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Document 62020CO0691

Ordonnance de la Cour (neuvième chambre) du 22 octobre 2021.
B contre O e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Judicial da Comarca do Porto Este - Penafiel – Juízo Trabalho.
Renvoi préjudiciel – Droit de l’Union européenne – Principes – Article 18 TFUE – Égalité de traitement – Discrimination en raison de la nationalité – Interdiction – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Responsabilité solidaire, entre les sociétés faisant partie d’un groupe, pour les créances résultant d’un contrat de travail conclu par l’une de ces sociétés – Exclusion par la réglementation de l’État membre concerné des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre.
Affaire C-691/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:895

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

22 octobre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Droit de l’Union européenne – Principes – Article 18 TFUE – Égalité de traitement – Discrimination en raison de la nationalité – Interdiction – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Responsabilité solidaire, entre les sociétés faisant partie d’un groupe, pour les créances résultant d’un contrat de travail conclu par l’une de ces sociétés – Exclusion par la réglementation de l’État membre concerné des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre »

Dans l’affaire C‑691/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Judicial da Comarca do Porto Este – Penafiel – Juízo Trabalho (tribunal d’arrondissement de Porto Est – Penafiel – chambre sociale, Portugal), par décision du 17 décembre 2020, parvenue à la Cour le 21 décembre 2020, dans la procédure

B

contre

O,

P,

OP,

G,

N,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, MM. S. Rodin et  N. Piçarra, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant B à son employeur, à savoir la société O, ainsi qu’à P, à OP, à G et à N, quatre autres sociétés faisant partie du même groupe que O, au sujet des créances auxquelles B aurait droit en raison de la résiliation de son contrat de travail.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 18, premier alinéa, TFUE dispose :

« Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. »

4        L’article 49 TFUE prévoit :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

 Le droit portugais

 Le code du travail

5        Aux termes de l’article 334 du Código do Trabalho (code du travail), intitulé « Responsabilité solidaire des sociétés ayant une relation de participations réciproques, de contrôle ou de groupe » :

« L’employeur et la société ayant avec [cet employeur] une relation de participations réciproques, de contrôle ou de groupe, conformément aux articles 481 et suivants du Código das Sociedades Comerciais (code des sociétés commerciales), sont solidairement responsables des créances résultant d’un contrat de travail, de sa violation ou de sa cessation, échues depuis plus de trois mois. »

 Le code des sociétés commerciales

6        L’article 481 du code des sociétés commerciales, relatif au champ d’application du titre VI de ce code, intitulé « Sociétés liées », dispose :

« 1.      Le présent titre s’applique aux rapports entre sociétés à responsabilité limitée, sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions.

2.      Le présent titre ne s’applique qu’aux sociétés ayant leur siège au Portugal, à l’exception de ce qui suit :

a)      l’interdiction prévue à l’article 487 s’applique à l’acquisition de participations de sociétés ayant leur siège à l’étranger qui, en vertu des critères établis par la présente loi, sont considérées comme dominantes ;

b)      les obligations de publication et de déclaration de participations des sociétés ayant leur siège au Portugal incluent les participations de ces sociétés dans des sociétés ayant leur siège à l’étranger et de ces dernières dans les premières ;

c)      une société ayant son siège à l’étranger qui, en vertu des critères établis par la présente loi, est considérée comme la société dominante d’une société ayant son siège au Portugal est responsable envers cette société et ses associés, conformément à l’article 83 et, le cas échéant, à l’article 84 ;

d)      la constitution d’une société anonyme, conformément à l’article 488, paragraphes 1 et 2, par une société dont le siège n’est pas situé au Portugal. »

7        L’article 482 du code des sociétés commerciales, intitulé « Sociétés liées », prévoit :

« Aux fins de la présente loi, sont considérées comme sociétés liées :

a)      les sociétés en relation de simple participation ;

b)      les sociétés en relation de participations réciproques ;

c)      les sociétés en relation de contrôle ;

d)      les sociétés en relation de groupe. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        Au cours de l’année 2004, le requérant au principal a été embauché par la société O en tant que technicien de sécurité. Il effectuait son travail exclusivement au Portugal. Ayant cessé de percevoir son salaire à compter du mois de juin 2018, il a introduit un recours afin, d’une part, de faire constater qu’il a résilié son contrat de travail pour juste cause et, d’autre part, d’obtenir le paiement de créances liées à cette résiliation.

9        Ce recours a été introduit contre la société O, en sa qualité d’employeur, ainsi que contre les sociétés P, OP, G et N, qui seraient solidairement responsables du paiement desdites créances, en raison de l’existence d’une structure organisationnelle commune entre ces sociétés. Le Tribunal Judicial da Comarca do Porto Este – Penafiel – Juízo Trabalho (tribunal d’arrondissement de Porto Est – Penafiel – chambre sociale, Portugal) relève que la société N, dont le siège se trouve au Luxembourg, détient directement ou indirectement une position de contrôle sur les quatre autres sociétés, qui ont toutes leurs sièges au Portugal.

10      Les sociétés O et P ayant entre-temps été déclarées en faillite, la procédure s’est poursuivie contre la société N et les sociétés OP et G. La juridiction de renvoi a accueilli le recours du requérant au principal et a condamné ces deux dernières sociétés au paiement des montants réclamés. Par conséquent, le litige devant cette juridiction ne porte désormais que sur la question de la responsabilité de la société N.

