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Document 62024CO0141
Order of the Court (Sixth Chamber) of 20 March 2025.#TJ v Direction régionale des finances publiques d’Ile de France et de Paris.#Request for a preliminary ruling from the tribunal judiciaire de Nanterre.#Case C-141/24.
Order of the Court (Sixth Chamber) of 20 March 2025.
TJ v Direction régionale des finances publiques d’Ile de France et de Paris.
Request for a preliminary ruling from the tribunal judiciaire de Nanterre.
Case C-141/24.
Order of the Court (Sixth Chamber) of 20 March 2025.
TJ v Direction régionale des finances publiques d’Ile de France et de Paris.
Request for a preliminary ruling from the tribunal judiciaire de Nanterre.
Case C-141/24.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:208
ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
20 mars 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux et liberté des paiements – Article 63 TFUE – Restrictions – Réglementation fiscale – Réglementation nationale permettant la taxation d’office d’avoirs non déclarés détenus à l’étranger, leur origine et les modalités de leur acquisition n’ayant pas été justifiées – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte factuel et réglementaire du litige au principal ainsi que des raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑141/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal judiciaire de Nanterre (France), par décision du 10 janvier 2024, parvenue à la Cour le 23 février 2024, dans la procédure
TJ
contre
Direction régionale des finances publiques d’Île‑de‑France et de Paris,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele (rapporteure) et M. S. Gervasoni, juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme O. Duprat-Mazaré, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Ferrand et W. Roels, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TJ à la direction régionale des finances publiques de l’Île‑de‑France et de Paris, France (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de l’imposition d’avoirs détenus sur deux comptes bancaires, ouverts auprès d’un établissement financier au Luxembourg, au titre des années 2010 à 2014.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 53 du règlement de procédure de la Cour prévoit, à son paragraphe 2 :
« Lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure. »
4 L’article 94 de ce règlement dispose :
« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :
a) un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;
b) la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;
c) l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »
Le droit français
5 L’article 755 du code général des impôts (ci-après le « CGI ») dispose en substance que les avoirs figurant notamment sur un compte détenu à l’étranger et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais prévus au même article L. 23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l’article 777 du CGI. Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l’administration des avoirs figurant sur le compte au cours des dix années précédant l’envoi de la demande d’informations ou de justifications prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, diminuée de la valeur des avoirs dont l’origine et les modalités d’acquisition ont été justifiées.
6 L’article 777 du CGI prévoit, en tant que taux de droits de mutation à titre gratuit le plus élevé, le taux de 60 % applicable aux donations consenties entre parents au-delà du 4e degré et entre personnes non-parentes.
7 Aux termes de l’article 1649 A, deuxième alinéa, du CGI :
« Les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger. [...] »
8 L’article L. 23 C du livre des procédures fiscales (ci-après le « LPF ») dispose que, lorsque l’obligation prévue au deuxième alinéa de l’article 1649 A du CGI n’a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes, l’administration peut demander, indépendamment d’une procédure d’examen de situation fiscale personnelle, à la personne physique soumise à cette obligation de fournir dans un délai de soixante jours toutes informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d’assurance-vie. Cette disposition énonce également que, lorsque la personne a répondu de façon insuffisante aux demandes d’informations ou de justifications, l’administration lui adresse une mise en demeure d’avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse qu’elle souhaite.
9 L’article L.71 du LPF prévoit que, en l’absence de réponse ou à défaut de réponse suffisante aux demandes d’informations ou de justifications prévues à l’article L. 23 C dans les délais prévus au même article, la personne est taxée d’office dans les conditions prévues à l’article 755 du CGI, soit au taux de 60 % de droits de mutations à titre gratuit, applicable aux mutations entre parents au-delà du 4e degré et entre personnes non-parentes.
10 L’article L. 181-0 A du LPF est libellé comme suit :
« Par exception au premier alinéa de l’article L. 180 et à l’article L. 181, le droit de reprise de l’administration relatif aux impôts et droits qui y sont mentionnés peut s’exercer jusqu’à l’expiration de la dixième année suivant celle du fait générateur de ces impôts ou droits quand ils sont assis sur des biens ou droits mentionnés aux articles 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du [CGI], sauf si l’exigibilité des impôts ou droits relatifs aux biens ou droits correspondants a été suffisamment révélée dans le document enregistré ou présenté à la formalité ou, pour l’impôt sur la fortune immobilière, par la déclaration et les annexes mentionnées à l’article 982 du même code. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Par lettre du 19 décembre 2019, l’administration fiscale a adressé à TJ, en application de l’article L. 23 C du LPF, une demande d’informations et de justifications portant sur des avoirs détenus à l’étranger sur deux comptes bancaires, ouverts auprès de la banque UBS au Luxembourg, au titre des années 2010 à 2014. Les éléments d’information apportés par TJ ayant été considérés comme insuffisants, cette administration l’a mis en demeure, par lettre du 13 mars 2020, de fournir des précisions dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de cette lettre.
