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Document 62014CC0503

Conclusions de l'avocat général M. M. Wathelet, présentées le 12 mai 2016.
Commission européenne contre République portugaise.
Manquement d’État – Articles 21, 45 et 49 TFUE – Articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen – Libre circulation des personnes – Libre circulation des travailleurs – Liberté d’établissement – Imposition des personnes physiques sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales – Imposition des personnes physiques sur les plus-values résultant d’un transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle – Imposition à la sortie pour les particuliers – Recouvrement immédiat de l’imposition – Différence de traitement entre les personnes physiques qui échangent des parts sociales et maintiennent leur résidence sur le territoire national et celles qui procèdent à un tel échange et transfèrent leur résidence sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen – Différence de traitement entre les personnes physiques qui procèdent au transfert de la totalité d’un patrimoine lié à une activité exercée sur une base individuelle à une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire portugais et celles qui procèdent à un tel transfert à une société ayant son siège ou sa direction effective sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen – Proportionnalité.
Affaire C-503/14.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:335

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 12 mai 2016 ( 1 )

Affaire C‑503/14

Commission européenne

contre

République portugaise

«Manquement d’État — Articles 21, 45 et 49 TFUE — Articles 28 et 31 de l’accord EEE — Libre circulation des personnes — Libre circulation des travailleurs — Liberté d’établissement — Imposition des personnes physiques sur les plus-values réalisées lors d’un échange de parts sociales — Imposition des personnes physiques sur les plus-values réalisées lors du transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle — Imposition à la sortie pour les particuliers — Recouvrement immédiat de l’imposition — Différence de traitement entre les personnes physiques résidentes ou non-résidentes — Différence de traitement entre les personnes physiques qui procèdent au transfert d’actifs et de passifs selon qu’ils sont transférés à une société résidente au Portugal ou à une société résidente sur le territoire d’un autre État membre — Proportionnalité»

1. 

Par le présent recours, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur des dispositions prévoyant qu’un contribuable qui soit échange des parts sociales et transfère sa résidence à l’étranger, soit procède au transfert d’actifs et de passifs liés à une activité exercée sur une base individuelle en échange de parts d’une société non résidente, doit, pour les opérations en question, dans le premier cas, inclure tout revenu non affecté dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel il est toujours considéré comme un contribuable résident et, dans le second cas, ne peut pas bénéficier d’un report d’imposition pour ces opérations, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

I – Cadre juridique

2.

Outre les articles 21, 45 et 49 TFUE, l’accord EEE et le Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, ci-après le « CIRS ») sont au centre du présent recours.

A – L’accord EEE

3.

L’article 28 de l’accord EEE dispose :

« 1.   La libre circulation des travailleurs est assurée entre les États membres de la CE et les États de l’AELE.

2.   Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres de la CE et des États de l’AELE, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3.   Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique :

a)

de répondre à des emplois effectivement offerts ;

b)

de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres de la CE et des États de l’AELE ;

c)

de séjourner dans un des États membres de la CE ou des États de l’AELE, afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux ;

d)

de demeurer sur le territoire d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE après y avoir occupé un emploi.

4.   Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique.

5.   Les dispositions particulières applicables à la libre circulation des travailleurs figurent à l’annexe V. »

4.

L’article 31 de l’accord EEE dispose :

« 1.   Dans le cadre du présent accord, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE sur le territoire d’un autre de ces États sont interdites. La présente disposition s’étend également à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre de la CE ou d’un État de l’AELE, établis sur le territoire de l’un de ces États.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, notamment de sociétés au sens de l’article 34 deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre 4.

2.   Les dispositions particulières applicables au droit d’établissement figurent aux annexes VIII à XI. »

B – Le droit portugais

5.

Aux termes de l’article 10 du CIRS, intitulé « Plus-values » :

« 1.   Constituent des plus-values les bénéfices obtenus qui, sans être considérés comme des revenus d’entreprise et professionnels, de capitaux ou immobiliers, résultent de :

[…]

b)

la cession à titre onéreux de parts sociales, y compris leur remboursement et leur amortissement avec réduction du capital, et d’autres valeurs mobilières, ainsi que la valeur attribuée aux associés à la suite du partage, qui est considérée comme une plus-value au sens de l’article 81 du [Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Coletivas (code de l’impôt sur le revenu des personnes morales, ci-après le “CIRC”)] ;

[…]

3.   Les bénéfices sont réputés obtenus au moment de la pratique des actes prévus au paragraphe 1, sans préjudice des dispositions des points suivants :

[…]

b)

en cas d’affectation de biens du patrimoine privé à l’activité entrepreneuriale et professionnelle exercée à titre individuel par leur propriétaire, le bénéfice n’est réputé obtenu qu’au moment de la cession ultérieure à titre onéreux des biens en cause ou de la survenance d’un autre fait qui génère l’apurement des résultats dans des conditions analogues.

4.   Le bénéfice soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques est constitué :

a)

de la différence entre la valeur de réalisation et la valeur d’acquisition, nettes de la partie qualifiée de revenu de capitaux, le cas échéant, dans les cas prévus aux points a), b) et c) du paragraphe 1 ;

[…]

8.   En cas d’échange de parts sociales aux conditions visées à l’article 73, paragraphe 5, et à l’article 77, paragraphe 2, du [CIRC], l’attribution, du fait de cet échange, des titres représentant le capital social de la société aux associés de la société acquise ne donne pas lieu à imposition de ces derniers s’ils continuent à valoriser, à des fins fiscales, les nouvelles parts sociales au niveau des anciennes. Cette valeur est déterminée conformément aux dispositions du présent code, sans préjudice de l’imposition relative aux valeurs en espèces qui leur sont éventuellement attribuées.

9.   Dans le cas visé au paragraphe précédent, il convient d’observer en outre que :

a)

L’associé perdant la qualité de résident sur le territoire portugais, il y a lieu de compter dans la catégorie des plus-values, aux fins de l’imposition pour l’année de cette perte de la qualité de résident, le montant qui, en vertu du paragraphe 8, n’a pas été imposé lors de l’échange d’actions et qui correspond à la différence entre la valeur réelle des actions reçues et la valeur d’acquisition des anciennes, déterminée conformément aux dispositions du présent code ;

b)

Les dispositions de l’article 73, paragraphe 10, du [CIRC] s’appliquent mutatis mutandis.

10.   Les dispositions des paragraphes 8 et 9 s’appliquent également, mutatis mutandis, en ce qui concerne l’attribution de parts ou d’actions dans les cas de fusion ou de scission auxquels s’applique l’article 74 du [CIRC].

[…] »

6.

L’article 38 du CIRS prévoit ce qui suit :

« Entrée de patrimoine pour la réalisation du capital de société

1.   Il n’y a pas lieu de déterminer un résultat imposable en vertu de la réalisation du capital social résultant du transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle par une personne physique, pour autant que toutes les conditions suivantes soient remplies :

a)

l’entité à laquelle est transmis le patrimoine est une société et a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais ;

b)

la personne physique qui effectue le transfert détient au moins 50 % du capital de la société et l’activité exercée par celle-ci est, en substance, identique à celle qui était exercée à titre individuel ;

c)

les éléments actifs et passifs faisant l’objet du transfert sont pris en compte aux fins de ce transfert aux valeurs enregistrées dans la comptabilité ou dans les écritures de la personne physique, c’est-à-dire celles qui résultent de l’application des dispositions du présent code ou des réévaluations effectuées au titre de dispositions fiscales ;

d)

les parties du capital reçues en contrepartie du transfert sont évaluées, aux fins de l’imposition des profits ou des pertes relatifs à leur transfert ultérieur, par la valeur nette des éléments d’actif et de passif transférés, valorisés conformément au point qui précède ;

e)

la société visée au point a) s’engage, par voie de déclaration, à respecter les dispositions de l’article 77 du [CIRC] ; cette déclaration doit être jointe à la déclaration périodique de revenus de la personne physique relative à l’exercice du transfert.

