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Document 62019CJ0852

Arrêt de la Cour (première chambre) du 11 novembre 2021.
Procédure pénale contre Ivan Gavanozov.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2014/41/UE – Décision d’enquête européenne en matière pénale – Article 14 – Recours – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Absence de voies de recours dans l’État membre d’émission – Décision ordonnant des perquisitions, des saisies et une audition de témoin par vidéoconférence.
Affaire C-852/19.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:902

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 novembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2014/41/UE – Décision d’enquête européenne en matière pénale – Article 14 – Recours – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Absence de voies de recours dans l’État membre d’émission – Décision ordonnant des perquisitions, des saisies et une audition de témoin par vidéoconférence »

Dans l’affaire C‑852/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 7 novembre 2019, parvenue à la Cour le 21 novembre 2019, dans la procédure pénale engagée contre

Ivan Gavanozov,

LA COUR (première chambre),

composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot et M. Safjan, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme T. Machovičová, en qualité d’agents,

pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier, A. Daniel et N. Vincent, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Giordano, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch ainsi que par Mmes J. Schmoll et C. Leeb, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, initialement par MM. I. Zaloguin et R. Troosters, puis par MM. I. Zaloguin ainsi que M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 4, et de l’article 14, paragraphes 1 à 4, de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale (JO 2014, L 130, p. 1), ainsi que des articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Ivan Gavanozov, accusé de diriger une organisation criminelle et d’avoir commis des infractions fiscales.

Le cadre juridique

La directive 2014/41

3

Les considérants 2, 6, 18, 19 et 22 de la directive 2014/41 sont ainsi libellés :

« (2)

En vertu de l’article 82, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union doit être fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, communément considéré comme la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union depuis le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999.

[...]

(6)

Dans le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen les 10 et 11 décembre 2009, celui-ci a estimé qu’il convenait de poursuivre les travaux devant permettre la mise en place d’un système global d’obtention de preuves dans les affaires revêtant une dimension transfrontalière, sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle. Il a indiqué que les instruments qui existaient dans ce domaine constituaient un régime fragmentaire et qu’une nouvelle approche s’imposait, qui devait être fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle tout en tenant compte de la souplesse du système d’entraide judiciaire classique. Le Conseil européen a ainsi appelé de ses vœux un système global destiné à remplacer tous les instruments qui existent actuellement dans ce domaine, y compris la décision-cadre 2008/978/JAI, qui couvrirait, dans la mesure du possible, tous les types d’éléments de preuve, prévoirait des délais de mise en œuvre et limiterait autant que possible les motifs de refus.

[...]

(18)

Comme dans d’autres instruments de reconnaissance mutuelle, la présente directive n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne et par la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne]. Afin de bien préciser ce point, une disposition spécifique est insérée dans le texte.

(19)

La création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union est fondée sur la confiance mutuelle et la présomption que les autres États membres respectent le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux. Cette présomption est toutefois réfragable. Par conséquent, s’il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution d’une mesure d’enquête indiquée dans la décision d’enquête européenne porterait atteinte à un droit fondamental de la personne concernée et que l’État d’exécution méconnaîtrait ses obligations concernant la protection des droits fondamentaux reconnus dans la charte, l’exécution de la décision d’enquête européenne devrait être refusée.

[...]

(22)

Les voies de recours permettant de contester une décision d’enquête européenne devraient être au moins égales à celles qui sont prévues dans le cadre d’une procédure nationale à l’encontre de la mesure d’enquête concernée. Conformément à leur droit national, les États membres devraient veiller à ce que ces voies de recours soient applicables, notamment en informant en temps utile toute partie intéressée des possibilités de recours. Dans les cas où des objections à l’encontre de la décision d’enquête européenne sont soulevées par une partie intéressée dans l’État d’exécution en ce qui concerne les motifs de fond sous-tendant l’émission de la décision d’enquête européenne, il est souhaitable que les informations relatives à cette contestation soient transmises à l’autorité d’émission et que la partie intéressée en soit dûment informée. »

4

L’article 1er de cette directive énonce :

« 1.   La décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (ci-après dénommé “État d’émission”) afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre (ci-après dénommé “État d’exécution”) en vue d’obtenir des preuves conformément à la présente directive.

[...]

2.   Les États membres exécutent une décision d’enquête européenne sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément à la présente directive.

[...]

