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Document 62019CC0054

    Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 21 janvier 2021.
    Axa Mediterranean Holding SA contre Commission européenne.
    Pourvoi – Aides d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Régime fiscal – Dispositions concernant l’impôt sur les sociétés permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre – Notion d’“aide d’État” – Condition relative à la sélectivité – Système de référence – Dérogation – Différence de traitement – Justification de la différence de traitement.
    Affaire C-54/19 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:56

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. GIOVANNI PITRUZZELLA

    présentées le 21 janvier 2021 ( 1 )

    Affaire C‑54/19 P

    Axa Mediterranean Holding, SA

    contre

    Commission européenne

    « Pourvoi – Dispositions concernant l’impôt sur les sociétés permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises fiscalement domiciliées à l’étranger – Notion d’“aide d’État” – Sélectivité »

    1.

    La présente affaire a pour objet le pourvoi formé par Axa Mediterranean Holding, SA (ci-après « Axa ») contre l’arrêt du 15 novembre 2018, Axa Mediterranean/Commission ( 2 ) (ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel le Tribunal a rejeté le recours introduit au titre de l’article 263 TFUE par Axa et tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères appliqué par l’Espagne (ci‑après la « décision contestée ») ( 3 ), et, à titre subsidiaire, de l’article 4 de cette décision.

    2.

    Le présent pourvoi fait partie d’une série de huit affaires parallèles ayant pour objet l’annulation des arrêts par lesquels le Tribunal a rejeté les recours formés par des sociétés espagnoles contre la décision contestée ou contre la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères appliqué par l’Espagne (ci-après la « décision du 28 octobre 2009 ») ( 4 ).

    I. Les faits, la mesure litigieuse et la décision contestée

    3.

    Le 10 octobre 2007, à la suite de plusieurs questions écrites qui lui avaient été posées au cours des années 2005 et 2006 par des membres du Parlement européen, ainsi que d’une plainte d’un opérateur privé dont elle avait été le destinataire au cours de l’année 2007, la Commission européenne a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ( 5 ) (ci-après la « décision d’ouverture »), à l’égard du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés) par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 ( 6 ), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le « TRLIS »), du 5 mars 2004 (ci-après la « mesure litigieuse »). La mesure litigieuse prévoit que lorsqu’une prise de participations dans une « société étrangère » par une entreprise imposable en Espagne est d’au moins 5 % et que la participation en cause est détenue de manière ininterrompue pendant au moins un an, la survaleur ( 7 ) financière ( 8 ) en résultant peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés dont l’entreprise est redevable. La mesure litigieuse précise que, pour être qualifiée de « société étrangère », une société doit être assujettie à un impôt similaire à l’impôt applicable en Espagne et ses revenus doivent provenir essentiellement de la réalisation d’activités à l’étranger.

    4.

    Par la décision du 28 octobre 2009, la Commission a clos la procédure formelle d’examen concernant les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne. Dans cette décision, la Commission a déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime d’aides mis à exécution par l’Espagne en vertu de la mesure litigieuse en ce qui concerne les aides accordées aux bénéficiaires pour effectuer des acquisitions intracommunautaires.

    5.

    La Commission a maintenu ouverte la procédure formelle d’examen en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, dans l’attente d’éléments supplémentaires que les autorités espagnoles s’étaient engagées à lui fournir. Cette partie de la procédure s’est close par l’adoption de la décision contestée. L’article 1er, paragraphe 1, de cette décision déclare incompatible avec le marché intérieur le régime d’aides mis en œuvre par l’Espagne en vertu de la mesure litigieuse « pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de prises de participations en dehors de l’Union » ( 9 ). Le paragraphe 4 de cet article prévoit que « les déductions fiscales octroyées aux bénéficiaires, en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lors de prises de participations en dehors de l’Union à la date de publication de la présente décision au Journal officiel de l’Union européenne, qui sont liées aux participations majoritaires prises directement ou indirectement dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises a été démontrée ou peut l’être, pourront continuer de s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides ». L’article 4, paragraphe 1, de la décision contestée ordonne la récupération de l’« aide incompatible correspondant à la réduction fiscale prévue en vertu du régime visé à l’article 1er, paragraphe 1, auprès des bénéficiaires dont les droits dans des entreprises étrangères, acquis dans le cadre de prises de participations en dehors de l’Union, ne remplissent pas les conditions visées à l’article 1er, paragraphes 2 à 5 ».

