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Document 61973CC0154

Conclusions de l'avocat général Trabucchi présentées le 12 décembre 1973.
Kurt A. Becher contre Hauptzollamt Emden.
Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne.
Montants compensatoires des variations de taux de change.
Affaire 154-73.

Recueil de jurisprudence 1974 -00019

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1973:161

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 12 DÉCEMBRE 1973 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le «Finanzgericht» de Hambourg, s'adressant à la Cour dans le cadre de l'article 177 du traité CEE, au sujet de la perception de montants compensatoires sur les importations en provenance de pays tiers, effectuée en application des règlements no 974/71/CEE du Conseil (JO no L 106, p. 1) et du règlement no 2122/72/CEE de la Commission (JO no L 223, p. 1), pose en premier lieu une question relative à la validité du règlement no 974/71. Comme vous le savez, ce règlement, adopté sur la base de l'article 103 du traité CEE, concerne l'adoption de mesures de sauvegarde nationales visant à parer aux difficultés résultant pour le fonctionnement des marchés agricoles de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres. Le juge allemand doute que l'article 103 puisse constituer une base légale suffisante.

Dans les arrêts du 24 octobre 1973, rendus dans les affaires 5-73, Balkan; 9-73, Schlüter et 10-73, Rewe, vous avez déjà répondu à des questions identiques. Il n'existe pas de raisons de reconsidérer la question, étant donné que les motifs du «Finanzgericht» de Hambourg quant à la validité du règlement mentionné ne constituent rien de nouveau par rapport à ceux qui avaient été invoqués par les juridictions qui avaient soulevé le même problème dans les trois affaires citées.

En l'espèce, il s'agit de l'importation en république fédérale d'Allemagne, le 22 octobre 1971, d'une certaine quantité de blé tendre en provenance des États-Unis, effectuée le 22 octobre 1971. L'entreprise importatrice requérante dans l'affaire au principal estime que le montant compensatoire appliqué à cette occasion dépasse le niveau prévu par les dispositions de l'atricle 2, paragraphe 1, du règlement no 974/71. Se référant à ce moyen de recours invoqué par la requérante, le «Finanzgericht» de Hambourg demande, par sa deuxième question «si le montant compensatoire fixé à 19,20 DM la tonne par la Commission de la CEE à l'annexe I du règlement no 2122/72 du 1er octobre 1971 (JO no L 223, p. 3) pour les importations de blé tendre en provenance des pays tiers était conforme, à l'époque des importations, aux conditions fixées à l'article 2 du règlement (CEE) no 974/71». Le paragraphe 1 de cette disposition établit que :

«Pour les produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues, les montants compensatoires sont égaux aux montants obtenus en appliquant aux prix le pourcentage représentant l'écart entre :

la parité de la monnaie nationale de l'État membre en cause déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnu par celui-ci, d'une part,

et

la moyenne arithmétique des cours de change au comptant au cours d'une période à déterminer de cette monnaie par rapport au dollar des États-Unis d'Amérique, d'autre part».

A l'époque qui entre en considération ici, l'écrat entre la parité officielle du mark allemand et les cours de change relevés entre cette monnaie et le dollar des États-Unis d'Amérique était de 9,4 %. La requérante dans l'affaire au principal soutient que ce taux aurait été appliqué à un prix de référence erroné. La Commission s'est basée sur un prix de 204,30 DM la tonne du produit en question, alors que le prix caf en vigueur à la date de l'importation pour le calcul du prélèvement était de 193,30 DM la tonne. Cette base de calcul erronée aurait pour effet que le montant compensatoire de 19,20 DM la tonne de blé tendre, établi par le règlement de la Commission no 2122/72, serait de 1,05 DM plus élevé qu'il ne doit.