4.   La présente directive n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques inscrits à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, y compris les droits de la défense des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, et il n’est porté atteinte à aucune des obligations qui incombent aux autorités judiciaires à cet égard. »

5

L’article 4 de ladite directive prévoit :

« Une décision d’enquête européenne peut être émise :

a)

aux fins des procédures pénales qui sont engagées par une autorité judiciaire, ou à engager devant celle-ci, concernant une infraction pénale conformément au droit de l’État d’émission ;

[...] »

6

L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« L’autorité d’émission ne peut émettre une décision d’enquête européenne que si les conditions suivantes sont réunies :

a)

l’émission de la décision d’enquête européenne est nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures visées à l’article 4, compte tenu des droits du suspect ou de la personne poursuivie ; et

b)

la ou les mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne auraient pu être ordonnées dans les mêmes conditions dans le cadre d’une procédure nationale similaire. »

7

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/41 :

« L’autorité d’exécution reconnaît une décision d’enquête européenne, transmise conformément à la présente directive, sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et veille à ce qu’elle soit exécutée de la même manière et suivant les mêmes modalités que si la mesure d’enquête concernée avait été ordonnée par une autorité de l’État d’exécution, à moins que cette autorité ne décide de se prévaloir de l’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution ou de l’un des motifs de report prévus par la présente directive. »

8

L’article 11, paragraphe 1, de cette directive est ainsi libellé :

« Sans préjudice de l’article 1, paragraphe 4, la reconnaissance ou l’exécution d’une décision d’enquête européenne peut être refusée dans l’État d’exécution lorsque :

[...]

f)

il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution de la mesure d’enquête indiquée dans la décision d’enquête européenne serait incompatible avec les obligations de l’État d’exécution conformément à l’article 6 du traité sur l’Union européenne et à la charte ;

[...] »

9

L’article 14 de ladite directive énonce :

« 1.   Les États membres veillent à ce que des voies de recours équivalentes à celles ouvertes dans le cadre d’une procédure nationale similaire soient applicables aux mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne.

2.   Les motifs de fond qui sont à l’origine de l’émission de la décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que par une action intentée dans l’État d’émission, sans préjudice des garanties des droits fondamentaux dans l’État d’exécution.

3.   Lorsque cela ne nuit pas à la confidentialité d’une enquête au titre de l’article 19, paragraphe 1, l’autorité d’émission et l’autorité d’exécution prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que des informations soient fournies sur les possibilités de recours prévues par le droit national lorsque celles-ci deviennent applicables et en temps utile afin de garantir leur exercice effectif.

4.   Les États membres veillent à ce que les délais de recours soient identiques à ceux qui sont prévus dans le cadre de procédures nationales similaires et qu’ils s’appliquent de manière à garantir aux personnes concernées la possibilité d’exercer un recours effectif.

[...] »

10

L’article 24 de la même directive prévoit :

« 1.   Lorsqu’une personne qui se trouve sur le territoire de l’État d’exécution doit être entendue comme témoin ou expert par les autorités compétentes de l’État d’émission, l’autorité d’émission peut émettre une décision d’enquête européenne en vue d’entendre le témoin ou l’expert par vidéoconférence ou par un autre moyen de transmission audiovisuelle, conformément aux paragraphes 5 à 7.

[...]

7.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que, lorsqu’une personne est entendue sur son territoire conformément au présent article et refuse de témoigner alors qu’elle est tenue de le faire ou fait de fausses dépositions, son droit national s’applique comme il s’appliquerait si l’audition avait lieu dans le cadre d’une procédure nationale. »

Le droit bulgare

11

L’article 107, paragraphe 2, du nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale, DV no 86, du 28 octobre 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « NPK »), dispose :

« La juridiction prend des mesures d’instruction à la demande des parties, et de sa propre initiative, lorsque cela s’impose pour découvrir la vérité objective. »

12

Aux termes de l’article 117 du NPK :

« Avec des témoignages, il est possible d’établir tous les faits que le témoin a observés et qui contribuent à la découverte de la vérité objective. »

13

L’article 161, paragraphe 3, du NPK est ainsi libellé :

« Dans la procédure juridictionnelle, une perquisition et une saisie sont effectuées sur décision de la juridiction qui examine l’affaire. »

14

L’article 341, paragraphe 3, du NPK énonce :