2.   Les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas si des biens pour lesquels il y a eu report d’imposition des bénéfices, au sens de l’article 10, paragraphe 3, sous b), font partie du patrimoine transmis.

3.   Les bénéfices résultant de la cession à titre onéreux, à quelque titre que ce soit, des parties du capital reçues en contrepartie du transfert visé au paragraphe 1 sont qualifiés, dans les cinq ans à compter de la date de celui-ci, de revenus d’entreprise et professionnels, et sont considérés comme des revenus nets de la catégorie B. Pendant cette période, aucune opération sur les parts sociales bénéficiant de régimes de neutralité ne peut être effectuée, sous peine que l’on considère, au moment de la réalisation de ces opérations, que les bénéfices ont été réalisés et qu’il faut les majorer de 15 % pour chaque année ou partie d’année écoulée à partir de laquelle a été constatée l’entrée de patrimoine pour la réalisation du capital de la société, et les ajouter au revenu de l’année où ces opérations ont été constatées. »

II – La procédure précontentieuse

7.

Le 17 octobre 2008, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République portugaise, dans laquelle elle estimait que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant en vertu des articles 18, 39 et 43 CE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord EEE en imposant les plus-values latentes en cas d’échange de parts sociales dans le cas où une personne physique transfère sa résidence dans un autre État membre ou en cas de transfert à une société d’actifs et de passifs liés à l’exercice d’une activité économique ou professionnelle par une personne physique si la société à laquelle les actifs et les passifs sont transférés a son siège ou sa direction effective à l’étranger.

8.

La République portugaise a répondu à ladite lettre de mise en demeure par une lettre datée du 15 mai 2009, en contestant la position de la Commission.

9.

N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a émis, le 3 novembre 2009, un avis motivé à la République portugaise, dans lequel elle a confirmé la position exprimée dans sa lettre de mise en demeure et l’a invitée à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

10.

La République portugaise a répondu audit avis motivé en réitérant sa position exprimée dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.

11.

N’étant pas satisfaite de la réponse de la République portugaise, la Commission a adressé à cette dernière une lettre de mise en demeure complémentaire, datée du 8 octobre 2011, dans laquelle elle faisait référence à la version à jour de l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, tout en indiquant que sa position exprimée dans la lettre de mise en demeure et dans l’avis motivé restait inchangée.

12.

À la suite de la réponse de la République portugaise à ladite lettre de mise en demeure complémentaire, dans laquelle cet État membre continuait à contester le manquement qui lui était reproché, la Commission a adressé un avis motivé complémentaire audit État membre dans lequel elle a, d’une part, réitéré son grief tiré de ce que les articles 10 et 38 du CIRS enfreignaient les articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi que les articles 28 et 31 de l’accord EEE, et, d’autre part, a invité cet État membre à se conformer à cet avis motivé complémentaire dans un délai de deux mois.

13.

La République portugaise ayant confirmé, dans sa réponse du 23 janvier 2013, que, à son avis, la position de la Commission était erronée, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.

III – La procédure devant la Cour

14.

Des observations écrites ont été déposées par la Commission et le gouvernement portugais. Ces parties ainsi que le gouvernement allemand ont plaidé, en audience, le 16 mars 2016.

IV – Appréciation

A – Argumentation des parties

15.

Selon la Commission, les droits de la défense de la République portugaise ont été parfaitement respectés, même s’il y a des modifications entre la requête et les documents de la procédure administrative parce que ces légères modifications font suite aux précisions transmises à la Commission par la République portugaise pendant cette procédure administrative, en particulier dans sa réponse à l’avis motivé complémentaire.

16.

Sur le fond, la Commission vise deux situations : d’une part, les plus-values résultant d’un échange de parts sociales et, d’autre part, le transfert à une entreprise d’actifs et de passifs relatifs à une activité exercée par une personne physique.

17.

Dans le premier cas, la Commission considère que la législation lusitanienne [article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS] pénalise les personnes qui décident de quitter le territoire portugais, étant donné qu’elles subissent un traitement différent de celui appliqué à celles qui restent dans le pays. Si l’actionnaire ou l’associé n’est plus résident au Portugal, les plus-values résultant d’un échange de parts sociales sont incluses dans le revenu imposable de l’année civile au cours de laquelle le changement de résidence a eu lieu. Le montant des plus-values correspond à la différence entre la valeur réelle des parts sociales reçues et la valeur d’acquisition des anciennes.

18.

En revanche, si l’actionnaire ou l’associé maintient sa résidence au Portugal, la valeur des parts sociales reçues est celle des parts cédées. Il n’y a donc pas de plus-values, sauf en cas de paiement supplémentaire en espèces. En l’absence d’un tel paiement, l’imposition des plus-values n’interviendra qu’en cas de cession définitive des parts reçues et au moment de celle-ci.

19.

La Commission se fonde sur les arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), et du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), soutenant que l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), n’est pas applicable puisqu’il concernait des personnes morales.

20.

Dans le second cas, celui du transfert à une entreprise d’actifs et de passifs relatifs à une activité exercée par une personne physique, la Commission estime que la République portugaise devrait appliquer la même règle, que la personne morale à laquelle les actifs et les passifs sont transférés ait ou non son siège ou sa direction effective sur le territoire portugais.

21.

Or, en vertu de l’article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS, le transfert à une société d’actifs et de passifs liés à l’exercice d’une activité économique ou professionnelle par une personne physique en échange de parts sociales n’est pas soumis à l’impôt au moment de la transmission si, entre autres conditions, la personne morale à laquelle les actifs et les passifs sont transférés a son siège ou sa direction effective au Portugal. Dans ce cas, l’imposition n’aura lieu qu’au moment où ces actifs et ces passifs auront éventuellement été cédés par la personne morale qui les a reçus.

22.

Toutefois, un tel traitement fiscal ne s’applique pas si la personne morale à laquelle les actifs et les passifs ont été transférés a son siège ou sa direction effective en dehors du Portugal. Dans ce cas, l’imposition des plus-values intervient dès la transmission.

23.

Selon la Commission, cette double différence de traitement fiscal est contraire aux articles 49 TFUE et 31 de l’accord EEE, et va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité du régime fiscal.

24.

Sans se prévaloir formellement de l’irrecevabilité du recours, la République portugaise estime que les modifications apportées par la Commission dans la requête sont non pas de simples précisions du grief, mais des modifications substantielles de l’objet initial du litige, tel qu’il ressort de l’avis motivé initial et de l’avis motivé complémentaire. Ces différences devraient d’emblée entraîner le rejet du recours.

25.

