EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CJ0605

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 18 avril 2024.
Heureka Group a.s. contre Google LLC.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Městský soud v Praze.
Renvoi préjudiciel – Article 102 TFUE – Principe d’effectivité – Actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence – Directive 2014/104/UE – Transposition tardive de la directive – Application temporelle – Article 10 – Délai de prescription – Modalités du dies a quo – Cessation de l’infraction – Connaissance des informations indispensables pour l’introduction du recours en dommages et intérêts – Publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé de la décision de la Commission européenne constatant une infraction aux règles de concurrence – Effet contraignant d’une décision de la Commission non encore définitive – Suspension ou interruption du délai de prescription pendant la durée de l’enquête de la Commission ou jusqu’à la date à laquelle sa décision devienne définitive.
Affaire C-605/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:324

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 102 TFUE – Principe d’effectivité – Actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence – Directive 2014/104/UE – Transposition tardive de la directive – Application temporelle – Article 10 – Délai de prescription – Modalités du dies a quo – Cessation de l’infraction – Connaissance des informations indispensables pour l’introduction du recours en dommages et intérêts – Publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé de la décision de la Commission européenne constatant une infraction aux règles de concurrence – Effet contraignant d’une décision de la Commission non encore définitive – Suspension ou interruption du délai de prescription pendant la durée de l’enquête de la Commission ou jusqu’à la date à laquelle sa décision devienne définitive »

Dans l’affaire C‑605/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque), par décision du 29 septembre 2021, parvenue à la Cour le 30 septembre 2021, dans la procédure

Heureka Group a.s.

contre

Google LLC,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), Mme A. Prechal, MM. E. Regan, T. von Danwitz et Z. Csehi, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin, J. Passer, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mars 2023,

considérant les observations présentées :

pour Heureka Group a.s., par Mes L. Duffek, L. Kačerová, J. Měkota, M. Olík et V. Podešva, advokáti,

pour Google LLC, par Mes R. Neruda, P. J. Pipková, J. Šturm, P. Vohnický et M. Vojáček, advokáti, et Me A. Komninos, dikigoros,

pour la Commission européenne, par MM. N. Khan, G. Meessen et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 21 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 102 TFUE, de l’article 10, de l’article 21, paragraphe 1, et de l’article 22 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1), ainsi que du principe d’effectivité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Heureka Group a.s. (ci-après « Heureka »), une société tchèque active sur le marché des services de comparaison des prix de vente, à Google LLC au sujet de la réparation du préjudice prétendument subi du fait d’une infraction à l’article 102 TFUE commise par Google et sa société mère, Alphabet Inc., et constatée par la Commission européenne dans une décision non encore définitive.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 1/2003

3

L’article 16 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Application uniforme du droit communautaire de la concurrence », est ainsi libellé :

« 1.   Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article [267 TFUE].

2.   Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. »

La directive 2014/104

4

L’article 2 de la directive 2014/104, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

8)

“autorité de concurrence”, la Commission ou une autorité nationale de concurrence, ou les deux, selon le contexte ;

[...]

11)

“décision constatant une infraction”, une décision d’une autorité de concurrence ou d’une instance de recours concluant à l’existence d’une infraction au droit de la concurrence ;

12)

“décision définitive constatant une infraction”, une décision constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l’objet d’un recours par les voies ordinaires ;

[...] »

5

L’article 9 de cette directive, intitulé « Effet des décisions nationales », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 [TFUE] ou du droit national de la concurrence.

2.   Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties.

3.   Le présent article s’entend sans préjudice des droits et obligations des juridictions nationales découlant de l’article 267 [TFUE]. »

6

L’article 10 de ladite directive, intitulé « Délais de prescription », énonce :

« 1.   Les États membres arrêtent, conformément au présent article, les règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts. Ces règles déterminent le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu.

2.   Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l’infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

a)

du comportement et du fait qu’il constitue une infraction au droit de la concurrence ;

b)

du fait que l’infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice ; et

c)

de l’identité de l’auteur de l’infraction.

3.   Les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum.

4.   Les États membres veillent à ce qu’un délai de prescription soit suspendu ou, selon le droit national, interrompu par tout acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite d’une infraction au droit de la concurrence à laquelle l’action en dommages et intérêts se rapporte. Cette suspension prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d’une autre manière. »

7

L’article 21, paragraphe 1, de cette même directive est libellé comme suit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 27 décembre 2016. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.

[…] »

8

L’article 22 de la directive 2014/104, intitulé « Application temporelle », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

2.   Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »

Le droit tchèque

9

L’article 620, paragraphe 1, du zákon č. 89/2012 Sb., občanský zákoník (loi no 89/2012 portant code civil) dispose :

« Les circonstances déterminantes pour que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage commence à courir comprennent la connaissance du dommage et celle [de l’identité] de la personne tenue à sa réparation. Cela s’applique, mutatis mutandis, également aux fins de l’indemnisation d’un préjudice immatériel. »

10

L’article 629, paragraphe 1, de ce code énonce :

« Le délai de prescription est d’une durée de trois ans. »

11

Le zákon č. 262/2017 Sb., o náhradě škody v oblasti hospodářské soutěže (loi no 262/2017 sur la réparation des dommages en matière de concurrence, ci‑après la « loi no 262/2017 »), qui vise à transposer la directive 2014/104, est entré en vigueur le 1er septembre 2017. Son article 9 prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :

« (1)   Le délai de prescription pour l’exercice d’un droit à la réparation d’un dommage en vertu de la présente loi est d’une durée de 5 ans ; les dispositions des articles 629 et 636 du code civil ne s’appliquent pas.

