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Document 61972CC0029

Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 21 novembre 1972.
S.p.A. Marimex contre Administration italienne des finances.
Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Trento - Italie.
Contrôles sanitaires.
Affaire 29-72.

Recueil de jurisprudence 1972 -01309

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1972:102

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 21 NOVEMBRE 1972 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les 26 juillet et 17 septembre 1971, successivement, la société par actions Marimex, dont le siège est à Milan, a importé d'Allemagne par le col du Brenner, un lot de viande bovine réfrigérée et des animaux vivants de l'espèce bovine. Au poste frontière, les viandes et les animaux vivants ont été soumis à un contrôle sanitaire effectué par un vétérinaire de l'État. Pour ce contrôle, la société importatrice a été tenue de payer au bureau des douanes la taxe sanitaire prévue par l'article 32 du «Testo unico» de la loi du 27 juillet 1934 relative à la police sanitaire (complétée par la loi du 30 décembre 1970). Cette taxe s'est élevée dans le premier cas à 10 Lit. par kilo de viande et, dans le deuxième, à 1000 Lit. par animal importé.

L'entreprise Marimex estime que cette taxe est illicite. Celle-ci constitue, selon elle, un taxe d'effet équivalant à un droit de douane, donc une taxe dont la perception est interdite aux termes de l'article 9 du traité et — en tant que le commerce intérieur de la Communauté en animaux de l'espèce bovine et en viande bovine se trouve en cause — par l'article 22 du règlement (CEE) no 805/68 du Conseil, relatif à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine. L'entreprise Marimex estime en outre que les dispositions précitées sont des textes directement applicables qui engendrent pour les justiciables des droits individuels et elle demande en conséquence au président du «tribunale» de Trente d'enjoindre à l'administration des finances italienne, en la personne du ministre en fonction pro tempore, de lui rembourser les sommes qu'elle lui a payées au titre du contrôle sanitaire dont il s'agit.

Par ordonnance du 17 mai 1972, le président du «tribunale» de Trente a sursis à statuer eu égard aux problèmes que soulevait l'application du droit communautaire et, conformément à l'article 177 du traité de la CEE, il vous a invités à vous prononcer à titre préjudiciel sur la question suivante :

«Une charge pécuniaire, appliquée par l'État italien pour des raisons de contrôle sanitaire des animaux vivants de l'espèce bovine et des viandes de l'espèce bovine au moment de leur passage par la frontière, doit-elle être considérée comme une taxe d'effet équivalant à des droits de douane au sens de l'article 22, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 805/68, et cela nonobstant le fait que les marchandises correspondantes, produites sur le territoire de l'État italien, se voient appliquer une charge pécuniaire qui est a) perçue par les entités autres que l'État et b) déterminée selon des critères de calcul qui ne sont pas comparables aux critères servant à déterminer le montant de la charge pécuniaire grevant les animaux vivants et les viandes de l'espèce bovine importés ?»

C'est sur cette question que nous allons vous exprimer notre point de vue, après avoir pris connaissance des arguments — donnant partiellement lieu à controverse — de la demanderesse au principal, du gouvernement italien, du gouvernement néerlandais et de la Commission des Communautés européennes.

1. 

Une remarque s'impose cependant, à titre préliminaire, au sujet de la manière dont la juridiction italienne a formulé sa question préjudicielle.

