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Document 62016CJ0106

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 25 octobre 2017.
Procédure engagée par Polbud – Wykonawstwo sp. z o.o.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Najwyższy.
Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Transformation transfrontalière d’une société – Transfert du siège statutaire sans transfert du siège réel – Refus de radiation du registre du commerce – Réglementation nationale subordonnant la radiation du registre du commerce à la dissolution de la société au terme d’une procédure de liquidation – Champ d’application de la liberté d’établissement – Restriction à la liberté d’établissement – Protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés – Lutte contre les pratiques abusives.
Affaire C-106/16.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:804

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

25 octobre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Transformation transfrontalière d’une société – Transfert du siège statutaire sans transfert du siège réel – Refus de radiation du registre du commerce – Réglementation nationale subordonnant la radiation du registre du commerce à la dissolution de la société au terme d’une procédure de liquidation – Champ d’application de la liberté d’établissement – Restriction à la liberté d’établissement – Protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés – Lutte contre les pratiques abusives »

Dans l’affaire C‑106/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 22 octobre 2015, parvenue à la Cour le 22 février 2016, dans la procédure engagée par

Polbud – Wykonawstwosp. z o.o., en liquidation,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, A. Rosas, J. Malenovský et E. Levits, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, D. Šváby, Mmes M. Berger, K. Jürimäe (rapporteur) et M. M. Vilaras, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mars 2017,

considérant les observations présentées :

pour Polbud – Wykonawstwo sp. z o.o., par Mme A. Gorzka‑Augustynowicz, radca prawny,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et M. Hellmann, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par Mmes C. Pesendorfer et B. Trefil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo ainsi que par Mme F. de Figueiroa Quelhas, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. W. Mölls et L. Malferrari ainsi que par Mme J. Hottiaux, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mai 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 54 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours introduit par Polbud – Wykonawstwo sp. z o.o. (ci-après « Polbud ») contre la décision de rejet de la demande de radiation du registre du commerce polonais qu’elle avait formulée à la suite du transfert de son siège social au Luxembourg.

Le droit polonais

Le code des sociétés commerciales

3

L’article 270 du Kodeks spółek handlowych (code des sociétés commerciales), du 15 septembre 2000, tel que modifié (Dz. U. de 2013, no 1030, ci-après le « code des sociétés commerciales »), dispose :

« La dissolution de la société intervient :

[...]

2)

à la suite de l’adoption par les associés d’une résolution de dissolution de la société ou de transfert du siège de la société à l’étranger, confirmée par un procès-verbal établi par un notaire ;

[...] »

4

L’article 272 du code des sociétés commerciales énonce :

« La dissolution de la société intervient à la suite de la liquidation, lors de sa radiation du registre. »

5

L’article 288 de ce code prévoit :

« § 1.   Après l’approbation par l’assemblée des associés des comptes annuels au jour précédant le partage entre les associés des éléments d’actifs résiduels après le désintéressement des créanciers ou l’octroi de garanties en leur faveur (rapport de liquidation) et après la clôture de la liquidation, les liquidateurs doivent déposer le rapport au siège de la société et le soumettre au tribunal d’enregistrement en présentant une demande de radiation de la société.

[...]

§ 3.   Les livres et documents de la société dissoute doivent être remis, aux fins de leur conservation, à la personne mentionnée dans les statuts ou dans la résolution des associés. À défaut d’une telle mention, le tribunal d’enregistrement désigne le dépositaire.

[...] »

6

Les articles 551 à 568 du code des sociétés commerciales concernent la transformation de la société. Aux termes de l’article 562, paragraphe 1, de ce code :

« La transformation de la société est subordonnée à une résolution adoptée par les associés, dans le cas d’une société de personnes, ou par l’assemblée des associés ou l’assemblée générale, dans le cas d’une société de capitaux, [...] »

La loi relative au droit international privé

7

L’article 19, paragraphe 1, de l’Ustawa – Prawo prywatne mięzynarodowe (loi relative au droit international privé), du 4 février 2011 (Dz. U. no 80, position 432), énonce :

« À la date du transfert de son siège social dans un autre État, la personne morale est soumise au droit de cet État. La personnalité morale acquise dans l’État du siège social précédent est conservée si le droit de chacun des États concernés le prévoit. Le transfert du siège social au sein de l’Espace économique européen n’entraîne pas la perte de la personnalité. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8

Polbud est une société à responsabilité limitée établie à Łąck (Pologne). Par une résolution du 30 septembre 2011, l’assemblée générale extraordinaire des associés de cette société a décidé, en application de l’article 270, point 2, du code des sociétés commerciales, de transférer le siège social de ladite société au Luxembourg. Selon la demande de décision préjudicielle, cette résolution ne faisait pas mention d’un transfert du lieu de la direction des affaires de Polbud ni du lieu de l’exercice effectif de l’activité économique de cette société.

