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Document 62004CC0438

Conclusions de l'avocat général Stix-Hackl présentées le 23 mars 2006.
Mobistar SA contre Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT).
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
Secteur des télécommunications - Service universel et droits des utilisateurs - Portabilité des numéros de téléphone - Coût d'établissement en cas de portage d'un numéro de téléphone mobile - Article 30, paragraphe 2, de la directive 2002/22/CE (directive 'service universel') - Tarification de l'interconnexion liée à la fourniture de la portabilité des numéros - Orientation des prix en fonction des coûts - Pouvoir de réglementation des autorités réglementaires nationales - Article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE (directive 'cadre') - Protection juridique effective - Protection des données confidentielles.
Affaire C-438/04.

Recueil de jurisprudence 2006 I-06675

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:198

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME CHRISTINE Stix-Hackl

présentées le 23 mars 2006 (1)

Affaire C-438/04

Mobistar SA

contre

Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT)

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique)]

«Secteur des télécommunications – Téléphonie mobile – Portabilité des numéros de téléphone – Coût d’établissement de la portabilité par prestation ou par numéro – Article 30 de la directive 2002/22/CE (directive service universel) – Notion de ‘prix d’interconnexion liés à la fourniture de la portabilité des numéros’ – Orientation des prix en fonction des coûts – Pouvoir de réglementation des autorités réglementaires nationales – Article 4 de la directive 2002/21/CE (directive-cadre) – Protection juridique effective – Protection des données confidentielles»





I –    Introduction

1.     Précisément à une époque où, dans le discours public, l’Union européenne a été associée, parfois de manière presque caricaturale, à un processus politique éloigné du citoyen, ayant peu de pertinence pour le particulier, il convient d’attirer l’attention sur les avantages et les améliorations que le projet d’intégration de l’Union européenne a apportés de manière tout à fait concrète et à plusieurs égards pour les citoyens de l’Union.

2.     Un bon exemple d’une telle «réussite» est sans aucun doute la politique de la Communauté dans le domaine des télécommunications, dans lequel la libéralisation et l’harmonisation graduelles des marchés nationaux des télécommunications a en général entraîné une meilleure concurrence et donc des prix ou des tarifs téléphoniques sensiblement meilleur marché pour les consommateurs, une offre de produits plus large, ainsi qu’un meilleur service.

3.     Dans la présente procédure, la cour d’appel de Bruxelles (neuvième chambre) (Belgique) a saisi la Cour de justice de questions portant sur l’interprétation de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (2), ainsi que de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive‑«cadre») (3).

4.     Ces questions concernent ce que l’on appelle la portabilité des numéros ou portabilité, c’est-à-dire la possibilité pour un utilisateur – en l’espèce, un utilisateur de téléphone mobile – de conserver son numéro actuel ou de l’emporter sur le nouveau réseau, en cas de changement d’opérateur de réseau. Précisément dans un marché pratiquement saturé (en tout cas, dans quelques États membres) comme celui de la mobilophonie, la portabilité revêt une importance déterminante du point de vue d’une concurrence effective, étant donné qu’elle augmente la propension de l’utilisateur à changer d’exploitant ou parce que, à l’inverse, l’absence de portabilité ou les coûts liés à celle-ci peuvent empêcher l’utilisateur de choisir un nouveau fournisseur.

5.     Les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre d’une procédure devant la cour d’appel de Bruxelles, dans laquelle l’opérateur mobile Mobistar a introduit un recours contre une décision d’une autorité réglementaire nationale au sens de la directive-cadre, à savoir la décision du conseil de l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT) du 16 septembre 2003 fixant les coûts d’établissement pour chaque numéro de téléphone mobile transféré pour la période du 1er octobre 2004 au 2 octobre 2005 (ci-après la «décision attaquée»).

6.     D’une part, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si un État membre, et concrètement une autorité réglementaire nationale, peut réglementer ex ante les coûts d’établissement de la portabilité, de telle sorte qu’elle fixe pour les opérateurs mobiles un prix maximal pour les coûts d’établissement de la portabilité des numéros par ligne ou par numéro sur la base des «coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace». D’autre part, les questions portent sur un aspect procédural, à savoir dans quelle mesure le droit communautaire fixe des conditions quant aux informations – en particulier, les informations confidentielles – dont doit pouvoir disposer la juridiction nationale pour pouvoir se prononcer sur le bien-fondé du recours introduit contre la décision attaquée.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

1.      Cadre juridique antérieur

7.     Dans la présente affaire, il convient de mentionner, en ce qui concerne l’ancien cadre juridique, la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) (4), telle que modifiée par la directive 98/61/CE (5) (ci-après la «directive 97/33»), qui a été abrogée par la directive-cadre avec effet au 25 juillet 2003.

8.     La directive 97/33 établit, selon son article 1er, un cadre réglementaire assurant dans la Communauté l’interconnexion des réseaux de télécommunications et, en particulier, l’interopérabilité des services, et la fourniture d’un service universel, dans un environnement d’ouverture et de concurrence des marchés.

9.     L’article 2 de cette directive définit la notion d’«interconnexion» comme étant «la liaison physique et logique des réseaux de télécommunications utilisés par le même organisme ou un organisme différent, afin de permettre aux utilisateurs d’un organisme de communiquer avec les utilisateurs du même ou d’un autre organisme ou d’accéder aux services fournis par un autre organisme».

10.   L’article 7 de la directive 97/33 fixe les principes de tarification de l’interconnexion et de système de comptabilisation des coûts. À cet égard, l’annexe IV de cette directive comporte une «liste d’exemples d’éléments des redevances d’interconnexion». Cette annexe indique, entre autres, ceci:

«Les redevances d’interconnexion peuvent inclure une part équitable, conformément au principe de proportionnalité, de frais associés et communs et de frais supportés pour assurer l’égalité d’accès, la portabilité du numéro et le respect des exigences essentielles (maintien de l’intégrité du réseau, sécurité du réseau dans les situations d’urgence, interopérabilité des services et protection des données).»

11.   L’article 12, paragraphe 5, de la directive 97/33 dispose:

«Les autorités réglementaires nationales encouragent l’introduction au plus tôt du service de portabilité du numéro de l’opérateur permettant à l’abonné qui le demande de conserver son (ses) numéro(s) dans le réseau téléphonique public fixe et le réseau numérique à intégration de services (RNIS), quel que soit l’organisme prestataire de services, en un lieu spécifique dans le cas de numéros géographiques et en un lieu quelconque dans le cas de numéros autres que géographiques, et veillent à ce que ce service soit disponible le 1er janvier 2000 au plus tard ou, dans les pays qui bénéficient d’une période transitoire supplémentaire, dès que possible après cette date, mais au plus tard deux ans après la date ultérieure décidée pour la pleine libéralisation des services de téléphonie vocale.

