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Document 62021CC0290

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 22 septembre 2022.
Staatlich genehmigte Gesellschaft der Autoren, Komponisten und Musikverleger Reg. Gen. mbH (AKM) contre Canal+ Luxembourg Sàrl.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof.
Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble – Directive 93/83/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Communication au public par satellite – Notion – Fournisseur de bouquets satellitaires – Diffusion de programmes dans un autre État membre – Lieu de l’acte d’exploitation par lequel ce fournisseur apporte son concours à une telle communication.
Affaire C-290/21.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:711

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 22 septembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑290/21

Staatlich genehmigte Gesellschaft der Autoren, Komponisten und Musikverleger Reg. Gen. mbH (AKM)

contre

Canal+ Luxembourg Sàrl

en présence de :

Tele 5 TM-TV GmbH,

Österreichische Rundfunksender GmbH & Co KG,

Seven.One Entertainment Group GmbH,

ProSiebenSat.1 PULS 4 GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Radiodiffusion par satellite et retransmission par câble – Directive 93/83/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Fournisseur de bouquets satellitaires – Diffusion des programmes dans un autre État membre – Lieu de l’acte d’exploitation – Fourniture à titre onéreux des programmes payants et en libre accès en haute définition – Disponibilité de ces programmes en définition standard dans l’État de réception également par satellite »

Introduction

1.

« Si c’était à refaire, je commencerais par la culture », aurait prétendument dit Jean Monnet à propos du processus de l’intégration européenne. Cependant, la culture, en tout cas dans sa dimension économique, est en grande partie réglementée par le droit d’auteur. Or, un élément s’oppose aux avancements de l’intégration dans cette sphère et contribue à figer la fragmentation du marché intérieur selon les frontières nationales : l’immuable principe de territorialité (au sens du territoire national) du droit d’auteur, ainsi que les pratiques des acteurs du marché, y compris celles des organisations de gestion collective qui se sont établies sur le fondement de ce principe. Paradoxalement, plus la technologie, notamment la radiodiffusion par satellite – en cause dans la présente affaire – et, plus récemment, Internet permettent des échanges culturels interétatiques, plus l’obstacle du principe de territorialité du droit d’auteur se fait sentir.

2.

Il est vrai, bien évidemment, que cette fragmentation du marché a aussi une raison objective, à savoir la diversité linguistique, qui est un aspect fondamental en matière de culture. La présente affaire montre cependant que, même dans des situations où la barrière linguistique n’existe pas, les intéressés défendent unguibus et rostro le principe de territorialité définie selon les frontières nationales, pourtant abolies au sein du marché intérieur. La Cour aura dans la présente affaire l’occasion de contribuer à promouvoir l’intégration de l’Europe par la culture, conformément à la volonté du législateur de l’Union, exprimée déjà il y a presque 30 ans.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) à c), de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble ( 2 ) :

« 2.   

a)

Aux fins de la présente directive, on entend par “communication au public par satellite” l’acte d’introduction, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, de signaux porteurs de programmes destinés à être captés par le public dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre.

b)

La communication au public par satellite a lieu uniquement dans l’État membre dans lequel, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, les signaux porteurs de programmes sont introduits dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre.

c)

Lorsque les signaux porteurs de programmes sont diffusés sous forme codée, il y a communication au public par satellite à condition que le dispositif de décodage de l’émission soit mis à la disposition du public par l’organisme de radiodiffusion ou avec son consentement. »

4.

L’article 2 de cette directive dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif de l’auteur d’autoriser la communication au public par satellite d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sous réserve des dispositions du présent chapitre. »

5.

L’article 4 de ladite directive élargit à la communication au public par satellite la protection accordée aux artistes-interprètes ou exécutants, producteurs de phonogrammes et organismes de radiodiffusion par la directive 92/100/CEE ( 3 ).

6.

L’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 4 ) est libellé comme suit :

« Sauf dans les cas visés à l’article 11 [ ( 5 )], la présente directive laisse intactes et n’affecte en aucune façon les dispositions [de l’Union] existantes concernant :

[...]

c)

le droit d’auteur et les droits voisins applicables à la radiodiffusion de programmes par satellite et à la retransmission par câble. »

7.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil [...] »

Le droit autrichien

8.

L’article 17b, paragraphe 1, de l’Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur), du 9 avril 1936, dans sa version du 27 décembre 2018 ( 6 ), applicable en l’espèce, énonce :

« Dans la radiodiffusion par satellite, l’acte d’exploitation réservé à l’auteur consiste en l’introduction, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, des signaux porteurs de programmes dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre. Sous réserve du paragraphe 2, la radiodiffusion par satellite n’a dès lors lieu que dans l’État dans lequel cette introduction est faite. »

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

9.

La Staatlich genehmigte Gesellschaft der Autoren, Komponisten und Musikverleger Reg. Gen. mbH (Société reconnue d’utilité publique des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Autriche, ci-après « AKM ») est une société autrichienne de gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins sur les œuvres musicales.

10.

Canal+ Luxembourg Sàrl (ci-après « Canal+ ») est une société de droit luxembourgeois qui offre à titre onéreux en Autriche des paquets de programmes de plusieurs organismes de radiodiffusion (ci-après les « bouquets satellitaires »).

11.

L’introduction de chacun des signaux satellites porteurs de programmes dans la chaîne de communication (liaison montante) est faite la plupart du temps par les organismes de radiodiffusion eux-mêmes, quelquefois par Canal+, jamais cependant en Autriche, mais dans d’autres États membres de l’Union. Un faisceau est émis qui contient l’ensemble du programme en qualité de haute définition avec toutes les informations complémentaires, telles les données audio, les données des sous-titres, etc. Après avoir été « renvoyé » par le satellite, le faisceau est capté par des installations de réception satellitaire à l’intérieur de la zone de couverture. Le faisceau est alors fractionné et l’usager peut accéder à chacun des programmes sur un terminal. Les programmes sont codés et doivent être décodés par l’installation de réception pour pouvoir être utilisés. Canal+ met des clés d’accès à la disposition de ses clients avec l’accord des organismes de radiodiffusion. Les « bouquets » sont créés en combinant les clés d’accès pour différents programmes.

