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Document 61998CC0297

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 mai 2000.
SCA Holding Ltd contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Concurrence - Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) - Imputabilité du comportement infractionnel - Amende - Motivation - Circonstances atténuantes.
Affaire C-297/98 P.

Recueil de jurisprudence 2000 I-10101

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2000:267

61998C0297

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 18 mai 2000. - SCA Holding Ltd contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Concurrence - Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) - Imputabilité du comportement infractionnel - Amende - Motivation - Circonstances atténuantes. - Affaire C-297/98 P.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-10101


Conclusions de l'avocat général


1 Par requête introduite le 29 juillet 1998, la société SCA Holding Ltd (ci-après «SCA Holding») a formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission (1) (ci-après l'«arrêt attaqué»).

2 Par cet arrêt, le Tribunal a rejeté le recours de SCA Holding dirigé contre la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 - Carton) (2) (ci-après la «décision»), par laquelle celle-ci avait infligé à 19 fabricants fournisseurs de carton sur le marché communautaire des amendes à raison de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE).

3 Par ce recours, SCA Holding demandait au Tribunal d'annuler la décision tant en ce qu'elle retenait une infraction à la charge de SCA Holding qu'en ce qu'elle lui infligeait une amende de 2 200 000 écus à raison de ladite infraction. À titre subsidiaire, elle sollicitait une réduction sensible de l'amende. Pour l'exposé complet des griefs articulés par SCA Holding à l'encontre de la décision et des motifs pour lesquels le Tribunal a estimé devoir écarter l'ensemble desdits griefs, il y a lieu de se référer à l'arrêt attaqué.

4 Devant la Cour, SCA Holding présente les conclusions suivantes:

Plaise à la Cour:

a) réformer l'arrêt attaqué;

b) annuler l'article 1er de la décision, dans la mesure où il concerne l'appelante, ou, subsidiairement, annuler ou réduire substantiellement l'amende infligée à l'appelante à l'article 3 de cette décision;

c) condamner la Commission aux dépens.

5 La Commission, partie défenderesse au pourvoi comme elle l'avait été en première instance, conclut pour sa part à ce qu'il plaise à la Cour:

1) rejeter le pourvoi comme irrecevable et en tout état de cause comme non fondé;

2) subsidiairement, renvoyer l'affaire au Tribunal aux fins d'une nouvelle évaluation de l'amende dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction;

3) en tout état de cause, condamner la requérante aux dépens du pourvoi.

6 À l'appui de ses conclusions, SCA Holding développe deux séries de moyens:

- ceux visant à démontrer que c'est à tort que le Tribunal a rejeté ses arguments selon lesquels elle n'aurait pas dû être destinataire de la décision;

- ceux visant à établir que le Tribunal ne pouvait pas, sans violer le droit communautaire, confirmer dans son principe et dans son montant l'amende infligée à SCA Holding par la Commission.

7 Le détail de ces moyens sera, de manière à éviter toute répétition inutile, exposé au fur et à mesure que j'avancerai dans leur examen.

Premier moyen, relatif au destinataire de la décision

8 Devant le Tribunal, la requérante a fait valoir à l'encontre de la décision un moyen tiré de ce qu'elle n'aurait pas dû être tenue pour responsable du comportement de la cartonnerie Colthrop Mill (ci-après «Colthrop») et qu'elle n'était donc pas le bon destinataire de la décision sanctionnant les pratiques de celle-ci, contraires à l'article 85 du traité. Le Tribunal a rejeté ce moyen dans les termes suivants:

«61 Il est constant que Colthrop était l'usine fabriquant du carton et que cette usine était la propriété de la société Reed P & B, puis de SCA Aylesford Ltd et enfin de SCA Holding pendant toute la période d'infraction.

62 Ensuite, il convient de constater que Reed P & B, SCA Aylesford Ltd et SCA Holding (la requérante) sont les dénominations sociales successives d'une seule et même personne morale.