(2)   Le délai de prescription commence à courir à compter du jour où la personne concernée prend connaissance du dommage, [de l’identité] de la personne tenue à la réparation de celui-ci et de la restriction de concurrence, ou devait et pouvait prendre connaissance de ces éléments, mais au plus tôt à compter du jour où a cessé la restriction de concurrence.

(3)   Le délai de prescription ne court pas pendant la durée de l’enquête ou de la procédure devant l’autorité de concurrence concernant la même restriction de concurrence, ainsi que pendant une durée d’un an à compter du jour où :

a)

est devenue définitive la décision adoptée par l’autorité de concurrence ou par une juridiction constatant qu’il existe une telle restriction de concurrence, ou

b)

il a été mis un terme d’une autre manière à l’enquête, à la procédure devant l’autorité de concurrence ou à la procédure devant la juridiction. »

12

L’article 36 de cette loi est ainsi libellé :

« Les procédures relatives à la réparation d’un dommage causé par une restriction de concurrence, ainsi que les procédures relatives au règlement, en application de la présente loi, des revendications entre auteurs du dommage qui sont tenus à la réparation du dommage conjointement et solidairement, engagées après le 25 décembre 2014, sont poursuivies conformément à la présente loi ; les effets juridiques des actes qui ont été accomplis dans la procédure avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi sont maintenus. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

Le 30 novembre 2010, la Commission a engagé une procédure d’application de l’article 102 TFUE contre Google concernant un éventuel abus de position dominante dans le domaine de la recherche en ligne. Ce même 30 novembre 2010, la Commission a fait paraître un communiqué de presse informant le public de l’ouverture de cette procédure.

14

Au cours de l’année 2013, Google a soumis à la Commission des engagements afin de répondre aux préoccupations de cette dernière.

15

Le 27 mai 2014, le Sdružení pro internetový rozvoj v České republice (SPIR) (Association pour le développement d’Internet en République tchèque), dont Heureka est membre, a publié un communiqué de presse dans lequel il exprimait son désaccord sur ces engagements.

16

Le 15 avril 2015, la Commission a adopté une communication des griefs, adressée à Google, dans laquelle elle concluait de manière provisoire que les pratiques de cette société constituaient un abus de position dominante et, partant, violaient l’article 102 TFUE.

17

Le 14 juillet 2016, la Commission a adopté une communication des griefs supplémentaire et engagé une procédure pour infraction à l’article 102 TFUE contre Alphabet, la société mère de Google.

18

Le 27 juin 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 4444 final, relative à une procédure d’application de l’article 102 [TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE [affaire AT.39740 – Moteur de recherche Google (Shopping)]. Un résumé de cette décision a été publié le 12 janvier 2018 au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2018, C 9, p. 11).

19

Par cette décision, la Commission a constaté que Google avait abusé de sa position dominante existant dans treize marchés nationaux de la recherche générale au sein de l’Espace économique européen (EEE), dont celui de la République tchèque, en diminuant le trafic en provenance de ses pages de résultats de recherche générale vers les comparateurs de produits concurrents et en augmentant ce trafic vers son propre comparateur de produits, ce qui était susceptible d’avoir ou avait vraisemblablement eu des effets anticoncurrentiels sur les treize marchés nationaux correspondants de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits, mais aussi sur lesdits marchés de la recherche générale.

20

Ainsi, selon cette décision, Google accordait, en substance, systématiquement une position de premier plan à son propre service de comparaison de prix, alors que les services de comparaison de prix des concurrents de Google étaient rétrogradés dans la liste des résultats.

21

En ce qui concerne la durée de l’infraction imputable à Google sur le territoire de la République tchèque, la Commission a constaté, dans la décision C(2017) 4444 final, que cette infraction avait commencé au mois de février 2013 et qu’elle continuait à produire ses effets à la date d’adoption de cette décision, à savoir le 27 juin 2017. La Commission a donc enjoint à Google, à l’article 3 de cette décision, de mettre fin à son comportement dans un délai de 90 jours et de ne pas adopter de comportement équivalent ayant le même objet ou le même effet.

22

Le 1er septembre 2017, la loi no 262/2017 transposant la directive 2014/104 dans le droit tchèque est entrée en vigueur.

23

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2017, Google et Alphabet ont introduit un recours contre la décision C(2017) 4444 final.

24

Le 26 juin 2020, Heureka a introduit devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) un recours tendant à la condamnation de Google à réparer le préjudice qu’elle aurait prétendument subi en raison de la pratique anticoncurrentielle à laquelle, selon la décision C(2017) 4444 final, cette société se serait livrée en République tchèque pendant la période allant du mois de février 2013 au 27 juin 2017. Heureka a exposé que Google avait placé et affiché son propre service de comparaison de prix de vente au meilleur endroit possible parmi les résultats de ses services de recherche générale, ce qui avait diminué la consultation de son portail de comparaison de prix de vente Heureka.cz.

25

En défense, Google a fait valoir notamment que, en vertu des règles de prescription de l’obchodní zákoník (code de commerce), selon lesquelles le délai de prescription de quatre ans commence à courir à partir du moment où la personne lésée a pris connaissance ou pouvait prendre connaissance du dommage et de l’identité de la personne tenue de le réparer, le droit à réparation d’Heureka était prescrit à tout le moins pour la période allant du mois de février 2013 au 25 juin 2016.

