. Un appel a été interjeté contre ce jugement par le parquet de Berlin. Le parquet général de Berlin s’est joint à cet appel en précisant que si, en cas de nouvelle remise à exécution de ce mandat d’arrêt, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) ne fixait pas rapidement un calendrier pour l’audience de jugement, il faudrait alors examiner si cela pouvait justifier la présentation d’une demande de récusation.

15

Par une décision du 6 décembre 2023, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) a annulé le jugement du 20 octobre 2023 et a de nouveau remis ledit mandat d’arrêt à exécution. Dans cette décision, il a précisé que rien ne s’opposait à la programmation et à la fixation rapides de l’audience de jugement. À la suite de ladite décision, le parquet de Berlin a invité le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) à fixer une audience de jugement au plus tôt et le plus rapidement possible.

16

Par une décision du 12 mars 2024, le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) a annulé le mandat d’arrêt en cause en jugeant que le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin), dénommé, depuis le 1er janvier 2024, Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I), n’avait pas suffisamment tenu compte de l’impératif de célérité en n’ayant pas fixé d’audience de jugement. Considérant qu’il s’agissait d’un « grave manquement aux exigences rigoureuses du droit constitutionnel », dont la responsabilité incombait entièrement au Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I), le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) a estimé que l’impératif de célérité avait été méconnu à un point tel que le maintien du mandat d’arrêt en cause revêtait un caractère disproportionné.

17

La juridiction de renvoi précise que M.R. purge une peine d’emprisonnement de plusieurs années pour des faits relatifs à une autre affaire. Le terme de sa détention est fixé, en principe, au 28 mai 2026, mais une libération anticipée pourrait être envisagée à partir du 27 juillet 2024, aux deux tiers de la peine.

18

Dans ce contexte, par lettre du 28 mars 2024, le parquet de Berlin a introduit une demande de récusation de la présidente de la formation de jugement du Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I) ayant adopté les jugements en cause (ci-après la « présidente »), pour soupçon de partialité. Au soutien de sa demande, il indique que la présidente n’a toujours pas fixé de date d’audience de jugement, bien que le prévenu soit encore en détention et que le Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) ait insisté sur l’urgence de fixer une telle date.

19

Selon le parquet de Berlin, la circonstance que la présidente ait délibérément ignoré cet avertissement et porte ainsi la responsabilité de l’annulation du mandat d’arrêt en cause permettrait de considérer qu’elle prend désormais ses décisions sans tenir compte des orientations données par les juridictions supérieures, mais en poursuivant seulement des intérêts qui lui sont propres. Ces intérêts seraient liés à la question, qu’elle a soulevée et qu’elle estime déterminante pour l’issue de la procédure, de savoir s’il est possible d’exploiter certaines preuves. Elle ne tiendrait pas compte du devoir de diligence et de l’impératif de célérité qui s’imposent à elle, car la manière dont elle organise cette procédure serait uniquement déterminée par son refus d’envisager toute fixation d’une audience de jugement avant que la Cour ait statué sur sa demande de décision préjudicielle dans l’affaire Staatsanwaltschaft Berlin II (C‑675/23).

20

Conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la StPO, la chambre du Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I), dont fait partie la présidente, doit statuer sur la demande visée au point 18 de la présente ordonnance. La présidente est remplacée par son suppléant.

21

Dans ce contexte, le Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I), qui est la juridiction de renvoi, dans la composition indiquée au point précédent de la présente ordonnance, relève que la présidente a fondé les jugements pris dans le cadre de l’affaire au principal sur la jurisprudence de la Cour. Il découlerait de celle-ci qu’un juge ayant introduit une demande de décision préjudicielle ne peut pas, avant la clôture de la procédure devant la Cour, être tenu, sur instruction de la juridiction d’appel, ou être incité, en raison de la menace de « sanctions disciplinaires », à poursuivre la procédure au principal. Ce juge devait, au contraire, attendre la décision de la Cour et ne pourrait, dans l’expectative, qu’effectuer des actes de procédure qui n’ont pas de rapport avec les questions préjudicielles. Il n’en irait pas autrement dans les affaires de détention.

22

La juridiction de renvoi considère que cette jurisprudence de la Cour est également applicable en matière pénale, compte tenu de la possibilité pour la Cour de statuer dans le cadre d’une procédure préjudicielle urgente ou d’une procédure préjudicielle accélérée.

23

Dans ces conditions, le Landgericht Berlin I (tribunal régional de Berlin I) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter l’article 267 TFUE en ce sens que celui-ci autorise, voire oblige la juridiction de renvoi à n’effectuer jusqu’à la décision de la Cour aucun acte de procédure, concernant l’affaire au principal, qui présente un lien avec les questions préjudicielles ?

2)

L’article 267 TFUE interdit-il qu’un soupçon de partialité puisse être invoqué à l’égard d’un juge au seul motif que celui-ci attend la décision de la Cour sur une demande de décision préjudicielle dont il l’a saisie ?

3)

Cela est-il valable également dans le cadre d’une affaire de détention en matière pénale, soumise à un impératif de célérité spécifique ? »

La procédure devant la Cour

24

Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour, ou, à titre subsidiaire, à un traitement accéléré sur le fondement de l’article 53, paragraphe 3, de ce règlement de procédure.