    II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

    6.

    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2011, Axa a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision contestée. Par acte séparé, la Commission a, le 11 novembre 2011, soulevé une exception d’irrecevabilité que le Tribunal a jointe au fond. La procédure a été suspendue du 13 mars au 7 novembre 2014, date à laquelle le Tribunal s’est prononcé dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission ( 10 ) (ci-après l’« arrêt Banco Santander et Santusa/Commission »), en annulant la décision contestée au motif que la Commission avait fait une application erronée de la condition de sélectivité prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Le Tribunal a également annulé la décision du 28 octobre 2009 par arrêt du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission ( 11 ) (ci-après l’« arrêt Autogrill España/Commission »).

    7.

    Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 janvier 2015, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission. Ce pourvoi, qui a été enregistré sous le numéro C‑21/15 P, a été joint au pourvoi, enregistré sous le numéro C‑20/15 P, que la Commission avait formé contre l’arrêt Autogrill España/Commission. Par décisions du président de la Cour du 19 mai 2015, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir dans les affaires jointes au soutien des conclusions de World Duty Free Group ainsi que de Banco Santander et Santusa. Par arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. ( 12 ) (ci-après l’« arrêt WDFG »), la Cour a annulé l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission, renvoyé l’affaire devant le Tribunal et réservé pour partie les dépens. La Cour a également annulé l’arrêt Autogrill España/Commission.

    8.

    La procédure devant le Tribunal, qui avait été à nouveau suspendue à compter du 9 mars 2015, a été reprise le 21 décembre 2016 et s’est close par l’adoption de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a rejeté le recours d’Axa et l’a condamnée aux dépens.

    III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

    9.

    Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 janvier 2019, Axa a introduit le présent pourvoi. Cette dernière demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, d’annuler la décision contestée après avoir fait droit à son recours en annulation et de condamner la Commission aux dépens. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

    IV. Analyse

    A.   Observations liminaires

    10.

    Pour un examen de l’état actuel de la jurisprudence en matière de sélectivité des mesures fiscales et, notamment, pour un exposé de la méthode d’analyse de la sélectivité en trois étapes élaborée par la Cour, je renvoie aux considérations développées et aux critères rappelés aux points 11 à 21 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P, World Duty Free Group/Commission et C‑64/19 P, Espagne/Commission, présentées ce jour. C’est à la lumière de ces considérations et critères que seront examinés les griefs formulés par Axa. Concernant les implications de l’arrêt WDFG aux fins de l’examen du présent pourvoi, je renvoie, en revanche, aux points 23 à 27 des conclusions précitées.

    B.   Sur le pourvoi

    11.

    Axa soulève un moyen unique à l’appui de son pourvoi, tiré d’une erreur dans l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce qui concerne le critère de sélectivité. Ce moyen se décompose en quatre branches à titre principal et deux à titre subsidiaire.

    1. Sur la première branche du moyen unique du pourvoi : erreur dans la détermination du système de référence

    12.

    Les griefs soulevés dans le cadre de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa portent sur la première étape de l’analyse de la sélectivité, visant à déterminer le système de référence. En ce qui concerne la notion de « système de référence » et les critères applicables aux fins de sa détermination, je renvoie aux observations formulées aux points 37 à 51 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P, World Duty Free Group/Commission et C‑64/19 P, Espagne/Commission, présentées ce jour.

    a) Sur le premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi

    13.

    Les contestations formulées dans le cadre du grief sous examen, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre du premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 52 à 59 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter le premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    b) Sur le deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi

    14.

    Les contestations formulées dans le cadre du deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre du deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 62 à 82 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour, dans lesquelles je propose de rejeter l’ensemble desdites contestations. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter le deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    c) Sur le troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi

    15.

    Les contestations formulées dans le cadre du troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre du troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 85 à 87 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter le troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    2. Sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi : erreur dans la détermination de l’objectif au regard duquel est effectué l’examen de comparabilité

    16.

    Les griefs soulevés par Axa dans le cadre de la deuxième branche de son moyen unique de pourvoi portent sur les points 139 à 160 de l’arrêt attaqué et visent à contester les motifs de cet arrêt par lesquels le Tribunal a identifié l’objectif du système de référence et a comparé, au regard de cet objectif, la situation des entreprises bénéficiaires de l’avantage institué par la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues.

    17.

