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Document 61987CC0027

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 9 décembre 1987.
SPRL Louis Erauw-Jacquery contre Société coopérative La Hesbignonne.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Liège - Belgique.
Convention concernant des droits d'obtention végétale sur certaines variétés de semences - Compatibilité avec l'article 85 du traité CEE.
Affaire 27/87.

Recueil de jurisprudence 1988 -01919

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1987:538

61987C0027

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 9 décembre 1987. - SPRL Louis Erauw-Jacquery contre Société coopérative La Hesbignonne. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Liège - Belgique. - Convention concernant des droits d'obtention végétale sur certaines variétés de semences - Compatibilité avec l'article 85 du traité CEE. - Affaire 27/87.

Recueil de jurisprudence 1988 page 01919


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Un procès oppose devant le tribunal de commerce de Liège la SPRL Louis Erauw-Jacquery à la société coopérative La Hesbignonne à propos d' une "convention pour la multiplication de semences de céréales" ( ci-après : "convention" ou "accord ") aux termes de laquelle La Hesbignonne est autorisée à multiplier et à vendre en Belgique les espèces et variétés de céréales pour lesquelles Erauw-Jacquery est l' obtenteur ou le mandataire . Les deux entreprises sont établies en Belgique .

2 . L' article 2 de cette convention comporte les dispositions suivantes :

" Le second nommé s' engage envers le premier nommé à multiplier en vue de la vente de ces espèces et variétés de céréales aux conditions suivantes :

a ) multiplier en Belgique la quantité totale de semences de base E2 ou équivalentes fournies par le premier nommé et les soumettre au contrôle de l' ONDAH suivant la réglementation en vigueur . Ne pas vendre ou céder des semences de base E2 ou équivalentes de ces variétés à d' autres négociants-préparateurs ou à quiconque, à l' exception du fermier multiplicateur, et ne pas les exporter vers aucun pays;

...

f ) ne pas exporter, directement ou indirectement, sans autorisation écrite préalable du premier nommé, des semences des variétés pour lesquelles le premier nommé agira comme obtenteur ou mandataire, quelle qu' en soit la classe;

...

i ) ne pas vendre en dessous des prix de vente minimaux qui seront imposés par le premier nommé pour les semences certifiées de toutes les espèces, variétés et classes pour lesquelles le premier nommé est l' obtenteur ou le mandataire ."

3 . Le tribunal de commerce de Liège demande à la Cour si les dispositions faisant l' objet des lettres a ) et i ) de l' article 2 tombent ou non sous l' application de l' article 85 du traité instituant la Communauté économique européenne ou sous l' application d' une autre disposition de ce traité .

4 . Comme, par ailleurs, la lettre f ) de l' article 2 revêt elle aussi de l' importance du point de vue du droit européen de la concurrence, il me semble utile de faire également certains commentaires au sujet de cet élément de la convention, étant bien entendu que, dans le cadre d' un renvoi préjudiciel au titre de l' article 177, la Cour de justice des Communautés européennes ne saurait appliquer le traité à un cas d' espèce déterminé, cette mission étant du ressort exclusif de la juridiction nationale saisie du litige .

5 . Pour un exposé plus détaillé des faits et des législations communautaire et belge en matière de semences de céréales, je me permets de me référer au rapport d' audience .

6 . Avant d' aborder l' examen de la question posée, je voudrais encore rappeler que, dans l' arrêt du 8 juin 1982, Nungesser/Commission ( 1 ), la Cour a défini le droit d' obtention comme étant :

" ... le droit accordé à l' obtenteur d' une variété nouvelle, ou à son ayant cause, de soumettre à son autorisation préalable la production, à des fins d' écoulement commercial, du matériel de reproduction ou de multiplication végétative, en tant que tel, de cette variété nouvelle, ainsi que la mise en vente et la commercialisation de ce matériel" ( point 2 ).

7 . Après une analyse des particularités de la production et de la promotion des semences, la Cour a conclu ce qui suit :

" Il n' y a donc pas lieu de considérer que le droit d' obtention est un droit de propriété industrielle et commerciale présentant des caractéristiques tellement spécifiques qu' elles exigent, par rapport aux règles de concurrence, un traitement différent de celui des autres droits de propriété industrielle et commerciale ..." ( point 43 ).