12.

Les bouquets contiennent des programmes télévisés payants ainsi que gratuits. Ces derniers ne sont pas codés et peuvent toujours être captés par n’importe qui en qualité standard sur le territoire autrichien.

13.

AKM a introduit une demande visant, en substance, à la cessation de la diffusion des signaux satellites en Autriche ainsi qu’au paiement d’une indemnité, en faisant valoir qu’elle n’avait pas autorisé cette diffusion. AKM estime en effet que, nonobstant l’éventuelle autorisation obtenue par les organismes de radiodiffusion pour la communication des œuvres au public par satellite, Canal+ devrait également disposer d’une telle autorisation, ce qu’elle n’a pas pu prouver. AKM considère alors que Canal+ empiète sur les droits dont elle assure la gestion.

14.

Quatre sociétés, dont Seven.One Entertainment Group GmbH, un organisme de radiodiffusion établi en Allemagne, et ProSiebenSat.1 PULS 4 GmbH, un organisme de radiodiffusion établi en Autriche (ci-après, conjointement, les « intervenantes »), ont été admises à intervenir au litige au principal au soutien de Canal+.

15.

Par jugement du 30 juin 2020, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a, en appel, partiellement accueilli le recours. Cette juridiction a notamment considéré que les bouquets satellitaires fournis par Canal+ touchaient un nouveau public, c’est-à-dire un public différent de celui des transmissions en libre accès des opérateurs de radiodiffusion. Tant AKM que Canal+, soutenue par les intervenantes, ont formé des recours en Revision contre ce jugement devant la juridiction de renvoi.

16.

C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la [directive 93/83] en ce sens que non seulement l’organisme de radiodiffusion, mais également le fournisseur d’un bouquet satellitaire apportant son concours à l’acte indivisible et uniforme d’émission pose un acte d’exploitation, éventuellement soumis à consentement, tout simplement dans l’État dans lequel, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, les signaux porteurs de programmes sont introduits dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre, en sorte que le concours du fournisseur d’un bouquet satellitaire à l’acte d’émission n’est pas susceptible d’empiéter sur des droits d’auteur dans l’État de réception ?

2)

Si la première question appelle une réponse négative : faut-il interpréter la notion de “communication au public” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de la [directive 93/83] ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 2001/29] en ce sens que le fournisseur d’un bouquet apportant son concours en tant qu’autre opérateur dans le cadre d’une communication au public par satellite, qui réunit plusieurs signaux codés de haute définition de programmes télévisés gratuits et payants et offre à ses clients à titre onéreux le produit audiovisuel propre ainsi créé, doit obtenir une autorisation distincte du titulaire des droits concernés même pour les contenus protégés des programmes télévisés gratuits repris dans le bouquet de programmes alors qu’il donne de toute façon à ses clients tout simplement accès à des œuvres qui sont déjà librement accessibles pour tout un chacun dans la zone de couverture, même si c’est dans une qualité de définition standard plus médiocre ? »

17.

La demande de décision préjudicielle a été déposée le 5 mai 2021. Des observations écrites ont été présentées par AKM, Canal+, les intervenantes, ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties ont été représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 8 juin 2022.

Analyse

18.

La juridiction de renvoi pose deux questions préjudicielles, la seconde question dépendant de la réponse à la première. Compte tenu de la réponse que je propose de donner à cette première question, il ne sera donc pas nécessaire, si la Cour adopte mon raisonnement, de répondre à la seconde. Je l’examinerai cependant brièvement, par souci de complétude.

Sur la première question préjudicielle

19.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83 doit être interprété en ce sens qu’un fournisseur de bouquets satellitaires est dans l’obligation d’obtenir, dans l’État membre dans lequel les objets protégés ainsi communiqués sont accessibles au public (État membre de réception), l’autorisation des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins au titre de l’acte de communication au public par satellite auquel il participe.

20.

Cette question a trait à la jurisprudence de la Cour découlant, notamment, de l’arrêt du 13 octobre 2011, Airfield et Canal Digitaal (C‑431/09 et C‑432/09, ci-après l’ arrêt Airfield , EU:C:2011:648), et concerne en réalité l’interprétation de cet arrêt.

21.

Avant de procéder à l’analyse de l’arrêt Airfield, il est nécessaire de formuler quelques remarques liminaires.

Sur la communication au public par satellite, au sens de la directive 93/83

22.

À ses débuts, la radiodiffusion télévisuelle était naturellement confinée dans les frontières nationales – elle utilisait les ondes hertziennes dont les fréquences étaient à la disposition des États qui les attribuaient aux opérateurs pour une émission limitée au territoire national. La zone de couverture du signal correspondait donc en substance au territoire de l’État d’émission qui constituait en même temps le champ d’applicabilité territoriale du droit d’auteur de cet État.

23.

L’apparition de la télévision par satellite a bouleversé ce paysage, en permettant de couvrir un territoire bien plus vaste que celui d’un seul État. S’est donc posée la question de savoir quel était le droit d’auteur applicable : seul le droit de l’État d’émission du signal vers le satellite ou bien également le ou les droits des États dans lesquels il est possible de réceptionner le signal ? ( 7 )

24.

L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83 répond à cette question du point de vue du droit de l’Union. Bien que figurant sous la rubrique « Définitions », cette disposition établit l’une des principales règles matérielles de cette directive, à savoir le principe de l’État membre d’émission. En vertu de ce principe, l’acte de communication au public par satellite, tel que défini dans ladite directive, est réputé n’avoir lieu que dans l’État membre dans lequel le signal a été envoyé vers le satellite. C’est donc également le droit d’auteur de cet État qui sera applicable à un tel acte.

