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Document 61967CC0012

Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 8 novembre 1967.
Jules Guissart contre Etat belge.
Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.
Affaire 12-67.

édition spéciale anglaise 1967 00551

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1967:35

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 8 novembre 1967 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Dans la procédure de renvoi 12-67 dont nous avons été saisis par le Conseil d'État belge, la Cour devra également interpréter les règlements du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants. Il s'agit cette fois des faits suivants.

Le demandeur dans le litige devant la juridiction nationale a été employé au Luxembourg et en Belgique. Il a accompli dans ces pays des périodes d'assurance de 216 mois (= 18 années) et 145 mois (= 12 années et 1 mois) respectivement, c'est-à-dire au total 361 mois ou 30 années et 1 mois. Agé de 65 ans, et ayant cessé son activité, il a introduit, le 1er juillet 1961, une demande de pension auprès de l'institution d'assurance du lieu de sa résidence en Belgique. Cette demande a abouti au calcul d'un prorata belge et d'un prorata luxembourgeois conformément à l'article 28, paragraphe 1, alinéa b, du règlement no 3. Pour le Luxembourg, le résultat a été la fixation d'une pension sur la base de la fraction Formula, ce qui à vrai dire ne nous intéresse pas spécialement; en raison des caractéristiques bien connues du système luxembourgeois qui prévoit une part fixe dont le montant n'est pas proportionnel à la durée de l'assurance, cette pension était inférieure au montant auquel le requérant aurait pu prétendre en vertu de la seule législation luxembourgeoise, si on n'avait pas appliqué le règlement no 3, pour la période d'assurance au Luxembourg. En Belgique, le ministère de la prévoyance sociale a calculé un prorata représentant Formula du montant qui aurait été octroyé au demandeur s'il avait effectué toute sa carrière en Belgique (pour une pension pour ordre de 49200 FB, soit 19329 FB par an). Cette fraction utilisée pour le calcul du prorata a été obtenue en laissant de côté deux périodes d'assurance de six mois et sept mois respectivement, que le demandeur a accomplies fin 1949 et début 1961 en Belgique ainsi que deux autres périodes d'assurance de 7 mois et 5 mois respectivement relevant de la législation luxembourgeoise, que le demandeur a accomplies début 1931 et fin 1949, et cela conformément à l'arrêté royal du 30 juillet 1957, selon lequel une période d'assurance inférieure à huit mois par an n'est pas prise en compte alors, par contre, qu'une période d'assurance supérieure à 8 mois compte pour une année complète.

Le demandeur a attaqué cette décision devant la Commission d'appel spéciale, en demandant que le prorata belge de sa pension soit calculé sur la base de Formula de la pension pour ordre (c'est-à-dire 29520 FB par an). Il a invoqué la loi belge du 12 juillet 1957 et l'arrêté royal déjà mentionné, aux termes desquels les employés qui atteignent l'âge requis pour l'ouverture du droit à pension avant le 31 décembre 1961 et qui justifient de 12 années d'assurance au cours des 15 années précédant le versement de la pension sont censés avoir accompli en Belgique une période d'assurance complète de 45 années. Il a soutenu que, suivant cette réglementation, le dénominateur de la fraction pour le calcul du prorata devrait être 45 et le numérateur 45 moins 18 années d'assurance au Luxembourg, soit 27 années.

Sa demande n'ayant pas abouti, il a saisi la Cour supérieure des pensions qui a annulé la décision de l'instance inférieure et calculé le prorata belge de la pension du requérant en fonction des mois d'assurance accomplis. Le calcul a été effectué sur la base de la fraction Formula, ce qui aboutit à un montant de 19760 FB par an, la pension pour ordre étant de 49200 FB.

Cette décision elle non plus n'a pas satisfait le demandeur; alléguant les motifs déjà indiqués, il a saisi le Conseil d'État belge. Considérant que sa décision dépend de l'interprétation du droit communautaire (interprétation des règlements du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants) et, partant de l'idée que, sans l'application de ces règlements, le demandeur pourrait prétendre à une pension belge et luxembourgeoise d'un montant supérieur, par décision du 24 mars 1967, le Conseil d'État a suspendu la procédure, conformément à l'article 177 du traité C.E.E., et déféré à la Cour les quatre questions suivantes :

Première question

Le travailleur qui a accompli successivement ou alternativement des périodes d'assurance en vertu de la législation de deux ou de plusieurs États membres et à qui la totalisation de ces périodes n'est nécessaire pour l'ouverture du droit aux prestations dans aucun de ces États, a-t-il la faculté de choisir entre le mode de calcul prévu par l'article 28 du règlement no 3 et le mode de calcul résultant de l'application des législations sous lesquelles il a accompli les périodes d'assurance, ou bien la possibilité de faire application à ce travailleur du mode de calcul prévu par l'article 28 du règlement no 3 fait-elle obstacle à l'application des législations sous lesquelles il a accompli les périodes d'assurance?