Le libelle de la question montre à l'évidence que le juge national vous demande de qualifier la taxe de police sanitaire en litige. Vous ne sauriez naturellement aller aussi loin dans une procédure au sens de l'article 177. Dans une telle hypothèse, il vous faudrait en effet rattacher nécessairement le cas d'espèce à une règle de droit et, partant, faire application de celle-ci. En outre, tous les éléments d'appréciation nécessaires à cet effet ne sont pas établis avec une rigueur suffisante. Nous le montrerons bientôt dans le cadre de la présente procédure préjudicielle. Il vous est uniquement possible de donner de la notion de «taxes d'effet équivalant aux droits de douane» une interprétation abstraite, dans le cadre de laquelle vous avez évidemment à considérer les aspects particuliers du cas d'espèce, afin que l'interprétation se limite au nécessaire et soit utilisable pour la solution du procès principal. C'est au juge national qu'il appartiendra ensuite de résoudre définitivement le problème de qualification qui se pose en se servant à cet effet des critères que vous aurez dégagés. Les caractéristiques légales de la procédure de l'article 177 vous obligent donc à modifier les termes de la question qui pourrait être entendue, comme la Commission l'a proposé, en ce sens que le tribunal italien vous invite à préciser si une charge pécuniaire, appliquée par un État membre pour des raisons de contrôle sanitaire aux produits importés régis par le règlement (CEE) no 805/68 au moment où ces produits passent la frontière, doit être considérée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, et cela nonobstant le fait que des produits nationaux se voient appliquer également une charge pécuniaire, laquelle est toutefois perçue par d'autres autorités et déterminée par des critères qui ne sont pas comparables à ceux servant à fixer le montant de la taxe perçue à l'importation. Plus rien ne s'opposerait alors à la recevabilité de la question posée en ces termes.

2. 

Avant d'entamer la discussion juridique du problème qui vous est soumis aujourd'hui, nous préciserons encore que cette discussion peut se faire soit sur la base de l'article 9 du traité (disposition qui interdit toutes taxes d'effet équivalant aux droits de douane et qui est directement applicable depuis le 1er janvier 1970), soit sur celle de l'article 22 du règlement (CEE) no 805/58 (disposition qui interdit la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent dans le commerce intérieur de la Communauté en matière d'animaux de l'espèce bovine et de viande bovine). N'avez-vous pas affirmé en effet, Messieurs, que les auteurs des règlements agricoles ont simplement emprunté au traité la notion de taxes d'effet équivalant à des droits de douane et que cette notion ne revêt pas dans ces textes un sens différent de celui qu'elle possède dans le traité proprement dit? C'est ce que vous avez déclaré dans l'arrêt 24-68 (Recueil, 1969, p. 193) et votre jurisprudence n'a plus varié sur ce point depuis lors.

3. 

Passons maintenant à l'examen de la question qui vous est posée. Les observations qui vous ont été présentées en cours de procédure, nous amèneront tout d'abord à appeler votre attention sur l'article 36 du traité, en vertu duquel «les dispositions des articles 30 à 34 inclus ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale».

Cette disposition donne en effet à supposer que les contrôles sanitaires aux frontières intérieures de la Communauté sont encore licites aussi longtemps qu'une harmonisation complète des réglementations nationales fera défaut en la matière. Cela semble découler notamment de la directive du Conseil, du 26 juin 1964, relative à des problèmes de police sanitaire en matière d'échanges intracommunautaires d'animaux des espèces bovine et porcine ainsi que de la directive du Conseil, datée du même jour, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches. Nous nous référons à cet égard à l'article 6 de la première directive ainsi qu'à l'article 5 de la directive seconde nommée.

Cependant — disons-le tout de suite — nous ne sommes pas plus avancés pour autant dans notre appréciation de la licéité de la taxe de police sanitaire italienne qui nous intéresse en l'espèce.

Il semble notamment erroné d'argumenter comme le fait le gouvernement néerlandais qui soutient que les États membres sont libres de déterminer le mode de financement des contrôles sanitaires, puisque l'article 189 du traité laisse «aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens» pour la mise en œuvre des directives. Il est vain en effet de raisonner de cette manière, car les deux directives que nous venons de citer et sur lesquelles le gouvernement néerlandais base apparemment son agrumentation, ne prescrivent pas à l'État importateur d'effectuer des contrôles sanitaires et ne créent donc aucune obligation pour les États membres, mais prévoient une simple tolérance à l'égard de ces contrôles. Les deux directives ne contiennent rien, par conséquent, qui puisse nous permettre d'apprécier la licéité des taxes de police sanitaire dont il s'agit en l'espèce.