25.

En parallèle, la directive 93/83 assure une protection équivalente des droits d’auteur et des droits voisins dans tous les États membres, en harmonisant cette protection à ses articles 2 et 4 et en excluant les licences obligatoires à son article 3, paragraphe 1. Les droits des titulaires au titre de l’utilisation des œuvres dans les États membres de réception seront donc protégés, de manière équivalente, en vertu du droit d’auteur de l’État membre d’émission ( 8 ). À eux de s’assurer que la rémunération contractée pour l’utilisation de ces droits prend en compte l’ensemble du public potentiel, conformément au considérant 17 de la directive 93/83.

26.

Le principal but de l’établissement du principe de l’État membre d’émission a été de faciliter la transmission transfrontalière par satellite des programmes de radio et de télévision, en assurant une sécurité juridique et un niveau adéquat de protection de leurs intérêts à tous les acteurs impliqués ( 9 ).

27.

Cependant, le principe de l’État membre d’émission ne concerne que l’acte de communication au public par satellite, tel que défini à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 93/83. Cette définition est composée de plusieurs éléments. Premièrement, cet acte consiste en l’introduction de signaux porteurs de programmes dans une chaîne de communication conduisant vers le satellite et revenant vers la terre. Deuxièmement, l’introduction doit se faire sous le contrôle et la responsabilité d’un organisme de radiodiffusion. Troisièmement, les signaux porteurs de programmes doivent être destinés à être captés par le public. Quatrièmement, la chaîne de communication en question doit être ininterrompue dès l’introduction des signaux jusqu’à la réception (potentielle ( 10 )) par le public. Cinquièmement, enfin, si les signaux sont codés, le dispositif de décodage de ces signaux doit être mis à la disposition du public par l’organisme de radiodiffusion sous le contrôle et la responsabilité duquel l’acte a lieu ou avec son consentement ( 11 ).

28.

Un acte qui remplit ces conditions constitue un acte de « communication au public par satellite », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83, et bénéficie du principe de l’État membre d’émission. Ce principe couvre non seulement l’émission proprement dite, c’est-à-dire l’introduction du signal porteur du programme dans la liaison montante vers le satellite, mais aussi la totalité de la communication, y compris l’acheminement de ce signal aux utilisateurs finaux. Seul le droit de l’État membre d’émission s’applique donc à la communication dans son ensemble. En revanche, tout acte d’exploitation à distance, y compris à l’aide d’un satellite, des objets protégés par le droit d’auteur ou les droits voisins qui ne remplit pas les conditions de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de la directive 93/83 ne peut pas être qualifié de « communication au public par satellite », au sens de la disposition susvisée, et ne bénéficie pas du principe de l’État membre d’émission.

Arrêt Airfield et application au cas d’espèce

29.

Dans l’arrêt Airfield, la Cour devait examiner l’activité d’un fournisseur de bouquets satellitaires semblable à celle de Canal+ en l’espèce. Elle est arrivée à la conclusion que cette activité relevait d’une communication au public par satellite, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) à c), de la directive 93/83 ( 12 ).

30.

Dans la présente affaire, force est de constater que la juridiction de renvoi est relativement économe en informations concernant les détails techniques de la communication en question au principal. Cependant, comme les questions préjudicielles concernent l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83, ainsi que, indirectement, de l’arrêt Airfield, je pars de la prémisse que la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans cet arrêt concernant la qualification de l’activité d’un fournisseur de bouquets satellitaires est transposable au cas d’espèce.

31.

Cela signifie que les signaux porteurs de programmes sont introduits dans une chaîne de communication conduisant vers le satellite et revenant vers la terre, soit par les organismes de radiodiffusion eux-mêmes, soit par Canal+, mais avec leur consentement. Les organismes de radiodiffusion ont donc le contrôle et prennent la responsabilité pour cette introduction ( 13 ). Ces signaux sont destinés à être captés par le public. En effet, l’objectif de l’activité en question est la transmission des programmes pour réception directe par le public ( 14 ). La chaîne de communication est ininterrompue entre l’introduction des signaux dans la liaison montante vers le satellite et la réception potentielle par le public. Les interventions éventuelles sur ces signaux, telles que la compression ou le codage et le décodage, relèvent des activités techniques habituelles de préparation des signaux pour leur transmission par satellite et ne constituent pas une interruption de la chaîne de communication ( 15 ). Enfin, il est constant que les dispositifs de décodage sont mis par Canal+ à la disposition du public avec le consentement des organismes de radiodiffusion respectifs.

32.

Je partage pleinement l’analyse suivie par la Cour dans l’arrêt Airfield concernant la qualification de l’activité d’un fournisseur de bouquets satellitaires comme communication au public par satellite. Le seul point, à ce stade, sur lequel j’éprouve un doute est la constatation selon laquelle, en premier lieu, le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, visés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83, concernent non pas l’acte de communication au public par satellite dans son ensemble, mais uniquement l’introduction des signaux dans la chaîne de communication et, en second lieu, que ce contrôle et cette responsabilité peuvent être partagés ( 16 ).

33.

En premier lieu, si, selon la disposition mentionnée ci-dessus, les signaux porteurs de programmes doivent être, dès leur introduction dans la chaîne de communication, destinés à être captés par le public ( 17 ) et si cette chaîne doit être ininterrompue, le contrôle de l’introduction de ces signaux signifie nécessairement et automatiquement le contrôle de l’acte de communication au public dans son ensemble. En effet, la prise de contrôle par une autre personne après l’introduction des signaux, par exemple afin de différer la transmission dans le temps ou de modifier sa destination, signifierait l’interruption de la chaîne de communication.

34.

