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Dokuments 62024CC0188

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 18 septembre 2025.


Eiropas judikatūras identifikators (ECLI): ECLI:EU:C:2025:709

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 18 septembre 2025 (1)

Affaires jointes C188/24 et C190/24

WebGroup Czech Republic, a.s.,

NKL Associates s. r. o.

contre

Ministre de la Culture,

Premier ministre

en présence de :

Osez le féminisme !,

Le mouvement du Nid,

Les effronté-E-S (C188/24)

et

Coyote System

contre

Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer,

Premier ministre (C190/24)

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Commerce électronique – Directive 2000/31/CE – Services de la société de l’information – Domaine coordonné – Réglementation pénale interdisant de manière générale la fourniture de contenus pornographiques à des mineurs – Interdiction de rediffusion des informations fournies par les utilisateurs »






I.      Introduction

1.        Par les présentes demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur les pistes susceptibles de permettre à un État membre de destination d’un service de la société de l’information d’appliquer à un prestataire de ce service, établi dans un autre État membre, des mesures nationales relevant de l’ordre juridique de ce premier État membre.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2000/31/CE

2.        L’article 1er de la directive 2000/31/CE (2), intitulé « Objectif et champ d’application », dispose, à ses paragraphes 2 et 5 :

« 2.      La présente directive rapproche, dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif visé au paragraphe 1, certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information et qui concernent le marché intérieur, l’établissement des prestataires, les communications commerciales, les contrats par voie électronique, la responsabilité des intermédiaires, les codes de conduite, le règlement extrajudiciaire des litiges, les recours juridictionnels et la coopération entre États membres.

[...]

5.      La présente directive n’est pas applicable :

a)      au domaine de la fiscalité ;

b)      aux questions relatives aux services de la société de l’information couvertes par les directives 95/46/CE [(3)]et 97/66/CE [(4)] ;

c)      aux questions relatives aux accords ou pratiques régis par le droit sur les ententes ;

d)      aux activités suivantes des services de la société de l’information :

–        les activités de notaire ou les professions équivalentes, dans la mesure où elles comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique,

–        la représentation d’un client et la défense de ses intérêts devant les tribunaux,

–        les activités de jeux d’argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans des jeux de hasard, y compris les loteries et les transactions portant sur des paris. »

3.        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit à son point h) que, aux fins de celle-ci, on entend par :

« “domaine coordonné” : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux.

i)      Le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent :

–        l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences en matière de qualification, d’autorisation ou de notification,

–        l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire.

ii)      Le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que :

–        les exigences applicables aux biens en tant que tels,

–        les exigences applicables à la livraison de biens,

–        les exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique. »

4.        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Marché intérieur », dispose :

« 1.      Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.

2.      Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne sont pas applicables aux domaines visés à l’annexe.

4.      Les États membres peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les conditions suivantes sont remplies :

a)      les mesures doivent être :

i)      nécessaires pour une des raisons suivantes :

–        l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,

[...]

ii)      prises à l’encontre d’un service de la société de l’information qui porte atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui constitue un risque sérieux et grave d’atteinte à ces objectifs ;

iii)      proportionnelles à ces objectifs ;

b)      l’État membre a préalablement et sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale :

–        demandé à l’État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et ce dernier n’en a pas pris ou elles n’ont pas été suffisantes,

–        notifié à la Commission et à l’État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.

5.      Les États membres peuvent, en cas d’urgence, déroger aux conditions prévues au paragraphe 4, point b). Dans ce cas, les mesures sont notifiées dans les plus brefs délais à la Commission et à l’État membre visé au paragraphe 1, en indiquant les raisons pour lesquelles l’État membre estime qu’il y a urgence.

[...] »

5.        Les articles 12 à 14 de la même directive, qui figurent à la section 4, intitulée « Responsabilité des prestataires intermédiaires », du chapitre II, intitulé « Principes », visent un prestataire de services de la société de l’information qui exerce, respectivement, une activité de simple transport (« mere conduit »), une forme de stockage dite « caching » ou une activité d’hébergement. Ces dispositions déterminent également les conditions en vertu desquelles de tels prestataires sont exonérés de responsabilité pour les informations provenant des utilisateurs de leurs services.

6.        En particulier, l’article 14 de la directive 2000/31, intitulé « Hébergement », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a)      le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b)      le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.

3.      Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. »

7.        L’article 15 de cette directive, intitulé « Absence d’obligation générale en matière de surveillance », prévoit :

« 1.      Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2.      Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. »

2.      La directive 2010/13/UE

8.        L’article 28 ter de la directive 2010/13/UE (5) dispose :

« 1.      Sans préjudice des articles 12 à 15 de la [directive 2000/31], les États membres veillent à ce que les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos relevant de leur compétence prennent les mesures appropriées pour protéger :

a)      les mineurs des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral, conformément à l’article 6 bis, paragraphe 1 ;

[...]

3.      Aux fins de l’application des paragraphes 1 et 2, les mesures appropriées sont déterminées en prenant en considération la nature du contenu en question, le préjudice qu’il pourrait causer, les caractéristiques de la catégorie des personnes à protéger ainsi que les droits et les intérêts légitimes en jeu, y compris ceux des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos et ceux des utilisateurs qui ont créé le contenu ou l’ont mis en ligne, ainsi que l’intérêt public général.

Les États membres veillent à ce que tous les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos relevant de leur juridiction appliquent ces mesures. Ces mesures sont réalisables et proportionnées, compte tenu de la taille du service de plateformes de partage de vidéos et de la nature du service fourni. Ces mesures n’entraînent pas de mesures de contrôle ex ante ni de filtrage de contenus au moment de la mise en ligne qui ne soient pas conformes à l’article 15 de la [directive 2000/31]. Aux fins de la protection des mineurs prévue au paragraphe 1, point a), du présent article, les contenus les plus préjudiciables sont soumis aux mesures de contrôle d’accès les plus strictes.

Ces mesures consistent, selon ce qui est approprié, à :

a)      inclure et appliquer, dans les conditions des services de plateformes de partage de vidéos, les exigences visées au paragraphe 1 ;

[...]

f)      mettre en place et utiliser des systèmes permettant de vérifier l’âge des utilisateurs des plateformes de partage de vidéos en ce qui concerne les contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ;

[...]

h)      prévoir des systèmes de contrôle parental dont les utilisateurs finaux ont le contrôle en ce qui concerne les contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ;

i)      mettre en place et utiliser des procédures transparentes, faciles à utiliser et efficaces pour le traitement et la résolution des réclamations des utilisateurs auprès du fournisseur de plateformes de partage de vidéos en lien avec la mise en œuvre des mesures visées aux points d) à h) ;

[...]

4.      Aux fins de la mise en œuvre des mesures visées aux paragraphes 1 et 3 du présent article, les États membres encouragent l’utilisation de la corégulation visée à l’article 4 bis, paragraphe 1.

5.      Les États membres mettent en place les mécanismes nécessaires pour évaluer le caractère approprié des mesures visées au paragraphe 3 qui sont prises par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos. Les États membres confient l’évaluation de ces mesures aux autorités ou organismes de régulation nationaux.

6.      Les États membres peuvent imposer aux fournisseurs de plateformes de partage de vidéos des mesures plus détaillées ou plus strictes que les mesures visées au paragraphe 3 du présent article. Lorsqu’ils adoptent ces mesures, les États membres satisfont aux exigences fixées par le droit de l’Union applicable, telles que celles prévues aux articles 12 à 15 de la [directive 2000/31] ou à l’article 25 de la directive 2011/93/UE [(6)].

[...] »

B.      Le droit français

1.      L’affaire C188/24

9.        L’article 227-24 du code pénal dispose :

« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. »

10.      L’article 23 de la loi no 2020-936, du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales (7), telle que modifiée par la loi no 2021-1382, du 25 octobre 2021, relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique (8) (ci-après la « loi du 30 juillet 2020 ») dispose (9) :

« Lorsqu’il constate qu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227‑24 du code pénal, le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [(ARCOM)] adresse à cette personne [...] une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. [...]

À l’expiration [d’un délai de quinze jours], en cas d’inexécution de l’injonction [...] et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président de l’[ARCOM] peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner [qu’il soit mis fin à l’accès à ce service et à son référencement par un moteur de recherche ou un annuaire] ».

11.      Les conditions d’application de l’article 23 de cette loi ont été précisées dans le décret no 2021-1306, du 7 octobre 2021, relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique (10) (ci-après le « décret du 7 octobre 2021 »). Aux termes de l’article 3 de ce décret, « [p]our apprécier [...] si la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique [...], le président [de l’ARCOM] tient compte du niveau de fiabilité du procédé technique mis en place par cette personne afin de s’assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs ».

2.      L’affaire C190/24

12.      L’article L. 130-11 du code de la route dispose :

« I. - Lorsqu’est réalisé sur une voie ouverte ou non à la circulation publique un contrôle routier impliquant l’interception des véhicules et destiné soit à procéder aux opérations prévues aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou aux articles 78-2-2 ou 78-2-4 du code de procédure pénale, soit à vérifier que les conducteurs ou passagers ne font pas l’objet de recherches ordonnées par les autorités judiciaires pour des crimes ou délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement ou ne sont pas inscrits dans le fichier mentionné à l’article 230-19 du même code à raison de la menace qu’ils constituent pour l’ordre ou la sécurité publics ou parce qu’ils font l’objet d’une décision de placement d’office en établissement psychiatrique ou se sont évadés d’un tel établissement, il peut être interdit par l’autorité administrative à tout exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs de ce service dès lors que cette rediffusion est susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire au contrôle.

L’interdiction de rediffusion mentionnée au premier alinéa du présent I consiste, pour tout exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation, à occulter, pour toutes les voies ou portions de voies qui lui sont désignées par l’autorité compétente, tous les messages et indications qu’il aurait habituellement rediffusés aux utilisateurs dans un mode de fonctionnement normal du service. La durée de cette interdiction ne peut excéder deux heures si le contrôle routier concerne une opération prévue aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou douze heures s’il concerne une autre opération mentionnée au premier alinéa du présent I. Les voies ou portions de voies concernées ne peuvent s’étendre au-delà d’un rayon de dix kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé hors agglomération et au-delà de deux kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé en agglomération.

[...] »

13.      L’article L. 130-12 de ce code prévoit qu’une infraction à l’interdiction de diffusion, prévue à l’article L. 130-11 de celui-ci, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

14.      Le décret no 2021-468, du 19 avril 2021, portant application de l’article L. 130-11 du code de la route (11) (ci-après le « décret du 19 avril 2021 ») précise les modalités de mise en œuvre de cet article. L’article 1er de ce décret a inséré l’article R. 130-12 de ce code qui prévoit, notamment, que « [l]a décision d’interdiction de rediffusion précise les voies ou portions de voies concernées et définit la date et les heures de commencement et de fin de cette interdiction » et que « [l]es informations relatives à l’interdiction de rediffusion, à l’exclusion de toute information relative aux motifs du contrôle routier concerné, sont communiquées aux exploitants de service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation au moyen d’un système d’information [...] ».

III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A.      L’affaire C188/24

15.      Les requérantes au principal, les sociétés Webgroup Czech Republic et NKL Associates s.r.o., dont le siège social est à Prague (République tchèque), exploitent des sites web à caractère pornographique. Le président de l’ARCOM leur a adressé une mise en demeure en vertu de l’article 227-24 du code pénal et de l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020 (12).

16.      S’agissant de l’article 227-24 du code pénal, il interdit à toute personne de diffuser un message à caractère pornographique qui soit susceptible d’être vu par un mineur. Quant à l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020, il a précisé que cette infraction était constituée « y compris si l’accès d’un mineur aux messages [en question] résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans ». Par ailleurs, l’article 23 de cette loi – dont les conditions d’application ont été précisées dans le décret du 7 octobre 2021 – a conféré au président de l’ARCOM le pouvoir d’adresser une mise en demeure à la personne qui ne respecte pas cette interdiction.

17.      Les requérantes au principal ont contesté ces mises en demeure devant le tribunal judiciaire de Paris (France) (13) et ont, en parallèle, saisi le Conseil d’État (France), en premier et dernier ressort, d’un recours visant à l’annulation des dispositions du décret du 7 octobre 2021. À l’appui de leur recours, elles ont invoqué, notamment, la méconnaissance du droit de l’Union. Le même grief est soulevé, par voie d’exception, à l’encontre des dispositions de la loi du 30 juillet 2020. Les deux requêtes ont été jointes aux fins de la décision de cette juridiction.

18.      Dans leurs requêtes, les requérantes au principal soutiennent, notamment, que les objectifs de la directive 2000/31 ont été méconnus en ce que les dispositions du décret du 7 octobre 2021 imposent des mesures de caractère général et abstrait visant une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant à tout prestataire de cette catégorie de services.

19.      Eu égard à l’objet et à la nature du litige, plusieurs associations ont été admises à intervenir dans la procédure au principal, notamment « Les effronté-E-S », qui soutient que les moyens soulevés par les requérantes au principal ne sont pas fondés.

20.      C’est dans ces circonstances que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      En premier lieu, des dispositions relevant du droit pénal, notamment des dispositions générales et abstraites qui désignent certains agissements comme constitutifs d’une infraction pénale susceptible de poursuites, doivent-elles être regardées comme relevant du “domaine coordonné” par la [directive 2000/31] lorsqu’elles sont susceptibles de s’appliquer tant au comportement d’un prestataire de services de la société de l’information qu’à celui de toute autre personne physique ou morale, ou faut-il considérer, dès lors que cette directive a pour seul objet d’harmoniser certains aspects juridiques de ces services sans harmoniser le domaine du droit pénal en tant que tel et qu’elle ne pose que des exigences applicables aux services, que de telles dispositions pénales ne sauraient être regardées comme des exigences applicables à l’accès et à l’exercice de l’activité de services de la société de l’information relevant du “domaine coordonné” par [ladite] directive ? En particulier, des dispositions pénales destinées à assurer la protection des mineurs entrent-elles dans le champ de ce “domaine coordonné” ?

2)      Le fait d’imposer à des éditeurs de services de communication en ligne de mettre en œuvre des dispositifs destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques qu’ils diffusent doit-il être regardé comme relevant du “domaine coordonné” par la [directive 2000/31], qui n’harmonise que certains aspects juridiques des services concernés, alors que, si cette obligation concerne l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, en ce qu’elle porte sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, elle ne concerne cependant ni l’établissement des prestataires, ni les communications commerciales, ni les contrats par voie électronique, ni le régime de responsabilité des intermédiaires, ni les codes de conduite, ni le règlement extrajudiciaire des litiges, ni les recours juridictionnels et la coopération entre États membres, et ne porte donc sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation de son chapitre II ?

3)      En cas de réponse affirmative aux questions précédentes, comment doit s’opérer la conciliation entre les exigences résultant de la [directive 2000/31] et celles qui découlent de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne, plus particulièrement de la protection de la dignité humaine et de l’intérêt supérieur de l’enfant, garantis par les articles 1er et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la “Charte”)] et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [(14)], lorsque la seule adoption de mesures individuelles prises à l’égard d’un service donné n’apparaît pas de nature à assurer la protection effective de ces droits ? Existe-t-il un principe général du droit de [l’Union] qui autoriserait les États membres à prendre, notamment en cas d’urgence, les mesures – y compris lorsqu’elles sont générales et abstraites à l’égard d’une catégorie de prestataires de services – qu’impose la protection des mineurs contre les atteintes à leur dignité et à leur intégrité, en dérogeant lorsque cela est nécessaire, à l’égard de prestataires régis par la [directive 2000/31], au principe de régulation de ceux-ci par leur État d’origine posé par cette directive ? »

B.      L’affaire C190/24

21.      La société Coyote System, établie en France, fournit un service répondant en droit français à la qualification de « service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation » énoncée à l’article L. 130‑11 du code de la route.

22.      Cette disposition permet à l’autorité administrative compétente d’interdire aux exploitants de ce type de services de rediffuser, pendant une période et dans un périmètre géographique limités, les messages de leurs utilisateurs susceptibles de révéler la localisation des contrôles d’alcoolémie et d’usage de stupéfiants ainsi que certaines opérations de police judiciaire, par exemple à l’encontre de personnes recherchées pour crimes ou délits graves ou parce qu’elles se seraient évadées d’un établissement psychiatrique (ci-après l’« interdiction de rediffusion en cause »). Le décret du 19 avril 2021 a défini les conditions uniformes d’exercice de ce pouvoir.