9

Sur le fondement de cette résolution, le 19 octobre 2011, Polbud a déposé une demande d’inscription de l’ouverture de la procédure de liquidation auprès du tribunal en charge de la tenue du registre du commerce (ci-après le « tribunal d’enregistrement »). Le 26 octobre 2011, l’ouverture de la procédure de liquidation a été inscrite à ce registre et le liquidateur a été désigné.

10

Le 28 mai 2013, l’assemblée des associés de Consoil Geotechnik Sàrl, dont le siège social est établi au Luxembourg, a adopté une résolution mettant notamment en œuvre la résolution du 30 septembre 2011 et transférant le siège social de Polbud au Luxembourg en vue de la soumettre au droit luxembourgeois, sans perte de sa personnalité juridique. Selon la résolution du 28 mai 2013, le transfert prenait effet à cette date. Ainsi, le 28 mai 2013, le siège social de Polbud a été transféré au Luxembourg et cette société a cessé d’être dénommée « Polbud » pour devenir « Consoil Geotechnik ».

11

Le 24 juin 2013, Polbud a déposé une demande de radiation du registre du commerce polonais auprès du tribunal d’enregistrement. Cette demande était motivée par le transfert du siège social de la société au Luxembourg. Aux fins de la procédure de radiation, par décision du 21 août 2013, cette société a été invitée à produire, premièrement, la résolution de l’assemblée des associés comportant l’indication du nom du dépositaire des livres et des documents de l’entreprise dissoute, deuxièmement, les comptes financiers afférents aux périodes allant du 1er janvier au 29 septembre 2011, du 30 septembre au 31 décembre 2011, du 1er janvier au 31 décembre 2012, et du 1er janvier au 28 mai 2013, signés par le liquidateur et par la personne chargée de la tenue de la comptabilité, ainsi que, troisièmement, la résolution de l’assemblée des associés approuvant le rapport sur les opérations de liquidation.

12

Polbud a indiqué ne pas estimer nécessaire de produire ces documents dès lors qu’elle ne faisait pas l’objet d’une dissolution, que ses actifs n’avaient pas été répartis entre les associés et que la demande de radiation du registre avait été déposée en raison du transfert du siège social de la société au Luxembourg, où elle poursuivait son existence en tant que société de droit luxembourgeois. Dans ces conditions, par décision du 19 septembre 2013, le tribunal d’enregistrement a rejeté la demande de radiation pour défaut de production desdits documents.

13

Polbud a formé un recours contre cette décision devant le Sąd Rejonowy w Bydgoszczy (tribunal d’arrondissement de Bydgoszcz, Pologne), qui a rejeté ce recours. Cette société a fait appel de ce rejet devant le Sąd Okręgowy w Bydgoszczy (tribunal régional de Bydgoszcz, Pologne), qui a également rejeté l’appel par ordonnance du 4 juin 2014. Ladite société s’est alors pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi.

14

Devant cette juridiction, Polbud allègue que, à la date du transfert de son siège au Luxembourg, elle avait perdu son statut de société de droit polonais pour devenir une société de droit luxembourgeois. Dès lors, selon Polbud, il y avait lieu de clôturer la procédure de liquidation et de procéder à la radiation de son inscription au registre du commerce en Pologne. Elle fait, par ailleurs, observer que le respect des exigences de la procédure de liquidation prévues en droit polonais n’était ni nécessaire ni possible, dans la mesure où elle n’avait pas perdu sa personnalité juridique.

15

La juridiction de renvoi relève, quant à elle, premièrement, que la procédure de liquidation est axée sur la fin de l’existence juridique de la société et implique certaines obligations à cet égard. Or, en l’occurrence, la société poursuivrait son existence légale en tant que sujet de droit relevant d’un État membre autre que la République de Pologne. Elle s’interroge donc sur le point de savoir si l’imposition à cette société d’obligations analogues à celles exigées pour mettre un terme à son existence légale, en tant que société, ne limite pas indûment sa liberté d’établissement. En outre, cette juridiction se demande si la constatation de la reconstitution de la société, fondée sur la seule décision des associés de maintenir sa personnalité juridique acquise dans l’État membre d’origine, et son inscription au registre du commerce de l’État membre d’accueil effectuée en vertu de cette décision sont opposables à l’État membre d’origine, en dépit de la procédure de liquidation en cours dans ce dernier État.