Sur le fond, la République portugaise soutient que sa législation ne porte nullement atteinte à la libre circulation des personnes ou à la liberté d’établissement.

26.

D’une part, la réglementation relative à l’imposition des plus-values résultant d’un échange de parts sociales en cas de transfert de résidence de la personne physique (article 10 du CIRS) ne pourrait être considérée comme incompatible avec les libertés fondamentales prévues aux articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi qu’aux articles 28 et 31 de l’accord EEE, étant donné qu’elle est dûment justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général liées à la cohérence et à la protection de l’intégrité du système fiscal national.

27.

D’autre part, le report jusqu’au moment de la réalisation des plus-values de l’imposition relative aux éléments patrimoniaux transférés (article 38 du CIRS) permettrait de garantir le respect du principe de continuité économique, de manière à pouvoir assurer effectivement l’imposition des revenus correspondants, d’où la règle qui fait dépendre ce report d’imposition du fait que l’entité à laquelle le patrimoine est transféré est ou non une société ayant son siège et sa direction effective sur le territoire portugais.

28.

Dans le cas des autres entités, il ne serait pas possible d’assurer, en l’absence de mesures d’harmonisation, le respect du principe de continuité ni l’imposition ultérieure des éléments de l’actif ou du passif transférés, puisque c’est l’État de résidence, et non l’État portugais, qui serait compétent à l’égard de ces entités. La réglementation en cause serait donc conforme au principe fiscal de territorialité.

29.

Lors de l’audience, la République fédérale d’Allemagne est intervenue afin de soutenir la thèse de la République portugaise. Elle estime, en substance, que les deux dispositions litigieuses seraient justifiées en tant qu’elles visent à imposer des bénéfices générés sur le territoire portugais avant que la République portugaise ne perde son pouvoir d’imposition. Pour la République fédérale d’Allemagne, la distinction entre les personnes physiques et les personnes morales n’a pas de fondement, d’autant moins qu’elle crée le risque que les principes énoncés dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), soient contournés. En plus de ce dernier arrêt ( 2 ), elle se fonde également sur les arrêts du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), et du 12 juillet 2005, Schempp (C‑403/03, EU:C:2005:446) ( 3 ).

B – Analyse

1. Sur la recevabilité du recours

30.

La procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion de se conformer à ses obligations découlant du droit l’Union ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission.

31.

Dans l’arrêt du 22 juin 1993, Commission/Danemark (C‑243/89, EU:C:1993:257, point 13), la Cour a jugé que, « dans le cadre d’un recours en manquement, la phase précontentieuse délimite l’objet du litige, et celui-ci ne peut plus, ensuite, être étendu. En effet, la possibilité pour l’État concerné de présenter ses observations constitue une garantie essentielle voulue par le traité et une forme substantielle de la régularité de la procédure destinée à constater un manquement d’un État membre» ( 4 ).

32.

La Cour a également jugé, dans l’arrêt du 9 avril 2013, Commission/Irlande (C‑85/11, EU:C:2013:217, point 17), que cette exigence ne saurait aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié ( 5 ).

33.

À mon avis, en l’espèce, la Commission a défini en des termes suffisamment précis l’infraction alléguée et les raisons pour lesquelles elle estimait que la République portugaise avait manqué aux obligations qui lui incombent.

34.

Il est clair que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé et l’avis motivé complémentaire, en ce qu’il porte sur la conformité des articles 10 et 38 du CIRS avec les articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi qu’avec les articles 28 et 31 de l’accord EEE, n’a pas été modifié.

35.

Les modifications apportées dans le recours se limitent à préciser la teneur des articles du CIRS que la Commission avait déjà identifiés lors de la procédure précontentieuse et à expliciter les effets qui y sont prévus, et qui sont, de l’avis de la Commission, contraires au droit de l’Union.

36.

Dès lors, le fait que la Commission a légèrement modifié dans sa requête la formulation de certaines parties de sa demande ne permet nullement de conclure à une extension ou à une quelconque modification de la substance de la demande initialement formulée. L’objet du litige est resté clairement délimité et défini, dès le début de la procédure administrative jusqu’à la présente phase contentieuse, non seulement dans les raisons invoquées par la Commission, mais aussi dans l’indication claire des articles du CIRS controversés. En outre, la République portugaise a pu pleinement exercer les droits que lui confère la procédure en manquement.

37.

Il s’ensuit que la Commission n’a pas étendu ou modifié l’objet du recours et, partant, n’a pas méconnu l’article 258 TFUE (ex-article 226 CE). Le recours me paraît donc clairement recevable.

2. Sur le fond

38.

La présente affaire porte sur la compatibilité avec les libertés fondamentales consacrées par le traité FUE et l’accord EEE de l’imposition à la sortie de plus-values réalisées par des personnes physiques ( 6 ), et nécessite l’étude de deux questions :

celle des plus-values lors d’un échange de parts sociales, et

celle du transfert à une société d’actifs et de passifs relatifs à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle par une personne physique.

a) Sur les plus-values résultant d’un échange de parts sociales [article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS]

39.

Ladite disposition prévoit, dans une situation où le contribuable transfère sa résidence à l’étranger, l’imposition immédiate des plus-values résultant d’un échange de parts sociales. La différence entre la valeur réelle des parts sociales reçues et la valeur d’acquisition des anciennes doit être reprise dans le revenu imposable de l’année civile au cours de laquelle le changement de résidence a eu lieu.

40.

Cette imposition est différente pour les contribuables qui maintiennent leur résidence au Portugal, parce que la valeur des parts sociales reçues est celle des parts cédées, sauf en cas de paiement supplémentaire en espèces, qui sera immédiatement soumis à l’impôt. En l’absence d’un tel paiement, l’imposition des plus-values n’interviendra qu’en cas de cession définitive des parts reçues et au moment de celle-ci.

41.

La question est donc de savoir si cette différence de traitement fiscal constitue une restriction aux libertés de circulation consacrées aux articles 21, 45 et 49 TFUE ainsi qu’aux articles 28 et 31 de l’accord EEE, et si, dans l’affirmative, si elle est éventuellement justifiée.

i) La différence de traitement constitue-t-elle une restriction en principe incompatible avec les articles 21, 45 et 49 TFUE ?

42.

S’agissant des griefs tirés de la violation des articles du traité FUE, je rappelle que l’article 21 TFUE, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique dans l’article 45 TFUE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs salariés et dans l’article 49 TFUE en ce qui concerne la liberté d’établissement ( 7 ).

43.

L’ensemble de ces dispositions vise à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de cette dernière et s’oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ceux de ces ressortissants qui souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre ( 8 ).

44.

Il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la libre circulation des personnes ( 9 ) toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de ladite liberté ( 10 ).

45.

En l’occurrence, l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS est de nature à restreindre l’exercice de ce droit en ayant, à tout le moins, un effet dissuasif à l’égard des contribuables résidant au Portugal qui souhaitent s’installer dans un autre État membre.

46.

En effet, en vertu de la législation nationale en cause, le transfert de la résidence en dehors du territoire portugais entraîne, pour le contribuable, l’imposition immédiate des plus-values résultant d’un échange de parts sociales, à savoir l’inclusion dans le revenu imposable de l’année civile au cours de laquelle le changement de résidence a eu lieu de la différence entre la valeur réelle des parts sociales reçues et la valeur d’acquisition des anciennes, ce qui n’est pas le cas pour les contribuables qui continuent de résider au Portugal. En effet, dans ce cas, la valeur des parts cédées est égale à celle des parts reçues et seul un paiement supplémentaire en espèces est imposable.