12 Par lettre du 5 octobre 2020, l’administration fiscale a émis une proposition de rectification tendant, conformément à l’article 755 du CGI, à la taxation au taux de 60 %, applicable aux mutations à titre gratuit entre parents au-delà du 4e degré et entre personnes non-parentes, de la somme de 1 147 856 euros, solde global et maximal des avoirs détenus sur lesdits comptes bancaires, entre 2010 et 2014, précisément au 31 décembre 2010.
13 Par lettre du 13 octobre 2020, TJ a communiqué divers documents et relevés émanant de la banque UBS au Luxembourg pour tenter de justifier de l’acquisition des sommes en cause au cours d’une période prescrite. Dans sa réponse du 12 novembre 2020, l’administration fiscale a maintenu sa position, considérant que, tout en étant éventuellement acquises au cours d’une période prescrite, lesdites sommes devaient voir leur origine justifiée.
14 Le 15 décembre 2020, l’imposition supplémentaire correspondant à cette rectification a été mise en recouvrement pour un montant de droits de succession de 688 714 euros en principal.
15 La réclamation contentieuse introduite par TJ ayant été rejetée par l’administration fiscale, celle-ci a émis, le 26 juillet 2021, un nouvel avis de mise en recouvrement pour le même montant de droits de succession en principal. TJ a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre (France), qui est la juridiction de renvoi, notamment d’une demande d’annulation de la décision de rejet de sa réclamation.
16 Devant cette juridiction, TJ affirme que cette décision viole l’article 63, paragraphe 1, TFUE, dès lors que, à l’instar des dispositions en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale) (C‑788/19, EU:C:2022:55), l’article L. 23 C du LPF et l’article 755 du CGI aboutiraient de facto à écarter indéfiniment la prescription de l’action de l’administration fiscale portant sur des sommes détenues sur un compte bancaire ouvert à l’étranger et non déclaré à celle-ci.
17 La juridiction de renvoi relève que la réglementation française serait différente de la réglementation espagnole en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale) (C‑788/19, EU:C:2022:55), en ce que, premièrement, elle permettrait au contribuable de renverser la présomption selon laquelle les avoirs détenus à l’étranger, non déclarés dans les conditions de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées, constituent un patrimoine acquis à titre gratuit passible du taux le plus élevé des droits de mutation à titre gratuit. Deuxièmement, l’appréciation faite par l’administration fiscale des éléments de preuves qui lui sont soumis serait placée sous le contrôle du juge en cas de contestation par le contribuable. Troisièmement, le mécanisme prévu à l’article L. 23 C du LPF et à l’article 755 du CGI viserait non pas à sanctionner le contribuable qui a manqué à son obligation de déclaration par l’application d’un taux punitif, mais à établir l’assiette d’une imposition et à la liquider, le manquement à l’obligation de déclaration des avoirs détenus à l’étranger étant sanctionné par l’application d’autres dispositions.
18 Cependant, la juridiction de renvoi observe que le législateur français a institué un délai de prescription d’une durée de dix ans, dérogatoire au droit commun, qui, s’il ne paraît pas, par sa durée, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs que ce législateur s’est fixés, a pour point de départ la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, autrement dit un point de départ sans rapport avec la date d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger et avec les années au titre desquelles l’imposition de ces avoirs était normalement due. Un tel délai de prescription permettrait à l’administration fiscale de demander au contribuable de justifier de l’origine et des modalités d’acquisition desdits avoirs, y compris lorsqu’ils sont entrés dans son patrimoine plus de dix ans avant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, soit au cours d’une période prescrite et sans limitation de temps. Cette juridiction s’interroge ainsi sur les conséquences de l’effet d’imprescriptibilité induit par la réglementation nationale sur le principe de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 TFUE.
19 Dans ces conditions, le tribunal judiciaire de Nanterre a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le principe de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 [TFUE] doit-il être interprété en ce sens qu’il permet la taxation d’office prévue par les dispositions de l’article 755 du [CGI], des avoirs détenus à l’étranger qui n’ont pas été déclarés dans les conditions de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées, alors qu’il induit un effet d’imprescriptibilité lorsque le contribuable justifie que ces avoirs sont entrés dans son patrimoine au cours d’une période prescrite ?