« Toutes les autres ordonnances et injonctions ne sont pas soumises à un contrôle de l’instance d’appel en dehors de la condamnation. »

15

L’article 6, paragraphe 1, du zakon za evropeyskata zapoved za razsledvane (loi relative à la décision d’enquête européenne, DV no 16, du 20 février 2018), prévoit :

« Après un examen de chaque cas individuel, l’autorité compétente visée à l’article 5, paragraphe 1, émet une décision d’enquête européenne si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

1. L’émission d’une décision d’enquête européenne est nécessaire et proportionnée aux fins de la procédure pénale, en prenant en considération les droits de la personne poursuivie ou du prévenu ;

2. Les mesures d’enquête et les autres mesures procédurales prévues par la décision d’enquête européenne peuvent être exécutées dans les mêmes conditions conformément à la législation bulgare dans un cas comparable. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16

M. Gavanozov fait l’objet, en Bulgarie, de poursuites pour participation à une organisation criminelle constituée en vue de commettre des infractions fiscales.

17

En particulier, il est soupçonné d’avoir importé en Bulgarie, par l’intermédiaire de sociétés écrans, du sucre en provenance d’autres États membres, en se fournissant, notamment, auprès d’une société établie en République tchèque et représentée par M. Y, ainsi que d’avoir, par la suite, vendu ce sucre sur le marché bulgare sans payer ni liquider la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en présentant des documents inexacts selon lesquels ledit sucre aurait été exporté vers la Roumanie.

18

Dans ce contexte, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) a décidé, le 11 mai 2017, d’émettre une décision d’enquête européenne visant à ce que les autorités tchèques effectuent des perquisitions et des saisies, tant dans les locaux de ladite société établie en République tchèque qu’au domicile de M. Y, et procèdent à une audition par vidéoconférence de ce dernier en qualité de témoin.

19

À la suite de l’adoption de cette décision et en faisant état de difficultés pour compléter la section J du formulaire figurant à l’annexe A de la directive 2014/41, intitulée « Voies de recours », cette juridiction a interrogé la Cour sur l’interprétation de plusieurs dispositions de cette directive.

20

Au regard, notamment, de la réponse donnée par la même juridiction à une demande d’informations qui lui avait été adressée par la Cour, cette dernière a jugé, au point 38 de l’arrêt du 24 octobre 2019, Gavanozov (C‑324/17, EU:C:2019:892), que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/41, lu en combinaison avec la section J du formulaire visé à l’annexe A de cette directive, doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’un État membre ne doit pas, lors de l’émission d’une décision d’enquête européenne, faire figurer dans cette section une description des voies de recours qui sont prévues, le cas échéant, dans son État membre, contre l’émission d’une telle décision.

21

Dans sa décision de renvoi, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) relève que le droit bulgare ne prévoit aucune voie de recours contre des décisions ordonnant la réalisation de perquisitions et de saisies ou l’organisation d’auditions de témoins, ni contre l’émission d’une décision d’enquête européenne.

22

Dans ce contexte, cette juridiction se demande si le droit bulgare est contraire au droit de l’Union et, dans un tel cas, si elle peut émettre une décision d’enquête européenne ayant pour objet de telles mesures d’enquête.

23

Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une réglementation nationale qui ne prévoit pas de voies de recours contre l’émission d’une décision d’enquête européenne en matière pénale ayant pour objet la réalisation d’une perquisition dans un bien immeuble résidentiel et dans un bien immeuble d’entreprise, d’une saisie d’objets déterminés, ainsi que l’organisation d’une audition de témoin, est-elle conforme aux dispositions de l’article 14, paragraphes 1 à 4, de l’article 1er, paragraphe 4, aux considérants 18 et 22 de la directive 2014/41, ainsi qu’aux dispositions combinées des articles 47 et 7 de la Charte, lues conjointement avec les dispositions combinées des articles 13 et 8, de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”)] ?

2)

Est-il possible d’émettre une décision d’enquête européenne en matière pénale dans ces conditions ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 4, et l’article 14, paragraphes 1 à 4, de la directive 2014/41, lus à la lumière des considérants 18 et 22 de cette directive, ainsi que les articles 7 et 47 de la Charte, lus en combinaison avec les articles 8 et 13 de la CEDH, doivent être interprétés en ce sens qu’il s’opposent à la réglementation d’un État membre d’émission d’une décision d’enquête européenne qui ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence.