23.      Coyote System a introduit devant le Conseil d’État un recours visant à l’annulation de ce décret. À l’appui de ce recours, cette société a invoqué, notamment, la méconnaissance des objectifs et de l’article 15 de la directive 2000/31. Le même grief est également soulevé, par voie d’exception, à l’encontre de l’article L. 130-11 du code de la route.

24.      C’est dans ces circonstances que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’interdiction faite aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs et susceptibles de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire à certains contrôles routiers doit-elle être regardée comme faisant partie du “domaine coordonné” tel que prévu par la [directive 2000/31], alors que, si elle concerne l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, en ce qu’elle porte sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, elle ne concerne cependant ni l’établissement des prestataires, ni les communications commerciales, ni les contrats par voie électronique, ni la responsabilité des intermédiaires, ni les codes de conduite, ni le règlement extrajudiciaire des litiges, ni les recours juridictionnels et la coopération entre États membres, et ne porte donc sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation de son chapitre II ?

2)      Une interdiction de rediffusion qui a pour objet d’éviter notamment que des personnes recherchées pour des crimes ou délits, ou qui présentent une menace pour l’ordre ou la sécurité publics, ne puissent se soustraire à des contrôles routiers entre-t-elle dans le champ des exigences relatives à l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information qu’un État membre ne pourrait imposer à des prestataires en provenance d’un autre État membre alors que le considérant 26 de la [directive 2000/31] précise que celle-ci ne prive pas les États membres de la faculté d’appliquer leurs règles nationales de droit pénal et de procédure pénale pour engager toutes les mesures d’enquêtes et autres nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale ?

3)      L’article 15 de la [directive 2000/31], qui interdit que soit imposée aux prestataires de services qu’il vise une obligation générale en matière de surveillance, hormis les obligations applicables à un cas spécifique, doit-il être interprété en ce sens qu’il ferait obstacle à l’application d’un dispositif qui se borne à prévoir que puisse être imposé aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de ne pas rediffuser ponctuellement, dans le cadre de ce service, certaines catégories de messages ou d’indication, sans que l’exploitant ait pour cela à prendre connaissance de leur contenu ? »

IV.    La procédure devant la Cour

25.      Les affaires C‑190/24 et C‑188/24 ont été jointes aux fins de la phase écrite et de la phase orale de la procédure ainsi que de l’arrêt. Une audience de plaidoiries commune s’est tenue le 24 mars 2025, au cours de laquelle Webgroup et NKL Associates, Coyote System, Les effronté-E-S, les gouvernements français, tchèque et norvégien, ainsi que la Commission européenne ont présenté leurs observations orales.

V.      Analyse

26.      Les questions préjudicielles dans les présentes affaires visent des dispositions de la directive 2000/31 et, avant tout, le mécanisme établi par son article 3 ainsi que la notion centrale de ce mécanisme, à savoir celle de « domaine coordonné », au sens de l’article 2, sous h), de cette directive.

27.      Avant d’entamer l’analyse des questions préjudicielles, je formulerai, à titre liminaire, quelques observations concernant ce mécanisme (section A). Je compléterai ces observations en abordant la dimension transfrontalière des procédures au principal qui, comme je le montrerai, n’est pas dépourvue de pertinence compte tenu de l’objet des présentes questions préjudicielles (section B). Je clarifierai ensuite la portée de ces questions avant d’expliquer la structure de mon analyse (section C). Enfin, je procéderai à l’examen desdites questions (sections D et E).

A.      Sur le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31

28.      En premier lieu, j’observe que l’article 3 de la directive 2000/31 vise uniquement les prestataires de services de la société de l’information et que la juridiction de renvoi part de la prémisse que les services relevant du champ d’application des dispositions nationales en cause – dont la validité est contestée – constituent de tels services.

29.      En second lieu, je relève que le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 – dont la notion centrale est le « domaine coordonné » – joue un rôle uniquement dans les situations transfrontalières où un prestataire d’un service de la société de l’information établi dans un État membre est susceptible d’être confronté à une mesure adoptée par un autre État membre (15).

30.      En effet, l’article 3 de la directive 2000/31 prévoit, à son paragraphe 1, que chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné. Par ailleurs, le paragraphe 2 de cet article précise que les États membres ne peuvent, « pour des raisons relevant du domaine coordonné », restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre. Exceptionnellement, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de cette directive, un État membre peut prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au principe de libre circulation des services de la société de l’information à plusieurs conditions cumulatives prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a) (conditions de fond), et à l’article 3, paragraphe 4, sous b) (conditions procédurales), de ladite directive.

31.      Bien que la formulation « pour des raisons relevant du domaine coordonné », figurant à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31, puisse susciter des doutes d’interprétation, il ressort de la jurisprudence que cette directive repose sur l’application des principes de contrôle dans l’État membre d’origine et de reconnaissance mutuelle. Ainsi, dans le cadre du domaine coordonné défini à l’article 2, sous h), de ladite directive, les services de la société de l’information sont réglementés dans le seul État membre sur le territoire duquel les prestataires de ces services sont établis (16).

B.      Sur la dimension transfrontalière des affaires en cause au principal

32.      Les présentes affaires concernent notamment l’interprétation de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, qui définit la notion de « domaine coordonné ». À cet égard, ainsi que je l’ai déjà observé (17), le mécanisme établi à l’article 3 de cette directive – dont la notion centrale est le « domaine coordonné » – joue un rôle uniquement dans les situations transfrontalières.

33.      En l’occurrence, la requérante au principal dans l’affaire C‑190/24, Coyote System, est établie en France, et le renvoi préjudiciel émane d’une juridiction française. De prime abord, il est donc légitime de se demander si les réponses à donner aux questions préjudicielles portant sur le domaine coordonné sont pertinentes aux fins de la procédure au principal correspondante.

34.      À ce propos, il convient de relever que Coyote System a introduit devant le Conseil d’État non pas un recours dans le cadre d’une procédure administrative la concernant directement, mais un recours autonome en annulation pour excès de pouvoir, à l’instar des requérantes au principal dans l’affaire C‑188/24. En outre, il a été confirmé lors de l’audience que, dans le cadre de cette procédure, le Conseil d’État effectue un contrôle in abstracto de la légalité des dispositions contestées. En conséquence, les caractéristiques propres de Coyote System ne semblent restreindre ni les griefs que cette société peut soulever dans le cadre de son recours devant le Conseil d’État ni la compétence de cette juridiction. Il s’ensuit que les questions préjudicielles dans l’affaire C‑190/24 sont pertinentes aux fins de la procédure au principal correspondante et qu’il convient d’y répondre.

C.      Observations liminaires sur les questions préjudicielles

1.      Mesures nationales en cause

35.      Les questions préjudicielles posées dans les présentes affaires portent sur des mesures nationales que la République française entend également imposer aux prestataires de services de la société de l’information établis dans les autres États membres.

36.      S’agissant de l’affaire C‑188/24, les mesures en cause portent sur l’obligation faite aux éditeurs des services de communication en ligne de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques qu’ils diffusent (ci-après l’« obligation en cause »).

37.      À cet égard, les dispositions nationales dont la légalité est contestée au principal confèrent à une autorité compétente le pouvoir d’adresser à un éditeur d’un service de communication en ligne une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs aux contenus à caractère pornographique (18). Toutefois, l’obligation visée par les questions préjudicielles résulte non pas d’une telle mise en demeure, mais des dispositions générales et abstraites qui sanctionnent pénalement le fait de donner accès au contenu à caractère pornographique à un mineur sur la base d’une simple déclaration d’âge (19).

38.      En effet, la juridiction de renvoi précise que les requérantes au principal font valoir que les dispositions contestées ne se limitent pas à prévoir une procédure permettant à une autorité administrative d’enjoindre à un prestataire de mettre fin à une violation, mais qu’elles ont également pour effet, eu égard à la substance de l’infraction pénale en cause, précisée par l’ajout, à l’article 227-24 du code pénal, de dispositions issues de l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020, de contraindre les prestataires de services établis dans d’autres États membres à mettre en place des dispositifs techniques de blocage de l’accès des mineurs aux contenus qu’ils diffusent (20).

39.      S’agissant de l’affaire C‑190/24, les mesures nationales en cause portent sur une interdiction de rediffusion, imposée aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation, de rediffuser, comme ils le feraient habituellement dans un mode de fonctionnement normal du service, des messages et indications émis par les utilisateurs de celui-ci.

2.      Questions préjudicielles et structure de l’analyse

40.      Les questions préjudicielles dans les deux affaires se recoupent partiellement et portent sur des problématiques communes.

41.      La première question préjudicielle dans l’affaire C‑188/24 et la deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑190/24 visent à savoir si les mesures nationales en cause relèvent du domaine coordonné au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, nonobstant la circonstance que ces mesures ne portent sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

42.      Par ailleurs, la deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑188/24 et la première question préjudicielle dans l’affaire C‑190/24 visent à déterminer si les mesures nationales en cause sont exclues du domaine coordonné au motif qu’elles constituent, respectivement, un corollaire de dispositions générales et abstraites relevant du droit pénal et une mesure nécessaire afin d’assurer l’efficacité des contrôles routiers.

43.      En revanche, les troisièmes questions préjudicielles dans ces affaires soulèvent des problématiques distinctes. En effet, la troisième question préjudicielle dans l’affaire C‑188/24 porte sur la conciliation entre les exigences de la directive 2000/31 et celles qui découlent de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Quant à la troisième question préjudicielle dans l’affaire C‑190/24, elle porte sur l’interprétation de l’article 15 de cette directive et tend à déterminer si l’interdiction d’imposer une obligation générale de surveillance, prévue à cette disposition, fait obstacle à l’application de l’interdiction de rediffusion en cause.

44.      Eu égard aux différences que présentent les affaires C‑188/24 et C‑190/24 et en vue de faciliter la lecture des présentes conclusions, j’examinerai séparément chaque affaire et les questions qui y sont soulevées.

D.      L’affaire C188/24

45.      Mon analyse des problèmes juridiques soulevés dans l’affaire C‑188/24 exige de modifier l’ordre des questions posées par la juridiction de renvoi.

46.      Ainsi, j’analyserai tout d’abord la problématique de l’articulation entre l’étendue du domaine cordonné et l’harmonisation réalisée au niveau du droit de l’Union par la directive 2000/31, en vérifiant également si l’obligation en cause constitue une exigence qui, a priori, relève du domaine coordonné (deuxième question préjudicielle). Je me pencherai ensuite sur l’articulation entre ce domaine et celui du droit pénal (première question préjudicielle). Enfin, j’examinerai si l’obligation en cause, à supposer que cette directive s’oppose à ce qu’elle soit imposée aux prestataires établis dans les autres États membres, peut tout de même être appliquée à ces derniers par le truchement des droits fondamentaux (troisième question préjudicielle).

1.      Sur la deuxième question préjudicielle

a)      Portée de la deuxième question préjudicielle

47.      La deuxième question préjudicielle vise à savoir, en substance, si le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe l’obligation pesant sur les éditeurs de services de communication en ligne de mettre en place des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques qu’ils diffusent, nonobstant la circonstance que cette obligation ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

48.      À titre liminaire, j’observe que si cette question fait référence au chapitre II de la directive 2000/31, les matières qu’elle vise sont régies non pas uniquement par ce chapitre, mais également par le chapitre III. En effet, l’établissement des prestataires (article 4), les communications commerciales (articles 6 à 8), les contrats par voie électronique (articles 9 à 11), le régime de responsabilité des intermédiaires (articles 12 à 15), les codes de conduite (article 16), le règlement extrajudiciaire des litiges (article 17), les recours juridictionnels (article 18) et la coopération entre États membres (article 19) sont régis par les chapitres II et III de cette directive qui regroupent, respectivement, les articles 4 à 15 et les articles 16 à 20.

49.      S’agissant de l’examen de cette question, il convient, dans un premier temps, de clarifier si le domaine coordonné comprend les matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de la directive 2000/31 et, dans l’affirmative, de vérifier dans un second temps, in concreto, si la mesure nationale en cause relève du domaine coordonné.

50.      En effet, d’une part, la juridiction de renvoi pose comme prémisse que cette mesure nationale ne porte pas sur les aspects harmonisés par les chapitres II et III de la directive 2000/31. Il y a lieu de constater que cela ne fait aucun doute.

51.      D’autre part, la formulation de ladite question laisse entendre que cette juridiction pose également comme prémisse que, sous réserve de la réponse à donner à la question de savoir si le domaine coordonné se limite aux matières visées par les chapitres II et III de la directive 2000/31, la mesure nationale en cause relève du domaine coordonné en tant qu’exigence relative à l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information. Je considère que c’est le cas. Toutefois, par souci d’exhaustivité et dès lors que plusieurs parties contestent cette prémisse, je vérifierai si cette mesure constitue une telle exigence.

b)      Étendue du domaine cordonné et harmonisation réalisée par la directive 2000/31

52.      Le gouvernement français fait valoir, dans ses observations écrites, que la directive 2000/31 établit un lien entre le domaine coordonné et le domaine qu’elle harmonise. Ce gouvernement soutient que les dispositions générales figurant dans la partie introductive d’un acte de droit dérivé ont vocation, en principe, à éclairer le contenu de la partie substantielle de cet acte. Ces dispositions générales devraient ainsi être lues en rapport avec le reste du texte de droit dérivé. Il s’ensuivrait que seules les dispositions nationales adoptées afin de transposer en droit interne les chapitres II et III de cette directive devraient être « coordonnées » conformément à l’article 3 de celle-ci.

53.      Or, rien dans la directive 2000/31 ne permet de conclure que l’étendue du domaine coordonné est circonscrite aux matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

54.      En premier lieu, la directive 2000/31 a au contraire pour objectif, selon son article 1er, paragraphe 1, de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres. Par ailleurs, selon son article 1er, paragraphe 2, cette directive rapproche, dans la mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif, certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information et qui concernent, outre les questions régies par les chapitres II et III de ladite directive, le marché intérieur.

55.      À ce dernier égard, il convient de relever que la logique du mécanisme relatif au marché intérieur des services de la société de l’information, établi à l’article 3 de la directive 2000/31, est différente de celle des dispositions des chapitres II et III de celle-ci. En effet, ce mécanisme a pour objet, en substance, de soumettre les services de la société de l’information en principe au régime juridique de l’État membre dans lequel le prestataire est établi (21) tandis que ces dispositions visent à harmoniser certains aspects spécifiques du commerce électronique.

56.      Plus important encore, le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 présente avant tout un intérêt en l’absence de dispositions d’harmonisation, lorsqu’un État membre souhaite imposer à un prestataire établi dans un autre État membre des dispositions nationales qui ne correspondent pas à celles que cet autre État membre a adoptées.

57.      En effet, ainsi que je l’ai déjà clarifié (22), ce mécanisme repose sur l’application des principes de contrôle dans l’État membre d’origine et de reconnaissance mutuelle, de telle sorte que, dans le cadre du domaine coordonné défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, les services de la société de l’information sont réglementés dans le seul État membre sur le territoire duquel les prestataires de ces services sont établis (23).

58.      En conséquence, il incombe d’une part à chaque État membre, en tant qu’État membre d’origine de services de la société de l’information, de réglementer ces services et, à ce titre, de protéger les objectifs d’intérêt général mentionnés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31. Un État membre d’origine peut imposer des obligations aux prestataires de services de la société de l’information afin de garantir la réalisation de ces objectifs. D’autre part, conformément au principe de reconnaissance mutuelle, il appartient à chaque État membre, en tant qu’État membre de destination de services de la société de l’information, de ne pas restreindre la libre circulation de ces services en exigeant le respect d’obligations supplémentaires, relevant du domaine coordonné, qu’il aurait adoptées (24).

59.      Dès lors, afin d’assurer l’effet utile du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 et d’en permettre la pleine mise en œuvre, conformément à son objectif (25), l’étendue du domaine coordonné ne saurait être circonscrite aux matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive (26).

60.      En deuxième lieu, l’article 2, sous h), de la directive 2000/31 met l’accent sur le fait que le domaine coordonné englobe les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres qui s’appliquent aux prestataires de services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information. Cette formulation est suffisamment large pour englober également des dispositions purement nationales qui ne trouvent pas leur origine dans le droit de l’Union. En outre, elle contraste avec celle employée à l’article 7 de cette directive, qui, s’agissant des communications commerciales non sollicitées, fait référence aux exigences prévues par le droit de l’Union (27).

61.      En troisième lieu, le considérant 21 de la directive 2000/31 précise que « [l]a portée du domaine coordonné est sans préjudice d’une future harmonisation communautaire concernant les services de la société de l’information et de futures législations adoptées au niveau national conformément au droit communautaire ». Cette précision constitue un indice du fait que, à ce stade, le domaine coordonné couvre également les exigences prévues au niveau national qui ne trouvent pas leur origine dans le droit harmonisé de l’Union.

