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Document 62013CC0377

Conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 8 avril 2014.
Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta SA contre Autoridade Tributária e Aduaneira.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa - CAAD) - Portugal.
Renvoi préjudiciel - Notion de ‘juridiction d’un État membre’ - Tribunal Arbitral Tributário - Directive 69/335/CEE - Articles 4 et 7 - Augmentation du capital social d’une société de capitaux - Droit de timbre en vigueur au 1er juillet 1984 - Suppression de ce droit de timbre par la suite, puis réintroduction de celui-ci.
Affaire C-377/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:246

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑377/13

Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta SA

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Arbitral Tributário (Portugal)]

«Renvoi préjudiciel — Notion de ‘juridiction d’un État membre’ au sens de l’article 267 TFUE — Tribunal Arbitral Tributário — Recevabilité — Directive 69/335/CEE — Impôt indirect frappant les rassemblements de capitaux — Droit d’apport — Opérations exonérées — Possibilité de réintroduction d’un droit d’apport»

1. 

La présente affaire concerne la question de savoir si le législateur portugais a la possibilité de réintroduire un droit de timbre – supprimé en 1991 – sur les opérations d’augmentation du capital social des sociétés de capitaux, sur le fondement des dispositions de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux ( 2 ), telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil du 10 juin 1985 (ci-après la «directive 69/335») ( 3 ). Cette question semble relativement simple à résoudre sur la base des dispositions de la directive et de l’état actuel de la jurisprudence. Le problème majeur qui se pose est celui de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle présentée dans cette affaire, compte tenu de la nature particulière de l’organe à l’origine de cette demande.

2. 

Par conséquent, dans les présentes conclusions, je traiterai d’abord de la question de la compétence de la Cour pour statuer sur la question préjudicielle, avant d’évoquer brièvement l’affaire au fond et de proposer une réponse.

Cadre juridique

Droit de l’Union

3.

La réglementation applicable ratione temporis à la présente affaire est issue des dispositions de la directive 69/335, telle que modifiée par la directive 85/303. La directive 69/335 harmonise, dans les États membres, le droit perçu sur les apports à des sociétés de capitaux, dénommé, conformément à son article 1er, «droit d’apport».

4.

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous c), et à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 69/335:

«1.   Sont soumises au droit d’apport les opérations suivantes:

[…]

c)

l’augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature;

[…]

2.   Peuvent continuer à être soumises au droit d’apport les opérations suivantes, dans la mesure où elles étaient taxées au taux de 1 % à la date du 1er juillet 1984:

a)

l’augmentation du capital social d’une société de capitaux par incorporation de bénéfices, réserves ou provisions;

[…]»

5.

L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 69/335 dispose:

«1.   Les États membres exonèrent du droit d’apport les opérations, autres que celles visées à l’article 9, qui étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % à la date du 1er juillet 1984.

[…]

2.   Les États membres peuvent, soit exonérer du droit d’apport toutes les opérations autres que celles visées au paragraphe 1, soit les soumettre à un taux unique ne dépassant pas 1 %.

[…]»

6.

Conformément à l’article 10 de la directive 69/335:

«En dehors du droit d’apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:

a)

pour les opérations visées à l’article 4;

[…]»

Droit portugais

Dispositions régissant le statut de l’organe de renvoi

7.

Conformément aux informations qui ressortent de la décision de renvoi et des observations du gouvernement portugais, l’instauration d’un système de juridictions arbitrales en matière fiscale a été rendue possible par l’autorisation issue de l’article 124 de la loi no 3‑B/2010 établissant le budget de l’année 2010 (Lei no 3‑B/2010, Orçamento do Estado para 2010 ( 4 )), du 28 avril 2010 (ci-après la «loi no 3‑B/2010»). Cette disposition définit l’arbitrage comme «un moyen alternatif de résolution juridictionnelle des litiges en matière fiscale». Conformément à l’article 124, paragraphe 4, sous a) à q), de cette même loi, l’arbitrage est censé concerner différents types de litiges entre les contribuables et l’administration fiscale.

8.

Sur la base de l’autorisation évoquée au point précédent, le décret-loi no 10/2011 portant approbation du régime juridique de l’arbitrage fiscal (Decreto‑Lei no 10/2011, Regula o regime jurídico da arbitragem em matéria tributária ( 5 )), du 20 janvier 2011 (ci-après le «décret-loi no 10/2011») a été adopté. Ce décret-loi régit les compétences, modalités de désignation et règles de fonctionnement des juridictions arbitrales en matière fiscale ainsi que les effets de leurs décisions et les possibilités de recours contre celles-ci. Les dispositions essentielles du décret-loi no 10/2011 seront abordées dans la partie des présentes conclusions consacrée à l’examen de la recevabilité du renvoi préjudiciel.

Dispositions relatives au droit d’apport

9.

Au 1er juillet 1984, l’augmentation du capital social des sociétés de capitaux était soumise au Portugal à un droit de timbre de 2 %, l’augmentation de capital réalisée en numéraire en étant exonérée. En 1991, l’augmentation du capital social des sociétés de capitaux, quelle qu’en soit la forme, a été exonérée.

10.

Dans la procédure au principal, les dispositions de la loi no 150/99 introduisant un code du droit de timbre (Lei no 150/99, Aprova o Código do Imposto do Selo ( 6 )), du 11 septembre 1999, dans la version en vigueur pour la période 2004‑2006, sont applicables. L’annexe III de cette loi, intitulée «Tabela Geral do Imposto do Selo (em euro)» [tarif général relatif au droit de timbre (en euros)], fixe le montant du droit de timbre sur les différentes opérations qui y sont assujetties. En vertu du décret-loi no 322‑B/2001 (Decreto-Lei no 322-B/2001 ( 7 )), du 14 décembre 2001, le point 26 a été ajouté en annexe; son point 26.3 était formulé comme suit:

«Augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature; sur la valeur réelle des biens de toute nature apportés ou à apporter par les associés, après déduction des obligations assumées et des charges supportées par la société du fait de chaque apport: 0,4 %» ( 8 ).