Afin d’assurer que les redevances à payer par le consommateur sont raisonnables, les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’interconnexion liée à la fourniture de ce service soit raisonnable.»

2.      Nouveau cadre juridique pour les communications

12.   Le 7 mars 2002, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le nouveau cadre juridique pour tous les réseaux et services de transmission sous la forme de quatre directives, à savoir, outre la directive-cadre et la directive service universel, la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive «accès») (6), ainsi que la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive «autorisation») (7).

a)      La directive service universel

13.   Conformément à son article 1er, la directive service universel a trait à la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques aux utilisateurs finals. Elle vise à assurer la disponibilité dans toute la Communauté de services de bonne qualité accessibles au public grâce à une concurrence et, à un choix effectifs, et elle traite dans le même temps les cas où les besoins des utilisateurs finals ne sont pas correctement satisfaits par le marché.

14.   En ce qui concerne la portabilité des numéros, l’article 30 de ladite directive dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que tous les abonnés des services téléphoniques accessibles au public, y compris les services mobiles, qui en font la demande puissent conserver leur(s) numéro(s), quelle que soit l’entreprise fournissant le service:

a) dans le cas de numéros géographiques, en un lieu spécifique, et

b) dans le cas de numéros non géographiques, en un lieu quelconque.

Le présent paragraphe ne s’applique pas à la portabilité des numéros entre les réseaux fournissant des services en position déterminée et les réseaux mobiles.

2. Les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’interconnexion liée à la fourniture de la portabilité des numéros soit fonction du coût et que, le cas échéant, les redevances à payer par le consommateur ne jouent pas un rôle dissuasif à l’égard de l’utilisation de ces compléments de services.

3. Les autorités réglementaires nationales n’imposent pas, pour la portabilité des numéros, une tarification de détail qui entraînerait des distorsions de la concurrence, par exemple en fixant une tarification de détail particulière ou commune.»

b)      La directive-cadre

15.   En ce qui concerne les recours contre les décisions des autorités réglementaires nationales, l’article 4 de la directive-cadre dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté(e) par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Cet organisme, qui peut être un tribunal, dispose des compétences appropriées pour être à même d’exercer ses fonctions. Les États membres veillent à ce que le fond de l’affaire soit dûment pris en considération et à ce qu’il existe un mécanisme de recours efficace. Dans l’attente de l’issue de la procédure, la décision de l’autorité réglementaire nationale est maintenue, sauf si l’organisme de recours en décide autrement.

2. Lorsque l’organisme de recours visé au paragraphe 1 n’est pas de nature juridictionnelle, il motive toujours ses décisions par écrit. En outre, dans un tel cas, sa décision peut être réexaminée par une juridiction au sens de l’article 234 du traité.»

B –    Droit national

16.   La réglementation précise relative à la portabilité des numéros a été définie en Belgique par l’arrêté royal du 23 septembre 2002 relatif à la portabilité des numéros des utilisateurs finals des services de télécommunications mobiles offerts au public (ci-après l’«arrêté royal»):

17.   L’arrêté royal contient, entre autres, des dispositions relatives à la répartition des coûts que subissent les exploitants de réseaux en relation avec le transfert des numéros de téléphone mobile. Il distingue quatre types de coûts: les coûts liés à la mise en œuvre de la portabilité, les coûts d’établissement par ligne ou par numéro (ci-après les «coûts d’établissement»), les coûts liés à la banque de données de référence ainsi que les coûts de trafic liés à la portabilité (ci-après les «coûts de trafic»).

18.   L’article 18 de l’arrêté royal définit comme suit les coûts d’établissement:

«le surcoût non récurrent engendré suite au transfert d’un ou de plusieurs numéros mobiles, en plus des coûts liés au transfert des clients sans portabilité des numéros vers un autre opérateur ou prestataire de services mobiles ou pour mettre un terme à la fourniture du service».

19.   Conformément à l’article 19 de l’arrêté royal, «les coûts d’établissement par ligne ou par numéro […] sont fixés par l’Institut sur la base des coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace. Les montants fixés par l’Institut pour couvrir les coûts d’établissement par ligne ou par numéro […] sont orientés en fonction des coûts».

20.   Il ressort de la décision de renvoi que seuls sont en cause les coûts d’établissement que supporte l’opérateur d’un réseau de téléphonie mobile à partir duquel un numéro de téléphone est transféré (ci-après l’«opérateur donneur»). L’opérateur donneur peut facturer à l’opérateur mobile vers lequel le numéro de téléphone mobile est transféré (ci-après l’«opérateur receveur») les coûts d’établissement pour le montant fixé par l’IBPT. Le montant couvrant ces coûts et fixé par l’IBPT est un montant maximal, de sorte que les opérateurs de téléphonie mobile peuvent convenir d’un montant inférieur. D’autre part, un opérateur donneur peut en principe exiger le montant fixé par l’IBPT, même si ses coûts d’établissement réels sont inférieurs.

21.   Conformément à l’article 11 de l’arrêté royal, l’opérateur donneur ne peut toutefois pas demander d’indemnité au consommateur final qui fait transférer son numéro; par ailleurs, l’opérateur receveur ne peut demander à l’utilisateur final une indemnité supérieure à 15 euros pour le transfert de son numéro.

22.   Enfin, conformément à l’article 18 de l’arrêté royal, les coûts de trafic sont les «coûts supplémentaires engendrés sur le réseau par des appels vers des numéros transférés par comparaison aux appels vers des numéros non transférés». Ces coûts de trafic doivent être proportionnellement remboursés à l’opérateur donneur par l’opérateur du réseau d’où l’appel est généré et qui facture l’appel à l’utilisateur final.

III – Faits, procédure au principal et questions préjudicielles

23.   Les entreprises Belgacom Mobile, Mobistar et Base proposent en Belgique des services de téléphonie mobile. Belgacom Mobile, une filiale de Belgacom, exploite un réseau de téléphonie mobile sous le nom de Proximus. Elle opère depuis 1994 sur le marché de la téléphonie mobile et y a bénéficié environ deux ans d’un monopole légal. Sa part de marché s’élève incontestablement au-dessus de 50 % (59 % selon les recettes) et, dans le segment de la téléphonie mobile pour les clients professionnels, à plus de 70 %.