62.      En quatrième lieu, l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/31 prévoit que le mécanisme établi à cet article ne s’applique pas dans les cas énumérés à l’annexe de celle-ci, qui relèvent d’autres actes juridiques du droit de l’Union ou du droit des obligations des États membres. Or, si le domaine coordonné se limitait aux matières régies par les chapitres II et III de cette directive, il ne serait pas nécessaire d’exclure du champ d’application de ce mécanisme les cas régis par les actes juridiques du droit de l’Union autres que ladite directive ou ceux relevant du droit des obligations. En effet, ces cas ne font pas l’objet de l’harmonisation réalisée par les chapitres II et III de cette même directive et ne relèveraient donc pas du domaine coordonné.

63.      Enfin, en cinquième lieu et comme l’a observé à juste titre Coyote System, cette interprétation est corroborée par la jurisprudence de la Cour. En effet, pour déterminer si une législation nationale relève du domaine coordonné au sens de la directive 2000/31, la Cour se borne à vérifier qu’elle est incluse dans le champ de la définition de ce domaine établie à l’article 2, sous h), de cette directive. En revanche, elle ne vérifie pas si les mesures en cause relèvent de l’une des matières régies par les chapitres II et III de ladite directive (28).

64.      Il y a donc lieu de considérer que le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe les exigences qui concernent l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information également lorsque ces exigences ne portent pas sur les matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

65.      Il convient maintenant d’examiner in concreto si la mesure nationale en cause relève du domaine coordonné au sens de la directive 2000/31. Je souligne que cet examen fait abstraction du point de savoir si cette mesure est exclue du domaine coordonné au motif qu’elle relève du droit pénal : cette problématique fait l’objet de la première question préjudicielle dans cette affaire, que j’examinerai dans une section ultérieure des présentes conclusions.

66.      Dans ces conditions, il y a lieu d’apporter quelques précisions sur la notion de « domaine coordonné », au sens de la directive 2000/31.

c)      Exigences relevant du domaine coordonné

67.      L’article 2, sous h), de la directive 2000/31 définit la notion de « domaine coordonné » comme « les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux ».

68.      En outre, l’article 2, sous h), i), de cette directive prévoit que le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information ainsi que son exercice. Cette disposition précise que les exigences d’exercice portent, notamment, sur le comportement du prestataire et la qualité ou le contenu de son service.

69.      Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que les exigences relevant du domaine coordonné ont pour objet d’indiquer comment mener l’activité d’un service de la société de l’information afin de pouvoir l’exercer de manière légale (29). Quelle que soit la nature de la responsabilité susceptible d’être engagée en raison du non-respect de telles obligations (civile, administrative, pénale, etc.), l’objet de ces dernières revêt une importance déterminante. En effet, une exigence au sens de la directive 2000/31 doit tout de même concerner l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information ou l’exercice de cette activité.

70.      Or, l’article 2, sous h), ii), de la directive 2000/31 prévoit que le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que celles applicables aux biens en tant que tels, à la livraison de biens et aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique. Il est vrai que cette disposition emploie une formulation ouverte (« telles que »). L’intention du législateur de l’Union quant à ces limitations de l’étendue du domaine cordonné ressort cependant de manière claire du considérant 21 de cette directive. En effet, comme le précise ce considérant (30), le domaine coordonné ne couvre que les exigences relatives aux activités en ligne.

71.      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de vérifier si une obligation telle que celle prévue par la mesure nationale en cause constitue une exigence relative à l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information.

d)      Obligation de mettre en œuvre les dispositifs techniques en cause

72.      Pour vérifier si l’obligation pesant sur les éditeurs de services de communication en ligne de mettre en place des dispositifs techniques relève du domaine coordonné, il convient de déterminer si celle-ci concerne l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information ou l’exercice de cette activité.

73.      La Cour a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question de savoir si une réglementation nationale imposant à des pharmacies qui vendent des médicaments en ligne l’obligation d’insérer un questionnaire de santé dans le processus de commande relevait du domaine coordonné, au sens de la directive 2000/31. Cette réglementation subordonnait la validation de la première commande de médicaments effectuée par un patient sur le site web d’une officine au remplissage préalable d’un questionnaire de santé en ligne (31).

74.      Dans son arrêt, la Cour s’est référée à l’article 2, sous h), i), de la directive 2000/31 qui prévoit que le « domaine coordonné » englobe les exigences portant sur l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le contenu du service, y compris en matière de contrat, et a répondu à cette question par l’affirmative (32).

75.      En effet, la Cour a considéré que la mesure en cause au principal encadrait les conditions dans lesquelles le contrat de vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale pouvait être conclu ainsi que la manière dont l’activité de vente et de conseil du pharmacien devait être exercée en ligne (33). J’en déduis qu’une mesure nationale qui impose à un prestataire de service de la société de l’information une obligation d’établir les modalités spécifiques de l’accès à son service ou de l’usage de celui-ci constitue une exigence qui concerne le contenu de ce service. En effet, une telle mesure détermine la manière dont l’activité du prestataire doit être exercée, dans l’environnement en ligne, vis-à-vis des utilisateurs de son service.

76.      Eu égard à ces clarifications jurisprudentielles, il convient de considérer que la mesure nationale en cause encadre le contenu du service accessible aux utilisateurs, dès lors qu’elle oblige le prestataire à mettre en place des dispositifs techniques auxquels tout utilisateur est confronté. Cette mesure détermine donc la manière dont le prestataire doit exercer son activité.

77.      Par ailleurs, une autorité administrative compétente peut adresser une mise en demeure à un prestataire n’ayant pas mis en place les dispositifs techniques appropriés, et le non-respect de cette injonction peut conduire à la suppression de l’accès aux sites concernés ainsi qu’à leur déréférencement. Un prestataire doit donc s’acquitter de l’obligation de mettre en œuvre des dispositifs de blocage de l’accès des mineurs pour pouvoir légalement exercer l’activité de services de communication en ligne.

78.      Compte tenu des considérations qui précèdent et de celles présentées au point 64 des présentes conclusions, il y a lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle que le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe l’obligation pesant sur les éditeurs de services de communication en ligne de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques, nonobstant la circonstance que cette obligation ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

2.      Sur la première question préjudicielle

a)      Portée de la première question préjudicielle

79.      Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en substance, si l’obligation de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques est exclue du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, au motif que cette obligation constitue un corollaire de dispositions générales et abstraites du droit pénal qui désignent certains agissements comme constitutifs d’une infraction pénale susceptible de poursuites et s’appliquent indistinctement à toute personne physique ou morale.

80.      Il convient d’examiner plusieurs éléments déterminants aux fins d’établir si l’obligation en cause est exclue du domaine coordonné, à savoir, premièrement, le caractère général et abstrait des dispositions nationales qui s’appliquent indistinctement à toute personne physique ou morale, deuxièmement, les dispositions de la directive 2000/31 qui circonscrivent les contours de ce domaine et, troisièmement, la base juridique de cette directive. Je compléterai les considérations relatives à ces éléments par des observations sur l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive.

b)      Caractère général et abstrait des dispositions nationales

81.      La juridiction de renvoi attire l’attention de la Cour sur le fait que l’obligation en cause découle des dispositions de caractère général et abstrait qui sont susceptibles de s’appliquer tant au comportement d’un prestataire de services de la société de l’information qu’à celui de toute autre personne physique ou morale.

82.      À cet égard, l’article 2, sous h), de la directive 2000/31 définit le « domaine coordonné » comme les exigences applicables aux prestataires de services de la société de l’information ou à ces services, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux. Partant, s’agissant de sa qualification d’« exigence », il importe peu que le champ d’application ratione personae d’une disposition nationale ne se limite pas aux prestataires de services de la société de l’information. Cela étant, je souligne qu’une exigence prévue par une réglementation nationale ne relève du domaine coordonné que dans la mesure où elle s’applique aux prestataires de services d’une société de l’information.

83.      Pour être complet, je relève que le fait que la diffusion d’images à caractère pornographique susceptibles d’être vues par un mineur ait été interdite avant l’avènement des services en ligne n’implique pas que l’obligation en cause soit exclue du domaine coordonné. En effet, sous réserve de certaines exceptions prévues par la directive 2000/31, toute mesure nationale qui concerne l’accès à ou l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information relève du domaine coordonné. À cet égard, la Cour a déjà clarifié que le législateur de l’Union n’a pas prévu de dérogation autorisant les États membres à maintenir des mesures antérieures à cette directive susceptibles de restreindre la libre prestation des services de la société de l’information sans respecter les conditions prévues à cet effet par ladite directive (34). De telles mesures relèvent donc bien du domaine coordonné.

84.      La circonstance que l’obligation en cause résulte de dispositions qui s’appliquent « à toute personne physique ou morale » n’est pas donc susceptible de l’exclure du domaine coordonné. Je passe maintenant à l’examen des éléments qui tracent les contours du domaine coordonné.

c)      Contours du domaine coordonné

85.      Les contours du domaine coordonné sont tracés par plusieurs éléments de la directive 2000/31.

86.      Je relève que l’étendue du domaine coordonné est subordonnée au champ d’application de la directive 2000/31 elle-même (article 1er, paragraphe 5) et est définie d’une part, de manière positive, par la définition de la notion de « domaine coordonné » [article 2, sous h), i)], et, d’autre part, de manière négative, par les exclusions expressément prévues par cette directive [article 2, sous h), ii)]. Enfin, le champ d’application du mécanisme établi à l’article 3 de ladite directive est circonscrit par le paragraphe 3 de cet article et l’annexe à laquelle il renvoie.

87.      Je vais examiner ces différents éléments afin de déterminer si les dispositions du droit pénal sont exclues du domaine coordonné.

88.      En premier lieu, la directive 2000/31 précise, à son article 1er, paragraphe 5, qu’elle n’est pas applicable au domaine de la fiscalité ni à certaines questions et activités spécifiques. Le législateur de l’Union n’a donc pas entendu subordonner ce domaine et ces questions à cette directive ni au mécanisme établi à son article 3 (35). Toutefois, cette disposition ne mentionne pas, parmi les domaines et questions exclus du champ d’application de ladite directive, le droit pénal.

89.      En deuxième lieu, l’article 2, sous h), ii), de la directive 2000/31 précise que le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que celles applicables aux biens en tant que tels, à la livraison de biens et aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique. Bien que cette disposition emploie une formulation ouverte (« telles que »), il ressort du considérant 21 de cette directive que le législateur de l’Union a entendu exclure du domaine coordonné les exigences qui ne concernent pas les activités en ligne (36). Dès lors, les exigences qui concernent la composante en ligne de l’activité d’un prestataire de service de la société de l’information ne sont pas, sur le fondement de l’article 2, sous h), ii), de ladite directive, exclues du domaine coordonné au seul motif qu’elles ont leur origine dans le domaine du droit pénal.

90.      Enfin, en troisième lieu, le droit pénal n’est pas mentionné dans la liste des cas auxquels le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 ne s’applique pas, conformément au paragraphe 3 de cet article (37). En outre, il importe de souligner que ce paragraphe, en tant qu’il prévoit une dérogation à la règle générale prévue à cet article, doit être interprété de manière stricte (38).

91.      En conséquence, rien dans les dispositions de la directive 2000/31 qui tracent les contours du domaine coordonné ne permet de conclure que les mesures relevant du droit pénal d’un État membre sont exclues de ce domaine.

d)      Fondement juridique de la directive 2000/31 et droit pénal

92.      Dans ses observations écrites, le gouvernement français fait valoir que la directive 2000/31 a été adoptée sur le fondement, notamment, de l’article 95 CE (dont les termes ont été repris à l’article 114 TFUE (39)), qui ne porte pas sur le droit pénal des États membres, et à une époque où le législateur de l’Union n’avait pas encore de compétence pour adopter une directive ayant un objet pénal ou affectant le droit pénal des États membres. Or, l’application de l’article 3 de cette directive aux règles du droit pénal reviendrait, selon ce gouvernement, à designer comme loi applicable et comme autorités compétentes pour poursuivre des infractions pénales celles d’un seul État membre, ce que constituerait une harmonisation du droit pénal proscrite par le considérant 8 de ladite directive.

93.      Par ailleurs, le gouvernement français soutient qu’une définition excessivement large du « domaine coordonné » au sens de la directive 2000/31, englobant le droit pénal, enfreindrait le principe de territorialité du droit pénal. Une telle définition conduirait, d’une part, à une harmonisation des compétences en matière de droit pénal et de procédure pénale qui serait dépourvue de fondement au regard de l’état actuel du droit de l’Union et, d’autre part, à une décorrélation dangereuse entre le régime applicable à la lutte contre les délits et les crimes, selon qu’ils sont commis en ligne ou non.

94.      À cet égard, il est certes vrai que le considérant 8 de la directive 2000/31 précise que « [l]’objectif de [cette] directive est de créer un cadre juridique pour assurer la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres et non d’harmoniser le domaine du droit pénal en tant que tel ».

95.      Toutefois, on ne saurait comprendre cette précision en ce sens que, afin d’éviter l’harmonisation du domaine du droit pénal en tant que tel, les exigences applicables aux services de la société de l’information ou à leurs prestataires et qui trouvent leur origine dans le droit pénal devraient être exclues du domaine coordonné.

96.      En effet, selon son article 1er, paragraphe 2, la directive 2000/31 rapproche certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information relatives, notamment, au marché intérieur. Cette précision vise l’article 3 de cette directive. En substance, cet article harmonise la manière dont les États membres envisagent l’applicabilité de dispositions nationales susceptibles de restreindre la libre circulation de services de la société de l’information.

97.      Ce faisant, la directive 2000/31 ne remet pas en question la compétence des États membres en matière de droit pénal ou de procédure pénale. Elle n’impose pas non plus l’adoption de règles nationales spécifiques en cette matière. Néanmoins, il convient de distinguer la question de savoir s’il existe une compétence au niveau national de celle de savoir si l’exercice de cette compétence est conforme au droit de l’Union.

98.      À ce propos, la directive 2000/31 a été adoptée sur le fondement de l’article 47, paragraphe 2, CE et des articles 55 et 95 CE, dont les termes ont respectivement été repris, en substance, à l’article 53, paragraphe 1, TFUE, à l’article 62 TFUE et à l’article 114 TFUE. Cette directive a pour objectif, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres (40). À cette fin, elle prescrit, à son article 3, le respect des exigences relevant du domaine coordonné en vigueur dans l’État membre du prestataire (41). Si le législateur de l’Union avait considéré que la réalisation de cet objectif nécessitait d’inclure dans le cadre du domaine coordonné les dispositions nationales issues du domaine du droit pénal, il pouvait se fonder sur l’article 114 TFUE pour le faire.

99.      En effet, aux termes de l’article 114, paragraphe 1, TFUE, le Parlement et le Conseil arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Le législateur de l’Union peut recourir à cette disposition notamment en cas de disparités entre les réglementations nationales lorsque de telles disparités sont de nature à entraver les libertés fondamentales ou à créer des distorsions de concurrence et à avoir ainsi une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (42). Dès lors que les conditions du recours à l’article 114 TFUE comme base juridique se trouvent remplies, le législateur de l’Union ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique en raison du fait que la protection des intérêts généraux visés au paragraphe 3 de cet article, parmi lesquels figure la sécurité, est déterminante dans les choix à opérer (43).

100. En outre, si l’on considérait que toute mesure nationale relevant du domaine du droit pénal est exclue du domaine coordonné, un État membre pourrait facilement contourner le mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 : il lui suffirait de réglementer l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information en adoptant des dispositions ayant une coloration pénale. Une telle approche lors de l’interprétation de la notion de « domaine coordonné » pourrait conduire à mettre en péril l’objectif de ce mécanisme et son effet utile.

101. Par ailleurs, je suis sensible à l’argument du gouvernement français selon lequel la mise en œuvre du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 en vue d’atteindre l’objectif de libre circulation des services de la société est susceptible d’affecter l’applicabilité territoriale des règles nationales issues du droit pénal. Cela étant, et ainsi que je viens de l’indiquer, un tel effet juridique s’inscrivait bien dans le cadre des compétences du législateur de l’Union. En outre, les mécanismes du marché intérieur, en particulier ceux fondés sur le principe du pays d’origine, sont, par définition, susceptibles d’affecter la portée territoriale des règles nationales.

102. À ce dernier égard, comme le gouvernement français le reconnaît lui-même, le droit pénal ne saurait être exclu de manière absolue du domaine coordonné. En effet, ce gouvernement estime que la solution retenue à l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2006/123/CE (44) pourrait être transposée, par voie d’analogie, à la directive 2000/31. Une disposition pénale relèverait donc du domaine coordonné, défini à l’article 2, sous h), de cette seconde directive, lorsqu’elle réglemente de façon particulière l’accès à une activité ou l’exercice d’une telle activité et a pour effet de contourner les règles énoncées dans ladite directive (45).

