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Document 62015TJ0107

Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 18 septembre 2017.
Uganda Commercial Impex Ltd contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République démocratique du Congo – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo – Maintien du nom de la requérante sur la liste.
Affaires T-107/15 et T-347/15.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2017:628

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

18 septembre 2017  (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République démocratique du Congo – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo – Maintien du nom de la requérante sur la liste »

Dans les affaires T-107/15 et T-347/15,

Uganda Commercial Impex Ltd, établie à Kampala (Ouganda), représentée, dans l’affaire T‑107/15, par M. S. Zaiwalla, Mmes P. Reddy, Z. Burbeza, A. Meskarian, M. K. Mittal, solicitors, et M. R. Blakeley, barrister, et, dans l’affaire T‑347/15, par M. Zaiwalla, Mmes Reddy, Meskarian, MM. Mittal et Blakeley,

partie requérante,


contre

Conseil de l’Union européenne, représenté, dans l’affaire T‑107/15, initialement par M. B. Driessen et Mme E. Dumitriu-Segnana, puis par M. Driessen et Mme M. Veiga, en qualité d’agents, et, dans l’affaire T‑347/15 , par M. Driessen, Mmes Dumitriu-Segnana et Veiga,

partie défenderesse,


ayant pour objet, dans l’affaire T‑107/15, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution 2014/862/PESC du Conseil, du 1er décembre 2014, mettant en œuvre la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2014, L 346, p. 36), et du règlement d’exécution (UE) n° 1275/2014 du Conseil, du 1er décembre 2014, mettant en œuvre l’article 9, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) n° 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2014, L 346, p. 3), et, en tant que de besoin, à ce que l’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1183/2005 du Conseil, du 18 juillet 2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1), soit déclaré inapplicable à la requérante et, dans l’affaire T‑347/15, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2015/620 du Conseil, du 20 avril 2015, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2015, L 102, p. 43), et du règlement d’exécution (UE) 2015/614 du Conseil, du 20 avril 2015, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 1183/2005 (JO 2015, L 102, p. 10), et, en tant que de besoin, à ce que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 soit déclaré inapplicable à la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, D. Spielmann (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 30 novembre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

 Sur les mesures introduites par les Nations unies

1        Les présentes affaires jointes s’inscrivent dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo (ci-après « RDC ») et de l’exercice de pressions sur les personnes et entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la RDC.

2        Par une série de résolutions prises entre 2003 et 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est penché sur la question des hostilités en RDC et des mesures à prendre pour remédier à cette situation. Il était notamment préoccupé par la présence de groupes armés et des milices dans certaines régions de la RDC, ce qui maintenait un climat d’insécurité sur toute cette région d’Afrique. En effet, la lutte des milices pour le contrôle des mines d’or et des routes commerciales alimentait le conflit qui sévissait dans la région depuis 1998.

3        Le 28 juillet 2003, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1493 (2003), dans laquelle il s’est déclaré profondément préoccupé par « la poursuite des hostilités dans l’Est de la RDC, en particulier dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri, et par les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui les accompagnent ». Il a aussi « condamn[é] catégoriquement l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres sources de richesse de la [RDC] et [a] exprim[é] son intention d’examiner les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour y mettre fin ».

4        Par sa résolution 1533 (2004), le Conseil de sécurité des Nations unies a notamment condamné la poursuite de l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC, en particulier dans l’est du pays, laquelle « contribu[ait] à la perpétuation du conflit, et [a] réaffirm[é] qu’il import[ait] de mettre fin à ces activités illégales en exerçant les pressions nécessaires sur les groupes armés, les trafiquants et tous les autres protagonistes ». Il a également décidé d’établir un comité du Conseil de sécurité des Nations unies pour surveiller l’application de l’embargo sur les armes visant tous les groupes armés et milices étrangers et congolais opérant dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri ainsi que les groupes qui ne sont pas parties à l’Accord global et inclusif sur la transition en RDC (ci-après le « comité des sanctions »).

5        Par sa résolution 1596 (2005), le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé que « tous les États devr[aient], pendant toute la durée d’application des mesures visées à l’article 1 […], geler immédiatement les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques se trouvant sur leur territoire à compter de l’adoption de la[dite] résolution, qui [étaient] en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des personnes que le [comité des sanctions] aur[ait] identifiées conformément à l’article 13 […], ou qui [étaient] détenus par des entités ou contrôlés directement ou indirectement par toute personne agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci, désignées par [ledit comité] ».

6        Par sa résolution 1698 (2006) le Conseil de sécurité des Nations unies « [a] exprim[é] son intention d’envisager […] d’éventuelles mesures visant à endiguer les sources de financement des groupes armés et milices, y compris l’exploitation illégale de catégories de ressources naturelles, dans l’Est de la [RDC] ».

7        Le 29 mars 2007, le comité des sanctions a désigné la requérante, Uganda Commercial Impex Ltd, pour les motifs suivants :

« Nom : UGANDA COMMERCIAL IMPEX (UCI) LTD ; Adresse : Kajoka Street, Kisemente, Kampala, Ouganda ; Tél. : +256 41 533 578/9 ; Autre adresse : PO Box 22709, Kampala, Ouganda ; Information d’identification : Société exportant de l’or localisée à Kampala ; Désignation/Justification : [la requérante] a acheté de l’or de manière régulière à des négociants en RDC étroitement liés à des milices. Cela constitue une “fourniture d’assistance” à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes établi par les résolutions 1493 (2003) et 1596 (2005). »

8        Le 25 juin 2007, la requérante a soumis une demande de radiation de son nom de la liste établie par le comité des sanctions auprès du point focal des Nations unies, à savoir l’organe qui reçoit ces demandes. Celle-ci a été rejetée en janvier 2008.

 Sur les mesures imposées par l’Union

9        Le 11 mars 2002, le Conseil a adopté la position commune 2002/203/PESC concernant le soutien de l’Union européenne à la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka et du processus de paix en RDC et abrogeant la position commune 2001/83/PESC (JO 2002, L 68, p. 1). L’article 2 prévoyait ce qui suit :

« L’Union européenne apportera son soutien à l’action menée par les Nations unies et l’Organisation de l’Unité africaine à l’appui de la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité [des Nations unies], dans le cadre du processus de paix et elle coopérera étroitement avec ces organisations et avec d’autres acteurs concernés de la Communauté internationale dans le cadre de la mise en œuvre de la présente position commune. »

10      Le 21 octobre 2002, le Conseil a adopté la position commune 2002/829/PESC concernant la fourniture de certains équipements à destination de la RDC (JO 2002, L 285, p. 1), qui a interdit la fourniture et la vente à destination de la RDC, par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit. Le 13 juin 2005, le Conseil a adopté la position commune 2005/440/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la RDC et abrogeant la position commune 2002/829 (JO 2005, L 152, p. 22), afin de mettre en conformité les mesures déjà imposées par la position commune 2002/829 avec celles prévues par la résolution 1596 (2005) du Conseil de sécurité des Nations unies.

11      À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60 et 301 CE, le règlement (CE) n° 889/2005 instituant certaines mesures restrictives à l’encontre de la RDC et abrogeant le règlement (CE) n° 1727/2003 (JO 2005, L 152, p. 1), qui a introduit un ensemble de mesures sur l’interdiction de fournir une assistance technique et financière en rapport avec des activités militaires de la RDC.

12      Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) n° 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la RDC (JO 2005, L 193, p. 1). En vue de mettre en œuvre la position commune 2005/440, le règlement n° 1183/2005 a prévu dans son article 2 ce qui suit :

« 1. Tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux personnes morales ou physiques, aux entités ou aux organismes énumérés à l’annexe I, qui sont en leur possession ou qui sont détenus par eux sont gelés.

2. Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I ou utilisé à leur profit.

3. La participation volontaire et délibérée à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect le contournement des mesures visées aux paragraphes 1 et 2 est interdite. »

13      En outre, dans son article 9, le règlement n° 1183/2005 prévoyait ce qui suit :

« 1. La Commission est habilitée :

a)      à modifier l’annexe I sur la base des choix arrêtés par le [c]omité des sanctions ; et

b)      à modifier l’annexe II sur la base des informations fournies par les États membres.

[…] »

14      Le 12 avril 2007, suite à la décision du 29 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations unies, la Commission européenne a adopté le règlement (CE) n° 400/2007 modifiant le règlement n° 1183/2005 (JO 2007, L 98, p. 20). Le nom de la requérante a été ajouté à la liste faisant partie de l’annexe audit règlement sous la description suivante :

« Uganda Commercial Impex (UCI) LTD. Adresse : a) Kajoka Street, Kisemente, Kampala, Ouganda. Téléphone : (+256) 41 533 578/9 ; b) PO Box 22709, Kampala, Ouganda. Autres informations : entreprise d’exportation d’or établie à Kampala.