Un autre point important, c'est le fait, Messieurs, que vous avez développé avec clarté des règles d'interprétation strictes pour déterminer le champ d'application de l'article 36 du traité. Nous pouvons ainsi déduire de votre arrêt 7-68 (Recueil, 1968, p. 627 et 628) que, relevant du chapitre relatif à l'élimination des restrictions quantitatives entre les États membres, l'article 36 du traité vise exclusivement les mesures ayant le caractère de prohibitions d'importation, d'exportation ou de transit. Ces interdictions, avez-vous affirmé, se distinguent nettement par leur nature des droits de douane et des taxes assimilées. Quant aux exceptions à la règle fondamentale de l'élimination de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises entre les États membres, vous avez décidé qu'elles sont d'interprétation stricte. Les exceptions visées à l'article 36 ne pourraient donc pas être étendues à des mesures qui ne relèvent pas du chapitre du traité relatif à l'élimination des restrictions quantitatives entre les États membres. Le champ d'application de l'article 36, avez-vous affirmé explicitement, n'inclut pas les droits de douane et taxes d'effet équivalent. Le simple fait que cette disposition n'exclut pas l'exécution de contrôles sanitaires aux frontières intérieures de la Communauté ne nous autorise donc pas à conclure que les taxes perçues à l'occasion de tels contrôles sont licites.

Enfin, la Commission l'a montre, c'est vainement aussi que l'on soutiendrait que les taxes de police sanitaire représentent un élément essentiel de la réglementation sur la mise en œuvre des contrôles de police sanitaire et qu'elles participent de ce fait de la nature même de ces contrôles. Il est exact, certes, que ces taxes servent à financer les contrôles sanitaires, mais on ne saurait sans nul doute prétendre que l'exécution des contrôles serait impossible sans la perception de taxes.

Il est certain, des lors, que l'existence de la taxe litigieuse ne saurait se justifier sur la base de l'article 36; autrement dit, si cette taxe constitue une «taxe d'effet équivalant à un droit de douane», on ne saurait invoquer l'article 36 du traité pour paralyser l'interdiction de l'article 9 du traité et l'interdiction concomitante du règlement (CEE) no 805/68.

4. 

Pour poursuivre notre examen de la question de savoir comment la notion de «taxe d'effet équivalant à des droits de douane» doit se définir au regard des particularités du litige principal, nous devrons nous inspirer au premier chef de la jurisprudence actuelle de la Cour dans le domaine qui nous intéresse en l'espèce.

Selon celle-ci, il convient de définir la notion dont s'agit en fonction de l'objectif fondamental de la Communauté de veiller à garantir la libre circulation des marchandises. La porté de l'interdiction de percevoir des droits de douane et des taxes d'effet équivalant à des droits de douane dans les échanges intracommunautaires et la nécessité d'une application sans faille de cette interdiction nous imposent par conséquent de définir la notion en termes larges. Nous dirons donc qu'il y a application de taxes d'effet équivalant à des droits de douane, dès lors que des marchandises importées sont grevées unilatéralement de charges financières par un État membre du fait du franchissement de la frontière, et cela indépendamment du but en vue duquel ces charges ont été créées et de l'utilisation des recettes qu'elles procurent. Vous avez souligné par ailleurs que la dénomination et la nature du prélèvement financier et la méthode selon laquelle il est appliqué sont sans importance; qu'il importe peu que celui-ci soit opéré au profit de l'État et qu'il ait des effets discriminatoires ou protectionnistes. Rappelons notamment à cet égard les arrêts que vous avez rendus dans l'affaire 23-68 ainsi que dans les affaires jointes 2 et 3-69. Suivant la jurisprudence de la Cour, il faut donc en substance pour qu'une taxe soit d'effet équivalant à des droits de douane, qu'elle soit perçue en raison du franchissement de la frontière et que le passage de la frontière soit la cause déterminante du prélèvement.

a)

Le gouvernement italien soutient cependant que les taxes de police sanitaire sont perçues pour d'autres motifs. A la vérité, affirme-t-il, ces taxes doivent être considérées comme représentant la contrepartie de services rendus par l'administration et, partant, exclues du domaine des taxes d'effet équivalant à des droits de douane.