103. À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2006/123 a été adoptée sur le fondement de l’article 47, paragraphe 2, CE et de l’article 55 CE, qui correspondent, respectivement, à l’article 53, paragraphe 1, TFUE et à l’article 62 TFUE. Ces dispositions sont également citées parmi celles qui constituent le fondement juridique de la directive 2000/31.

104. Partant, si la directive 2006/123 – qui énonce elle-même qu’elle n’affecte pas les règles du droit pénal (46) ni ne lui porte atteinte (47) – est susceptible d’affecter l’application territoriale des dispositions du droit pénal, il ne saurait en aller différemment de la directive 2000/31, qui encadre les règles nationales de ce droit de manière plus libérale. En effet, cette seconde directive ne comporte aucune disposition semblable à l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2006/123. En ce qui concerne les références au droit pénal, le seul point commun entre ces deux directives tient au fait que leurs considérants indiquent que celles-ci n’harmonisent pas ce domaine du droit (48).

105. En tout état de cause, le résultat que visent à atteindre ces deux directives est le même. En effet, un État membre ne saurait restreindre la libre prestation des services au sein du marché intérieur, telle qu’elle est mise en œuvre selon les modalités prévues par l’une ou l’autre directive, en recourant aux dispositions pénales de son droit national.

106. Pour conclure, le fait que la directive 2000/31 a été adoptée sur le fondement des articles du traité CE qui correspondent à l’article 53, paragraphe 1, TFUE, à l’article 62 TFUE et à l’article 114 TFUE n’implique pas que les dispositions relevant du domaine du droit pénal sont exclues du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de cette directive.

e)      Mise en œuvre du droit pénal en tant que dérogation à la libre circulation des services de la société de l’information

107. Selon la logique du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31, un État membre autre que celui où le prestataire d’un service de la société de l’information est établi ne saurait, en principe, appliquer à ce prestataire des exigences qui relèvent du domaine cordonné. En vertu de l’article 3, paragraphe 4, de cette directive, un tel État membre peut néanmoins prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au principe de libre circulation des services de la société de l’information, énoncé à l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive, pour autant qu’elles respectent plusieurs conditions cumulatives (49).

108. Conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31, la mesure restrictive concernée doit être nécessaire afin de garantir, notamment, l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine. Des mesures nécessaires pour garantir de tels objectifs d’intérêt général sont susceptibles de relever du droit pénal. On pourrait donc arguer que, si les dispositions issues du droit pénal étaient exclues du domaine coordonné, il ne serait pas nécessaire de permettre à un État membre de déroger à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 aux fins de ces objectifs d’intérêt général.

109. Dans le même ordre d’idées, la directive 2000/31 prévoit, à son article 3, paragraphe 4, sous b), qu’un État membre peut déroger à son article 3, paragraphe 2, à condition non seulement de demander à l’État membre sur le territoire duquel le prestataire du service en cause est établi de prendre des mesures, mais également de notifier à la Commission et à cet État membre son intention de prendre les mesures restrictives concernées. Conformément à cette première disposition, un État membre qui souhaiterait prendre de telles mesures dérogatoires serait toutefois soumis à ces obligations « sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale ». Bien que cette incise puisse susciter des doutes d’interprétation, il est évident qu’elle reflète la volonté du législateur de l’Union d’encadrer la mise en œuvre des dispositions issues du droit pénal dans le contexte du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31.

110. Toujours dans ce contexte, l’incise figurant à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 est clarifiée par le considérant 26 de celle-ci, qui énonce que les États membres peuvent, conformément aux conditions définies dans cette directive, appliquer leurs règles nationales de droit pénal et de procédure pénale pour engager toutes les mesures d’enquêtes et autres nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale, « sans qu’il soit besoin de notifier ces mesures à la Commission ». Il en résulte que l’application de telles règles nationales, bien qu’elle entrave la libre circulation d’un service de la société de l’information, ne doit pas être notifiée au titre de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de ladite directive. Comme toute autre mesure relevant du domaine coordonné, ces règles nationales doivent néanmoins respecter les conditions de fond prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la même directive. Il s’ensuit que les dispositions nationales de droit pénal et de procédure pénale ne sont pas, en tant que telles, exclues du domaine coordonné.

f)      Conclusion

111. Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, il convient de considérer que l’obligation en cause ne saurait être exclue du domaine coordonné au seul motif qu’elle constitue un corollaire de dispositions du droit pénal.

112. Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’obligation de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques ne saurait être exclue du domaine coordonné au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31 au seul motif que cette obligation constitue un corollaire des dispositions générales et abstraites du droit pénal qui désignent certains agissements comme constitutifs d’une infraction pénale susceptible de poursuites et qui s’appliquent indistinctement à toute personne physique ou morale.

3.      Sur la troisième question préjudicielle

a)      Portée de la troisième question préjudicielle

113. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, eu égard au fait que l’adoption de mesures individuelles portant sur un service donné ne permet pas d’assurer la protection effective des droits fondamentaux garantis par les articles 1er et 24 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH, il est possible de déroger au mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 afin d’imposer à une catégorie de prestataires de services une obligation résultant de dispositions générales et abstraites.

114. En effet, la juridiction de renvoi part de la prémisse que, compte tenu des conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, l’adoption de mesures individuelles n’est pas de nature à assurer une telle protection. Il s’ensuit que, pour cette juridiction, la possibilité de prendre une mesure remplissant ces conditions à l’encontre d’un éditeur de services de communication au public en ligne ne répond pas aux exigences imposées par la protection des droits fondamentaux.

115. Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, à supposer que la directive 2000/31 s’oppose à une obligation découlant de dispositions générales et abstraites telle que celle en cause, un État membre de destination des services peut tout de même imposer cette obligation aux prestataires établis dans d’autres États membres par le truchement des droits fondamentaux.

116. Cette question ne se pose que si trois conditions sont remplies : premièrement, l’obligation en cause relève du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31 ; deuxièmement, l’application de cette obligation restreint, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, la libre circulation des services de la société de l’information, et, troisièmement, ladite obligation ne remplit pas les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive.

117. À cet égard, et comme il ressort de mon analyse des deux premières questions préjudicielles, l’obligation en cause constitue une exigence qui relève du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31 (50).

118. Par ailleurs, la juridiction de renvoi est bien consciente que l’obligation en cause ne remplit pas les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31. En effet, cette obligation résulte de dispositions générales et abstraites qui, comme l’indique cette juridiction, s’appliquent indistinctement à toute personne physique ou morale. À cet égard, la Cour a déjà clarifié que des mesures nationales ayant une portée générale et abstraite ne sauraient être qualifiées de « mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information », au sens de l’article 3, paragraphe 4, de cette directive (51), par lesquelles un État membre de destination des services peut restreindre la libre circulation d’un tel service.

119. Il y a donc lieu, avant de procéder à l’examen de la troisième question préjudicielle, de déterminer au préalable si l’obligation en cause restreint la libre circulation des services de la société de l’information.

b)      Restriction de la libre circulation des services

120. Je suis d’avis que le législateur de l’Union a clarifié que l’application à un prestataire d’une obligation telle que celle en cause restreint la libre circulation des services de la société de l’information et que, sous réserve des dérogations prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, cette obligation ne saurait être imposée par un État membre autre que celui où ce prestataire est établi.

121. En effet, en vertu de l’article 6 bis, paragraphe 1, de la directive 2010/13, les États membres prennent les mesures appropriées pour garantir que les services de médias audiovisuels prestés par des fournisseurs relevant de leur compétence qui pourraient nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient mis à disposition que dans des conditions telles que les mineurs ne puissent normalement pas les entendre ni les voir, ces mesures pouvant comprendre l’utilisation d'outils permettant de vérifier l’âge.

122. Par ailleurs, il ressort de l’article 28 bis, paragraphe 1, de la directive 2010/13, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31, qu’un fournisseur d’une plateforme de partage de vidéos relève de la compétence de l’État membre sur le territoire duquel il est établi. En outre, l’article 28 ter, paragraphe 1, de la directive 2010/13 prévoit que cet État membre veille à ce que le prestataire prenne les mesures appropriées pour protéger les mineurs des vidéos créées par l’utilisateur susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral. Aux termes de l’article 28 ter, paragraphe 3, de cette directive, ces mesures consistent notamment, selon ce qui est approprié, à mettre en place et à utiliser des systèmes permettant de vérifier l’âge des utilisateurs des plateformes de partage de vidéos en ce qui concerne ces vidéos.

123. Par ailleurs, l’article 15 du règlement (UE) 2024/1083 (52) a établi un mécanisme permettant à toute autorité ou tout organisme de régulation national compétent de demander à ses homologues de l’État membre où le prestataire est établi de prendre des mesures nécessaires et proportionnées en vue de contrôler le respect par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos des obligations prévues à l’article 28 ter, paragraphes 1 à 3, de la directive 2010/13. Il ressort de l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement (« [s]ans préjudice de l’article 3 de la directive [2000/31] »), lu à la lumière du considérant 45 de celui-ci, que lorsque l’utilisation de ce mécanisme ne débouche pas sur une solution amiable, la liberté de fournir des services de la société de l’information depuis un autre État membre ne peut être limitée que si les conditions énoncées à l’article 3 de la directive 2000/31 sont remplies et si la procédure établie à cet article a été suivie.

124. Indépendamment des points de savoir si le règlement 2024/1083 est applicable ratione temporis (53) et si les services de communication en ligne visés par le renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑190/24 comprennent également les services qui ne constituent pas des plateformes de partage de vidéos au sens de ce règlement, l’article 15 dudit règlement confirme que le législateur de l’Union a entendu rappeler le principe découlant de l’article 3 de la directive 2000/31 selon lequel les mesures nécessaires afin d’assurer la protection des mineurs, telles que celles visées à l’article 28 ter, paragraphes 1 à 3, de la directive 2010/13, sont adoptées et appliquées par l’État membre où le prestataire du service de la société de l’information concerné est établi, de sorte que des mesures en cette matière adoptées par un autre État membre affectent la compétence de ce premier État membre et restreignent la libre circulation des services de la société de l’information.

125. Il convient donc de considérer qu’une obligation de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques, telle que celle en cause, restreint par principe la libre circulation des services de la société de l’information.

126. Je tiens à préciser que cette considération vaut non seulement pour une telle obligation qui découle de dispositions générales et abstraites du droit pénal, mais également pour une mise en demeure qu’une autorité compétente peut adresser à un éditeur d’un service de communication en ligne.

127. En effet, afin de satisfaire à l’obligation prévue à l’article 28 ter, paragraphe 2, de la directive 2010/13, les exploitants des plateformes en ligne doivent non seulement restreindre l’accès à un contenu à caractère pornographique, mais aussi mettre en place une solution protégeant de manière efficace les mineurs contre les contenus pornographiques, ce qui a pour effet de modifier la façon dont ils exercent l’activité d’un service de la société de l’information.

128. De même, bien que l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 puisse faire penser qu’une mise en demeure peut être adressée à un fournisseur en raison d’un (seul) contenu pornographique, l’article 3 du décret du 7 octobre 2021 suggère que ce dispositif vise le procédé technique mis en place afin de s’assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs.

129. Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, il convient de considérer que l’obligation de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques restreint, par principe, la libre circulation des services de la société de l’information. Un État membre doit, afin d’imposer une telle obligation à un prestataire établi dans un autre État membre, satisfaire aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

130. Je passe maintenant à l’analyse de la problématique au cœur de la troisième question préjudicielle, à savoir la conciliation des exigences prévues par la directive 2000/31 et de celles relatives à la protection des droits fondamentaux.

c)      Application des droits fondamentaux pour déroger à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31

131. Ainsi que l’a observé la Commission, la troisième question préjudicielle suggère que, en raison de ses limites intrinsèques, la directive 2000/31 ne répond pas aux exigences relatives à la protection des droits fondamentaux garantis par les articles 1er et 24 de la Charte ainsi que par l’article 8 de la CEDH.

132. Toutefois, il ressort du considérant 10 de la directive 2000/31 que le mécanisme établi par celle-ci, à son article 3, afin de garantir un espace sans frontières intérieures pour le commerce électronique assure un haut niveau de protection des objectifs d’intérêt général, en particulier la protection des mineurs.

133. À cet égard, ainsi que je l’ai indiqué (54), ce mécanisme repose sur l’application, notamment, du principe de contrôle dans l’État membre d’origine. En vertu de ce principe, il incombe à chaque État membre, en tant qu’État membre d’origine de services de la société de l’information, de réglementer ces services et, à ce titre, de protéger les objectifs d’intérêt général mentionnés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31 (55). Figure au nombre de ces objectifs la protection de l’ordre public, qui comprend, compte tenu du libellé de cette disposition et du considérant 10 de cette directive, la protection des mineurs. Le contrôle effectué par l’État membre d’origine doit donc assurer une protection efficace de cet objectif, et cela dans l’intérêt non seulement de l’État membre d’origine et de ses citoyens, mais également des autres États membres et de leurs citoyens (56).

134. Par ailleurs, la directive 2000/31 repose également sur le principe de reconnaissance mutuelle en vertu duquel chaque État membre, en tant qu’État membre de destination de services de la société de l’information, veille à ne pas restreindre la libre circulation de tels services. Un État membre de destination doit donc considérer que l’État membre où le prestataire est établi garantit à un niveau approprié l’objectif d’intérêt général de protection des mineurs. Lorsque cette protection fait défaut, la seule possibilité dont dispose ce premier État membre pour remédier à cette situation consiste à adopter des mesures, conformément aux exigences posées à l’article 3, paragraphe 4, de cette directive.

135. À ce propos, la directive 2010/13 répond aux exigences imposées pour la protection des mineurs. En particulier, en vertu de l’article 28 ter de celle-ci, un État membre veille à ce que les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos établis sur son territoire appliquent les mesures appropriées pour protéger des mineurs. Ces mesures peuvent consister en une mise en œuvre d’un système de vérification de l’âge (57). Lorsque l’État membre d’origine ne garantit pas le niveau requis de protection des mineurs, l’État membre de destination peut appliquer les mesures prévues à l’article 3, paragraphe 4, de cette directive.

136. L’objectif d’intérêt général de protection des mineurs poursuivi par la mesure nationale en cause est protégé, d’une part, dans le cadre de la mise en œuvre du principe de contrôle dans l’État membre d’origine, selon les dispositions prévues à cet effet par la directive 2010/13, et, d’autre part, par le mécanisme de dérogation dont les autres États membres peuvent se prévaloir ponctuellement et en respectant les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

137. Ainsi, le législateur de l’Union a veillé à concilier les exigences du marché intérieur et de la protection des droits fondamentaux. Considérer que les mécanismes prévus à cet effet par les directives 2000/31 et 2010/13 ne répondent pas aux exigences prévues aux articles 1er et 24 de la Charte reviendrait à remettre en cause la validité de ces deux directives.

138. Plus important encore, ces mécanismes reflètent le consensus auquel sont parvenus les États membres quant à leurs responsabilités en matière de protection des mineurs contre les contenus préjudiciables dans un espace sans frontières intérieures pour le commerce électronique. Remettre en cause lesdits mécanismes compromettrait leur efficacité et saperait la confiance mutuelle entre les États membres.

139. En outre, bien que la Cour ait reconnu qu’un État membre pouvait invoquer un droit fondamental afin d’en obtenir la protection lorsqu’aucune disposition de droit dérivé ne le lui permettait, cette solution valait dans le contexte où l’acte juridique du droit de l’Union ne comportait aucun mécanisme d’exception offrant à cet État membre la faculté de garantir le droit fondamental concerné (58). Or, la directive 2000/31 a établi un tel mécanisme à son article 3, paragraphe 4, de sorte que ce courant jurisprudentiel n’est pas transposable en l’espèce.

140. Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question préjudicielle que le fait que l’adoption de mesures individuelles concernant un service donné ne soit pas de nature à assurer la protection des droits fondamentaux garantis par les articles 1er et 24 de la Charte ainsi que par l’article 8 de la CEDH ne permet pas de déroger au mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31 afin d’appliquer une obligation résultant de dispositions générales et abstraites à une catégorie de prestataires de services.

E.      L’affaire C190/24

1.      Sur la première question préjudicielle

141. La première question préjudicielle vise à savoir si le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe une interdiction faite aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs et susceptibles de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire à des contrôles routiers, nonobstant la circonstance que cette interdiction ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

142. Je rappelle, comme il ressort de mes considérations relatives à la deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑188/24, que le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe les exigences relatives à l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information également lorsque ces exigences ne portent pas sur les matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive (59).