[…] »

15      Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la RDC et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30). Cette décision a mis en œuvre la résolution 1533 (2004) des Nations unies et prévoyait dans l’article 3 ce qui suit :

« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et, le cas échéant, des entités suivantes, désignées par le comité des sanctions :

[…]

— les personnes ou entités qui, au moyen du trafic de ressources naturelles, soutiennent les groupes armés illégaux opérant dans l’est de la RDC. »

16      L’article 5, paragraphes 1 à 3, de la décision 2010/788 imposait le gel des fonds des personnes ou entités visées à l’article 3 de ladite décision. De plus, il prohibait la mise à disposition des fonds, avoirs financiers ou ressources économiques directement ou indirectement aux personnes ou entités visées. Enfin, il prévoyait la possibilité pour les États membres d’accorder des dérogations aux mesures visées par les dispositions précédentes, parmi d’autres en ce qui concernait des frais nécessaires pour régler des dépenses ordinaires, notamment pour payer des vivres, des loyers ou les mensualités de prêts hypothécaires, des médicaments ou des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des factures de services collectifs de distribution, d’honoraires d’un montant raisonnable ainsi que des frais ou commissions liés, conformément à la législation nationale, au maintien en dépôt de fonds ou d’autres avoirs financiers et ressources économiques gelés.

17      Dans l’annexe de la décision 2010/788, la requérante était désignée pour les motifs suivants :

« [La requérante] a acheté de l’or dans le cadre d’une relation commerciale régulière avec des négociants en RDC qui étaient étroitement liés à des milices. Cela constitue une “fourniture d’assistance” à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes prévu par les résolutions 1493 (2003) et 1596 (2005). »

18      Les mêmes motifs d’inscription du nom de la requérante ont été maintenus dans la décision d’exécution 2011/699/PESC du Conseil, du 20 octobre 2011, mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2011, L 276, p. 50).

19       Le 6 juin 2013, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 521/2013 modifiant le règlement n° 1183/2005 (JO 2013, L 156, p. 1). L’article 9 du règlement n° 1183/2005 a été remplacé par le texte qui suit :

« Article 9

1. Si le Conseil de sécurité des Nations unies ou le [c]omité des sanctions désigne une personne physique ou morale, une entité ou un organisme, le Conseil ajoute cette personne physique ou morale, cette entité ou cet organisme à l’annexe I.

2. Le Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme visé au paragraphe 1, avec les motifs de son inscription sur la liste, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de formuler des observations.

3. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme en conséquence.

[...] »

20      Le 17 mars 2014, le Conseil a adopté la décision 2014/147/PESC modifiant la décision 2010/788 (JO 2014, L 79, p. 42). La partie pertinente de l’article 3 de la décision 2010/788 a été remplacée par le texte suivant :

« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et, le cas échéant, des entités suivantes, désignées par le comité des sanctions :

[…]

–– les personnes ou entités qui, au moyen du trafic de ressources naturelles, y compris l’or, les espèces sauvages et les produits en provenant, soutiennent les groupes armés opérant en RDC. »

21      Le 1er décembre 2014, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2014/862/PESC mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2014, L 346, p. 36). La décision d’exécution 2014/862 faisait suite à deux décisions des 30 juin et 31 octobre 2014 du comité des sanctions portant modification de la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives. Le nom de la requérante a été maintenu dans l’annexe de la décision d’exécution 2014/862 sur le fondement des motifs suivants :

« UGANDA COMMERCIAL IMPEX (UCI) LTD

Adresse : a) Kajoka Street, Kisemente, Kampala, Uganda (Téléphone +256 41 533 578/9), b) PO BOX 22709, Kampala, Ouganda. Date de désignation par les Nations unies : 29 mars 2007. Renseignements complémentaires : Société d’exportation d’or. (anciens directeurs : M. J. V. LODHIA — connu sous le nom de “Chuni” — et son fils, M. Kunal LODHIA). En janvier 2011, les autorités ougandaises ont informé le [comité des sanctions] que, à la suite d’une exemption sur ses avoirs financiers, Emirates Gold a remboursé la dette de [la requérante] à la Crane Bank à Kampala, ce qui a entraîné la clôture de ses comptes. L’ancien propriétaire de [la requérante], J.V. Lodhia, et son fils, Kumal Lodhia, ont continué d’acheter de l’or en provenance de l’est de la RDC.

Renseignements complémentaires issus de l’exposé des motifs de l’inscription fourni par le [c]omité des sanctions :

[La requérante] a acheté de l’or dans le cadre d’une transaction commerciale régulière avec des négociants en RDC étroitement liés à des milices. Cela constitue une “fourniture d’assistance” à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes prévu par les résolutions 1493 (2003) et 1596 (2005). Société d’exportation d’or. (anciens directeurs : M. J. V. LODHIA — connu sous le nom de “Chuni” — et son fils, M. Kunal LODHIA). En janvier 2011, les autorités ougandaises ont informé le [comité des sanctions] que, à la suite d’une exemption sur ses avoirs financiers, Emirate Gold a remboursé la dette de [la requérante] à la Crane Bank à Kampala, ce qui a entraîné la clôture de ses comptes. L’ancien propriétaire de [la requérante], J.V. Lodhia, et son fils, Kumal Lodhia, ont continué d’acheter de l’or en provenance de l’est de la RDC. »

22      Le 1er décembre 2014, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 1275/2014 mettant en œuvre l’article 9, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1183/2005 (JO 2014, L 346, p. 3). Ledit règlement d’exécution a fait suite à deux décisions des 30 juin et 31 octobre 2014 du comité des sanctions portant modification de la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives. Selon l’article 1er de ce règlement d’exécution, l’annexe I du règlement n° 1183/2005 a été remplacée et le nom de la requérante a été maintenu pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la décision d’exécution 2014/862.

23       Le 2 décembre 2014, par son avis 2014/C 432/01, le Conseil a porté à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2010/788, mise en œuvre par la décision d’exécution 2014/862, et par le règlement n° 1183/2005, mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 1275/2014, des informations sur la mise en œuvre de ces décisions et sur la possibilité de lui demander leur réexamen. Le même jour, il a rédigé une lettre signifiant à la requérante les mesures en cause. L’attention de la requérante a été attirée sur le fait qu’elle pouvait saisir les autorités compétentes des États membres pour demander des dérogations aux mesures de gel de fonds, notamment pour avoir les fonds nécessaires pour régler les dépenses ordinaires. De plus, la requérante a été informée de la possibilité d’adresser au Conseil une demande de reconsidération de l’inscription de son nom sur la liste en cause ainsi que de saisir le Tribunal pour contester cette inscription.

24      Le 20 avril 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/620 modifiant la décision 2010/788 (JO 2015, L 102, p. 43). Cette décision a été adoptée suite à la décision du 5 février 2015 du comité des sanctions de modifier la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives. Elle a porté modification des critères de désignation pour ce qui concernait les restrictions en matière de voyage et le gel des fonds prévus par la décision 2010/788. Le nouvel article 3 de cette dernière décision, tel que modifié par l’article 1er de la décision 2015/620, a prévu que des mesures restrictives étaient instituées à l’encontre des personnes et entités désignées par ledit comité et se livrant ou apportant un soutien à des actes qui compromettent la paix, la stabilité ou la sécurité en RDC. D’après l’article 3, sous g), de la décision 2010/788, telle que modifiée, de tels actes comprenaient le fait d’« apporter son concours à des personnes ou entités, y compris des groupes armés, qui prennent part à des activités déstabilisatrices en RDC en se livrant au commerce illicite de ressources naturelles, dont l’or ou les espèces sauvages et les produits qui en sont issus ».

25      En outre, le nom de la requérante a été maintenu dans l’annexe de la décision 2010/788 pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la décision d’exécution 2014/862, à certaines exceptions près. En particulier, l’adresse de la requérante apparaissait comme suit : « Plot 22, Kanjokya Street, Kamwokya, Kampala, Ouganda ». De plus, dans la première partie de la motivation, M. Jamnadas V. LODHIA — connu sous le nom de « Chuni » –– et ses fils, MM. Kunal J. LODHIA et Jitendra J. LODHIA, étaient mentionnés comme les directeurs actuels de la requérante.