16

Deuxièmement, la juridiction de renvoi indique que, s’il est en principe interdit à un État membre de refuser de reconnaître une personnalité juridique acquise dans un autre État membre et d’apprécier la régularité des mesures adoptées par les autorités de cet État membre, la radiation de l’ancien registre du commerce est soumise au droit de l’État membre d’origine, qui doit assurer la protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés dans le cadre de la procédure de liquidation. Cette juridiction estime, dès lors, que le tribunal d’enregistrement ne devrait pas renoncer à poursuivre cette procédure.

17

Troisièmement, la juridiction de renvoi souligne que, selon la jurisprudence de la Cour, il est en principe licite de vérifier si l’entreprise entend établir un lien économique durable avec l’État membre d’accueil et, à cet effet, transférer son siège social, entendu au sens de lieu de direction effective et d’exercice de ses activités. L’incertitude porterait, toutefois, sur le point de savoir qui, de l’État membre d’accueil ou de l’État membre d’origine, procède à cette vérification.

18

Dans ces circonstances, le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 49 et 54 TFUE font-ils obstacle à ce que l’État membre de constitution d’une société commerciale (ayant le statut de société à responsabilité limitée) applique les dispositions de son droit national subordonnant la radiation de la société du registre du commerce à sa dissolution, au terme de la procédure de liquidation, lorsque cette société a procédé à sa reconstitution dans un autre État membre en vertu d’une résolution des associés relative au maintien de sa personnalité juridique acquise dans l’État membre de constitution ?

En cas de réponse négative :

2)

Les articles 49 et 54 TFUE peuvent-ils être interprétés en ce sens que l’obligation imposée par les dispositions du droit national de diligenter la procédure de liquidation de la société – comportant l’achèvement des affaires courantes, le recouvrement des créances, l’exécution des engagements et la réalisation des actifs de la société, le désintéressement de ses créanciers ou la constitution de sûretés en leur faveur, la présentation de ses comptes financiers résultant de ces opérations, ainsi que la désignation du dépositaire des livres et des documents –, qui précède la dissolution de la société intervenant au moment de sa radiation du registre du commerce, est une mesure appropriée, nécessaire et proportionnée au regard de la sauvegarde de l’intérêt général digne de protection que constitue la préservation des intérêts des créanciers, des actionnaires minoritaires et des salariés de la société migrante ?

3)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens que les restrictions à la liberté d’établissement couvrent la situation d’une société qui – aux fins de sa transformation en une société relevant d’un autre État membre – y transfère son siège statutaire, sans déplacer le siège principal de l’entreprise, qui demeure établi dans l’État membre de sa constitution ? »

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

19

Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 juin 2017, Polbud a demandé à ce que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

20

À l’appui de sa demande, Polbud fait valoir, en substance, d’une part, que, contrairement à ce qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, son intention était de transférer au Luxembourg tant son siège statutaire que son siège réel, ce qu’atteste la résolution du 28 mai 2013. D’autre part, Polbud fait observer que les conclusions présentées par Mme l’avocat général, bien qu’elles fassent état des réserves exprimées par Polbud lors de l’audience, se fondent néanmoins sur la constatation factuelle erronée figurant dans cette demande. Par conséquent, Polbud estime nécessaire de rouvrir la phase orale de la procédure afin qu’elle puisse éclaircir les circonstances factuelles de l’affaire au principal.

21

En vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

22

En l’occurrence, tel n’est pas le cas. En effet, Polbud a exposé, lors de l’audience, son appréciation du cadre factuel du litige. Elle a notamment eu l’occasion d’exprimer son point de vue sur la présentation des faits du litige au principal telle qu’elle figure dans la demande de décision préjudicielle et de préciser que son intention était de transférer au Luxembourg tant son siège statutaire que son siège réel. Ainsi, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer.

23

Par ailleurs, s’agissant de la critique formulée à l’encontre des conclusions de Mme l’avocat général, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de cette dernière ne prévoient pas la possibilité pour les parties intéressées de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 30 et jurisprudence citée).