143. Par conséquent, afin de répondre à cette question, il reste à vérifier si l’interdiction de rediffusion en cause constitue une exigence relevant du domaine coordonné.

144. À cet égard, j’observe que l’interdiction de rediffusion en cause affecte l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information. En effet, pour respecter une telle interdiction, le prestataire est obligé de limiter ou de suspendre le fonctionnement normal de son service et, partant, de mener l’activité concernée d’une manière spécifique. En l’occurrence, la circonstance que l’interdiction de rediffusion en cause n’oblige le prestataire à limiter le fonctionnement de son service que ponctuellement et en ce qui concerne un contrôle routier donné ne change pas l’essence de l’obligation qui découle de cette interdiction. En revanche, cette circonstance peut s’avérer pertinente dans le cadre de l’examen visant à déterminer si ladite interdiction restreint la libre circulation des services, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31, ou si elle respecte les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de cette directive.

145. Il convient de rappeler, en outre, que l’interdiction de rediffusion en cause est assortie d’une sanction (60) : son respect conditionne donc l’exercice légal de l’activité d’un service de la société de l’information.

146. Dans ces circonstances, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe une interdiction faite aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs et susceptibles de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire à des contrôles routiers, nonobstant la circonstance que cette interdiction ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive.

2.      Sur la deuxième question préjudicielle

a)      Portée de la question préjudicielle et reformulation

147. La deuxième question préjudicielle, telle que formulée par la juridiction de renvoi, porte en substance sur le point de savoir si l’interdiction de rediffusion en cause est exclue du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, au motif qu’elle est nécessaire afin d’assurer l’efficacité des contrôles routiers menés pour interpeller des personnes recherchées pour des crimes ou délits ou qui présentent une menace pour l’ordre ou la sécurité publics.

148. À cet égard, cette formulation laisse entendre que la question vise à savoir si l’interdiction de rediffusion en cause entre dans le champ d’application du domaine coordonné au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31.

149. Par ailleurs, cette question fait référence au considérant 26 de la directive 2000/31 (« alors que le considérant 26 [...] précise que »), qui énonce que « [l]es États membres peuvent appliquer leurs règles nationales de droit pénal et de procédure pénale pour engager toutes les mesures d’enquêtes et autres nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale [...] ». Cette référence, précédée par la locution « alors que », permet de comprendre que la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’interdiction de rediffusion en cause est exclue du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de cette directive, au motif qu’elle est nécessaire pour assurer l’efficacité des contrôles routiers menés afin d’interpeller des personnes recherchées pour des crimes ou délits ou qui présentent une menace pour l’ordre ou la sécurité publics.

150. Je relève que Coyote System estime que, si l’interdiction de rediffusion en cause relève du domaine coordonné, elle ne saurait constituer une mesure relevant de ce domaine par laquelle un État membre de destination de services de la société de l’information peut déroger au principe prévu à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 et restreindre la libre circulation de ces services.

151. À ce propos, Coyote System soutient que, contrairement à ce qu’exige l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, la mesure nationale imposant l’interdiction de rediffusion en cause ne vise pas un service donné de la société de l’information. En revanche, cette interdiction constituerait selon elle, pour reprendre les termes de l’arrêt Google Ireland e.a. (61) cités dans la décision de renvoi, une « mesur[e] général[e] et abstrait[e] visant une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant indistinctement à tout prestataire de cette catégorie de services » (62).

152. Dans cette optique, la juridiction de renvoi invite donc la Cour, par sa deuxième question, à se pencher sur le point de savoir si l’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose à l’interdiction de rediffusion que la République française, en tant qu’État membre de destination des services de la société de l’information, entend imposer aux prestataires établis dans les autres États membres.

153. Toujours dans ce contexte, le gouvernement français a proposé, dans ses observations écrites, un autre angle d’analyse de la légalité de l’interdiction de rediffusion en cause. En substance, cette interdiction ne restreindrait pas la libre circulation des services et, partant, ne serait pas soumise aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31. À l’appui de sa thèse, ce gouvernement se fonde sur l’article 14, paragraphe 3, de cette directive, qui vise les injonctions adressées aux prestataires de services d’hébergement.

154. Un tel raisonnement est susceptible d’influer sur la conformité de l’interdiction de rediffusion en cause avec la directive 2000/31. Je propose donc d’examiner également cette piste d’analyse afin de fournir à la juridiction de renvoi tout élément d’interprétation relevant du droit de l’Union pouvant lui être utile pour juger de la conformité des dispositions nationales en cause avec cette directive.

155. À cette fin, je propose de reformuler la deuxième question préjudicielle et de considérer que, par celle-ci, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 3 de la directive 2000/31 s’oppose à une interdiction de rediffusion des messages et des indications émis par les utilisateurs d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation qu’un État membre de destination de ces services entend imposer aux exploitants desdits services établis dans les autres États membres.

b)      Structure de l’analyse

156. Dans ses observations écrites, le gouvernement français indique que l’examen de la légalité de l’interdiction de rediffusion en cause au regard de la directive 2000/31 devrait débuter par l’analyse de la problématique des injonctions visées à l’article 14, paragraphe 3, de celle-ci, qui ne sont pas soumises aux exigences prévues à son article 3 au motif qu’elles ne restreignent pas la libre circulation des services de la société de l’information.

157. Or, dans le cadre de la directive 2000/31, le point de savoir si une mesure nationale restreint la libre circulation de services n’est pertinent que si cette mesure constitue une exigence relevant du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de celle-ci. En effet, il ressort de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive que les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant de ce domaine, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre (63). Une mesure nationale qui emporte une telle restriction, mais qui ne relève pas du domaine coordonné, est donc dépourvue de pertinence au regard de l’article 3 de ladite directive.

158. Compte tenu de cette observation, je vais, en premier lieu, examiner si, eu égard aux objectifs qu’elle poursuit, l’interdiction de rediffusion en cause est exclue du domaine coordonné [sous-section c)] ; en deuxième lieu, je me pencherai sur l’argumentation du gouvernement français selon laquelle cette interdiction ne restreint pas la libre circulation des services [sous-section d)], et, en troisième lieu, j’examinerai brièvement l’argument de Coyote System selon lequel ladite interdiction ne saurait remplir les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 [sous-section e)].

c)      Protection de l’ordre et de la sécurité publics

159. La question qui se pose est celle de savoir si l’interdiction de rediffusion en cause est exclue du domaine coordonné au motif qu’elle est nécessaire afin d’assurer l’efficacité des contrôles routiers menés pour interpeller des personnes recherchées pour des crimes ou délits ou qui présentent une menace pour l’ordre ou la sécurité publics.

160. À cet égard, en premier lieu et comme je l’ai déjà indiqué (64), une mesure nationale ne saurait être exclue du domaine coordonné au seul motif qu’elle constitue le corollaire de dispositions du droit pénal. Il n’y a donc a fortiori aucune raison de considérer qu’une mesure nécessaire à la mise en œuvre du droit pénal ou à la protection d’objectifs d’intérêt général, tels que l’ordre ou la sécurité publics, serait exclue dudit domaine.

161. En deuxième lieu, ni la nature d’un objectif d’intérêt général qu’un État membre cherche à protéger au moyen d’une mesure nationale ni le fait que cette mesure soit nécessaire afin d’y parvenir ne sont déterminants pour qualifier celle-ci d’« exigence relevant du domaine coordonné ». En effet, pour établir qu’une mesure nationale constitue une telle exigence, il convient d’examiner son objet et de vérifier si elle concerne l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information ou l’exercice de celle-ci (65).

162. En troisième lieu, dans le cadre de la directive 2000/31, les objectifs d’intérêt général jouent un rôle particulier et distinct de celui de l’objet de la mesure concernée. En substance, un État membre peut se fonder sur les objectifs d’intérêt général énumérés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), point i), de cette directive pour déroger, au moyen d’une mesure relevant du domaine coordonné, au principe de la libre circulation des services de la société de l’information. La protection de l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, ainsi que la protection de la sécurité publique, figurent au nombre de ces objectifs d’intérêt général.

163. En quatrième lieu, le passage du considérant 26 de la directive 2000/31 sur lequel la juridiction de renvoi attire l’attention énonce que les États membres peuvent appliquer leurs règles nationales de droit pénal et de procédure pénale pour engager toutes les mesures d’enquêtes et autres nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale. Il y a lieu de relever que ce considérant clarifie également que les États membres peuvent exercer cette faculté conformément aux conditions définies dans cette directive. En effet, comme je l’ai indiqué au point 110 des présentes conclusions, la directive 2000/31 prévoit les conditions auxquelles un État membre de destination peut appliquer les mesures nécessaires pour prévenir, investiguer, détecter et poursuivre les infractions en matière pénale. Comme toute autre mesure relevant du domaine coordonné par laquelle un État membre de destination vise à restreindre la libre circulation des services, les mesures mentionnées au considérant 26 de la directive 2000/31 doivent respecter, à tout le moins, les conditions de fond prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de celle-ci. J’en déduis que les mesures nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale ne sont pas exclues du domaine coordonné.

164. Dès lors, une mesure qui concerne l’exercice de l’activité d’une société de l’information ne saurait être exclue du domaine coordonné au seul motif qu’elle répond aux objectifs d’intérêt général de protection de l’ordre et de la sécurité publics.

165. Il y a donc lieu de considérer, à titre de conclusion intermédiaire, que l’interdiction de rediffusion en cause ne saurait être exclue du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, au motif qu’elle est nécessaire afin d’assurer l’efficacité des contrôles routiers menés pour interpeller des personnes recherchées pour des crimes ou délits ou qui présentent une menace pour l’ordre ou la sécurité publics.

d)      Injonctions qui ne restreignent pas la libre circulation des services de la société de l’information

1)      Exposé du problème

166. Il ressort de l’analyse menée jusqu’à présent que l’interdiction de rediffusion en cause relève bien du domaine coordonné.

167. En outre, la directive 2000/31 ne s’oppose pas, a priori, à une interdiction de rediffusion qu’un État membre de destination de services de la société de l’information entend imposer aux exploitants de ces services établis dans les autres États membres, pour autant que celle-ci remplisse les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a) et b), de cette directive. En effet, lorsque ces conditions sont réunies, un État membre de destination de services de la société de l’information peut, par l’application de mesures relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation de ces services.

168. Or, le gouvernement français indique que l’interdiction de rediffusion en cause ne restreint pas la libre circulation des services, de sorte qu’elle ne serait pas soumise aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

169. Plus concrètement, cette interdiction relève selon ce gouvernement de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 et, en tant que telle, ne restreint pas la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre au sens de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive. Elle pourrait être imposée à un prestataire de services peu importe l’État membre dans lequel il est établi et un État membre de destination de services de la société de l’information qui souhaiterait adresser une telle injonction ne serait en aucun cas tenu de suivre la procédure de dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive.

2)      Appréciation

170. L’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 prévoit notamment que cet article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation.

171. Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que l’injonction visée à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 peut être émise tant par l’État membre où le prestataire est établi que par l’État membre de destination du service concerné (66).

172. À cet égard, bien que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31 soumette tout prestataire d’un service de la société de l’information au contrôle de l’État membre où il est établi, le paragraphe 4 de cet article prévoit qu’un autre État membre peut prendre des mesures à l’égard de ce prestataire conformément aux conditions prévues à cet effet dans cette dernière disposition. Il importe de souligner que ces conditions concernent non pas la compétence de cet autre État membre, mais la mesure que celui-ci souhaite imposer au prestataire concerné.

173. En outre, la directive 2000/31 ne régit pas, en tant que telle, la répartition des compétences et des pouvoirs décisionnels des juridictions et des autres autorités des États membres. En effet, cette directive prévoit notamment, à son article 1er, paragraphe 4, qu’elle ne traite pas de la compétence des juridictions, qui est régie, en particulier, par le règlement (UE) no 1215/2012 (67). Par ailleurs, la compétence territoriale des autorités administratives est déterminée par des dispositions de droit public, et cette directive n’en comprend pas.

174. Ce cadre étant dressé, il convient d’examiner l’argument du gouvernement français selon lequel l’interdiction de rediffusion en cause, en tant qu’injonction visée à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31, n’est pas soumise aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de celle-ci.

175. Il ressort de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 que cet article n’affecte pas la possibilité d’émettre des injonctions juridictionnelles ou administratives visant à mettre fin à une violation ou à la prévenir. Cet article prévoit uniquement, à son paragraphe 1, les conditions dans lesquelles un prestataire d’un service d’hébergement peut être exonéré de responsabilité pour des informations stockées à la demande des utilisateurs. De prime abord, il est donc douteux que l’article 14, paragraphe 3, de cette directive puisse avoir pour effet d’exclure l’application de l’article 3 de celle-ci.

176. Néanmoins, je considère que la raison pour laquelle une injonction susceptible de relever de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 peut ne pas être soumise aux conditions prévues à l’article 3 de celle-ci se trouve non pas dans cette première disposition, mais dans la seconde. En effet, il ressort de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive qu’un État membre autre que celui où le prestataire est établi ne saurait restreindre, par des mesures relevant du domaine coordonné, la libre prestation des services de la société de l’information. J’estime que, sous certaines conditions, une injonction portant sur une violation individualisée peut ne pas restreindre la libre prestation de tels services.

177. À ce propos, et en premier lieu, l’article 18 de la directive 2000/31 prévoit que les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans leur droit national portant sur les activités des services de la société de l’information permettent l’adoption de mesures visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés. Si tout État membre doit prévoir la possibilité d’adopter de telles mesures, une injonction qui vise à mettre un terme à une violation individualisée ou à la prévenir, adressée à un prestataire par un État membre autre que celui où il est établi, possède une capacité limitée à restreindre la libre circulation des services de la société de l’information. Bien que cette disposition ne se réfère qu’aux recours juridictionnels, la question de savoir si une injonction restreint la libre circulation des services du point de vue de son destinataire dépend non pas de la nature de l’autorité émettrice, mais de la substance et du contenu matériel de l’injonction concernée.

178. En deuxième lieu, ainsi que l’observe à juste titre le gouvernement français, cette interprétation est également corroborée par l’arrêt Glawischnig-Piesczek (68). Dans cet arrêt, la Cour n’a pas remis en cause la conformité, au regard de la directive 2000/31, d’une injonction adressée par une juridiction autrichienne à un prestataire de services d’hébergement établi en Irlande et qui visait un contenu identique ou équivalent à celui d’une information déclarée illicite (69). Ce faisant, la Cour a mis l’accent non pas sur le caractère juridictionnel de l’injonction concernée, mais sur son objet.

179. En troisième lieu, le législateur de l’Union a confirmé cette interprétation dans le règlement (UE) 2022/2065 (70). En effet, le considérant 38 de celui-ci précise, notamment, que les injonctions d’agir portant sur des contenus illicites spécifiques ne restreignent en principe pas la libre circulation des services intermédiaires, de sorte que l’article 3 de la directive 2000/31 ne leur est pas applicable (71).

180. Pour toutes ces raisons, je considère qu’une injonction d’agir portant sur un contenu illicite spécifique et visant à mettre un terme à une violation individualisée ou à la prévenir n’est pas soumise aux conditions prévues à l’article 3 de la directive 2000/31, pour autant qu’elle ne restreigne pas la libre circulation des services de la société de l’information. Ce constat doit être entendu de manière stricte afin de ne pas compromettre le mécanisme établi à cet article. Une telle injonction doit viser à remédier à une violation individualisée, sans toutefois affecter pour le surplus l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information. Ainsi, à titre d’exemple, le destinataire d’une injonction d’agir ne saurait être contraint de modifier la façon dont il organise son activité en tant que telle.

181. La question qui se pose est celle de savoir comment de telles injonctions d’agir qui ne restreignent pas la libre circulation des services, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31, s’articulent avec celles visées à l’article 14, paragraphe 3, de celle-ci.

182. À cet égard, il y a lieu de relever que ces deux dispositions remplissent des fonctions différentes (72). En outre, l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 fait expressément référence aux systèmes juridiques des États membres et semble leur laisser une marge d’appréciation en ce qui concerne l’émission d’injonctions. Je n’irai donc pas jusqu’à affirmer que toute injonction susceptible d’être adressée à un prestataire par le truchement de cette disposition ne restreint pas la libre circulation des services de la société de l’information. En revanche, j’estime que l’objet de toutes ces mesures est le même, à savoir mettre un terme à une violation individualisée ou prévenir une telle violation en ciblant un contenu illicite spécifique.

183. Dans ces conditions, se pose maintenant la question de savoir si la mesure nationale en cause restreint la libre circulation des services.