26      Le 20 avril 2015, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2015/613 modifiant le règlement n° 1183/2005 et abrogeant le règlement n° 889/2005 (JO 2015, L 102, p. 3). En effet, ledit règlement a mis à jour certaines dispositions du règlement n° 1183/2005, à la lumière de la décision 2015/620. En particulier, le paragraphe 1 de l’article 2 bis du règlement n° 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2015/613, prévoit ce qui suit :

« 1. L’annexe I inclut les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le [c]omité des sanctions comme se livrant à des actes qui menacent la paix, la stabilité ou la sécurité en RDC ou apportant leur soutien à de tels actes. Ces actes consistent notamment à :

[…]

g)      apporter son concours à des personnes ou entités, y compris des groupes armés, qui prennent part à des activités déstabilisatrices en RDC en se livrant au commerce illicite de ressources naturelles, dont l’or ou les espèces sauvages et les produits qui en sont issus,

[…] »

27      Le 20 avril 2015, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/614 mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 1183/2005 (JO 2015, L 102, p. 10). Ce règlement d’exécution a été adopté suite à la décision du 5 février 2015 du comité des sanctions de modifier la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives. Selon l’article 1er dudit règlement d’exécution, l’annexe I du règlement n° 1183/2005 a été remplacée et le nom de la requérante a été maintenu pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la décision 2015/620.

28      Le 21 avril 2015, par son avis 2015/C 128/02, le Conseil a porté à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2010/788, modifiée par la décision 2015/620, et par le règlement n° 1183/2005, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2015/614, des informations sur la mise en œuvre de ces décisions et sur la possibilité de lui demander leur réexamen. Le même jour, il a rédigé une lettre signifiant à la requérante les mesures en cause. À l’instar de la lettre datée du 2 décembre 2014, l’attention de la requérante a été attirée sur le fait qu’elle pouvait saisir les autorités compétentes des États membres pour demander des dérogations aux mesures de gel de fonds, notamment pour avoir les fonds nécessaires pour régler les dépenses ordinaires. De plus, la requérante a été informée de la possibilité d’adresser au Conseil une demande de reconsidération de l’inscription de son nom sur la liste en cause ainsi que de saisir le Tribunal pour contester cette inscription.

29      Entre-temps, par lettre en date du 23 mars 2015, la requérante s’était adressée au Conseil. Elle lui avait fait grief d’avoir adopté la décision d’exécution 2014/862 et le règlement d’exécution n° 1275/2014 par lesquels celui-ci avait maintenu l’inscription de son nom sur la liste en cause. La requérante se plaignait de la violation de ses droits de la défense et demandait au Conseil de lui communiquer les informations et les éléments de preuve motivant cette inscription. Elle y avait joint une copie de la requête qui est à l’origine de l’affaire T‑107/15.

30      Le 26 mars 2015, le Conseil a accusé réception de la lettre de la requérante du 23 mars 2015 et, le 15 juin 2015, il a répondu à cette lettre quant au fond. Dans sa lettre, le Conseil a cité les décisions et règlements ayant servi de fondement à l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause et a noté que les motifs d’inscription étaient repris des motifs de désignation retenus par le comité des sanctions. Il a également relevé que tous les éléments retenus par ledit comité se fondaient sur les conclusions du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC. Enfin, il a communiqué aux représentants de la requérante des documents inclus dans le dossier de son affaire pour qu’elle puisse défendre ses intérêts. Ceux-ci comprenaient notamment le rapport dudit groupe d’experts de 2015 ainsi que des projets d’actes du Conseil prévoyant l’inscription de la requérante sur les listes des personnes ou entités dont les fonds étaient gelés. Les listes des personnes ou entités concernées, dont la requérante, comportant les motifs d’inscription étaient aussi incluses dans les documents qui lui ont été envoyés.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée le 25 février 2015, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision d’exécution 2014/862 et du règlement d’exécution n° 1275/2014 (ci-après les « actes de 2014 »), pour autant qu’ils la concernent et, en tant que de besoin, à ce que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 lui soit déclaré inapplicable. Ce recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑107/15.

32      Par requête déposée le 18 juin 2015, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision 2015/620 et du règlement d’exécution 2015/614 (ci-après les « actes de 2015 »), pour autant qu’ils la concernent et, en tant que de besoin, à ce que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 lui soit déclaré inapplicable. Ce recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑347/15.

33      Par décision du président de la neuvième chambre du Tribunal du 6 novembre 2015, les affaires T‑107/15 et T‑347/15 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure, conformément à l’article 68 du règlement de procédure du Tribunal.

34      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

35      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, a posé des questions aux parties pour réponse écrite ainsi que des questions pour réponse à l’audience.

36      Les réponses écrites des parties ont été déposées au greffe du Tribunal dans le délai imparti.

37      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 30 novembre 2016. S’agissant de l’affaire T‑107/15, dans sa défense, le Conseil avait soulevé des doutes sur la recevabilité ratione temporis du recours y afférent. Lors de l’audience, il a admis que ledit recours était recevable, au vu des informations entre-temps reçues.

38      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        dans l’affaire T‑107/15, annuler les actes de 2014 pour autant qu’ils s’appliquent à elle (y compris l’inscription de son nom dans l’annexe desdits actes) ;

–        dans l’affaire T‑347/15, annuler les actes de 2015 pour autant qu’ils s’appliquent à elle (y compris l’inscription de son nom dans l’annexe desdits actes) ;

–        dans les affaires T‑107/15 et T‑347/15, en tant que de besoin, déclarer que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 lui est inapplicable ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

39      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

40      À titre liminaire, le Tribunal décide de joindre les affaires T‑107/15 et T‑347/15 aux fins de l’arrêt, en vertu de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure.

41      Par ailleurs, à l’appui des recours, la requérante se prévaut, dans chacun d’eux, de quatre moyens, tirés, le premier, de l’absence d’évaluation indépendante, ou adéquate, par le Conseil des éléments de preuve ayant servi de fondement aux décisions du comité des sanctions pour la désigner, le deuxième, d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère de désignation dans son cas, le troisième, de la violation de ses droits procéduraux, en particulier des droits de la défense et des droits à une protection judiciaire effective, et du manque de motivation suffisante des actes de 2014 et de 2015 et, le quatrième, de la violation de ses droits fondamentaux et du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’évaluation indépendante ou adéquate par le Conseil des éléments de preuve ayant servi de fondement aux décisions du comité des sanctions pour désigner la requérante

42      La requérante fait référence de manière extensive aux arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461), et du 30 septembre 2010, Kadi/Commission (T‑85/09, EU:T:2010:418), confirmé sur pourvoi par arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518), tout en relevant qu’elle ne se trouve pas dans une situation sensiblement différente de celle des parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts. Elle fait valoir que le Conseil était tenu de prendre une « décision autonome » aux fins d’inscrire son nom sur la liste en cause. Elle allègue que le Conseil n’était pas strictement lié par les décisions du comité des sanctions, en ce sens qu’il n’était pas dépourvu de pouvoir d’appréciation autonome.

43      La requérante soutient que le Conseil n’est pas tenu de suivre le Conseil de sécurité des Nations unies à chaque fois que celui-ci désigne une entité. Le Conseil devrait entreprendre un examen indépendant de toute décision d’inscription du nom des individus ou entités faisant l’objet de mesures restrictives sur la liste en cause. Elle allègue que l’Union européenne est fondée sur l’État de droit et que ses institutions ne peuvent pas échapper au contrôle de conformité de leurs actes avec la « Charte constitutionnelle fondamentale » et les principes généraux du droit. De plus, elle soutient que ce contrôle « complet » s’applique de la même manière tant aux décisions autonomes des institutions visant à imposer des mesures restrictives analogues à celle du cas d’espèce qu’aux sanctions dérivées.

44      En renvoyant à la jurisprudence du Tribunal, la requérante note que le Conseil ne peut pas se contenter de se prévaloir de motifs allégués sans preuves ni d’adopter tels quels les motifs et les éléments de preuve invoqués par un État membre. Elle ajoute aussi que, en l’espèce, des éléments de preuve erronés ont été repris tels quels de « l’exposé des motifs » des Nations unies et que ces erreurs n’ont été corrigées dans les actes de 2014 et de 2015 qu’après leur rectification par les Nations unies.

45      De l’avis de la requérante, le Conseil étant toujours censé prendre une décision autonome par rapport à celle prise par les Nations unies, la prise d’une décision autonome s’imposait tout particulièrement dans le cas d’espèce du fait qu’elle ne pouvait avoir recours à aucune garantie de procédure devant les Nations unies et que les informations soumises par elle au point focal des Nations unies ont tout simplement été ignorées.

46      En l’occurrence, la requérante fait remarquer que l’exposé des motifs des actes de 2014 et de 2015 contient, en ce qui la concerne, moins de renseignements que le « résumé des motifs » la concernant publié sur le site Internet des Nations unies. De surcroît, elle relève que le Conseil n’a jamais fourni plus de détails ou d’éléments que ceux énoncés dans ledit résumé des motifs. Enfin, elle ajoute que le Conseil ne lui a jamais apporté le moindre élément de preuve justifiant sa désignation, en dépit de son obligation de le faire préalablement à toute décision de maintien de l’inscription initiale de son nom sur la liste en cause.