Cette argumentation se fonde, elle aussi, sur votre jurisprudence. N'avez-vous pas, Messieurs, exprimé en effet à plusieurs reprises l'idée que la notion de taxes d'effet équivalent à des droits de douane doit souffrir la limitation que nous avons déjà indiquée et en vertu de laquelle ne constituent pas des taxes de cette nature les prélèvements représentant la juste contrepartie de services effectivement fournis par les pouvoirs publics? Nous songeons notamment ici à la affaire 24-68 (Recueil, 1969, p. 193) ainsi qu'aux affaires jointes 2 et 3-69 (Recueil, 1969, p. 211).

Voyons donc ce qu'il en est de cette jurisprudence et ce qui peut en être déduit pour la solution des problèmes soulevés dans le cadre du procès principal. Une évidence qui s'impose à nous, c'est notamment le fait qu'en application de la règle fondamentale en vertu de laquelle toute exception à l'interdiction d'appliquer des droits de douane et des taxes d'effet équivalant aux droits de douane est d'interprétation stricte et que, contrairement à certaines idées que nous avions développées dans le cadre des affaires jointes 52 et 55-65 (Recueil, 1966, p. 228), vous avez assigné des limites extrêment étroites à la notion de «contrepartie de services rendus par l'administration». Vous avez affirmé notamment qu'on ne saurait considérer qu'il y a prestation de la part de l'administration, lorsque l'ensemble de la vie économique tire avantage de l'intervention de celle-ci; qu'il faut au contraire qu'un avantage pour les produits importés eux-mêmes puisse se constater sur le marché et que la contrepartie forunie par l'administré doit être proportionnée à cet avantage et non pas aux frais effectivement exposés par l'administration; qu'on ne saurait recourir à l'idée d'une contrepartie à fournir par l'administré, dès lors que l'avantage que celui-ci tire de l'intervention des pouvoirs publics est seulement de caractère général et d'appréciation malaisée.

A la lumière de ces principes, il apparaît qu'il est extrêmement douteux que la taxe de police sanitaire du droit italien constitue réellement la contrepartie d'un service rendu par l'administration et, partant, qu'elle puisse être ainsi exclue du domaine des taxes d'effet équivalant à des droits de douane. Il est certain en effet que les importateurs ne sauraient tirer aucun avantage particulier de la possibilité de mettre les marchandises sur le marché après exécution des contrôles sanitaires et perception des redevances exigibles de ce fait.

