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Document 61983CC0184

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 juin 1984.
Ulrich Hofmann contre Barmer Ersatzkasse.
Demande de décision préjudicielle: Landessozialgericht Hamburg - Allemagne.
Égalité de traitement entre hommes et femmes - Congé de maternité.
Affaire 184/83.

Recueil de jurisprudence 1984 -03047

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1984:231

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON,

PRÉSENTÉES LE 27 JUIN 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Le Landessozialgericht de Hambourg vous a saisis de deux questions portant sur l'interprétation de la directive 76/207 du Conseil «relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail». Par son objet, ce renvoi préjudiciel doit, selon nous, vous amener à délimiter le champ d'application respectif du principe de l'égalité de traitement, tel qu'il est posé par l'article 2, paragraphe 1, de la directive, et de l'exception fondée sur le souci de protection de la femme, telle qu'elle résulte de l'article 2, paragraphe 3.

Afin de réunir les données indispensables à la compréhension des questions d'interprétation renvoyées par la juridiction allemande, il convient de présenter brièvement le cadre contentieux dans lequel est apparu le litige national.

2. 

A l'origine de cette affaire, on relève les dispositions de la loi relative à la protection de la mère (Mutterschutzgesetz) qui prévoient, au bénéfice exclusif de la mère, deux congés successifs après la naissance de l'enfant:

l'un est obligatoire (Schutzfrist) et couvre une période de huit semaines à partir de l'accouchement (article 6, paragraphe 1, de la loi);

l'autre (Mutterschaftsurlaub), introduit par une loi du 25 juin 1979, est facultatif et dispense la mère de son activité professionnelle depuis l'expiration du congé de base précité jusqu'au jour où l'enfant atteint l'âge de six mois (article 8a) inséré dans la loi sur la protection de la mère); pendant ce congé, que nous qualifierons de «complémentaire», la mère perçoit une allocation (Mutterschaftsgeld) versée par l'État, dont le maximum a été fixé à 25 DM par jour (article 13, paragraphes 1 et 3, de cette loi).

La présente affaire trouve sa source dans le fait que cet avantage est réservé aux mères, les pères en étant exclus.

3. 

En effet, à la suite de la naissance de leur premier enfant, Ulrich Hofmann et sa compagne étaient convenus que le père s'occuperait du nouveau-né à l'expiration du congé obligatoire, afin de permettre à la mère de reprendre, dans les meilleurs délais, son activité d'enseignante, lui évitant ainsi une interruption qui pouvait s'avérer fâcheuse dans une profession où elle débutait.

Avec l'accord de son propre employeur, Ulrich Hofmann a donc pris un congé correspondant au congé complémentaire, pour lequel il a ultérieurement demandé le bénéfice de l'allocation de maternité.

Devant le refus opposé à sa demande par la Caisse de maladie compétente (Barmer Ersatzkasse), confirmé par jugement du Sozialgericht de Hambourg, Ulrich Hofmann a interjeté appel de cette dernière décision devant le Landessozialgericht de Hambourg qui nous a renvoyé deux questions préjudicielles, dont voici la substance:

Un congé complémentaire de maternité, dans la mesure où il est exclusivement réservé aux mères exerçant une activité rémunérée et non alternativement à l'un des deux parents en cas d'accord de leur part, constitue-t-il une violation des articles 1, 2 et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207?

Dans l'affirmative, les dispositions précitées sont-elles directement applicables dans les États membres?

Nous envisagerons successivement ces deux questions.

4. 

S'agissant de la réponse à donner à la première d'entre elles, il nous semble nécessaire de rappeler, à titre préliminaire, les limites que vous vous êtes fixées dans l'exercice de vos compétences préjudicielles.

Par une jurisprudence constante, vous considérez en effet qu'il ne vous appartient pas, dans le cadre de l'article 177, d'apprécier la conformité des règles de droit interne par rapport au droit communautaire ( 1 ). Cette prudence s'impose d'autant plus en l'espèce qu'un recours en manquement, qui porte notamment sur les dispositions en cause, est actuellement pendant devant votre Cour.