47.

Par ailleurs, aucun élément (et la République portugaise n’en a d’ailleurs avancé aucun) ne permet de prétendre que la situation de ces deux types de contribuables ne serait pas comparable ( 11 ).

48.

Dans la mesure où, pour l’un, il y a imposition d’une plus-value alors que, pour l’autre, la plus-value est d’abord censée ne pas exister, cette différence de traitement défavorise les personnes transférant leur résidence à l’étranger ( 12 ).

49.

La tentation est forte (puisqu’il s’agit d’une « imposition à la sortie » ou exit tax) de faire référence à l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), où la Cour a jugé que « [l]e principe de la liberté d’établissement posé par l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) [devait] être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du code général des impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État ».

50.

La République portugaise soutient toutefois que la situation faisant l’objet de la disposition litigieuse se distinguerait de celle qui a été examinée par la Cour dans l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), étant donné qu’il est question en l’espèce d’un impôt sur des plus-values réalisées et non, comme dans cet arrêt, d’un impôt sur les plus-values latentes.

51.

À mon avis, cette différence n’est pas pertinente, car le point essentiel de l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138) n’était pas le point de savoir si les plus-values étaient latentes ou réalisées mais la différence de traitement fiscal des plus-values selon que le contribuable concerné quittait ou non le territoire national.

52.

En outre, si la Cour a en effet jugé, dans l’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), que la législation française en matière d’imposition de plus-values non encore réalisées en cas de transfert par le contribuable de son domicile fiscal dans un autre État membre constituait une restriction à la liberté d’établissement, elle n’a nullement exclu qu’une restriction aux libertés fondamentales puisse également exister dans d’autres circonstances. Au demeurant, la Cour a déjà conclu à une restriction à la liberté d’établissement dans des cas impliquant l’imposition à la sortie de plus-values effectivement réalisées par des contribuables ( 13 ).

53.

Je pense que la distinction établie par l’article 10 du CIRS crée une restriction en principe incompatible avec les articles 21, 45 et 49 TFUE.

ii) La restriction peut-elle être justifiée ?

54.

Il découle d’une jurisprudence bien établie que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ( 14 ).

55.

Parmi les raisons impérieuses d’intérêt général que la Cour a déjà admises au sujet de législations fiscales nationales restrictives d’une liberté fondamentale garantie par le traité, la République portugaise se prévaut de la cohérence du régime fiscal et de la nécessité de maintenir une répartition équilibrée du pouvoir fiscal entre les États membres, conformément au principe de territorialité ( 15 ).

56.

Il convient de relever que la charge de la preuve, à cet égard, incombe à la République portugaise ( 16 ).

– Cohérence fiscale

57.

En ce qui concerne la justification de sa législation par la nécessité de préserver la cohérence de son système fiscal national, la République portugaise fait notamment valoir que ladite législation est indispensable pour garantir cette cohérence, étant donné que l’avantage fiscal accordé sous forme d’un report d’imposition prend fin quand l’imposition ultérieure devient impossible, comme cela arrive lorsque le contribuable bénéficiaire perd sa qualité de résident. Selon la République portugaise, les trois conditions auxquelles la Cour a déjà admis la cohérence fiscale comme justification d’une restriction sont réunies : i) l’existence d’un lien direct entre l’attribution d’un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal ; ii) la déduction et le prélèvement qui s’effectuent à l’égard d’une même imposition, et iii) le fait que cela concerne un même contribuable.

58.

À cet égard, la Cour a, en effet, déjà admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal pouvait justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité ( 17 ) et a exigé que, dans le chef du même contribuable et pour le même impôt, le système fiscal en cause crée un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et un prélèvement fiscal déterminé ( 18 ).

59.

À cet égard, force est de constater que la République portugaise se borne à invoquer la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal sans établir l’existence d’un lien direct, dans la législation nationale en cause, entre, d’une part, l’avantage fiscal et, d’autre part, la compensation de cet avantage par une charge fiscale quelconque. Il n’est même pas sûr qu’il n’y ait jamais un prélèvement dans le futur à charge des bénéficiaires de l’avantage.

60.

En effet, à mon avis, s’agissant des assujettis qui maintiennent leur résidence sur le territoire portugais, il ressort de l’article 10, paragraphe 8, du CIRS que, aussi longtemps que ceux-ci continuent à valoriser, à des fins fiscales, les parts sociales reçues en contrepartie d’autres parts sociales, ils peuvent toujours se prévaloir du bénéfice de l’exonération prévue à cette disposition, rendant ainsi seulement éventuel un recouvrement futur de l’impôt dans leur chef ( 19 ).

61.

De plus, si prélèvement il y a, il peut n’avoir aucune relation avec l’avantage et, par ailleurs, la disposition concernée du CIRS n’indique pas clairement à partir de quel moment l’impôt est éventuellement recouvré.

62.

Quant à la difficulté de récupérer un impôt à charge d’un contribuable non-résident (ce qui touche plutôt à l’efficacité des contrôles fiscaux plutôt qu’à la cohérence), la République portugaise n’a pas, dans ses observations, réfuté de manière convaincante l’argument de la Commission selon lequel des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales seraient possibles, compte tenu des directives relatives à la coopération entre les administrations nationales dans le domaine fiscal et à l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux impôts ( 20 ).

– Maintien d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition

63.

S’agissant de la justification tirée d’une répartition équilibrée du pouvoir fiscal entre les États membres, la Cour l’a déjà admise dans plusieurs arrêts mettant en cause la taxation à la sortie de plus-values ( 21 ). Je résume brièvement la jurisprudence en cause avant de l’appliquer au cas d’espèce.

Répartition équilibrée du pouvoir d’imposition : principes

64.

Les premiers arrêts ayant retenu la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition en matière de taxation à la sortie sont les arrêts du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), concernant le transfert dans un autre État membre du domicile fiscal d’une personne physique actionnaire d’une société, et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), concernant le transfert dans un autre État membre du siège d’une société.

65.

Au nom de la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, la Cour, en citant le point 46 de l’arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), a jugé, dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 46), qu’« un État membre est, conformément au principe de territorialité fiscale associé à un élément temporel, à savoir la résidence fiscale du contribuable sur le territoire national pensant la période où les plus-values latentes sont apparues, en droit d’imposer lesdites plus-values au moment de l’émigration de celui-ci […] Une telle mesure vise en effet à prévenir des situations de nature à compromettre le droit de l’État membre d’origine d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire et peut donc être justifiée par des motifs liés à la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres ».

66.

Dans ce contexte, la Cour a également considéré qu’un État membre était en droit d’imposer la valeur économique générée par une plus-value latente sur son territoire, même si la plus-value concernée n’y avait pas encore été effectivement réalisée [arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 49)], ce qui implique qu’un État membre a évidemment le droit d’imposer la valeur économique générée par une plus-value réalisée sur son territoire.

67.