24.   Mobistar opère sur le marché concerné depuis août 1996 et est le deuxième plus important opérateur mobile.

25.   Base n’est entrée sur le marché qu’en 1998 et évalue sa part de marché à environ 14 %, ce qui correspond à environ 1 105 000 utilisateurs finals.

26.   Par la décision attaquée, adoptée en application de l’article 19 de l’arrêté royal, l’IBPT a fixé les coûts d’établissement par numéro transféré avec succès, pour la période du 1er octobre 2004 au 1er octobre 2005, conformément au concept de «coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace» défini dans l’arrêté royal et sur la base de consultations avec les opérateurs mobiles belges Base, Mobistar et Belgacom, à 3,86 euros pour une installation simple et à 23,41 euros pour une installation complexe.

27.   Mobistar a introduit devant la juridiction de renvoi un recours contre la décision de l’IBPT, auquel Belgacom et Base sont parties et dans le cadre duquel Mobistar a fait valoir que les coûts d’établissement avaient été fixés à un niveau trop élevé dans la décision attaquée et ne correspondaient pas aux coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace au sens de l’article 19 de l’arrêté royal. Pour l’essentiel, Base partage l’avis de Mobistar. Toutefois, elle conteste avant tout la méthode de calcul selon laquelle les coûts d’établissement sont fixés sur la base des coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace. Selon elle, les coûts d’établissement doivent être fixés d’après les coûts réels de chaque opérateur mobile. Par conséquent, l’arrêté royal serait également illégal étant donné que, ce faisant, il viole l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel.

28.   En revanche, Belgacom considère que le montant fixé pour couvrir les coûts d’établissement est trop bas et a également demandé l’annulation de la décision attaquée. Cependant, tout comme l’IBPT, Belgacom est d’avis que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel ne concerne pas les coûts d’établissement, mais uniquement les coûts de trafic liés au portage des numéros et qu’il n’est pas applicable aux coûts d’établissement.

29.   La juridiction de renvoi constate à première vue que la décision attaquée est dépourvue de base légale. Elle part du principe qu’il ne ressort pas du nouveau cadre juridique pour les télécommunications que les États membres sont autorisés à restreindre la liberté commerciale de tous les opérateurs en prévoyant une obligation d’orienter les prix en fonction des coûts ou en adoptant des mesures fixant un prix commun pour un service rendu par un opérateur à un autre. Elle considère comme fondé l’argument de Base selon lequel l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel ne vise pas uniquement les prix pour la terminaison des appels, mais également les coûts induits par la portabilité des numéros. Selon la juridiction de renvoi, il ne faut toutefois pas déduire de cette disposition une volonté du législateur européen de confier aux autorités nationales la mission de fixer à l’avance, par une mesure générale et abstraite, les coûts d’établissement à la place des opérateurs. Par conséquent, l’arrêté royal violerait la directive service universel, quelles que soient les méthodes de calcul.

30.   Pour le cas où les bases juridiques de la décision attaquée ne violeraient pas le droit communautaire, la juridiction de renvoi devrait examiner, entre autres, si l’IBPT a commis des erreurs d’appréciation en fixant les montants maximaux ou en élaborant les modèles de coûts. La juridiction de renvoi fait observer qu’elle ne dispose pas de toutes les informations que l’IBPT a obtenues des opérateurs et que cette dernière invoque son devoir de confidentialité en ce qui concerne ces informations.

31.   Dans ce contexte, la cour d’appel de Bruxelles, par arrêt rendu le 14 octobre 2004 dans l’affaire dont elle était saisie et parvenu au greffe de la Cour le 19 octobre 2004, a saisi la Cour d’une décision à titre préjudiciel portant sur les questions suivantes:

«En ce qui concerne le service de portabilité des numéros prévu à l’article 30 de la directive 2002/22/CE (directive ‘service universel’):

1)      L’article 30, paragraphe 2, de la directive ‘service universel’ qui prévoit que les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’interconnexion liée à la fourniture de la portabilité des numéros soit fonction du coût, vise-t-il seulement les coûts liés au trafic vers le numéro porté ou également la tarification des coûts encourus par les opérateurs pour exécuter les demandes de portage du numéro?

2)      Si l’article 30, paragraphe 2, de la directive vise seulement les coûts d’interconnexion liés au trafic vers le numéro porté, faut-il l’interpréter:

a)      en ce sens qu’il laisse les opérateurs libres de négocier les conditions commerciales du service et qu’il interdit aux États membres d’imposer ex ante des conditions commerciales aux entreprises auxquelles incombe l’obligation de fournir le service de portabilité du numéro en ce qui concerne les prestations liées à l’exécution d’une demande de portage?

b)      en ce sens qu’il n’interdit pas aux États membres d’imposer ex ante des conditions commerciales pour ledit service aux opérateurs qui ont été désignés comme disposant d’une puissance significative sur un marché donné?

3)      Si l’article 30, paragraphe 2, de la directive doit s’interpréter en ce sens qu’il impose à l’ensemble des opérateurs l’obligation d’orientation en fonction des coûts en ce qui concerne les coûts de portage du numéro, faut‑il l’interpréter en ce sens qu’il s’oppose:

a)      à une mesure réglementaire nationale imposant pour le calcul des coûts une méthode de calcul déterminée?

b)      à une mesure nationale qui fixe ex ante la répartition des coûts entre les opérateurs?

c)      à une mesure nationale qui habilite l’autorité réglementaire nationale à fixer ex ante pour l’ensemble des opérateurs et pour une période déterminée le montant maximal des redevances que l’opérateur donneur peut réclamer à l’opérateur receveur?

d)      à une mesure nationale qui accorde à l’opérateur donneur le droit d’appliquer la tarification déterminée par l’autorité réglementaire nationale en le dispensant de l’obligation de prouver que la tarification qu’il applique est orientée en fonction de ses propres coûts?

En ce qui concerne le droit de recours prévu par l’article 4 de la directive 2002/21/CE (directive ‘cadre’):

L’article 4, paragraphe 1, de la directive ‘cadre’ doit-il s’interpréter en ce sens que l’autorité désignée pour connaître des recours doit pouvoir disposer de l’ensemble des informations nécessaires pour que le fond de l’affaire puisse être dûment pris en considération, en ce compris les informations confidentielles sur la base desquelles l’autorité réglementaire nationale a adopté la décision faisant l’objet du recours?»