63 Les circonstances du cas d'espèce ne présentent donc aucune question de succession. En effet, il ressort de la jurisprudence du Tribunal (3) que la personne morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise au moment où l'infraction a été commise doit se voir imputer le comportement infractionnel de celle-ci. Tant que cette personne morale existe, la responsabilité du comportement infractionnel de l'entreprise suit cette personne morale, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés après la période d'infraction à des tierces personnes.

64 Dès lors, c'est à bon droit que la Commission a adressé la décision à la personne morale qui était responsable des agissements anticoncurrentiels constatés durant la période d'infraction et qui a continué d'exister jusqu'à l'adoption de la décision.

65 Il s'ensuit que, à supposer même que Colthrop puisse être considérée comme une entreprise au sens de l'article 85 du traité et que cette entreprise ait été détenue au jour de l'adoption de la décision par la personne morale Colthrop Board Mill Ltd, les conclusions de la requérante ne peuvent tendre, tout au plus, qu'à démontrer que la Commission disposait d'un choix quant au destinataire de la décision. Le choix opéré par la Commission ne saurait donc, dans de telles circonstances, être valablement mis en cause.

66 De plus, Reed P & B figurait sur la liste des membres du GEP Carton.

67 Or, selon le point 143 des considérants de la décision, la Commission a en principe adressé la décision à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, sauf:

`1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe [avaient] participé à l'infraction

ou

2) lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente,

[cas dans lesquels] la décision a été adressée au groupe (représenté par la société mère)'.

68 La Commission n'ayant pas estimé que l'une de ces deux conditions d'une exception au principe énoncé au point 143 était remplie, elle a pu valablement décider de ne pas adresser la décision aux sociétés mères successives de la société Reed P & B/SCA Aylesford/SCA Holding.

69 Le présent moyen doit donc être rejeté comme non fondé.»

9 Pour la bonne compréhension du point 65 de l'arrêt attaqué, il y a lieu de préciser qu'en date du 19 avril 1991 Colthrop a acquis la personnalité juridique sous la dénomination de Colthrop Board Mill Ltd et que, selon l'article 1er de la décision, la période d'infraction a duré «jusqu'à avril 1991 au moins».

10 Dans son pourvoi, la requérante synthétise de la manière suivante ses critiques à l'encontre de ce passage de l'arrêt attaqué:

«a) Une question de succession se présente dans des circonstances où une infraction est commise par une entreprise qui maintient, nonobstant un ou plusieurs changements de propriétaires au cours de la période infractionnelle ou après celle-ci, une `continuité fonctionnelle et économique' au cours de la période infractionnelle et, jusqu'à la date de la décision, continue à exister `dans sa forme essentielle' à la date de la décision et jouit de la personnalité juridique à la date de la décision. L'appréciation du Tribunal, qui affirme que les circonstances du cas d'espèce ne présentent aucune question de succession, est basée sur une motivation défectueuse et est contraire aux principes du droit et à la jurisprudence des juridictions européennes;

b) le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que la Commission pouvait choisir, parmi des entités appartenant à différents groupes de sociétés, l'entité qui serait le destinataire de la décision Carton;

c) l'examen par le Tribunal de la question de savoir si la Commission a exercé ce choix correctement était inadéquat. Même si la Commission avait le droit de choisir parmi les différents groupes de sociétés l'entité qui serait le destinataire de la décision Carton, ce qui est contesté, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le choix opéré par la Commission ne saurait être valablement mis en cause.»

11 Ces critiques sont elles fondées?

12 Commençons par constater que les points 61 et 62 de l'arrêt attaqué, qui constituent la prémisse du raisonnement du Tribunal, se rapportent à des éléments de fait que le Tribunal a considérés comme établis et qui, en tant que tels, ne sauraient être discutés dans le cadre d'un pourvoi. La requérante ne les conteste d'ailleurs pas. Sa contestation porte sur le point 63 dudit arrêt, dans lequel il est affirmé que lesdits éléments de fait excluent que puisse se poser un problème de succession.