D’autres arrêts postérieurs ont confirmé ces principes, notamment les arrêts du 6 septembre 2012, Commission/Portugal (C‑38/10, EU:C:2012:521) ; du 18 juillet 2013, Commission/Danemark (C‑261/11, EU:C:2013:480) ; du 31 janvier 2013, Commission/Pays-Bas (C‑301/11, EU:C:2013:47) ; du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20) ; du 16 avril 2015, Commission/Allemagne (C‑591/13, EU:C:2015:230), et du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331).

Répartition équilibrée du pouvoir d’imposition : proportionnalité

68.

Aux fins d’apprécier la proportionnalité d’une réglementation en principe justifiée par la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, il convient, a jugé la Cour dans son arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 51), d’établir une distinction entre l’établissement du moment de l’imposition et le recouvrement de celle-ci.

69.

De plus, selon l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 52), « [l]’établissement du montant de l’imposition au moment du transfert de siège de direction effective d’une société respecte le principe de proportionnalité eu égard à l’objectif de la réglementation nationale en cause, qui est de soumettre à l’impôt dans l’État membre d’origine les plus-values nées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre. Il est en effet proportionné que l’État membre d’origine, aux fins de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale, détermine l’impôt dû sur les plus-values latentes nées sur son territoire au moment où son pouvoir d’imposition à l’égard de la société concernée cesse d’exister, en l’occurrence au moment du transfert du siège de direction effective de celle-ci dans un autre État membre ».

70.

En revanche, le recouvrement immédiat de l’impôt, en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement qu’une imposition immédiate, a été jugé disproportionné.

71.

À cet égard, il ressort de l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 73), qu’il convient de laisser à l’assujetti un choix entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’impôt sur les plus-values latentes en cause et, d’autre part, le paiement différé du montant dudit impôt, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la réglementation nationale applicable. La Cour a, de surcroît, jugé dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 74) qu’« il y a lieu de tenir compte également du risque de non-recouvrement de l’imposition, qui augmente en fonction de l’écoulement du temps. Ce risque peut être pris en compte par l’État membre en cause, dans le cadre de sa réglementation nationale applicable au paiement différé des dettes fiscales, par des mesures telles que la constitution d’une garantie bancaire ».

72.

La jurisprudence postérieure a continué à suivre et à préciser ces principes tant sous l’angle de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux ( 22 ).

Application au cas d’espèce

73.

La Commission rejette l’argument de la République portugaise fondé sur la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et tiré de l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), au motif que cet arrêt « expose pour la première fois les règles en matière d’imposition à la sortie susceptibles d’être compatibles avec le droit de l’Union, mais uniquement pour les entreprises. En réalité, l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, points 54 à 58) ne concerne pas les personnes physiques, la jurisprudence pertinente les concernant étant celle des arrêts du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), et du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525)]» ( 23 ).

74.

Je ne partage pas cette approche pour les raisons suivantes.

75.

L’arrêt du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138), est intervenu avant même que n’apparaisse dans l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763), la justification tirée d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition. Il n’est donc pas pertinent pour rejeter l’éventualité d’admettre, dans des cas d’imposition de plus-values réalisées par des personnes physiques, la justification tirée de cette nécessité, et ce d’autant plus que l’arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), invoqué consécutivement par la Commission, envisage cette possibilité au point 42 de sa requête et que l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), s’inspire de l’arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525, point 46), pour affirmer le droit d’un État membre « d’imposer lesdites plus-values au moment de l’émigration [du contribuable] », une telle mesure visant, en effet, « à prévenir des situations de nature à compromettre le droit de l’État membre d’origine d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire et [pouvant] donc être justifiée par des motifs liés à la préservation du pouvoir d’imposition entre les États membres ».

76.

Par conséquent, en application de l’ensemble de la jurisprudence de la Cour sur l’imposition à la sortie de plus-values (latentes ou réalisées), j’estime, sans hésitation, que la réglementation portugaise se justifie par l’objectif consistant à assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité fiscale associé à un élément temporel, et ce en ce qui concerne le droit de la République portugaise d’imposer des plus-values apparues pendant la résidence du contribuable sur son territoire et d’établir au moment de l’émigration de celui-ci le montant de l’imposition.

77.

J’estime toutefois qu’une réglementation nationale telle que celle en cause, qui prévoit dans tous les cas le recouvrement immédiat de l’impôt, va, en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement que cette imposition immédiate, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif lié à la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et est donc disproportionnée.

78.

En effet, aucun choix entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de l’impôt sur les plus-values en cause et, d’autre part, le paiement différé du montant dudit impôt n’est offert au contribuable ni même un échelonnement du paiement de cet impôt.

79.

Par ailleurs, et même si ces éléments ne sont nullement déterminants ici, je ne vois entre les arrêts du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), au-delà des cinq années qui les séparent, que deux différences dont l’une seulement peut tenir au fait que le premier arrêt concerne une personne physique et le deuxième une personne morale.

80.

La première différence concerne la prise en compte ou non des moins-values susceptibles d’intervenir après le transfert. Dans l’arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525, point 54), la Cour a jugé que ne pourrait être considéré comme proportionné qu’un système fiscal qui tiendrait entièrement compte des moins-values susceptibles d’être réalisées postérieurement au transfert du domicile du contribuable concerné, à moins que ces moins-values n’aient été déjà prises en compte dans l’État membre d’accueil. En revanche, dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), la Cour a jugé que, dès lors que les bénéfices d’une société ayant transféré son siège ne seront imposés, postérieurement audit transfert, que dans l’État d’accueil, conformément au principe de territorialité fiscale associé à un élément temporel, il appartient, pour une raison tenant à la symétrie entre le droit d’imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes, également à ce dernier État de tenir compte, dans son régime fiscal, des fluctuations de la valeur des actifs de la société concernée, qui sont intervenues depuis la date à laquelle l’État membre d’origine a perdu tout lien de rattachement fiscal avec ladite société [arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 58)].

81.

La Cour, consciente de cette différence, l’a justifiée dans son arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 57), en indiquant que « les actifs d’une société [étaient] directement affectés à des activités économiques [...] destinés à générer un bénéfice. Par ailleurs, l’étendue du bénéfice imposable d’une société est en partie influencée par la valorisation des actifs dans le bilan de celle-ci, en ce que les amortissements réduisent l’assiette de l’imposition ».

82.

Je note que, dans aucun autre arrêt ultérieur, la Cour n’a repris le raisonnement de l’arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525), ni n’a fondé son raisonnement sur la distinction entre personnes physiques et personnes morales ( 24 ).

83.

La seconde différence entre les deux arrêts réside dans la possibilité de demander une garantie bancaire, possibilité autorisée dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 74), précisée par l’arrêt du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20, point 66) et soumise à une évaluation préalable du risque de non-recouvrement, possibilité que la Cour avait exclue dans son arrêt du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525, point 51), mais au titre de la disproportion au regard de la nécessité d’assurer la régularité des contrôles fiscaux. Étant donné l’objectif de la constitution de garantie bancaire, telle qu’exposée dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 74), à savoir « qu’il y a lieu de tenir compte également du risque de non-recouvrement de l’imposition qui augmente en fonction de l’écoulement du temps », je ne vois pas ce qui empêcherait aujourd’hui la constitution d’une garantie bancaire lorsque sont en cause des personnes physiques.

– Efficacité des contrôles fiscaux

84.