IV – Réponse aux questions préjudicielles

A –    Sur l’interprétation de l’article 30 de la directive service universel (première, deuxième et troisième questions préjudicielles)

1.      Objet des questions préjudicielles et principaux arguments des parties

32.   Il convient, en premier lieu, d’examiner plus en détail l’objet de la présente procédure, dans la mesure où la juridiction de renvoi, par ses trois premières questions, qui elles-mêmes consistent en plusieurs sous-questions, sollicite de la part de la Cour une interprétation de l’article 30 de la directive service universel.

33.   Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ces trois questions préjudicielles concernent la question de la légalité de la base juridique de la décision attaquée, c’est-à-dire directement l’arrêté royal, alors que la juridiction de renvoi a posé la quatrième question pour le cas où la base juridique de la décision attaquée doit être considérée comme valable à la lumière de la réponse de la Cour, ce qui imposerait de vérifier si l’IBPT a commis une erreur d’appréciation dans la décision attaquée en élaborant un modèle de coûts théoriques et en calculant les montants.

34.   La première question cherche essentiellement à savoir si l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel vise également les coûts d’établissement, ou uniquement les coûts liés au trafic.

35.   La deuxième question est posée pour le cas où il est répondu par la négative à la première question et cherche essentiellement à savoir si l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel s’oppose à ce que l’on fixe ex ante les coûts d’établissement pour la portabilité ou s’il autorise une telle fixation pour les opérateurs disposant d’une puissance significative.

36.   La troisième question est apparemment posée pour le cas où il est répondu par l’affirmative à la première question et que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel vise les coûts d’établissement de tous les opérateurs. Dans les différents points de cette question, la juridiction de renvoi se réfère aux différentes caractéristiques de la décision attaquée ou de sa base légale ainsi qu’à la méthode de calcul y figurant, et elle souhaite obtenir des informations sur la compatibilité de ces caractéristiques ou de cette méthode avec l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel.

37.   Par conséquent, par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 30 de la directive service universel s’oppose à une disposition nationale (ci-après, également, «disposition litigieuse») qui prévoit que le montant (maximal) couvrant les coûts d’établissement liés à la portabilité est fixé à l’avance pour chaque opérateur mobile sur la base d’un modèle théorique d’un opérateur efficace sur le marché en cause (8).

38.   Dans la présente procédure, Mobistar, Belgacom Mobile, Base, l’IBPT, la Commission ainsi que les gouvernements italien, chypriote, lituanien et du Royaume-Uni ont présenté des observations sur cette question, dont les éléments principaux peuvent être résumés comme suit.

39.   Mobistar est d’avis que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel ne concerne que les coûts liés au trafic, et non pas les coûts d’établissement de la portabilité. Toutefois, considéré dans son ensemble, l’article 30 de la directive service universel ne s’oppose pas à une disposition nationale telle que celle en cause.

40.   Belgacom partage pour l’essentiel cet avis et fait entre autres observer que la directive service universel ne vise pas une harmonisation complète des dispositions relatives à la portabilité et ne contient à cet égard que des dispositions minimales pour les États membres.

41.   De même, l’IBPT, la Commission, les gouvernements lituanien et chypriote sont d’avis que ledit article 30, paragraphe 2, ne vise que les coûts liés au trafic et soutiennent que la réalisation des demandes de portage et les coûts d’établissement ne relèvent pas de la notion d’«interconnexion». Ces parties, jusqu’au gouvernement chypriote – avec des accents différents –, sont en définitive d’accord pour affirmer qu’un État membre peut adopter une disposition relative à la portabilité comme celle litigieuse en l’espèce. En revanche, le gouvernement chypriote, en se référant à l’article 10, paragraphe 1, de la directive-cadre, parvient à la conclusion que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel interdit aux États membres d’imposer aux opérateurs des conditions commerciales ex ante relatives aux caractéristiques de la portabilité. Sur ce point, ils ne pourraient prendre que des mesures a posteriori.

42.   En revanche, Base, le gouvernement italien et le gouvernement du Royaume-Uni soutiennent que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel vise tant les coûts liés au trafic que les coûts d’établissement de la portabilité. De l’avis des deux gouvernements précités, cette disposition autorise les États membres à adopter des dispositions ex ante, comme celle de l’espèce, pour tous les opérateurs. Base fait toutefois valoir que, conformément à l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, les coûts d’établissement doivent être fixés sur la base des coûts réels de l’opérateur donneur, et non pas selon un modèle théorique d’un opérateur efficace sur le marché en cause.

2.      Appréciation

43.   À titre liminaire, il convient de faire observer que – dans le contexte d’une procédure portant sur la légalité d’une décision des autorités nationales – les trois premières questions demandent à la Cour de justice de déterminer si l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel s’oppose à ce qu’un État membre prévoie que les autorités nationales de régulation fixent, à l’aide d’un modèle théorique de coûts, au préalable et pour tous les opérateurs, un montant maximal qu’un opérateur donneur peut réclamer à un opérateur receveur par prestation ou par numéro pour couvrir les coûts d’établissement de la portabilité.

44.   Tout comme la plupart des parties, nous procéderons à cette appréciation essentiellement en deux étapes. Premièrement, il convient d’examiner si les coûts d’établissement font partie des prix pour lesquels les autorités réglementaires nationales doivent veiller à ce qu’ils soient fonction des coûts, en application de l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel. Deuxièmement, il convient d’examiner si les autorités réglementaires nationales sont autorisées à faire cela en fixant à l’avance des prix maximaux pour tous les opérateurs à l’aide d’un modèle théorique de coûts.

45.   Premièrement, il convient de constater que la directive service universel ne définit pas ce qu’il faut entendre par «prix d’interconnexion liés à la fourniture de la portabilité des numéros» au sens de l’article 30, paragraphe 2.

46.   Plusieurs parties ont soutenu que cette disposition ne vise en fait que les coûts de trafic vers les numéros transférés et ont surtout avancé l’argument selon lequel l’établissement de la portabilité des numéros, qui consiste en un processus administratif et informatique – à l’inverse du trafic téléphonique vers un numéro transféré – ne contient ou ne suppose pas une interconnexion au sens d’une «liaison physique et logique des réseaux de communications publics», telle que défini dans la directive 97/33 et la directive accès.

47.   Indépendamment du fait que la notion d’interconnexion, telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive accès ou à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 97/33, ne doit pas nécessairement avoir, dans le contexte de la directive service universel, la même signification que dans les directives précitées, nous ne pensons pas que cette interprétation étroite, se rapportant à la notion d’interconnexion et aux caractéristiques techniques du portage, est convaincante.