Vous l'avez déjà affirmé dans les arrêts 52 et 55-65. En réalité, la possibilité de commercialiser librement des marchandises importées après constatation qu'elles remplissent les conditions légales constitue plutôt un automatisme, un droit découlant du traité. Par ailleurs, la réalisation de la liberté des échanges commerciaux n'est-elle pas d'intérêt public? Dès lors que l'intérêt général se trouve en jeu (comme c'est indubitablement le cas — le gouvernement italien l'admet lui-même — dans l'hypothèse de contrôles de police sanitaire opérés à la frontière), il convient de se demander notamment si cet intérêt général n'est pas, en réalité, prédominant et si l'intérêt particulier des importateurs ne doit pas lui être subordonné, c'est-à-dire n'est pas accessoire. Il semble que tel soit effectivement le cas en l'espèce. Il est absolument indéniable en effet que les importateurs n'ont guère d'intérêt personnel à l'exercice de contrôles sanitaires et de contrôles de qualité effectués à la frontière, donc parfois à une distance importante du lieu de destination de la marchandise. D'autre part, il est vraiment douteux qu'on puisse parler d'un avantage concrètement appréciable qui consisterait, aux dires du gouvernement italien, dans le fait qu'il est certifié après exécution des contrôles que les marchandises sont saines et de bonne qualité. Ce qui est essentiel ici, c'est le fait que les directives que nous avons citées plus haut imposent à l'État exportateur de veiller à ce que les produits destinés aux échanges communautaires remplissent certaines conditions et le fait qu'une attestation, établie après examen vétérinaire de la marchandise, accompagne celle-ci jusqu'à son lieu de destination. Il faut en conclure que les contrôles frontaliers ne sont que des opérations sommaires et non des actes qui confèrent une plus-value appréciable aux marchandises qui en font l'objet et améliorent leurs conditions de commercialisation. Enfin, il ne semble pas non plus que les contrôles effectués à la frontière rendent superflus d'autres contrôles effectués à l'intérieur du pays, auxquels les produits du genre dont il s'agit en l'espèce sont généralement assujettis (circonstance qui pourrait évidemment représenter un avantage matériel). Si nous comprenons bien — et il appartient évidemment au juge national d'examiner encore soigneusement ce point —, toutes les marchandises visées par les réglementations dont il s'agit en l'espèce sont soumises aux contrôles intérieurs sans distinction et sans égard à leur provenance (par exemple avant et après l'abattage ainsi que dans d'autres circonstances).. Nous en concluons, compte tenu des critères à la lumière desquels il faut, selon votre jurisprudence, apprécier des faits du genre de ceux de l'espèce, qu'il serait malaisé de se rallier à l'idée que la taxe de police sanitaire italienne constitue la contrepartie d'un service rendu par l'administration et ne saurait dès lors être qualifiée de taxe d'effet équivalant à des droits de douane.

b)

L'idée que la taxe de police sanitaire est une taxe d'effet équivalant à des droits de douane pourrait évidemment aussi se révéler erronée dans l'hypothèse où cette taxation tomberait sous le coup de l'article 95 du traité, c'est-à-dire de la disposition en vertu de laquelle «aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires». Votre jurisprudence a également fait toute clarté à ce sujet. Dans l'affaire 24-68 et dans les affaires jointes 2 et 3-69, vous avez souligné en effet que la notion de taxe d'effet équivalent ne comprend pas les impositions frappant de la même manière, à l'intérieur de l'État, les produits nationaux similaires ou comparables ou entrant dans le cadre d'une imposition intérieure générale ou ayant pour but de compenser de telles impositions intérieures. Nous en venons ainsi à la partie de la question préjudicielle où il est dit que des marchandises correspondantes produites sur le territoire de l'État italien se voient également appliquer une charge pécuniaire, charge qui est toutefois imposée par des entités autres que l'État et déterminée selon des critères de calcul qui ne sont pas comparables aux critères servant à fixer le montant des impositions grevant l'importation d'animaux vivants de l'espèce bovine et de viande bovine. Il est clair, après tout ce qui a été dit dans le cadre de la procédure, qu'il s'agit ici de la partie sans doute la plus délicate de l'examen qu'il nous incombe d'effectuer dans la présente espèce.

Deux points importants ne présentent aucune difficulté. Tout d'abord, il est sans importance que les impositions que nous avons à comparer aboutissent entre les mains de bénéficiaires différents (l'État d'une part, les communes de l'autre) et qu'elles soient prévues par des réglementations distinctes. De telles nuances ne sauraient en effet jouer aucun rôle dans l'application de l'article 95: pour cette disposition, c'est en effet l'incidence fiscale qui importe; quant aux modalités de perception de l'imposition, elles sont en principe d'importance négligeable. — Ensuite, et contrairement à l'opinion de la demanderesse au principal, l'article 95 n'est pas seulement applicable à des dispositions de caractère purement fiscal, donc à des réglementations qui visent à procurer aux pouvoirs publics des revenus destinés à financer d'une manière générale les tâches qu'ils ont pour mission de mener à bien et dans lesquelles il est impossible de découvrir un avantage pour l'assujetti. Avec la Commission, il faut supposer au contraire que l'article 95 revêt une portée générale (comme il résulte d'ailleurs de l'emploi des mots «impositions intérieures de quelque nature qu'elles soient» dont s'est servi le législateur communautaire) et qu'il ne faut donc pas l'interpréter de manière restrictive à peine de laisser subsister des lacunes dans le «système» du traité. La dénomination d'une imposition est par conséquent sans importance (dans le cas d'espèce, nous songeons par exemple à la circonstance, invoquée par la demanderesse au principal, que la taxe dont s'agit est qualifiée de «parafiscale» dans le projet de budget de l'État italien) et il n'est nullement impensable dans ces conditions que les taxes italiennes en matière de police sanitaire soient également visées par l'article 95.