    Les contestations formulées dans le cadre de cette branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 91 à 106 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter la deuxième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    3. Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi : erreur de droit dans la répartition de la charge de la preuve

    18.

    Les contestations formulées dans le cadre de la troisième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la troisième branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 109 et 110 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter la troisième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    4. Sur la quatrième branche du moyen unique du pourvoi : proportionnalité

    19.

    Les contestations formulées dans le cadre de la quatrième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la quatrième branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 112 et 113 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter la quatrième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    5. Sur la cinquième branche du moyen unique du pourvoi : lien de causalité

    20.

    Les contestations formulées dans le cadre de la cinquième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 114 à 117 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter la cinquième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    6. Sur la sixième branche du moyen unique du pourvoi : divisibilité de la mesure

    21.

    Les contestations formulées dans le cadre de la sixième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa, ainsi que les arguments invoqués à l’appui de ces contestations, étant identiques à ceux qui ont été soulevés dans le cadre de la sixième branche du moyen unique du pourvoi de World Duty Free Group dans l’affaire C‑51/19 P, je me limiterai, aux fins de leur examen, à renvoyer mutatis mutandis aux points 119 à 122 de mes conclusions dans les affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P, présentées ce jour. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans ces points, je propose à la Cour de rejeter la sixième branche du moyen unique du pourvoi d’Axa.

    7. Conclusions sur le pourvoi

    22.

    À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

    C.   Sur la demande de substitution de motifs de la Commission

    23.

    Dans l’hypothèse où le moyen unique du pourvoi d’Axa serait considéré comme fondé, la Commission demande à la Cour de procéder à une substitution de motifs et de déclarer le recours devant le Tribunal irrecevable. À cet égard, je rappelle que la Commission avait opposé devant le Tribunal une exception formelle d’irrecevabilité au recours d’Axa, qui avait été jointe au fond. En se fondant sur l’arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer ( 13 ) le Tribunal a néanmoins considéré, au point 28 de l’arrêt attaqué, qu’il était justifié d’examiner au fond le recours sans statuer préalablement sur cette exception ( 14 ).

    24.

    Dans la mesure où je propose à la Cour de rejeter le pourvoi, je me limiterai ci-dessous à quelques brèves considérations sur le fond de la demande de la Commission, qui exige, en substance, d’examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par cette dernière devant le Tribunal.

    25.

    Dans cette exception, la Commission a soutenu qu’Axa n’avait ni qualité pour agir ni intérêt à agir contre la décision contestée, cette dernière n’ayant pas démontré qu’elle avait appliqué la mesure litigieuse et donc effectivement bénéficié de la déduction qu’elle prévoit, ni qu’elle était tenue à la restitution d’aides en vertu de ladite décision ou exposée au risque d’une telle restitution, comme l’exige la jurisprudence ( 15 ). Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité devant le Tribunal, Axa a fait valoir qu’elle avait acquis le droit d’appliquer la déduction prévue par la mesure litigieuse en 2008, concernant deux prises de participations majoritaires opérées respectivement dans une société turque et une société mexicaine. Elle a soutenu que la mesure litigieuse n’exigeait pas que la déduction soit effectuée dans la déclaration d’impôt suivant immédiatement la réalisation de l’opération, mais que les bénéficiaires pouvaient librement décider du moment de son application. Dans ces observations, Axa a fait valoir que, par prudence, elle n’avait pas immédiatement appliqué la déduction en question de manière définitive, mais qu’elle avait tenu compte de la mesure litigieuse pour réduire la base d’imposition aux fins du calcul des acomptes pour 2009 ( 16 ). Dans ces conditions, Axa a soutenu qu’elle avait un intérêt né et actuel à l’annulation de la décision contestée, car celle-ci, d’une part, la priverait du droit acquis d’appliquer la mesure litigieuse aux opérations déjà réalisées – à moins qu’elle prouve l’existence d’obstacles aux fusions internationales au Mexique et en Turquie, conformément au considérant 200 de cette décision – et, d’autre part, l’exposerait au risque de devoir payer des intérêts moratoires sur les acomptes au titre de 2009 ( 17 ). Dans son mémoire en réplique devant la Cour, Axa a fait valoir qu’elle avait appliqué la mesure litigieuse dans le cadre de la procédure d’autoliquidation au titre de 2013, puis, à nouveau, après l’adoption de l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission. En annexe à sa réplique, Axa a produit un avis d’imposition daté du18 janvier 2018, émis dans le cadre de la procédure de récupération des aides accordées en application de la mesure litigieuse, ayant pour objet, en particulier, l’amortissement pour les exercices 2014 et 2015 de la survaleur financière relative à la prise de participations dans une société turque réalisée par elle au cours de l’année 2008.