48.   Il peut certes être vrai que, ainsi que l’a déclaré Belgacom, on peut en principe imaginer d’un point de vue technique le transfert d’un numéro également sans «liaison physique et logique» entre les réseaux de l’opérateur donneur et de l’opérateur receveur, alors qu’un trafic téléphonique vers le numéro transféré nécessite en toute hypothèse une telle liaison. Cette distinction semble toutefois quelque peu artificielle et doit être relativisée dans la mesure où la portabilité n’a en définitive de sens que dans un contexte de télécommunications dans lequel les différents réseaux entre lesquels la portabilité est possible sont connectés, de sorte qu’une communication est possible au-delà des limites du réseau. Par ailleurs, l’établissement du transfert, c’est-à-dire la réalisation administrative et technique du transfert par l’opérateur donneur, est une condition à une connexion vers le numéro transféré dans le réseau de l’opérateur receveur. À cet égard, selon nous, rien ne s’oppose à ce que l’on fasse relever de la notion d’«interconnexion liée à la portabilité» l’établissement du transfert tout comme le trafic téléphonique, c’est-à-dire l’acheminement de l’appel vers le numéro transféré dans le réseau de l’opérateur receveur.

49.   On objectera à une telle interprétation qu’il est prévu à l’annexe IV de la directive 97/33 que les redevances d’interconnexion peuvent inclure, entre autres, également une part équitable des coûts qui découlent de l’octroi de la portabilité des numéros. Cela démontrerait que l’établissement de la portabilité n’est pas un service d’interconnexion, sans quoi cette considération serait superflue.

50.   Selon nous, la considération précitée relative aux coûts liés à l’octroi de la portabilité, mentionnée à l’annexe IV de la directive 97/33, renforce au contraire le rapport général qui existe entre l’octroi de la portabilité et l’interconnexion, étant donné qu’elle cite les coûts découlant de l’octroi de la portabilité comme étant un exemple d’«éléments de redevances d’interconnexion». Par ailleurs, d’après la première partie, sous a), de l’annexe VII de la même directive, les conditions relatives à la portabilité des numéros font partie du «cadre de négociation des accords relatifs à l’interconnexion», pour lequel l’autorité réglementaire nationale peut prévoir des conditions ex ante.

51.   Cependant, une interprétation de l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, envisagée dans son rapport à son objet et à sa portée ou à la lumière de ces derniers, indique avant tout que cette disposition vise, outre les coûts liés au trafic, également les coûts d’établissement.

52.   Le cadre réglementaire communautaire pour les télécommunications, dont fait partie la directive service universel, vise entre autres à assurer une concurrence effective dans ce domaine (9). Au quarantième considérant de la directive service universel, la portabilité est concrètement désignée comme «un élément moteur du choix du consommateur et du jeu effectif de la concurrence dans un environnement concurrentiel des télécommunications».

53.   Ainsi que cela apparaît déjà dans ce passage, la portabilité, envisagée en soi, acquiert de l’importance à deux égards, qui constituent les deux faces de la même médaille: d’une part, du point de vue de la concurrence effective entre les opérateurs mobiles, que favorise la portabilité en ce qu’elle facilite aux utilisateurs le changement d’opérateur – et en faisant disparaître le désavantage lié au changement de numéro – et en ce qu’elle écarte pour les opérateurs un obstacle à la concurrence portant sur les utilisateurs de téléphonie mobile. D’autre part, du point de vue de l’intérêt du consommateur lui-même pour un changement le plus libre possible d’opérateur en gardant son numéro actuel et pour un choix plus grand. Ce dernier aspect, qui se place plutôt du côté du consommateur, est souligné dans la directive service universel par le fait que la portabilité des numéros est réglée dans le chapitre IV intitulé «Intérêts et droits des consommateurs finals».

54.   Des coûts d’établissement excessifs pour la portabilité représentent manifestement une charge pour l’opérateur qui veut obtenir de nouveaux clients et peut donc rendre plus difficile l’accès au marché pour un nouvel opérateur. Dans la mesure où l’opérateur receveur répercute les coûts d’établissement à l’utilisateur final – ce qu’il peut faire, si pas directement, en toute hypothèse indirectement au travers de sa structure tarifaire générale –, ces coûts liés à la portabilité peuvent dissuader le consommateur de faire usage de la possibilité de transférer son numéro et de changer de réseau.

55.   Ce faisant, la possibilité de transférer le numéro ne saurait «neutraliser» le «facteur du numéro de téléphone» en tant que critère du choix de l’opérateur au profit de critères de concurrence adéquats tels que la qualité et le prix. Au contraire, en raison des coûts liés au transfert du numéro, le numéro d’appel reste un obstacle à la propension des clients de la téléphonie mobile à changer d’opérateur et à une concurrence effective entre les opérateurs mobiles. Par ailleurs, il ressort également de la deuxième moitié de phrase de l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, en ce qui concerne d’éventuelles redevances indirectes, que la directive service universel vise à éviter de dissuader le consommateur d’utiliser le service de portabilité des numéros.

56.   Dans ce contexte, il convient en outre de faire observer que les opérateurs déjà établis sur le marché ou les opérateurs avec une puissance significative – il s’agit généralement des entreprises qui disposaient de droits exclusifs avant la libéralisation –, disposant déjà d’une large clientèle, sont plutôt intéressés à garder leurs utilisateurs finals et ne dépendent pas des «clients transférés» de la même manière qu’un concurrent émergent. Ces opérateurs établis – qui, dans la mesure où ils disposent déjà de nombreux utilisateurs finals, seront plus souvent des opérateurs donneurs – ont donc un intérêt naturel à fixer les coûts d’établissement le plus haut possible. En calculant des coûts d’établissement exagérés, les opérateurs donneurs peuvent dissuader leurs clients de changer d’opérateur, ou se ménager, pour le cas d’un changement d’opérateur, une certaine compensation pour la perte du client.

57.   À cet égard, une interprétation selon laquelle les coûts d’établissement ne seraient pas visés par le principe de l’orientation des prix en fonction des coûts, figurant à l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, serait contraire à l’objet et à la finalité de la directive service universel et en limiterait fortement l’effet utile du point de vue de la fourniture de la portabilité.