Faits et procédure

Faits, procédure au principal et question préjudicielle

11.

Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta SA (ci-après la «société Ascendi»), une société de capitaux de droit portugais, a procédé, entre le 15 décembre 2004 et le 29 novembre 2006, à quatre opérations d’augmentation de son capital par conversion, en capital social, de créances des actionnaires à l’égard de la société. La société Ascendi a acquitté, au titre de ces opérations, un droit de timbre d’un montant total de 203796 euros.

12.

Le 28 mars 2008, la société Ascendi a sollicité de l’Autoridade Tributária e Aduaneira (administration fiscale portugaise) le remboursement de ce montant majoré des intérêts. Cette demande a été rejetée par une décision du 6 août 2012, objet de la procédure au principal. Le 3 décembre 2012, la société Ascendi a demandé la constitution d’un tribunal arbitral et l’annulation de la décision précitée.

13.

La requérante invoque l’illégalité de la décision du 6 août 2012 au motif que, selon elle, le législateur portugais ne pouvait valablement réintroduire, en 2001, un droit de timbre sur les opérations d’augmentation du capital social des sociétés de capitaux qui avait été supprimé en 1991. L’administration fiscale estime cependant que l’article 7, paragraphe 2, de la directive permet de réintroduire un droit d’apport sur les opérations qui étaient assujetties à un tel droit au 1er juillet 1984, même si elles en ont été exonérées après cette date.

14.

Dans ce contexte, le Tribunal Arbitral Tributário (Portugal) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Les articles 4, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous a), 7, paragraphe 1, et 10, sous a), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969 (telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil du 10 juin 1985), s’opposent-ils à une législation nationale, telle que le décret-loi no 322-B/2001, du 14 décembre 2001, qui a soumis au droit de timbre les augmentations de capital social de sociétés de capitaux réalisées par conversion, en capital social, de créances détenues par les actionnaires pour des prestations accessoires réalisées antérieurement au profit de la société, alors même que ces prestations accessoires ont été réalisées en numéraire, compte tenu du fait que, à la date du 1er juillet 1984, la législation nationale soumettait ces augmentations de capital, réalisées de cette manière, à un droit de timbre, au taux de 2 %, et que, à cette même date, elle exonérait de droit de timbre les augmentations de capital réalisées en numéraire?»

Procédure devant la Cour

15.

La demande de décision préjudicielle a été introduite le 3 juillet 2013. Des observations écrites ont été présentées par la société Ascendi, le gouvernement portugais et la Commission européenne. En application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.

Analyse

Compétence de la Cour pour statuer sur la question préjudicielle

Observations liminaires

16.

Dans cette affaire, la recevabilité du renvoi préjudiciel n’est pas contestée. Cependant, le Tribunal Arbitral Tributário reconnaît lui‑même dans la décision de renvoi que cette question peut susciter des doutes et expose un certain nombre d’arguments de nature à justifier sa qualification de «juridiction d’un État membre» au sens de l’article 267 TFUE. Le gouvernement portugais et la Commission examinent également ce problème dans leurs observations écrites, pour en conclure que la Cour est compétente pour statuer sur la question préjudicielle posée.

17.

Les doutes à cet égard sont liés au fait que le Tribunal Arbitral Tributário n’est pas rattaché au système de base des juridictions judiciaires et administratives au Portugal mais constitue «un moyen alternatif de résolution juridictionnelle des litiges en matière fiscale» – pour reprendre la définition de la loi no 3‑B/2010. Ce moyen alternatif de résolution des litiges repose, comme l’indique du reste la dénomination même de l’organe de renvoi, sur le recours à certaines techniques d’arbitrage pour la résolution de litiges entre un contribuable et l’administration fiscale. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour – sur laquelle je reviendrai dans la suite des présentes conclusions – les juridictions arbitrales instituées par convention ne sont pas des juridictions d’un État membre au sens de l’article 267 TFUE et la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les questions préjudicielles de telles instances.

18.

Dès lors, il convient d’examiner si la nature particulière du Tribunal Arbitral Tributário exclut qu’il puisse saisir la Cour à titre préjudiciel en application de l’article 267 TFUE.

Impossibilité pour les juridictions arbitrales de saisir la Cour à titre préjudiciel

19.

Il convient tout d’abord de souligner que le seul fait d’utiliser, dans la dénomination de l’organe, les termes «arbitrage» ou «arbitre» ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une juridiction arbitrale au sens strict. En effet, des organes nationaux chargés de la résolution des différends peuvent avoir recours, dans le cadre de leur activité, à des règles de procédure caractéristiques des juridictions arbitrales (par exemple, possibilité pour les parties de désigner certains des membres de la formation appelée à statuer, simplification procédurale, procédure en instance unique). Ce type d’«arbitrage» doit être distingué de l’arbitrage au sens strict qui repose sur le pouvoir (la volonté) des parties de confier à une juridiction non étatique (privée) la résolution d’un différend. Cette distinction est fondamentale aux fins de la qualification de l’organe au regard de l’article 267 TFUE.

20.