Néanmoins, même dans un tel cas, vous avez toujours eu le souci de donner une réponse qui puisse être utile au juge national, sur la base de données de fait et de droit résultant du jugement de renvoi ( 2 ). A celles-ci, nous ajouterons les éléments mis en lumière dans les observations écrites et lors de l'audience par les parties au principal ainsi que par les États membres et la Commission: cette prise en compte vise, en effet, à prévenir toutes les difficultés d'interprétation que pourrait soulever l'application par le juge national de la règle communautaire, conformément à la finalité même du renvoi préjudiciel en interprétation ( 3 ).

Au vu de ces considérations, il apparaît que les dispositions de la directive dont l'interprétation est rendue nécessaire par la question renvoyée sont, d'une part, les articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, et, d'autre part, l'article 2, paragraphe 3; l'article 1 se borne en effet à rappeler l'objet de la directive, sans imposer d'obligation particulière aux Etats membres.

La question préjudicielle examinée peut donc, à ce stade, être formulée de la manière suivante:

l'article 2, paragraphe 1, selon lequel le principe de l'égalité de traitement «implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial»,

fait-il obstacle à l'établissement par un État membre d'un congé de maternité, complémentaire du congé obligatoire de base, dès lors que le bénéfice en est exclusivement réservé aux mères exerçant une activité professionnelle?

ou un tel congé relève-t-il de ces

«dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité»

auxquelles, selon l'article 2, paragraphe 3, la directive ne fait pas obstacle?

Cette alternative doit être envisagée à partir non seulement des textes invoqués, mais aussi des observations déposées devant vous. Ces dernières reflètent, en effet, les difficultés concrètes de l'application du droit communautaire. Or, il est essentiel, selon nous, de les prendre en compte, afin que l'interprétation préjudicielle s'inscrive efficacement dans la pratique de ce droit.

5. 

Pour Ulrich Hofmann et la Commission, le congé complémentaire devrait être ouvert aux pères. Leur argumentation procède d'une interprétation restrictive de l'article 2, paragraphe 3, dans la mesure où il fait exception au principe de non-discrimination professionnelle selon le sexe. Dans le cadre particulier de cette disposition, cela signifie, comme l'explique la Commission, non seulement que la différence de traitement — protection de la femme — doit être fondée sur une cause objective, mais encore qu'elle doit être nécessaire pour assurer la protection visée. Or, cette double condition ne serait pas remplie par la législation allemande.

En premier lieu, l'exclusivité dont jouissent les mères ne serait pas fondée sur une donnée objective, caractérisant la situation de la femme de façon spécifique, comme, par exemple, son état de santé après un accouchement.

Pour le démontrer, il est fait état notamment du caractère facultatif du droit au congé et de son expiration en cas de décès de l'enfant; on relève, par ailleurs, que les mères qui ne peuvent justifier d'une relation de travail continue de neuf mois sur les douze précédant l'accouchement en sont exclues; enfin, il a été observé à l'audience que la demande de congé, qui doit être déposée au moins quatre semaines avant la fin du congé obligatoire, risquait d'être prématurée, eu égard aux modifications possibles de l'état de santé de la mère. Ces différents indices révéleraient que l'état de santé de la mère n'est pas le facteur déterminant de l'octroi du congé et feraient ressortir que son véritable objectif est de permettre à la mère de se consacrer au nouveau-né. La pratique confirmerait cette analyse puisque, malgré ce congé complémentaire, la proportion des mères cessant leur activité professionnelle serait restée inchangée.

En second lieu, la Commission et Ulrich Hofmann font valoir qu'il ne serait pas nécessaire de réserver à la mère le bénéfice exclusif du congé, afin de la protéger: la faculté pour le père non seulement de prendre soin de son enfant mais également de s'occuper de l'entretien du ménage contribuerait en effet à alléger tout autant la mère des charges qui sont susceptibles de préjudicier à sa santé. En conséquence, le droit au congé devrait être ouvert au père, sur la base du principe de l'égalité des sexes dans les conditions de travail (articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1).