2) Dans l’hypothèse où il serait répondu négativement à cette question, doit-il en être déduit que toute procédure de rectification fondée sur les dispositions précitées doit être annulée, et ce quand bien même, [...] dans le cas soumis au contrôle de l’administration fiscale, aucun effet d’imprescriptibilité [ne serait] induit ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
20 La Commission européenne émet des doutes quant à la recevabilité des deux questions préjudicielles, tandis que le gouvernement français conteste la recevabilité de la seconde question préjudicielle.
21 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
22 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
23 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2024, Karl und Georg Anwander Güterverwaltung, C‑239/23, EU:C:2024:888, point 82).
24 Selon une jurisprudence également constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour (arrêt du 17 octobre 2024, FA.RO. di YK & C., C‑16/23, EU:C:2024:886, point 35 et jurisprudence citée).
25 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la réglementation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].
26 Il importe également de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 2 arrêt du 28 novembre 2023, Commune d’Ans, C‑148/22, EU:C:2023:924, point 47 et jurisprudence citée).
27 En l’occurrence, s’agissant de la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi a exposé certains éléments du cadre juridique national, le déroulement de la procédure devant l’administration fiscale, ainsi que les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation de l’article 63 TFUE dans le litige au principal. Toutefois, les informations ainsi fournies n’apparaissent pas suffisantes pour permettre à la Cour de répondre de façon utile à cette première question.
28 Ainsi, par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à « la taxation d’office prévue par les dispositions de l’article 755 du [CGI] des avoirs détenus à l’étranger qui n’ont pas été déclarés dans les conditions de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées, alors qu’il induit un effet d’imprescriptibilité lorsque le contribuable justifie que ces avoirs sont entrés dans son patrimoine au cours d’une période prescrite ».
29 Or, premièrement, si, dans le libellé de la première question, la juridiction vise l’article 755 du CGI et l’article L. 23 C du LPF, dans les motifs de sa demande de décision préjudicielle, elle se réfère également à l’article L. 181-0 A du LPF dont il découle que le droit de reprise de l’administration peut s’exercer jusqu’à l’expiration de la dixième année suivant celle du fait générateur de l’impôt, qui correspondrait, en l’occurrence, à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, ainsi qu’au fait que le législateur français aurait institué un délai de prescription prolongé de dix ans qui aurait un point de départ sans rapport avec la date d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger et avec les années au titre desquelles l’imposition de ces sommes était normalement due. Un tel délai permettrait à l’administration fiscale de demander au contribuable de justifier de l’origine et des modalités d’acquisition de ces avoirs, y compris lorsqu’ils sont entrés dans son patrimoine plus de dix ans avant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, soit au cours d’une période prescrite et sans limitation dans le temps.
30 Par conséquent, ainsi que le relève également la Commission, il ne peut pas être déduit avec certitude de la formulation de la première question préjudicielle et des motifs de la demande de décision préjudicielle qui la sous-tendent quelles sont, selon la juridiction de renvoi, les dispositions nationales qui sont susceptibles de constituer une restriction à l’article 63 TFUE et, en particulier, si cette éventuelle restriction découle soit de l’article L. 23 C du LPF, notamment, eu égard au fait que la demande d’informations peut être adressée au contribuable dès lors qu’il a manqué à l’obligation de déclaration prévue aux articles 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du CGI au cours des dix années précédentes, soit de la taxation d’office prévue à l’article 755 du CGI, soit du délai prévu à l’article 181-0 A du LPF, soit de la combinaison de toutes ces dispositions ou encore de la circonstance que le point de départ du délai de prescription serait sans rapport avec la date d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger.
31 Ce manque de certitude a conduit la Commission à reformuler la première question comme visant à savoir si l’article 63 TFUE « s’oppose à la réglementation d’un État membre qui permet à l’administration de procéder au recouvrement de la taxation d’office des avoirs détenus à l’étranger dans les dix années suivant l’expiration des délais prévus dans le cadre d’une demande d’informations et [de] vérifications sur l’origine et [les] modalités d’acquisition desdits avoirs dès lors qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration spécifique prévue en droit national au cours des dix dernières années, et alors qu’ils ont été acquis au cours d’une période désormais prescrite », tandis que, selon le gouvernement français, cette question vise à savoir si l’article 63 TFUE « s’oppose à ce que des sommes, figurant sur un compte détenu à l’étranger, soient présumées constituer un patrimoine acquis à titre gratuit, et soient imposées en conséquence selon le régime correspondant en droit national, lorsque l’obligation de déclaration de ce compte a été méconnue et que l’origine et les modalités d’acquisition des sommes n’ont pas été justifiées ».