Dans son arrêt de l’année 1982 rendu dans l’affaire Nordsee ( 9 ), la Cour a exclu que des tribunaux arbitraux institués par contrat des parties puissent la saisir à titre préjudiciel en application de l’article 177 CE (devenu article 267 TFUE). Dans cette affaire, la Cour n’a pas qualifié l’arbitre de «juridiction d’un État membre» au sens du traité, estimant que son lien avec le système des voies de recours légales était trop ténu ( 10 ). Cette jurisprudence a ensuite été confirmée dans les arrêts Eco Swiss ( 11 ) ainsi que Denuit et Cordenier ( 12 ).

21.

Il découle de la jurisprudence de la Cour que seules les autorités des États membres ou les organismes chargés par ces États de missions du domaine de la protection juridique peuvent saisir la Cour à titre préjudiciel, dans la mesure où les États membres sont responsables de l’application et du respect du droit de l’Union sur leur territoire. Or, les juridictions arbitrales stricto sensu ne sont ni des autorités des États membres ni des organismes assurant, au nom de ces États, des missions du domaine de la protection juridique, mais des institutions privées.

22.

Parallèlement, dès les premiers arrêts dans lesquels la Cour a interprété la notion de «juridiction d’un État membre» dans le contexte de la recevabilité des renvois préjudiciels, et plus précisément dans l’arrêt Vaassen Göbbels ( 13 ) de l’année 1966, la Cour a admis la possibilité d’un renvoi préjudiciel émanant d’un organe d’arbitrage relevant du droit public. La Cour a ensuite statué dans le même sens dans d’autres affaires ( 14 ), et, dernièrement, dans son ordonnance Merck Canada ( 15 ), elle a admis le renvoi préjudiciel émanant d’un organisme portugais dont le statut est analogue, quoique non identique, à celui du Tribunal Arbitral Tributário.

23.

Comment qualifier dans ces conditions le Tribunal Arbitral Tributário au regard de la jurisprudence qui vient d’être évoquée?

24.

Je commencerai par observer que la nature de l’arbitrage stricto sensu est son caractère non étatique. Les juridictions arbitrales sont des juridictions privées chargées, en lieu et place des juridictions étatiques, et ce par la volonté des parties, d’examiner et de résoudre des différends ( 16 ).

25.

La première de ces caractéristiques signifie que la compétence d’une juridiction arbitrale est d’origine conventionnelle (clause d’arbitrage). Les parties – dans le cadre de l’autonomie des volontés – prennent la décision de soumettre un litige à la juridiction d’une instance arbitrale. Elles peuvent également définir les principes de fonctionnement de la juridiction arbitrale, les règles de procédure ainsi que les principes sur la base desquels la juridiction arbitrale statuera sur le fond. En soumettant leur litige à un tribunal arbitral, les parties renoncent à leur droit de le porter devant une juridiction étatique et donc aux voies de recours prévues par l’État ( 17 ).

26.

Le fait de soumettre un différend à la juridiction d’un tribunal arbitral implique en effet que les parties ont écarté à cet égard la compétence des juridictions étatiques. En l’absence de clause d’arbitrage, leur différend relèverait de la compétence des juridictions étatiques. La juridiction arbitrale est donc une juridiction privée. Il convient de souligner que la possibilité même de soumettre un différend à l’arbitrage doit résulter des dispositions légales. Celles-ci définissent notamment le type de litiges susceptibles d’être soumis à l’arbitrage («zdatność arbitrażowa», «arbitrability», «arbitrabilité», «Schiedsfähigkeit»). Il s’agit en principe de litiges de droit privé ( 18 ).

27.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu, me semble-t-il, de considérer le Tribunal Arbitral Tributário comme une juridiction arbitrale au sens strict, qui, de ce seul fait, ne pourrait valablement saisir la Cour à titre préjudiciel en application de l’article 267 TFUE.

28.

Cette conclusion est étayée principalement par le fait qu’il ne s’agit pas d’un tribunal créé sur une base conventionnelle mais sur la base des dispositions du droit portugais citées aux points 7 et 8 des présentes conclusions. L’arbitrage en matière fiscale est certes un moyen alternatif de résolution des litiges, en ce sens que le requérant, en l’occurrence le contribuable, a la possibilité de choisir la voie de l’arbitrage ou de la juridiction administrative. Cependant, cette faculté de choix des voies de recours est prévue par le droit et est ouverte à tout contribuable pour tout litige relevant de l’article 124, paragraphe 4, sous a) à q), de la loi no 3‑B/2010, sans être subordonnée à l’expression préalable de la volonté des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage.

29.

Le type de rapports juridiques relevant de la compétence de ce tribunal, à savoir ceux du domaine fiscal, tend également à exclure que le Tribunal Arbitral Tributário relève de la qualification de juridiction arbitrale au sens strict. Dans ce domaine, à la différence des rapports relevant du droit privé, non seulement les modalités de résolution des litiges, mais également et surtout l’existence même du rapport juridique et son contenu ne résultent pas de la volonté des parties mais sont régis exclusivement par des dispositions juridiques qui associent de façon automatique la naissance de l’obligation fiscale à certains événements. Cette matière ne présente pas en effet par sa nature l’arbitrabilité permettant de soumettre les litiges qui en relèvent au jugement d’une juridiction instituée par la volonté des parties.

30.

Enfin, il convient de noter qu’en matière fiscale, l’une des parties est toujours une autorité de l’État, agissant dans l’exercice des fonctions attachées à la puissance publique, l’imposition et le prélèvement de taxes étant de nos jours une prérogative réservée à l’État. Cela suffit à montrer qu’un organe chargé de la résolution des litiges en la matière, tel le Tribunal Arbitral Tributário, n’est pas une juridiction privée.

31.