    26.

    Pour ma part, je rappelle que, dans l’arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission ( 18 ) (ci-après l’« arrêt Andres »), la Cour a précisé que le fait qu’un requérant puisse relever, ou ne pas relever, de la catégorie des bénéficiaires effectifs ou des bénéficiaires potentiels d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché intérieur par une décision de la Commission n’est pas décisif afin de déterminer si ce requérant est individuellement concerné par cette décision lorsqu’il est, en toute hypothèse, établi que ledit requérant est, par ailleurs, atteint par celle-ci en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne. Par conséquent, si elle se prononce sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission et parvient à la conclusion qu’Axa, n’ayant pas appliqué la mesure litigieuse avant 2014, ne pouvait pas être considérée comme un bénéficiaire effectif de l’avantage prévu par celle-ci au moment de l’introduction du recours devant le Tribunal, la Cour devra apprécier si sa situation était en tout état de cause de nature à la distinguer des autres opérateurs qui ne sont concernés qu’en tant que bénéficiaires potentiels de cette mesure, et en particulier, si une telle situation pouvait résulter du fait qu’Axa avait procédé à l’amortissement prévu par ladite mesure aux fins du calcul des acomptes versés pour l’année 2009. Cependant, il ne me semble pas que le seul fait qu’Axa ait réalisé une opération susceptible d’entrer dans le champ d’application de la mesure litigieuse ( 19 ) puisse suffire à distinguer sa situation dans le sens exigé par la jurisprudence. À cet égard, je me contenterai d’observer que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Andres, le Tribunal avait constaté, d’une part, que la requérante dans cette affaire avait réalisé, au cours de l’exercice précédant l’ouverture de la procédure formelle d’examen, des bénéfices imposables dont elle aurait déduit les pertes reportées au titre de la clause d’assainissement en cause dans cette affaire et, d’autre part, qu’il résultait d’un renseignement contraignant des autorités fiscales allemandes que celle-ci remplissait les conditions d’application de cette clause ( 20 ).

    V. Sur les dépens

    27.

    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable, mutatis mutandis, à la procédure devant la Cour ayant pour objet un pourvoi contre une décision du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans la mesure où je propose à la Cour de rejeter le pourvoi d’Axa, cette dernière doit, à mon avis, être condamnée aux dépens, conformément aux conclusions formulées en ce sens par la Commission.

    VI. Conclusion

    28.

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Axa aux dépens.


    ( 1 ) Langue originale : l’italien.

    ( 2 ) T‑405/11, non publié, EU:T:2018:780.

    ( 3 ) Décision no C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) (JO 2011, L 135, p. 1). Cette décision a fait l’objet de deux rectificatifs, en date du 3 mars 2011 et du 26 novembre 2011.

    ( 4 ) C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) (JO 2011, L 7, p. 48). Les autres affaires, dans lesquelles je présente mes conclusions ce jour, sont les affaires jointes C‑51/19 P, World Duty Free Group/Commission et C‑64/19 P, Espagne/Commission, C‑53/19 P, Banco Santander et Santusa/Commission et C‑65/19 P, Espagne/Commission, et les affaires C‑50/19 P, Sigma Alimentos Exterior/Commission, C‑52/19 P, Banco Santander/Commission et C‑55/19 P, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission.

    ( 5 ) JO 2007, C 311, p. 21.

    ( 6 ) BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951.

    ( 7 ) La survaleur est définie, au considérant 27 de la décision contestée, comme « la valeur de la bonne réputation du nom commercial, les bonnes relations avec les clients, la qualification des travailleurs et d’autres facteurs similaires qui permettent d’espérer qu’ils produiront à l’avenir des gains supérieurs aux gains apparents », et correspond « à l’écart entre le prix payé pour la prise de participations dans une entreprise et la valeur de marché des actifs qui font partie de l’entreprise », qui doit, en vertu des principes comptables espagnols, être enregistré dans la comptabilité comme actif corporel distinct, dès que l’entreprise acquéreuse prend le contrôle de l’entreprise acquise.