13 Cette affirmation étant présentée par le Tribunal comme la simple transposition au cas d'espèce des principes énoncés aux points 236 à 238 de l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, il est bon de rappeler ces derniers, qui se présentent comme suit:

«236 Lorsque l'existence d'une telle infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise au moment où l'infraction a été commise afin qu'elle réponde de celle-ci.

237 Toutefois, lorsque, entre le moment où l'infraction est commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement, il convient de localiser, dans un premier temps, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble, afin d'éviter que, en raison de la disparition de la personne responsable de son exploitation au moment de la commission de l'infraction, l'entreprise puisse ne pas répondre de celle-ci.

238 Dans le cas de la requérante, la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise au moment de la commission de l'infraction a continué d'exister jusqu'à l'adoption de la décision. Il s'ensuit que c'est à bon droit que la Commission lui a imputé l'infraction.»

14 Si l'on analyse ces principes, on constate que, partant de la prémisse qu'il faut distinguer entre l'entreprise, c'est-à-dire l'acteur économique actif sur le marché, et la personne responsable de son exploitation, ils envisagent deux hypothèses.

15 Dans la première, la personne responsable de l'entreprise au moment de la mise en oeuvre des pratiques restrictives de la concurrence existe toujours juridiquement au moment où est adoptée la décision les sanctionnant, et c'est alors à elle qu'il appartient d'en répondre et que doit, en conséquence, être adressée la décision. Il n'y a donc pas de problème de succession au sens d'un transfert des obligations attachées à une responsabilité d'une personne juridique à une autre.

16 Dans la seconde, la personne responsable de l'exploitation a cessé d'exister juridiquement au moment où intervient la sanction, et il faut alors, pour que l'infraction ne reste pas impunie, chercher qui l'a remplacée et, pour ce faire, suivre la trace de l'entreprise en tant que réalité économique et non pas juridique, de manière à identifier la personne qui en dirige désormais l'exploitation. C'est cette personne qui, par un mécanisme d'imputation que, par commodité, on qualifie de successoral, sera destinataire de la décision et devra supporter le poids de la sanction.

17 Dans cette approche, que pourrait résumer la formule «là où réside le pouvoir doit se situer la responsabilité», l'entreprise n'est pas amenée à porter elle-même la responsabilité de ses agissements. Elle sert à désigner le responsable sur qui doit s'abattre la sanction, étant entendu que ce responsable pourra être désigné en quelque sorte par défaut, si la personne ayant dirigé l'entreprise au moment des faits sanctionnés a disparu et ne peut donc plus être sanctionnée.

18 Manifestement, le cas d'espèce correspond à la première hypothèse, puisque SCA Holding n'est que la nouvelle dénomination de la société Reed Paper & Board Ltd (ci-après «P & B»), qui était responsable de l'exploitation de Colthrop à l'époque des faits, et c'est donc fort logiquement que, appliquant les principes énoncés dans l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, le Tribunal a nié l'existence d'un quelconque problème de succession et a considéré que SCA Holding devait être le destinataire de la décision.

19 Où serait, d'après les dires de la requérante, la faille dans ce raisonnement?

20 Elle résiderait, pour autant qu'il soit possible de dégager une position claire des longs développements que consacre le pourvoi à la question qui nous occupe, non pas dans le caractère erroné des principes dégagés dans l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, que SCA Holding prétend ne pas vouloir remettre en cause, mais dans leur inapplicabilité au cas d'espèce. Celui-ci se caractérise, selon la requérante, par le fait que, au moment où est intervenue la décision, l'entreprise qui avait commis l'infraction non seulement n'était plus placée, pour son exploitation, sous la responsabilité de la personne morale qui assurait cette responsabilité au moment des faits justifiant les sanctions, mais avait acquis elle-même la personnalité morale, l'unité d'exploitation que constituait Colthrop ayant été transformée en société distincte avant sa cession.

21 À première vue, on voit mal en quoi ces éléments de fait, que nul ne conteste, feraient obstacle à l'application des principes issus de l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, car ils ne permettent pas de considérer que l'on ne se trouve pas dans la première hypothèse envisagée plus haut, celle dans laquelle la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise pendant la durée de l'infraction existe toujours au jour où la Commission arrête sa décision.