La Commission ne conteste pas que le prix caf du produit en question, qui avait été retenu pour le prélèvement (légèrement inférieur au prix caf effectif de 194,90 DM), était à l'époque inférieur de plus de 11 DM la tonne au prix sur lequel elle s'était basée pour fixer la somme de 19,20 DM comme montant compensatoire pour les importations en Allemagne de blé tendre en provenance des pays tiers pendant la période considérée. A la différence de la requérante dans l'affaire au principal, la Commission estime cependant que le prix auquel se réfère la disposition citée de l'article 2 du règlement no 974/71 n'est pas nécessairement le prix caf retenu (à l'intérieur d'une marge d'écart de 0,60 UC par rapport au prix caf effectif) pour le calcul du prélèvement. La Commission conteste même que cette disposition du règlement no 974/71 doive nécessairement se référer à un prix caf. D'ailleurs, à partir du mois de mars de cette année, elle se base, pour le calcul des montants compensatoires, sur le prix d'intervention, avec, toutefois, les correctifs nécessaires (voir article 5, paragraphe 3, b), du règlement no 648/73 de la Commission, JO no L 64, p. 1).

Dans la période qui entre en considération ici, la Commission avait cependant pour pratique de se baser en principe sur le prix caf. Mais les exigences relatives à l'application du mécanisme des montants compensatoires déconseillaient le rigorisme dont s'inspire la méthode de calcul du prélèvement. Il fallait une méthode qui corresponde aux exigences de l'activité administrative et qui assure en même temps une certaine stabilité du niveau des montants, dans l'intérêt du commerce lui-même. A cet égard, la Commission a souligné que, dans le système des compensations, il n'existe aucune possibilité de fixation préventive que l'on trouve, en revanche, dans le secteur des prélèvements. La Commission a également fait ressortir que le système compensatoire concerne aussi les restitutions à l'exportation et que, à cet égard, le rigorisme dont on fait preuve pour l'autre calcul n'a pas de raison d'être. En outre, il existe une différence importante entre les effets de l'application du système de compensation monétaire et les effets du prélèvement. Dans le premier cas, plus les prix caf sur lesquels on se base sont bas, plus le montant compensatoire sera lui aussi plus limité, du moment qu'il est calculé en pourcentage du prix caf. En revanche, le phénomène inverse se produit pour le second. Cela montre que la référence au prix caf dans l'un ou l'autre système a des conséquences différentes.

De ces remarques, la Commission conclut qu'il n'est pas possible de transférer purement et simplement les méthodes appliquées pour le calcul du prélèvement au calcul du montant compensatoire monétaire.

Puisque les prix caf sont sujets à des variations continuelles, pour éviter de devoir adapter presque quotidiennement les montants compensatoires, la Commission a estimé opportun, en définissant les règles d'application du règlement no 974/71, de calculer un prix caf moyen en se basant sur une période de référence d'une semaine correspondant à celle retenue pour la fixation des cours moyens de change (voir les règlements de la Commission no 1013/71, JO no L 110, p. 8; et no 1871/71, JO no L 195, p. 1). Dans l'application pratique, la Commission s'est ensuite fondée en principe sur le critère consistant à modifier le prix caf moyen retenu comme base de calcul du montant, uniquement dans le cas où il se produit une variation de 10 % ou plus vers le haut ou vers le bas. De cette manière, on a voulu assurer une certaine stabilité par un mécanisme qui évitait des complications excessives sur le plan de l'activité administrative.

D'autre part, la requérante dans l'affaire au principal se réfère au dernier considérant du règlement no 974/71, selon lequel : «les montants à instaurer doivent être limités aux montants strictement nécessaires pour compenser l'incidence des mesures monétaires sur les prix des produits de base pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues».

Selon la requérante, la marge de 10 % établie par la Commission serait excessivement large par rapport à l'exigence générale posée par ce considérant. La fixation du montant compensatoire à un niveau trop élevé constituerait également une violation de l'article 110 du traité CEE.