De façon plus générale, la Commission et Ulrich Hofmann ont non seulement insisté sur la portée discriminatoire de la disposition en cause vis-à-vis du père, mais encore et surtout vis-à-vis des futures mères, dans la mesure notamment où les employeurs, afin de prévenir le risque d'absentéisme impliqué par le droit au congé complémentaire, hésiteraient à embaucher des travailleurs féminins.

6. 

A cette argumentation, la Caisse de maladie et surtout le gouvernement allemand ont opposé, sur l'essentiel des points contestés, une interprétation de la législation allemande qui, s'attachant à sa finalité — la santé de la mère — en démontrerait la cohérence et, par là même, la compatibilité au regard de l'exception de l'article 2, paragraphe 3.

7. 

Telle est, très brièvement, la position respective des parties sur la réponse à donner à la première question. Elle est révélatrice des difficultés d'interprétation que suscite l'application de l'article 2, paragraphe 3. En effet, si la question posée — est-il compatible avec la directive 76/207 d'exclure un père du bénéfice d'un congé de maternité? — peut susciter une relative perplexité, telle qu'elle est formulée, elle renvoie en fait à une revendication actuelle, qui sous-tend en vérité les observations d'Ulrich Hofmann et de la Commission et qui est devenue un droit dans certains États membres: le droit à l'égalité parentale face à l'enfant.

Dès lors se pose une question préliminaire: un tel droit entre-t-il dans le champ d'application de la directive 76/207?

La réponse à cette question est le préalable nécessaire à toute solution proposée au juge national, car elle permet de circonscrire l'état actuel du droit communautaire en la matière.

8. 

Le troisième considérant de la directive 76/207 manifeste «la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d'œuvre permettant leur égalisation dans le progrès», dont les Etats membres sont convenus dans l'article 117 du traité.

La directive vient ainsi mettre en application ce programme en complétant la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les travailleurs féminins et masculins, dans les secteurs autres que les rémunérations, déjà visées par l'article 119 CEE et la directive 75/117 ( 4 ), et la sécurité sociale, qui est régie par la directive 79/7 ( 5 ). Elle participe donc du dispositif destiné à garantir le respect par les États membres de l'égalité professionnelle des travailleurs féminins et masculins tant à l'embauche que dans l'exercice de leur profession, la formation professionnelle ou encore les conditions de travail, la rémunération, le licenciement et les prestations sociales.

Cet «acquis» législatif dessine les contours du droit pour chaque sexe au traitement professionnel accordé par le législateur national au sexe opposé. L'application de ce principe fondamental ( 6 ) suppose, en effet, d'une part, que seuls les droits réservés au sexe opposé peuvent être revendiqués par les travailleurs de l'autre sexe; elle implique, d'autre part, que seuls les droits professionnels sont couverts par la directive et non les droits afférents par exemple à la qualité de chef de famille, quand leur exercice est indépendant de la profession.

Des limites ainsi énoncées, il résulte clairement que l'établissement d'un congé ouvert alternativement aux deux parents n'entre pas dans le domaine de la directive 76/207. Le choix consistant à favoriser une meilleure répartition des responsabilités au sein du couple appartient dans l'immédiat exclusivement aux États membres, ce qui explique les disparités des législations nationales existant en la matière.

La directive 76/207 n'étant pas le moyen adéquat pour résorber ces dernières, la Commission a ainsi jugé nécessaire d'élaborer une conception commune du congé parental dans la proposition de directive qu'elle a soumise au Conseil ( 7 ). Autrement dit, en l'état actuel du droit communautaire, on outrepasserait le cadre fixé, par le législateur communautaire en présupposant établi ce qui n'est pas encore institué. En conséquence, tout argument tiré du congé parental doit être écarté dans l'interprétation de la directive 76/207.