Il en est de même en ce qui concerne la responsabilité. Dans une chaîne ininterrompue de communication, la décision sur l’introduction des signaux mène nécessairement à leur accessibilité au public, de sorte que l’organisme de radiodiffusion ne saurait nier sa responsabilité pour la communication au public des programmes véhiculés par ces signaux. Il en est ainsi également dans l’hypothèse où les signaux sont codés, car, pour qu’il y ait communication au public par satellite, les dispositifs de décodage doivent être mis à la disposition du public avec le consentement de l’organisme de radiodiffusion, ce qui donne à celui-ci le contrôle sur cet aspect de l’acte de communication. Ce consentement étant donné librement, il implique aussi la responsabilité.

35.

En second lieu, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83, le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion constituent une condition pour que l’acte en question soit considéré comme étant un acte de communication au public par satellite et bénéficie des dispositions de cette directive, notamment du principe de l’État membre d’émission comme lieu de survenance de cet acte.

36.

En ce qui concerne le contrôle, il me paraît évident qu’il ne suffit pas que l’organisme de radiodiffusion ait un contrôle seulement partiel. Le contrôle doit être total pour que la condition soit satisfaite.

37.

Bien entendu, l’exigence de contrôle n’équivaut pas à la nécessité pour l’organisme de radiodiffusion d’effectuer lui-même toutes les opérations que comporte une communication au public par satellite. Le contrôle se matérialise dans des arrangements contractuels avec des opérateurs tiers, tel qu’un fournisseur de bouquets satellitaires. Ces tiers agissent donc comme mandataires de l’organisme de radiodiffusion, qui conserve la maîtrise de l’acte de communication.

38.

Il ne s’agit pas, non plus, d’un contrôle sur tous les aspects, même infimes, de la communication. L’organisme de radiodiffusion doit avoir le contrôle sur les éléments ayant une importance du point de vue du droit d’auteur, notamment le fait même de communiquer, le contenu exact de la communication et le public ciblé. En revanche, les questions techniques telles que la compression du signal ou le standard dans lequel celui-ci sera codé ne sont pas pertinentes et peuvent être tranchées par les opérateurs auxquels l’organisme de radiodiffusion confie la réalisation technique de la communication.

39.

En ce qui concerne la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, elle non plus ne saurait être partagée. À l’article 1er, paragraphe 2, sous a) à c), de la directive 93/83, le législateur de l’Union a non seulement défini l’acte de communication au public par satellite comme un acte unique d’exploitation, au sens du droit d’auteur, et le lieu de cet acte, mais a également désigné son auteur dans la personne de l’organisme de radiodiffusion qui prend l’initiative de cette communication ( 18 ). Cet organisme est responsable, notamment, envers les titulaires des droits d’auteur et droits voisins pour l’exploitation des objets protégés. Cette responsabilité de l’organisme de radiodiffusion est le pendant du principe de l’État d’émission. En effet, la directive 93/83 avait pour objectif non seulement de faciliter la transmission des programmes par satellite en supprimant les obstacles liés à la territorialité du droit d’auteur, mais également la défense des droits d’auteur et droits voisins en désignant un opérateur responsable pour l’ensemble de l’acte de communication au public par satellite ( 19 ).

40.

Dans un acte de communication au public par satellite, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83, c’est donc l’organisme de radiodiffusion qui doit avoir le plein contrôle et qui porte la pleine responsabilité de l’ensemble de cet acte ( 20 ).

Sur les allégations d’AKM concernant l’applicabilité des dispositions sur la communication au public par satellite aux fournisseurs des bouquets satellitaires

41.

La constatation selon laquelle l’activité d’un fournisseur de bouquets satellitaires, tel que Canal+, relève de la communication au public par satellite ( 21 ) me permet de répondre à certaines thèses soulevées par AKM en l’espèce.

42.

En premier lieu, AKM soutient que, à l’époque de l’adoption de la directive 93/83, le modèle économique de bouquets satellitaires n’existait pas et que les auteurs de cette directive n’avaient pas envisagé l’activité consistant en la fourniture de tels bouquets. Les dispositions de ladite directive, et notamment le principe de l’État membre d’émission, ne devraient donc pas s’appliquer.

43.

Il est bien possible que les auteurs de la directive 93/83 ne connaissaient pas le modèle des bouquets satellitaires. Cela ne change cependant pas le fait que l’activité des fournisseurs de tels bouquets s’inscrit parfaitement dans les dispositions de cette directive consacrées à la communication au public par satellite. En effet, une telle communication ne doit pas être impérativement effectuée par un organisme de radiodiffusion, il suffit que cet organisme en garde le contrôle. Il peut très bien confier certaines tâches à un autre opérateur, tel qu’un fournisseur de bouquets satellitaires. La fourniture de tels bouquets ne nécessite pas non plus d’interrompre la chaîne de communication entre l’introduction des signaux porteurs des programmes et leur réception potentielle par le public. En ce qui concerne le codage et le décodage, ces dispositions exigent seulement qu’ils soient effectués avec le consentement de l’organisme de radiodiffusion en question. Rien ne s’oppose donc à l’application desdites dispositions à une activité consistant à fournir des bouquets satellitaires.

44.

En second lieu, AKM soutient que l’activité d’un fournisseur de bouquets satellitaires devrait être assimilée à la retransmission, telle que définie à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 93/83. La juridiction de renvoi rejette cette thèse, au motif qu’une retransmission suppose une transmission initiale qui, en l’espèce, fait défaut. Je partage cet avis. Si l’activité d’un fournisseur des bouquets satellitaires relève de l’acte unique de communication au public par satellite, il ne saurait être question d’une transmission initiale et d’une retransmission.

45.

Certes, il est vrai qu’une conclusion différente pourrait éventuellement être tirée sur le fondement de la nouvelle directive (UE) 2019/789 ( 22 ) et que, en fonction de la méthode d’introduction du signal dans la liaison montante vers le satellite et selon que l’organisme de radiodiffusion concerné offre indépendamment et en libre accès les programmes compris dans un bouquet satellitaire ou pas, l’activité en cause dans la présente affaire pourrait être qualifiée de « transmission de programmes par injection directe », au sens de l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, ou bien de « retransmission », au sens de l’article 2, point 2, de celle-ci. Il s’agirait alors d’une modification tacite de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/83, à côté de la modification expresse de l’article 1er, paragraphe 3, de celle-ci, prévue à l’article 9 de la directive 2019/789.