24

D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. À cet égard, la Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 31 et jurisprudence citée).

25

Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

26

À titre liminaire, il y a lieu de relever que les questions préjudicielles se fondent sur la prémisse, contestée par Polbud, selon laquelle celle-ci n’avait pas l’intention de transférer son siège réel au Luxembourg.

27

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 267 TFUE institue une procédure de coopération directe entre la Cour et les juridictions des États membres. Dans le cadre de cette procédure, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national, auquel il appartient d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, alors que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par le juge national (voir, notamment, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 15).

28

Dès lors, il y a lieu de répondre aux questions posées sur la base de cette prémisse, dont il incombe, cependant, à la juridiction de renvoi de vérifier le bien‑fondé.

Sur la troisième question

29

Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la liberté d’établissement est applicable au transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation en une société relevant du droit de cet autre État membre, sans déplacement du siège réel de ladite société.

30

Les gouvernements polonais et autrichien soutiennent que les articles 49 et 54 TFUE ne s’appliquent pas à un transfert de société tel que celui en cause au principal. Selon le gouvernement autrichien, la liberté d’établissement ne saurait être invoquée lorsque le transfert du siège n’est pas motivé par l’exercice d’une activité économique effective au moyen d’une installation stable dans l’État membre d’accueil. Le gouvernement polonais invoque, notamment, les arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, EU:C:1988:456), et du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, EU:C:2008:723), pour justifier la conclusion à laquelle il parvient, selon laquelle un transfert de société, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application des articles 49 et 54 TFUE.

31

Une telle thèse ne saurait être retenue.

32

En effet, il convient de relever que l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, accorde le bénéfice de la liberté d’établissement aux sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne. Partant, une société telle que Polbud, qui a été constituée en conformité avec la législation d’un État membre, en l’occurrence avec la législation polonaise, peut, en principe, se prévaloir de cette liberté.

33

En vertu de l’article 49, second alinéa, TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, la liberté d’établissement pour les sociétés visées à ce dernier article comporte, notamment, la constitution et la gestion de ces sociétés dans les conditions définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres sociétés. Elle englobe ainsi le droit pour une société constituée en conformité avec la législation d’un État membre de se transformer en une société relevant du droit d’un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, EU:C:1988:456, point 17), pour autant qu’il est satisfait aux conditions définies par la législation de cet autre État membre et, en particulier, au critère retenu par ce dernier aux fins du rattachement d’une société à son ordre juridique national.

34

À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence d’uniformisation en droit de l’Union, la définition du lien de rattachement déterminant le droit national applicable à une société relève, conformément à l’article 54 TFUE, de la compétence de chaque État membre, ledit article ayant mis sur le même pied le siège statutaire, l’administration centrale et le principal établissement d’une société en tant que lien d’un tel rattachement (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, EU:C:1988:456, points 19 à 21).

35

Il en découle, en l’occurrence, que la liberté d’établissement confère à Polbud, société de droit polonais, le droit de se transformer en une société de droit luxembourgeois pour autant qu’il est satisfait aux conditions de constitution définies par la législation luxembourgeoise et, en particulier, au critère retenu par le Luxembourg aux fins du rattachement d’une société à son ordre juridique national.

36

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments soulevés par les gouvernements polonais et autrichien.

37

En premier lieu, l’argument du gouvernement autrichien relatif à l’absence d’activité économique effective de Polbud dans l’État membre d’accueil ne saurait prospérer.

38

En effet, la Cour a jugé que relève de la liberté d’établissement une situation dans laquelle une société constituée selon la législation d’un État membre dans lequel elle a son siège statutaire souhaite créer une succursale dans un autre État membre, quand bien même cette société n’aurait été constituée, dans le premier État membre, qu’en vue de s’établir dans le second où elle exercerait l’essentiel, voire l’ensemble, de ses activités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, point 17). De la même manière, une situation dans laquelle une société constituée selon la législation d’un État membre souhaite se transformer en une société de droit d’un autre État membre, dans le respect du critère retenu par le second État membre aux fins du rattachement d’une société à son ordre juridique national, relève de la liberté d’établissement, quand bien même cette société exercerait l’essentiel, voire l’ensemble, de ses activités économiques dans le premier État membre.