Face à un avantage professionnel réservé au sexe féminin, tel qu'un congé complémentaire de maternité, l'alternative est donc la suivante:

soit on a affaire à une disposition «protectrice de la femme» (article 2, paragraphe 3), sans qu'on ait à en apprécier le caractère nécessaire, en fonction d'une égalité parentale qui est étrangère au débat,

soit il s'agit d'un congé visant à protéger l'enfant, dont l'octroi exclusif aux travailleurs féminins constitue une discrimination dans les conditions de travail au regard des travailleurs masculins (article 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1); dans ce cas, l'État membre serait tenu de supprimer la discrimination, mais conserverait le choix des moyens pour y parvenir. Il aurait, en effet, la possibilité d'y mettre fin en retirant l'avantage accordé, ou bien, ce qui paraît plus praticable, en y substituant des mesures équivalentes (remboursement des frais de garde à domicile, gratuité des crèches) ou encore en ouvrant au père la faculté de s'occuper de l'enfant, comme certains États membres l'ont organisée.

9. 

En délimitant l'objectif de la directive 76/207, nous avons pu préciser les données du problème posé: l'examen de sa structure nous fournira les éléments nécessaires à l'appréciation de la portée des «exceptions» qu'elle prévoit aux paragraphes 2 à 4 de l'article 2.

Si l'article 1 indique l'objet de la directive, c'est l'article 2, paragraphe 1, qui énonce le principe sur lequel elle repose; les articles 3 à 5 précisent, pour chacun des domaines d'intervention de la directive, le contenu de l'obligation de résultat à atteindre par les États membres; enfin, les dispositions des articles 6 à 10 énoncent les garanties qui entourent le respect du principe.

Du système ainsi mis en place, il ressort que les exceptions des paragraphes 2 à 4 de l'article 2 donnent l'exacte mesure du champ d'application assigné au principe posé par l'article 2, paragraphe 1. Cet agencement révèle, à lui seul, l'importance conférée par le législateur communautaire à ces réserves, ce que leur analyse va confirmer.

Celle énoncée par le paragraphe 4 de l'article 2 occupe une place à part. Cette disposition ouvre la voie aux mesures nationales «visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait»; elle ne fait exception au principe qu'en apparence: visant à compenser les discriminations de fait existantes, elle tend à rétablir l'égalité et non à l'affecter. Autrement dit, dès lors qu'est constatée l'inégalité de fait à supprimer, cette dérogation doit s'entendre largement.

Le paragraphe 2 prévoit une exception d'une portée considérable puisqu'il autorise les États membres à «exclure» du champ d'application de la directive certaines professions «pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante». L'article 9, paragraphe 2, impose seulement aux États membres d'examiner périodiquement les professions pour lesquelles le principe n'est pas appliqué «afin d'apprécier, compte tenu de l'évolution sociale, s'il est justifié de maintenir les exclusions en question». Ces deux dispositions manifestent la prudence du législateur communautaire, soucieux de ne pas anticiper sur l'évolution des moeurs, même pour un traitement qui est incontestablement discriminatoire. Cette préoccupation n'est sans doute pas étrangère à la solution que vous aviez développée dans l'affaire 165/82, Commission/Royaume-Uni ( 8 ), s'agissant des restrictions opposées aux hommes pour l'accès et la formation à la profession de «maïeuticien».

La démarche du législateur révèle à la fois son réalisme et sa prudence: elle nous rappelle que la directive n'a pas pour objet de créer des droits là où ils n'existent pas, mais qu'elle vise l'égalisation professionnelle chaque fois que l'évolution des mœurs le permet. Ces constatations sont également valables pour l'article 2, paragraphe 3, dont elles doivent guider l'interprétation.

10. 

En application de cette dernière disposition, les États membres ont la faculté de maintenir ou d'instituer les mesures relatives à «la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité».

Nous avons volontairement souligné l'étendue de l'exception ainsi énoncée: son champ d'application tant matériel que personnel semble suffisamment large pour justifier une interprétation dont les critères prennent en compte l'intention du législateur communautaire telle que nous l'avons précédemment caractérisée.