47      Enfin, la requérante allègue que, si, « contrairement à sa position », l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 devait s’interpréter comme n’exigeant pas de décision autonome du Conseil, celle-ci serait illégale et contraire au principe de proportionnalité. Ainsi, elle soulève en substance, au titre de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement.

48      Le Conseil conteste les arguments de la requérante. Il fait valoir que, suite à la désignation de la requérante par l’organe compétent des Nations unies, il était tenu de prendre la décision d’inscrire le nom de celle-ci sur la liste en cause ou de maintenir cette inscription. En outre, il argue que, dans le cas de la requérante, il existait des garanties procédurales dont elle aurait pu se prévaloir, mais qu’elle n’a invoquées qu’après le dépôt de la requête dans l’affaire T‑107/15.

49      Par ailleurs, le Conseil relate d’autres raisons qui obligent à distinguer le cas de la requérante de celui des parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461), et du 30 septembre 2010, Kadi/Commission (T‑85/09, EU:T:2010:418), confirmé sur pourvoi par arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518). Selon lui, en l’espèce, la requérante avait eu des contacts avec le groupe d’experts des Nations unies dont les rapports étaient publics et connus d’elle. De plus, le Conseil a présenté à la requérante les preuves à l’appui de l’inscription de son nom sur la liste en cause dans un délai raisonnable et, partant, elle était en mesure de défendre ses droits.

 Considérations liminaires

50      Il résulte du contenu des requêtes ainsi que des précisions apportées par la requérante lors de l’audience que, par ce moyen, elle reproche, en substance, au Conseil de ne pas avoir établi lui-même ou cherché à établir tant le caractère juridiquement pertinent des faits permettant de la qualifier de responsable d’avoir soutenu les groupes armés en RDC au moyen du trafic de ressources naturelles que l’exactitude matérielle de ces faits.

51      Il convient également de relever que, dans le cadre du deuxième moyen, la requérante se plaint séparément d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère de désignation dans son cas. Dans le cadre du premier moyen, sera donc examinée la question de savoir si le Conseil se trouvait sous l’obligation de procéder à son propre examen des éléments de preuve, considérés par la requérante comme non pertinents, ayant servi de fondement aux décisions du comité des sanctions pour la désigner avant d’inscrire son nom sur la liste et de maintenir cette inscription. Par la suite, lors de l’examen du deuxième moyen, sera examinée la question de savoir si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que le critère de désignation était rempli en ce qui concerne la requérante.

 Sur l’obligation d’examen et de vérification autonomes des preuves par le Conseil

52      Le grief principal de la requérante à cet égard consiste à mettre en avant le fait que, au lieu d’adopter tels quels les motifs d’inscription retenus par l’organe compétent des Nations unies, le Conseil aurait dû entreprendre lui-même l’examen et l’évaluation des éléments de preuve ayant servi de base pour la désigner avant d’inscrire son nom sur la liste en cause et de maintenir cette inscription. Il s’agit donc d’examiner si, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, le Conseil aurait dû procéder à sa propre vérification des éléments invoqués par les Nations unies pour désigner la requérante.

53      Il convient de relever d’emblée que, dans le cadre de l’adoption de mesures restrictives, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 99, et du 5 novembre 2014, Mukarubega, C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 48). Il peut ainsi être déduit de la jurisprudence concernant les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qu’il appartenait en l’espèce au Conseil d’examiner avec soin et impartialité les éléments de preuve sur lesquels s’était fondé le comité des sanctions pour désigner la requérante (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 114).

54      Il résulte également de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives ainsi que de leur objectif. En particulier, à la différence de ce que soutient principalement la requérante, le Conseil n’est pas obligé d’entreprendre, d’office ou de manière systématique, ses propres investigations ou d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires, lorsqu’il dispose déjà d’éléments fournis par les Nations unies pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui ont déjà fait l’objet de procédures devant ladite organisation internationale (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 57).

55      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, s’agissant de mesures restrictives en matière de lutte contre le terrorisme, l’administration doit prendre sa décision sur la base de l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions et que, en revanche, il n’est pas prévu, à ce stade, que ledit comité mette spontanément à la disposition de l’administration, aux fins de l’adoption par cette dernière de sa décision, d’autres éléments que cet exposé des motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 107). En même temps, il incombe à l’autorité compétente d’évaluer, eu égard, notamment, au contenu des observations éventuelles de la personne visée, la nécessité de solliciter la collaboration du Conseil de sécurité des Nations unies pour obtenir la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, qui lui permettent de s’acquitter de son devoir d’examen soigneux et impartial (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 115).

56      En l’espèce, il convient de rappeler que les résolutions des Nations unies ayant désigné la requérante se fondaient sur plusieurs rapports circonstanciés et dressés par des groupes d’experts. Il ressort du dossier que l’établissement des rapports s’était fondé sur une méthodologie prédéfinie par l’organe compétent des Nations unies. Quant au contenu des rapports, la requérante était déjà mentionnée dans ceux de 2005 et de 2006 comme étant impliquée dans les transactions sur l’or entre la RDC et l’Ouganda. Ensuite, dans le rapport de 2007, à savoir après l’imposition, le 29 mars 2007, des sanctions à la requérante par les Nations unies, le groupe d’experts des Nations unies mentionnait que celle-ci avait déjà entrepris des consultations avec le gouvernement congolais « pour déterminer la manière dont [elle] pouvait servir l’exportation de l’or dans le pays et éventuellement obtenir une licence d’exportation ». En 2008, le même groupe d’experts rapportait que, malgré les déclarations des directeurs de la requérante selon lesquelles celle-ci avait cessé de faire du commerce d’or, des transactions avaient pu être repérées avec la société Emirates Gold, établie à Dubaï (Émirats arabes unis).

57      En outre, le rapport de 2009 fait référence de manière circonstanciée au cas de la requérante et à son implication dans le commerce illicite d’or provenant du Congo en relatant des informations précises sur la manière dont la famille Lodhia, directrice de la requérante, utilise un réseau d’intermédiaires de confiance pour fixer des prix d’achat de l’or avec les négociants en RDC. Il relève aussi que l’or est exporté de la RDC, importé en Ouganda et acheminé ensuite jusqu’à Dubaï. De surcroît, par référence à des témoignages provenant de plusieurs intermédiaires et à des relevés d’appels téléphoniques obtenus par le groupe d’experts des Nations unies, il est établi que les propriétaires de la requérante poursuivaient le commerce d’or en provenance de divers territoires de la RDC.

58      Par ailleurs, dans le rapport de janvier 2014 (S/2014/42), le groupe d’experts des Nations unies note que, en 2006, la première société exportatrice d’or en Ouganda était la requérante, qui était dirigée par M. J. V. Lodhia. En mars 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies a ajouté le nom de cette société à sa liste des personnes et entités faisant l’objet de sanctions, mais M. Lodhia a continué d’acheter de l’or congolais par la suite. Le rapport relève que certains négociants d’or à Bunia (RDC) et à Butembo (RDC) ainsi que des « dirigeants de la société civile » à Kampala (Ouganda) ont affirmé que M. J.V. Lodhia avait continué d’acheter illégalement de l’or sorti en contrebande de la RDC auprès du bureau de la société Aurum Roses, qui appartient à ce dernier et à ses deux fils, MM. Jitendra et Kunal J. Lodhia.

59      De surcroît, dans un autre rapport de juin 2014 (S/2014/428), le groupe d’experts des Nations unies fait référence au rapport précédent de janvier 2014 en indiquant que la requérante demeurait l’un des deux principaux négociants d’or congolais à Kampala. Il affirme qu’il avait demandé au gouvernement ougandais de répondre à ses constatations, mais il n’a reçu aucune réponse avant le délai fixé pour l’établissement de son rapport. En avril 2014, les autorités ougandaises ont informé ledit groupe d’experts qu’il n’y avait pas eu d’exportation officielle d’or entre le 1er janvier et le 31 mars 2014.

60      Enfin, dans son rapport de janvier 2015 (S/2015/19), le groupe d’experts des Nations unies a confirmé que de l’or en provenance de la RDC était toujours introduit en contrebande en Ouganda et qu’il était acheté par des hommes d’affaires de Kampala, dont des membres du conseil d’administration de la requérante. Douze négociants d’or, mineurs, fonctionnaires et autres sources avaient informé le groupe que l’or provenant de la RDC était vendu à Kampala, notamment, à des administrateurs de la requérante. Le groupe avait aussi recueilli des déclarations provenant de plusieurs personnes impliquées dans le commerce de l’or dans l’est de la RDC. Ces déclarations corroboraient le fait que les administrateurs de la requérante avaient acheté de l’or illégalement exporté de la RDC et illégalement importé en Ouganda. En particulier, selon ces témoignages, les administrateurs de la requérante achetaient de l’or en donnant l’adresse de la requérante et de la société Aurum Roses.