Même si, comme je l’ai indiqué à la note 15 des présentes conclusions, la République portugaise n’a fait que mentionner une seule fois cette justification dans son mémoire en défense ( 25 ) sans aucun autre développement, j’y consacre les quelques réflexions qui suivent.

85.

Si le principe d’une justification fondée sur la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux a déjà été admise par la Cour, la Cour a souvent jugé que, outre les obligations que les États membres pouvaient imposer aux contribuables, le droit de l’Union prévoyait déjà des mécanismes efficaces permettant d’atteindre cet objectif sans recourir à des restrictions aux libertés fondamentales de circulation.

86.

D’une part, dans le cadre de la directive 2011/16, l’autorité compétente d’un État membre peut toujours demander à l’autorité compétente d’un autre État membre de lui communiquer toutes les informations susceptibles d’être pertinentes pour son administration et l’application de sa législation interne, concernant, entre autres, l’impôt sur le revenu (y compris par conséquent des informations relatives à l’impôt sur le revenu dû par un contribuable ayant sa résidence dans un autre État membre).

87.

D’autre part, la directive 2010/24 prévoit l’assistance au recouvrement des impôts, dont bien entendu les impôts sur le revenu et sur la fortune [cf. article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive] comme l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

88.

En conclusion, j’estime que la réglementation portugaise en cause est incompatible avec les articles 21, 45 et 49 TFUE.

iii) Le même raisonnement est-il applicable aux articles 28 et 31 de l’accord EEE ?

89.

La Commission fait également valoir que, en ayant adopté et maintenu l’article 10, paragraphe 9, sous a), du CIRS, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 et 31 de l’accord EEE, relatifs, respectivement, à la liberté de circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement.

90.

À titre liminaire, il y a lieu de relever que lesdites dispositions de l’accord EEE sont analogues à celles des articles 45 et 49 TFUE.

91.

Toutefois, la jurisprudence qui porte sur des restrictions à l’exercice des libertés de circulation au sein de l’Union ne saurait être intégralement transposée aux libertés garanties par l’accord EEE, dès lors que l’exercice de ces dernières s’inscrit dans un contexte juridique différent ( 26 ), en particulier au regard de la justification des restrictions tirée de la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ( 27 ).

92.

Il convient de relever, à cet égard, que le cadre de coopération entre les autorités compétentes des États membres, établi à l’origine par la directive 77/799/CEE ( 28 ) et figurant actuellement, entre autres, dans la directive 2011/16 et la directive 2010/24, n’existe pas entre celles-ci et les autorités compétentes d’un État tiers lorsque ce dernier n’a pris aucun engagement d’assistance mutuelle ( 29 ).

93.

Dans ces conditions, l’obligation des contribuables transférant leur résidence à l’étranger d’inclure les plus-values dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel ils ont été considérés comme contribuables résidents, en ce qu’elle vise les contribuables résidant dans les États parties à l’accord EEE n’ayant pas la qualité d’État membre de l’Union et n’ayant pas d’accord de coopération administrative et d’assistance mutuelle en matière fiscale avec la République portugaise ( 30 ), ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à garantir l’efficacité des contrôles fiscaux et de la lutte contre l’évasion fiscale.

94.

Ce n’est que lors de l’audience que la Commission a indiqué à ce sujet, sans être contredite par la République portugaise, que pareil accord de coopération administrative et d’assistance mutuelle existait entre le Royaume de Norvège et la République portugaise, mais qu’aucun accord de ce type n’existait entre la République portugaise et la Principauté de Lichtenstein.

95.

La Commission a estimé que, si l’accord avec la République d’Islande comprenait l’échange d’informations mais non l’assistance mutuelle en matière de recouvrement d’impôts, des instruments « très similaires » à ceux fournis par les directives de l’Union existaient dans la convention élaborée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et par le Conseil de l’Europe, signée à Strasbourg le 25 janvier 1988, concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ( 31 ), et ratifiée par la République portugaise, la République d’Islande et le Royaume de Norvège. La Principauté de Lichtenstein n’a fait que signer cette convention.

96.

Comme la République portugaise a contesté la déclaration de la Commission sur l’identité suffisante entre les instruments fournis par les directives de l’Union et cette convention, je propose de considérer que cet élément n’a pas été suffisamment prouvé par la Commission, élément qui n’a d’ailleurs pas été évoqué (encore moins analysé par la Commission) dans la procédure écrite et qui a été soulevé très tardivement au moment de l’audience. Il y a donc lieu de considérer que ni la République d’Islande ni la Principauté de Lichtenstein n’ont avec la République portugaise un accord de coopération administrative et d’assistance mutuelle en matière fiscale, tel qu’exigé par la jurisprudence de la Cour.

b) Sur le transfert à une société d’actifs et de passifs relatifs à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle [article 38, paragraphe 1, sous a), du CIRS]

97.

Ladite disposition, intitulée « Entrée de patrimoine pour la réalisation du capital de société », prévoit qu’« [i]l n’y a pas lieu de déterminer un résultat imposable en vertu de la réalisation du capital social résultant du transfert de la totalité du patrimoine affecté à l’exercice d’une activité entrepreneuriale et professionnelle par une personne physique » si « l’entité à laquelle est transmis le patrimoine est une société et a son siège statutaire et sa direction effective sur le territoire portugais » [paragraphe 1, sous a)].

98.

Dans ce cas, l’imposition n’aura lieu que si ces actifs et ces passifs sont cédés par la personne morale qui les aura reçus à cette date.

99.

En revanche, un tel traitement fiscal ne s’applique pas si la personne morale à laquelle les actifs et les passifs ont été transférés a son siège ou sa direction effective en dehors du Portugal. Dans ce cas, l’imposition des plus-values est, dès lors, immédiate.

100.

Cette différence de traitement fiscal fondée sur la localisation ou non au Portugal de la société qui reçoit les actifs et les passifs est constitutive d’une restriction à la liberté d’établissement puisqu’elle s’applique à des cédants et à des cessionnaires qui sont dans des situations comparables.

101.

En effet, l’exclusion d’un avantage, ne fût-ce que de trésorerie, dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitue une restriction à la liberté d’établissement dans la mesure où cette exclusion ne s’explique pas par une différence de situation objective.

102.

La République portugaise ne conteste d’ailleurs pas sérieusement l’existence d’une restriction, en concentrant sa défense sur la justification, tirée du respect du principe de continuité économique ( 32 ) de manière à pouvoir assurer l’imposition des revenus correspondants, conformément au principe de territorialité ( 33 ).

103.

La République portugaise invoque les conséquences spécifiques de sa législation qui exige l’inscription des actifs et des passifs transférés dans la comptabilité de la société à laquelle ils ont été transmis, notamment en ce qui concerne la détermination des résultats relatifs aux biens constituant le patrimoine transmis, qui est calculé comme si aucune transmission n’avait eu lieu. La République portugaise en déduit que, en cas de transmission à une société ayant son siège ou sa direction effective en dehors du Portugal, il ne lui est pas possible de procéder à une imposition a posteriori des éléments d’actif transférés, car la compétence fiscale y afférente incombe non plus à la République portugaise mais à l’État de résidence de la personne morale qui a reçu lesdits éléments d’actif.

104.