3)      L’interdiction de rediffusion en cause

184. Pour rappel, il ressort de mon analyse qu’une injonction d’agir portant sur un contenu illicite spécifique et visant à mettre un terme à une violation individualisée ou à la prévenir peut ne pas avoir pour effet de restreindre la libre circulation des services de la société de l’information (73).

185. En l’espèce, ni les informations relatives aux contrôles routiers communiquées par les utilisateurs d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation ni leur communication par ces utilisateurs ne sont illicites en tant que telles. En revanche, la diffusion de ces informations par un exploitant de ce service en contravention d’une interdiction émise par l’autorité compétente est illicite, et cette illicéité semble naître au moment de la notification de l’injonction à l’exploitant concerné (74). Ainsi, d’une part, l’interdiction de rediffusion en cause ne cible pas un contenu illicite spécifique et, d’autre part, ne vise pas à mettre un terme à une violation individualisée ou à la prévenir, mais peut conduire à une telle violation dans le chef de son destinataire si celui-ci vient à l’enfreindre.

186. Cette interdiction ne présente donc pas les caractéristiques d’une injonction d’agir portant sur un contenu illicite spécifique et visant à mettre un terme à une violation individualisée ou à la prévenir et qui ne restreindrait pas la libre circulation des services de la société de l’information.

e)      Adoption de mesures portant sur un service donné

187. Il ressort de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 qu’une mesure par laquelle un État membre de destination de services peut déroger à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive doit porter sur « un service donné de la société de l’information ». Dans l’arrêt Google Ireland e.a. (75), la Cour a clarifié que des mesures générales et abstraites visant une catégorie de services donnée de la société de l’information décrite en des termes généraux et s’appliquant indistinctement à tout prestataire de cette catégorie de services ne relèvent pas de la notion de « mesures prises à l’encontre d’un service donné de la société de l’information ».

188. À cet égard, bien que l’interdiction de rediffusion en cause produise des effets à l’égard d’un exploitant d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation dès sa notification à l’exploitant concerné, une autorité administrative compétente semble émettre une seule interdiction de rediffusion pour le contrôle routier qu’elle souhaite soustraire à la totalité de ces services.

189. En effet, d’une part, l’article R. 130-12 du code de la route exige que les informations sur les interdictions de rediffusion soient communiquées aux exploitants au moyen d’un système d’information. Il découle de cette disposition que la communication ainsi opérée vaut mise à disposition de la décision d’interdiction.

190. D’autre part, l’article L. 130-11 du code de la route indique à deux reprises que, par une interdiction de rediffusion, une autorité administrative compétente interdit à tout exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser les messages et les indications relatifs à un contrôle routier. En outre, Coyote System a fait valoir, lors de l’audience, que l’autorité compétente ne peut pas cibler uniquement certains des exploitants.

191. À ce propos, j’observe que si l’interdiction de rediffusion en cause semble s’appliquer à tout prestataire d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation (76), l’arrêt Google Ireland e.a. portait toutefois sur des mesures qui non seulement s’appliquaient indistinctement à une catégorie de services donnés de la société de l’information décrite en des termes généraux, mais qui avaient également un caractère général et abstrait. Or, l’interdiction de rediffusion en cause s’applique non pas à des situations hypothétiques et répétitives, mais à un contrôle routier donné. Elle n’est donc pas comparable à une législation générale et abstraite telle que celle en cause dans cet arrêt.

192. Toujours dans ce contexte, la Cour a considéré, dans l’arrêt Google Ireland e.a. (77), que des mesures générales et abstraites ne sauraient constituer des mesures de dérogation visées à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, notamment au motif qu’autoriser un État membre de destination à adopter de telles mesures empièterait sur la compétence réglementaire de l’État membre d’origine et aurait pour effet de soumettre des prestataires tant à la législation de l’État membre d’origine qu’à celle du ou des États membres de destination. L’adoption d’une mesure s’appliquant à un cas donné ne semble cependant pas avoir un tel effet, dans la mesure où elle a trait plutôt aux compétences et aux pouvoirs décisionnels des juridictions et autres autorités des États membres.

193. Par ailleurs, il est vrai que, comme la Cour l’a relevé dans l’arrêt Google Ireland e.a. (78), l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 oblige un État membre de destination à demander à l’État membre d’origine de prendre des mesures en matière de services de la société de l’information et, en ce sens, présuppose que l’État membre auquel est adressée une telle demande puisse être identifié avant l’adoption d’une mesure sur le fondement de l’article 3, paragraphe 4, de cette directive, de manière à ce que l’État membre de destination puisse s’acquitter de cette obligation. Toutefois, d’une part, il ressort toutefois de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de ladite directive, lu à la lumière du considérant 26 de celle-ci, que les mesures nécessaires pour détecter et poursuivre les infractions en matière pénale ne sont pas soumises à cette obligation. D’autre part, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, de la même directive, un État membre de destination peut, en cas d’urgence, déroger aux conditions procédurales prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de celle-ci et notifier, ex post, une mesure à la Commission et à l’État membre d’origine d’un prestataire. Cela corrobore l’interprétation selon laquelle certaines mesures sont susceptibles de jouer le rôle d’une mesure de dérogation également lorsqu’il n’est pas possible de remplir, avant leur adoption, les conditions procédurales prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31, pour autant que ces mesures remplissent les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de cette directive.

194. En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble que l’interdiction de rediffusion en cause peut être qualifiée de « mesure prise à l’encontre d’un service donné de la société de l’information » au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31.

f)      Conclusion

195. Il ressort de mon analyse, premièrement, que l’interdiction de rediffusion en cause n’est pas exclue du domaine coordonné eu égard aux objectifs qu’elle poursuit (79) ; deuxièmement, que cette interdiction restreint la libre circulation des services de la société de l’information (80), et, troisièmement, que sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, ladite interdiction peut jouer le rôle d’une mesure par laquelle un État membre peut restreindre la libre circulation de services pour autant qu’elle remplisse les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 (81).

196. Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 3 de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à une interdiction de rediffusion des messages et indications émis par les utilisateurs d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation qu’un État membre de destination de ces services entend imposer également aux exploitants de ces services établis dans les autres États membres, pour autant que cette interdiction remplisse les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, ou, le cas échéant, à l’article 3, paragraphe 5, de cette directive.

3.      Sur la troisième question préjudicielle

a)      Observations liminaires

197. La troisième question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15 de la directive 2000/31 et vise à déterminer si l’interdiction d’imposer une obligation générale de surveillance, prévue à cette disposition, fait obstacle à l’application de l’interdiction de rediffusion en cause.

198. À cet égard, les considérations qui précèdent concernent toutes le fonctionnement du mécanisme du marché intérieur des services de la société de l’information, établi à l’article 3 de cette directive.

199. Néanmoins, outre la problématique des conditions auxquelles les États membres peuvent adresser des injonctions aux prestataires de services de la société de l’information dans les situations transfrontalières, la directive 2000/31 comprend des dispositions susceptibles d’influer sur les contours des injonctions. Figurent au nombre de ces dispositions ses articles 14 et 15.

200. Les dispositions concernées s’appliquent notamment lorsqu’un État membre souhaite adresser une injonction à certains prestataires établis dans les autres États membres. Dans ce cas, l’examen de la conformité, au regard de la directive 2000/31, du pouvoir d’émettre cette injonction se déroule en deux étapes : l’examen de l’article 3, paragraphes 2 et 4, de cette directive, puis celui de ses articles 14 et 15.

201. Il convient de relever que l’article 15 de la directive 2000/31, comme il ressort de ses termes, n’est pertinent que si le prestataire du service de la société de l’information relève du champ d’application des articles 12 à 14 de celle-ci.

202. Dans la mesure où la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter également l’article 15 de la directive 2000/31 et où cet article s’applique à la fourniture des services visés, notamment à l’article 14 de celle-ci, on pourrait considérer que cette juridiction part de la prémisse que les services relevant du champ d’application des dispositions nationales contestées devant elle constituent des services d’hébergement. Cette prémisse ayant été discutée lors de l’audience, j’y consacrerai quelques remarques.

b)      Service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation

1)      Observations liminaires

203. Les dispositions nationales en cause visent les exploitants de services électroniques d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation.

204. Bien que la demande de décision préjudicielle ne précise pas en quoi consiste un tel service, son mode de fonctionnement peut être déduit du libellé de ces dispositions nationales. En outre, les parties ont présenté certaines observations qui concernent les aspects pratiques du fonctionnement de ces services. À cet égard, une autre difficulté tient au fait que ces observations semblent, à tout le moins en partie, concerner non pas la définition de la notion de « service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par la géolocalisation », retenue en droit français, mais le service fourni par la société Coyote System et les services semblables à celui-ci.

205. Je m’appuierai néanmoins sur toutes ces observations afin d’établir le point de départ de l’analyse qui suit. En effet, il est acquis que la société Coyote System est l’exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation au sens du droit français. En conséquence, une analyse qui prendra en compte les caractéristiques du service de cette société portera à tout le moins sur une portion du champ d’application des dispositions contestées devant la juridiction de renvoi.

206. En tout état de cause, il appartiendra au juge de renvoi d’interpréter le droit national et de déterminer le champ d’application des dispositions nationales en cause. Il lui appartiendra également de vérifier, à la lumière des précisions fournies par la Cour, si un exploitant de ce service relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

2)      Point de départ de mon analyse

207. L’une des fonctions essentielles d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation semble être de fournir à un conducteur les informations relatives aux conditions de circulation et le signalement d’autres événements de la circulation qui se sont produits sur l’itinéraire qu’il a choisi ou dans le périmètre où il se trouve au moment donné. Figurent parmi ces événements les contrôles routiers menés par les autorités publiques.

208. L’article L. 130-11 du code de la route présuppose qu’un tel service est alimenté, à tout le moins en partie, par les messages et les indications émis par certains utilisateurs, qui sont rediffusés par l’exploitant de ce service à l’ensemble des utilisateurs.

209. En pratique, ainsi que l’a expliqué Coyote System dans ses observations écrites et lors de l’audience, l’utilisateur d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation peut appuyer sur une icône correspondant à l’une des catégories prédéterminées d’événements de la circulation pour signaler un événement ainsi que sa localisation et accompagner ce signalement d’un message personnalisé ou d’une photographie.

210. Ce signalement est immédiatement et automatiquement diffusé à tous les utilisateurs qui peuvent ensuite, s’ils l’estiment erroné, notifier cette erreur en appuyant sur une icône prévue à cette fin. Si plusieurs utilisateurs notifient une erreur, le signalement concerné est supprimé.

211. Coyote System a également précisé, s’agissant de l’affichage des événements signalés, que le fonctionnement de son service repose sur un algorithme qui gère ces signalements afin, notamment, de joindre ceux qui se chevauchent et d’effacer ceux dont la fiabilité a été contestée à suffisance par la communauté des utilisateurs. En revanche, s’agissant des signalements émis par les utilisateurs, les exploitants n’exerceraient aucun contrôle sur leur contenu et les rediffuseraient tels quels aux utilisateurs.

212. Par ailleurs, bien que le mécanisme sur lequel repose le fonctionnement de tout autre service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation diffère, a priori, de celui de Coyote System, le fonctionnement de tous ces services semble dépendre du traitement d’une quantité considérable d’informations fournies par les utilisateurs, ce qui nécessite de recourir à un mécanisme automatisé.

213. Ces observations étant posées, il y a lieu de se pencher, dans un premier temps, sur le point de savoir si un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation consiste en un « stockage des informations fournies par un destinataire du service », au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (sous-section 3), et de déterminer, dans un second temps, si un exploitant d’un tel service est un « prestataire intermédiaire », au sens voulu par le législateur dans le cadre de la section 4 du chapitre II de cette directive (sous-section 4).

3)      Notion de « service d’hébergement »

214. L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 concerne la fourniture des services d’hébergement, c’est-à-dire les services de la société de l’information qui consistent en un stockage des informations fournies par un utilisateur du service à la demande de celui-ci.

215. Un tel service peut également comprendre la diffusion de ces informations au public à la demande d’un utilisateur. En effet, selon une jurisprudence constante, l’exploitant d’une plateforme de réseau social en ligne qui stocke des informations fournies par des utilisateurs de cette plateforme (82) et l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos (83) sont, à tout le moins en principe, des prestataires de services d’hébergement, au sens de l’article 14 de la directive 2000/31. La Cour a également considéré qu’un service de référencement constitue un service d’hébergement dans la mesure où son prestataire transmet les informations du destinataire de ce service sur un réseau de communication ouvert aux internautes et stocke, c’est-à-dire met en mémoire sur son serveur, certaines données sélectionnées par l’annonceur (84). Le législateur de l’Union a retenu une telle définition large du service d’hébergement dans le cadre du règlement 2022/2065 (85).

216. La question qui se pose est donc celle de savoir si les services électroniques d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation constituent des services dont l’objet correspond à la description que je viens de présenter.

217. À cet égard, à la différence des informations fournies aux plateformes de réseau social en ligne et aux plateformes de partage de vidéos, les informations relatives aux conditions de circulation sont fournies à un exploitant de service électronique non pas afin d’être stockées et diffusées telles quelles, mais afin d’alimenter le réservoir des informations à disposition de cet exploitant qui font l’objet d’un traitement algorithmique. Ce traitement permet de générer une image unique représentant, de la manière la plus fidèle possible, les conditions de circulation dans un périmètre donné. L’exploitant transmet ensuite le résultat de ces opérations aux utilisateurs afin de leur fournir, en temps réel, des informations sur les conditions de circulation dans le périmètre où ils se trouvent.

218. En conséquence, d’une part, à l’exception du signalement initial d’un événement, les informations fournies par un utilisateur ne sont pas diffusées à l’ensemble des utilisateurs, par l’intermédiaire du service concerné, sous la forme selon laquelle celui-ci les a fournies. D’autre part, ce service crée une nouvelle « couche informationnelle » sur la base des informations fournies par les utilisateurs, et c’est l’octroi de l’accès à celle-ci qui constitue l’objet principal de ce service.

219. Ensuite, pour revenir au signalement initial d’un événement, il est vrai celui-ci semble être immédiatement et automatiquement diffusé à l’ensemble des utilisateurs du service concerné.

220. Or, dans le cadre d’un service d’hébergement au sens de l’article 14 de la directive 2000/31, les opérations de stockage et de diffusion sont effectuées à la demande d’un utilisateur, ce qui présuppose que celui-ci initie ces processus et maintient un certain contrôle sur ces opérations.

221. Il y a lieu de souligner, à cet égard, que le fonctionnement du service de Coyote System repose sur un algorithme qui supprime les signalements dont la fiabilité a été contestée à suffisance par la communauté des utilisateurs. Le résultat des opérations effectuées par cet algorithme se substitue donc à la décision de l’utilisateur qui a fourni un signalement initial en vue de le diffuser. S’il est vrai que la suppression des signalements contestés peut être prévue par les conditions générales d’utilisation du service, cela ne change pas le fait que les opérations de stockage et de diffusion, initiées à la demande d’un utilisateur, sont interrompues par le résultat du traitement algorithmique de toutes les informations reçues par l’exploitant.

222. Enfin, le même traitement semble être appliqué aux signalements accompagnés d’un message personnalisé ou d’une photographie mentionnés par Coyote System. En effet, ceux-ci sont immédiatement et automatiquement diffusés et les autres utilisateurs peuvent confirmer ou contester leur véracité. Toutes ces communications font l’objet d’un traitement algorithmique, et seul le résultat de ces opérations sera transmis aux utilisateurs par l’intermédiaire du service (86).

223. Il s’ensuit qu’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation consiste non pas en un stockage et en une diffusion telles quelles, par l’intermédiaire de ce service, des informations fournies par les utilisateurs, mais en une création, sur la base de ces informations, d’une nouvelle couche informationnelle qui fournit aux utilisateurs une image unique représentant, en temps réel et de la manière la plus fidèle possible, les conditions de circulation dans le périmètre où ils se trouvent.

224. À cet égard, l’article 14 de la directive 2000/31 prévoit, à son paragraphe 2, que son paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire. Ce paragraphe 1 ne devrait pas non plus s’appliquer lorsque le prestataire communique aux utilisateurs un conglomérat des informations qui lui ont été fournies, mais qui, une fois regroupées, ne sont plus reconnaissables dans ce conglomérat. Un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation ne relève donc pas du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive.

225. Je poursuivrai cependant mon analyse pour le cas où la Cour ne suivrait pas ma proposition et considérerait qu’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation est susceptible de constituer un service d’hébergement au sens de l’article 14 de la directive 2000/31. En substance, pour que le stockage effectué par le prestataire d’un service de la société de l’information relève de cette disposition, il faut que le comportement de ce prestataire se limite à celui d’un « prestataire intermédiaire » au sens voulu par le législateur dans le cadre de la section 4 de cette directive (87).

