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Document 61997CC0274

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 16 septembre 1999.
Commission des Communautés européennes contre Coal Products Ltd.
Clause compromissoire - Bonification d'intérêts.
Affaire C-274/97.

Recueil de jurisprudence 2000 I-03175

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:415

61997C0274

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 16 septembre 1999. - Commission des Communautés européennes contre Coal Products Ltd. - Clause compromissoire - Bonification d'intérêts. - Affaire C-274/97.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-03175


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1 En application de l'article 42 du traité CECA, la Commission a saisi la Cour d'un litige en vertu d'une clause compromissoire contenue dans un contrat passé en 1992, relatif à la consommation de charbon. La Cour reste compétente pour connaître de tels litiges s'ils ont leur source dans des contrats conclus avant l'entrée en vigueur, le 1er août 1993, de la décision 93/350/CECA, CEE, Euratom, du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom, instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (1).

II - Le contrat

2 Le 28 mai 1992, la Commission a conclu avec Coal Products Ltd (ci-après «Coal Products»), une filiale de British Coal Corporation (ci-après «British Coal»), un contrat aux termes duquel la Commission lui prêtait les 10 millions de livres pour l'aider à consommer du charbon CECA dans ses usines de fabrication de briquettes et de transformation de méthane en électricité implantées au Royaume-Uni. L'article 6 du contrat prévoyait que le prêt devait être remboursé intégralement le 28 mai 1997, l'article 7 interdisant à Coal Products tout remboursement anticipé. En vertu de l'article 10, paragraphe 1, Coal Products s'engageait à ne pas vendre, transférer ou céder les actifs du projet sans l'autorisation écrite préalable de la Commission.

3 Il s'agissait d'un prêt à intérêts; toutefois, l'article 5, paragraphe 4, du contrat, prévoyait le versement d'une bonification, aux conditions suivantes:

«Sous réserve des dispositions du présent contrat, le prêteur [la Commission] accorde à l'emprunteur [Coal Products] une bonification d'intérêt (la «bonification») sur la totalité du prêt, et correspondant à l'équivalent en livres sterling de 1 875 420 écus. La bonification sera payée à l'emprunteur deux fois par an au cours des cinq premières années du prêt en deux versements égaux de 187 542 écus les 28 mai et 28 novembre de chaque année ou approximativement, le premier versement étant effectué le 28 novembre 1992 ou approximativement, et le dernier versement le 28 mai 1997 ou approximativement, à la condition que l'emprunteur se soit dûment acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du présent contrat de payer les intérêts et toute autre somme due au titre du prêt à l'une quelconque de ces dates, et ce sans préjudice des dispositions de l'article 11. ...»

La période de contrôle de la consommation de cinq ans commençait un an après, l'«année de consommation» étant définie comme «la période égale à une année civile allant jusqu'au 28 mai - mais à l'exclusion de cette date - de chacune des années 1994 (inclus) à 1998 (inclus)» Il s'agissait là, semble-t-il, d'une clause type, insérée dans les contrats pour que les sociétés participant à de telles opérations aient le temps de mener à bien leurs projets et d'établir le calendrier des approvisionnements et de la production en fonction des objectifs visés. Le contrat fixait l'objectif de consommation annuelle («consommation estimée de charbon CECA») à 350 000 tonnes. «Par consommation effective de charbon CECA», il fallait entendre la «quantité de charbon CECA effectivement consommée dans l'installation industrielle au cours de chaque année de consommation»; toutefois, pour chacune des deux années de consommation précédant immédiatement la date d'évaluation, c'est «la moyenne annuelle de consommation durant ces deux années» qui devait être prise en compte. Le troisième anniversaire de la mise à disposition du prêt, soit le 28 mai 1995, correspondait à «la date d'évaluation». Les quatrième et cinquième anniversaires du versement du prêt, c'est-à-dire le 28 mai 1996 et le 28 mai 1997, respectivement, étaient définis comme étant «les dates de dépôt du rapport ultérieur». Selon l'article 11, paragraphe 2, du contrat, le montant de la bonification variait en fonction de la consommation effective de charbon CECA, selon les modalités suivantes:

«Le prêt est accordé - et la bonification d'intérêt mentionnée à l'article 5, paragraphe 4, calculée - en partant du principe que la consommation effective de charbon CECA au cours de chaque année de consommation sera au moins égale à la consommation estimée de charbon CECA. En conséquence, les dispositions suivantes sont applicables:

a) Si la consommation effective de charbon CECA durant l'une des deux années de consommation précédant immédiatement la date d'évaluation est inférieure à la consommation estimée de charbon CECA, le prêteur pourra (sans préjudice de tout autre droit dont il pourrait se prévaloir en vertu du présent contrat), en avisant par écrit l'emprunteur, réduire la bonification d'intérêt à laquelle l'emprunteur pouvait prétendre initialement en vertu du présent contrat proportionnellement à l'écart entre la consommation estimée et la consommation effective. La fraction de la bonification d'intérêt effectivement payée à l'emprunteur qui excède le montant que l'emprunteur aurait perçu si la bonification recalculée s'était appliquée dès le départ sera immédiatement et intégralement remboursée par l'emprunteur ou, si le prêteur le demande, sera imputée par ce dernier sur les versements non encore échus en règlement du montant dû;

b) outre les droits mentionnés à l'alinéa (a) et sans préjudice de tout autre droit dont le prêteur pourrait se prévaloir en vertu du présent contrat, si:

i) la consommation effective de charbon CECA au cours de l'une quelconque des années de consommation se terminant aux dates respectives de dépôt des rapports ultérieurs est inférieure à la consommation de charbon CECA sur laquelle la bonification d'intérêt applicable au prêt est basée à ce moment là (qu'il s'agisse de la consommation estimée ou d'une quantité inférieure à la suite de l'application des dispositions de l'alinéa a) ci-dessus ou de l'application antérieure des dispositions du présent alinéa b); et que

ii) le prêteur considère une telle différence comme étant significative,

ce dernier pourra, en avisant par écrit l'emprunteur, réduire la bonification d'intérêt au titre de l'année de consommation en cause et de toute année de consommation ultérieure selon le même calcul proportionnel que celui visé à l'alinéa a) ci-dessus (en se basant sur la consommation effective de charbon CECA pour l'année de consommation en cause). Il pourra également se prévaloir de la dernière phrase de l'alinéa a) à propos des corrections effectuées en vertu des dispositions du présent alinéa b).

...»

4 Du fait de l'intervalle d'une année entre le versement du prêt d'une part et le début de la période de contrôle de la consommation d'autre part, la dernière année de consommation (1997-1998) devait normalement intervenir après le paiement de la dernière bonification et le remboursement du prêt, un état comparatif de la consommation effective et estimée de charbon CECA au cours de cette année n'étant pas prévu.

5 L'article 19 du contrat stipulait que celui-ci était régi par le droit anglais et que toute contestation ou litige concernant sa validité, son interprétation ou son exécution seraient soumis à la Cour de justice en application de l'article 42 du traité CECA. Le prêt était garanti par British Coal en vertu d'un contrat relevant lui aussi du droit anglais et de la compétence de la Cour.

6 En janvier 1995, British Coal a demandé à la Commission l'autorisation de céder Coal Products dans le cadre d'un rachat de l'entreprise par ses salariés. On a su par la suite que la nouvelle direction souhaitait rembourser le prêt immédiatement, contrairement aux dispositions du contrat de 1992. Dans une lettre du 23 janvier 1995, la Commission a accepté la cession envisagée de Coal Products ainsi que le remboursement immédiat du prêt, moyennant un taux d'intérêt majoré et des frais. Elle a ajouté:

«Après le remboursement, les chiffres relatifs à la consommation de charbon seront réexaminés, et il pourra y avoir une révision de la bonification d'intérêt due.

...

En outre, la CECA [la Commission] demande à CPL [Coal Products] de confirmer par écrit ... qu'elle accepte que, bien que les droits et obligations concernant le droit à la bonification prennent fin avec le remboursement du prêt, une rectification de la bonification déjà versée puisse s'avérer nécessaire, ainsi qu'il est expliqué ci-dessous, à la suite de la révision des chiffres relatifs à la consommation de charbon.

...