En l’espèce, la Commission ne conteste pas le fait que, en cas de transfert d’actifs et de passifs à une société ayant son siège ou sa direction effective en dehors du Portugal, les règles de l’inscription comptable en vigueur dans le pays du siège ou de la direction effective de cette société s’appliquent. Elle convient du fait que la législation interne de la République portugaise et de tout autre État membre doit prévoir les modalités de traitement de telles situations, y compris en ce qui concerne l’inscription comptable.

105.

Comme la Commission, je pense qu’« il en va différemment de la question de l’imposition des plus-values intervenant à des moments différents, selon que la société destinataire de la transmission en cause a son siège et sa direction effective au Portugal ou à l’étranger. Prévoir des règles spécifiques d’inscription comptable pour répondre à de telles situations ne saurait donner lieu à une différence de traitement de l’imposition des plus-values, comme c’est le cas dans la législation portugaise en vigueur» ( 34 ).

106.

En effet, la République portugaise pourrait, notamment, demander régulièrement, sur la base de la directive 2011/16, des informations aux autorités compétentes du pays où se trouve le siège ou la direction effective de la personne morale à laquelle les actifs et les passifs ont été transférés, en vue de vérifier si celle-ci en est encore détentrice. Si tel n’était pas le cas, il faudrait alors, et seulement à ce moment-là, comme pour les personnes morales qui reçoivent des actifs et des passifs en échange de parts sociales mais qui avaient leur siège ou leur direction effective au Portugal, déterminer le montant de l’impôt sur les plus-values éventuellement dû.

107.

Par ailleurs, la directive 2010/24 prévoit également des mécanismes de coopération dans le domaine fiscal et d’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives, notamment, aux impôts, qui ont toute leur pertinence dans des situations, comme celles en l’espèce, où les impôts dus sur les plus-values n’ont, le cas échéant, pas été payés.

108.

Le fait que, après ce transfert, la compétence en matière d’inscription comptable et en matière fiscale revienne, s’agissant des éléments d’actif et de passif transférés, à l’État membre de résidence de la société cessionnaire ne saurait justifier la mesure en cause, la République portugaise pouvant établir définitivement le montant de l’impôt dû au moment du transfert, à la suite des plus-values générées sur le territoire portugais avant le transfert.

109.

Il s’ensuit que l’article 38 du CIRS, comme l’article 10 du CIRS, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité du régime fiscal et est, dès lors, incompatible avec les articles 21, 45 et 49 TFUE. Cette disposition est également incompatible avec les articles 28 et 31 de l’accord EEE, dans la mesure où elle vise les contribuables résidant dans les États parties à l’accord EEE n’ayant pas la qualité d’État membre de l’Union et ayant avec la République portugaise un accord de coopération administrative et d’assistance mutuelle en matière fiscale ( 35 ).

V – Sur les dépens

110.

Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Comme la Commission a demandé que la République portugaise soit condamnée aux dépens et que celle-ci succombe pour l’essentiel, elle doit être condamnée aux dépens. Conformément à l’article 140 du règlement de procédure de la Cour, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

VI – Conclusion

111.

Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de statuer comme suit :

constater que, en adoptant et en maintenant les dispositions des articles 10 et 38 du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques), en vertu desquelles un contribuable qui échange des parts sociales et transfère sa résidence à l’étranger ou qui procède au transfert d’actifs et de passifs liés à une activité exercée sur une base individuelle en échange de parts d’une entreprise non-résidente doit, dans le premier cas, inclure – pour les opérations en question – tout revenu non affecté dans la base imposable du dernier exercice fiscal pour lequel il est toujours considéré comme un contribuable résident et, dans le second cas, ne peut pas bénéficier d’un report d’imposition en raison de l’opération en question, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu :

des articles 21, 45 et 49 TFUE et

des articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), dans la mesure où lesdites dispositions nationales visent les contribuables résidant dans les États parties à cet accord n’ayant pas la qualité d’État membre de l’Union européenne et ayant avec la République portugaise un accord de coopération administrative et d’assistance mutuelle en matière fiscale ;

rejeter le recours pour le surplus ;

condamner la République portugaise à supporter les dépens, et

déclarer que la République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.


( 1 )   Langue originale : le français.

( 2 )   La République fédérale d’Allemagne invoque notamment le point 52 dudit arrêt (« l’établissement du montant de l’imposition au moment du transfert du siège de direction effective d’une société respecte le principe de proportionnalité eu égard à l’objectif de la réglementation nationale en cause au principal, qui est de soumettre à l’impôt dans l’État membre d’origine les plus-values nées dans le cadre de la compétence fiscale de cet État membre »).

( 3 )   La République fédérale d’Allemagne cite le point 45 de cet arrêt où la Cour rappelle que « le traité ne garantit pas à un citoyen de l’Union que le transfert de ses activités dans un État membre autre que celui dans lequel il résidait jusque-là est neutre en matière d’imposition. Compte tenu des disparités des réglementations des États membres en la matière, un tel transfert peut, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le citoyen sur le plan de l’imposition indirecte ».

( 4 )   Voir, également, arrêts du 28 avril 1993, Commission/Italie (C‑306/91, EU:C:1993:161) ; du 13 décembre 2001, Commission/France (C‑1/00, EU:C:2001:687) ; du 20 juin 2002, Commission/Allemagne (C‑287/00, EU:C:2002:388) ; du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne (C‑490/04, EU:C:2007:430) ; du 6 septembre 2012, Commission/Portugal (C‑38/10, EU:C:2012:521), et du 14 juin 2007, Commission/Belgique (C‑422/05, EU:C:2007:342).

( 5 )   Voir arrêts du 11 juillet 2002, Commission/Espagne (C‑139/00, EU:C:2002:438, points 18 et 19), et du 18 novembre 2010, Commission/Portugal (C‑458/08, EU:C:2010:692, points 43 et 44).

( 6 )   Sur l’imposition à la sortie applicable à des personnes physiques, voir, notamment, arrêts du 21 novembre 2002, X et Y (C‑436/00, EU:C:2002:704) ; du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, EU:C:2004:138) ; du 7 septembre 2006, N (C‑470/04, EU:C:2006:525) ; du 18 janvier 2007, Commission/Suède (C‑104/06, EU:C:2007:40), et du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439). Sur l’imposition à la sortie applicable à des sociétés, voir, notamment, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785) ; du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20) ; du 18 juillet 2013, Commission/Danemark (C‑261/11, EU:C:2013:480) ; du 25 avril 2013, Commission/Espagne (C‑64/11, EU:C:2013:264) ; du 31 janvier 2013, Commission/Pays-Bas (C‑301/11, EU:C:2013:47), et du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331).

( 7 )   Arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, point 49) ainsi que les arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne (C‑152/05, EU:C:2008:17, point 18) ; du 20 janvier 2011, Commission/Grèce (C‑155/09, EU:C:2011:22, point 41), et du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, EU:C:2011:795, point 44).

( 8 )   Arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, point 51) ainsi que les arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne (C‑152/05, EU:C:2008:17, point 21) ; du 20 janvier 2011, Commission/Grèce (C‑155/09, EU:C:2011:22, point 43), et du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, EU:C:2011:795, point 46).

( 9 )   Entendue comme comprenant la libre circulation des citoyens en général, celle des travailleurs salariés, celle des travailleurs indépendants ou des sociétés (liberté d’établissement).

( 10 )   Arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, point 54). Voir, en ce qui concerne la liberté d’établissement, arrêts du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 11), et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 36).