Deuxième question

Si le travailleur a l'option qui fait l'objet de la première question et considérant que les règlements no 3 et no 4 ne règlent pas le mode d'exercice de cette option, comment doit-on interpréter une demande de pension qui est introduite devant l'institution compétente d'un seul des États membres et qui fait état de périodes d'assurance accomplies sous la législation de deux ou plusieurs États membres? Notamment, une telle demande doit-elle être interprétée comme une renonciation à la faculté de se prévaloir de l'application éventuellement plus favorable de la législation de ces États? Ou bien doit-elle être interprétée comme postulant nécessairement l'application du système le plus favorable?

Troisième question

Si la demande introduite comme prévu dans l'exposé de la deuxième question doit être interprétée comme postulant l'application du système le plus favorable, doit-elle être nécessairement considérée comme une demande introduite régulièrement auprès de chaque institution nationale en vue d'obtenir, plutôt que l'application du système de la proratisation prévue par le règlement no 3, la liquidation des droits éventuellement plus favorables résultant de la législation nationale que cette institution est chargée d'appliquer?

Quatrième question

Si le travailleur a l'option qui fait l'objet de la première question et si la demande introduite comme prévu dans la deuxième question doit être considérée comme introduite auprès de chaque institution nationale en vue d'obtenir, le cas échéant, l'application de la législation de chacun des États, à quel moment doit-il exercer l'option? Peut-il attendre d'être fixé définitivement, c'est-à-dire après épuisement ou non-exercice des recours, sur les droits qu'il peut puiser tant dans l'application de l'article 28 du règlement no 3 que dans l'application des diverses législations nationales?

Sur ces questions, le gouvernement belge et la Commission de la Communauté économique européenne ont présenté des observations écrites et la Commission, des observations orales.

Examinons quelle est l'appreciation qui en découle.

Réponse aux questions posées

Il semble tout d'abord que cette appréciation ne présente aucune difficulté, étant donné qu'il s'agit de questions qui coïncident mot pour mot avec celles déférées à la Cour dans l'affaire 11-67. Pour ce qui est du droit d'option dont traitent ces questions pour des personnes qui ont accompli des périodes d'assurance dans plusieurs États membres, c'est-à-dire du droit d'opter entre le mode de calcul prévu à l'article 28 du règlement no 3 et celui résultant de l'application des législations nationales, on pourrait donc être enclin à renvoyer simplement aux conclusions dans cette autre procédure de renvoi. Nous avons vu en effet qu'un tel droit d'option n'existe pas lorsque les dispositions du règlement no 3 sont applicables. Dans ces conditions, il faudrait non seulement répondre négativement à la première question mais encore constater que les questions 2 à 4, qui se basent sur l'existence de ce droit d'option, sont sans objet.

Tout au plus, en partant de l'hypothèse du Conseil d'Etat, selon laquelle, dans aucun des deux États membres, il n'est nécessaire de totaliser des périodes d'assurance pour justifier de l'ouverture des droits à prestations, il pourrait sembler opportun de faire observer que, dans ces conditions, notre jurisprudence n'autorise pas le calcul du prorata conformément à l'article 28 du règlement.

Or, la Commission estime qu'un tel procédé équivaudrait à négliger sciemment certaines caractéristiques essentielles des faits qui nous ont été exposés. C'est la raison pour laquelle elle propose un certain nombre d'autres remarques.

En effet, ce qui semble déterminant pour les questions posées par le Conseil d'État, c'est l'idée qu'en calculant la pension belge en vertu de la seule législation belge, on aboutit à un montant supérieur à celui qui a été calculé par les juridictions belges en vertu des dispositions de l'article 28 relatives au calcul des proratas. Or, cela n'est vrai que si le requérant peut prétendre en Belgique à une pension supérieure à celle qui lui revient sur la base de la fraction Formula et en fonction des périodes d'assurance belges (11 années civiles), c'est-à-dire s'il peut effectivement prétendre à une pension de 45 années d'assurance complètes, conformément à la réglementation transitoire de la loi du 12 juillet 1957. Or, les conditions requises en l'occurrence — 12 années d'assurance belges — ne sont remplies que si on ajoute aux 11 années d'assurance belges qui entrent en ligne de compte suivant le calcul des années civiles applicable en Belgique, la période d'assurance luxembourgeoise, conformément au règlement no 3. Par conséquent, s'il est vrai qu'un droit à pension est en principe ouvert en Belgique compte non tenu des périodes d'assurance accomplies à l'étranger (étant donné que le droit belge ne connaît pas de stages d'assurance), le droit spécial prévu par la réglementation transitoire en question ne peut toutefois être ouvert que si l'on tient compte des périodes d'assurance luxembourgeoises ou, pour reprendre les termes du règlement no 3, si on effectue la totalisation prévue à l'article 27.