61      Dans le même rapport, le groupe d’experts des Nations unies affirmait avoir repéré en septembre 2014 un véhicule immatriculé en RDC, et dont le propriétaire était un négociant en or, arriver à l’adresse de la requérante. Deux hommes en étaient sortis et étaient entrés dans le bâtiment.

62      Il ressort de ce qui précède que, compte tenu des éléments de preuve à la fois précis, clairs et concordants sur lesquels les autorités onusiennes se sont fondées, c’est à bon droit que le Conseil les a considérés comme suffisants et n’a pas demandé d’informations supplémentaires ou procédé lui-même à des investigations supplémentaires (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 68). De plus, force est de constater que, antérieurement à l’adoption successive des actes de 2014 et de 2015, la requérante n’avait pas contacté le Conseil dans le but de soumettre des observations qui auraient pu l’amener à effectuer ses propres investigations.

63      La requérante soutient, en ce qui concerne la vérification de la matérialité des faits, que le Conseil était tenu d’indiquer les noms des négociants auprès de qui l’or avait été acheté, le moment auquel les transactions avaient eu lieu, les milices concernées et la base à partir de laquelle avaient été établis, dans les rapports des groupes d’experts, les « liens étroits » entre les négociants non déterminés et les milices non spécifiées.Or, cet argument est dépourvu de fondement. En effet, il y a lieu de rappeler que la nature juridique des mesures restrictives est un élément important qui conditionne l’étendue de la réévaluation que le Conseil est susceptible de faire sur les éléments de preuve retenus en l’espèce par le comité des sanctions. En outre, selon la jurisprudence, un gel d’avoirs qui est édicté par le Conseil sur la base des compétences qui lui sont conférées par les articles 21 et 29 TUE est dépourvu de connotation pénale (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 77, et du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 64). Par conséquent, les obligations du Conseil dans le cadre des actes de 2014 et de 2015 ne sauraient être assimilées à celles d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre dans le cadre d’une procédure pénale.

64      Au vu de ce qui précède, et dans les circonstances particulières de l’espèce, le Conseil n’était donc pas tenu de procéder à des vérifications additionnelles concernant l’exactitude des faits mentionnés dans les rapports dressés par les groupes d’experts des Nations unies. Le présent moyen est donc rejeté comme non fondé.

65      Par ailleurs, en ce qui concerne le grief de la requérante selon lequel le Conseil ne lui a jamais apporté le moindre élément de preuve préalablement à l’inscription de son nom sur la liste en cause, il se rapporte plutôt aux droits de la défense de la requérante et, partant, doit être regardé comme soulevé à l’appui de la première branche du troisième moyen et sera examiné dans ce cadre.

66      Enfin, la requérante soulève, en substance, une exception d’illégalité, dans la mesure où elle argue que, si, contrairement à sa thèse, l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1183/2005 devait s’interpréter comme n’exigeant pas de décision autonome du Conseil, il serait illégal et contraire au principe de proportionnalité.

67      Cette exception d’illégalité se fonde sur une prémisse erronée. Il résulte de l’analyse qui précède que le règlement n° 1183/2005 ne s’oppose pas, en principe, à ce que le Conseil prenne une décision autonome par rapport à celle prise par les Nations unies. En revanche, vu le nombre et la qualité suffisants des éléments de preuve sur lesquels se sont fondées les décisions des Nations unies, le Conseil n’était pas obligé d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires auprès du comité des sanctions. Cet élément n’altère pas le caractère autonome des décisions du Conseil. En tout état de cause, ce grief est soulevé de manière très succincte. En effet, la requérante se contente d’invoquer de manière abstraite le principe de proportionnalité sans aucunement étoffer ledit grief à cet égard.

68      Au vu de ce qui précède, ce grief, soulevé par la requérante dans le cadre du premier moyen, doit être écarté comme non fondé sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité et, partant, de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère de désignation dans le cas de la requérante

69      La requérante allègue que les actes de 2014 et de 2015 sont entachés d’une erreur d’appréciation. Selon elle, même dans le cas où il serait considéré que le Conseil n’était pas tenu de prendre une décision autonome, celui-ci devait prendre en compte les thèses de la requérante présentées dans les requêtes et dans une lettre qu’elle allait lui adresser dans l’avenir et ne pas maintenir l’inscription de son nom sur la liste en cause. Elle relève que le Tribunal est tenu de procéder à un contrôle juridictionnel complet des motifs allégués d’inscription de son nom sur ladite liste et de leur base factuelle, ce qui implique une vérification des allégations contenues dans la décision de désignation de la requérante.

70      Par ailleurs, la requérante joint à la réplique une déclaration de M. Kunal Lodhia, l’un de ses directeurs, et invite le Tribunal à la prendre en considération conformément à l’article 85 du règlement de procédure. Elle souligne notamment que, à l’époque où la requête dans l’affaire T-107/15 a été déposée, elle n’avait accès à aucune des preuves sur lesquelles le Conseil s’était appuyé et qu’elle n’a reçu la réponse du Conseil que quelques jours avant l’expiration du délai pour le dépôt de la requête dans l’affaire T-347/15. Dans sa déclaration, longue de 48 pages, M. Lodhia réfute les constatations des différents groupes d’experts des Nations unies pour soutenir que les conclusions que le Conseil en a tiré sont non fondées.

71      Tout d’abord, le Conseil soutient que la déclaration de M. Lodhia est irrecevable en vertu de l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure. Il relève aussi que, en soumettant cet élément de preuve au stade de la réplique et non de la requête, la requérante a écourté le temps à disposition pour examiner en profondeur cette déclaration. Ensuite, il indique que M. Lodhia est l’un des directeurs de la requérante. De ce fait, contrairement aux différents groupes d’experts du Conseil de sécurité des Nations unies dont l’indépendance n’aurait jamais été remise en cause par la requérante, la déclaration en question serait établie par une personne ayant un intérêt personnel et direct à l’issue de la présente procédure, ce qui réduirait sa valeur probante. Enfin, le Conseil conteste les arguments de la requérante et tout particulièrement sa démarche tendant à scinder la motivation de l’inscription de son nom sur la liste en cause en petits éléments distincts, contestés par la suite tour à tour.

 Sur la recevabilité de la déclaration de M. Lodhia

72      Aux termes de l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure, les parties peuvent faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, mais doivent alors motiver le retard apporté à la présentation de celles-ci. Cependant, selon la jurisprudence, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse dans le mémoire en défense ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue par ladite disposition. En effet, cette disposition concerne les offres de preuve nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, points 71 et 72, et du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T‑303/02, EU:T:2006:374, point 189).

73      En l’espèce, la déclaration de M. Lodhia, accompagnée de ses annexes, a été produite pour la première fois au stade de la réplique. Par ledit élément de preuve, la requérante conteste le bien-fondé de sa désignation par les Nations unies puis celui de l’inscription de son nom sur la liste en cause par le Conseil. Elle s’efforce aussi de contredire les conclusions auxquelles est parvenu le groupe d’experts des Nations unies dans ses rapports publiés entre 2005 et 2015 et qui ont servi de fondement aux mesures imposées par le comité des sanctions à son égard. Or, ces rapports étaient à la disposition de la requérante dès le stade de l’introduction des présentes requêtes. En effet, il ressort du dossier que les éléments ayant incité les Nations unies à désigner la requérante relèvent du domaine public. Ils étaient donc disponibles pour la requérante bien avant l’introduction des présentes requêtes, à savoir depuis 2007, lorsque ledit comité l’a pour la première fois désignée (voir point 7 ci-dessus). En outre, la requérante a engagé, en 2008, une procédure de radiation auprès des Nations unies. Elle était donc censée connaître pleinement l’existence des rapports établis par ledit groupe d’experts. Enfin, ces documents ont été signifiés à la requérante par le Conseil par sa lettre datée du 15 juin 2015, à savoir avant l’expiration du délai pour introduire la requête dans l’affaire T-347/15. Partant, la déclaration de M. Lodhia ne saurait être considérée comme une preuve contraire ou une ampliation des offres de preuve.

74      Par conséquent, il y a lieu d’écarter la déclaration de M. Lodhia comme irrecevable, sur le fondement de l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure.

75      En tout état de cause, ainsi que cela a été relevé par le Conseil, il convient d’observer que la nature probante de la déclaration en question aurait été réduite du fait que M. Lodhia est l’un des directeurs de la requérante, ayant donc un intérêt personnel et direct à l’issue de la présente procédure.

 Sur le bien-fondé de l’argumentation de la requérante

76      Il y a lieu de rappeler que le Conseil dispose d’une large marge d’appréciation pour définir les critères généraux retenus pour appliquer des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée ; du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 42, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

77      En même temps, il convient de rappeler que les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du TFUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée).