    ( 8 ) Selon le considérant 29 de la décision contestée, au sens du système fiscal espagnol, la « survaleur financière » équivaut à la survaleur qui aurait été enregistrée dans la comptabilité en cas de regroupement de l’entreprise acquéreuse et de l’entreprise acquise.

    ( 9 ) L’article 1er, paragraphe 2, de la décision contestée excluait de la déclaration d’incompatibilité et de l’ordre de récupération les déductions fiscales dont les bénéficiaires avaient profité lors de prises de participations en dehors de l’Union en application de la mesure litigieuse « en ce qui concerne des droits détenus directement ou indirectement dans des entreprises étrangères qui remplissent les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007, hormis l’obligation de détenir ces participations durant une période ininterrompue d’au moins un an ». En effet, la Commission a considéré que, jusqu’à cette date (correspondant à la publication au Journal officiel de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen), il existait, dans le chef des bénéficiaires de la mesure litigieuse, une confiance légitime quant à la légalité de cette mesure (voir considérants 186 à 199 de la décision contestée). Le même traitement a été appliqué, conformément au considérant 200, aux bénéficiaires qui ont réalisé une opération dans d’autres pays tiers, qui ont pris une participation majoritaire et qui sont en mesure de fournir suffisamment de preuves de l’existence dans la législation de ces pays tiers d’un obstacle juridique explicite au sens de cette décision.

    ( 10 ) T‑399/11, EU:T:2014:938.

    ( 11 ) T‑219/10, EU:T:2014:939.

    ( 12 ) C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981.

    ( 13 ) C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52.

    ( 14 ) L’inversion de l’ordre logique ou naturel de l’examen des voies de recours qu’implique l’application de la jurisprudence dite « Boehringer » dans le cas où le juge de l’Union rejette le recours sur le fond même si une exception d’irrecevabilité a été soulevée – en particulier si elle est d’ordre public et qu’elle est soulevée par un acte séparé demandant au juge de statuer sans engager le débat au fond – a fait l’objet de critiques ; voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Suisse/Commission (C‑547/10 P, EU:C:2012:565, points 46 à 54) ; de l’avocat général Bot dans l’affaire Philips Lighting Poland et Philips Lighting/Conseil (C‑511/13 P, EU:C:2015:206, points 50 à 67) ; de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire SNCF Mobilités/Commission (C‑127/16 P, EU:C:2017:577, point 163), et de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2001:511, points 30 à 36). Nonobstant ces critiques, la jurisprudence Boehringer continue à être appliquée, que ce soit par le Tribunal (voir, en dernier lieu, arrêt du 11 novembre 2020, AV et AW/Parlement, T‑173/19, non publié, EU:T:2020:535, point 42), ou par la Cour (pour une application récente dans le cadre d’un pourvoi, voir arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 68).

    ( 15 ) Selon une jurisprudence bien établie, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides d’État dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, notamment, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 53, ci-après l’« arrêt Comitato “Venezia vuole vivere”»), même si la récupération n’est mise en œuvre que dans une phase ultérieure, dans laquelle il devra être établi si les avantages reçus constituent effectivement des aides d’État devant être remboursées (voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 55). En effet, selon la Cour, l’injonction de récupération concerne déjà individuellement tous les bénéficiaires du régime en question « en ce qu’ils sont exposés, dès le moment de l’adoption de la décision [de la Commission], au risque que les avantages qu’ils ont perçus soient récupérés, et se trouvent ainsi affectés dans leur situation juridique » (voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 56). Ainsi, ces bénéficiaires font partie d’un cercle restreint au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18, point 31).

    ( 16 ) La déclaration y afférente a été produite en annexe aux observations sur l’exception d’irrecevabilité devant le Tribunal.

    ( 17 ) Axa a également fait valoir que l’annulation de la décision contestée lui éviterait de devoir présenter à la Commission les preuves nécessaires pour démontrer l’existence d’obstacles aux fusions internationales en Turquie et au Mexique pour pouvoir se prévaloir de la confiance légitime conformément au considérant 200 de cette décision, voir note 9 des présentes conclusions.

    ( 18 ) C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 48.

    ( 19 ) Je note qu’il semble ressortir de l’avis de liquidation joint au mémoire en réplique devant la Cour que les opérations d’acquisition réalisées par Axa en 2008 lui donnaient effectivement droit à l’amortissement prévu par la mesure litigieuse.

    ( 20 ) Voir, en particulier, points 13 et 55 de l’arrêt Andres.

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