25

Au regard de la décision de la Cour de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure, il n’y a plus lieu de statuer sur cette demande.

Sur les questions préjudicielles

26

En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

27

En l’occurrence, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi par ses trois questions préjudicielles peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour et qu’il y a donc lieu de faire application de l’article 99 du règlement de procédure dans la présente affaire.

28

Par ailleurs, dans la mesure où la juridiction de renvoi demande, par sa troisième question, si les réponses apportées aux première et deuxième questions sont également applicables dans le cadre d’une affaire de détention en matière pénale, laquelle est soumise à un impératif de célérité spécifique, il y a lieu de tenir compte de cet aspect dans le traitement des première et deuxième questions et de ne pas l’examiner séparément.

Sur la première question

29

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre d’une procédure pénale soumise à un impératif de célérité en raison de l’incarcération de la personne poursuivie, une juridiction nationale qui a introduit une demande de décision préjudicielle poursuive la procédure au principal, dans l’attente de la réponse de la Cour à cette demande, en effectuant des actes de procédure qui présentent un lien avec les questions préjudicielles posées.

30

Il importe de rappeler, en premier lieu, en ce qui concerne l’article 267 TFUE, que la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à cette disposition qui, en instaurant un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 176, ainsi que arrêts du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 71, et du 17 mai 2023, BK et ZhP (Suspension partielle de la procédure au principal), C‑176/22, EU:C:2023:416, point 26].

31

Afin de préserver l’effet utile de cette procédure, l’ordonnance ou l’arrêt rendu par la Cour en réponse à la demande de décision préjudicielle qui lui a été adressée par une juridiction nationale lie cette juridiction quant à l’interprétation du droit de l’Union pour la solution du litige dont elle est saisie [voir, en ce sens, arrêts du 3 février 1977, Benedetti, 52/76, EU:C:1977:16, point 26, ainsi que du 17 mai 2023, BK et ZhP (Suspension partielle de la procédure au principal), C‑176/22, EU:C:2023:416, point 27].

32

Il résulte de la jurisprudence de la Cour que cet effet n’est pas susceptible d’être compromis lorsque ladite juridiction adopte des actes de procédure, entre la date à laquelle une demande de décision préjudicielle est adressée à la Cour et celle à laquelle cette dernière répond à cette demande, qui sont nécessaires et portent sur des aspects qui ne présentent pas de lien avec les questions posées, à savoir des actes de procédure qui ne sont pas de nature à empêcher la même juridiction de se conformer, dans le cadre du litige dont elle est saisie, à la décision ultérieure de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2023, BK et ZhP (Suspension partielle de la procédure au principal), C‑176/22, EU:C:2023:416, points 28 et 30].

33

En revanche, de tels actes de procédure ne sauraient être adoptés lorsqu’ils sont susceptibles de vider de leur objet et de leur intérêt, au regard du litige pendant devant la juridiction nationale, les questions préjudicielles adressées à la Cour. En effet, de tels actes seraient susceptibles d’empêcher cette juridiction de se conformer à la décision par laquelle la Cour répondrait à ces questions. Dans une telle hypothèse, il serait porté atteinte à l’effet utile du mécanisme de coopération prévu à l’article 267 TFUE, la Cour n’étant pas, en outre, compétente pour donner, en matière préjudicielle, des réponses consultatives [voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2024, AVVA e.a. (Procès par vidéoconférence en l’absence d’une décision d’enquête européenne), C‑255/23 et C‑285/23, EU:C:2024:462, points 38 à 40].

34

En second lieu, il y a lieu de rappeler que le droit des personnes poursuivies à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi qu’à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour ce qui concerne la procédure juridictionnelle, doit, dans le domaine pénal, être respecté non seulement lors de cette procédure, mais aussi au cours de la phase préliminaire, dès l’instant où la personne concernée est accusée (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 71, ainsi que ordonnance du 12 février 2019, RH, C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, point 32).

35

Le respect de ce droit étant d’autant plus nécessaire en cas d’incarcération, il est expressément prévu à l’article 267, quatrième alinéa, TFUE que, lorsqu’une question préjudicielle est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale qui concerne une personne détenue, la Cour doit statuer dans les plus brefs délais.

36

C’est d’ailleurs précisément pour que la mise en œuvre dudit droit soit garantie que les procédures accélérée et d’urgence, instituées par l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, peuvent être activées lorsque la demande de décision préjudicielle, qui concerne une personne détenue, est susceptible d’avoir une incidence sur la remise en liberté de cette personne [voir, en ce sens, ordonnance du 12 février 2019, RH, C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, points 33 à 35, ainsi que arrêt du 17 mars 2021, JR (Mandat d’arrêt – Condamnation dans un État tiers, membre de l’EEE), C‑488/19, EU:C:2021:206, points 36 à 40].

37

En revanche, le simple fait qu’une personne purge une peine privative de liberté en raison d’une condamnation qui ne présente pas de lien avec l’affaire dans laquelle s’inscrit une demande de décision préjudicielle n’est pas, en soi, de nature à commander que cette affaire fasse l’objet d’un traitement urgent (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 1er octobre 2018, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny w Płocku, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2018:923, point 23).