22 C'est donc en fait, même si cela n'est pas affirmé explicitement, l'approche même de l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, que SCA Holding entend contester ou, plus subtilement, modifier, pour faire apparaître un problème de succession, grâce auquel elle pourrait échapper aux conséquences du comportement qu'elle avait adopté à l'époque où elle dirigeait l'exploitation de Colthrop.

23 Ce que, fondamentalement, elle conteste, c'est que la Commission et le Tribunal n'aient pas admis que, une fois qu'elle s'était séparée de Colthrop, elle était déchargée de la responsabilité encourue en tant que personne morale responsable de son exploitation pendant la période sur laquelle s'est étendu le comportement contraire aux règles de concurrence.

24 Certes, elle ne conteste pas de front les prémisses du raisonnement de l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité (à savoir qu'il y a lieu de distinguer entre l'entreprise et la personne morale responsable de son exploitation), mais en fait elle construit un raisonnement tendant, en dernière analyse, à faire résider la responsabilité au niveau de l'entreprise elle-même.

25 Dans cette présentation subtile, la personne morale assumant la responsabilité de l'exploitation de l'entreprise n'est plus la véritable responsable des pratiques contraires aux règles de concurrence, elle n'est plus qu'un représentant dont on dote l'entreprise, la véritable responsable. Celle-ci, lorsqu'elle changera de mains, va bien évidemment conserver cette qualité de responsable, elle ne pourra s'en défaire, et, le jour où la Commission, après avoir mis au jour les pratiques anticoncurrentielles, entendra les sanctionner, c'est à celui qui sera devenu le nouveau représentant de l'entreprise qu'il lui faudra s'adresser, étant entendu que, si l'entreprise s'est en quelque sorte émancipée, en se coulant dans le moule d'une société, à l'instar d'un mineur ayant atteint sa majorité, pour reprendre une image tirée, comme la succession, du droit de la famille, il lui faudra faire face elle-même à ses responsabilités. Appliquée au cas d'espèce, cette thèse conduirait à ce que Colthrop Board Mill Ltd ait à répondre des agissements anticoncurrentiels passés de Colthrop, lorsque celle-ci était dirigée par SCA Holding.

26 On remarquera au passage que, dans cette construction, le recours à la notion de succession apparaît quelque peu artificiel, puisque en fait Colthrop aurait été dès le début et serait restée jusqu'au bout responsable de ses propres agissements.

27 Mais, quoi qu'il en soit, j'estime que l'on ne peut que récuser pareil raisonnement et qu'il y a lieu de s'en tenir à la solution dépourvue de toute ambiguïté que le Tribunal avait retenue dans l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, et qu'il n'a fait qu'appliquer au cas d'espèce, car il me paraît fondamentalement sain que la responsabilité soit associée au pouvoir.

28 SCA Holding a dirigé Colthrop pendant toute la durée de l'infraction et il n'est que normal qu'elle assume aujourd'hui ses responsabilités quant à son comportement passé.

29 J'en aurais fini avec ce moyen si le Tribunal n'avait pas entrepris d'étayer sa conclusion à l'aide d'autres arguments, dont la requérante conteste également le bien-fondé avec, disons-le tout de suite, davantage de raisons.

30 SCA Holding expose que le point 65 de l'arrêt attaqué non seulement est en contradiction avec le point 63, mais aussi est en lui-même erroné, en ce qu'il reconnaît que la Commission peut, dans certaines circonstances, disposer d'un choix quant au destinataire de sa décision sanctionnant des pratiques contraires aux règles de concurrence et affirme que ce choix ne saurait être valablement mis en cause, une fois qu'il a été opéré.