L’affirmation selon laquelle le Tribunal Arbitral Tributário n’est pas une juridiction arbitrale au sens de la jurisprudence évoquée au point 20 des présentes conclusions ne préjuge toutefois pas de sa qualification en tant que juridiction d’un État membre au sens de l’article 267 TFUE. Pour répondre à cette question, il y a lieu d’examiner si les conditions qui découlent de la jurisprudence de la Cour à cet égard sont remplies. Des doutes peuvent apparaître s’agissant en particulier des éléments relevant du fonctionnement de l’organisme examiné et faisant appel à des techniques caractéristiques des juridictions arbitrales.

Conditions permettant de qualifier l’organe de renvoi de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE

32.

La notion de «juridiction d’un État membre» au sens de l’article 267 TFUE est une notion autonome du droit de l’Union, mais ni les traités ni la jurisprudence de la Cour ne contiennent de définition générale de ce terme. Compte tenu de la diversité des organismes chargés, dans les différents États membres, de la résolution de litiges, l’on peut du reste s’interroger sur la possibilité et la nécessité d’une telle définition.

33.

En l’absence de définition générale de cette notion, la Cour est contrainte – en cas de doute – d’apprécier au cas par cas si l’organe l’ayant saisi d’une demande de décision préjudicielle était effectivement habilité à le faire ( 19 ). Dans le cadre de cette jurisprudence néanmoins, un ensemble de conditions s’est dégagé, lesquelles, sans être déterminantes ni exhaustives, n’en constituent pas moins la référence de toute appréciation du caractère juridictionnel d’un organe ayant saisi la Cour à titre préjudiciel. Ces conditions peuvent d’ores et déjà être considérées comme «codifiées» par une jurisprudence bien établie ( 20 ) et sont également mentionnées au point 9 des Recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles ( 21 ).

34.

Il convient donc d’examiner si les conditions permettant de qualifier le Tribunal Arbitral Tributário de juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE sont réunies. Il y a lieu à cet égard de tenir compte du fait que, comme je l’ai déjà rappelé, le système alternatif de résolution des litiges en matière fiscale créé en droit portugais a recours à une série de techniques et de règles de procédure propres aux juridictions arbitrales et dérogeant aux principes de fonctionnement des juridictions traditionnelles. Le but est que ce système permette une résolution rapide des litiges et si possible à moindre coût, offrant une réelle alternative aux juridictions administratives. Cette spécificité doit être intégrée dans l’examen de la question de savoir si les différentes conditions sont remplies.

– Origine légale et permanence de l’organe

35.

Conformément à une jurisprudence constante, la Cour ne peut être saisie à titre préjudiciel que par un organe institué de façon permanente sur la base des dispositions légales d’un État membre. Cette condition est à mon avis remplie. Comme je l’ai indiqué au point 28 des présentes conclusions, l’arbitrage en matière fiscale repose sur les dispositions de la loi no 3‑B/2010 et du décret-loi no 10/2011. Ces actes instaurent un système permanent d’arbitrage en matière fiscale et définissent précisément les principes de son fonctionnement.

36.

Concrètement, la formation qui devra statuer est certes nommée séparément pour chaque affaire à la demande du contribuable concerné, mais le droit du contribuable de solliciter la constitution d’un tribunal arbitral de même que les modalités de désignation de ses membres résultent des dispositions légales. La demande du contribuable est ici simplement l’acte qui va déclencher l’application de ces dispositions.

37.

La question de la permanence du Tribunal Arbitral Tributário peut susciter les mêmes réserves: étant donné que la formation concrètement appelée à statuer n’existe que pour les besoins d’une affaire, cet organe peut-il être considéré comme permanent? Je ne pense pas cependant qu’il faille envisager cette question du point de vue des différentes formations appelées à statuer dans des affaires précises mais sous l’angle systématique ( 22 ). Le Tribunal Arbitral Tributário n’est pas un tribunal ad hoc mais seulement un élément d’un système de résolution des litiges, qui – bien qu’intervenant en tant que formations de jugement éphémères dont l’activité s’achève en même temps que l’affaire pour la résolution de laquelle elles ont été désignées – a dans son ensemble un caractère de permanence.

– Caractère obligatoire de la juridiction de l’organe

38.

Conformément aux principes consacrés par la jurisprudence de la Cour, il doit être obligatoire pour les parties de soumettre leur différend à l’organe à l’origine du renvoi préjudiciel; cela ne peut donc résulter de leur seule volonté, comme c’est le cas pour les juridictions arbitrales stricto sensu. La présente affaire concerne un organe qui se présente comme un élément «d’un système alternatif de résolution des litiges» en matière fiscale. En d’autres termes, le contribuable qui souhaite une solution juridictionnelle au litige qui l’oppose à l’administration fiscale a le choix: il peut saisir le tribunal administratif ou demander la constitution d’un tribunal arbitral en matière fiscale, l’administration fiscale étant tenue de se conformer à cette décision du contribuable ( 23 ).

39.

L’on peut donc s’interroger sur le point de savoir si la juridiction du Tribunal Arbitral Tributário doit être considérée comme obligatoire pour les parties dans la mesure où le contribuable – c’est-à-dire généralement la partie à l’origine de la procédure en matière fiscale – n’est pas tenu de saisir cet organe mais peut s’adresser au tribunal administratif. Le simple fait que l’administration fiscale soit dans l’obligation d’accepter le choix juridictionnel du contribuable ne m’apparaît pas décisif car cela est propre à la compétence juridictionnelle. En effet, dès lors qu’une partie requérante a saisi la juridiction compétente, que ce soit sur la base des dispositions de la loi ou d’une convention entre les parties, il est également exclu que la partie défenderesse puisse valablement remettre en cause cette compétence ( 24 ).