4)      Qualité d’hébergeur

226. Il ressort de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, lu à la lumière du considérant 42 de celle-ci, que, pour que le prestataire d’un service de la société de l’information relève du champ d’application de cette disposition, son activité doit revêtir un caractère purement technique, automatique et passif, impliquant que ce prestataire n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.

227. Dans le cadre de l’examen mené afin d’établir si l’activité d’un prestataire revêt un tel caractère, le degré d’engagement de ce prestataire dans la détermination de la manière dont les informations fournies sont présentées et dans la « curation » du contenu joue un rôle important.

228. En effet, la Cour a considéré dans l’arrêt L ’Oréal e.a. (88), qui concernait l’exploitant d’une place de marché, que le simple fait qu’un exploitant stocke sur son serveur les offres à la vente, fixe les modalités de son service, soit rémunéré pour celui-ci et donne des renseignements d’ordre général à ses clients ne saurait avoir pour effet de le priver des dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive 2000/31. Lorsque cet exploitant a en revanche prêté une assistance ayant consisté, notamment, à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir ces offres, il y a lieu de considérer qu’il a non pas occupé une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres.

229. Ainsi, tout d’abord, le fait qu’un prestataire établisse la structure de la présentation générale des informations stockées à la demande des utilisateurs n’implique pas qu’il connaît ou contrôle le contenu de ces informations. Dès lors, le fait qu’un exploitant d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation prédétermine les catégories d’événements de la circulation que les utilisateurs peuvent choisir pour signaler un événement ne signifie pas que cet exploitant joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ce signalement. En effet, la décision d’associer un signalement à une catégorie spécifique est prise par l’utilisateur du service et le choix qu’il opère peut ne pas refléter correctement les conditions actuelles de circulation.

230. Ensuite, le signalement initial d’un événement de la circulation est immédiatement et automatiquement diffusé à l’ensemble des utilisateurs. À ce stade, l’exploitant du service ne procède pas à la vérification de la véracité de ce signalement et la diffusion de celui-ci ne requiert aucune action de sa part.

231. Une analyse ciblée sur les signalements initiaux fournit cependant une image incomplète du service en cause. En effet, les informations fournies par les utilisateurs ne sont pas diffusées telles quelles, mais font l’objet d’un traitement algorithmique afin de fournir une image unique qui représente les conditions de circulation dans un périmètre donné (89).

232. La question qui se pose est donc la suivante : l’exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation joue-t-il un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle du contenu des messages lorsqu’il a mis en place un algorithme de gestion automatisée des signalements qui interagissent entre eux, de sorte que la présentation de tous ces signalements dans le cadre de son service dépend du fonctionnement de cet algorithme ? En effet, indépendamment du contenu des messages et des indications communiqués individuellement par tout utilisateur de ce service, le résultat final de toutes ces communications, accessible à l’ensemble des utilisateurs, est déterminé au moyen d’un algorithme qui regroupe des signalements ou les efface.

233. Coyote System fait valoir que l’exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation ne contrôle pas les signalements émis par les utilisateurs de ce service : ces signalements sont immédiatement et automatiquement diffusés à l’ensemble des utilisateurs du service, sans aucune intervention de l’exploitant. Les éventuelles modifications des signalements enregistrés, y compris leur effacement, procèdent des interventions d’autres utilisateurs. En conséquence, pour reprendre les termes utilisés par cette société, les utilisateurs du service « génèrent, classent, modifient et suppriment des signalements du début à la fin ».

234. À cet égard, l’avocat général Poiares Maduro a estimé, dans ses conclusions dans les affaires Google France et Google (90), qu’un exploitant du moteur de recherche Google reste neutre à l’égard des informations qu’il héberge, car les résultats des recherches effectuées par ses utilisateurs sont le produit d’algorithmes automatiques qui appliquent des critères objectifs afin de présenter des sites susceptibles de répondre à l’intérêt de l’utilisateur d’Internet. Selon l’avocat général, la présentation de ces sites et l’ordre dans lequel ils sont classés dépendent de leur pertinence par rapport aux mots clés saisis, et non pas de l’intérêt de Google pour un site donné ou de ses relations particulières avec celui-ci. Dans l’arrêt Google France et Google (91), la Cour n’a pas expressément repris ce critère et s’est focalisée sur le caractère purement technique, automatique et passif de l’activité de l’exploitant concerné. Elle a relevé, notamment, que la concordance entre le mot clé sélectionné et le terme de recherche introduit par un internaute ne suffit pas en soi pour considérer que Google a une connaissance ou un contrôle des données introduites dans son système par les annonceurs et mises en mémoire sur son serveur.

235. Plus récemment, dans ses conclusions dans les affaires YouTube et Cyando (92), l’avocat général Saugmandsgaard Øe a souligné qu’un algorithme mis en place afin d’assurer certaines fonctions d’une plateforme de partage de vidéos, à savoir celles de recherche, d’indexation et de recommandation de la recherche, effectuait un traitement purement technique et automatique des informations stockées par l’exploitant de cette plateforme, de sorte que celui-ci maîtrisait non pas le contenu des informations stockées, mais leurs conditions d’affichage.

236. Par ailleurs, dans l’arrêt YouTube et Cyando  (93), la Cour a établi, s’agissant de l’une des conditions auxquelles l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 subordonne l’exonération de responsabilité d’un prestataire intermédiaire, que le fait que l’exploitant d’une plateforme de partage de contenus en ligne procède à une indexation automatisée des contenus téléversés sur cette plateforme, que ladite plateforme comporte une fonction de recherche et qu’elle recommande des vidéos en fonction du profil ou des préférences des utilisateurs ne saurait suffire pour considérer que cette condition n’est pas remplie. Comme je l’ai observé dans mes conclusions dans l’affaire Russmedia Digital et Inform Media Press (94), cette circonstance n’est, a fortiori, pas non plus susceptible de priver un tel exploitant de la possibilité de se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition. En effet, la question de savoir si les conditions auxquelles l’article 14, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2000/31 subordonne l’exonération de responsabilité sont remplies ne se pose que si le prestataire concerné peut être qualifié d’« hébergeur qui assume un rôle neutre » s’agissant des informations qu’il stocke et peut, a priori, se prévaloir de cette exonération.

237. J’en déduis que le prestataire ne saurait perdre sa qualité d’hébergeur au seul motif qu’il emploie un algorithme qui procède à l’indexation automatisée des contenus fournis par des utilisateurs et recommande à ces derniers des contenus qui peuvent les intéresser, sans toutefois effacer ou occulter d’autres contenus.

238. Toutefois, un traitement algorithmique des informations fournies par les utilisateurs peut consister non pas en une curation des contenus, mais en une création d’un nouveau corpus d’informations dans lequel les informations fournies par les utilisateurs ne sont plus reconnaissables. C’est notamment le cas lorsque le service concerné vise à fournir, comme c’est le cas en l’espèce, une image la plus fidèle possible d’une portion de la réalité. Dans un tel cas, l’exploitant de ce service peut jouer un rôle qui lui donne à tout le moins un contrôle sur les informations fournies par les utilisateurs. En effet, si l’exploitant détermine, par la programmation de son algorithme, le niveau de pertinence de toute information fournie par ses utilisateurs en fonction de critères qui, selon lui, permettent d’établir une représentation fidèle des conditions de circulation, il conviendrait de considérer qu’il exerce un tel contrôle. Ce faisant, l’exploitant détermine la quantité et la « qualité » des informations nécessaires afin de confirmer ou d’effacer une information du système. En outre, ces critères peuvent porter non seulement sur la simple quantité d’informations convergentes ou divergentes relatives à un événement de la circulation donné, mais également, entre autres, sur l’évaluation de la fiabilité d’un utilisateur et des informations qu’il fournit.

239. En conséquence, bien que l’algorithme utilisé par l’exploitant d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation cible les informations transmises par tous ses utilisateurs, sa programmation est du ressort de cet exploitant et permet à celui-ci d’exercer un contrôle sur les informations transmises ou stockées. Ledit exploitant ne saurait dès lors se prévaloir de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

240. Compte tenu de ma conclusion tirée de l’analyse de l’article 14 de la directive 2000/31 et du fait que l’article 15 de celle-ci ne s’applique qu’à la fourniture des services visés, notamment, à cette première disposition, il convient de considérer que cette seconde disposition n’est pas pertinente dans le cadre de l’examen de la conformité de l’interdiction de rediffusion en cause au regard de cette directive. Par souci d’exhaustivité, je procéderai tout de même à l’examen de la troisième question préjudicielle, pour le cas où la Cour ne suivrait pas mon analyse relative à l’article 14 de ladite directive.

c)      Article 15 de la directive 2000/31

241. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 15 de la directive 2000/31 s’oppose à ce que soit imposée aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation l’obligation de ne pas rediffuser ponctuellement, dans le cadre de ce service, certaines catégories de messages ou d’indications, sans que l’exploitant ait pour cela à prendre connaissance de leur contenu.

242. Afin de répondre à cette question, il convient de déterminer si une interdiction de rediffusion communiquée à un exploitant impose à celui-ci des obligations qui se limitent à un cas spécifique. En effet, si l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 interdit aux États membres d’imposer aux hébergeurs une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, il ressort du considérant 47 de cette directive qu’une telle interdiction ne concerne pas les obligations de surveillance « applicables à un cas spécifique ».

243. À ce propos, la Cour a jugé à plusieurs reprises que des mesures consistant à enjoindre à un prestataire de mettre en place, à ses frais exclusifs, des systèmes de filtrage impliquant une surveillance générale et permanente afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle étaient incompatibles avec l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 (95). Il en découle qu’une obligation de surveillance de toute violation future d’une catégorie donnée de droits ne se limite nullement à un cas spécifique, au sens entendu par le législateur de l’Union au considérant 47 de cette directive.

244. En revanche, comme je l’ai observé dans mes conclusions dans l’affaire Glawischnig-Piesczek  (96), la Cour a considéré, dans l’arrêt L’Oréal e.a. (97), qu’un hébergeur peut être contraint de prendre des mesures qui contribuent, notamment, à prévenir de nouvelles atteintes de même nature par le même destinataire. J’en ai déduit que, afin de ne pas aboutir à l’imposition d’une obligation générale, une obligation de surveillance doit répondre à des exigences additionnelles, à savoir porter sur des atteintes de même nature du même destinataire aux mêmes droits (98). Une obligation de surveillance relative à un cas spécifique doit donc être limitée, notamment, au regard des informations qu’un exploitant doit identifier et ensuite retirer ou dont il doit rendre l’accès impossible.

245. Dans cet ordre d’idées, la Cour a jugé, dans l’arrêt Glawischnig-Piesczek  (99), qu’une injonction adressée à un fournisseur de service de la société de l’information de supprimer des éléments précis du contenu qu’il stocke en tant qu’hébergeur, contenant des messages identiques ou analogues à ceux qu’une juridiction nationale avait déclarés diffamatoires à l’encontre d’une utilisatrice, concerne un cas spécifique. La Cour a mis un l’accent sur le fait que cette injonction n’obligeait pas l’hébergeur à procéder à une appréciation autonome du contenu stocké (100). Elle a considéré que cet hébergeur pouvait se limiter à vérifier, au moyen des recherches automatisées, si un contenu renfermait les éléments spécifiés dans l’injonction, sans devoir examiner lui-même, au cas où cette condition ne serait pas remplie, si ce contenu était diffamatoire.

246. Par ailleurs, dans mes conclusions dans l’affaire Mc  Fadden (101), relative à un fournisseur d’accès à un réseau de communication au sens de l’article 12 de la directive 2000/31, j’ai relevé, en m’inspirant des travaux préparatoires de cette directive, que, pour qu’une obligation puisse être considérée comme applicable à un cas spécifique, il convient notamment qu’elle soit limitée également au regard de la durée de surveillance. L’exigence relative à la limitation temporelle d’une obligation en matière de surveillance fait écho à plusieurs arrêts (102) et la Cour a semblé confirmer cette lecture dans son arrêt YouTube et Cyando (103), en indiquant que l’article 15 de ladite directive s’oppose à ce qu’une surveillance générale et permanente soit imposée à un prestataire d’un service d’hébergement.

247. J’observe que tous les éléments qui tracent les contours d’une obligation en matière de surveillance sont interdépendants. Afin de répondre à la question de savoir si une injonction respecte l’interdiction prévue à l’article 15 de la directive 2000/31, il convient ainsi d’évaluer ces éléments de manière globale.

248. C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de déterminer si, afin de se conformer à l’interdiction de rediffusion en cause, un exploitant doit procéder à une surveillance suffisamment ciblée, au point de se limiter à un cas spécifique.

249. À cet égard, je rappelle que, en vertu du droit français, une décision d’interdiction est rendue pour chaque contrôle que l’autorité compétente souhaite soustraire aux services électroniques d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation. En outre, l’obligation imposée à un exploitant au moyen d’une interdiction de rediffusion est temporellement limitée. En effet, il ressort de l’article L 130-11 du code de la route que la durée maximale d’une interdiction est déterminée par le caractère du contrôle routier concerné et ne peut en tout état de cause dépasser douze heures. Pareillement, en vertu de cette disposition, la superficie de la zone soumise à interdiction varie selon qu’il s’agit d’une agglomération ou non, de sorte que l’obligation pesant sur un exploitant est également soumise à une limitation spatiale.

250. Ainsi, en vue de se conformer à une interdiction de rediffusion, un exploitant est tenu ne pas transmettre les informations qui concernent un contrôle routier bien défini. Il ne doit pas procéder à une appréciation autonome de toutes les informations stockées, mais, afin d’identifier celles couvertes par cette interdiction, il lui appartient d’appliquer les critères précisés dans la décision d’interdiction, qui limitent matériellement, temporellement et spatialement l’étendue de ladite interdiction.

251. Il ressort de ces considérations que, sous réserve de la vérification qu’il incombe à la juridiction nationale d’effectuer le cas échéant, l’interdiction de rediffusion en cause n’entraîne pas d’obligations allant au-delà de celles relatives à un cas spécifique.

252. Cette considération n’est pas remise en cause par les affirmations de Coyote System selon lesquelles, contrairement à ce qu’a indiqué cette juridiction, une interdiction de rediffusion contraint de facto les exploitants à prendre connaissance des messages transmis par les utilisateurs, à déterminer si leur contenu entre dans le champ de l’exception prévue au paragraphe II de l’article L. 130-11 du code de la route (104) et à sélectionner ceux d’entre eux qui peuvent être rediffusés au reste de la communauté.

253. En effet, cette société conteste les appréciations de la juridiction de renvoi sans toutefois expliquer pourquoi un filtrage ne saurait être effectué automatiquement et sans que l’exploitant analyse au préalable le contenu des messages, à l’instar de la solution mentionnée dans l’arrêt Glawischnig-Piesczek  (105). En outre, comme je l’ai relevé (106), l’article 15 de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à toute obligation de détection ou de filtrage. En revanche, cette disposition interdit toute forme de surveillance généralisée, sans remettre en cause une obligation en cette matière portant sur un cas spécifique.

254. Eu égard à toutes ces circonstances, il conviendrait de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 15 de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à ce que soit imposée aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation l’obligation de ne pas rediffuser, dans le cadre de ce service, certaines catégories de messages ou d’indications pour autant que, afin d’identifier les messages ou les indications couverts par cette interdiction, ces exploitants ne soient pas tenus de procéder à l’appréciation autonome de toutes les informations stockées, mais doivent, en revanche, appliquer les critères précisés dans la décision d’interdiction, qui limitent matériellement, temporellement et spatialement l’étendue de ladite interdiction.

255. Sans préjudice des remarques supplémentaires qui précèdent, relatives à l’interprétation de l’article 15 de la directive 2000/31, je maintiens la position que j’ai avancée au point 240 des présentes conclusions selon laquelle cette disposition n’est pas pertinente dans le cadre de l’examen de la conformité de l’interdiction de rediffusion en cause au regard de cette directive.