31 Je dois reconnaître que, en effet, la lecture du point 65 de l'arrêt attaqué ne peut que laisser perplexe à divers titres. Tout d'abord, on ne peut que s'étonner que le Tribunal présente la qualité d'entreprise de Colthrop comme une simple hypothèse. Certes, dans les points précédents, il n'est pas affirmé explicitement que Colthrop est une entreprise, le point 61 indiquant uniquement qu'elle était «l'usine fabriquant du carton».

32 Mais tout le raisonnement du point 63 de l'arrêt attaqué, construit par référence à l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, repose sur l'existence de Colthrop en tant qu'entreprise, puisqu'il met en oeuvre la distinction entre l'entreprise et la personne morale responsable de son exploitation. Si le Tribunal avait voulu considérer que Colthrop n'était pas une entreprise et ne constituait qu'un simple actif de P & B, devenue SCA Holding, il n'aurait eu nul besoin de se référer à l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité. En effet, dans ce cas, la seule entreprise identifiable eût été P & B, et aucun problème d'imputation de l'infraction ne se serait posé, puisque la décision aurait tout simplement été adressée à la «société entreprise» ayant elle-même violé les règles de concurrence, la vente ultérieure de l'actif Colthrop étant dépourvue de tout intérêt.

33 Le fait même de ne retenir au point 65 de l'arrêt attaqué l'existence de Colthrop en tant qu'entreprise que comme une simple hypothèse n'est, à l'évidence, pas de nature à conforter les développements précédents.

34 Par ailleurs, et en dehors même de cette contradiction, l'attribution d'un caractère hypothétique à l'existence de Colthrop en tant qu'entreprise au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité m'apparaît fort critiquable, alors qu'est discutée la question de savoir quel doit être le destinataire d'une décision de la Commission venant sanctionner une infraction aux règles de concurrence. Il me semble, en effet, que l'application des règles de concurrence doit se faire dans la clarté et non pas dans le flou que laisse subsister le point 65 de l'arrêt attaqué.

35 Quant aux conséquences que le Tribunal attache à la reconnaissance éventuelle à Colthrop de la qualité d'entreprise, je ne peux qu'exprimer les mêmes réserves. Il ne me semble, en aucune manière, souhaitable que soit reconnu à la Commission un choix quant au destinataire de sa décision. Je ne conteste nullement que, dans certaines affaires, comme celle dont nous nous occupons présentement, il puisse se poser des problèmes au niveau de la détermination du destinataire de la décision. Mais ce n'est certainement pas une raison pour ouvrir un choix. Le fait que les données d'un problème soient complexes n'emporte pas que n'importe quelle solution apportée à celui-ci soit correcte. L'identification du destinataire doit obéir à des règles de droit, telles que celles dégagées dans l'arrêt Enichem Anic/Commission, précité, et c'est par leur application, à la suite d'une analyse rigoureuse, que doit être déterminé le destinataire, et non pas par l'exercice d'un choix, dont on aurait toujours le plus grand mal à persuader les intéressés qu'il n'a pas été commandé par un caprice.

36 À mon avis, il n'y a donc pas de choix. Mais, à supposer même que choix il puisse y avoir, c'est-à-dire que la règle de droit permette d'adresser la décision venant sanctionner un comportement contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité adopté par un acteur économique aussi bien à A qu'à B, le choix opéré par la Commission ne peut-il, comme l'affirme le Tribunal, être contesté par celui sur qui le choix se sera porté?

37 On pourrait être tenté de répondre que tel est, effectivement, le cas. En effet, une fois qu'il est admis que la décision pouvait être adressée aussi bien à A qu'à B, A, si c'est vers lui que le choix s'est porté, pourra peut-être démontrer que B aurait tout aussi bien pu être le destinataire, mais cette démonstration ne modifiera en rien le fait que le choix de A n'a pas été contraire à la règle de droit, et c'est bien ce que le Tribunal a, me semble-t-il, voulu répondre à SCA Holding.

38 Mais peut-on admettre que la seule motivation dont serait assorti le choix de A serait que rien n'interdisait de choisir A, ou bien même que le choix de A n'aurait pas à être motivé? Cela reviendrait à reconnaître à la Commission un pouvoir discrétionnaire si vaste qu'il confinerait à l'arbitraire.