Avec le remboursement du prêt, la CECA sera en mesure de réexaminer la consommation de charbon, sur laquelle était fondée sa contribution financière au projet. Comme la date d'évaluation ne sera pas atteinte lors du remboursement anticipé, nous proposons que la bonification soit calculée proportionnellement jusqu'à la date du remboursement anticipé. Il est donc possible qu'une partie de la bonification soit remboursée à la CECA ou, à l'inverse, qu'il y ait un solde en faveur de CPL.

Dès lors, nous serions reconnaissants à CPL de bien vouloir nous communiquer les détails de la consommation de charbon durant les trois années précédant immédiatement la date du rachat de l'entreprise par les salariés. Nous proposons que ces renseignements nous soient communiqués dans un délai de 60 jours, en respectant la présentation requise par le contrat comme si le rapport était déposé lors de l'évaluation».

La Commission demandait également que la garantie accordée par British Coal reste en place jusqu'à ce qu'elle ait récupéré l'ensemble des sommes qui lui étaient dues.

7 Par lettre du 30 janvier 1995, Coal Products acceptait les modalités de remboursement exposées dans la lettre de la Commission du 23 janvier 1995:

«Nous nous référons à votre lettre du 23 janvier 1995 adressée à notre société mère, BCC [British Coal] (référence 0893) ainsi qu'à la réponse de cette dernière. Nous vous remercions d'avoir accepté le remboursement anticipé. En contrepartie, nous sommes d'accord avec la proposition suivante:

...

CPL accepte que, bien que les droits et obligations concernant la bonification due après le remboursement du prêt prennent fin avec ce remboursement, une rectification de la bonification déjà versée puisse s'avérer nécessaire, et que cette rectification soit basée sur une période de contrôle prenant fin à la date du remboursement du prêt.»

III - Arguments des parties

8 La Commission a calculé que l'objectif de consommation de charbon CECA pour la période de vingt mois allant du 28 mai 1993 au 29 janvier 1995 doit être réduit proportionnellement et ramené en conséquence à 583 333 tonnes, soit 5/6èmes (ou 20/24èmes) de la consommation estimée de charbon CECA (700 000 tonnes) pour les deux années de consommation précédant la date d'évaluation du 28 mai 1995. On a su que Coal Products avait consommé 464 332 tonnes de charbon CECA au cours de cette période de vingt mois, soit 79,6 % de l'objectif révisé. La Commission en a conclu que Coal Products pouvait prétendre à 79,6 % de la bonification afférente à cette période, soit un tiers (20/60èmes) de celle convenue dans le contrat pour l'intégralité de la période de cinq ans: on obtient donc un résultat de 497 610 écus (2). La Commission ayant versé 750 618 écus (3) au titre de la bonification durant la période de trente-deux mois depuis l'entrée en vigueur du contrat jusqu'au 29 janvier 1995, elle réclamait donc le remboursement de 252 556 écus.

9 Coal Products a défendu une méthode différente. Bien qu'elle ait reconnu dans une lettre (du 20 mars 1995) que tout remboursement serait calculé à compter du 28 mai 1993, elle a fait valoir par ailleurs que cet aspect du contrat de 1992 avait été modifié par la lettre de la Commission du 23 janvier 1995, soit qu'il y ait eu modification du contrat existant, soit qu'il y ait eu conclusion d'un nouveau contrat relatif au remboursement anticipé du prêt(4). Invoquant le fait que la Commission avait consenti au remboursement anticipé, contrairement aux stipulations du contrat de 1992, la déclaration de cette dernière selon laquelle les obligations prévues dans ce contrat prendraient fin avec le remboursement, la référence qu'elle avait faite au calcul proportionnel de la bonification effectivement due et, en particulier, sa demande de renseignements concernant les chiffres de consommation des trois années précédant le rachat de l'entreprise, Coal Products a soutenu que la Commission avait modifié la période d'évaluation, en repoussant le début de cette période au 28 mai 1992. Elle a continué à soutenir néanmoins que seule la consommation postérieure au 28 mai 1993 devait être prise en considération. Ainsi, elle a reconnu qu'au cours de la période de consommation de vingt mois, sa consommation de charbon CECA n'avait atteint que 79,6 % de la quantité contractuelle rectifiée. Elle n'en a pas moins estimé devoir utiliser ce chiffre pour évaluer la fraction de la bonification à laquelle elle pouvait prétendre pendant la période de trente-deux mois écoulée depuis le versement du prêt et le paiement de la première tranche de la bonification, obtenant ainsi un montant de 796 173 écus (5). Comme elle n'avait perçu que 750 168 écus, Coal Products a présenté une demande en vue d'obtenir le paiement du solde, soit 46 005 écus.