39

Il importe encore de rappeler que la question de l’applicabilité des articles 49 et 54 TFUE est distincte de celle de savoir si un État membre peut prendre des mesures pour empêcher que, en recourant aux possibilités offertes par le traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l’emprise de leur législation nationale, étant entendu que, selon une jurisprudence constante, un État membre a la possibilité d’adopter de telles mesures (arrêts du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, points 18 et 24, ainsi que du 30 septembre 2003, Inspire Art, C‑167/01, EU:C:2003:512, point 98).

40

Toutefois, il convient de relever que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, n’est pas constitutif en soi d’abus le fait d’établir le siège, statutaire ou réel, d’une société en conformité avec la législation d’un État membre dans le but de bénéficier d’une législation plus avantageuse (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, point 27, et du 30 septembre 2003, Inspire Art, C‑167/01, EU:C:2003:512, point 96).

41

Il s’ensuit que, dans l’affaire au principal, la circonstance qu’il ait été décidé de transférer vers le Luxembourg le seul siège statutaire de Polbud, sans que ce transfert concerne le siège réel de cette société, ne saurait, en soi, avoir pour conséquence qu’un tel transfert ne relève pas du champ d’application des articles 49 et 54 TFUE.

42

En second lieu, s’agissant des arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, EU:C:1988:456), et du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, EU:C:2008:723), il n’en ressort pas, contrairement à ce qu’a soutenu le gouvernement polonais, que le transfert du siège statutaire d’une société devrait nécessairement s’accompagner du transfert de son siège réel pour relever de la liberté d’établissement.

43

Il découle, en revanche, de ces arrêts, ainsi que de l’arrêt du 12 juillet 2012, VALE (C‑378/10, EU:C:2012:440), que, en l’état actuel du droit de l’Union, chaque État membre a la faculté de définir le lien de rattachement qui est exigé d’une société pour que celle-ci puisse être considérée comme constituée selon sa législation nationale. Dans l’hypothèse où une société relevant du droit d’un État membre se transforme en une société de droit d’un autre État membre en remplissant les conditions imposées par la législation de ce dernier aux fins d’exister dans son ordre juridique, ladite faculté, loin d’impliquer une quelconque immunité de la législation de l’État membre d’origine en matière de constitution ou de dissolution de sociétés au regard des règles relatives à la liberté d’établissement, ne saurait justifier que cet État membre, notamment, en imposant, pour une telle transformation transfrontalière, des conditions plus restrictives que celles qui gouvernent la transformation d’une société au sein dudit État membre, empêche ou dissuade la société concernée de procéder à cette transformation transfrontalière (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, EU:C:1988:456, points 19 à 21 ; du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, EU:C:2008:723, points 109 à 112, ainsi que du 12 juillet 2012, VALE, C‑378/10, EU:C:2012:440, point 32).

44

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la liberté d’établissement est applicable au transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation, en conformité avec les conditions imposées par la législation de cet autre État membre, en une société relevant du droit de ce dernier, sans déplacement du siège réel de ladite société.

Sur les première et deuxième questions

45

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui subordonne le transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation en une société relevant du droit de ce dernier, en conformité avec les conditions imposées par la législation de celui–ci, à la liquidation de la première société.

Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement

46

L’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 36 et jurisprudence citée).

47

En l’occurrence, il découle de la demande de décision préjudicielle que le transfert du siège d’une société de droit polonais dans un État membre autre que la République de Pologne n’entraîne pas, conformément à l’article 19, paragraphe 1, de la loi relative au droit international privé, la perte de la personnalité juridique. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 46 de ses conclusions, le droit polonais reconnaît de la sorte, en l’occurrence, que la personnalité juridique de Polbud peut, en principe, être poursuivie par Consoil Geotechnik.

48

Toutefois, en vertu de l’article 270, point 2, du code des sociétés commerciales ainsi que de l’article 272 de ce code, la résolution des associés relative au transfert du siège dans un État membre autre que la République de Pologne, adoptée en application de l’article 562, paragraphe 1, dudit code, entraîne la dissolution de la société au terme de la procédure de liquidation. En outre, il découle de l’article 288, paragraphe 1, du même code que, faute de liquidation, une société qui souhaite transférer son siège dans un État membre autre que la République de Pologne ne peut être radiée du registre du commerce.

49

Ainsi, bien qu’elle puisse en principe transférer son siège statutaire dans un État membre autre que la République de Pologne sans perte de sa personnalité juridique, une société de droit polonais, telle que Polbud, qui souhaite effectuer un tel transfert, ne peut obtenir sa radiation du registre du commerce polonais qu’à condition d’avoir procédé à sa liquidation.