39 Mais, d'un autre côté, si l'on exige que le choix de A soit véritablement motivé, on devra, en même temps, reconnaître à A le droit de contester cette motivation devant le juge. Si celui-ci la censure, la conséquence de cette censure ne sera-t-elle pas automatiquement que c'est B qui aurait dû être choisi et, dans ce cas, que restera-t-il du choix prétendument laissé à la Commission?

40 On voit que, de ce point de vue également, il n'apparaît pas souhaitable, si l'on veut éviter de s'enfermer dans les contradictions inhérentes à l'existence simultanée d'un choix et d'un minimum de contrôle juridictionnel, d'admettre que la Commission puisse, même si ce n'est que dans des hypothèses bien particulières, disposer d'un choix quant au destinataire de sa décision.

41 La répression des atteintes aux règles de concurrence est chose trop sérieuse pour que des approximations puissent y trouver place. La Commission peut avoir des hésitations, mais elle doit trancher, c'est-à-dire choisir entre les solutions qui lui apparaissent envisageables. En dernière analyse, c'est au juge qu'il appartiendra de décider si elle a fait le bon choix, ce qui est une autre manière de dire qu'au niveau de la Commission il n'y a pas de véritable choix, il n'y a que des options dont une seule est celle que commande l'application correcte de la règle de droit.

42 Faut-il, dès lors, considérer que ce qui est dit au point 65 de l'arrêt attaqué non seulement n'est pas correct, mais ruine ce qui est dit au point précédent? J'hésite beaucoup à vous le proposer.

43 D'une part, parce que la censure sur ce point de l'arrêt attaqué ne signifierait nullement que SCA Holding n'était pas le bon destinataire de la décision. Bien au contraire, puisque, pris isolément, les points 61 à 64 m'apparaissent devoir échapper à la censure.

44 D'autre part, parce que, aux points 66 et suivants de l'arrêt attaqué, le Tribunal a fourni un autre motif de rejet du recours dirigé devant lui par SCA Holding contre la décision, en ce qu'elle lui est adressée, à savoir le fait que P & B, c'est-à-dire SCA Holding sous son ancienne dénomination, figurait sur la liste des membres du GEP Carton, c'est-à-dire de l'organisme au sein duquel l'entente était organisée.

45 Cet élément me semble déterminant en ce qu'il vient renforcer ce qui a été dit aux points 61 à 64 de l'arrêt attaqué. Il démontre que c'est bien SCA Holding qui a engagé Colthrop dans l'entente, qui était le partenaire des autres membres de l'entente et qui s'engageait en son nom propre. Cette participation de SCA Holding aux activités du GEP Carton exclut qu'elle puisse aujourd'hui refuser d'assumer la responsabilité des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre sur le marché par Colthrop, et justifie donc qu'elle ait été destinataire de la décision.

46 Tout bien pesé, j'estime donc que c'est à bon droit que le Tribunal a rejeté le moyen de SCA Holding et qu'il faut ne considérer le point 65 de l'arrêt attaqué que comme un obiter dictum malheureux, qui n'est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la solution à laquelle s'est arrêté le Tribunal.

Second moyen, relatif au montant de l'amende

47 SCA Holding fait grief au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit dans la mise en oeuvre de sa compétence de pleine juridiction en ce qui concerne le contrôle de l'amende qui lui a été infligée. Ce moyen se subdivise lui-même en trois branches. En premier lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que la position adoptée par la requérante durant la procédure administrative ne justifiait pas une réduction de l'amende. En deuxième lieu, il aurait commis une erreur de même nature en jugeant que la décision n'était pas assortie d'une motivation défectueuse justifiant l'annulation ou la réduction de l'amende. En troisième lieu, le Tribunal n'aurait pas pu, en même temps, admettre que la Commission portât son choix du destinataire de la décision relativement à Colthrop sur SCA Holding et refusât de tenir compte, pour contrôler le niveau de l'amende, de ce qu'il s'était agi d'un choix. J'examinerai ces trois branches successivement.