Nous savons que telle est en effet la ferme conviction du gouvernement italien. Celui-ci se réfère aux nombreux contrôles similaires qui sont effectués à l'intérieur du pays en matière de police sanitaire par des vétérinaires communaux et qui donnent également lieu à la perception d'impositions. Même s'il s'agit ici d'une réglementation complexe, rendant difficile toute comparaison, le gouvernement italien estime qu'il existe néanmoins ici une similarité suffisante au sens de l'article 95. En vérité, soutient-il, il suffit pour que l'article 95 soit applicable qu'il soit possible d'établir une congruence structurelle, une certaine équivalence, une analogie se limitant à l'essentiel; il importe seulement, selon lui, que le contrôle sanitaire à la frontière et les impositions perçues à cette occasion s'intègrent dans un système général de surveillance sanitaire.

Cette conception fondamentale est-elle réellement défendable? Voilà la question que nous vous attacherons maintenant à examiner. Anticipant sur le résultat de notre analyse, nous dirons que cette position ne nous paraît guère admissible. La thèse du gouvernement italien se heurte en effet à de sérieuses objections et tel est aussi le cas dans le contexte de la présente affaire.

Ce qui importe avant tout, selon nous, c'est le fait que l'article 95 interdit toute discrimination au détriment des marchandises importées. Son application oblige donc à effectuer des comparaisons, ce qui implique évidemment que les impositions qu'il vise soient clairement comparables. D'ailleurs, Messieurs, votre jurisprudence abonde, elle aussi, dans ce sens puisqu'elle souligne que l'application de l'article 95 exige que des produits nationaux soient frappés de la même manière ou que les taxes perçues à la frontière aient pour objet de compenser des impositions intérieures (ce qui doit naturellement être vérifié minutieusement). De surcroît, vous avez déjà souligné très tôt que l'article 95 ne peut pas être appliqué à toute forme d'imposition au point de permettre une compensation quelconque entre une imposition créée pour frapper des produits importés et des impositions de nature différente pesant sur des produits intérieurs similaires (affaires jointes 2 et 3-62, Recueil, 1962, p. 829). Il semble dès lors que c'est avec raison que la Commission et la demanderesse au principal soutiennent l'une et l'autre qu'une relation générale de caractère structurel entre les impositions à comparer ne saurait suffir, mais qu'il faut au contraire qu'il existe entre celles-ci une similarité exacte; ce qui signifie dans le cas d'espèce que les divers contrôles sanitaires doivent avoir un objectif analogue et que les critères de calcul servant à déterminer le montant de l'imposition doivent être comparables. Tel est, en effet, le seul moyen d'éviter que la perception d'impositions au sens de l'article 95 ne limite dans son étendue le principe de la libre circulation des marchandises, qui est fondamental dans l'optique du traité, et cela sans qu'il soit possible d'exercer un contrôle communautaire suffisant.