58.   On ne comprendrait pas non plus pourquoi, ainsi que l’a soutenu une majorité des parties, les coûts liés au trafic, plutôt que les coûts d’établissement, devraient être visés par l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, d’autant que ce sont précisément les coûts d’établissement qui doivent être supportés directement (en Belgique, l’opérateur receveur peut exiger de l’utilisateur final jusqu’à 15 euros pour le transfert du numéro) ou du moins indirectement par l’utilisateur final qui fait usage de la possibilité de portage. En revanche, les coûts liés au trafic sont facturés par l’opérateur donneur à l’opérateur depuis le réseau duquel l’appel vers le numéro transféré est généré, c’est-à-dire en définitive à l’appelant.

59.   Alors que les coûts liés au trafic sont des coûts que ne doit pas supporter l’utilisateur final qui fait usage de la portabilité, les coûts d’établissement sont des coûts que l’opérateur receveur répercute directement ou indirectement sur ce consommateur.

60.   D’un point de vue réaliste, selon nous, les coûts qu’un consommateur doit lui-même supporter sont plus déterminants dans la décision de changer d’opérateur que d’éventuels coûts supplémentaires pour son appelant.

61.   Considérés de cette manière, les coûts d’établissement jouent en fait un rôle plus important que les coûts liés au trafic du point de vue de la possibilité pour le consommateur de faire usage du service de portabilité ou du point de vue de sa «dissuasion». Cela vaut d’autant plus dans un système de «direct routing» comme en Belgique, dans lequel les appels depuis les réseaux belges sont directement transmis au numéro transféré, de sorte que, ainsi que cela ressort du dossier, seuls les appels aux numéros transférés qui sont générés depuis l’étranger produisent des coûts liés au trafic.

62.   De ce point de vue également, il semble tout à fait logique que l’obligation pesant sur l’autorité réglementaire nationale de veiller à ce que les prix de la portabilité soient fonction des coûts, conformément à l’article 30, paragraphe 2, concerne, outre les coûts liés au trafic, également les coûts d’établissement.

63.   Par conséquent, il convient maintenant d’examiner si l’autorité réglementaire nationale est autorisée, pour veiller à ce que les coûts d’établissement soient orientés en fonction des coûts, de fixer au préalable des prix maximaux pour tous les opérateurs au moyen d’un modèle théorique de coûts. D’après la décision de renvoi et les arguments des parties, deux aspects sont essentiellement en jeu ici. D’une part, il s’agit du champ d’application ratione personae du principe de l’orientation des prix en fonction des coûts en ce qui concerne la portabilité, en application de l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, et de la question de savoir s’il est interdit aux États membres d’accorder à l’autorité réglementaire nationale le droit d’imposer, en ce qui concerne les coûts liés à la portabilité, des conditions et des obligations ex ante à tous les opérateurs, ou uniquement aux opérateurs disposant d’une puissance significative sur le marché. D’autre part, il est question de la conformité avec le droit communautaire de la méthode de régulation elle-même, à savoir la fixation d’un prix maximal au moyen du modèle théorique d’un opérateur efficace sur le marché en cause.

64.   Ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, la directive service universel conçoit la portabilité comme un droit du consommateur ou de l’utilisateur final que ce dernier, ainsi que cela découle du quarantième considérant de cette directive, doit pouvoir faire valoir indépendamment de l’entreprise qui fournit ce service – c’est-à-dire indépendamment de quel opérateur donneur ou receveur il s’agit. Par conséquent, les trois paragraphes de l’article 30 ne contiennent aucune distinction entre entreprises avec ou sans puissance significative sur le marché.

65.   Compte tenu de cela, il convient de constater que l’obligation d’orienter les prix en fonction des coûts vaut de manière générale pour les «prix d’interconnexion liés à la fourniture de la portabilité des numéros», en l’espèce pour les coûts d’établissement, que ces prix soient demandés par des opérateurs avec ou sans puissance sur le marché.

66.   Il ne faut pas perdre de vue le fait que la juridiction de renvoi a posé la question relative à la compétence réglementaire des autorités nationales dans un contexte caractérisé par le fait que, dans le nouveau cadre légal des télécommunications – comme, par ailleurs, dans l’ancien cadre légal –, la liberté pour les entreprises de négocier entre elles les conditions relatives aux services de télécommunications sur une base commerciale l’emporte en principe sur la réglementation et la fixation par les autorités réglementaires nationales de conditions ex ante, et le pouvoir de ces dernières d’imposer certaines conditions ex ante aux entreprises disposant d’une puissance significative sur le marché est limité (10). Entre autres, le quatorzième considérant de la directive accès indique que, en ce qui concerne les obligations fixées par la directive 97/33 aux entreprises puissantes sur le marché, «cette série d’obligations éventuelles devrait être conservée, mais, pour éviter tout abus de réglementation, il faut, en outre, préciser qu’il s’agit d’un ensemble maximal d’obligations pouvant être imposées aux entreprises».

67.   Cependant, ainsi que l’ont soutenu à juste titre entre autres la Commission, Mobistar, Base, Belgacom ainsi que l’IBPT dans ce contexte, la portabilité des numéros, telle qu’elle est réglée à l’article 30 de la directive service universel, ne relève expressément pas, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de la directive accès, des domaines pour lesquels il serait interdit aux autorités réglementaires nationales d’imposer les conditions ex ante mentionnées aux articles 9 à 13 de la directive accès à d’autres entreprises qu’à celles qui doivent être qualifiées de puissantes sur le marché.

68.   Selon nous, ceci appuie l’avis selon lequel il est autorisé aux autorités réglementaires nationales, en ce qui concerne la portabilité telle que réglée dans la directive service universel, d’imposer, de manière concrète pour ce qui est de l’orientation selon les coûts des prix liés à la portabilité, des obligations ex ante également aux opérateurs sans puissance significative sur le marché. En ce qui concerne l’abus de réglementation dans le domaine des télécommunications, que le nouveau cadre légal, dont fait partie la directive service universel, cherche à éviter, il nous semble important que la disposition litigieuse ne prévoit pas la fixation d’un prix fixe pour les coûts d’établissement, mais uniquement la fixation d’un montant maximal pour les coûts d’établissement par les autorités réglementaires nationales, de sorte que la liberté pour les opérateurs de négocier librement entre eux le montant des coûts d’établissement n’est pas complètement limitée, mais est uniquement soumise à un seuil (supérieur).

69.   Par ailleurs, il convient de constater que les obligations imposées aux États membres en matière de portabilité à l’article 30 de la directive service universel sont délimitées de manière très large.