10 Après une correspondance abondante dans laquelle les deux parties ont maintenu leurs calculs respectifs, la Commission a introduit, le 31 juillet 1997, une action en recouvrement de 252 558 écus, majorés des intérêts au taux de 8 % à compter du 3 février 1995, ainsi que des dépens. Elle fait valoir en substance que, à l'exception de la concession qu'elle avait faite en autorisant le remboursement anticipé et en calculant les objectifs contractuels de consommation et la bonification due sur la base de la fraction de la période de consommation contractuelle totale qui s'était effectivement écoulée à la date du remboursement, tous les aspects de la question sont régis par le contrat, y compris la date de départ de l'évaluation de la consommation, la loi applicable et la compétence juridictionnelle. Quant à Coal Products, elle soutient, pour l'essentiel, que le contrat a été implicitement annulé par un nouveau contrat résultant de l'échange de lettres des 23 et 30 janvier 1995; or, ce contrat contredirait, sous des aspects fondamentaux (en raison de la référence faite aux chiffres de consommation des trois dernières années), le contrat antérieur, ou le priverait de sa substance (du fait du remboursement du prêt) et, partant, en entraînerait la caducité. Elle s'appuie notamment sur la déclaration de la Commission selon laquelle les obligations prévues dans le contrat de 1992 prendraient fin avec le remboursement. Elle soulève le moyen tiré de l'annulation du contrat de 1992 d'abord pour contester la recevabilité du recours de la Commission: si la lettre de la Commission du 23 janvier 1995 constitue une offre de conclusion d'un nouveau contrat, acceptée ensuite par Coal Products, ce contrat ne contient aucune clause attributive de compétence à la Cour, de sorte que celle-ci, qui n'a aucune compétence propre dans ces matières, ne peut être saisie de l'affaire. Elle fait valoir par ailleurs, dans une série de moyens subsidiaires, que les parties ont convenu, dans cet échange de lettres, une période de bonification de trente-deux mois; que la Commission, dans la mesure où elle avait un droit contractuel sur les sommes qu'elle réclame en vertu du contrat de 1992, a renoncé à ce droit ou n'est plus fondée à l'invoquer; qu'il n'existe aucun accord entre les parties quant à la méthode de calcul de la bonification, de sorte qu'il n'existe aucune disposition que la Cour puisse faire respecter; et, enfin, (c'est là un point admis par la Commission) que les intérêts sur toute somme due à la Commission ne courent qu'à partir du 1er novembre 1995, une période raisonnable après que la Commission eut effectivement spécifié (dans sa lettre du 4 octobre 1995) la somme qui, selon elle, lui était effectivement due. Sur la base des calculs exposés ci-dessus, Coal Products présente également une demande conventionnelle aux fins du paiement de 46 005 écus, majorés des intérêts et demande, en tout état de cause, la condamnation de la Commission aux dépens.

IV - Analyse

Sur la compétence

11 Nous examinerons dans un premier temps la question de la compétence de la Cour: il convient à cette fin de rechercher si l'échange de lettres intervenu en janvier 1995 a modifié ou annulé le contrat. Les deux parties invoquent, à juste titre à notre avis, des passages des arrêts Morris/Baron & Co. (6) et British and Benningtons Ltd/North Western Cachar Tea Co. Ltd (7), en faisant valoir qu'ils énoncent la règle de droit applicable en la matière. Dans l'arrêt Morris/Baron, Lord Dunedin a établi la distinction suivante entre modification et annulation:

«Dans la première hypothèse [modification], il n'existe pas, dans le second contrat, de clauses exécutoires qui vous permettent d'intenter une action en justice sur la seule base de ce contrat si le premier n'existait pas; dans la deuxième hypothèse [annulation], vous ne pourriez engager de poursuites que sur la base du second contrat, le premier étant annulé soit en vertu de termes exprès, soit parce qu'il est impossible que les contrats en cause puissent être exécutés tous deux du fait que le second traite de la même question que le premier mais d'une manière différente» (8).