VI.    Conclusion

256. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :

–        dans l’affaire C‑188/24 :

1)      le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, englobe l’obligation pesant sur les éditeurs de services de communication en ligne de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques, nonobstant la circonstance que cette obligation ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive ;

2)      l’obligation de mettre en œuvre des dispositifs techniques destinés à prévenir la possibilité pour des mineurs d’accéder aux contenus pornographiques ne saurait être exclue du domaine coordonné, au sens de l’article 2, sous h), de ladite directive, au seul motif que cette obligation constitue un corollaire des dispositions générales et abstraites du droit pénal qui désignent certains agissements comme constitutifs d’une infraction pénale susceptible de poursuites et qui s’appliquent indistinctement à toute personne physique ou morale ;

3)      le fait que l’adoption de mesures individuelles concernant un service donné ne soit pas de nature à assurer la protection des droits fondamentaux garantis par les articles 1er et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ne permet pas de déroger au mécanisme établi à l’article 3 de la même directive afin d’appliquer une obligation résultant de dispositions générales et abstraites à une catégorie de prestataires de services ;

–        dans l’affaire C‑190/24 :

1)      le domaine coordonné, tel que défini à l’article 2, sous h), de la directive 2000/31, englobe une interdiction faite aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs et susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire à des contrôles routiers, nonobstant la circonstance que cette interdiction ne porte sur aucune des matières régies par les dispositions d’harmonisation des chapitres II et III de cette directive ;

2)      l’article 3 de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à une interdiction de rediffusion des messages et indications émis par les utilisateurs d’un service d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation qu’un État membre de destination de ces services entend imposer également aux exploitants desdits services établis dans les autres États membres, pour autant que cette interdiction remplisse les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, ou, le cas échéant, à l’article 3, paragraphe 5, de cette directive.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JO 2000, L 178, p. 1).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications (JO 1997, L 24, p. 1).


5      Directive du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels ») (JO 2010, L 95, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018 (JO 2018, L 303, p. 69) (ci-après la « directive 2010/13 »).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (JO 2011, L 335, p. 1).


7      JORF n° 0187 du 31 juillet 2020.


8      JORF no 0250 du 26 octobre 2021.


9      Le libellé de cette disposition n’est que partiellement reproduit dans la demande de décision préjudicielle.


10      JORF n° 0235 du 8 octobre 2021.


11      JORF n° 0093 du 20 avril 2021.


12      Ces informations sont tirées des conclusions du rapporteur public du Conseil d’État dans les affaires au principal, qui sont disponibles sur le site de cette juridiction : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2024-03-06/453763?download_pdf.


13      Il ressort des observations écrites de la Commission que ce tribunal a sursis à statuer en attendant l’issue de la procédure devant la juridiction de renvoi.


14      Signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).


15      Voir, en ce sens, arrêts du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:980, point 72), et du 27 avril 2023, Viagogo (C‑70/22, EU:C:2023:350, points 25 à 28).


16      Voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2023, Google Ireland e.a. (C‑376/22, ci-après l’« arrêt Google Ireland e.a. », EU:C:2023:835, point 42), et du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 55).


17      Voir points 29 et suiv. des présentes conclusions.


18      Le pouvoir d’une autorité compétente d’émettre une telle mise en demeure était prévu par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020. Il me faut observer que cet article a été remplacé en 2024 par les articles 10-1 et 10-2 nouveaux de la loi no 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (JORF no 0143 du 22 juin 2004) et que cette dernière disposition prévoit désormais la mise en œuvre des procédures dérogatoires prévues à l’article 3, paragraphe 4, sous a) et b), ou à l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2000/31.


19      Ainsi, les questions préjudicielles portent non pas sur des mesures individuelles qui sont adoptées sur la base des dispositions générales et abstraites et remplissent les conditions prévues à l’article 3, paragraphes 4 et 5, de la directive 2000/31, mais sur ces dispositions générales et abstraites proprement dites, qui sont appliquées telles quelles aux prestataires de services de la société de l’information.


20      À cet égard, la Commission a fait valoir, lors de l’audience, que la conformité de l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020 à la directive 2000/31 n’est pas contestée au principal. En effet, selon la Commission, outre le décret du 7 octobre 2021, seul l’article 23 de cette loi est examiné par la juridiction de renvoi du point de vue de sa conformité avec le droit de l’Union. Cette remarque pourrait suggérer que l’analyse de la Cour devrait se concentrer non pas sur une obligation qui constituerait le corollaire des dispositions générales et abstraites du droit pénal, mais sur la mise en demeure que l’autorité compétente peut imposer à un éditeur d’un service de communication en ligne. Toutefois, il résulte surtout de la troisième question préjudicielle dans cette affaire que c’est cette obligation qui est visée par la juridiction de renvoi.


21      Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 57).


22      Voir point 31 des présentes conclusions.


23      Voir, en ce sens, arrêts Google Ireland e.a. (point 42) et du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 55).


24      Voir, en ce sens, arrêts Google Ireland e.a. (points 43 et 44) ainsi que du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, points 56 et 57).


25      Voir considérant 22 de la directive 2000/31 : « [...] assurer efficacement la libre prestation des services et une sécurité juridique pour les prestataires et leurs destinataires ».


26      Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 57). Voir, également, Crabit, E., « La directive sur le commerce électronique : le projet “Méditerranée” », Revue du droit de l’Union européenne, 2000, no 4, p. 767.


27      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/31 prévoit que « [o]utre les autres exigences prévues par le droit communautaire, les États membres qui autorisent les communications commerciales non sollicitées par courrier électronique veillent à ce que ces communications commerciales effectuées par un prestataire établi sur leur territoire puissent être identifiées de manière claire et non équivoque dès leur réception par le destinataire ».


28      Voir arrêts du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 82) ; du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, points 87 et 88), ainsi que du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 64).


29      Voir arrêt du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 62). Voir également mes conclusions dans les affaires Airbnb Ireland e.a. (C‑662/22 à C‑667/22, EU:C:2024:18, points 155 et 158).


30      Le considérant 21 de la directive 2000/31 énonce que « [l]a portée du domaine coordonné est sans préjudice d’une future harmonisation communautaire concernant les services de la société de l’information et de futures législations adoptées au niveau national conformément au droit communautaire. Le domaine coordonné ne couvre que les exigences relatives aux activités en ligne, telles que l’information en ligne, la publicité en ligne, les achats en ligne, la conclusion de contrats en ligne et ne concerne pas les exigences juridiques des États membres relatives aux biens telles que les normes en matière de sécurité, les obligations en matière d’étiquetage ou la responsabilité du fait des produits, ni les exigences des États membres relatives à la livraison ou au transport de biens, y compris la distribution de médicaments. Le domaine coordonné ne couvre pas l’exercice du droit de préemption par les pouvoirs publics concernant certains biens tels que les œuvres d’art ».


31      Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 86).


32      Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 87).


33      Voir, en ce sens arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne) (C‑649/18, EU:C:2020:764, point 88).


34      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 87).


35      On pourrait certes arguer, en théorie, que l’étendue du domaine coordonné est plus vaste que le champ d’application de la directive 2000/31, tel qu’il est limité par son article 1er, paragraphe 5. La Cour a cependant rejeté une telle interprétation dans l’arrêt du 2 décembre 2010, Ker-Optika (C‑108/09, EU:C:2010:725, points 27 et 28), et l’a également implicitement écartée dans son arrêt du 27 avril 2022, Airbnb Ireland (C‑674/20, EU:C:2022:303, points 35 et 49). En effet, si cette directive n’est pas applicable à un domaine, le mécanisme établi à son article 3 ne saurait affecter l’applicabilité des règles relevant de ce domaine dans les situations transfrontalières.


36      Voir point 70 des présentes conclusions.


37      Voir point 62 des présentes conclusions.


38      Voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2024, LEA (C‑10/22, EU:C:2024:254, point 67).


39      Arrêt du 27 avril 2022, Airbnb Ireland (C‑674/20, EU:C:2022:303, point 27).


40      Voir arrêt du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 46).


41      Voir point 55 des présentes conclusions.


42      Voir arrêt du 10 février 2009, Irlande/Parlement et Conseil (C‑301/06, EU:C:2009:68, point 63).


43      Voir arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 36).


44      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


45      Le gouvernement français tire cet argument de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2006/123, qui est libellé comme suit : « La présente directive n’affecte pas les règles de droit pénal des États membres. Toutefois, les États membres ne peuvent restreindre la libre prestation des services en appliquant des dispositions pénales qui réglementent ou affectent de façon particulière l’accès à une activité de service ou l’exercice d’une telle activité à l’effet de contourner les règles énoncées dans la présente directive ».


46      Voir article 1er, paragraphe 5, de la directive 2006/123.


47      Voir considérant 12 de la directive 2006/123.


48      Voir considérant 8 de la directive 2000/31 et considérant 12 de la directive 2006/123, qui clarifie que celle-ci « n’harmonise pas le droit pénal ni ne lui porte atteinte. Toutefois, les États membres ne devraient pas avoir la possibilité de restreindre la libre prestation des services en appliquant des dispositions pénales qui affectent de façon particulière l’accès à une activité de service ou l’exercice d’une telle activité à l’effet de contourner les règles énoncées dans la présente directive ».


49      Voir point 30 des présentes conclusions.


50      Voir point 112 des présentes conclusions.


51      Voir arrêt du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 71).


52      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE (règlement européen sur la liberté des médias) (JO L, 2024/1083).


53      Il ressort de l’article 29 du règlement 2024/1083 que l’article 15 de ce règlement est applicable à partir du 8 mai 2025.


54      Voir point 31 des présentes conclusions.


55      Voir arrêt Google Ireland e.a. (point 43), ainsi que arrêt du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 56).


56      Le considérant 22 de la directive 2000/31 énonce que « [l]e contrôle des services de la société de l’information doit se faire à la source de l’activité pour assurer une protection efficace des objectifs d’intérêt général [...] non seulement pour les citoyens de [l’État membre sur le territoire duquel un prestataire est établi], mais aussi pour l’ensemble des citoyens de [l’Union] ». Voir mes conclusions dans les affaires Airbnb Ireland e.a. (C‑662/22 à C‑667/22, EU:C:2024:18, point 147).


57      Voir point 122 des présentes conclusions.


58      Voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 80 à 83 et 88).


59      Voir point 64 des présentes conclusions.


60      Voir point 13 des présentes conclusions.


61      Voir point 60 de cet arrêt.


62      Eu égard aux conclusions qu’il a présentées dans les affaires au principal, il semble que c’est également la position du rapporteur général du Conseil d’État, selon lequel « [l]’affaire [C‑190/24] concerne des exigences relatives à l’exercice de leur activité par des prestataires qui relèvent d’une catégorie de services de la société de l’information. Les règles en litige sont générales et abstraites, elles ne concernent pas “un service donné” ».


63      Voir point 30 des présentes conclusions.


64      Voir point 111 des présentes conclusions.


65      Voir point 69 des présentes conclusions.


66      Voir également mes conclusions dans l’affaire Google Ireland e.a. (C‑376/22, EU:C:2023:467, points 47 et 50), dans lesquelles j’ai évoqué la possibilité d’adopter une interprétation en ce sens. En effet, l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2000/31 ne réserve nullement cette compétence.


67      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


68      Arrêt du 3 octobre 2019 (C‑18/18, EU:C:2019:821).


69      Je dois préciser que les enseignements à tirer de cet arrêt peuvent ne pas être décisifs. En effet, d’une part, la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt n’avait pas sollicité l’interprétation de l’article 3 de la directive 2000/31. D’autre part, la Cour a reformulé les questions préjudicielles et a examiné cette directive dans son ensemble. À ce dernier égard, la Cour aurait pu considérer qu’il ne lui appartenait pas d’interpréter cette disposition ou que les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive étaient réunies.


70      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1).


71      Le considérant 38 du règlement 2022/2065 énonce que « [l]es injonctions d’agir contre des contenus illicites et de fournir des informations ne sont soumises aux règles garantissant la compétence de l’État membre dans lequel le fournisseur de services visé est établi et aux règles prévoyant d’éventuelles dérogations à cette compétence dans certains cas, énoncées à l’article 3 de la [directive 2000/31], que si les conditions dudit article sont remplies. Dans la mesure où les injonctions d’agir contre des contenus illicites portent, respectivement, sur des éléments de contenus illicites et sur des éléments d’information spécifiques, lorsqu’elles sont adressées à des fournisseurs de services intermédiaires établis dans un autre État membre, elles ne restreignent pas en principe la liberté de ces fournisseurs de fournir leurs services par-delà les frontières. Par conséquent, les règles énoncées à l’article 3 de [cette directive] [...] ne s’appliquent pas à ces injonctions ».


72      Voir, en ce sens, dans le contexte de l’articulation entre l’article 3 de la directive 2000/31 et le règlement 2022/2065, Husovec, M., Principles of the Digital Services Act, Cambridge University Press, 2024, p. 153, ainsi que Wilman, F., Kaleda, S.L., et Loewenthal, P. J., The EU Digital Services Act. A Commentary, Oxford University Press, 2024, p. 56.


73      Voir point 180 des présentes conclusions.


74      À cet égard, le gouvernement français semble suggérer, dans ses observations écrites, que l’information relative à un contrôle routier donné est « déclarée illicite » avant que soit émise l’injonction de ne pas la rediffuser. Toutefois, la lecture des articles L. 130-11 et R. 130-11 du code de la route laisse entendre qu’une autorité administrative peut interdire la rediffusion d’une information relative à un contrôle routier et que l’illicéité de l’acte de rediffusion ne naît qu’au moment de la notification de l’injonction à l’exploitant en cause. En tout état de cause, cette problématique relève de l’interprétation du droit national et de la seule compétence de la juridiction de renvoi.


75      Voir point 60 de cet arrêt.


76      Or, il convient de relever, d’une part, que l’interdiction de rediffusion en cause produit des effets à l’égard des exploitants auxquels elle a été communiquée et, d’autre part, que la demande de décision préjudicielle n’indique pas comment est établie la liste des exploitants auxquels une interdiction est communiquée.


77      Voir point 49 de cet arrêt.


78      Voir point 35 de cet arrêt.


79      Voir point 165 des présentes conclusions.


80      Voir point 186 des présentes conclusions.


81      Voir point 194 des présentes conclusions.


82      Voir arrêts du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 27), et du 3 octobre 2019, Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:821, point 22).


83      Voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2021, YouTube et Cyando (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 104), et du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2022:297, point 28).


84      Arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2010:159, point 111).


85      En remédiant à cette définition inadaptée aux défis d’aujourd’hui, le législateur de l’Union a distingué, au sein de cette large catégorie des services d’hébergement, la sous-catégorie constituée des services fournis par les plateformes en ligne qui consistent non seulement en un stockage des informations fournies par les utilisateurs, mais également en leur diffusion au public. En vertu du règlement 2022/2065, les prestataires de ces plateformes sont soumis, à tout le moins en principe, à des obligations supplémentaires spécifiques. Voir également considérant 13 de ce règlement.


86      À cet égard, on ne saurait exclure qu’une composante de ce service qui consiste en une transmission de messages entre les utilisateurs constitue un service d’hébergement. La question de cette fonction de communication n’est cependant pas soulevée en l’espèce.


87      Voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2010:159, point 112).


88      Arrêt du 12 juillet 2011 (C‑324/09, EU:C:2011:474, points 115 et 116).


89      Voir point 223 des présentes conclusions.


90      C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2009:569, point 144.


91      Arrêt du 23 mars 2010 (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2010:159, points 114 et 117).


92      Voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires jointes YouTube et Cyando (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2020:586, points 160 et 162).


93      Voir arrêt du 22 juin 2021 (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 114).


94      C‑492/23, EU:C:2025:68, point 53.


95      Voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 135 et jurisprudence citée).


96      C‑18/18, EU:C:2019:458, point 42.


97      Arrêt du 12 juillet 2011 (C‑324/09, EU:C:2011:474, point 144).


98      Voir mes conclusions dans l’affaire Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:458, point 45).


99      Arrêt du 3 octobre 2019 (C‑18/18, EU:C:2019:821).


100      Voir arrêt du 3 octobre 2019, Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:821, points 45, 46 et 53).


101      C‑484/14, EU:C:2016:170, point 132.


102      Voir également mes conclusions dans l’affaire Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:458, point 49).


103      Arrêt du 22 juin 2021 (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 135).


104      Aux termes du paragraphe II de l’article L. 130-11, « [l]’interdiction mentionnée au I du présent article ne s’applique pas aux événements ou circonstances prévus à l’article 3 du règlement délégué (UE) no 886/2013 de la Commission, du 15 mai 2013, complétant directive 2010/40/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les données et procédures pour la fourniture, dans la mesure du possible, d’informations minimales universelles sur la circulation liées à la sécurité routière gratuites pour les usagers [(JO 2013, L 247, p. 6)] ». Cette disposition comprend une liste de douze conditions météorologiques ou routières (telles qu’un animal, une personne, un obstacle ou un débris sur la route) susceptibles d’affecter la sécurité routière proprement dite.


105      Arrêt du 3 octobre 2019, Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:821, point 46).


106      Voir point 245 des présentes conclusions.

Augša