70.   En vertu de l’article 30, paragraphe 1, de cette directive, les États membres doivent assurer de manière générale la portabilité à tous les abonnés des services téléphoniques accessibles au public, y compris les services mobiles, quelle que soit l’entreprise fournissant le service. Le paragraphe 2 de cet article concrétise cette obligation en ce que les autorités réglementaires nationales doivent veiller à ce que les prix liés à la portabilité soient fonction des coûts et doivent s’assurer que d’éventuelles redevances ne soient pas dissuasives pour les utilisateurs. Enfin, le paragraphe 3 contient une disposition «négative» pour les autorités réglementaires nationales en ce que ces dernières ne peuvent imposer, pour la portabilité des numéros, une tarification de détail qui entraînerait des distorsions de la concurrence, par exemple en fixant une tarification de détail particulière ou commune.

71.   Par conséquent, la directive service universel laisse aux États membres une importante marge de manœuvre pour transposer leurs obligations liées à la portabilité.

72.   En ce qui concerne concrètement les coûts d’établissement, l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel ne contient aucun élément qui indiquerait que la fixation préalable d’un prix maximal au moyen d’un modèle théorique d’un opérateur efficace sur le marché en cause violerait cette disposition ou ne serait pas un moyen adéquat pour veiller à ce que les coûts d’établissement qu’un opérateur donneur peut réclamer d’un opérateur receveur soient orientés en fonction des coûts.

73.   L’interprétation selon laquelle la directive service universel n’impose pas de fixer les prix d’interconnexion liés à la fourniture de la portabilité sur la base des coûts réels individuels de chaque opérateur, mais permet de les fixer au préalable au moyen d’un modèle théorique des coûts trouve finalement aussi un appui au quarante-deuxième considérant, d’après lequel les autorités réglementaires nationales, lorsqu’elles s’acquittent de leur mission prévue à l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel, peuvent également tenir compte des prix pratiqués sur des marchés comparables.

74.   Par conséquent, nous proposons à la Cour de répondre aux trois premières questions préjudicielles en ce sens que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie que l’autorité réglementaire nationale fixe au préalable pour tous les opérateurs, au moyen d’un modèle théorique de coûts d’un opérateur efficace, un montant maximal qu’un opérateur donneur peut demander à un opérateur receveur par prestation ou numéro pour couvrir les coûts d’établissement liés au transfert du numéro.

B –    Sur l’interprétation de l’article 4 de la directive-cadre (quatrième question préjudicielle)

1.      Objet de la question préjudicielle et principaux arguments des parties

75.   Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la juridiction de renvoi ne dispose pas de tous les éléments (données chiffrées) que l’IBPT a obtenus des opérateurs et sur la base desquels il a fixé les coûts théoriques d’un opérateur mobile efficace. Dans la procédure au principal, l’IBPT invoque le devoir de confidentialité auquel il est tenu en vertu de la loi du 17 janvier 2003 relative à son statut.

76.   Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, en vertu de l’article 4 de la directive-cadre, elle doit disposer de l’ensemble des données nécessaires à l’examen du bien-fondé d’un recours au sens de cette disposition, y compris des données qui, d’après la réglementation nationale et communautaire en matière de secrets d’affaires, sont confidentielles.

77.   Les parties (11) sont d’accord pour affirmer que l’autorité chargée de connaître des recours dirigés contre une décision de l’autorité réglementaire nationale au sens de l’article 4 de la directive-cadre doit pouvoir disposer de l’ensemble des informations pour être en mesure de se prononcer sur le bien-fondé du recours, y compris des informations confidentielles. La protection des données confidentielles et des secrets d’affaires doit toutefois être garantie et elle doit être adaptée par la juridiction saisie, dans le cadre du droit de la procédure national, aux exigences d’une protection juridique effective et des droits de la défense des parties à la procédure. Les parties mentionnent, entre autres, la possibilité de limiter l’accès des parties à la procédure aux informations confidentielles.

78.   De plus, l’IBPT déclare que, en raison de son devoir de confidentialité, il n’a pas communiqué d’initiative les informations en cause à la cour d’appel, mais qu’il ne s’opposerait toutefois pas à une demande ou à une injonction en ce sens de la cour d’appel.

2.      Appréciation

79.   Ainsi qu’il ressort également du douzième considérant de la directive‑cadre, l’article 4 de cette dernière prévoit que toute partie affectée par une décision d’une autorité réglementaire nationale doit avoir le droit d’introduire un recours efficace contre cette décision auprès d’un organisme indépendant.

80.   L’article 5 de la directive-cadre contient des dispositions relatives à la mise à disposition d’informations aux autorités réglementaires nationales et à la Commission, mais, sur ce point, ladite directive ne contient aucune disposition expresse concernant les organismes qui – comme en l’espèce la juridiction de renvoi – sont compétents, en vertu du droit national, pour examiner les décisions des autorités réglementaires nationales. Ainsi que l’ont fait observer à juste titre les parties en ce sens, la garantie de ce droit à une protection juridique effective contre les décisions des autorités réglementaires nationales suppose toutefois que les organismes de recours – tels que les autorités réglementaires nationales en vertu de l’article 5, paragraphe 1, et la Commission en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive-cadre – puissent en principe disposer de toutes les informations dont ils ont besoin pour pouvoir utilement se prononcer sur le bien-fondé du recours.

81.   Quant à la mise à disposition d’informations qui, conformément aux dispositions communautaires et nationales en matière de secrets d’affaires, doivent être considérées comme confidentielles, l’article 5, paragraphe 3, de la directive‑cadre prévoit que la Commission et les autorités réglementaires nationales en cause assurent un traitement confidentiel adéquat. Par ailleurs, en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre, les États membres, en ce qui concerne la communication d’informations, doivent respecter, entre autres, les réglementations communautaires et nationales en matière de secrets d’affaires.

82.   D’après ces dispositions, la confidentialité des informations n’a pas pour conséquence que ces dernières ne sont pas mises à la disposition des autorités réglementaires nationales ou de la Commission. Ces dernières doivent au contraire veiller à un «traitement confidentiel adéquat».

83.   Selon nous, cette règle doit être également transposée aux procédures devant les organismes de recours nationaux. Ces derniers doivent également pouvoir disposer des informations dont ils ont besoin pour pouvoir s’acquitter de leur mission de garantir une protection juridique efficace contre les décisions des autorités réglementaires nationales, même s’il s’agit d’informations qui doivent être considérées comme confidentielles au regard des dispositions communautaires ou nationales. Bien entendu, ils doivent garantir un traitement confidentiel adéquat.