8 . Il convient enfin de rappeler que ce droit, en tant que statut légal, échappe aux éléments contractuels ou de concertation envisagés par l' article 85, paragraphe 1, du traité, mais que son exercice peut tomber sous les prohibitions du traité s' il apparaît comme étant l' objet, le moyen ou la conséquence d' une entente . ( 2 )

9 . C' est sur cet arrière-fond que je voudrais analyser maintenant les différents éléments de la question déférée à la Cour .

I - Quant à l' interdiction de vendre et d' exporter les semences de base

Par l' article 2, sous a ), de la convention, le négociant-préparateur s' oblige en substance à ne pas réserver aux semences de base ( 3 ) fournies par l' obtenteur une autre finalité que celle de la multiplication .

10 . Pour ma part, je partage l' opinion de la Commission suivant laquelle cette clause relève de l' existence même du droit d' obtention végétale et qu' elle n' est dès lors pas visée par l' interdiction de l' article 85, paragraphe 1 .

11 . Les semences de base sont en quelque sorte comparables à un procédé de fabrication protégé par un brevet, puisque c' est à partir d' elles que sont produites les semences certifiées de la première et de la deuxième reproduction destinées à être vendues aux agriculteurs pour servir à la production de céréales de consommation . L' obtenteur ( ou son mandataire ) doit dès lors rester en mesure de contrôler la destination et l' usage des semences de base, car, sinon, il risquerait de perdre en fait les droits d' exclusivité qui lui ont été reconnus sur les variétés nouvelles développées par lui . La Commission a raison de faire remarquer que la convention de multiplication est un contrat conclu "intuitu personae ".

12 . La situation de l' obtenteur ou de son mandataire ressemble ainsi à certains égards à celle du franchiseur à propos duquel la Cour a dit qu' il "doit pouvoir communiquer aux franchisés son savoir-faire et leur apporter l' assistance voulue pour les mettre en mesure d' appliquer ses méthodes, sans risquer que ce savoir-faire et cette assistance profitent, ne serait-ce qu' indirectement, à ses concurrents . Il en résulte que les clauses qui sont indispensables pour prévenir ce risque ne constituent pas des restrictions de la concurrence au sens de l' article 85, paragraphe 1" ( arrêt du 28 janvier 1986, Pronuptia, 161/84, Rec . p . 353, point 16 ).

13 . Je vous propose dès lors de donner à la partie de la question qui vise la clause 2, sous a ), de la convention la réponse suivante :

"L' article 85, paragraphe 1, du traité ne s' oppose pas à une clause interdisant à un négociant-préparateur de vendre, céder ou exporter des semences de base mises à sa disposition par l' obtenteur ou son mandataire aux seules fins de leur multiplication ."

II - Quant aux clauses imposant le respect de prix minimaux et interdisant l' exportation des autres semences

14 . L' article 2, sous i ), du contrat litigieux impose à la défenderesse au principal, La Hesbignonne, de "ne pas vendre en dessous des prix de vente minimaux qui sont imposés par le premier nommé ( Erauw-Jacquery ) pour les semences certifiées de toutes les espèces, variétés et classes pour lesquelles le premier nommé est l' obtenteur ou le mandataire . Ces prix minimaux seront communiqués par écrit ...".

15 . Le non-respect du prix minimal par La Hesbignonne en ce qui concerne une semence appelée escourgeon multirang Gerbel est à l' origine du litige à l' occasion duquel le tribunal de commerce de Liège a posé la question préjudicielle qui nous occupe .

16 . Il résulte du jugement de renvoi que la société Erauw-Jacquery a conclu des contrats identiques avec d' autres négociants-préparateurs . Ceux-ci doivent être assez nombreux puisqu' on leur communique les prix minimaux par lettre circulaire . La vente sauvage faite au mépris de l' article 2, sous i ), par La Hesbignonne a obligé ces autres négociants-préparateurs à baisser également leurs prix . Ces derniers estiment avoir subi de ce fait un préjudice important ( estimé à 15 millions de BFR ) dont ils demandent réparation à la demanderesse, qui entend répercuter ladite demande sur la défenderesse .