40.

Selon moi, l’arbitrage en matière fiscale tel qu’il existe au Portugal a pour caractéristique essentielle, pour l’examen de cette question, que le droit des contribuables quant au choix des voies de recours découle non pas de leur propre initiative mais de la volonté du législateur qui a mis en place deux systèmes différents de résolution des conflits avec l’administration fiscale. Aucun de ces systèmes pris individuellement n’est obligatoire, mais le contribuable doit choisir l’un d’entre eux s’il souhaite trouver une solution juridictionnelle au différend qui l’oppose à l’administration fiscale. En effet, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du décret-loi no 10/2011, l’introduction d’une demande de constitution d’une juridiction arbitrale exclut le droit d’attaquer avec les mêmes moyens la décision de l’administration fiscale devant une juridiction administrative. Or, en application de l’article 24, paragraphe 1, de ce même décret-loi, la décision arbitrale prononcée sur le fond lie l’administration fiscale. L’arbitrage fiscal est donc non pas un moyen juridique supplémentaire dont disposerait le contribuable mais véritablement une alternative à la justice traditionnelle. En ce sens, la condition du caractère obligatoire de la juridiction de l’organe de renvoi me paraît remplie ( 25 ).

– Nature contradictoire de la procédure et application des règles de droit

41.

Les articles 15 à 20 du décret-loi no 10/2011 définissent les principes applicables à la procédure devant les juridictions arbitrales en matière fiscale. Ces principes garantissent en particulier la nature contradictoire de la procédure et l’égalité des parties. La violation de ces principes peut, conformément à l’article 28 du décret-loi, constituer un motif de recours contre la décision arbitrale devant le tribunal administratif.

42.

L’article 2, paragraphe 2, du décret-loi no 10/2011 dispose que les juridictions arbitrales en matière fiscale statuent conformément aux règles de droit, le recours à l’équité étant exclu. Cela est du reste bien évident puisque ces juridictions ont pour mission d’examiner, en particulier du point de vue de leur conformité au droit, des décisions administratives en matière fiscale.

43.

J’estime par conséquent que les conditions – posées par la jurisprudence – tenant à la nature contradictoire de la procédure et à l’application des règles de droit par l’organe qui statue sont, dans le cas du Tribunal Arbitral Tributário, incontestablement remplies.

– Indépendance

44.

La condition de l’indépendance doit être examinée par rapport à deux aspects ( 26 ). L’aspect externe se rapporte à l’indépendance de l’organe et de ses membres par rapport à des personnes ou institutions étrangères au litige – pouvoir exécutif, instances hiérarchiquement supérieures, etc. L’aspect interne concerne l’impartialité des membres de l’organe par rapport aux parties au litige et l’absence d’intérêt personnel à sa résolution concrète.

45.

Les juridictions arbitrales en matière fiscale ne font pas partie de l’administration fiscale ni d’autres institutions relevant de l’exécutif. Elles représentent un élément du pouvoir judiciaire et opèrent au sein du Centro de Arbitragem Administrativa e Tributária (centre d’arbitrage administratif et fiscal) qui leur fournit un service administratif et technique. Elles sont indépendantes dans leur jugement et ont pour seule obligation de respecter le droit et la jurisprudence des juridictions administratives, leurs décisions étant en principe définitives et exécutoires (voir point 51 des présentes conclusions).

46.

Ces juridictions arbitrales en matière fiscale statuent en formation d’arbitre unique ou de trois arbitres. Les articles 6 à 9 du décret-loi no 10/2011 fixent les modalités de désignation des arbitres et les règles déontologiques auxquelles ils sont tenus. Ils sont désignés par le Conselho Deontológico do Centro de Arbitragem Administrativa (conseil déontologique du centre d’arbitrage administratif) et choisis dans la liste des arbitres établie par cette institution ( 27 ) ou, éventuellement, par les parties, auquel cas il s’agira toujours d’une formation de trois personnes dont le président est désigné avec l’accord des deux autres arbitres ou, en l’absence d’accord, par le conseil précédemment indiqué.

47.

Les arbitres n’étant pas des juges professionnels, leur indépendance personnelle est garantie sur d’autres bases que celles concernant les juges. En particulier, il ne saurait à proprement parler être question d’inamovibilité puisque les arbitres sont désignés pour une affaire précise, à l’issue de laquelle leur rôle s’achève. L’indépendance des arbitres découle plutôt du fait qu’il s’agit de personnes qui ont par ailleurs une situation et pour qui la fonction d’arbitre n’est pas leur principale activité professionnelle. Elles n’ont donc pas à s’inquiéter des conséquences négatives auxquelles pourraient les exposer leurs décisions; ces conséquences éventuelles n’auraient en effet en tout état de cause aucune incidence sur leur statut professionnel et matériel.

48.

Pour ce qui est de l’impartialité des arbitres et de leur indépendance à l’égard des parties au litige, les articles 8 et 9 du décret-loi no 10/2011 offrent des garanties analogues à celles applicables aux juges professionnels.

49.

Il s’ensuit selon moi que le Tribunal Arbitral Tributário satisfait au critère de l’indépendance.

Résumé

50.