50

Il convient, à cet égard, de préciser que, selon la demande de décision préjudicielle, les opérations de liquidation comprennent l’achèvement des affaires courantes et le recouvrement des créances de la société, l’exécution de ses engagements et la réalisation de ses actifs, le désintéressement de ses créanciers ou la constitution de sûretés en leur faveur, la présentation de ses comptes financiers résultant de ces opérations ainsi que la désignation d’un dépositaire des livres et des documents de la société en liquidation.

51

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, en exigeant la liquidation de la société, la réglementation nationale en cause au principal est de nature à gêner, voire à empêcher, la transformation transfrontalière d’une société. Elle constitue donc une restriction à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, EU:C:2008:723, points 112 et 113).

Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement

52

Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une telle restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Il convient encore qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42 et jurisprudence citée).

53

En premier lieu, la juridiction de renvoi considère que la restriction à la liberté d’établissement se justifie, en l’occurrence, par l’objectif de protection des créanciers, des associés minoritaires et des salariés de la société transférée.

54

À cet égard, il convient de rappeler que la protection des intérêts des créanciers et des associés minoritaires figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2005, SEVIC Systems, C‑411/03, EU:C:2005:762, point 28 et jurisprudence citée). Il en va de même de la protection des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 73 et jurisprudence citée).

55

Ainsi, les articles 49 et 54 TFUE ne s’opposent pas, en principe, à des mesures d’un État membre visant à ce que les intérêts des créanciers, des associés minoritaires ainsi que des travailleurs d’une société, qui a été constituée conformément à son droit et continue à exercer ses activités sur le territoire national, ne soient pas indûment affectés par le transfert du siège statutaire de cette société et sa transformation en une société relevant du droit d’un autre État membre.

56

Toutefois, conformément à la jurisprudence constante citée au point 52 du présent arrêt, il faut encore vérifier si la restriction en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

57

En l’occurrence, la réglementation polonaise impose une obligation de liquidation de la société souhaitant transférer son siège statutaire dans un État membre autre que la République de Pologne.

58

Il convient de relever que cette réglementation prévoit, de manière générale, une obligation de liquidation, sans qu’il soit tenu compte du risque réel d’atteinte portée aux intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés et sans qu’il soit possible d’opter pour des mesures moins restrictives susceptibles de sauvegarder ces intérêts. S’agissant, notamment, des intérêts des créanciers, ainsi que l’a relevé la Commission européenne, la constitution de garanties bancaires ou d’autres garanties équivalentes pourrait offrir une protection adéquate desdits intérêts.

59

Il s’ensuit que l’obligation de liquidation imposée par la réglementation nationale en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des intérêts mentionnés au point 56 du présent arrêt.

60

En second lieu, le gouvernement polonais invoque l’objectif de lutte contre les pratiques abusives aux fins de justifier la réglementation nationale en cause au principal.

61

À cet égard, les États membres ont la possibilité de prendre toute mesure de nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes (arrêt du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, EU:C:1999:126, point 38).

62

Cependant, il découle de la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt que n’est pas constitutif en soi d’abus le fait d’établir le siège, statutaire ou réel, d’une société en conformité avec la législation d’un État membre dans le but de bénéficier d’une législation plus avantageuse.

63

En outre, la seule circonstance qu’une société transfère son siège d’un État membre dans un autre ne saurait fonder une présomption générale de fraude et justifier une mesure portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 84).

64

Dès lors que l’obligation générale de mettre en œuvre une procédure de liquidation revient à poser une présomption générale d’existence d’un abus, il y a lieu de considérer qu’une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui impose une telle obligation, est disproportionnée.

65

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui subordonne le transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation en une société relevant du droit de ce dernier, en conformité avec les conditions imposées par la législation de celui–ci, à la liquidation de la première société.

Sur les dépens

66

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens que la liberté d’établissement est applicable au transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation, en conformité avec les conditions imposées par la législation de cet autre État membre, en une société relevant du droit de ce dernier, sans déplacement du siège réel de ladite société.

 

2)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui subordonne le transfert du siège statutaire d’une société constituée en vertu du droit d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre, aux fins de sa transformation en une société relevant du droit de ce dernier, en conformité avec les conditions imposées par la législation de celui-ci, à la liquidation de la première société.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.

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