Ainsi est-il legitime de conclure à la nécessité de calculer le prorata belge en vertu de l'article 28 du règlement no 3 et, dans ces conditions, on aurait pu s'attendre que le Conseil d'État demande également quelle était la méthode à utiliser pour le calcul du prorata dans un cas comme celui-ci, d'autant plus que cette question avait donné lieu à de vives contestations devant les instances précédentes. Cette question ne nous a pas été posée explicitement. Mais nous pouvons peut-être penser avec la Commission qu'elle résulte implicitement de la deuxième partie de la question 1 qui traite de l'application de l'article 28 du règlement no 3. Quoi qu'il en soit, il devrait sembler opportun, suivant l'avis de la Commission, d'examiner le problème ainsi soulevé et d'essayer de lui donner une solution appropriée conformément aux principes du règlement no 3.

Tout en procédant ainsi, nous soulignerons tout d'abord que le nombre des années prises en considération pour le calcul de la pension pour ordre doit coïncider avec le nombre d'années figurant au dénominateur de la fraction du prorata. Si, par conséquent, on admet une pension pour ordre de 45 années d'assurance (dont 33 années constituent des périodes d'assurance assimilées en vertu de la législation belge), c'est ce chiffre qui doit figurer dans le dénominateur de la fraction servant à calculer le prorata et non pas le nombre des périodes d'emploi et d'assurance effectives (28 années), comme l'estime le ministre de la prévoyance sociale.

Quant au numérateur, la réponse ne semblerait guère présenter plus de difficultés. Le problème est ici le suivant: en vertu de la législation belge (la réglementation transitoire de la loi du 12 juillet 1957 déjà citée) , le demandeur se voit crédité de 33 années d'assurance supplémentaires, sans qu'il ait à justifier d'un emploi. Comme l'a montré la Commission, ces 33 années doivent être considérées comme des périodes d'assurance assimilées conformément à l'article 1, alinéa r, du règlement no 3. Mais en totalisant purement et simplement les périodes d'assurance effectivement accomplies par le demandeur en Belgique, les périodes assimilées en vertu de la législation belge et les périodes d'assurance effectivement accomplies au Luxembourg, il est certain qu'on aboutirait à un cumul (inadmissible selon la jurisprudence 1 et 2-67) des prestations d'assurance pour une seule et même période; en effet, la période d'assurance assimilée se superpose partiellement avec la période d'assurance accomplie au Luxembourg. Cela serait en effet incompatible avec l'idée contenue dans les articles 11 et 27 du règlement no 3 et dans l'article 13, paragraphe 1, alinéa c, du règlement no 4. Or, comme l'a montré la Commission, la seule possibilité d'éviter ce résultat est de faire figurer au numérateur de la fraction destiné au calcul du prorata, parmi les périodes d'assurance assimilées en vertu de la législation belge, les seules années d'assurance qui ne se superposent pas avec les périodes d'assurance au Luxembourg, c'est-à-dire 33 moins 18 = 15. En conséquence, seule cette période d'assurance assimilée devrait être totalisée avec la période d'assurance de 12 années effectivement accomplie en Belgique, ce qui aboutit à une fraction pour le calcul du prorata égale à celle que le demandeur a fait valoir en première instance, Formula, La pension pour ordre étant de 49200 FB, le prorata dû par la Belgique serait donc de 29520 FB.

La Commission a également montré que cette méthode de calcul n'entraîne pour le demandeur aucune perte de ses droits. Suivant sa théorie, même en appliquant uniquement la législation belge et en supposant que les 18 années d'assurance effectives au Luxembourg ont été accomplies sous un autre régime de pension belge (ce qui, en vertu de la législation belge, suffit pour l'ouverture d'une pension d'employé, pour une période d'assurance de 45 années), la nécessité d'appliquer une clause du droit interne belge interdisant le cumul (loi du 12 juillet 1957) obligerait à faire une soustraction dont le résultat est une fraction de Formula et une pension d'un montant égal à celui obtenu en calculant le prorata sur la base de la fraction proposée par la Commission, soit 29520 FB. Ainsi, le résultat obtenu tient également compte d'une idée que la Cour a déjà soulignée dans une série de procès en matière de sécurité sociale et qui revient à exiger que les assurés ne soient pas placés, du fait de l'application du règlement no 3, dans une situation moins favorable que celle qui serait la leur si on se limitait à appliquer la législation nationale.

En conséquence, les réponses à donner aux questions posées par le Conseil d'État belge doivent être les suivantes :

1o

Aux termes du règlement no 3, un assuré n'a pas le droit d'opter entre l'application des dispositions du règlement et celle des législations des États membres en vertu desquelles il a accompli des périodes d'assurance, ce qui toutefois n'aboutit pas dans chaque cas au calcul d'un prorata.

2o

Lorsqu'on applique le mode de calcul prévu par l'article 28 du règlement no 3, il faut retenir pour le calcul du montant pour ordre le même nombre d'années que pour le calcul du prorata, c'est-à-dire l'ensemble des périodes d'assurance et des périodes assimilées. Mais lorsque les périodes assimilées en vertu de la législation d'un État membre et les périodes d'assurance effectivement accomplies dans un autre État membre se superposent, il faut déduire ces dernières des périodes assimilées pour le calcul du prorata.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

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