17 . On se trouve donc en présence de tout un réseau d' accords ayant une teneur identique, et c' est l' incidence de ce faisceau d' accords sur la concurrence dans le secteur en question et sur le commerce entre États membres qu' il faut prendre en considération . La décision de la Commission du 22 décembre 1976 relative à l' application de l' article 85 du traité CEE aux contrats conclus par la société Gerofabriek ( IV/24.510-Gerofabriek, JO L 16 du 19.1.1977, p . 8 ) constitue à cet égard un précédent intéressant, même si, dans ce cas, les accords liaient aussi des entreprises établies dans d' autres États membres . Un cas plus proche encore du litige au principal a fait l' objet de l' arrêt de la Cour du 1er octobre 1987 dans l' affaire 311/85 ( ASBL Vereniging van Vlaamse Reisbureaus et ASBL Sociale Dienst van de Plaatselijke en Gewestelijke Overheidsdiensten, Rec . p . 3801 ).

18 . A - Examinons maintenant si la clause sur les prix minimaux a pour objet ou pour effet d' empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun .

19 . Dans son arrêt du 30 juin 1966, Société technique minière ( LTM)/Maschinenbau Ulm GmbH ( MBU ) ( 4 ), la Cour a précisé que le caractère non cumulatif mais alternatif de cette condition, marqué par la conjonction "ou", conduit d' abord à la nécessité de considérer l' objet même de l' accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué . Ce n' est qu' au cas ou l' analyse desdites clauses ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l' égard de la concurrence qu' il conviendrait d' examiner les effets de l' accord et, pour le frapper d' interdiction, d' exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été en fait soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible .

20 . En ce qui concerne une clause imposant le respect de prix minimaux, il y a lieu de rappeler tout d' abord que l' article 85, paragraphe 1, sous a ), lui-même mentionne les accords qui consistent à "fixer de façon directe ou indirecte les prix d' achat ou de vente ou d' autres conditions de transactions ...".

21 . La Cour a confirmé, à propos d' ententes horizontales, qu' un régime de prix de vente imposés est manifestement contraire à cette disposition ( 5 ).

22 . Malgré le fait que le règlement n° 2349/84 de la Commission, du 23 juillet 1984, concernant l' application de l' article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d' accords de licence de brevets auxquels ne participent que deux entreprises ( JO L 19 du 16.8.1984, p . 15 ), ne s' applique pas aux obtentions végétales, il est intéressant de noter que ce règlement n' exempte pas de l' interdiction du paragraphe 1 de l' article 85 les accords dans le cadre desquels "l' une des parties est soumise à des limitations quant à la fixation des prix, d' éléments de prix ou des remises pour les produits sous licence" ( article 3, point 6 ). Il en est donc, a fortiori, de même en ce qui concerne les réseaux d' accords .

23 . Dans sa décision Gerofabriek, déjà citée, la Commission a constaté que "le système des prix de revente imposés ne laisse pas aux revendeurs la possibilité de fixer eux-mêmes leurs prix en fonction de leurs coûts et de leur politique commerciale . Le jeu de la libre formation des prix et la faculté de répercuter sur les acheteurs les avantages qui en résulteraient éventuellement se trouvent ainsi entravés ou, du moins, notablement réduits . Ce système est donc clairement contraire à l' interdiction énoncée à l' article 85, paragraphe 1 ". En l' occurrence, il s' agissait de revendeurs purs et simples, et non pas de licenciés, et les prix imposés différaient selon les États membres; je crois, néanmoins, que le raisonnement cité peut s' appliquer au cas d' espèce .

24 . Enfin, il faut souligner que les prix imposés s' appliquent aux semences certifiées de toutes les espèces, variétés et classes pour lesquelles Erauw-Jacquery est l' obtenteur ou le mandataire . La clause couvre donc même des semences autres que celles que La Hesbignonne multiplie en vertu du contrat qui la lie à Erauw-Jacquery .

25 . On peut dès lors conclure qu' une clause de respect de prix minimaux figurant dans une convention faisant partie d' un faisceau de conventions identiques conclues par le même obtenteur ou mandataire d' obtenteurs étrangers, et s' appliquant même à des semences non multipliées en vertu de cette convention, a pour objet de restreindre le jeu de la concurrence .

26 . Comme nous l' avons vu au début, la convention type comporte aussi la disposition f ) interdisant au négociant-préparateur d' exporter directement ou indirectement, sans autorisation écrite préalable de la société Erauw-Jacquery, des semences de variétés pour lesquelles cette société agit comme obtenteur ou mandataire, quelle qu' en soit la classe . Cette clause vise l' exportation des semences de reproduction, puisque l' exportation des semences de base est déjà interdite par l' article 2, sous a ).