38

En outre, il convient également de rappeler que c’est, au premier chef, au juge national qui est saisi d’un litige présentant un caractère urgent, qui est le mieux placé pour en apprécier les enjeux concrets pour les parties et qui estime nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union, qu’il appartient d’adopter, dans l’attente de la décision de la Cour, toutes mesures provisoires adéquates pour garantir la pleine efficacité de la décision qu’il est lui-même appelé à rendre mais également l’effectivité des droits des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 66, et ordonnance du président de la Cour du 10 avril 2018, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2018:253, point 15, ainsi que ordonnance du président de la Cour du 25 février 2021, Sea Watch, C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2021:149, point 33).

39

Il s’ensuit que, bien que la juridiction nationale ayant introduit une demande de décision préjudicielle soit tenue d’attendre la réponse de la Cour à sa demande de décision préjudicielle, rien ne l’empêche d’adopter toute mesure alternative à la détention susceptible de garantir le respect des droits fondamentaux du suspect ou de la personne poursuivie (voir, en ce sens, ordonnance du 12 février 2019, RH, C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, point 41).

40

Au regard de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre d’une procédure pénale soumise à un impératif de célérité en raison de l’incarcération de la personne poursuivie, une juridiction nationale qui a introduit une demande de décision préjudicielle poursuive la procédure au principal, dans l’attente de la réponse de la Cour à cette demande, en effectuant des actes de procédure qui présentent un lien avec les questions préjudicielles posées.

Sur la deuxième question

41

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une récusation puisse être obtenue à l’encontre d’un juge au seul motif que celui-ci attend la décision de la Cour sur la demande de décision préjudicielle dont il l’a saisie alors que la procédure au principal concerne une personne détenue.

42

L’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis [arrêts du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166/73, EU:C:1974:3, point 3, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 91].

43

Ainsi, une règle de droit national ou une pratique nationale ne saurait empêcher une juridiction nationale de faire usage de cette faculté laquelle est, en effet, inhérente au système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, établi à l’article 267 TFUE, et aux fonctions de juge chargé de l’application du droit de l’Union confiées par cette disposition aux juridictions nationales [voir, en ce sens, arrêts du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166/73, EU:C:1974:3, point 4, et du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, points 32 et 33, ainsi que arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 93]. De la même manière, en vue d’assurer l’effectivité de cette faculté, une juridiction nationale doit pouvoir maintenir un renvoi préjudiciel postérieurement à son introduction [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 93].

44

La Cour a déduit des considérations qui précèdent qu’une règle ou une pratique nationale qui risque, notamment, d’avoir pour conséquence qu’un juge national préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour pour éviter d’être dessaisi, porte atteinte aux prérogatives reconnues aux juridictions nationales par l’article 267 TFUE et, par conséquent, à l’efficacité de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par le mécanisme du renvoi préjudiciel [voir, notamment, arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 25, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 94].

45

Or le dessaisissement du litige est précisément la conséquence d’une récusation. Partant, si un juge national pouvait être récusé au seul motif qu’il a refusé de fixer une audience pour juger du fond du litige dont il est saisi avant que la Cour n’ait répondu à la demande de décision préjudicielle qu’il lui avait adressée dans ce litige, cette possibilité pourrait conduire certains juges nationaux à s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour.

46

En outre, la compétence que l’article 267 TFUE confère à toute juridiction nationale d’ordonner un renvoi préjudiciel devant la Cour ne saurait être remise en cause par l’application de règles nationales qui permettent à la juridiction nationale saisie en appel de réformer la décision ordonnant un renvoi préjudiciel devant la Cour, d’écarter ce renvoi et d’enjoindre à la juridiction ayant rendu ladite décision de reprendre la procédure de droit interne qui avait été suspendue (arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, EU:C:2008:723, point 98, et ordonnance du 12 février 2019, RH, C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, point 40).

47

La circonstance que la personne faisant l’objet de la procédure au principal soit incarcérée n’est pas non plus de nature à modifier la portée des prérogatives reconnues au juge national à l’article 267 TFUE, et ce pour les motifs rappelés aux points 35, 36, 38 et 39 de la présente ordonnance.

48

Au regard de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une récusation puisse être obtenue à l’encontre d’un juge au seul motif que celui-ci attend la décision de la Cour sur la demande de décision préjudicielle dont il l’a saisie alors que la procédure au principal concerne une personne détenue.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

 

1)

L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre d’une procédure pénale soumise à un impératif de célérité en raison de l’incarcération de la personne poursuivie, une juridiction nationale qui a introduit une demande de décision préjudicielle poursuive la procédure au principal, dans l’attente de la réponse de la Cour à cette demande, en effectuant des actes de procédure qui présentent un lien avec les questions préjudicielles posées.

 

2)

L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une récusation puisse être obtenue à l’encontre d’un juge au seul motif que celui-ci attend la décision de la Cour sur la demande de décision préjudicielle dont il l’a saisie alors que la procédure au principal concerne une personne détenue.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

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