46.

Cependant, comme l’a expliqué la Commission dans ses observations, la directive 2019/789 n’est pas applicable ratione temporis au litige au principal. En outre, elle n’a été ni mentionnée dans la demande de décision préjudicielle ni débattue entre les parties. Il n’y a donc pas lieu de prendre cette directive en compte aux fins de la réponse à donner aux questions préjudicielles dans la présente affaire.

Sur la question de la responsabilité d’un fournisseur de bouquets satellitaires du fait de la communication à un public nouveau

47.

Si la Cour, dans son arrêt Airfield, a constaté que la radiodiffusion des programmes de télévision par satellite et leur distribution par un fournisseur de bouquets satellitaires constituaient une seule et indivisible communication au public par satellite ( 23 ), elle a par la suite poursuivi son analyse concernant la responsabilité d’un tel fournisseur au titre du droit d’auteur. Ainsi, elle a développé l’idée selon laquelle, bien qu’impliqué dans un acte de communication au public par satellite unique et indivisible, le fournisseur de bouquets satellitaires serait dans l’obligation d’obtenir, indépendamment de l’organisme de radiodiffusion, une autorisation de la part des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins au titre du nouveau public auquel il aurait donné accès aux objets protégés ainsi communiqués ( 24 ).

48.

Cette analyse de la Cour me paraît problématique, car elle est à mon avis inconciliable avec le caractère unique et indivisible de la communication au public par satellite constaté dans l’arrêt Airfield, ce caractère unique et indivisible étant à son tour une condition pour qualifier un acte de « communication au public par satellite », au sens de la directive 93/83. Je vais développer cette idée dans la suite des présentes conclusions.

– Sur la notion de « public nouveau »

49.

La Cour a introduit dans sa jurisprudence la notion de « public nouveau » par son arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764). Cette notion y est définie comme « un public distinct du public visé par l’acte de communication originaire de l’œuvre » ( 25 ). La Cour s’est inspirée du guide de la convention de Berne ( 26 ), dont elle donne la lecture suivante :

« [...] l’auteur, en autorisant la radiodiffusion de son œuvre, ne prend en considération que les usagers directs, c’est-à-dire les détenteurs d’appareils de réception qui, individuellement ou dans leur sphère privée ou familiale, captent les émissions. Selon ce guide, dès lors que cette captation se fait à l’intention d’un auditoire plus vaste, et parfois à des fins lucratives, une fraction nouvelle du public réceptionnaire est admise à bénéficier de l’écoute ou de la vision de l’œuvre et la communication de l’émission par haut-parleur ou instrument analogue n’est plus la simple réception de l’émission elle‑même, mais un acte indépendant par lequel l’œuvre émise est communiquée à un nouveau public. Ainsi que le précise ledit guide, cette réception publique donne prise au droit exclusif de l’auteur de l’autoriser » ( 27 ).

50.

La notion de « public nouveau » a par la suite été définie dans la jurisprudence de la Cour comme se rapportant à « un public qui n’était pas pris en compte par les auteurs des œuvres protégées lorsqu’ils ont autorisé leur utilisation par la communication au public d’origine » ( 28 ). Elle est employée dans ce sens à ce jour ( 29 ).

51.

Deux éléments importants ressortent de cette définition, lue à la lumière du passage du guide de la convention de Berne ayant servi à la Cour d’inspiration dans l’élaboration de cette notion en droit d’auteur de l’Union. Tout d’abord, l’emploi de cette notion n’a de sens qu’en présence de deux communications au public successives ( 30 ) : la communication primaire, également appelée « communication initiale », pour laquelle les titulaires des droits d’auteur ont donné leur autorisation, et la communication secondaire qui prend sa source dans la communication initiale et qui vise le public nouveau en question. Ensuite, si cette communication secondaire est tributaire de la communication initiale, elle constitue un acte d’exploitation distinct et nécessite, de ce fait, une autorisation distincte.

52.

L’existence d’un public nouveau n’est alors qu’un critère permettant de constater l’existence d’une communication au public distincte de la communication initiale.

– Sur le public visé par une communication au public par satellite

53.

Dans une radiodiffusion directe par satellite (c’est-à-dire une communication au public par satellite au sens de la directive 93/83), le public est un et indivisible, tout comme l’acte par lequel ce public reçoit la communication des objets protégés. Dans une radiodiffusion en accès libre, ledit public est constitué des personnes qui se trouvent dans la zone de réception (l’empreinte) du satellite. Lorsque la radiodiffusion est codée, le public est constitué des personnes à la disposition desquelles les dispositifs de décodage ont été mis par l’organisme de radiodiffusion ou avec le consentement de ce dernier.

54.

Affirmer qu’il existe deux publics distincts pour un seul acte de communication serait une contradiction dans les termes, car le public est défini précisément par rapport à une communication. Le public visé par cette communication constitue le public de ladite communication, tout public supplémentaire (public nouveau) implique nécessairement un nouvel acte de communication.

55.

Il est donc contradictoire de constater, d’une part, le caractère unique et indivisible d’une communication au public par satellite et d’affirmer, d’autre part, qu’il existe un public supplémentaire de cette communication qui ne serait pas pris en compte par les titulaires des droits d’auteur. Dans le cas comme celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Airfield et comme celui qui nous occupe en l’espèce, c’est-à-dire d’une radiodiffusion par satellite codée dans laquelle intervient un fournisseur de bouquets satellitaires, le public est constitué des personnes à la disposition desquelles ce fournisseur met les dispositifs de décodage contre paiement de l’abonnement et avec le consentement des organismes de radiodiffusion sous le contrôle desquels les signaux porteurs des programmes qui forment les bouquets ont été introduits dans la chaîne de communication.