27 . Or, il résulte du dossier que la société Erauw-Jacquery est, au moins en ce qui concerne la semence en cause dans le litige au principal, l' escourgeon multirang Gerbel, le mandataire exclusif pour la Belgique de la SARL Florimont-Deprez, établie à Templeneuve, en France . L' interdiction d' exporter protège dès lors cette société française et ses mandataires éventuels en France ou dans d' autres États membres contre la concurrence de La Hesbignonne et des autres licenciés belges d' Erauw-Jacquery .

28 . Il n' est cependant pas certain que cette clause tombe nécessairement sous l' interdiction du paragraphe 1 de l' article 85 pour autant qu' elle interdit à La Hesbignonne d' exporter directement les semences en question . Je voudrais rappeler que, dans sa décision Raymond-Nagoya du 9 juin 1972 ( IV/26.813 - JO L 143 du 23.6.1972, p . 39 ), la Commission avait estimé qu' en raison notamment des caractéristiques des produits en cause, l' interdiction faite à un licencié d' exporter ces produits dans les États membres de la CEE ne pouvait avoir d' effet sensible sur le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun . Il ne me semble en tout cas pas possible de prendre position, dans le cadre de la procédure de l' article 177, au sujet de la compatibilité d' une telle clause avec l' article 85, paragraphe 1, faute de connaître suffisamment les caractéristiques du produit et du marché en cause .

29 . Par contre, dans la mesure où la clause interdit même les exportations indirectes, c' est-à-dire celles effectuées par des tiers ayant acheté des semences auprès de la société La Hesbignonne, elle pourrait contribuer à conférer une protection territoriale absolue aux entreprises bénéficiant, dans d' autres États membres, de l' exclusivité de la multiplication de l' escourgeon multirang Gerbel . Or,

" selon une jurisprudence constante de la Cour ( Consten, affaires 56 et 58/64, Rec . 1966, p . 429 ), la protection territoriale absolue en faveur d' un licencié destinée à permettre le contrôle et l' entrave des importations parallèles aboutit au maintien artificiel des marchés nationaux contraire au traité" ( Nungesser, 258/78, Rec . 1982, p . 2015, 2070, point 16 ).

La clause f ) a donc pour objet de restreindre le jeu de la concurrence .

30 . B - Pour tomber sous l' interdiction prononcée par l' article 85, paragraphe 1, les accords doivent non seulement restreindre le jeu de la concurrence, mais, en même temps, être susceptibles d' affecter le commerce entre États membres .

31 . Dans l' arrêt LTM, déjà cité, la Cour a établi à cet égard les critères suivants : l' accord doit,

" sur la base d' un ensemble d' éléments objectifs de droit ou de fait, être de nature à fonder une prévision raisonnable permettant de faire craindre qu' il puisse exercer une influence éventuelle directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d' échanges entre États membres, susceptible d' entraver la réalisation d' un marché unique entre lesdits États . A cet égard, il y a lieu, notamment, d' examiner si l' accord est susceptible de cloisonner le marché de certains produits entre les États membres ".

Il va de soi qu' une disposition interdisant même les exportations indirectes remplit ce dernier critère .

32 . Reste à savoir si la clause sur les prix minimaux est susceptible, de son côté, d' affecter le commerce entre États membres . Dans ses arrêts du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren ( 8/72, Rec . p . 977, point 29 ) et du 26 novembre 1975, Papiers peints ( 73/74, Rec . p . 1491, points 25 et suiv .), la Cour a dit pour droit que

" le fait qu' une entente de prix ... n' ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres peut être affecté ".

Dans ces affaires, il s' agissait, certes, d' ententes horizontales entre producteurs, mais il me semble qu' en l' espèce le régime des prix minimaux appliqué par l' ensemble des licenciés d' Erauw-Jacquery équivaut pratiquement à une telle entente horizontale, même si ce réseau de conventions comporte également une composante verticale .

33 . Un autre arrêt intéressant dans le présent contexte est celui du 30 janvier 1985, BNIC/Clair ( 123/83, Rec . p . 391, 425 ), qui concerne un accord portant notamment fixation du prix de l' eau-de-vie utilisée dans la fabrication du cognac, c' est-à-dire un produit semi-fini normalement pas expédié hors de la région de Cognac . La Cour a déclaré à ce propos que

" tout accord ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence par la fixation des prix minimaux d' achat d' un produit semi-fini est susceptible d' affecter la concurrence intracommunautaire, même si ce produit semi-fini ne fait pas lui-même l' objet d' un commerce entre les États membres, lorsqu' un tel produit constitue la matière première d' un autre produit commercialisé ailleurs dans la Communauté ".