25

Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2014/41, les États membres veillent à ce que des voies de recours équivalentes à celles ouvertes dans le cadre d’une procédure nationale similaire soient applicables aux mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne.

26

Si cette disposition, lue à la lumière du considérant 22 de cette directive, prévoit une obligation générale pour les États membres de veiller à ce que des voies de recours au moins équivalentes à celles ouvertes dans le cadre d’une procédure nationale similaire soient applicables aux mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Staatsanwaltschaft Wien (Ordres de virement falsifiés), C‑584/19,EU:C:2020:1002, point 60], elle n’exige pas des États membres qu’ils prévoient des voies de recours supplémentaires par rapport à celles qui existent dans le cadre d’une procédure nationale similaire.

27

Une telle exigence ne ressort pas davantage du libellé de l’article 14, paragraphe 2, de ladite directive, lequel précise seulement que les motifs de fond qui sont à l’origine de l’émission d’une décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que par une action intentée dans l’État membre d’émission.

28

Cela étant, il importe de rappeler que les États membres, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, sont tenus d’assurer le respect du droit à un recours effectif consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte, lequel constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective [arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 43 et jurisprudence citée].

29

Or, la procédure d’émission et d’exécution d’une décision d’enquête européenne étant régie par la directive 2014/41, elle constitue une telle mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, emportant l’applicabilité de l’article 47 de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 50 et jurisprudence citée).

30

Ce dernier article énonce, à son premier alinéa, que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal, dans les conditions prévues à cet article.

31

S’agissant, en premier lieu, de l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies, il importe de relever que de telles mesures constituent des ingérences dans le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications, garanti à l’article 7 de la Charte. En outre, les saisies sont susceptibles de porter atteinte à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, qui reconnaît le droit de toute personne de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer.

32

Toute personne qui souhaite se prévaloir de la protection que lui confèrent ces dispositions dans le cadre d’une procédure relative à une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies doit donc se voir reconnaître le bénéfice d’un droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte.

33

Ce droit implique nécessairement que les personnes concernées par de telles mesures d’enquête disposent de voies de recours appropriées leur permettant, d’une part, de contester leur régularité et leur nécessité ainsi que, d’autre part, demander un redressement approprié si ces mesures ont été ordonnées ou exécutées illégalement. Il incombe aux États membres de prévoir dans leur ordre juridique interne les voies de recours nécessaires à ces fins.

34

Cette interprétation de l’article 47 de la Charte correspond, en outre, à celle de l’article 13 de la CEDH qu’a retenue la Cour EDH dans sa jurisprudence. Il découle, en effet, de la jurisprudence de la Cour EDH que, en vertu de cette dernière disposition, qui correspond, en substance à l’article 47, premier alinéa, de la Charte, les personnes concernées par des perquisitions et des saisies doivent pouvoir avoir accès à une procédure leur permettant de contester la régularité et la nécessité des perquisitions et des saisies effectuées et d’obtenir un redressement approprié si ces mesures ont été ordonnées ou exécutées illégalement (voir, en ce sens, Cour EDH, 22 mai 2008, Iliya Stefanov c. Bulgarie, CE:ECHR:2008:0522JUD006575501, § 59 ; Cour EDH, 31 mars 2016, Stoyanov et autres c. Bulgarie, CE:ECHR:2016:0331JUD005538810, § 152 à 154, ainsi que Cour EDH, 19 janvier 2017, Posevini c. Bulgarie, CE:ECHR:2017:0119JUD006363814, § 84 à 86).

35

Par ailleurs, le droit, pour la personne concernée, de contester la régularité et la nécessité de ces mesures implique que cette personne doive disposer d’un recours contre la décision d’enquête européenne ordonnant l’exécution desdites mesures.

36

À cet égard, il convient de relever que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/41 définit la décision d’enquête européenne comme une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre en vue d’obtenir des preuves conformément à cette directive.

37

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive, les États membres exécutent une décision d’enquête européenne sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la même directive.

38

Il ressort, en outre, de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/41 que l’autorité d’exécution reconnaît une décision d’enquête européenne, transmise conformément à cette directive, sans qu’aucune autre formalité soit requise, et veille à ce qu’elle soit exécutée de la même manière et suivant les mêmes modalités que si la mesure d’enquête concernée avait été ordonnée par une autorité de l’État membre d’exécution, à moins que cette autorité ne décide de se prévaloir de l’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution ou de l’un des motifs de report prévus par cette directive.