56.

Ce public a nécessairement été pris en compte par les organismes de radiodiffusion, ceux-ci ayant donné leur consentement à la mise à la disposition dudit public des dispositifs de décodage. Il se peut, certes, que les organismes de radiodiffusion n’aient pas été suffisamment transparents avec les titulaires des droits d’auteur et que ces derniers aient envisagé un public différent de celui auquel la communication était effectivement destinée. Cependant, dans un tel cas, c’est toute la communication au public par satellite qui est illicite, du fait d’avoir été effectuée sans autorisation des titulaires. Il revient alors aux organismes de radiodiffusion de recueillir cette autorisation ( 31 ) dans l’État membre d’origine de la communication. Cela ne fait en revanche naître aucun droit pour les titulaires à s’opposer, dans l’État membre de réception, à l’activité du fournisseur de bouquets satellitaires.

57.

Cette conclusion n’est pas modifiée par les différentes prestations fournies par ce fournisseur et énumérées par la Cour dans l’arrêt Airfield.

58.

En effet, premièrement, en ce qui concerne le codage du signal et la mise à la disposition du public des dispositifs de décodage ( 32 ), une telle prestation, lorsqu’elle est effectuée avec le consentement de l’organisme de radiodiffusion, relève, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous c), de la directive 93/83, de l’acte unique et indivisible de communication au public par satellite. Dès lors, si, en permettant aux membres du public de décoder les programmes, le fournisseur de bouquets satellitaires donne à ces membres du public accès aux objets protégés, il s’agit des membres du public de la communication au public par satellite, c’est-à-dire ceux du public ayant été pris en compte par les organismes de radiodiffusion qui sont à l’origine de cette communication.

59.

Deuxièmement, en ce qui concerne le fait que le fournisseur des bouquets satellitaires perçoit le prix de l’abonnement, la Cour observe elle-même qu’il s’agit du prix d’accès à la communication au public par satellite ( 33 ) et, donc, du public de cette communication.

60.

Enfin, troisièmement, en ce qui concerne le fait que le fournisseur de bouquets satellitaires regroupe plusieurs communications émanant des organismes de radiodiffusion dans un nouveau produit audiovisuel ( 34 ), il convient d’observer ce qui suit. Le droit d’auteur raisonne non pas en termes de produits audiovisuels, ni de bouquets satellitaires, ni même de programmes radiodiffusés, mais en termes d’objets protégés, c’est-à-dire d’œuvres et d’objets des droits voisins, car c’est par rapport à ces objets que les titulaires exercent leurs droits exclusifs. Par conséquent, si l’inclusion d’un programme contenant un objet protégé dans un bouquet satellitaire d’un fournisseur donné peut, certes, influencer le prix de l’autorisation de la communication au public de cet objet, ce prix pouvant être déterminé en fonction du revenu escompté de l’exploitation de l’objet en question, elle n’est nullement constitutive d’un acte relevant des droits exclusifs garantis par le droit d’auteur. Ainsi, le regroupement des différents programmes émanant de différents organismes de radiodiffusion dans un bouquet satellitaire est indifférent du point de vue de l’existence d’un acte soumis à l’autorisation des titulaires des droits d’auteur.

61.

Ainsi, par ces actes, contrairement à ce que la Cour a affirmé dans l’arrêt Airfield ( 35 ), le fournisseur des bouquets satellitaires n’élargit pas le cercle de personnes ayant accès aux programmes qui forment ces bouquets par rapport aux personnes visées par la communication au public par satellite effectuée sous le contrôle et la responsabilité des organismes de radiodiffusion desquels émanent ces programmes. Son activité ne donne donc pas lieu à une autorisation de la part des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins au titre d’un quelconque public nouveau.

62.

Il n’en serait autrement qu’à condition de considérer que le fournisseur de bouquets satellitaires effectue un acte de communication à son public propre ( 36 ). Il ne s’agirait pas alors d’une communication au public par satellite au sens de la directive 93/83, celle-ci étant nécessairement effectuée sous le contrôle et la responsabilité d’un organisme de radiodiffusion, mais d’une communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Dans ce cas, le principe de l’État membre d’émission instauré à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83 ne s’appliquerait donc pas ; l’acte serait réputé avoir lieu dans l’État membre de la réception, conformément au principe de territorialité du droit d’auteur.

63.

Une telle solution se heurterait cependant aux constatations de la Cour effectuées aux points 51 à 69 de l’arrêt Airfield, concernant le caractère unique et indivisible d’une communication au public par satellite dans laquelle intervient un fournisseur de bouquets satellitaires. Elle serait également, à mon avis, contraire à la lettre de la directive 93/83, laquelle impose de qualifier une communication qui répond aux conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de cette directive de « communication au public par satellite » et, donc, d’acte unique ayant lieu dans l’État membre dans lequel le signal porteur de programme est introduit dans la chaîne de communication.

– Sur la relation entre la radiodiffusion en libre accès et la radiodiffusion codée

64.

La confusion provient peut-être du fait que certains programmes de télévision sont radiodiffusés (par satellite) simultanément et sur le même territoire tant en accès libre que, souvent en meilleure qualité, sous forme codée, ce qui exige un paiement additionnel pour leur réception. Il pourrait donc paraître que la radiodiffusion codée constitue une retransmission de la radiodiffusion en libre accès et qu’elle est donc destinée à un public nouveau par rapport au public visé par cette seconde radiodiffusion. C’est ce que semble avoir jugé la juridiction d’appel dans la procédure au principal.

65.