Le Tribunal Arbitral Tributário n’est donc pas une juridiction arbitrale désignée par la volonté des parties. Au contraire, il y a lieu selon moi de le considérer comme un élément faisant partie du système juridictionnel portugais au même titre que les juridictions judiciaires et administratives. La spécificité de cette institution tient uniquement à ce que le législateur portugais a décidé de permettre aux contribuables de soumettre leurs litiges avec l’administration fiscale à une juridiction fonctionnant de manière moins formalisée, plus rapide et moins coûteuse que les juridictions administratives ordinaires. Il s’agit de la manifestation d’une tendance, qui n’est pas propre au Portugal, à un moindre formalisme et à la simplification des procédures juridictionnelles par le recours à des techniques et dispositifs qui appartiennent aux mécanismes de la résolution privée des différends. Il s’agit également d’un élément de spécialisation des juridictions et des juges, nécessaire dans le contexte de la complexité croissante des rapports socio-économiques, et, par voie de conséquence, également des litiges portés devant les juridictions. Cette approche pour ainsi dire postmoderne de la justice est le résultat de l’évolution du système judiciaire et du système juridique dans leur ensemble. La Cour ne peut rester insensible à cette évolution mais doit adapter sa pratique, et donc l’interprétation de l’article 267 TFUE, en conséquence.

51.

J’estime, compte tenu de ces éléments, qu’il y a lieu de qualifier le Tribunal Arbitral Tributário de «juridiction d’un État membre» au sens de l’article 267 TFUE. Il répond en effet aux conditions, précédemment évoquées, fixées par la jurisprudence de la Cour. Je ne vois pas non plus d’autres raisons de lui dénier ce caractère. Un argument supplémentaire tend en revanche à justifier cette conclusion: en vertu des articles 25 à 28 du décret-loi no 10/2011, la décision de ce tribunal n’est susceptible de recours que sur la base de vices de forme, comme le défaut de motivation ou la contradiction de cette motivation avec le contenu de la décision, l’absence de décision ou la violation des règles de procédure et, s’agissant du fond, uniquement dans des cas exceptionnels de violation des normes constitutionnelles ou de non-respect de la jurisprudence des juridictions administratives. Par conséquent, refuser aux juridictions arbitrales en matière fiscale la possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel priverait celle-ci d’une part significative d’influence sur la jurisprudence des juridictions portugaises en matière fiscale, c’est-à-dire dans un domaine largement harmonisé en droit de l’Union et ayant une incidence directe sur les droits et obligations des justiciables. Or, selon la jurisprudence de la Cour, un tel risque fait partie des circonstances de nature à plaider en faveur d’une reconnaissance de la compétence de l’organe en question pour saisir la Cour à titre préjudiciel ( 28 ).

52.

La solution que je propose sur cette question de la recevabilité de la demande préjudicielle présentée dans la présente affaire n’ouvre pas la voie, loin s’en faut, à de futurs renvois préjudiciels émanant de personnes ou institutions intervenant dans le cadre d’autres modes alternatifs de règlement des différends, en particulier sous la forme de la négociation ou de la médiation ( 29 ). Il découle en effet d’une jurisprudence constante de la Cour – et ce indépendamment de la réunion d’autres critères – qu’elle ne peut être saisie en application de l’article 267 TFUE que par un organe appelé à statuer «dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel» ( 30 ). Le Tribunal Arbitral Tributário remplit cette condition car il s’agit d’un organe indépendant des parties, dont les décisions s’imposent à celles-ci et qui sont en principe définitives, de même que dans le cas des décisions des juridictions ordinaires. La procédure devant le Tribunal Arbitral Tributário n’a donc pas pour objet la recherche d’un accord entre les parties et la décision rendue n’a pas le caractère non contraignant d’une recommandation ou d’un avis. Cette caractéristique distingue clairement cette juridiction du médiateur et d’autres organismes analogues.

Sur le fond

53.

La présente affaire constitue en quelque sorte une suite de l’affaire Optimus - Telecomunicações ( 31 ). La Cour aura donc l’occasion de compléter la jurisprudence inaugurée dans cet arrêt.

54.

Il y a lieu tout d’abord de déterminer quelles sont les dispositions de la directive 69/335 qui s’appliquent aux faits de la procédure au principal. Force est en effet de constater que cette directive, du fait des modifications introduites par la directive 85/303, n’a rien d’un modèle de bonne technique législative ( 32 ). La juridiction de renvoi évoque dans la question préjudicielle, entre autres dispositions, l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 69/335, mais cette disposition ne semble pas applicable dans la procédure au principal. Les parties s’opposent certes sur la question de la nature des opérations d’augmentation de capital examinées dans la procédure au principal – c’est-à-dire sur la question de savoir s’il s’agissait ou non d’apports en numéraire ( 33 ) –, mais il demeure constant que ces opérations n’ont pas pris la forme d’une «incorporation de bénéfices, réserves ou provisions», au sens de cette disposition de la directive. Les opérations litigieuses dans la procédure au principal relèvent de la catégorie «augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature», visée à l’article 4, paragraphe 1, sous c).

55.

La juridiction de renvoi mentionne également l’article 7, paragraphe 1, de la directive. Cette disposition ne saurait toutefois être citée indépendamment de son paragraphe 2, car seule la combinaison de ces deux dispositions établit une norme cohérente: selon la situation juridique dans l’État membre concerné au 1er juillet 1984, le paragraphe 1 ou le paragraphe 2 de l’article 7 s’applique. Si l’on considère, à l’instar de la juridiction de renvoi, que la procédure au principal a pour objet une augmentation de capital au moyen de l’apport de biens non numéraires – opération soumise à un droit de timbre ( 34 ) au Portugal, à la date du 1er juillet 1984 –, il y aurait lieu d’appliquer l’article 7, paragraphe 2 ( 35 ).

56.

Le problème juridique posé par cette affaire concerne donc la question de savoir si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335 permet de réintroduire un droit d’apport sur les opérations visées à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de cette même directive, qui étaient soumises à un tel droit au 1er juillet 1984 mais qui en ont par la suite été exonérées.

57.