78      Par conséquent, le pouvoir d’appréciation dont dispose en la matière le Conseil ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’Union vérifie, lors de l’exercice de son contrôle de légalité, l’exactitude matérielle des faits sur lesquels s’est fondé le Conseil. En effet, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que le juge de l’Union s’assure qu’une décision revêtant une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués par l’autorité compétente, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 et jurisprudence citée, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 45 et jurisprudence citée).

79      À cet égard, il n’est pas requis que l’autorité compétente produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans les actes dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étaient les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 65 à 67).

80      En l’occurrence, le contrôle du bien-fondé de l’inscription du nom de la requérante sur la liste annexée aux actes de 2014 et de 2015 doit être effectué en appréciant si les faits litigieux constituent une preuve suffisante que l’intéressée répond aux critères généraux fixés par le Conseil à l’article 3 de la décision 2010/788, telle que modifiée par les décisions 2014/147 et 2015/620 pour délimiter le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures.

81      Il s’agit donc d’examiner si le rôle et l’activité de la requérante, tels qu’ils ressortent des rapports des groupes d’experts des Nations unies, constituent une preuve suffisante qu’elle apporte son concours à des groupes armés opérant dans la RDC en se livrant au commerce illicite de l’or. Il est à souligner que l’objectif du régime de sanctions des Nations unies est de paralyser l’ensemble du commerce illicite de l’or dans la RDC étant donné que l’extraction et le commerce de l’or alimentent la violence au sein de ce pays. Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, points 51 et 53 et jurisprudence citée).

82      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 76 ci-dessus, le Conseil dispose d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la détermination des critères pour délimiter le cercle des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses, mais non en ce qui concerne la détermination de la question de savoir si une personne remplit ces critères, cette dernière impliquant notamment une opération de qualification juridique sur laquelle le juge de l’Union exerce un plein contrôle (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 51).

83      En l’occurrence, dans le cadre du présent moyen, la requérante se plaint du caractère insuffisant ou erroné des motifs retenus par le Conseil dans les actes de 2014 et de 2015, ayant permis le maintien de l’inscription de son nom sur les listes en cause. La question est donc de savoir si le Conseil s’est fondé sur des faits juridiquement pertinents pour considérer qu’il y a eu en l’espèce une « fourniture d’assistance » de la part de la requérante à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes.

84      Premièrement, la requérante allègue que le Conseil a commis une erreur en considérant qu’elle avait fourni une assistance à des groupes armés illégaux en RDC, du fait qu’il n’a relevé aucun élément au soutien d’une telle allégation et qu’il ne l’a pas étayée par des preuves. Cet argument est non fondé. En effet, comme cela a été démontré lors de l’examen du premier moyen, les mesures imposées par le Conseil trouvaient leur fondement sur une série de rapports établis par le groupe d’experts des Nations unies. La multitude et la solidité de ces preuves qui ressortent des rapports s’étalant sur une longue période de dix ans environ ont permis d’arriver à la conclusion, dans le cadre du premier moyen d’annulation, que le Conseil n’était pas tenu en l’espèce de procéder lui-même à une nouvelle évaluation de leur matérialité (voir points 56 à 61 ci-dessus).

85      De surcroît, le motif selon lequel « [la requérante] a acheté de l’or dans le cadre d’une transaction commerciale régulière avec les négociants en RDC étroitement liés à des milices » est suffisamment étayé et ressort explicitement du rapport du groupe d’experts de janvier 2014 (voir point 58 ci-dessus). En général, dans la mesure où les rapports dressés par le groupe d’experts des Nations unies en 2014 et en 2015 identifient l’auteur des actes litigieux, l’époque de leur accomplissement ainsi que, nominativement, l’un des intermédiaires avec lequel la requérante entretenait des relations d’affaires dans le commerce de l’or, ils permettent d’établir le bien-fondé du motif retenu par le Conseil.

86      Il convient aussi de noter que, bien que cette motivation ne précise pas explicitement le critère sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom de la requérante sur la liste en cause, il résulte de manière suffisamment claire de la lecture des motifs des actes en cause qu’il a utilisé le critère énoncé à l’article 3, sous g), de la décision 2010/788, modifiée, en ce qu’il vise des personnes ou entités ayant apporté leur concours « à des personnes ou entités, y compris des groupes armés, qui prennent part à des activités déstabilisatrices en RDC en se livrant au commerce illicite de ressources naturelles, dont l’or ».

87      Deuxièmement, il est vrai que, comme le soulève la requérante, certains des motifs retenus par le Conseil pour inscrire le nom de celle-ci sur la liste en cause ne paraissent pas pertinents ou sont même inexacts. En effet, il n’est pas clairement expliqué dans quelle mesure la référence au remboursement par Emirates Gold « de la dette de la requérante à la Crane Bank à Kampala, […] qui a entraîné la clôture de ses comptes », peut constituer une « fourniture d’assistance » à des groupes armés illégaux.

88      En outre, la requérante affirme, sans être contredite par le Conseil, que MM.  J.V. Lodhia et K. Lodhia sont toujours ses directeurs. Il convient de mentionner à cet égard que, par les actes de 2015, M. Jitendra J. Lodhia a aussi été mentionné comme directeur actuel de la requérante. Il s’ensuit que la mention de MM. J.V. Lodhia et K. Lodhia comme « anciens directeurs » dans les actes de 2014 ne semble pas exacte. Il n’en reste pas moins que cette inexactitude dans le libellé des motifs n’est pas déterminante quant à la question de la qualification juridique des faits en l’espèce. Quoi qu’il en soit, l’argument tiré par la requérante de l’inexactitude de certains motifs retenus par le Conseil pour inscrire le nom de celle-ci sur la liste en cause est non seulement inopérant, mais renforce également les motifs relatés par le Conseil dans les actes de 2014 et de 2015. En effet, si MM. J.V. Lodhia et K. Lodhia sont toujours les directeurs de la requérante, ils agissent donc pour son compte. Par conséquent, toutes les informations incluses dans les rapports dressés par le groupe d’experts des Nations unies, selon lesquelles les directeurs de la requérante entretenaient des relations étroites avec des intermédiaires impliqués dans le commerce de l’or illicite, ne peuvent que corroborer la qualification juridique de celle-ci comme ayant fourni une assistance aux milices en RDC.

89      Troisièmement, l’argument de la requérante selon lequel elle n’est plus opérationnelle est inopérant. En effet, si les mesures restrictives en cause ont affecté sa capacité opérationnelle, cela prouve leur efficacité et ne permet pas d’établir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en inscrivant son nom sur la liste en cause. Au demeurant, la requérante n’avance pas que le Conseil a omis de prendre en compte des indices qui auraient pu l’amener à considérer qu’elle avait cessé de fournir assistance à des milices en RDC, et ce indépendamment du fait que le gel de ses fonds rendait la poursuite de cette activité plus difficile (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 112).

90      Au vu des éléments décrits aux points 84 à 89 ci-dessus, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a pas commis d’erreur en inscrivant le nom de la requérante sur la liste des personnes visées à l’article 3 de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2014/147, puis par la décision 2015/620, au motif, respectivement, qu’ « au moyen du trafic de ressources naturelles, y compris l’or, […] [elle soutient] les groupes armés opérant en RDC » et « [qu’elle apporte]  son concours à des personnes ou entités, y compris des groupes armés, qui prennent part à des activités déstabilisatrices en RDC en se livrant au commerce illicite de ressources naturelles, dont l’or », et de rejeter le présent moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation par le Conseil des droits procéduraux de la requérante et du manque de motivation suffisante des actes de 2014 et de 2015

91      La requérante soutient que les mesures contestées ont été prises par le Conseil en méconnaissance de ses droits procéduraux, en particulier des droits de la défense et des droits à une protection judiciaire effective, et sur la base d’un manque de motivation suffisante des actes de 2014 et de 2015. Dans la première branche du présent moyen, la requérante allègue que le défaut de lui fournir les documents sur la base desquels son nom a été inscrit sur la liste en cause ne lui permet pas de formuler des observations sur le prétendu fondement de la décision du Conseil à cet égard. En particulier, elle fait valoir que le Conseil ne lui a pas permis de faire connaître utilement son point de vue dans le sens où aucune preuve contre elle n’a été fournie et que l’exposé des motifs est insuffisant et trop vague. En tout état de cause, elle estime que le Conseil a manqué à son obligation de fournir des éléments de preuve avant d’adopter la décision de maintenir cette inscription. Elle ajoute que les motifs quant au maintien de ladite inscription ont changé entre les actes de 2014 et ceux pris auparavant, ce qui mettait à la charge du Conseil l’obligation de lui adresser une notification préalable des motifs d’inscription.