À mon avis, tel n’est cependant pas le cas. La radiodiffusion en libre accès n’est pas captée afin d’être par la suite retransmise sous forme codée et la seconde (c’est-à-dire la radiodiffusion codée) peut très bien exister sans la première. Il s’agit de deux radiodiffusions distinctes et indépendantes, les deux devant être qualifiées de primaires, et destinées à des publics différents. Il en est d’autant plus ainsi que la radiodiffusion codée est normalement effectuée dans une qualité meilleure, notamment en haute définition, que la radiodiffusion en libre accès. Dans le cas de la radiodiffusion en libre accès, le public est constitué de l’ensemble des personnes se trouvant dans la zone de couverture, tandis que, dans le cas de la radiodiffusion codée, il est constitué des personnes qui possèdent les dispositifs de décodage. Il n’est donc pas question d’un public nouveau de l’une de ces radiodiffusions par rapport au public de l’autre. Lorsque ces radiodiffusions sont effectuées dans les conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de la directive 93/83, il s’agit de deux actes distincts de communication au public par satellite, les deux étant attribuables à l’organisme de radiodiffusion sous le contrôle et la responsabilité duquel le signal porteur de programme a été introduit dans la chaîne de communication.

66.

La circonstance que le signal porteur de ces deux radiodiffusions peut être compressé et multiplexé en un seul faisceau aux fins de l’acheminement vers le satellite ( 37 ) ne change pas cette conclusion. Du point de vue juridique, seule importe la communication d’un objet protégé selon un certain mode technique, en l’espèce le satellite, à un public déterminé. Les détails techniques de l’acheminement du signal contenant cet objet vers le public sont de ce point de vue indifférents.

67.

Le fait pour le fournisseur de bouquets satellitaires d’inclure des programmes en libre accès dans ces bouquets n’est qu’une communication commerciale à l’intention de ses clients, destinée à accroître en apparence le nombre de programmes disponibles dans le cadre du bouquet. Cependant, concernant les programmes en libre accès, le fournisseur des bouquets satellitaires agit tout au plus comme un fournisseur d’équipements techniques permettant de les réceptionner, c’est-à-dire d’un récepteur et, éventuellement, d’une antenne satellitaire. En revanche, ses autres services ne sont nullement nécessaires pour cette réception ( 38 ).

Conclusion et réponse à la première question préjudicielle

68.

Conformément à ce qui précède, un fournisseur de bouquets satellitaires ne pourrait être responsable envers les titulaires des droits d’auteur et droits voisins au titre de la communication à un nouveau public que dans le cas où son activité serait considérée comme étant un acte de communication au public distinct de la communication au public par satellite attribuable à l’organisme de radiodiffusion, sous le contrôle et la responsabilité duquel le signal porteur du programme a été introduit dans la chaîne de communication. Dans ce cas, la communication au public effectuée par un fournisseur de bouquets satellitaires aurait lieu dans l’État membre de réception. Or, à mon avis, qui trouve confirmation dans la première partie de l’arrêt Airfield, tel n’est pas le cas, dans la mesure où le fournisseur de bouquets satellitaires participe à un acte unique et indivisible de communication au public par satellite. Aucun nouveau public n’est donc visé.

69.

Je n’analyserai pas plus en détail la question de savoir si le fournisseur de bouquets satellitaires pourrait éventuellement être tenu pour responsable à d’autres titres que la communication à un nouveau public, conjointement avec l’organisme de radiodiffusion à l’origine de la communication. Si je ne partage pas cette idée, elle est toutefois sans incidence pour la réponse à la première question préjudicielle. En effet, cette question concerne non pas le fait de savoir si le fournisseur de bouquets satellitaires est responsable envers les titulaires des droits d’auteur et droits voisins, mais s’il est responsable dans l’État membre de réception. Or, l’acte de communication au public par satellite est réputé, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83, avoir lieu uniquement dans l’État membre d’émission. C’est donc dans cet État membre que les titulaires des droits d’auteur peuvent éventuellement exercer leurs droits envers le fournisseur de bouquets satellitaires.

70.

Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83 doit être interprété en ce sens qu’un fournisseur de bouquets satellitaires n’est pas dans l’obligation d’obtenir, dans l’État membre dans lequel les objets protégés ainsi communiqués sont accessibles au public, l’autorisation des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins au titre de l’acte de communication au public par satellite auquel ce fournisseur participe.

Sur la seconde question préjudicielle

71.

Par sa seconde question préjudicielle, lue à la lumière des explications contenues dans la décision de renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la doctrine du public nouveau doit être interprétée en ce sens que, dans l’hypothèse où des programmes radiodiffusés sont librement accessibles dans la zone de couverture du satellite en définition standard, le fait pour un fournisseur de bouquets satellitaires d’inclure les mêmes programmes en haute définition dans un bouquet destiné au public se trouvant dans cette même zone ne constitue pas une communication à un public nouveau.

72.

Cette question n’a été posée que pour le cas où il découlerait de la réponse de la Cour à la première question préjudicielle que le fournisseur d’un bouquet satellitaire communiquait des objets protégés à un public nouveau dans l’État membre de réception. Or, si la Cour devait suivre ma proposition de réponse à la première question préjudicielle, il ne serait pas nécessaire de répondre à la seconde. C’est donc uniquement par souci de complétude que je ferai les remarques suivantes au sujet de cette seconde question.

73.

Premièrement, comme je l’ai déjà expliqué, la notion de « public nouveau » n’a de sens qu’en présence de deux communications au public liées de telle façon que l’une d’elles est la communication primaire (initiale) et l’autre la communication secondaire, tributaire de la première. Or, il est difficile d’imaginer que la transmission d’un programme de télévision en haute définition puisse constituer la retransmission d’une émission en définition standard. L’auteur d’une telle transmission devrait en effet avoir accès au programme en haute définition par une autre source que la transmission en définition standard. Il ne s’agirait donc pas d’une communication secondaire et la notion de « public nouveau » n’aurait pas lieu à s’appliquer ( 39 ).

74.