La directive 69/335, dans sa version initiale, fixait les principes d’application d’un droit d’apport sur les opérations définies dans cette même directive. Conformément à son article 4, les opérations visées au paragraphe 1 devaient être soumises à un droit d’apport et les opérations visées au paragraphe 2 pouvaient y être soumises. L’article 7 de la directive fixait les taux du droit d’apport. Cependant, la directive 85/303 a totalement modifié le texte de l’article 7 de la directive 69/335. Pour les opérations qui, au 1er janvier 1984, étaient exonérées de droit d’apport ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,5 % dans les États membres, la disposition impose leur exonération définitive (article 7, paragraphe 1). En revanche, pour les autres opérations, les États membres ont le choix: ils peuvent les exonérer également ou les soumettre à un taux unique ne dépassant pas 1 % (article 7, paragraphe 2).

58.

Dans les considérants de la directive 85/303, le législateur communautaire a justifié ce dispositif en faisant valoir que le droit d’apport est défavorable au développement des entreprises et que la meilleure solution serait donc de le supprimer; toutefois, dans la mesure où les pertes de recettes générées par ce droit seraient pour certains États membres inacceptables, il y avait lieu de leur laisser la possibilité de continuer à appliquer ce droit selon un taux unifié.

59.

La nature normative de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 69/335 a donc changé: il n’implique plus pour les États membres d’obligation de soumettre au droit d’apport les opérations qu’il énumère, cette obligation ayant en effet été supprimée par l’article 7 de la directive, dans la version découlant de la directive 85/303, lex posterior à l’article 4, paragraphe 1. Désormais, cette disposition indique uniquement les différents types d’opérations auxquelles s’appliquent les dispositions en matière de droit d’apport.

60.

Il reste à déterminer si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335 constitue une clause de statu quo, qui permet uniquement aux États membres de maintenir en vigueur la taxation telle qu’elle s’appliquait au 1er janvier 1984 (en adaptant le cas échéant son taux), ou bien, comme le suggère le gouvernement portugais dans ses observations écrites, autorise les États membres à supprimer et réintroduire librement un droit d’apport, selon les orientations concrètes de leur politique fiscale et leurs besoins budgétaires.

61.

Je suis clairement partisan de la première proposition. Premièrement, comme l’indiquent les considérants de la directive, la volonté du législateur était de supprimer le droit d’apport, la possibilité de le maintenir étant uniquement une exception motivée par la crainte de pertes de recettes par les États membres. Cependant, si un État membre a supprimé le droit d’apport, l’éventuelle perte de recettes qui en découle a déjà eu lieu, si bien que la réintroduction de ce droit d’apport n’est pas justifiée au regard des objectifs poursuivis par le législateur communautaire avec la directive 85/303.

62.

Deuxièmement, cette interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335 comme une clause de statu quo est étayée par la logique de cette disposition, en particulier en ce qu’il est fait référence à l’état du droit en vigueur au 1er juillet 1984. Si le législateur avait eu pour intention de laisser aux États membres la liberté de maintenir en vigueur, supprimer puis éventuellement réintroduire un droit d’apport, il n’aurait pas subordonné une telle faculté à la circonstance fortuite qu’un tel droit d’apport d’un certain montant s’applique effectivement à la date du 1er juillet 1984. La référence à cette date précise indique sans ambiguïté la volonté du législateur d’introduire ainsi une clause de statu quo.

63.

Il y a lieu également de relever que la Cour a adopté le même point de vue, certes dans le contexte des opérations visées à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 69/335, concernant une situation juridique légèrement différente, dans son arrêt Logstor ROR Polska ( 36 ). Au point 39 de cet arrêt, la Cour a clairement indiqué qu’«un État membre qui a renoncé, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335, postérieurement au 1er juillet 1984, à soumettre certaines opérations à un droit d’apport ne peut rétablir une telle imposition sur ces mêmes opérations».

64.

Enfin, il convient d’observer que, conformément au point 26.3 de l’annexe III du décret-loi no 322‑B/2001, les opérations d’augmentation du capital litigieuses étaient soumises à un droit de timbre de 0,4 %, c’est-à-dire à un taux qui, s’il avait été applicable au 1er juillet 1984, aurait conduit nécessairement à la suppression de ce droit sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 69/335. Bien que ce taux soit conforme à la lettre du paragraphe 2 de cet article ( 37 ), la réintroduction d’un droit à ce taux semble toutefois d’autant plus difficile à concilier avec la logique de l’article 7 de la directive 69/335.

Conclusion

65.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de juger le renvoi préjudiciel du Tribunal Arbitral Tributário comme recevable et d’apporter la réponse suivante à la question déférée:

Les dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du 10 juin 1985, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 69/335 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la réintroduction, par l’État membre, d’un droit d’apport sur les opérations visées à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de cette directive, qui étaient soumises à un tel droit d’apport au 1er juillet 1984 mais en ont ensuite été exonérées.


( 1 ) Langue originale: le polonais.

( 2 ) JO L 249, p. 25.

( 3 ) JO L 156, p. 23.

( 4 ) Diário da República, série I, no 82, p. 1466‑(111).

( 5 ) Diário da República, série I, no 14, p. 370.

( 6 ) Diário da República I, série A, no 213, p. 6264.

( 7 ) Diário de República I, série A, no 288, p. 8278‑(12).

( 8 ) Le point 26 du tarif général relatif au droit de timbre a été par la suite modifié puis finalement supprimé, mais cela est sans pertinence pour la présente affaire.

( 9 ) Arrêt 102/81, EU:C:1982:107.