Dans la même affaire, Lord Atkinson observait que, à l'exception du prix des marchandises en cause, les dispositions du premier et du second contrats s'opposaient «sur tous les points essentiels qui en constituent la substance même» (9), et qu'il était donc impossible de parvenir à une conclusion rationnelle autre que de dire que les deux parties avaient clairement l'intention de considérer le contrat initial comme étant abandonné ou inexistant. Dans l'arrêt British and Benningtons, il a déclaré, dans le même esprit, que l'annulation est présumée lorsque les parties ont conclu un nouveau contrat totalement incompatible avec l'ancien contrat ou, si l'incompatibilité n'était pas totale, incompatible avec ce dernier dans une mesure qui en affectait la substance même (10).

12 Il est évident que la correspondance échangée entre les parties et British Coal en janvier 1995 a modifié les termes du contrat, principalement parce que son article 7 excluait le remboursement anticipé du prêt. Toutefois, nous rejetons la thèse selon laquelle cette modification, assortie de stipulations relatives à la bonification d'intérêt, ait été fondamentalement incompatible avec la poursuite de l'application des clauses du contrat qui étaient toujours potentiellement applicables après le remboursement. En particulier, la position adoptée dans la correspondance échangée entre les parties en ce qui concerne le calcul proportionnel de la bonification d'intérêt est incompréhensible si l'on ne se réfère pas aux termes initiaux du contrat régissant le montant de cette bonification, la période durant laquelle elle devait être payée, la définition de la consommation de charbon CECA estimée et effective, et le mécanisme de contrôle institué à travers la présentation de rapports relatifs aux années de consommation. Il s'ensuit qu'il serait impossible d'exécuter un contrat basé exclusivement sur cette correspondance. Dans ces conditions, le remboursement du prêt ne saurait être réputé avoir été entièrement incompatible avec le contrat, ni en avoir affecté la substance, puisqu'il était expressément prévu que l'obligation parallèle de la Commission de verser la bonification d'intérêt devait subsister, et cela à des conditions - même si elles ont été modifiées en raison de ce remboursement - qu'il était impossible d'appliquer autrement qu'en conjonction avec le contrat.

13 En conséquence, nous concluons que le contrat est resté en vigueur sous une forme modifiée et que les dispositions de l'article 19 du contrat concernant la compétence de la Cour sont toujours valables.

Sur le fond

14 Nous abordons à présent la demande de la Commission tendant au remboursement de 252 558 écus. A notre avis, la demande de la Commission doit être rejetée. Son argument, tel qu'il est résumé au point 8 ci-dessus, est basé sur une prémisse qui n'est corroborée ni par les termes du contrat ni par ceux contenus dans l'échange de lettres qui l'ont modifié, à savoir qu'il y avait un lien direct et organique entre le versement de la bonification d'intérêt pendant la période de cinq ans du prêt, de 1992 à 1997, et la réalisation des objectifs de consommation estimée de charbon CECA pendant les cinq années de consommation allant de 1993 à 1998. En conséquence, elle a soutenu que le calcul proportionnel de la bonification d'intérêt mentionné dans sa lettre du 23 janvier 1995 impliquait non seulement une réduction proportionnelle de l'objectif de consommation de charbon CECA applicable durant la période de vingt mois allant de mai 1993 à janvier 1995 de 700 000 tonnes à 583 333 tonnes, mais également une réduction de la bonification à laquelle Coal Products pouvait prétendre en cas de réalisation de cet objectif, calculée au prorata de ces vingt mois de consommation par rapport aux cinq ans (60 mois) pendant lesquels la bonification était due. A de nombreuses reprises lors de l'audience, la Commission a qualifié la bonification d'avance récupérable en cas de non-respect des objectifs de consommation indiqués dans le contrat. En interprétant ce dernier, la Cour est tenue d'appliquer le principe de droit anglais selon lequel l'intention des parties doit être déduite de l'instrument dans sa totalité, mais compte tenu du sens des termes qu'elles ont employés. Nulle part le contrat n'exige que les versements effectués au titre de la bonification soient considérés comme une simple avance sur la consommation de l'année suivante. La bonification est un droit soumis à révision ultérieure, compte tenu de la consommation effective de charbon CECA; elle est calculée selon une formule complexe et doit être notifiée par la Commission.