26

À cet égard, Google a exposé que, compte tenu de la nature de l’abus de position dominante allégué, Heureka était en mesure de connaître tant l’auteur de l’infraction que le fait qu’elle avait subi un dommage bien avant l’adoption de la décision C(2017) 4444 final. En effet, Heureka ne pouvait ignorer, notamment à la lecture du communiqué de presse de la Commission du 30 novembre 2010, que l’exploitant du moteur de recherche dénommé « Google » était Google. En tout état de cause, le communiqué de presse du SPIR du 27 mai 2014, mentionné au point 15 du présent arrêt, par lequel cette association avait exprimé son désaccord sur les engagements soumis par Google à la Commission, suffisait pour faire courir le délai de prescription.

27

Ainsi, le délai de prescription applicable en l’occurrence aurait commencé à courir au mois de février 2013, à savoir au début de la commission de la prétendue infraction sur le territoire tchèque et au début de la survenance du dommage allégué, ou, au plus tard, le 27 mai 2014, date de publication du communiqué de presse du SPIR.

28

Selon Google, rien n’aurait empêché Heureka d’introduire plus tôt son recours en dommages et intérêts, étant précisé que, dans cette hypothèse, cette société aurait pu élargir progressivement le quantum de sa demande indemnitaire en fonction de l’augmentation au cours du temps des préjudices subis.

29

La juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, en l’occurrence, l’éventuel comportement anticoncurrentiel a commencé avant l’entrée en vigueur de la directive 2014/104, à savoir le 25 décembre 2014, et n’a cessé qu’après l’expiration du délai de transposition de cette directive, à savoir le 27 décembre 2016.

30

Cette juridiction se demande donc si l’article 10 de cette directive s’applique à l’ensemble du dommage causé par l’infraction à l’article 102 TFUE en cause au principal, ou seulement au dommage survenu après la date d’entrée en vigueur de ladite directive, voire seulement au dommage survenu après la date d’expiration du délai de transposition de la même directive.

31

En deuxième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 10 de la directive 2014/104 est une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, ou une disposition procédurale.

32

En troisième lieu, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité du régime de prescription tchèque concernant les recours en dommages et intérêts pour des infractions aux règles de la concurrence, applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no 262/2017 transposant la directive 2014/104, avec l’article 10 de cette directive et, le cas échéant, avec l’article 102 TFUE ainsi qu’avec le principe d’effectivité.

33

À cet égard, cette juridiction souligne, à titre liminaire, que les règles de prescription applicables dans l’affaire au principal sont non pas celles du code de commerce, mais celles du code civil et que ce sont ces dernières qui constituent l’ancien régime de prescription pertinent en l’occurrence. Or, en vertu de l’article 620, paragraphe 1, du code civil, le délai de prescription de trois ans commencerait à courir dès que la personne lésée prend connaissance, ou dès qu’il peut être considéré qu’elle a pris connaissance, de l’identité de l’auteur de l’infraction et du dommage subi. S’agissant de la condition tenant à la connaissance du fait qu’un dommage a été subi en raison de l’infraction en cause, il ressortirait de l’interprétation donnée à l’article 620, paragraphe 1, du code civil par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) que la prise de connaissance d’un dommage partiel suffit pour faire courir le délai de prescription. Le dommage serait, notamment dans les cas d’infractions continues ou répétées, divisible, si bien que chaque « nouveau dommage » pourrait être invoqué séparément et ferait courir un nouveau délai de prescription.

34

Selon la juridiction de renvoi, il en découlerait que, en l’occurrence, chaque recherche générale effectuée sur le site de Google qui a conduit à un placement et à un affichage de résultats plus favorables au service de comparaison des prix de Google aurait fait courir un nouveau délai de prescription autonome.

35

En quatrième et dernier lieu, ladite juridiction fait observer que, afin de faire courir le délai de prescription, le code civil n’exige pas que la personne lésée ait connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction au droit de la concurrence. Ce code n’imposerait pas non plus que l’infraction concernée ait pris fin. Enfin, ledit code ne contiendrait pas de règles imposant la suspension ou l’interruption du délai de prescription pendant la période de l’enquête concernant ce comportement.

36

Dans ces conditions, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 21, paragraphe 1, de la directive [2014/104] et les principes généraux du droit de l’Union doivent-ils être interprétés en ce sens que la directive 2014/104, en particulier son article 10, s’applique, directement ou indirectement, à un litige concernant la réparation de l’ensemble du dommage causé par une infraction à l’article 102 TFUE qui a commencé avant la date d’entrée en vigueur de la directive 2014/104 et a cessé après l’expiration du délai de transposition de ladite directive, lorsque l’action en dommages et intérêts a, elle aussi, été introduite après l’expiration du délai de transposition, ou bien en ce sens que l’article 10 de la directive 2014/104 ne s’applique qu’à la partie du comportement cité (et à la partie du dommage en résultant) qui a eu lieu après la date d’entrée en vigueur de la directive 2014/104, le cas échéant, après la date d’expiration du délai de transposition [de ladite directive] ?

2)

Le sens et la finalité de la directive 2014/104 et/ou de l’article 102 TFUE ainsi que du principe d’effectivité imposent-ils d’interpréter l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 en ce sens que les “disposition[s] nationale[s] adoptée[s] en application de l’article 21, autre[s] que celles visées [à l’article 22], paragraphe 1[,]” sont les dispositions nationales par lesquelles l’article 10 de la directive 2014/104 a été transposé, autrement dit l’article 10 de la directive 2014/104 et les règles de prescription relèvent-ils du [paragraphe 1] ou du [paragraphe 2] de l’article 22 de la directive 2014/104 ?