34 . On peut considérer que, dans le litige au principal, la semence de reproduction constitue un produit semi-fini et la semence de consommation ( en l' occurrence l' orge ), un produit fini qui fait, très probablement, l' objet d' exportations hors de Belgique .

35 . Pour ce qui est du produit semi-fini, nous avons vu que La Hesbignonne a dû s' engager à ne pas exporter sans autorisation les semences des variétés pour lesquelles Erauw-Jacquery est l' obtenteur ou le mandataire, quelle qu' en soit la classe . Elle pourrait toutefois être amenée à vendre de telles semences en Belgique à un négociant ayant l' intention, avérée ou cachée, de les exporter vers un autre État membre . ( Je vise ici l' hypothèse d' un contrat de vente devenu parfait, par l' accord des parties sur le prix et la chose, en Belgique .) Dans cette hypothèse, l' exportation pourrait peut-être avoir lieu, mais pas en dessous du prix minimal . Or, ce prix, par son niveau, pourrait rendre une telle opération inintéressante, ce qui constituerait alors une affectation du commerce intracommunautaire .

36 . Examinons enfin si les importations en Belgique sont susceptibles d' être affectées par une telle clause ( étant entendu que la convention ne comporte pas d' interdiction d' importation ). A cet égard, on peut se demander si les négociants-préparateurs liés par contrat à Erauw-Jacquery trouveraient intérêt à importer de l' étranger des semences de reproduction qu' ils peuvent multiplier eux-mêmes en vertu de leurs contrats . Si, par hypothèse, ils voulaient néanmoins vendre en Belgique de telles semences, achetées à bas prix dans un autre État membre, la clause du respect des prix minimaux de vente jouerait . Ils perdraient donc l' éventuel avantage concurrentiel qui pourrait résulter pour eux d' une vente de ces semences en Belgique à un prix inférieur au prix minimal . En ce sens, les importations pourraient être potentiellement affectées par une telle clause .

37 . Est-il nécessaire d' établir, en plus, que la restriction du jeu de la concurrence et l' affectation potentielle du commerce entre États membres peuvent être qualifiées de sensibles? Il est évident, à la lecture du jugement de renvoi, que c' est principalement sur ces points que s' interroge le tribunal de commerce de Liège .

38 . Or, dans deux arrêts récents ( arrêt du 1er octobre 1987, 311/85, déjà cité, et arrêt du 3 décembre 1987, 136/86, BNIC/Aubert, Rec . p . 4789 ), la Cour ne semble plus avoir fait usage de ce critère qu' elle avait si souvent appliqué dans le passé ( 6 ). En effet, après avoir constaté qu' un accord du type de celui en cause dans le litige au principal entraînait une restriction du jeu de la concurrence et était susceptible d' affecter le commerce entre États membres, elle en a tout de suite tiré la conclusion qu' un accord de ce type était respectivement "incompatible avec l' article 85, paragraphe 1, du traité" et "interdit" par cet article .

39 . Dès lors, vous pourriez faire ici la même constatation à propos de la clause relative au respect des prix minimaux et de celle interdisant les exportations indirectes .

40 . Dans le cas contraire, il faudrait rappeler que, dans le cadre d' un recours préjudiciel, seules les juridictions nationales sont à même de déterminer si, compte tenu de toutes les caractéristiques du litige dont elles sont saisies et des informations plus complètes dont elles disposent ou qu' elles peuvent encore se procurer, la restriction du jeu de la concurrence et l' affectation du commerce entre États membres, constatées par la Cour, peuvent être qualifiées de sensibles .

41 . Compte tenu des caractéristiques du litige au principal, la seconde voie me semble s' imposer . La Cour peut cependant fournir à la juridiction nationale des indications susceptibles de l' aider à s' acquitter de sa mission .

42 . En ce qui concerne la question de savoir si le jeu de la concurrence est restreint de façon sensible par les clauses interdisant les exportations indirectes et imposant des prix minimaux, on peut estimer que tel est très probablement le cas .