15 Notre point de vue selon lequel la bonification d'intérêt ne peut pas être caractérisée de simple avance est corroborée par la manière dont ces révisions ultérieures sont calculées. Même s'il est vrai que la bonification, ou une fraction de celle-ci, pouvait être récupérée par la Commission en cas de consommation insuffisante du charbon CECA par Coal Products, le contrat n'établissait aucun lien automatique entre les versements correspondant à une année de bonification et la consommation de l'année suivante. Il ne liait pas davantage le montant total de la bonification due à la consommation totale de charbon CECA. L'article 5, paragraphe 4, du contrat subordonnait le paiement semestriel de la bonification à compter de novembre 1992 aux dispositions de l'article 11. L'article 11, paragraphe 2, sous a), du contrat autorisait la Commission à modifier la bonification des trois premières années en fonction de la consommation effective moindre de charbon CECA par rapport à la consommation estimée au cours des deux premières années de consommation précédant la date d'évaluation. En outre, il est clair qu'une telle modification du montant de la bonification due tous les six mois se serait appliquée également aux années de consommation ultérieures, même si Coal Products avait réussi plus tard à atteindre, voire à dépasser, l'objectif prévisionnel initial de consommation de charbon CECA de 350 000 tonnes par an. L'article 11, paragraphe 2, sous b), ne prévoit d'autre réduction proportionnelle de la bonification d'intérêt qu'en cas d'insuffisance de consommation encore plus grave. Enfin, le contrat reste muet quant au recouvrement des bonifications versées antérieurement en cas d'insuffisance de consommation au cours de la dernière année de consommation, pour laquelle le contrat n'exigeait pas le dépôt d'un rapport.

16 Ce mécanisme contractuel n'institue ni expressément ni implicitement de correspondance directe entre la période de cinq ans durant laquelle la bonification était due et la période de cinq ans, commençant un an plus tard, pour laquelle le contrat fixait des objectifs de consommation. Ainsi, on ne peut pas présumer que le contrat ultérieur relatif au remboursement anticipé du prêt avait pour conséquence, par implication nécessaire, qu'une telle correspondance doive être établie entre la période de vingt mois de consommation effectivement accomplie et le droit pour Coal Products de bénéficier de la bonification. La référence à un calcul proportionnel de la bonification dans ces nouvelles circonstances ne peut être comprise, en l'absence d'autres éléments, en ce sens qu'elle établit une telle correspondance. Il serait beaucoup plus conforme à l'économie du contrat et, en particulier, aux dispositions régissant les trois premières années de son application, que cette déclaration soit interprétée en ce sens qu'elle se borne à avancer la date d'évaluation à fin janvier 1995, de sorte que les versements de la bonification pendant la période de trente-deux mois (11) à compter de la conclusion du contrat pourraient être réexaminés compte tenu de vingt mois de consommation de charbon. La raison donnée par la Commission dans sa lettre du 23 janvier 1995 pour justifier sa proposition de calculer proportionnellement la bonification «jusqu'à la date du remboursement anticipé» est que «la date d'évaluation ne sera pas atteinte» à ce moment-là, ce qui justifie le recours aux vingt mois alors écoulés des «années de consommation précédant immédiatement la date d'évaluation» pour calculer la bonification. Cela ne justifie pas en revanche que l'on franchisse le pas supplémentaire proposé par la Commission, en utilisant le rapport existant entre l'ensemble de la période de vingt mois de consommation et les soixante mois durant lesquels la bonification était due. Une modification aussi radicale de l'économie du contrat aurait dû être énoncée clairement et expressément, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