92      Par la deuxième branche du présent moyen, la requérante allègue, dans la requête dans l’affaire T‑107/15, qu’une deuxième infraction sera constituée si aucun document n’est soumis en réponse à ladite requête, à la communication d’observations au Conseil ou à la demande de documents. Dans la requête dans l’affaire T‑347/15, elle soutient que le fait que le Conseil ne lui a fourni aucun document ou élément de preuve avant d’adopter les actes de 2015 constitue une nouvelle infraction à ses droits de la défense.

93      Par la troisième branche du présent moyen, la requérante fait valoir un manque de motivation des actes de 2014 et de 2015.En particulier, elle estime que les motifs retenus par le Conseil dans lesdits actes sont soit inadéquats, en ce sens que rien n’explique dans quelle mesure ils pourraient justifier sa désignation, soit tout à fait vagues. Elle argue que le Conseil était tenu d’indiquer les noms des négociants auprès de qui l’or avait été acheté, les transactions ayant eu lieu, les milices auxquelles il était fait référence et la base à partir de laquelle avaient été établis les « liens étroits » entre les négociants non déterminés et les milices non spécifiées.

94      Le Conseil rétorque notamment, en ce qui concerne la première branche du présent moyen, que l’obligation de communiquer préalablement à l’intéressé l’exposé des motifs ne s’applique que lorsque de nouveaux éléments sont ajoutés à l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions. En effet, le contenu de la motivation sur la base de laquelle le nom de la requérante a été inscrit sur la liste en cause est resté essentiellement le même.

95      Le Conseil conteste également les arguments de la requérante avancés au soutien des première et deuxième branches du présent moyen. Il affirme que la requérante était consciente d’être soumise à des mesures restrictives et qu’il lui a communiqué en temps utile les éléments de preuve en cause. Il indique lui avoir notifié lesdites mesures par des lettres en date du 2 décembre 2014 et par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne. Il note aussi que, contrairement à l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518), la requérante a pour la première fois réclamé les éléments de preuve motivant l’inscription de son nom sur la liste en cause par la lettre qui lui a été adressée le 23 mars 2015. De plus, il affirme qu’elle n’offre pas d’explication sur ce retard de trois mois environ pour prendre contact avec le Conseil. Quant à la troisième branche du présent moyen, le Conseil rétorque notamment qu’un acte peut être considéré comme suffisamment motivé dès lors qu’il intervient dans un contexte connu de l’intéressé, comme c’est le cas en l’espèce.

 Sur la première branche

96      Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, le respect des droits de la défense exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont elle dispose à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, et ce afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et puisse décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. En outre, lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard.

97      Lorsqu’il s’agit d’une décision consistant à maintenir le nom de la personne concernée sur une telle liste, le respect de cette double obligation procédurale doit, contrairement à ce qui est le cas pour une inscription initiale, précéder l’adoption de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 à 113 et jurisprudence citée). Cependant, lorsque ladite décision se borne à prolonger le maintien du nom de la personne concernée sur une telle liste sans modifier les motifs justifiant ce maintien, le respect de cette double obligation procédurale ne saurait être exigé du Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, points 26 et 27).

98      Il y a lieu de relever également que l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 101 et 102).

99      En l’espèce, la requérante part de la prémisse selon laquelle, afin de respecter ses droits de la défense, le Conseil aurait dû lui communiquer les éléments de preuve ayant amené à l’inscription de son nom sur la liste en cause de manière spontanée et sans même qu’elle les ait demandés. Or, cette prémisse est erronée.

100    Premièrement, il convient de constater que les actes de 2014 et de 2015 n’ont eu pour effet que de prolonger le maintien du nom de la requérante sur la liste annexée à ces actes. En revanche, ces modifications n’ont pas porté sur les motifs pour lesquels le nom de la requérante figurait sur ladite liste. Ainsi, à l’instar de la décision 2010/788 et de la décision d’exécution 2011/699, les actes de 2014 et de 2015 ont maintenu le nom de la requérante sur cette liste pour les mêmes motifs, à savoir l’achat « de l’or dans le cadre d’une transaction commerciale régulière avec des négociants en RDC étroitement liés à des milices, [ce qui constituait] une “fourniture d’assistance” à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes » (voir points 17, 18 et 21 à 27 ci-dessus).

101    Il est vrai que, dans les actes de 2014, M. J. V. Lodhia et son fils, M. Kunal Lodhia, sont visés en tant qu’« anciens directeurs » de la requérante, tandis que, dans les actes de 2015, l’adjectif « anciens » disparaît. Pour autant, cette modification n’est pas à ce point substantielle qu’il faille considérer que le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause s’est fait sur la base de motifs nouveaux. En d’autres termes, les motifs des actes de 2015 étaient essentiellement les mêmes que ceux des actes de 2014. Par conséquent, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 96 et 97 ci-dessus, le Conseil n’était pas tenu, avant l’adoption de ces actes, de respecter les obligations procédurales, rappelées aux mêmes points (voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2016, Makhlouf/Conseil, T‑443/13, non publié, EU:T:2016:27, point 46, et du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 136).

102    Deuxièmement, ainsi que le Tribunal l’a jugé dans son arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission (T‑190/12, EU:T:2015:222, point 192), lorsque des informations suffisamment précises, permettant à l’intéressé de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge par le Conseil, ont été communiquées, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas l’obligation pour ce dernier de donner spontanément accès aux documents contenus dans son dossier. Ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause.

103    En l’espèce, le Conseil a notifié à la requérante les actes de 2014 et de 2015 par lettres du 2 décembre 2014 et du 21 avril 2015. Par ailleurs, deux avis ont été publiés au Journal officiel aux mêmes dates. Les lettres de notification contenaient les motifs de l’inscription, de sorte que la requérante était effectivement en mesure de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 112). Il convient aussi de relever à cet égard que, ainsi que cela a été relevé au point 73 ci-dessus, les rapports des groupes d’experts des Nations unies à l’origine de la première inscription de la requérante étaient à la disposition de celle-ci depuis 2007 et que les rapports postérieurs étaient également publics. Dès lors, la requérante connaissait le contexte dans lequel le maintien de l’inscription de son nom avait été décidé par le Conseil et était consciente des raisons de cette décision.

104    Pour sa part, la requérante n’a réclamé des éléments de preuve que trois mois environ plus tard, à savoir le 23 mars 2015. En outre, elle n’explique pas les raisons pour lesquelles elle a saisi le Conseil avec un tel retard. Par ailleurs, rien dans le dossier n’indique que la requérante n’aurait pas pu, si elle l’avait souhaité, présenter antérieurement une telle demande. Il existe, en revanche, des éléments, cités au point 103 ci-dessus, tendant à démontrer que la requérante était consciente de la possibilité d’entrer en communication avec le Conseil au sujet des mesures restrictives dont elle avait fait l’objet et, dans ce contexte, de demander la communication des preuves la concernant.

105    Enfin, et en tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. Or, en l’espèce, la requérante n’a pas suffisamment expliqué quels étaient les arguments et les éléments qu’elle aurait fait valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt et n’a pas démontré que ces arguments et éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent, c’est-à-dire au non-renouvellement à son égard des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, points 106 à 108 et jurisprudence citée). Ainsi, l’argumentation de la requérante prise de la violation de ses droits de la défense et avancée au soutien de la première branche du présent moyen ne peut de toute manière pas entraîner l’annulation des actes de 2014 et de 2015.

106    Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que les arguments avancés par la requérante concernant ses droits de la défense quant à la communication par le Conseil des éléments à charge ne sont pas fondés. S’agissant de la prétendue violation du droit à une protection juridictionnelle effective, il y a lieu de remarquer que, dans la mesure où la requérante n’avance pas d’arguments spécifiques à cet égard, cette allégation est irrecevable et que la première branche du présent moyen doit donc être rejetée dans son ensemble.

 Sur la deuxième branche

107    Dans la requête dans l’affaire T‑107/15, la requérante conteste une décision aléatoire et hypothétique du Conseil dans la mesure où elle se réfère à une nouvelle infraction qui « sera constituée si aucun document n’est présenté en réponse à la présente requête, à la communication d’observations au Conseil ou à la demande de documents ». Or, la jurisprudence constante interdit aux juridictions de l’Union de statuer sur d’hypothétiques décisions futures (arrêts du 6 septembre 2013, Export Development Bank of Iran/Conseil, T‑4/11 et T‑5/11, non publié, EU:T:2013:400, point 32, et du 6 septembre 2013, Bank Refah Kargaran/Conseil, T‑24/11, EU:T:2013:403, point 31).

108    En tout état de cause, et s’agissant des deux recours introduits par la requérante, le Conseil a répondu le 15 juin 2015, à savoir après réception de sa lettre datée du 23 mars 2015, en communiquant à la requérante les éléments de preuve en cause (voir points 29 et 30 ci-dessus). Par conséquent, et au vu de la jurisprudence citée au point 102 ci-dessus, ce grief est non fondé.