39

Il résulte de ces éléments que, dans le cadre d’une procédure relative à une décision d’enquête européenne, les mesures d’enquête sont ordonnées par l’autorité compétente de l’État membre d’émission et sont exécutées par les autorités compétentes de l’État membre d’exécution, lesquelles sont, en principe, tenues de reconnaître une décision d’enquête européenne transmise conformément à la directive 2014/41 sans qu’aucune autre formalité soit requise.

40

En outre, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2014/41, les motifs de fond qui sont à l’origine de l’émission d’une décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que par une action intentée dans l’État membre d’émission.

41

Partant, pour que les personnes concernées par l’exécution d’une décision d’enquête européenne émise ou validée par une autorité judiciaire de cet État membre et ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies puissent utilement exercer leur droit garanti à l’article 47 de la Charte, il incombe audit État membre de veiller à ce que ces personnes disposent d’un recours devant une juridiction du même État membre qui leur permet de contester la nécessité et la régularité de cette décision, à tout le moins, eu égard aux motifs de fond qui sont à l’origine de l’émission d’une telle décision d’enquête européenne.

42

S’agissant, en second lieu, de l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence, il importe de relever que l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2014/41 prévoit que, lorsqu’une personne qui se trouve sur le territoire de l’État membre d’exécution doit être entendue comme témoin ou expert par les autorités compétentes de l’État membre d’émission, l’autorité d’émission peut émettre une décision d’enquête européenne afin d’entendre le témoin ou l’expert par vidéoconférence ou par un autre moyen de transmission audiovisuelle, conformément aux paragraphes 5 à 7 de cet article 24.

43

L’article 24, paragraphe 7, de ladite directive précise que chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que, lorsqu’une personne est entendue sur son territoire conformément à cet article et refuse de témoigner alors qu’elle est tenue de le faire ou fait de fausses dépositions, son droit national s’applique comme il s’appliquerait si l’audition de cette personne avait lieu dans le cadre d’une procédure nationale.

44

Il s’ensuit que le refus de témoigner dans le cadre de l’exécution d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence est susceptible d’avoir des conséquences notables pour la personne concernée sur la base des normes prévues à cette fin dans le droit de l’État membre d’exécution. En particulier, cette personne pourrait être contrainte de comparaître à l’audition et se voir obligée de répondre aux questions posées dans ce cadre, sous peine de sanctions.

45

Or, selon une jurisprudence constante, la protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère privée d’une personne physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées, constitue un principe général du droit de l’Union (arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 51 et jurisprudence citée).

46

La Cour a précisé que cette protection peut être invoquée par toute personne, en tant que droit garanti par le droit de l’Union, au sens de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, en vue de contester en justice un acte lui faisant grief, tel qu’une injonction de communication d’informations ou une sanction infligée pour cause de non-respect de cette injonction [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 58 et jurisprudence citée].

47

Partant, il y a lieu de considérer que l’exécution d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence est susceptible de faire grief à la personne concernée et que celle-ci doit dès lors disposer d’une voie de recours contre une telle décision, conformément à l’article 47 de la Charte.

48

Or, les juridictions de l’État membre d’exécution ne seront pas compétentes, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2014/41, pour examiner les motifs de fond d’une décision d’enquête européenne ordonnant l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence.

49

Il s’ensuit qu’il incombe à l’État membre d’émission de veiller à ce que toute personne qui a été soumise à une obligation de se présenter à une audition en vue d’être entendue comme témoin ou de répondre aux questions qui lui ont été posées lors d’une telle audition dans le cadre de l’exécution d’une décision d’enquête européenne dispose d’un recours devant une juridiction de cet État membre lui permettant de contester, à tout le moins, les motifs de fond qui sont à l’origine de l’émission d’une telle décision d’enquête européenne.

50

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 14 de la directive 2014/41, lu en combinaison avec l’article 24, paragraphe 7, de cette directive et l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre d’émission d’une décision d’enquête européenne qui ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence.

Sur la seconde question

51

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 4, et l’article 14, paragraphes 1 à 4, de la directive 2014/41, lus à la lumière des considérants 18 et 22 de cette directive, ainsi que les articles 7 et 47 de la Charte, lus en combinaison avec les articles 8 et 13 de la CEDH, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’émission, par l’autorité compétente d’un État membre, d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence, lorsque la réglementation de cet État membre ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une telle décision d’enquête européenne.