3)

Une réglementation nationale et l’interprétation qui en est donnée sont-elles conformes à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2014/104 et/ou à l’article 102 TFUE ainsi qu’au principe d’effectivité, lorsqu’elles lient la “connaissance du fait qu’un dommage a été causé”, pertinente pour que le délai de prescription subjectif commence à courir, à la connaissance, par la personne lésée, des “différents dommages partiels” qui surviennent progressivement au fil du temps au cours d’une infraction continue au droit de la concurrence (étant donné que la jurisprudence part de la prémisse que le droit à la réparation du dommage concerné est, dans son ensemble, divisible), dommages partiels pour lesquels commencent ainsi à courir des délais de prescription subjectifs indépendants, indépendamment de la connaissance par la personne lésée de toute l’étendue du dommage causé par l’ensemble de l’infraction à l’article102 TFUE, à savoir donc une réglementation nationale et l’interprétation qui en est donnée qui permettent que le délai de prescription du droit à la réparation du dommage causé par le comportement anticoncurrentiel commence à courir avant le moment où cesse ce comportement consistant à placer et à afficher de manière plus favorable son propre service de comparaison de prix, en violation de l’article 102 TFUE ?

4)

L’article 10, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 2014/104 et/ou l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une réglementation nationale qui prévoit que le délai de prescription subjectif pour les actions en dommages et intérêts est d’une durée de trois ans et commence à courir à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance ou pouvait prendre connaissance d’un dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, mais qui ne prend pas en compte (i) le moment auquel cesse le comportement illégal, (ii) la connaissance par la personne lésée du fait que le comportement constitue une infraction aux règles de la concurrence, et qui, par ailleurs, (iii) ne suspend ni n’interrompt ce délai de prescription de trois ans pendant la durée de la procédure devant la Commission qui a pour objet l’infraction, encore en cours, à l’article 102 TFUE, et (iv) ne contient pas de règle selon laquelle la suspension du délai de prescription prend fin au plus tôt un an après que la décision constatant l’infraction est devenue définitive ? »

Développements postérieurs à la décision de renvoi et procédure devant la Cour

37

Dans son arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763), le Tribunal a rejeté pour l’essentiel le recours introduit par Google et Alphabet contre la décision C(2017) 4444 final en validant l’analyse de la Commission en ce qui concerne le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits. Toutefois, en ce qui concerne les marchés nationaux de la recherche générale, le Tribunal a considéré que la Commission s’était appuyée sur des considérations trop imprécises pour justifier l’existence d’effets anticoncurrentiels, même potentiels, et que le moyen de Google et d’Alphabet tiré du caractère purement spéculatif de l’analyse d’effets devait, pour ces marchés, être accueilli. Ainsi, le Tribunal a annulé cette décision dans la seule mesure où la Commission y avait constaté une infraction de Google et d’Alphabet dans treize marchés nationaux de la recherche générale au sein de l’EEE sur la base de l’existence d’effets anticoncurrentiels dans ces marchés et a rejeté le recours pour le surplus.

38

Le 20 janvier 2022, Google et Alphabet ont introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763). Ce pourvoi est toujours pendant.

39

Le 22 juin 2022, la Cour a rendu l’arrêt Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494), dans lequel elle s’est prononcée, notamment, sur la nature de l’article 10 de la directive 2014/104 ainsi que sur l’applicabilité temporelle de cette disposition.

40

Par lettre du 28 juin 2022, la Cour a signifié cet arrêt à la juridiction de renvoi en lui demandant si, au vu de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

41

Par une communication écrite parvenue à la Cour le 27 septembre 2022, la juridiction de renvoi a informé celle-ci qu’elle retirait les première et deuxième questions de son renvoi préjudiciel, mais maintenait les troisième et quatrième questions de celui-ci.

Sur les questions préjudicielles

42

Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir, en substance, si l’article 10 de la directive 2014/104 et/ou l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, qui prévoit un délai de prescription de trois ans applicable aux recours en dommages et intérêts pour des infractions continues aux règles du droit de la concurrence de l’Union qui :

commence à courir, indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant d’une telle infraction, à partir du moment auquel la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un tel dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans que la personne lésée ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence et sans que cette infraction ait pris fin ;

ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission concernant une telle infraction, et

ne peut pas non plus être suspendu, à tout le moins, jusqu’à un an après la date à laquelle la décision de la Commission constatant cette même infraction devienne définitive.

43

Il résulte des éléments fournis par la juridiction de renvoi que celle-ci cherche notamment à déterminer si, par son recours introduit le 26 juin 2020, Heureka, qui s’estime lésée par un abus de position dominante commis par Google sur le marché pertinent en République tchèque entre février 2013 et le 27 juin 2017 et constaté par une décision non encore définitive de la Commission, peut demander réparation pour le dommage causé au cours de l’ensemble de cette période, ou si son droit à réparation est déjà prescrit pour une partie de ladite période.

44

Cette juridiction expose à cet égard que, avant la transposition de la directive 2014/104 par la loi no 262/2017, l’article 620, paragraphe 1, du code civil ne liait le point de départ du délai de prescription, fixé à trois ans par l’article 629, paragraphe 1, de ce code, qu’à la connaissance du dommage et de son auteur. Ces dispositions auraient été interprétées en ce sens que l’ensemble du dommage naissant au cours d’une infraction continue au droit de la concurrence était divisible en dommages partiels et que, pour chaque dommage partiel, un délai de prescription autonome commençait à courir. Le droit à réparation se prescrivait donc séparément et progressivement.