32 Or, dès lors qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales et qu’il lui incombe de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 17 mars 2022, Daimler, C‑232/20, EU:C:2022:196, point 92), la Cour doit pouvoir déduire de la demande de décision préjudicielle les prémisses sur lesquelles se fonde cette juridiction de renvoi dans le cadre de ses questions préjudicielles.
33 Lorsque, comme en l’occurrence, de telles prémisses ne peuvent pas être déduites avec certitude de la demande de décision préjudicielle, la Cour n’est pas en mesure de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi.
34 Deuxièmement, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de manière générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers (arrêt du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, point 26 ainsi que jurisprudence citée).
35 En particulier, la notion de restriction inclut les mesures étatiques qui sont de nature discriminatoire en ce qu’elles instituent, directement ou indirectement, une différence de traitement entre les mouvements nationaux de capitaux et les mouvements transfrontaliers de capitaux, qui ne correspond pas à une différence objective de situations et qui sont, partant, propres à dissuader des personnes physiques ou morales d’autres États membres ou de pays tiers d’effectuer des mouvements transfrontaliers de capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée). En outre, une réglementation nationale qui est indistinctement applicable aux opérateurs résidents et aux opérateurs non-résidents peut être constitutive d’une restriction à la libre circulation des capitaux, dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour, même une différenciation qui repose sur des critères objectifs peut, de fait, défavoriser les situations transfrontalières [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C‑342/20, EU:C:2022:276, point 54 et jurisprudence citée].
36 Il en découle que, afin d’apprécier l’existence d’une restriction à l’article 63 TFUE, il convient de comparer le traitement accordé à un contribuable dans une situation transfrontalière et celui accordé à un contribuable dans une situation purement nationale.
37 En l’occurrence, d’une part, le litige au principal porte sur les avoirs détenus sur des comptes bancaires ouverts par une personne physique ayant son domicile fiscal en France auprès d’un établissement financier situé dans un autre État membre et, d’autre part, les opérations en comptes courants et de dépôts auprès des établissements financiers, en particulier des établissements de crédit, constituent des mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, points 27, 28 et 30).
38 Par conséquent, afin d’apprécier l’existence d’une restriction à l’article 63 TFUE, il convient de vérifier si la réglementation en cause au principal conduit à un traitement moins favorable des contribuables détenant des avoirs auprès d’un établissement financier établi dans un autre État membre par rapport aux contribuables détenant des avoirs auprès des établissements financiers établis en France.
39 Or, à cet égard, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune information quant au cadre juridique national applicable aux avoirs détenus dans un établissement financier en France qui, à l’instar de ceux détenus dans un établissement d’un autre État membre, ne sont pas connus de l’administration fiscale française.
40 En l’absence de telles informations, la Cour n’est pas en mesure d’apporter une réponse utile à la première question de la juridiction de renvoi.
41 Dans ces conditions, la première question préjudicielle doit être déclarée comme étant manifestement irrecevable.
42 En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, celle-ci est posée dans l’hypothèse où la Cour jugerait que l’article 63 TFUE s’oppose à la réglementation nationale en cause au principal. Elle vise à savoir si toute procédure de rectification fondée sur cette réglementation doit être annulée, et ce quand bien même, dans le cas soumis au contrôle de l’administration fiscale, aucun effet d’imprescriptibilité ne serait induit.
43 Or, il convient de relever, d’une part, que la décision de renvoi ne comporte pas d’indication permettant de déterminer l’hypothèse factuelle sur laquelle la seconde question est fondée ainsi que les motifs pour lesquels une réponse à cette question serait nécessaire à la solution du litige au principal. D’autre part, la seconde question n’appelle de réponse, selon la juridiction de renvoi, qu’en cas de réponse négative à la première question. Or, celle-ci a été déclarée manifestement irrecevable.
44 Cette seconde question doit, dès lors, également être déclarée manifestement irrecevable.
45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.
46 Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare :
La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal judiciaire de Nanterre (France), par décision du 10 janvier 2024, parvenue à la Cour le 23 février 2024, est manifestement irrecevable.
Signatures
* Langue de procédure : le français.