52

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2014/41 subordonne l’émission d’une décision d’enquête européenne au respect de deux conditions. D’une part, cette émission doit être nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures visées à l’article 4 de cette directive, compte tenu des droits du suspect ou de la personne poursuivie. D’autre part, la ou les mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne doivent pouvoir être ordonnées dans les mêmes conditions dans le cadre d’une procédure nationale similaire.

53

Certes, cette disposition ne mentionne pas la prise en compte, lors de l’émission d’une décision d’enquête européenne, des droits de personnes concernées par les mesures d’enquête indiquées dans cette décision autres que le suspect ou la personne poursuivie.

54

Il convient, toutefois, de rappeler qu’il découle, notamment, des considérants 2, 6 et 19 de ladite directive que la décision d’enquête européenne est un instrument relevant de la coopération judiciaire en matière pénale visée à l’article 82, paragraphe 1, TFUE, laquelle est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires. Ce principe, qui constitue la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, est lui-même fondé sur la confiance mutuelle ainsi que sur la présomption réfragable que les autres États membres respectent le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Staatsanwaltschaft Wien (Ordres de virement falsifiés), C‑584/19, EU:C:2020:1002, point 40].

55

Dans le cadre d’une procédure relative à une décision d’enquête européenne, la garantie de ces droits relève ainsi, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission, dont il y a lieu de présumer qu’il respecte le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux reconnus par ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 23 janvier 2018, Piotrowski, C‑367/16, EU:C:2018:27, point 50).

56

Toutefois, l’impossibilité de contester, dans l’État membre d’émission, la nécessité et la régularité d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence, à tout le moins, eu égard aux motifs de fond qui sont à l’origine de son émission, constitue une violation du droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de la Charte, de nature à exclure que la reconnaissance mutuelle puisse être mise en œuvre et profiter à cet État membre.

57

Par ailleurs, il importe de rappeler qu’il incombe aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union et de prendre, à ces fins, toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 34 et jurisprudence citée).

58

Dès lors, au regard, notamment, du rôle essentiel du principe de reconnaissance mutuelle dans le système institué par la directive 2014/41, il appartient à l’État membre d’émission de créer les conditions dans lesquelles l’autorité d’exécution pourra utilement accorder son assistance en conformité avec le droit de l’Union.

59

En outre, ainsi qu’il ressort du point 43 du présent arrêt, la directive 2014/41 est fondée sur le principe d’exécution des décisions d’enquête européenne. Son article 11, paragraphe 1, sous f), permet aux autorités d’exécution de déroger à ce principe, à titre exceptionnel, après une appréciation au cas par cas, lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution d’une décision d’enquête européenne serait incompatible avec les droits fondamentaux garantis, notamment, par la Charte. Toutefois, en l’absence de toute voie de recours dans l’État d’émission, l’application de cette disposition deviendrait systématique. Une telle conséquence serait contraire, à la fois, à l’économie générale de la directive 2014/41 et au principe de confiance mutuelle.

60

Partant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, aux points 81 à 84 de ses conclusions, l’émission d’une décision d’enquête européenne dont il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution aboutirait à une violation de l’article 47 de la Charte et dont l’exécution devrait donc être refusée par l’État membre d’exécution conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous f), de cette directive n’est pas compatible avec les principes de confiance mutuelle et de coopération loyale.

61

Or, ainsi qu’il découle de l’examen de la première question, l’exécution d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence dont la régularité ne peut pas faire l’objet d’un recours devant une juridiction de l’État membre d’émission est de nature à impliquer une violation du droit à un recours effectif consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte.

62

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 6 de la directive 2014/41, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte et l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’émission, par l’autorité compétente d’un État membre, d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence, lorsque la réglementation de cet État membre ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une telle décision d’enquête européenne.

Sur les dépens

63

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 14 de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale, lu en combinaison avec l’article 24, paragraphe 7, de cette directive et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre d’émission d’une décision d’enquête européenne qui ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence.

 

2)

L’article 6 de la directive 2014/41, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’émission, par l’autorité compétente d’un État membre, d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence, lorsque la réglementation de cet État membre ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une telle décision d’enquête européenne.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.

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