Quant à la première branche du second moyen

48 SCA Holding prétendait devant le Tribunal que la position qu'elle avait adoptée durant la procédure administrative, et qui consistait à ne pas se prononcer sur l'existence des faits constitutifs de l'infraction qui lui était reprochée, en faisant savoir qu'elle n'avait aucune connaissance du secteur du carton, n'ayant détenu Colthrop que pendant une très courte période avant de la céder à une autre société, lui conférait le droit de bénéficier, à l'instar d'autres destinataires de la décision, d'une réduction du montant de l'amende. Le Tribunal a rejeté cette prétention dans les termes suivants:

«156 La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté, et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 393).

157 Une entreprise qui déclare expressément qu'elle ne conteste pas les allégations de fait sur lesquelles la Commission fonde ses griefs peut être considérée comme ayant contribué à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence. Dans ses décisions constatant une infraction à ces règles, la Commission est en droit de considérer un tel comportement comme constitutif d'une reconnaissance des allégations de fait et donc comme un élément de preuve du bien-fondé des allégations en cause. Dès lors, un tel comportement peut justifier une réduction de l'amende.

158 Il en est autrement lorsqu'une entreprise conteste dans sa réponse à la communication des griefs l'essentiel des allégations avancées par la Commission dans celle-ci, s'abstient de toute réponse ou déclare uniquement, comme la requérante, ne pas prendre position sur les allégations de fait avancées par elle. En effet, en adoptant une telle attitude lors de la procédure administrative, l'entreprise ne contribue pas à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence.»

49 SCA Holding conteste cette analyse en faisant valoir que l'on ne saurait traiter de la même manière une entreprise qui ne prend pas position, par choix tactique, alors qu'elle aurait parfaitement pu le faire, étant en possession de toutes les données nécessaires, et une entreprise qui, comme elle-même, ne prend pas position parce qu'elle n'est pas en mesure de le faire, ne disposant d'aucune donnée lui permettant d'apprécier si les affirmations de la Commission sont conformes à la réalité. Elle prétend également que la position qu'elle a adoptée a contribué à faciliter la tâche de la Commission.

50 Contrairement à ce que soutient la Commission, ce moyen n'est pas irrecevable. La requérante ne remet, en effet, pas en cause de simples constatations de fait opérées par le Tribunal, mais prétend que c'est à tort que le Tribunal a jugé que l'attitude qu'elle a adoptée ne pouvait pas être assimilée à celle des entreprises qui n'ont pas contesté les faits sur lesquels s'appuyaient les griefs de la Commission et qui ont, à ce titre, bénéficié d'une réduction de l'amende que justifiait leur participation à l'entente, réduction dont le bien-fondé n'est pas en discussion.

51 Mais cette prétention ne résiste pas à l'examen. On ne peut, en effet, que suivre le Tribunal lorsqu'il expose, au point 157 de l'arrêt attaqué, en quoi la tâche de la Commission est véritablement allégée lorsqu'il y a absence de contestation des faits avancés, tandis qu'elle ne l'est nullement lorsque l'entreprise se mure dans le silence.

52 Dans le premier cas, l'entreprise se trouve définitivement empêchée de développer certains chefs de contestation, car lui serait opposée la règle venire contra factum, alors que, dans le second, l'entreprise reste libre de développer, le moment venu, tous les moyens de défense qui lui paraîtront utiles.

53 Ceci est parfaitement illustré, comme l'a souligné la Commission, par le fait que SCA Holding a, lors de la procédure orale devant le Tribunal, entendu s'associer à une plaidoirie commune visant à contester certains des faits retenus par la Commission, c'est-à-dire a essayé de tirer partie devant le juge de ce qu'elle s'était prudemment abstenue durant la procédure administrative de reconnaître la véracité des faits allégués par la Commission. Si elle en a été empêchée, c'est uniquement parce qu'elle avait omis de faire état de sa contestation des faits dans sa requête introductive d'instance.