45

Ladite juridiction relève, par ailleurs, que, en l’occurrence, l’infraction en question a commencé avant le 25 décembre 2014, date d’entrée en vigueur de la directive 2014/104, mais n’a cessé qu’après le 27 décembre 2016, date d’expiration du délai de transposition prévue à l’article 21 de cette directive. Toutefois, celle-ci ayant été transposée tardivement dans l’ordre juridique tchèque, cette infraction semble avoir cessé avant la date d’entrée en vigueur de la loi no 262/2017, à savoir le 1er septembre 2017. En revanche, le recours au principal a été introduit après cette dernière date.

46

Dans ces conditions, il est nécessaire, afin de répondre aux troisième et quatrième questions, de vérifier d’abord l’applicabilité temporelle de l’article 10 de la directive 2014/104, auquel font référence ces questions et qui établit certaines exigences par rapport au délai de prescription applicable aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, en déterminant, en particulier, la durée minimale de ce délai et le moment le plus tôt auquel celui-ci peut commencer à courir ainsi que les circonstances dans lesquelles il doit être suspendu ou interrompu.

47

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 10 de la directive 2014/104 est une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive. Or, en vertu de cette dernière disposition, les États membres devaient veiller à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 de ladite directive afin de se conformer aux dispositions substantielles de celle-ci ne s’appliquent pas rétroactivement (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, points 36 et 47).

48

Toutefois, il convient de rappeler que, à partir de l’expiration du délai de transposition d’une directive, le droit national doit être interprété d’une manière conforme à toute disposition de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 115, ainsi que du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C–267/20, EU:C:2022:494, points 33 et 77).

49

Dès lors, il est nécessaire, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 10 de la directive 2014/104, de vérifier si la situation en cause au principal était acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle a continué à produire ses effets après l’expiration de ce délai (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 48).

50

À cette fin, au vu des spécificités des règles de prescription, de leur nature ainsi que de leur mécanisme de fonctionnement, notamment dans le contexte d’une action en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence, il y a lieu de rechercher si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, le délai de prescription fixé par le droit national, applicable à la situation en cause au principal jusqu’à cette date, était écoulé, ce qui implique de déterminer le moment auquel ce délai de prescription a commencé à courir conformément à ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 49).

51

En effet, en l’absence d’une réglementation de l’Union en la matière jusqu’à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, il appartenait à l’ordre juridique de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de demander réparation du préjudice résultant d’une violation des articles 101 et 102 TFUE, y compris celles relatives aux délais de prescription, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité étaient respectés, ce dernier principe exigeant que les règles applicables aux recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, points 42 et 43, ainsi que du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 50).

52

À cet égard, il résulte de ce dernier principe que, même avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, une réglementation nationale fixant la date à laquelle le délai de prescription commence à courir, la durée et les modalités de la suspension ou de l’interruption de celui-ci devait être adaptée aux spécificités du droit de la concurrence et aux objectifs de la mise en œuvre des règles de ce droit par les personnes concernées, afin de ne pas réduire à néant la pleine effectivité des articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 47, ainsi que du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 53).

53

Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’article 102 TFUE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 38 et jurisprudence citée).

54

La pleine effectivité de l’article 102 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à cet article seraient remis en cause, notamment, si, en raison de la réglementation nationale fixant la date à laquelle le délai de prescription commence à courir, la durée et les modalités de la suspension ou de l’interruption de celui-ci, il serait pratiquement impossible ou excessivement difficile pour une personne de demander réparation du préjudice que lui aurait causé un comportement abusif d’une entreprise dominante susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Le droit de toute personne de demander réparation d’un tel préjudice renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union et est de nature à décourager les abus de position dominante susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en contribuant ainsi au maintien d’une concurrence effective dans l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, points 39 et 41 ainsi que jurisprudence citée).

55

Or, il ressort de la jurisprudence que l’exercice de ce droit serait rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile si les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence commençaient à courir avant que l’infraction n’ait pris fin et que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, points 56, 57 et 61).

56

En effet, s’agissant de la première condition tenant à la cessation de l’infraction, il convient de relever, en premier lieu, qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que l’introduction des actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l’Union nécessite, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

57

Or, les litiges concernant des infractions aux règles du droit de la concurrence se caractérisent, en principe, par une asymétrie d’information au détriment de la personne lésée, ce qui rend plus difficile pour celle-ci d’obtenir ces informations que pour les autorités de concurrence d’obtenir les informations nécessaires aux fins de l’exercice de leurs pouvoirs d’appliquer le droit de la concurrence (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 55).

58

En outre, il est souvent particulièrement difficile pour la personne lésée d’établir l’existence et la portée d’une telle infraction ainsi que le préjudice qui en découle avant la fin de celle-ci.

59

Dans ces conditions, l’exigence selon laquelle le délai de prescription ne saurait commencer à courir avant que l’infraction concernée n’ait pris fin est nécessaire pour permettre à la personne lésée d’identifier et de prouver son existence, sa portée et sa durée, l’étendue du préjudice causé par l’infraction ainsi que le lien de causalité entre ce préjudice et cette infraction et ainsi d’être effectivement en mesure d’exercer son droit de demander réparation intégrale, découlant des articles 101 et 102 TFUE.

60

En particulier, compte tenu de la complexité de la quantification du préjudice dans des affaires relevant du droit de la concurrence lorsque l’infraction est toujours en cours, le fait d’exiger de la personne lésée qu’elle augmente progressivement le montant de l’indemnité réclamée en fonction des dommages supplémentaires résultant de cette infraction rendrait l’exercice du droit à réparation intégrale pratiquement impossible ou excessivement difficile.