En premier lieu, l'article 2, paragraphe 3, suppose que le traitement différencié réservé à la femme ne soit pas discriminatoire: il en sera ainsi chaque fois que la différence de traitement — protection de la femme — pourra être justifiée par une différence objective entre la situation du travailleur masculin et du travailleur féminin. Cette cause objective est liée à la «spécificité biologique» de la femme, comme la mention exemplative de la grossesse, d'une part, et celle de la maternité, d'autre part, l'indiquent sans ambiguïté.

En second lieu, l'avantage professionnel réservé à la femme doit avoir pour objectif sa protection: nul ne songe à nier que le congé professionnel accordé pendant la grossesse ou immédiatement après l'accouchement constitue une exception justifiée au regard de l'article 2, paragraphe 3.

Doit-on, en dernier lieu et comme le suggère la Commission, ajouter à ces deux critères l'exigence selon laquelle ce traitement différencié doit être nécessaire à la protection de la femme? La réponse doit être négative: ni le sens, ni l'économie, ni même la finalité de la directive ne nous paraissent justifier une interprétation aussi restrictive de l'exception.

Il suffit que la mesure nationale qui réserve un avantage professionnel aux femmes vise à les protéger pour une raison objective. C'est le rapport entre sa finalité (la protection) et la raison objective qui la détermine (grossesse, maternité, par exemple) qui justifie la mesure différenciée et non l'absence de possibilités alternatives.

La condition supplémentaire posée par la Commission revient à obliger les Etats membres à choisir la mesure la plus appropriée à la protection des femmes: or, le choix des mesures propres à justifier un traitement différencié appartient exclusivement à l'État membre. Comme nous l'avons, en effet, souligné, la directive n'impose aucune obligation pour les États membres d'établir de nouveaux droits. Elle exige seulement la parité là où il existe des discriminations. Or, le raisonnement suivi par la Commission suppose acquis un droit que l'État membre peut précisément vouloir écarter ou ne pas instaurer.

Il suffit, pour s'en convaincre, de reprendre l'argument selon lequel le congé complémentaire ne serait pas indispensable pour assurer la protection de la mère, dans la mesure où le père de l'enfant pourrait s'y substituer. Cela revient à apprécier la compatibilité de la mesure nationale en fonction d'un moyen — l'égalité parentale — qui n'entre nullement dans le champ d'application de la directive 76/207.

11. 

Dès lors, s'agissant d'apprécier si l'octroi exclusif aux travailleurs féminins d'un congé complétant le congé postnatal obligatoire est compatible avec le principe posé par la directive, il convient de vérifier, d'une part, si ce congé facultatif est fondé sur une raison objective liée au sexe des bénéficiaires et, d'autre part, s'il s'agit d'une mesure protectrice de la femme.

Des observations tant écrites qu'orales nous avons retenu que nul ne conteste que l'état de santé de la mère nécessite une protection particulière à l'expiration du congé obligatoire: à cet égard, ni les facteurs tant biologiques que psychologiques, qui sont susceptibles d'altérer encore sa santé, ni les statistiques qui révèlent que près d'une femme sur deux abandonne son emploi, ne sont mises en doute.

Ces considérations objectives permettent de comprendre le choix du congé professionnel pour protéger la mère: compte tenu des statistiques précitées, il est apparu, en effet, que les mères, à l'issue du congé de huit semaines, étaient confrontées à un surcroît de charges, puisque à l'entretien du ménage et à la reprise d'une activité professionnelle s'ajoutaient désormais les soins intensifs que requiert, surtout au cours des premiers mois, le nouveau-né. Or, cette triple charge est d'autant plus difficile à assumer par la mère que son état de santé apparaît d'une manière générale encore précaire, ce qui contribuerait à expliquer les abandons d'emploi. En conséquence, le congé professionnel accordé aux mères après l'expiration du congé obligatoire doit leur permettre, en supprimant temporairement l'une des trois charges, de mieux se rétablir tout en leur garantissant la sécurité de l'emploi.

La mesure nationale est donc non seulement fondée sur la situation objectivement différente dans laquelle se trouvent les mères vis-à-vis de tout travailleur masculin, mais encore elle a pour finalité d'en protéger la santé en évitant une reprise immédiate de l'activité professionnelle. Ce double caractère suffit selon nous pour rattacher le congé complémentaire à la «maternité» incluse dans l'exception de l'article 2, paragraphe 3. Les arguments, contraires à cette thèse, présentés par la Commission et le requérant au principal n'ont pas, à cet égard, emporté notre conviction.