Mais si l'application de l'article 95 est soumise à des conditions aussi strictes, il est plus que douteux que cette dispositions englobe la taxe faisant l'objet du procès principal. Peut-être cette affirmation doit-elle être nuancée en ce qui concerne le contrôle sanitaire de la viande, ce qu'il appartient évidemment à la juridiction demanderesse d'examiner de plus près. Il se pourrait en effet qu'il existe dans ce domaine une similarité du genre de celle dont nous venons de parler, si les contrôles intérieurs italiens effectués aux lieux de provenance et de destination présentant une certaine équivalence avec les contrôles sanitaires effectués à la frontière. En ce cas, il faudrait sans doute se borner à rechercher si les marchandises importées ne font pas l'objet d'une double imposition, c'est-à-dire si l'interdiction de discriminations édictées par l'article 95 est respectée.

La situation semble se présenter autrement, en revanche, pour le contrôle des animaux vivants. Ce que nous avons appris dans le cours de la procédure ne nous permet guère de supposer que le contrôle sommaire et général, effectué à la frontière en application des dispositions des directives précitées, et les redevances fixes, prévues à cet effet, trouvent leur correspondant exact dans les contrôles effectués à l'intérieur du pays et dans les taxes qui leur sont concomitantes. Il se peut en effet qu'il ne faille pas seulement supposer que le bétail importé est également soumis en sus aux contrôles intérieurs italiens lorsque les conditions pour le faire sont remplies et qu'il y ait de ce fait double imposition. Il paraît certain, en outre, que le but et la structure des contrôles frontaliers ne sont pas comparables à ceux des nombreux examens effectués à l'intérieur du pays (nous songeons ici par exemple aux examens effectués avant et après l'abattage, aux contrôles sporadiques auxquels sont soumises les entreprises en tant que telles — points de vente, abattoirs, moyens de transport —, aux contrôles effectués pour des raisons particulières, par exemple, en cas des transport de bétail provenant de régions frappées d'épizootie ou destiné à ces régions ou encore aux contrôles occasionnels des animaux destinés à la production de lait ou à l'élevage). Enfin, les modes de perception des redevances ne sont pas non plus comparables, parce que les redevances fixes perçues à l'occasion du contrôle effectué à la frontière correspondent à des redevances intérieures italiennes déterminées selon des critères de calcul différents et présentant entre elles des différences locales. Nous nous référons à ce sujet à l'article 61 du «Testo unico» des lois sur la police sanitaire ainsi qu'aux considérations de fait approfondies que les parties à l'instance ont émises à ce sujet et qu'il appartient au juge demandeur d'exploiter aux fins de sa décision.

On acquiert l'impression que les impositions perçues par le gouvernement italien en matière de police sanitaire — ou du moins la plus grande partie d'entre elles — ne peuvent pas être rattachées à l'article 95 du traité, parce que les critères déterminant leur perception ne sont pas comparables et que, dans la mesure où il n'y a pas lieu à application de cette disposition, ces impositions doivent donc être considérées comme des taxes d'effet équivalant à des droits de douane.

5. 

Nous vous proposons dès lors de répondre comme suit à la question qui vous est posée par le «tribunale» de Trente :

Lorsqu'un État membre perçoit des redevances au titre de contrôles sanitaires effectués à la frontière de marchandises visées par le règlement (CEE) no 805/68, ces redevances ne représentent pas la contrepartie de services rendus par l'administration, dès lors que les contrôles sont principalement opérés dans l'intérêt général et que les marchandises importées n'en tirent pas un avantage mesurable, correspondant au montant de la redevance. Elles constituent plutôt des taxes d'effet équivalant à des droits de douane au sens de l'article 9 du traité de la CEE et de l'article 22 du règlement (CEE) no 805/68, à moins que les produits intérieurs similaires soient frappés, au titre de contrôles de police sanitaire intérieurs, d'impositions déterminées selon des critères de calcul comparables, analogues par leur but aux contrôles exercés à la frontière et frappant exclusivement la production nationale, auquel cas il y a lieu d'appliquer l'article 95 du traité de la CEE, donc d'examiner s'il y a discrimination, sans égard au fait que les impositions perçues sur les marchandises importées le sont par des autorités autres que celles qui perçoivent les redevances dues au titre des contrôles de police sanitaire nationaux.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

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