11      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la responsabilité de cette dernière société est, en principe, exclue par l’article 334 du code du travail, lu en combinaison avec l’article 481, paragraphe 2, du code des sociétés commerciales. L’article 334 du code du travail prévoit, en effet, que l’employeur et les sociétés avec lesquelles celui-ci a des relations de participation réciproques, de contrôle ou de groupe, au sens des articles 481 et suivants du code des sociétés commerciales, répondent solidairement des créances résultant du contrat de travail, de la violation de celui-ci ou de sa cessation. Or, l’article 481, paragraphe 2, du code des sociétés commerciales prévoit, quant à lui, que les dispositions du titre de ce code dans lequel s’insère cet article s’appliquent exclusivement aux sociétés qui ont leur siège au Portugal. Selon la juridiction de renvoi, la lecture combinée de ces deux dispositions implique donc l’exclusion de la responsabilité solidaire, quant aux créances résultant d’un contrat de travail, des sociétés liées dont le siège est situé dans un État membre autre que le Portugal.

12      Le requérant au principal soutient que cette législation nationale entraîne une discrimination dans le traitement des travailleurs, qui est contraire à l’article 18 TFUE, dans la mesure où le sort des créances des travailleurs est différent en fonction de l’État membre où se trouve le siège de la société qui exerce le contrôle sur leur employeur.

13      La société N conteste cette argumentation en affirmant qu’il s’agit uniquement d’une question de droit national. Selon cette société, l’article 18 TFUE interdit les discriminations dans des situations qui relèvent du champ d’application des traités, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que l’article 54 TFUE n’est pas applicable en matière de responsabilité pour les créances découlant d’un contrat de travail.

14      C’est dans ce contexte que le Tribunal Judicial da Comarca do Porto Este – Penafiel – Juízo Trabalho (tribunal d’arrondissement de Porto Est – Penafiel – chambre sociale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Est-il contraire au droit de l’Union, notamment à l’article 18 TFUE, que des entreprises ayant leur siège dans un autre État membre soient, conformément au régime prévu à l’article 481, paragraphe 2, du code des sociétés commerciales, exclues de l’application du régime prévu à l’article 334 du code du travail ? »

 Sur la question préjudicielle

15      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

16      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

17      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de non-discrimination, consacré notamment à l’article 18 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle une société, établie dans un État membre autre que celui dans lequel est établie la société qu’elle contrôle, ne peut pas être tenue solidairement responsable pour des dettes de cette dernière société résultant d’un contrat de travail.

18      Conformément à une jurisprudence constante, l’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles les traités ne prévoient pas de règles spécifiques de non-discrimination. L’application de l’article 18, premier alinéa, TFUE est ainsi subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives (arrêt du 11 juin 2020, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD, C‑581/18, EU:C:2020:453, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

19      Selon la première de ces conditions, la situation à l’origine de la discrimination invoquée doit relever du champ d’application du droit de l’Union. Selon la seconde condition, aucune règle spécifique prévue par le traité et visant à interdire une discrimination en raison de la nationalité ne doit trouver à s’appliquer à une telle situation. Les mesures nationales ne sauraient ainsi être examinées au regard de l’article 18, premier alinéa, TFUE que dans la mesure où elles s’appliquent à des situations ne relevant pas de règles spécifiques de non-discrimination prévues par le traité FUE (arrêt du 11 juin 2020, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD, C‑581/18, EU:C:2020:453, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

20      À cet égard, la Cour a jugé que le principe de non-discrimination, consacré à l’article 18 TFUE, a été mis en œuvre, dans le domaine du droit d’établissement, par l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, point 25 et jurisprudence citée), dont relève la situation au principal.

21      Ainsi, dès lors que l’article 49 TFUE contient une règle spécifique visant à interdire toute discrimination en raison de la nationalité dans le domaine de la liberté d’établissement, la réglementation nationale en cause au principal ne saurait être examinée au regard de l’article 18 TFUE.

22      Il convient de rappeler que la liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants des États membres et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence. Relève de la liberté d’établissement la situation dans laquelle une société établie dans un État membre acquiert, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

23      Il est également de jurisprudence constante que l’article 49 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans distinction tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté d’établissement garantie par le traité (arrêt du 20 juin 2013, Impacto Azul, C‑186/12, EU:C:2013:412, point 33 et jurisprudence citée).

24      À cet égard, aux points 35 et 36 de ce dernier arrêt, la Cour, saisie d’une demande de décision préjudicielle dans le cadre d’une affaire concernant aussi, notamment, l’article 481, paragraphe 2, du code des sociétés commerciales, a jugé que l’article 49 TFUE ne s’oppose pas à ce qu’un État membre puisse légitimement améliorer le sort des créances des groupes présents sur son territoire et que, partant, l’exclusion des sociétés mères ayant leur siège dans un État membre autre que le Portugal du régime de responsabilité solidaire prévue par la réglementation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt n’est pas de nature à rendre moins attrayant l’exercice, par ces sociétés, de la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE.

25      Il s’ensuit qu’il convient de répondre à la question posée que le principe de non-discrimination, mis en œuvre par l’article 49 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle une société, établie dans un État membre autre que celui dans lequel est établie la société qu’elle contrôle, ne peut pas être tenue solidairement responsable pour des dettes de cette dernière société résultant d’un contrat de travail.

 Sur les dépens

26      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

Le principe de non-discrimination, mis en œuvre par l’article 49 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle une société, établie dans un État membre autre que celui dans lequel est établie la société qu’elle contrôle, ne peut pas être tenue solidairement responsable pour des dettes de cette dernière société résultant d’un contrat de travail.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.

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