Deuxièmement, la qualité d’image peut être un facteur important de l’attractivité de l’œuvre pour le public, notamment dans le cas des œuvres audiovisuelles, et, par conséquent, influencer le prix que les titulaires des droits d’auteur pourront obtenir en échange de leur autorisation d’exploiter cette œuvre. Ainsi, ces titulaires sont en droit de limiter leur autorisation à une qualité donnée de diffusion, telle que la radiodiffusion en définition standard. La seule accessibilité de l’œuvre, pour le même public, dans une moindre qualité d’image ne libère donc pas automatiquement l’exploitant de cette œuvre de l’obligation de recueillir l’autorisation desdits titulaires pour sa diffusion en qualité meilleure.

75.

L’argument soulevé à cet égard par Canal+, selon lequel, en l’espèce, AKM représenterait des titulaires d’œuvres musicales et que la bande son du signal de télévision est la même dans la radiodiffusion en haute définition et en définition standard, ne change pas, à mon avis, cette conclusion. En effet, dans des programmes de télévision, les œuvres musicales sont d’habitude intégrées dans des œuvres audiovisuelles et exploitées conjointement avec celles-ci, de sorte que leur attractivité peut également dépendre de la qualité de l’image de la radiodiffusion dans son ensemble.

76.

Cela étant dit, en considérant que la doctrine du public nouveau n’est pas applicable dans le cas d’espèce, je m’abstiendrai de proposer une réponse à la seconde question préjudicielle.

Conclusion

77.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) de la manière suivante :

L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble doit être interprété en ce sens qu’un fournisseur de bouquets satellitaires n’est pas dans l’obligation d’obtenir, dans l’État membre dans lequel les objets protégés ainsi communiqués sont accessibles au public, l’autorisation des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins au titre de l’acte de communication au public par satellite auquel ce fournisseur participe.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 1993, L 248, p. 15.

( 3 ) Directive du Conseil du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 1992, L 346, p. 61). Cette directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006 (JO 2006, L 376, p. 28).

( 4 ) JO 2001, L 167, p. 10.

( 5 ) Modifications sans pertinence pour la présente affaire.

( 6 ) BGBl. I, 105/2018.

( 7 ) Voir considérant 7 de la directive 93/83.

( 8 ) Les organisations de gestion collective qui, dans la pratique, assurent le plus souvent cette protection représentent, au moyen des contrats de coopération, les intérêts des titulaires tant nationaux qu’étrangers.

( 9 ) Voir, notamment, considérants 3 à 5 de la directive 93/83.

( 10 ) La réception effective par le public n’est pas une condition de l’existence de l’acte de communication au public en droit d’auteur.

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêt Airfield, point 52.

( 12 ) Voir arrêt Airfield, point 69.

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt Airfield, points 53 à 55.

( 14 ) Voir, en ce sens, arrêt Airfield, points 65 à 67.

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt Airfield, points 60 et 61.

( 16 ) Voir arrêt Airfield, point 56.

( 17 ) C’est-à-dire destinés à une réception directe par le public.

( 18 ) Ce que la Cour semble reconnaître également au point 75 de l’arrêt Airfield.

( 19 ) Voir, en ce sens, considérant 5 de la directive 93/83. Voir, également, Pollaud-Dulian, F., Le droit d’auteur, Economica, Paris, 2014, p. 765.

( 20 ) Voir, au sujet du contrôle et de la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, Dreier, T., dans Walter, M. M., et von Lewinski, S., European Copyright Law. A Commentary, Oxford University Press, Oxford, 2010, p. 412 et suiv.

( 21 ) Voir points 31 et 32 des présentes conclusions.

( 22 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 établissant des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio, et modifiant la directive 93/83/CEE du Conseil (JO 2019, L 130, p. 82).

( 23 ) Voir arrêt Airfield, point 69.

( 24 ) Voir arrêt Airfield, points 71 à 83.

( 25 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 40).

( 26 ) Guide de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris, 1971), Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Genève, 1978, p. 80. Ce guide a été rédigé par C. Masouyé.

( 27 ) Arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764, point 41).

( 28 ) Arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 197).

( 29 ) Voir, récemment, arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 70).

( 30 ) Successives au sens fonctionnel, c’est-à-dire que l’une d’entre elles est tributaire de l’autre. En revanche, elles peuvent être simultanées dans le temps.

( 31 ) Comme la Cour l’a observé à juste titre au point 75 de l’arrêt Airfield.

( 32 ) Voir arrêt Airfield, point 78.

( 33 ) Voir arrêt Airfield, point 80.

( 34 ) Voir arrêt Airfield, point 81.

( 35 ) Voir arrêt Airfield, point 82.

( 36 ) C’était la solution préconisée dans les conclusions de l’avocat général Jääskinen dans les affaires jointes Airfield et Canal Digitaal (C‑431/09 et C‑432/09, EU:C:2011:157). AKM suggère une solution semblable dans la présente affaire, en faisant une analogie avec la retransmission par câble.

( 37 ) Ce que la juridiction de renvoi qualifie de « voyage groupé ».

( 38 ) S’il est vrai qu’un récepteur-décodeur dédié, fourni par un fournisseur de bouquets satellitaires, ne fonctionne d’habitude qu’à condition d’avoir un abonnement actif, cela ne change rien, car le membre du public intéressé peut aussi bien acquérir un équipement dit « free to air » pour réceptionner les programmes en libre accès.

( 39 ) Je tiens à souligner que la question de la qualité d’une émission télévisuelle est distincte de celle de savoir dans quelle qualité le public réceptionne cette émission du fait de l’équipement technique en sa possession. Il est clair que, sur un poste de télévision non compatible, une émission en haute définition sera perçue comme une émission en définition standard. Cela est cependant sans incidence, dans la mesure où, pour apprécier l’existence d’un acte de communication au public, peu importe si le public réceptionne effectivement cette communication et la façon dont il la réceptionne.

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