Nous écartons tout d'abord l'exception d'invalidité pour violation de l'article 110 du traité, exception d'ailleurs non motivée, parce que nous ne voyons pas comment la fixation d'un critère forfaitaire de ce genre peut être interdite par une règle qui, comme l'article 110, se limite à donner acte de l'intention des États membres de contribuer, conformément à l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières. Il ne nous paraît pas douteux que l'adoption d'un critère forfaitaire pour le calcul du prix auquel il faut appliquer le pourcentage d'écart monétaire visé à l'article 2 du règlement no 974/71 réponde à des exigences d'ordre pratique dont l'importance ne peut pas être négligée en cette matière. Un système forfaitaire est également employé parallèlement pour déterminer les cours de change au comptant auxquels se réfère cette disposition; sur ce dernier point, la requérante dans l'affaire au principal n'a émis aucune contestation de validité.

Si l'on veut se baser sur le prix caf, l'unique alternative à une méthode forfaitaire aurait consisté à se fonder sur le prix effectif du produit, établi dans chaque contrat particulier. L'idée d'adhérer davantage à la réalité qui aurait pu motiver le choix de cette méthode devrait pourtant conduire, de façon cohérente, à retenir également le cours effectif des changes appliqué à cette transaction. Il est inutile de souligner les difficultés pratiques que ces constatations auraient comportées ainsi que les risques de fraudes; avec la possibilité, par conséquent, de compromettre la souplesse et l'efficience du système.

Les arguments que la Commission fait valoir pour exclure une transposition mécanique de critères de calcul appliqués, en fonction du prélèvement, à la matière du montant compensatoire considéré ici, nous paraissent pertinents. D'ailleurs la Cour a reconnu, dans les arrêts mentionnés 5-73, 9-73 et 10-73 qu'il était légitime d'adopter, pour le calcul des montants compensatoires, une méthode simplifiée par rapport au système de calcul du prélèvement.

Si l'on admet que la Commission disposait d'une certaine marge de pouvoir discrétionnaire pour la définition des critères de calcul du prix visé à l'article 2 du règlement no 974/71, on peut donc estimer également qu'elle pouvait se baser sur un critère forfaitaire d'application pratique et que le critère forfaitaire choisi à partir du prix caf moyen, déterminé chaque semaine parallèlement au cours moyen des changes, ne paraît pas être, dans son principe, contraire à des règles normatives. La question se ramène alors à voir si la marge d'écart de 10 % retenue comme autre garantie de stabilité n'est pas susceptible de dépasser la marge de pouvoir discrétionnaire à l'intérieur de laquelle la Commission pouvait effectuer ses choix.

Ainsi posée, la question apparaît extrêmement simple mais aussi très délicate. Il est certain que la Cour ne peut pas se placer sur le plan de l'opportunité, mais qu'elle doit seulement examiner si la manière dont la Commission a fait usage du pouvoir discrétionnaire que lui confère le règlement no 974/71 du Conseil constitue un excès de pouvoir. Les éléments importants pour cette évaluation sont les exigences pratiques que la Commission a fait valoir tant en ce qui concerne l'action administrative qu'en ce qui touche une certaine stabilité pour le commerce, qui, en l'absence d'une fixation à l'avance du genre de celle prévue pour le prélèvement, pouvait être réalisée en fixant précisément une marge d'écart pas trop réduite, à l'intérieur de laquelle le prix de base pour le calcul du montant lui-même serait resté inchangé; et d'autre part, il y a le critère général auquel le législateur communautaire s'est référé dans le dernier considérant du règlement no 974/71 et qui consiste à limiter les montants compensatoires à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre le but poursuivi par ce règlement.