54 Comme le souligne également la Commission, SCA Holding ne pouvait jouer à la fois sur deux tableaux. Elle ne pouvait, à la fois, s'efforcer d'apparaître par rapport à l'entente comme un spectateur innocent et tirer les bénéfices du minimum de collaboration avec la Commission que représente la reconnaissance de l'existence de certains faits. Elle a fait un choix qui s'est avéré peu judicieux, mais cette erreur tactique ne saurait constituer un moyen de pourvoi.

55 À supposer même que SCA Holding ne soit pas dans un rôle de composition lorsqu'elle se présente comme un spectateur innocent, c'est-à-dire qu'elle n'ait pas refusé de reconnaître des faits qu'elle connaissait parfaitement, il n'y aurait toujours pas lieu de censurer le raisonnement du Tribunal. Celui-ci n'a nullement rejeté le moyen de SCA Holding au motif que celle-ci n'aurait pas témoigné d'une véritable volonté de coopération. Il n'a pas entendu sanctionner une quelconque mauvaise volonté de SCA Holding. Il a uniquement constaté que, objectivement et indépendamment de tout jugement de valeur, l'attitude qu'avait adoptée SCA Holding n'était pas de nature à faciliter la tâche de la Commission et qu'il n'y avait donc aucune justification objective possible à une réduction de l'amende qui lui avait été infligée, dès lors que le seul critère pour l'octroi d'une telle réduction était l'allégement effectif de la tâche de la Commission.

56 SCA Holding n'a pas été «punie» pour son attitude. Il se trouve seulement que son attitude ne peut être assimilée, quant à ses conséquences, à celle des entreprises auxquelles une réduction a été consentie. Le refus du Tribunal d'exercer son pouvoir de pleine juridiction pour réduire l'amende infligée à SCA Holding ne m'apparaît en aucune manière arbitraire ou contraire à une règle de droit, et je vous propose, en conséquence, de rejeter cette branche du second moyen.

Quant à la deuxième branche du second moyen

57 Au titre de la deuxième branche de son second moyen, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l'absence de motivation spécifique, dans la décision, sur le mode de calcul des amendes ne devait pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation prévue par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées (point 207 de l'arrêt attaqué). Comme ce moyen a également été présenté dans le cadre de huit autres pourvois, je ne prends position à son égard que dans mes conclusions dans l'affaire Mo och Domsjö/Commission (C-283/98 P). J'y ai conclu que ce moyen devait être rejeté.

Quant à la troisième branche du second moyen

58 La dernière branche du moyen dirigé contre le refus du Tribunal d'annuler ou de réduire l'amende infligée à la requérante ne nécessite pas de longs développements. D'une part, en effet, j'ai expliqué plus haut pourquoi il m'apparaissait qu'il ne saurait être question d'un véritable choix opéré par la Commission avec l'aval du Tribunal, de sorte que la prémisse même sur laquelle il repose se révèle inexacte.

59 D'autre part, à supposer même qu'il y ait pu y avoir place pour un choix, il est bien clair que la personne morale retenue comme destinataire de la décision devait être sanctionnée en raison de la gravité et de la durée de l'infraction commise par l'entreprise dont le comportement lui a été imputé, sans discrimination par rapport aux autres destinataires de la décision ayant à répondre des infractions commises par d'autres entreprises parties à l'entente, et donc sans aucune modération du montant de l'amende en ce qui la concerne. Cette ultime contestation de SCA Holding ne saurait donc pas davantage prospérer que les précédentes.

Conclusions

60 Aucun des moyens soulevés par SCA Holding Ltd à l'encontre de l'arrêt du Tribunal de première instance du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission (T-327/94), ne m'étant apparu fondé, je ne peux que vous proposer:

1) de rejeter le pourvoi dans son ensemble;

2) de condamner la requérante aux dépens.

(1) - T-327/94, Rec. p. II-1373.

(2) - JO L 243, p. 1.

(3) - Arrêt du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission (T-6/89, Rec. p. II-1623, points 236 à 238).

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