61

En second lieu, il convient de rappeler que, au même titre que la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par les autorités publiques (public enforcement), les actions en dommages et intérêts pour violation de ces règles (private enforcement) font partie intégrante du système de mise en œuvre desdites règles, qui vise à réprimer les comportements anticoncurrentiels des entreprises et à dissuader celles-ci de se livrer à de tels comportements (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 37 et jurisprudence citée).

62

À cet égard, d’une part, un régime de prescription qui prévoit un délai de prescription de trois ans dont le dies a quo précède la fin d’une infraction unique et continue et qui ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission pourrait avoir pour conséquence que ce délai expirerait bien avant l’adoption d’une décision de la Commission constatant cette infraction, ce qui affecterait directement la possibilité pour la personne lésée d’introduire un recours en dommages et intérêts à la suite d’une telle décision (follow-on damages action) et, partant, serait de nature à rendre l’exercice de son droit de demander réparation intégrale excessivement difficile. En effet, il est, en général, difficile pour cette personne d’apporter la preuve d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, ou de l’article 102 TFUE en l’absence d’une décision de la Commission ou d’une autorité nationale.

63

D’autre part, ainsi que Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé au point 118 de ses conclusions, la cessation de l’infraction en tant que condition qui doit être remplie pour que le délai de prescription puisse commencer à courir peut avoir un effet dissuasif et amener l’auteur de cette infraction à mettre fin plus rapidement à cette dernière. En revanche, tel n’est pas le cas d’un régime qui, aux fins de l’introduction d’un recours en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence, ne tiendrait pas compte de cette condition, mais permettrait de morceler la prescription en plusieurs dies a quo successifs et, en conséquence, ferait expirer les délais de prescription pour une certaine partie du dommage causé par l’infraction concernée.

64

S’agissant de la seconde condition qui, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence évoquée au point 55 du présent arrêt, doit être remplie pour faire courir le délai de prescription, à savoir la prise de connaissance par la personne lésée des informations indispensables pour l’introduction de son recours en dommages et intérêts pour des infractions aux règles du droit de la concurrence, il convient de rappeler que font partie de ces informations l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre ce préjudice et cette infraction ainsi que l’identité de l’auteur de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 60).

65

En effet, en l’absence desdites informations, il est extrêmement difficile, voire impossible, pour la personne lésée d’obtenir réparation du préjudice que cette infraction lui a causé.

66

À cet égard, il appartient au juge national qui est saisi du recours en dommages et intérêts de déterminer le moment à partir duquel il peut raisonnablement être considéré que la personne lésée a pris connaissance desdites informations. Il y a lieu de rappeler, en effet, que le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 61 ainsi que jurisprudence citée). Cela étant, il est loisible à la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, d’apporter des précisions visant à guider celui-ci dans cette détermination.

67

Ainsi, il ressort de la jurisprudence que, en principe, ce moment coïncide avec la date de publication du résumé de la décision de la Commission concernée au Journal officiel de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 71).

68

En effet, d’une part, la publication au Journal officiel de l’Union européenne dans toutes les langues officielles de l’Union d’un acte émanant d’une institution de l’Union garantit que tant les personnes physiques que les personnes morales ont la possibilité d’en prendre connaissance [voir, en ce sens, ordonnance du 6 mars 2023, Deutsche Bank (Entente – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro), C‑198/22 et C‑199/22, EU:C:2023:166, point 49 ainsi que jurisprudence citée].

69

D’autre part, dans le cadre des actions en responsabilité introduites à la suite d’une décision définitive de la Commission, le rattachement à un élément objectif tel que la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé de cette décision s’inscrit dans l’intérêt de la sécurité juridique en ce sens qu’il permet, pour autant que l’infraction concernée ait pris fin, d’établir, en principe, le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, tant pour les entreprises ayant participé à une entente que pour les personnes lésées [voir, en ce sens, ordonnance du 6 mars 2023, Deutsche Bank (Entente – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro), C‑198/22 et C‑199/22, EU:C:2023:166, point 48].

70

Cela étant, il n’est pas exclu qu’une personne lésée par une infraction aux dispositions du droit de la concurrence puisse prendre connaissance des éléments indispensables pour l’introduction de l’action en dommages et intérêts bien avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé d’une décision de la Commission [ordonnance du 6 mars 2023, Deutsche Bank (Entente – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro), C‑198/22 et C‑199/22, EU:C:2023:166, point 44 ainsi que jurisprudence citée].

71

Toutefois, il appartient à la personne contre laquelle l’action en dommages et intérêts est introduite de démontrer que tel est le cas.

72

En l’occurrence, la question se pose néanmoins encore de savoir quels sont les effets, sur la détermination du dies a quo du délai de prescription, de la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé d’une décision de la Commission, qui n’est pas encore devenue définitive, constatant une infraction aux règles de concurrence. À la différence des affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494), ainsi qu’à l’ordonnance du 6 mars 2023, Deutsche Bank (Entente – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro) (C‑198/22 et C‑199/22, EU:C:2023:166), dans lesquelles les décisions de la Commission étaient devenues définitives, dans la présente affaire, ainsi qu’il ressort des points 37 et 38 du présent arrêt, la décision C(2017) 4444 final n’a pas acquis un caractère définitif. En effet, cette décision a été contestée par Google et Alphabet devant le Tribunal et l’arrêt rendu par celui-ci, qui n’a que partiellement fait droit à cette contestation, fait l’objet d’un pourvoi, par ces sociétés, qui est toujours pendant devant la Cour.