( 11 )   Voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 38).

( 12 )   La Cour a jugé à maintes reprises que l’exclusion d’un simple avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière, alors qu’il était octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national, constituait une restriction à la liberté d’établissement [arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, point 59)]. Voir, en ce sens également, arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C‑397/98 et C‑410/98, EU:C:2001:134, points 44, 54 et 76) ; du 21 novembre 2002, X et Y (C‑436/00, EU:C:2002:704, points 36 à 38) ; du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 32), et du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz (C‑347/04, EU:C:2007:194, point 29).

( 13 )   Voir arrêts du 21 novembre 2002, X et Y (C‑436/00, EU:C:2002:704), et du 16 avril 2015, Commission/Allemagne (C‑591/13, EU:C:2015:230).

( 14 )   Arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, point 62), ainsi que arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne (C‑152/05, EU:C:2008:17, point 26) ; du 20 janvier 2011, Commission/Grèce (C‑155/09, EU:C:2011:22, point 51) ; du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, EU:C:2011:795, point 69), et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42).

( 15 )   Si le gouvernement portugais mentionne également l’efficacité des contrôles fiscaux et de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales parmi ses conclusions figurant au point 99 de sa défense, il n’y consacre aucun développement dans sa défense. J’en dirai toutefois un mot (voir, infra, points 84 et suiv. des présentes conclusions).

( 16 )   Voir, notamment, arrêts du 20 janvier 2011, Commission/Grèce (C‑155/09, EU:C:2011:22, point 55), et du 21 décembre 2011, Commission/Pologne (C‑271/09, EU:C:2011:855, point 61).

( 17 )   Arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C‑204/90, EU:C:1992:35, point 21) ; du 23 octobre 2008, Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt (C‑157/07, EU:C:2008:588, point 43) ; du 1er décembre 2011, Commission/Belgique (C‑250/08, EU:C:2011:793, point 77) ; du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, EU:C:2011:795, point 78), et du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, point 71). À cet égard, voir mes conclusions dans l’affaire Feilen (C‑123/15, EU:C:2016:193, points 56 et suiv.).

( 18 )   Arrêts du 27 novembre 2008, Papillon (C‑418/07, EU:C:2008:659, point 44) ; du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha (C‑303/07, EU:C:2009:377, point 72) ; du 1er décembre 2011, Commission/Belgique (C‑250/08, EU:C:2011:793, point 71) ; du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑35/11, EU:C:2012:707, point 57), et du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, point 66). Voir, également, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen (C‑319/02, EU:C:2004:484, point 42) ; du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, EU:C:2007:161, point 68), et du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie (C‑253/09, EU:C:2011:795, point 72), le caractère direct d’un tel lien devant être apprécié en considération de l’objectif que poursuit la réglementation concernée [voir, notamment, arrêt du 7 septembre 2004, Manninen (C‑319/02, EU:C:2004:484, point 43)].

( 19 )   Voir, par analogie, arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Portugal (C‑345/05, EU:C:2006:685, point 27).

( 20 )   La Commission mentionne, dans ce contexte, la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1), et la directive 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (JO 2010, L 84, p. 1).

( 21 )   En général, tous les types de frais imposés à une personne à l’occasion du transfert de sa résidence fiscale constituent ce que l’on appelle des taxes à la sortie. Cette imposition porte généralement soit sur les plus-values latentes des actifs d’une personne qui n’est plus résidente, soit sur les actifs transférés dans un autre État (Barnard, C., et Odudu, O., The Cambridge Yearbook of European studies, vol. 13, 2010-2011, Hart Publishing, Oxford, 2011, p. 246).

( 22 )   Les précisions ont, notamment, porté sur le type de transfert soit du siège d’une société, soit des actifs d’un établissement stable [arrêts du 6 septembre 2012, Commission/Portugal (C‑38/10, EU:C:2012:521) ; du 18 juillet 2013, Commission/Danemark (C‑261/11, EU:C:2013:480, points 35 à 37), et du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20)], sur le fait générateur de l’imposition [arrêt du 18 juillet 2013, Commission/Danemark (C‑261/11, EU:C:2013:480), sur le réinvestissement des actifs transférés dans des actifs de remplacement [arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne (C‑591/13, EU:C:2015:230)], sur les modalités de l’octroi d’un report du délai de paiement de l’impôt [arrêts du 25 avril 2013, Commission/Espagne (C‑64/11, EU:C:2013:264, point 37), et du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20, point 62)], et sur l’exigence de constitution de garanties bancaires [arrêt du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20, point 66)].

( 23 )   Voir point 39 de la requête de la Commission.

( 24 )   Lors de l’audience, la République fédérale d’Allemagne a soutenu que l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), valait maintenant tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques.

( 25 )   À savoir point 99 de la défense. Idem pour la réplique (voir point 34).

( 26 )   Voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2007, A (C‑101/05, EU:C:2007:804, point 60), et du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud (C‑72/09, EU:C:2010:645, point 40). Voir, également, arrêts du 12 juillet 2012, Commission/Espagne (C‑269/09, EU:C:2012:439, points 94 et suiv.), et du 16 avril 2015, Commission/Allemagne (C‑591/13, EU:C:2015:230, point 81).

( 27 )   Voir, notamment, arrêts du 20 mai 2008, Orange European Smallcap Fund (C‑194/06, EU:C:2008:289, points 89 et 90), et du 19 novembre 2009, Commission/Italie (C‑540/07, EU:C:2009:717, points 68 et suiv.).

( 28 )   Directive du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO 1977, L 336, p. 15).

( 29 )   Arrêt du 19 juillet 2012, A (C‑48/11, EU:C:2012:485). Voir, en ce sens également, arrêt du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud (C‑72/09, EU:C:2010:645, point 41).

( 30 )   Arrêt du 10 avril 2014, Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company (C‑190/12, EU:C:2014:249, points 83 et suiv.). Dans ce cas, la justification par l’efficacité des contrôles fiscaux n’a pas été admise étant donné l’existence d’un cadre réglementaire d’assistance administrative mutuelle entre la République de Pologne et les États-Unis d’Amérique.

( 31 )   Voir arrêt du 10 avril 2014, Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company (C‑190/12, EU:C:2014:249, points 85 et 86). Ladite convention de 1988 a été amendée et renforcée en 2010 par un protocole. La convention est l’instrument multilatéral le plus complet et offre toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre l’évasion et la fraude fiscales. Voir http://www.oecd.org/fr/ctp/echange-de-renseignements-fiscaux/conventionconcernantlassistanceadministrativemutuelleenmatierefiscale.htm. Voir également : http://www.oecd.org/ctp/exchange-of-tax-information/Status_of_convention.pdf.

( 32 )   Selon la République portugaise, ce principe serait contenu à l’article 77 du CIRC.

( 33 )   Voir note 15 des présentes conclusions. Cette justification se rapproche de celle liée à la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux. Le raisonnement figurant dans les présentes conclusions à propos des justifications de la restriction, résultant de l’article 10 du CIRS, tirées de la cohérence fiscale et de la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, sont transposables à l’égard de l’article 38 du CIRS.

( 34 )   Point 48 de la réplique.

( 35 )   En l’occurrence, le Royaume de Norvège.

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