12. 

Reprenons en effet chacun des points que ceux-ci ont soulevés pour tenter de démontrer l'incompatibilité des conditions d'octroi du congé complémentaire au regard de la directive.

Le caractère facultatif du droit au congé complémentaire, par opposition au congé postnatal obligatoire, n'est pas contredit par la volonté de protéger la santé de la mère. Il apparaît en effet que le congé complémentaire est une mesure préventive, étayée par des considérations médico-sociales. Ces dernières déterminent le caractère général et impersonnel du droit institué, dont il résulte que les seules conditions d'octroi sont l'accouchement et l'exercice d'une activité rémunérée et non la présentation d'un certificat de maladie.

Cet objectif de prévention générale, aussi bien que le souci d'éviter toute solution de continuité sur le lieu de travail, expliquent également que la demande de congé doive être formulée près de quatre semaines avant l'expiration du congé obligatoire: l'octroi du congé repose sur une présomption — la santé des mères doit être ménagée — mais reste indépendant de l'état de santé actuel ou prévisible de la mère. Il reste que cette présomption relative à la santé des bénéficiaires ne lie pas ces dernières, dès lors qu'elles souhaitent reprendre leur activité — en cas de chômage du père par exemple — en raison notamment, comme le souligne la République fédérale d'Allemagne, du sacrifice financier résultant de ce choix.

Quant à l'expiration du congé complémentaire en cas de décès de l'enfant, elle est la conséquence de l'objectif qu'il vise: la «charge» de l'enfant ayant cessé d'être, la santé de la mère ne requiert plus de la même manière l'allégement de la charge professionnelle. Cette abrupte logique est au demeurant tempérée par l'expiration différée du congé. C'est la même logique qui écarte les mères nourricières et adoptives du droit reconnu aux «mères de sang». Elle explique encore pourquoi le droit au congé n'est pas transférable au père, même en cas de décès de la mère. Quelle que soit l'appréciation portée sur ces situations, il apparaît clairement qu'elles sont induites par l'objet même du congé institué.

La Commission et Ulrich Hofmann ont également fait état d'une modification législative, postérieure au litige dont le juge national est saisi, mais que nous examinerons néanmoins afin d'écarter toute ambiguïté sur l'interprétation à donner à l'exception fixée par l'article 2, paragraphe 3. Il apparaît en effet que, désormais, seules les mères qui ont exercé leur profession durant neuf mois, au cours des douze mois précédant l'accouchement, ont droit au congé. Il faut cependant relever que le même droit est ouvert si la demanderesse a bénéficié d'un droit aux prestations chômage ou au minimum de subsistance: cela élargit considérablement le cercle de bénéficiaires tout en prévenant les abus. Enfin, les mêmes conditions sont nécessaires à l'obtention du congé obligatoire: il s'agit simplement d'éviter d'octroyer un congé aux mères ne justifiant pas d'une durée minimale d'activité professionnelle ou d'une situation assimilée.

Enfin, il a été soutenu que, du point de vue de sa portée, la loi manquerait son objectif à un double point de vue. D'une part, il résulterait des statistiques fournies par le gouvernement allemand que plus d'une femme sur deux abandonnerait son emploi à la fin du congé complémentaire. D'autre part, la loi aurait pour effet d'inciter les employeurs à éviter d'embaucher des femmes, en raison du risque d'absentéisme impliqué par le congé complémentaire.

Cette argumentation ne nous convainc pas. En effet, si la proportion des travailleurs féminins cessant leur activité professionnelle après la fin du congé complémentaire est restée constante, les chiffres ne nous paraissent pas pour autant revêtir la même signification: on ne peut, en effet, en déduire que le risque «santé» n'a pas été déterminant au moment où les mères ont choisi de prendre le congé complémentaire. Bien plus, on peut considérer qu'en favorisant le rétablissement physique et psychique des bénéficiaires, le congé complémentaire donne aux femmes la possibilité d'opter plus librement, à son expiration, entre la reprise ou la cessation de leur activité professionnelle.