Nous estimons que, compte tenu du contexte limité dans lequel la Cour doit, dans le cadre de la présente procédure, considérer la question de la validité du montant compensatoire en cause, elle ne peut voir un vice de légalité dans la méthode de fixation des montants compensatoires suivie par la Commission que dans le cas où le critère quantitatif retenu par cette dernière dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'application du règlement du Conseil, au moyen de la procédure des comités de gestion, apparaît nettement incompatible avec cette limite. Il est opportun de rappeler à cet égard que l'écart de 10 % vaut dans les deux sens, et que s'il peut donc désavantager l'importateur dans le cas de diminution du prix caf effectivement pratiqué, il l'avantage, par contre, lorsque le prix caf moyen, relevé sur le marché et retenu comme base de calcul, augmente par la suite dans une mesure inférieure à 10 %. Cela permet d'affirmer que la règle suivie est de nature à garantir effectivement une certaine stabilité des montants compensatoires dans les limites permises par la matière et les conditions du marché, en évitant d'autres complications à l'administration dans l'accomplissement de ses tâches déjà complexes, sans être nullement aménagée dans une idée d'hostilité envers l'importateur. Au contraire, elle apparaît inspirée d'un critère équitable qui permet de tenir compte d'exigences objectives de l'activité administrative et de l'intérêt général du commerce. Dans cette perspective, la limite générale exprimée dans le dernier considérant, déjà mentionné du règlement no 974/71 n'est pas violée.

Aurait-il été possible de faire fonctionner également le système des montants compensatoires en fixant une marge inférieure à 10 % ? On ne peut pas l'exclure; mais on entrerait ici dans un domaine d'appréciations d'opportunité qui échappent à la compétence de la Cour. Il ne s'agit pas ici de voir si la Commission aurait pu faire mieux que ce qu'elle a fait, mais seulement de contrôler si ce qu'elle a fait ne présente pas un vice de légalité, pour les motifs indiqués par le juge national.

Le critère de l'écart de 10 % appliqué en principe pour déterminer l'apparition d'un changement important par rapport au prix caf fixé précédemment pourrait éventuellement prêter à critique non pas tellement pour le motif indiqué par la requérante dans l'affaire au principal, qui aurait souhaité que l'on adhère davantage à la réalité des prix effectivement pratiqués sur le marché national, mais plutôt dans le cas où il en serait résulté une transparence suffisante du système; d'autant plus que, semble-t-il, les exceptions n'ont pas manqué dans l'application pratique de ce critère qui d'ailleurs n'a été fixé dans aucun texte normatif. Une absence éventuelle de transparence pourrait être considérée comme peu conforme à un principe général de bonne administration et à l'exigence invoquée de sécurité pour le commerce. Une fois qu'il est apparu que le système, que l'on avait dû établir d'urgence et donc d'une manière nécessairement imparfaite, était destiné à subsister plus longtemps que prévu, il aurait peut-être été souhaitable que les critères d'application suivis aient été mieux définis et publiés.

D'autre part, nous n'ignorons pas non plus que dans la pratique l'application du système des montants compensatoires monétaires a posé et continue de poser des problèmes extrêmement compliqués à la Commission qui se trouve souvent placée devant des situations particulières, pour lesquelles on ne peut pas exclure qu'il soit opportun, dans l'intérêt d'un traitement équitable des opérateurs, que les organes chargés d'appliquer ce mécanisme complexe disposent d'une large marge de pouvoir discrétionnaire.

Les remarques critiques exposées ci-dessus, qui se situent dans la zone incertaine qui s'étend entre la sphère discrétionnaire de l'administration et les secteurs régis par des règles impératives précises, ne modifient donc pas la réponse à donner à la question susmentionnée du «Finanzgericht» de Hambourg qui concerne exclusivement la légalité du montant compensatoire fixé par le règlement no 2122/71 pour le blé tendre et non pas l'appréciation globale du comportement de la Commission dans l'application de la réglementation de base.

Ainsi qu'il ressort de nos observations relatives au point particulier qui fait l'objet de la deuxième question du juge allemand, les vices invoqués ne paraissent pas de nature à affecter la validité de la méthode suivie par la Commission pour estimer que, au cours de la période considérée, le montant compensatoire de 19,20 DM la tonne, fixé par le règlement no 2122/71, du 1er octobre 1971, était applicable aux importations en Allemagne de blé tendre en provenance des pays tiers.

C'est en ce sens que nous vous proposons de répondre au juge national, et cela rend superflu l'examen de la troisième question.


( 1 ) Traduit de l'italien.

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