17 On pourrait soutenir, compte tenu de l'autre interprétation du contrat modifié de janvier 1995 suggérée dans le paragraphe précédent, que la demande reconventionnelle de Coal Products devrait être accueillie. Toutefois, ce n'est pas cette argumentation qu'invoque Coal Products à l'appui de sa demande reconventionnelle visant à obtenir le paiement de 46 005 écus. Elle a soutenu durant la procédure écrite que la demande de renseignements de la Commission concernant les chiffres des trois dernières années de consommation impliquait que la période d'évaluation aux fins du calcul proportionnel de sa bonification convenu dans l'échange de lettres était de trente-deux mois. Or, nous ne pouvons admettre qu'une simple demande de renseignements équivaille à une proposition de modification d'une clause du contrat. La thèse de Coal Products selon laquelle la période d'évaluation est égale à trois ans est, en tout état de cause, irréalisable, puisque seuls trente-deux mois s'étaient écoulés. De plus, à supposer même que cela soit le cas, nous ne parvenons pas à saisir en quoi cela pourrait étayer la demande reconventionnelle de Coal Products. Cette dernière a clairement accepté le point de vue de la Commission selon lequel la consommation estimée de charbon CECA doit être révisée afin d'obtenir un objectif de consommation calculé proportionnellement à la période de vingt mois, et que la consommation effective de charbon CECA au cours de cette période doit constituer la base de calcul de la bonification définitive de Coal Products. La demande reconventionnelle de cette dernière est basée sur l'application de la formule rectificative qui en résulte - c'est-à-dire montant de la bonification x 79,6 % - à une période de trente-deux mois, soit 32/60èmes de la bonification totale due pour cinq années. Toutefois, ainsi que nous l'avons vu plus haut, la période de versement de la bonification n'est pas automatiquement liée, dans le contrat, à la période d'évaluation de la consommation. Ainsi, il n'existe aucun lien visible entre l'argumentation développée par Coal Products et la demande de renseignements de la Commission relative à la consommation de charbon. Par conséquent, nous proposons de rejeter également la demande reconventionnelle.

18 A l'audience, l'avocat de Coal Products a proposé une interprétation différente du contrat modifié, et qui était, dans ses grandes lignes, compatible avec celle que nous avons brièvement exposée au point 16 ci-dessus. Toutefois, il a estimé que le fractionnement de la bonification totale prévue à l'article 5, paragraphe 4, du contrat en tranches payables tous les six mois signifiait que le calcul proportionnel de la bonification prévu dans le contrat modifié ne pouvait s'appliquer qu'aux tranches payées ou à payer pour des périodes de six mois complètes, c'est-à-dire jusqu'au 28 novembre 1994. Une telle interprétation aurait abouti à une créance de la Commission sur Coal Products de 3 751 écus. Toutefois, la Commission a soulevé l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, en faisant valoir qu'elle s'analysait en un moyen de droit nouveau. Nous sommes conscients, si notre analyse de la demande de la Commission est adoptée par la Cour, de l'ironie qui réside dans le fait que la Commission aura invoqué l'article 42, paragraphe 2, contre ses propres intérêts. Néanmoins, nous sommes d'accord pour dire que les observations de Coal Products à l'audience étaient en substance nouvelles; par conséquent, nous proposons à la Cour de les considérer comme irrecevables.

Dépens

19 Comme nous concluons au rejet par la Cour tant de la demande que de la demande reconventionnelle, nous estimons que chaque partie doit supporter ses propres dépens.

V - Conclusion

20 Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de dire pour droit:

- La demande de la Commission est rejetée. - La demande reconventionnelle de Coal Products Limited est rejetée. - Chaque partie supportera ses propres dépens.

(1) - JO L 144, p. 21.

(2) - 1 875 420 écus : 3 = 625 140 écus x 0.796 = 497 610 écus.

(3) - Cette somme représente deux années de bonification (quatre versements). Le versement dû le 28 novembre 1994 n'a pas été effectué, sans doute parce que la Commission était déjà au courant du projet de rachat de l'entreprise par les salariés, rachat qui aurait constitué une violation de l'article 10, paragraphe 3, du contrat s'il avait été mis en oeuvre sans la permission de la Commission.

(4) - Lettre du 30 juillet 1996.

(5) - 1 875 420 écus x 32/60ème = 1 000 224 écus x 0.796 = 796 173 écus.

(6) - 1918, AC 1.

(7) - 1923, AC 48.

(8) - Loc. cit., p. 26.

(9) - Ibidem, p. 33.

(10) - Loc. cit., p. 62.

(11) - Voir le point 18 ci-dessous pour une approche légèrement différente, basée sur l'article 5, paragraphe 4, du contrat, qui prévoit le paiement de la bonification à des intervalles de six mois.

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