( 10 ) Voir points 10 à 13 de l’arrêt. Les éléments tendant à écarter la recevabilité des renvois préjudiciels émanant de juridictions arbitrales ont été évoqués en détail par l’avocat général Reischl dans ses conclusions présentées dans l’affaire Nordsee (EU:C:1982:31).

( 11 ) Arrêt C‑126/97, EU:C:1999:269, point 34.

( 12 ) Arrêt C‑125/04, EU:C:2005:69, point 13.

( 13 ) Arrêt 61/65, EU:C:1966:39.

( 14 ) Voir notamment arrêt Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund i Danmark (109/88, EU:C:1989:383, points 7 à 9).

( 15 ) Ordonnance C‑555/13, EU:C:2014:92, points 15 à 25.

( 16 ) Sur la nature de l’arbitrage, voir notamment Carbonneau, T. E., The Law and Practice of Arbitration, New York, 2007, Ereciński, T., Weitz, K., Sąd Arbitrażowy, Varsovie, 2008, Lachmann, J. P., Handbuch für die Schiedsgerichtspraxis, Cologne, 2008, Szumański, A., (red.), Arbitraż handlowy, Varsovie, 2010.

( 17 ) Ereciński, T., Weitz, K., op. cit., p. 21.

( 18 ) La doctrine s’intéresse principalement à la question de savoir s’il peut s’agir exclusivement de litiges patrimoniaux ou également non patrimoniaux, mais la question de l’arbitrabilité des litiges en matière fiscale n’est pas posée. Voir Szumański, A., (red.), op. cit., p. 8‑9. Voir également Hanotiau, B., «L’arbitrabilité», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, tome 296 (2002), La Haye, 2003.

( 19 ) L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, dans ses conclusions présentées dans l’affaire De Coster (C‑17/00, EU:C:2001:366), a analysé en détail, quoique de façon critique, la jurisprudence en la matière.

( 20 ) Voir en particulier arrêts Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413, point 23); Syfait e.a. (C‑53/03, EU:C:2005:333, point 29) ainsi que Forposta (anciennement Praxis) et ABC Direct Contact (C‑465/11, EU:C:2012:801, point 17).

( 21 ) JO 2012, C 338, p. 1.

( 22 ) Un point de vue partagé par l’avocat général Lenz dans ses conclusions présentées dans l’affaire Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund i Danmark (EU:C:1989:228, point 21).

( 23 ) Conformément à l’arrêté no 112‑A/2011 (portaria no 112‑A/2011, Diário da República, série I, no 57), du 22 mars 2011, la juridiction des tribunaux arbitraux en matière fiscale fondée sur l’article 4, paragraphe 1, du décret-loi no 10/2011 est obligatoire pour l’administration fiscale dans les affaires dont la valeur en litige est inférieure à 10 000 000 euros.

( 24 ) Il faut toutefois noter que le caractère obligatoire de la juridiction de l’organe de renvoi pour la partie défenderesse a été considéré par la Cour comme un élément suffisant pour juger ce critère comme rempli dans son arrêt Handels- og Kontorfunktionærernes Forbund i Danmark (EU:C:1989:383, point 7).

( 25 ) L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a exprimé un point de vue similaire au point 29 de ses conclusions présentées dans l’affaire Emmanuel (C‑259/04, EU:C:2006:50). Dans l’arrêt Broekmeulen (246/80, EU:C:1981:218), la Cour a également admis la question préjudicielle posée par un organisme professionnel indépendant alors que le requérant avait la possibilité, à titre d’alternative, de saisir les juridictions ordinaires (voir point 15 de l’arrêt).

( 26 ) Voir en particulier arrêt RTL Belgium (C‑517/09, EU:C:2010:821, points 39 et 40).

( 27 ) Tel a été le cas dans la procédure au principal.

( 28 ) Voir en particulier arrêts Broekmeulen (EU:C:1981:218, point 16) ainsi que Gourmet Classic (C‑458/06, EU:C:2008:338, point 32).

( 29 ) Tels que ceux encadrés par la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 2 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (JO L 136, p. 3).

( 30 ) Voir en particulier ordonnance Borker (138/80, EU:C:1980:162, point 4); arrêts Weryński (C‑283/09, EU:C:2011:85, point 44) et Belov (C‑394/11, EU:C:2013:48, point 39).

( 31 ) Arrêt C‑366/05, EU:C:2007:366.

( 32 ) C’est ce que pense également l’avocat général Sharpston au point 39 de ses conclusions présentées dans l’affaire Optimus - Telecomunicações (EU:C:2007:58).

( 33 ) La société Ascendi affirme que la conversion en capital social de créances des actionnaires à l’égard de la société doit être considérée comme une augmentation de capital effectuée en numéraire. Dans ce cas, il y aurait lieu d’appliquer directement, dans la présente affaire, la solution de l’arrêt Optimus - Telecomunicações (EU:C:2007:366), qui concernait précisément la conformité à la directive du droit de timbre sur de telles opérations. Cependant, la juridiction de renvoi semble considérer que les opérations litigieuses ne constituaient pas des apports en numéraire. Il s’agit en tout état de cause d’une question d’appréciation des faits, de la compétence de la juridiction de renvoi.

( 34 ) Voir point 9 des présentes conclusions.

( 35 ) La République portugaise n’a adhéré aux Communautés européennes que le 1er janvier 1986, mais, conformément à l’arrêt Optimus - Telecomunicações (EU:C:2007:366, point 32), la date du 1er juillet 1984 constitue également pour cet État la date de référence aux fins de l’interprétation de la directive 69/335.

( 36 ) Arrêt C‑212/10, EU:C:2011:404.

( 37 ) Il permet, je le rappelle, d’appliquer un taux «ne dépassant pas 1 %».

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