43 . Constituent des arguments en ce sens le fait qu' on se trouve en face d' un faisceau de conventions, l' importance du préjudice invoqué par les autres licenciés d' Erauw-Jacquery et l' importance de la surface sur laquelle eux et La Hesbignonne cultivent l' escourgeon multirang Gerbel, ainsi que le fait que les clauses du contrat couvrent même des semences autres que celles que La Hesbignonne multiplie en vertu de la convention qui la lie à Erauw-Jacquery .

44 . En second lieu, en ce qui concerne l' affectation sensible du commerce entre États membres, il faut, je crois, distinguer les deux clauses . Celle qui interdit les exportations indirectes est très probablement de nature à remplir cette condition, car elle rend impossible des importations parallèles des semences en question dans les autres États membres .

45 . La situation est moins claire en ce qui concerne la clause sur les prix minimaux . Il me semble que la solution du litige au principal requiert la clarification d' un certain nombre d' éléments de fait .

46 . Les conventions en question ne comportent pas de clause interdisant les importations de semences de reproduction . Erauw-Jacquery s' emploie-t-il néanmoins par d' autres moyens, comme le soutient La Hesbignonne, à rendre de telles importations impossibles?

47 . La production intérieure belge est-elle de nature à couvrir les besoins du pays ou existe-t-il un besoin d' importer des semences? Si oui, des semences identiques ou semblables à celles qui font l' objet des conventions conclues par Erauw-Jacquery peuvent-elles être offertes en Belgique à des prix inférieurs à ceux résultant des conventions incriminées? La Belgique est-elle au contraire autosuffisante ou exportatrice nette de semences? Quel est le pourcentage de la production belge de semences assuré par la société Erauw-Jacquery et l' ensemble de ses licenciés? Quelle est, de ces divers points de vue, la situation en ce qui concerne les semences d' orge? Ces dernières constituent-elles un marché à part? Le potentiel de production de la Belgique permettrait-il à cet État membre de devenir exportateur d' orge ou d' accroître ses exportations d' orge en l' absence d' un réseau de conventions imposant des prix minimaux pour les semences? Il ne saurait y avoir de doute que seule la juridiction nationale est en mesure d' éclaircir ces questions .

Conclusion

48 . Sur la base de toutes les observations qui précèdent, je propose à la Cour de donner la réponse suivante au tribunal de commerce de Liège :

"1 ) L' article 85, paragraphe 1 ,du traité ne s' oppose pas à une clause interdisant à un négociant-préparateur de vendre, céder ou exporter des semences de base mises à sa disposition par l' obtenteur ou son mandataire aux seules fins de leur multiplication .

2 ) Des clauses imposant le respect de prix minimaux et interdisant les exportations, même indirectes, de semences de reproduction, figurant dans une convention identique à d' autres conventions conclues par le même obtenteur ou mandataire d' obtenteurs étrangers de semences, et qui s' appliquent même à des semences non multipliées en vertu de cette convention, ont pour objet de restreindre le jeu de la concurrence à l' intérieur du marché commun et sont susceptibles d' affecter le commerce entre États membres .

Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si la restriction du jeu de la concurrence et l' affectation du commerce intracommunautaire peuvent être qualifiées de sensible s ."

( 1 ) Affaire 258/78, Rec . p . 2015 .

( 2 ) Arrêt du 8 juin 1982, Nungesser, 258/78, Rec . p . 2015, point 28; arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop, 144/81, Rec . p . 2853, points 27 et 28; arrêt du 22 juin 1976, Terrapin, 119/75, Rec . p . 1039, point 5, alinéa 3; arrêt du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, 78/70, Rec . p . 487, point 6, alinéa 2;

( 3 ) Le terme de "semences de base" est utilisé dans le sens de semences qui ont été produites sous la responsabilité de l' obtenteur selon les règles de sélection conservatrice en ce qui concerne la variété (( article 2, paragraphe 1, sous C, de la directive 66/402/CEE, du 14 juin 1966 ( JO 125 du 11.7.1966, p . 2309 ) )).

( 4 ) Affaire 56/65, Rec . p . 337 .

( 5 ) Arrêt du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren, 8/72, Rec . p . 977, point 19;

arrêt du 26 novembre 1975, Papiers peints, 73/74, Rec . p . 1491, point 10 .

( 6 ) Voir, notamment, arrêt du 20 juin 1978, 28/77, Tepea/Commission, Rec . p . 1391, et arrêt du 16 juin 1981, 126/80, Salonia/Poidomani et Giglio, Rec . p . 1563 .

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