 Sur la troisième branche

109    Il convient de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits qui constitueraient des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 60 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 88).

110    En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (voir arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37 et jurisprudence citée).

111    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 107 et jurisprudence citée).

112    Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 108 et jurisprudence citée).

113    En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 109 et jurisprudence citée).

114    En l’espèce, il convient d’examiner, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 109 à 113 ci-dessus, si le Conseil a suffisamment motivé les actes de 2014 et de 2015 décidant de maintenir le nom de la requérante sur la liste en cause.

115    Premièrement, ainsi que la requérante le confirme, elle est « une entreprise familiale bien établie […], présente sur le marché depuis des générations, […] bien avant qu’éclate le moindre conflit en RDC ». De plus, le groupe d’experts des Nations unies a, à plusieurs reprises, relevé le rôle de la requérante en tant que l’un des plus importants acheteurs et exportateurs d’or en Ouganda. Par ailleurs, la requérante avait connaissance de l’inscription de son nom sur la liste des Nations unies depuis 2007, année pendant laquelle elle a sollicité auprès du point focal sa radiation de celle-ci. Enfin, ainsi que cela a été relevé par la requérante lors de l’audience, il y a eu des prises de contact entre elle et le groupe d’experts des Nations unies. Il s’ensuit que la requérante ne pouvait pas ignorer le contexte général dans lequel s’inscrivait l’adoption des mesures en cause.

116    Deuxièmement, il convient de relever que la motivation du maintien de l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause contient la phrase « [la requérante] a acheté de l’or dans le cadre d’une transaction commerciale régulière avec des négociants en RDC étroitement liés à des milices » et l’extrait « [t]ransaction assimilée à la “fourniture d’assistance” à des groupes armés illégaux en violation de l’embargo sur les armes prévu par les résolutions 1493 (2003) et 1596 (2005) » (voir points 21 à 27 ci-dessus). Les termes utilisés permettaient donc aisément à la requérante de comprendre que le Conseil avait décidé de maintenir cette inscription en se fondant sur le critère d’inscription retenu par la décision 2010/788, modifiée, selon lequel il était interdit d’apporter son concours à des personnes ou entités, y compris des groupes armés, qui prenaient part à des activités déstabilisatrices en RDC en se livrant au commerce illicite de ressources naturelles, dont l’or.

117    Troisièmement, la requérante soutient à tort que certains éléments contenus dans la motivation des actes de 2014 et de 2015 devaient être spécifiés, à savoir l’identité des négociants auprès desquels l’or était acheté, le moment auquel les transactions ont eu lieu, l’identité des milices mentionnées et la nature des liens étroits entre les négociants et les milices. En effet, la requérante confond à ce titre le niveau de détail requis aux fins de l’adoption de mesures restrictives avec celui nécessaire dans le cadre des procédures pénales.

118    Au vu de l’analyse qui précède et, notamment, du libellé précis de la motivation ainsi que du fait que les actes de 2014 et de 2015 sont intervenus dans un contexte connu de l’intéressée, qui lui permet de comprendre la portée des mesures prises à son égard, il y a lieu de rejeter cette branche du présent moyen comme non fondée. Partant, ce moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits fondamentaux de la requérante et du principe de proportionnalité

119    La requérante fait valoir que le maintien de son nom sur les listes à la suite de la décision du Conseil de mars 2014 enfreint ses libertés et droits fondamentaux, garantis par la charte des droits fondamentaux et la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Dans la première branche du présent moyen, elle allègue que, en raison des irrégularités exposées dans le cadre des premier et troisième moyens, elle n’a pu exposer sa cause ni au niveau des Nations unies ni devant le Conseil.

120    Dans la seconde branche du présent moyen, la requérante soutient que les mesures en cause ont porté atteinte à son droit de propriété. En particulier, elle estime que lesdites mesures étaient manifestement disproportionnées du fait que celles-ci ont presque entièrement anéanti son droit au respect de ses biens détenus sur le territoire de l’Union ainsi que de ses biens détenus en dehors de l’Union, mais placés sous le contrôle des entités ou personnes soumises au règlement n° 1183/2005.

121    Le Conseil note que la requérante a contribué par son propre comportement, dans une affaire concernant l’imposition de sanctions ciblées, à l’exacerbation de la situation dans l’est de la RDC. En outre, mis à part le fait que la requérante n’a pas soutenu que des mesures moins intrusives auraient pu lui être imposées, le Conseil ne voit pas comment le principe de proportionnalité aurait pu être violé en l’espèce. Les restrictions ainsi imposées à l’exercice de son activité économique ne pouvaient pas être considérées comme démesurées.

 Sur la première branche

122    À l’appui de la première branche du présent moyen, la requérante réitère ses allégations soulevées dans le cadre du troisième moyen. Or, de telles allégations ont déjà été rejetées dans le cadre de l’examen dudit moyen. Partant, il convient également de rejeter la première branche du présent moyen.

 Sur la seconde branche

123    En ce qui concerne l’argumentation de la requérante selon laquelle, en raison de leur caractère disproportionné, les mesures en cause ont porté atteinte à son droit de propriété, tout d’abord, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il faut reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée). En effet, dans le domaine des mesures restrictives, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu au Conseil, non seulement, comme l’indique la jurisprudence rappelée au point 76 ci-dessus, pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures, mais également pour la détermination de la nature et de la portée de ces mesures (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 154).

124    Ensuite, il y a lieu également de rappeler que le droit de propriété et la liberté d’entreprise constituent des droits fondamentaux qui ne sont cependant pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 121 et jurisprudence citée).

125    Enfin, selon la jurisprudence, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 5 mai 2015, Petropars Iran e.a./Conseil, T‑433/13, EU:T:2015:255, point 93).

126    En l’espèce, premièrement, il faut noter que les mesures restrictives en cause ont pour objet de limiter l’exercice de certains droits de la part de la requérante, en premier lieu celui de son droit de propriété. Toutefois, au regard des objectifs que le système de mesures restrictives comme celui en cause vise à atteindre, à savoir le maintien en l’espèce de la paix et de la sécurité au niveau régional, ce dernier constitue une limitation répondant aux critères de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux (arrêt du 21 juillet 2016, Bredenkamp e.a./Conseil et Commission, T‑66/14, EU:T:2016:430, point 26).

127    Deuxièmement, il convient de noter que, en l’occurrence, la requérante a contribué par son propre comportement, à savoir l’achat de l’or dans le cadre de transactions commerciales régulières avec des négociants en RDC étroitement liés à des milices, à la situation ayant conduit à l’inscription de son nom sur la liste en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 128).

128    Troisièmement, s’agissant en particulier du respect du principe de proportionnalité, il est difficile en l’espèce de voir comment des mesures moins drastiques auraient pu permettre d’atteindre le but visé. En outre, il est à noter que l’article 5, paragraphe 3, de la décision 2010/788 prévoit la possibilité d’accorder des dérogations aux mesures de gel de fonds, notamment pour les fonds nécessaires pour régler les dépenses ordinaires, pour ceux exclusivement destinés au règlement d’honoraires d’un montant raisonnable, au règlement des frais ou commissions liés, conformément à la législation nationale, au maintien en dépôt de fonds ou d’autres avoirs financiers et ressources économiques gelés.

129    Quatrièmement, la requérante a relevé dans la requête que les sanctions en cause l’ont obligée à cesser son activité. Tout d’abord, il convient de noter que, lors de l’audience, la requérante a affirmé qu’elle était encore opérationnelle. En tout état de cause, même à supposer qu’elle ait cessé ses activités, la requérante n’établit pas que cela serait le résultat des mesures restrictives en cause.

130    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter cette branche du quatrième moyen comme non fondée et les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

131    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T107/15 et T347/15 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      Uganda Commercial Impex Ltd est condamnée aux dépens.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 septembre 2017.

Signatures


Table des matières


Faits à l’origine du litige

Sur les mesures introduites par les Nations unies

Sur les mesures imposées par l’Union

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’évaluation indépendante ou adéquate par le Conseil des éléments de preuve ayant servi de fondement aux décisions du comité des sanctions pour désigner la requérante

Considérations liminaires

Sur l’obligation d’examen et de vérification autonomes des preuves par le Conseil

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère de désignation dans le cas de la requérante

Sur la recevabilité de la déclaration de M. Lodhia

Sur le bien-fondé de l’argumentation de la requérante

Sur le troisième moyen, tiré de la violation par le Conseil des droits procéduraux de la requérante et du manque de motivation suffisante des actes de 2014 et de 2015

Sur la première branche

Sur la deuxième branche

Sur la troisième branche

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits fondamentaux de la requérante et du principe de proportionnalité

Sur la première branche

Sur la seconde branche

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’anglais

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