84.   Une disposition nationale qui empêche un organisme national de recours de réclamer, d’une autorité réglementaire nationale, des informations confidentielles qui sont nécessaires pour se prononcer sur un recours ne serait par conséquent pas compatible avec le droit à une protection juridique efficace, tel que cela est prévu à l’article 4 de la directive-cadre.

85.   Selon nous, même si la définition des modalités procédurales relève en principe du droit national de l’État membre, des dispositions nationales ayant un tel contenu, qui règlent les modalités de la procédure en application de l’article 4 de la directive-cadre devant un organisme de recours national, violeraient en outre le principe d’effectivité en ce sens qu’elles rendraient en pratique impossible ou excessivement difficile une protection juridique effective et efficace contre les décisions des autorités réglementaires nationales (12).

86.   L’organisme national de recours – en l’espèce, la juridiction de renvoi – devrait par conséquent écarter l’application des dispositions en matière de confidentialité ou des dispositions procédurales nationales, dans la mesure où elles s’opposent à une mise à disposition d’informations confidentielles dont il a besoin pour se prononcer utilement sur le bien-fondé d’un recours (13).

87.   Toutefois, un tel conflit ne se présenterait pas avec une telle rigueur dans la procédure au principal, étant donné que – ainsi que cela ressort du dossier – l’article 23 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut de l’IBPT, qu’a invoqué, dans un premier temps, ce dernier devant la juridiction de renvoi, oblige de manière plutôt générale l’IBPT ou le membre de son conseil d’administration à garantir les secrets d’affaires vis-à-vis des tiers ainsi que la confidentialité des informations transmises par les entreprises, sans aborder de manière distincte la question d’une mise à disposition des informations en cause aux organismes de recours. De même, l’IBPT s’est déjà déclaré disposé à se conformer à une injonction de la juridiction de renvoi lui demandant de présenter les informations confidentielles en cause.

88.   Par ailleurs, ainsi que l’ont fait observer la plupart des parties, il incombe à l’organisme de recours – en l’espèce, la juridiction de renvoi –, dans le cadre de la procédure dont il est saisi, de prendre les mesures appropriées pour établir un équilibre entre les exigences d’une protection juridique effective ou l’intérêt à un examen adéquat du bien-fondé d’un recours et le respect des secrets d’affaires (14).

89.   Dans une affaire telle que celle de l’espèce, la juridiction de renvoi peut, par exemple, ordonner la présentation de toutes les informations dont elle a besoin pour prendre une décision adéquate sur le bien-fondé du recours dont elle a été saisie à l’encontre de la décision des autorités réglementaires nationales, et – dans la mesure où cela est nécessaire à la protection des informations confidentielles et en tenant dûment compte des droits de la défense des parties à la procédure – traiter, le cas échéant, de manière confidentielle les informations en cause même vis-à-vis des parties à la procédure.

90.   Par conséquent, nous proposons à la Cour de justice de répondre à la quatrième question préjudicielle que l’article 4 de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que l’organisme de recours compétent pour se prononcer sur les recours doit pouvoir disposer de l’ensemble des informations qui sont nécessaires pour être en mesure d’examiner de manière adéquate le bien-fondé d’un recours, y compris des informations confidentielles sur la base desquelles les autorités réglementaires nationales ont adopté la décision qui fait l’objet du recours. Il appartient à l’organisme de recours de garantir le traitement confidentiel des données en cause dans le cadre de la procédure dont il est saisi en adoptant des mesures appropriées.

V –    Conclusion

91.   Par conséquent, nous proposons à la Cour de justice de répondre comme suit aux questions préjudicielles:

«1)      L’article 30, paragraphe 2, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel»), ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie que l’autorité réglementaire nationale fixe au préalable pour tous les opérateurs, au moyen d’un modèle théorique de coûts d’un opérateur efficace, un montant maximal qu’un opérateur donneur peut demander à un opérateur receveur par prestation ou numéro pour couvrir les coûts d’établissement liés au transfert du numéro.

2)      L’article 4 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive‑cadre), doit être interprété en ce sens que l’organisme de recours compétent pour se prononcer sur les recours doit pouvoir disposer de l’ensemble des informations qui sont nécessaires pour être en mesure d’examiner de manière adéquate le bien-fondé d’un recours, y compris des informations confidentielles sur la base desquelles les autorités réglementaires nationales ont adopté la décision qui fait l’objet du recours. Il appartient à l’organisme de recours de garantir le traitement confidentiel des données en cause dans le cadre de la procédure dont il est saisi en adoptant des mesures appropriées.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – JO L 108, p. 51.


3 – JO L 108, p. 33.


4 – JO L 199, p. 32.


5 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 1998, modifiant la directive 97/33 pour ce qui concerne la portabilité du numéro et la présélection de l’opérateur (JO L 268, p. 37).


6 – JO L 108, p. 7.


7 – JO L 108, p. 21.


8 – À cet égard, la juridiction de renvoi part du principe que l’article 30, paragraphe 2, de la directive service universel est applicable aux coûts d’établissement et que l’arrêté royal, indépendamment de la méthode de calcul sous-jacente, viole cette disposition en ce qu’il charge les autorités nationales de fixer les coûts d’établissement de manière générale et à l’avance. Cependant, l’arrêté royal violerait également la directive service universel en prescrivant aux autorités réglementaires nationales une méthode de calcul déterminée. La juridiction de renvoi part de l’hypothèse que la décision attaquée est dénuée de base légale.


9 – Voir, entre autres, article 8 de la directive-cadre.


10 – Voir treizième considérant de la directive accès et vingt-septième considérant de la directive‑cadre.


11 – Le gouvernement lituanien n’a pas présenté d’observations sur cette question.


12 – Voir, entre autres, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C-453/99, Rec. p. I-6297, point 29); du 24 septembre 2002, Grundig Italiana (C-255/00, Rec. p. I-8003, point 33), et du 10 avril 2003, Steffensen (C-276/01, Rec. p. I-3755, point 60).


13 – Voir, entre autres, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C-312/93, Rec. p. I-4599, points 13 et 21).


14 – Sur la protection des informations confidentielles, voir, entre autres, arrêts du 29 octobre 1980, Van Landewyk e.a./Commission (209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 46), et du 11 décembre 1985, Hillegom (110/84, Rec. p. 3947, point 33), ainsi qu’arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission (T-353/94, Rec. p. II-921, point 69).

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