73

À cet égard, il convient de rappeler que les actes des institutions de l’Union jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et, partant, produisent des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été annulés ou retirés (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2004, Commission/Grèce, C‑475/01, EU:C:2004:585, point 18 et jurisprudence citée). Ce principe implique également l’obligation pour tous les sujets du droit de l’Union de reconnaître la pleine efficacité desdits actes tant que leur illégalité n’a pas été établie par la Cour et d’en respecter la force exécutoire tant que cette dernière n’a pas décidé de surseoir à leur exécution (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 1988, Commission/Grèce, 63/87, EU:C:1988:285, point 10, ainsi que du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 64).

74

En particulier, aux termes de la première phrase de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 101 ou 102 TFUE qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Or, cet article 16, paragraphe 1, n’exige pas que la décision de la Commission soit devenue définitive pour que le juge national soit tenu de s’y conformer. Ledit article 16 se distingue en cela de l’article 9 de la directive 2014/104 qui n’attribue de valeur probante aux décisions des autorités de concurrence nationales que lorsque celles-ci sont définitives. Cette différence entre ces deux dispositions se justifie précisément par le caractère contraignant des décisions des institutions de l’Union.

75

Certes, au point 42 de l’arrêt du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800), la Cour a considéré en substance que, pour retenir la responsabilité d’une entité juridique quelconque relevant d’une unité économique, l’infraction aux règles de concurrence concernée doit être relevée dans une décision de la Commission devenue définitive ou établie de manière autonome devant le juge national concerné lorsqu’aucune décision relative à l’existence d’une infraction n’a été adoptée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 42). Ces considérations ne portent toutefois que sur les deux hypothèses les plus évidentes dans lesquelles un recours en dommages et intérêts peut être introduit.

76

En l’occurrence, contrairement au litige ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800), qui concernait une décision définitive de la Commission, le recours en dommages et intérêts au principal a été introduit à la suite d’une décision de la Commission qui n’a pas acquis un caractère définitif parce qu’elle a fait l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal, dont l’arrêt est attaqué devant la Cour.

77

Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé aux points 54 et 62 de ses conclusions, une décision non encore définitive de la Commission, dans laquelle celle-ci constate une infraction au droit de la concurrence, déploie un effet contraignant tant qu’elle n’a pas été annulée et il appartient au juge national d’en tirer les conséquences appropriées dans la procédure devant lui. Une personne lésée peut donc s’appuyer sur les constats figurant dans une telle décision afin d’étayer son recours en dommages et intérêts.

78

Dès lors, indépendamment du fait que la décision de la Commission en cause est devenue définitive ou non, à partir de la publication au Journal officiel de l’Union européenne du résumé de celle-ci et pour autant que l’infraction concernée ait pris fin, il peut, en principe, raisonnablement être considéré que la personne lésée dispose de toutes les informations nécessaires lui permettant d’introduire son recours en dommages et intérêts dans un délai raisonnable, y compris de celles nécessaires pour déterminer l’étendue de l’éventuel préjudice subi en raison de l’infraction concernée. En effet, cette publication permet en général de constater l’existence d’une infraction. En outre, l’étendue de l’éventuel préjudice subi en raison de cette infraction peut être établie par la personne lésée sur la base de ce constat et des données dont elle dispose.

79

S’agissant du point de savoir si l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité imposent la suspension ou l’interruption du délai de prescription pendant la durée d’une enquête de la Commission, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du point 62 du présent arrêt, un délai de prescription de trois ans, qui commence à courir avant la fin de l’infraction unique et continue concernée et qui ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission, pourrait s’écouler avant même que la procédure devant la Commission soit achevée, ce qui rendrait l’exercice du droit à réparation intégrale au moyen d’un recours en dommages et intérêts introduit à la suite d’une décision de la Commission excessivement difficile, voire impossible. En effet, la suspension ou l’interruption du délai de prescription pendant la durée d’une enquête de la Commission sont, en principe, nécessaires pour permettre à la personne lésée, à l’issue notamment de cette enquête, d’apprécier si une infraction au droit de la concurrence a été commise, de prendre connaissance de sa portée et de sa durée, et de se fonder sur ce constat dans le cadre d’une action ultérieure en dommages et intérêts.

80

En revanche, dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 77 du présent arrêt, une personne lésée peut, afin d’étayer son recours en dommages et intérêts, s’appuyer sur les constats figurant dans une décision de la Commission qui n’est pas devenue définitive, il y a lieu de considérer que l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité n’exigent pas que le délai de prescription continue à être suspendu jusqu’au moment où la décision de la Commission devienne définitive. En outre, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 70 de ses conclusions, si le juge national a la faculté de suspendre la procédure devant lui jusqu’à ce que la décision de la Commission devienne définitive, lorsqu’il l’estime approprié en raison des circonstances du cas d’espèce, il n’est nullement tenu de le faire pour autant qu’il ne s’écarte pas de cette décision.

81

Compte tenu des considérations figurant aux points 51 à 80 du présent arrêt, il convient de constater qu’un régime de prescription, tel que celui en cause au principal, selon lequel, d’une part, le délai de prescription de trois ans commence à courir indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant de l’infraction concernée à partir du moment où la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans qu’il soit nécessaire que l’infraction ait pris fin et que cette personne ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence, et, d’autre part, ledit délai ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission concernant une telle infraction, rend l’exercice du droit de demander réparation du préjudice subi en raison de la même infraction pratiquement impossible ou excessivement difficile.

