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Document 61984CC0095

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 26 juin 1986.
Boriello contre Alain Darras et Dominique Tostain.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Martigues - France.
Prix fixe du livre.
Affaire 95/84.

Recueil de jurisprudence 1986 -02253

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:266

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 26 juin 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente demande de décision préjudicielle a été introduite par le tribunal de police de Martigues, France, à l'occasion d'une procédure pénale pendante devant cette juridiction et mettant en cause deux gérants de supermarchés, MM. Darras et Tostain, auxquels il est reproché d'avoir vendu des livres à un prix inférieur à celui autorisé par la loi française no 81-766 du 10 août 1981.

Un appel a été interjeté contre l'ordonnance de renvoi, initialement prise le 29 mars 1984, mais cet appel n'ayant pas abouti, la demande de décision préjudicielle vous est aujourd'hui soumise.

Les questions posées sont les suivantes:

1)

La réglementation du prix des livres et notamment la fixation d'un prix effectif minimal de vente au public, telle que résultant de la loi no 81-766 du 10 août 1981 et du décret no 82-1176 du 29 décembre 1982, constitue-t-elle une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au commerce intracommunautaire ?

2)

Dans l'affirmative, cette réglementation est-elle susceptible d'entrer dans les exceptions prévues par l'article 36 du traité de Rome?

3)

A défaut, peut-elle être légitimée par la protection de certains intérêts nationaux et par exemple par celle des libraires menaces par la concurrence d'autres formes de distribution?

4)

En ce cas, les mesures adoptées sont-elles les plus convenables pour la protection de ces intérêts et les moins attentatoires à la liberté des échanges?

M. Darras, représenté par son conseil à l'audience de ce matin, s'est rangé aux observations écrites déposées au nom de la Commission.

La réglementation de l'espèce est la même que celle de l'affaire 229/83, Association des centres distributeurs Edouard Leclerc/SARL «Au blé vert (arrêt du 10 janvier 1985« Livres Leclerc«, Rec. p. 1); les faits et les questions juridiques sont identiques pour l'essentiel. La seule différence, qui n'est pas une différence de fond, réside dans le caractère pénal et non civil de la procédure.

Aucune question relative aux articles 3, sous f), et 85 n'ayant été posée en l'espèce, les seules questions qui se posent sont celles qui ont trait à la libre circulation des marchandises. Ces questions trouvent à notre avis une réponse complète dans les points 21 à 30 des motifs et dans le point 2 du dispositif de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire des Livres Leclerc.

Eu égard à la première question de la présente ordonnance de renvoi, la Cour a constaté, aux points 24 à 27 des motifs et au point 2 du dispositif de l'arrêt Livres Leclerc que des restrictions relatives aux prix comme celles visées dans l'arrêt en question constituaient effectivement des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives aux importations, interdites par l'article 30 du traité, avec la réserve suivante: « sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle législation. »

Cette réserve a été commentée par de nombreux auteurs. En l'espèce, elle ne nous semble pas être en cause ni appeler de commentaires. Nous voudrions simplement souligner qu'elle a ultérieurement été confirmée par la Cour dans l'arrêt Saint-Herblain distribution/Syndicat des libraires de Loire-Océan (affaire 299/83) rendu le 11 juillet 1985 (Rec. p. 2515).

Les questions 2 à 4 du présent renvoi trouvent, elles aussi, une réponse dans l'arrêt Livres Leclerc, dans les points 28 à 30. La réglementation litigieuse ne peut être légitimée que pour les motifs prévus à l'article 36, qui est d'interprétation stricte et qui, comme l'a déclaré la Cour, ne peut pas être étendu à des objectifs qui n'y sont pas expressément énumérés.

Selon nous, il s'ensuit que des intérêts tels que ceux qualifiés en l'espèce d'« intérêts nationaux », et en particulier tels que l'intérêt des libraires menacés par la concurrence d'autres formes de distribution, ne sauraient être admis comme motif légitimant ladite réglementation nationale, encore que nous ne comprenions pas pourquoi cette protection des libraires est qualifiée d'« intérêt national » dans l'ordonnance de renvoi.

S'il en est ainsi, il n'y a pas lieu d'examiner la question 4.

Nous suggérons donc d'apporter aux questions déférées par la juridiction nationale les réponses suivantes:

1)

Dans le cadre d'une réglementation nationale selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixé par l'éditeur ou l'importateur d'un livre et s'impose à tout détaillant, constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation interdites par l'article 30 du traité CEE des dispositions:

a)

selon lesquelles il incombe à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est-à-dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail,

b)

ou qui imposent, pour la vente de livres édités dans l'État membre concerné lui-même et réimportés après avoir été préalablement exportés dans un autre État membre, le respect du prix de vente fixé par l'éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle réglementation.

2)

Une telle réglementation nationale ne peut être légitimée que pour les motifs prévus à l'article 36 du traité.

3)

Une telle réglementation nationale ne peut pas être légitimée par la protection d'intérêts tels que celui des libraires menacés par la concurrence d'autres formes de distribution.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, il n'y a pas lieu de répondre à la quatrième question dans ce cas.

En l'espèce, les dépenses exposées par la Commission ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. C'est à la juridiction nationale qu'il appartient de statuer sur les dépens des parties au litige au principal.


( *1 ) Traduit de l'anglais.

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