Quant aux effets «pervers» du congé complémentaire sur l'embauche des femmes, ils restent une simple éventualité, dans la mesure où ils n'ont pas été démontrés. On relèvera d'ailleurs qu'en l'absence d'un tel congé, dont la charge financière incombe à la collectivité publique, les mères ne pourraient avoir recours qu'à des congés de maladie, pendant lesquels l'employeur lui-même serait contraint de leur verser un salaire, sans bénéficier en contrepartie de leur travail. Au surplus, on remarquera que l'octroi du congé en cause, comme l'a souligné la République fédérale d'Allemagne, constitue un moyen d'atténuer les inégalités de fait résultant précisément pour les femmes des altérations consécutives à l'accouchement, préservant ainsi leurs chances lors de la reprise du travail. En ce sens, il participe des mesures visées par l'article 2, paragraphe 4, de la directive.

On en vient dès lors nécessairement à se poser la question de savoir si l'exception de l'article 2, paragraphe 2, n'est pas une illustration, privilégiée par le législateur communautaire, de la dérogation générale prévue à l'article 2, paragraphe 4. C'est là notre sentiment et nous y trouvons la confirmation du rejet de l'interprétation restrictive de l'exception en cause.

A la première question posée par le juge allemand, nous estimons donc qu'il y a lieu de répondre que le congé complémentaire, fondé sur la protection de la maternité, dont il atténue les derniers effets sur la santé de la mère, est une disposition protectrice de la femme, au sens de l'article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 et ne constitue donc pas, dès lors, une violation des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1.

13. 

Si vous suivez la proposition de solution ainsi formulée, la seconde question n'appelle plus de réponse de votre part. Cependant, nous envisagerons, à titre subsidiaire, le problème de l'applicabilité directe des articles 1, 2 et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207.

Votre jurisprudence sur l'effet des directives pour les particuliers est désormais bien connue. Même si, en principe, une directive n'a d'effet qu'à l'égard des destinataires auxquels elle est adressée, c'est-à-dire des Etats membres ( 9 ), vous reconnaissez que les particuliers jouissent cependant d'une «garantie minimale» ( 10 ) ils ont, en effet, le droit d'invoquer devant le juge national, «à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à [une] directive», les obligations «inconditionnelles et suffisamment précises» qu'elle imposerait ( 11 ).

Examinons la directive 76/207 à la lumière des conditions ainsi dégagées de votre jurisprudence.

Si, contrairement à l'opinion que nous avons exprimée, le fait de réserver aux mères le bénéfice exclusif du congé complémentaire de maternité constitue, selon vous, une discrimination interdite par les articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive, il reste alors à savoir si l'obligation imperative de résultat imposée par elle réunit les conditions pour être invoquée par une personne privée devant une juridiction nationale. Examinons successivement les dispositions de la directive dont le juge de renvoi nous demande l'interprétation.

L'article 1, nous l'avons rappelé, revêt un caractère introductif : il indique l'objet de la directive et, par son contenu, n'impose aucune obligation aux États membres. A cet égard, il ne saurait donc être utilement invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales.

Les articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, sont liés: le premier énonce l'obligation générale de résultat à atteindre que l'article 5, paragraphe 1, applique à l'un des domaines couverts par la directive : il prévoit, en effet, que

«l'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe».

L'obligation ainsi énoncée est à la fois précise et sans ambiguïté. Certaines dispositions de la directive peuvent, cependant, faire douter de son caractère inconditionnel.

On pourrait en premier lieu avancer que le principe de non-discrimination s'entend sous réserve des exceptions visées par l'article 2 de la directive. Mais l'exception ayant, dans cette hypothèse, été écartée, seule subsiste l'obligation imposée par l'article 2, paragraphe 1, précisée dans le domaine des conditions de travail par l'article 5, paragraphe 1.