82

Par conséquent, c’est en faisant abstraction des éléments de ce régime de prescription qui sont incompatibles avec l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité qu’il y a lieu de rechercher si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, le délai de prescription fixé par le droit national, applicable à la situation en cause au principal jusqu’à cette date, était écoulé.

83

En l’occurrence, le résumé de la décision C(2017) 4444 final a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 12 janvier 2018, de sorte que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, il pourrait raisonnablement être considéré que, à cette date, Heureka a pris connaissance de toutes les informations nécessaires lui permettant d’introduire un recours en dommages et intérêts. Si Google entend contester ce constat en faisant valoir que cette société avait connaissance de ces informations bien avant ladite date, il lui appartient de démontrer devant la juridiction de renvoi que tel a effectivement été le cas.

84

Il ressort, en outre, de l’article 1er de la décision C(2017) 4444 final que l’infraction en cause dans l’affaire au principal a commencé au mois de février 2013 et qu’elle n’avait pas encore pris fin à la date d’adoption de cette décision, soit le 27 juin 2017, aucune interruption du comportement de Google pendant cette période n’ayant en outre été constatée par la Commission. Du reste, cette institution a enjoint à cette société, à l’article 3 de ladite décision, de mettre fin à son comportement dans un délai de 90 jours.

85

À cet égard, comme Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé au point 91 de ses conclusions, l’infraction alléguée consiste en un comportement continu poursuivant un objectif économique unique, à savoir le placement et l’affichage plus favorables réservés par Google dans ses pages de résultats de recherche générale à son propre comparateur de produits afin d’augmenter le trafic vers ce comparateur au détriment des comparateurs de produits concurrents.

86

Or, dans ce contexte, quel que soit le moment auquel il peut être considéré que Heureka a pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son recours en dommages et intérêts, que ce moment soit la date de la publication du résumé de la décision C(2017) 4444 final au Journal officiel de l’Union européenne ou un moment antérieur à cette date, le délai de prescription n’a pu commencer à courir avant le 27 juin 2017 puisque, ainsi qu’il ressort des articles 1er et 3 de cette décision C(2017) 4444 final, l’infraction alléguée en cause au principal n’avait pas pris fin à cette dernière date. En tout état de cause, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier quelle est la date exacte de la fin de cette infraction.

87

Il s’ensuit que, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, non seulement le délai de prescription n’était pas expiré, mais il n’avait même pas encore commencé à courir.

88

Dès lors, la situation en cause au principal n’était pas acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive, de sorte que l’article 10 de ladite directive est applicable ratione temporis en l’occurrence. Partant, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions sur la base non seulement de l’article 102 TFUE et du principe d’effectivité, mais également de l’article 10 de la directive 2014/104.

89

À cet égard, il résulte des points 51 à 81 du présent arrêt qu’un régime de prescription, tel que celui sur lequel portent les troisième et quatrième questions, est incompatible avec l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité, dans la mesure où, d’une part, le délai de prescription de trois ans commence à courir indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant de l’infraction concernée à partir du moment où la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans qu’il soit nécessaire que l’infraction ait pris fin et que cette personne ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence, et, d’autre part, ledit délai ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission concernant une telle infraction.

90

En outre, il résulte du libellé clair de l’article 10, paragraphes 2 et 4, de la directive 2014/104 qu’un tel régime est également incompatible avec celui-ci.

91

En particulier, la seconde phrase de cet article 10, paragraphe 4, exige désormais que la suspension du délai de prescription à la suite d’un acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite d’une infraction au droit de la concurrence à laquelle l’action en dommages et intérêts se rapporte prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d’une autre manière.

92

Il convient encore de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations pour un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre lui. En effet, étendre l’invocabilité d’une disposition d’une directive non transposée, ou incorrectement transposée, au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 76).

93

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre d’un litige entre particuliers tel que celui en cause au principal, la juridiction nationale est tenue, le cas échéant, d’interpréter le droit national, dès l’expiration du délai de transposition d’une directive non transposée, de façon à rendre la situation en cause immédiatement compatible avec les dispositions de cette directive, sans toutefois procéder à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 77).

94

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 10 de la directive 2014/104 ainsi que l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, qui prévoit un délai de prescription de trois ans applicable aux recours en dommages et intérêts pour des infractions continues aux règles du droit de la concurrence de l’Union qui :

commence à courir, indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant d’une telle infraction, à partir du moment auquel la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un tel dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans que la personne lésée ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence et sans que cette infraction ait pris fin, et

ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission concernant une telle infraction.

En outre, l’article 10 de la directive 2014/104 s’oppose également à une telle réglementation dans la mesure où celle-ci ne prévoit pas que le délai de prescription soit suspendu, à tout le moins, jusqu’à un an après la date à laquelle la décision constatant cette même infraction est devenue définitive.

Sur les dépens

95

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

L’article 10 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, ainsi que l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité,

 

doivent être interprétés en ce sens que :

 

ils s’opposent à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, qui prévoit un délai de prescription de trois ans applicable aux recours en dommages et intérêts pour des infractions continues aux règles du droit de la concurrence de l’Union qui :

 

commence à courir, indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant d’une telle infraction, à partir du moment auquel la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un tel dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans que la personne lésée ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence et sans que cette infraction ait pris fin, et

ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission européenne concernant une telle infraction.

 

En outre, l’article 10 de la directive 2014/104 s’oppose également à une telle réglementation dans la mesure où celle-ci ne prévoit pas que le délai de prescription soit suspendu, à tout le moins, jusqu’à un an après la date à laquelle la décision constatant cette même infraction est devenue définitive.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.

Top