En second lieu, on pourrait, relever que dans le cadre de l'article 5, ce sont les Etats membres qui sont appelés à prendre l'ensemble des «mesures nécessaires» qu'exige l'application du principe de l'égalité de traitement dans les conditions de travail. Il s'agit là, néanmoins, d'un obstacle propre à toute directive: comme le précise l'article 189 du traité CEE, les États ont le choix des moyens pour atteindre le résultat fixé par la directive, par lequel ils sont liés. Or, dans le cadre de la directive 76/207, l'objectif à atteindre reste l'égalité de traitement: si l'État est libre de définir les moyens pour y parvenir, c'est à condition de respecter l'obligation imperative de non-discrimination à l'égard de laquelle il ne jouit d'aucune marge d'appréciation discrétionnaire.

Au vu de ces éléments, il apparaît que les conditions, pour que les articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, puissent être invoqués par les particuliers devant les juridictions nationales, sont remplies en l'espèce.

Un tel effet ne doit pas surprendre puisque l'article 6 de la directive prévoit que, grâce aux mesures nécessaires prises par les États membres, «toute personne qui s'estime lésée par la non-application à son égard du principe de l'égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 [doit pouvoir ...] faire valoir ses droits par voie juridictionnelle ...» Or, comme vous l'avez constaté dans un arrêt récent, cette garantie revient à reconnaître aux personnes lésées «l'existence de droits pouvant être invoqués en justice» ( 12 ).

Il reste, comme l'a souligné la Commission, que cette faculté ne leur permet pas d'avoir l'assurance que l'avantage accordé au sexe opposé leur sera nécessairement étendu: la directive, rappelons-le, a pour seul objet de favoriser l'égalité de traitement sans imposer pour autant à l'État l'établissement de droits nouveaux. Dès lors, et bien qu'on puisse le regretter, l'action des particuliers n'imposera à l'État membre que l'égalisation des situations par la suppression de la discrimination, le choix des moyens lui appartenant, comme nous l'avons relevé ci-dessus ( 13 ).

14. 

En conclusion, nous vous proposons de répondre aux deux questions d'interprétation renvoyées par le Landessozialgericht de Hambourg de la manière suivante:

1.

Il n'est pas contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 de réserver aux mères le bénéfice d'un congé professionnel complétant le congé obligatoire postnatal, dès lors qu'un tel congé constitue une mesure protectrice de la femme au sens de l'article 2, paragraphe 3, de la directive précitée.

2.

Subsidiairement, les articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales à ľencontre de l'État qui n'aurait pas respecté les obligations qu'ils lui imposent.


( 1 ) Voir notamment affaires 141 à 143/81, Holdijk, Recueil 1982, p. 1299, point 8.

( 2 ) Affaire 172/82, Syndicat national, arrêt du 10.3.1983, Recueil 1983, p. 555, point 8.

( 3 ) Affaire 166/73, Rheinmühlen, Recueil 1974, p. 33, attendu 2.

( 4 ) JO L 45 du 19.2.1975, p. 19.

( 5 ) JO L 6 du 10.1.1979, p. 24.

( 6 ) Affaire 149/77, Defrenne, Recueil 1978, p. 1365, attendus 24 à 29.

( 7 ) JO C 333 du 9.12.1983, p. 6.

( 8 ) Arrêt du 8.11.1983, Recueil 1983, p. 3431, points 17 à 20.

( 9 ) Affaire 8/81, Becker, Recueil 1982, p. 53, attendus 17 à 19.

( 10 ) Affaire 102/79, Commission/Belgique, Recueil 1980, p. 1473, point 12.

( 11 ) Affaire 8/81, précitée, points 20 à 25 et, dernièrement, affaire 301/82, SA Clin-Midy, arrêt du 26.1.1984, Recueil 1984, p. 251, point 4.

( 12 ) Affaire 14/83, von Colson-Kamann, arrêt du 10.4.1984, Recueil 1984, p. 1891, et affaire 79/83, Harz, arrêt du 10.4.1984, p. 1921, point 22.

( 13 ) Point 8.

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