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Document 62023CC0731
Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 12 June 2025.###
Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 12 juin 2025.
Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 12 juin 2025.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:435
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NICHOLAS EMILIOU
présentées le 12 juin 2025 (1)
Affaire C‑731/23 P
Nicoventures Trading Ltd,
British American Tobacco (Germany) GmbH,
British American Tobacco Italia SpA (BAT Italia),
British American Tobacco Polska Trading sp. z o.o.,
British American Tobacco España SA,
P.J. Carroll & Company Ltd
contre
Commission européenne
« Pourvoi – Santé publique – Directive 2014/40/UE – Directive déléguée (UE) 2022/2100 – Produits du tabac chauffés – Article 263 TFUE – Qualité pour agir – Affectation individuelle – Jurisprudence Plaumann – Systématisation et réexamen de la jurisprudence – Critère du cercle fermé »
I. Introduction
1. « Devant la porte de la Loi se tient un gardien. Ce gardien voit arriver un homme de la campagne qui sollicite accès à la Loi. Mais le gardien dit qu’il ne peut le laisser entrer maintenant. L’homme réfléchit, puis demande si, alors, il pourra entrer plus tard. “C’est possible, dit le gardien, mais pas maintenant.” [...] L’homme de la campagne ne s’attendait pas à de telles difficultés ; la Loi est pourtant censée être accessible à tous à tout moment, pense-t-il ».
2. Ce passage de la nouvelle « Devant la Loi » de Franz Kafka (2) me paraît assez approprié pour traduire les difficultés que rencontrent les requérants lorsqu’ils essaient, d’abord, de comprendre s’ils sont « individuellement concernés » par un acte de l’Union au sens de l’article 263 TFUE et, ensuite, d’établir cette affectation individuelle devant les juridictions de l’Union.
3. Comme on le sait, le critère fondamental pour examiner la condition de l’affectation individuelle a été développé pour la première fois en 1963 dans le cadre de l’affaire Plaumann : les sujets autres que les destinataires d’un acte ne sauraient prétendre être « individuellement concernés », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si cet acte les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (ci‑après la « formule Plaumann ») (3).
4. Dans la jurisprudence qui a suivi, la Cour a non seulement confirmé cette formule de manière constante, mais elle l’a également appliquée de façon assez rigoureuse (ci‑après la « jurisprudence Plaumann »), en dépit de certaines propositions émanant de l’institution qui visaient à la modifier et des critiques (parfois sévères) exprimées dans la doctrine juridique. Si la principale critique formulée à l’égard de la jurisprudence Plaumann tient à son caractère trop restrictif, les observateurs déplorent également son obscurité et sa complexité ainsi que certaines incohérences dans l’application qui en a été faite au fil des ans.
5. La présente affaire est l’occasion pour la Cour de revisiter cette jurisprudence. Les requérantes demandent l’annulation de l’ordonnance du 20 septembre 2023, Nicoventures Trading e.a./Commission (4), dans laquelle le Tribunal a déclaré irrecevable leur recours en annulation de la directive déléguée (UE) 2022/2100 (5) au motif que, bien qu’elles étaient directement concernées par cet acte, elles ne l’étaient pas individuellement.
6. Mon analyse montrera que, si l’on fait une application stricte et formaliste de la jurisprudence Plaumann, les requérantes en l’espèce sont susceptibles de ne pas être considérées comme étant « individuellement concernées » par l’acte litigieux, alors qu’elles le seraient si cette jurisprudence était appliquée de manière plus souple et réaliste. En fait, je suis d’avis que l’issue juste de la présente affaire serait précisément que les requérantes devraient être en mesure de contester l’acte litigieux devant les juridictions de l’Union. Considérer qu’elles ne sont pas « individuellement concernées » par cet acte est peut‑être conforme à certains précédents des juridictions de l’Union, mais, à mon sens, une telle conclusion va à l’encontre d’une interprétation correcte de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, a fortiori dans le système juridique de l’Union tel qu’il existe depuis le traité de Lisbonne.
7. Dans ce contexte, les présentes conclusions entendent avant tout suggérer à la Cour que, quelque 60 ans après le prononcé de l’arrêt Plaumann, il est temps de vérifier si et, le cas échéant, dans quelle mesure le gardien devrait ouvrir la porte de la loi.
II. Antécédents factuels et juridiques du litige
8. Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 6 de l’ordonnance attaquée. Ils peuvent être résumés comme suit aux fins de la présente procédure.
9. Nicoventures Trading Ltd, British American Tobacco (Germany) GmbH, British American Tobacco Italia SpA (BAT Italia), British American Tobacco Polska Trading sp. z o.o., British American Tobacco España SA et P.J. Carroll & Company Ltd (ci‑après les « requérantes ») appartiennent au groupe British American Tobacco (ci‑après le « groupe BAT »), qui fabrique et commerciale des produits du tabac. Les requérantes sont actives dans le développement et la commercialisation de produits non combustibles, y compris les produits du tabac chauffés, dans l’Union européenne.
10. La directive 2014/40/UE (6) réglemente la mise sur le marché des produits du tabac. À cet effet, elle vise à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en ce qui concerne notamment les ingrédients, l’étiquetage et le conditionnement des produits du tabac.
11. L’article 7, paragraphes 1 et 7, de la directive 2014/40 prévoit que les États membres interdisent la mise sur le marché des produits du tabac contenant un arôme caractérisant et de ceux contenant des arômes dans l’un de leurs composants. L’article 7, paragraphe 12, de cette directive, avant qu’il ne soit modifié par l’acte litigieux, exemptait les produits du tabac autres que les cigarettes et le tabac à rouler des interdictions visées aux paragraphes 1 et 7 de cet article. De même, l’article 11, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, avant sa modification par l’acte litigieux, prévoyait que les États membres pouvaient exempter les produits du tabac à fumer autres que les cigarettes, le tabac à rouler et le tabac à pipe à eau de certaines obligations en matière d’étiquetage des produits du tabac et d’apposition obligatoire sur les emballages de certains avertissements, messages d’information et avertissements sanitaires combinés. En outre, l’article 7, paragraphe 12, et l’article 11, paragraphe 6, de la même directive précisent que la Commission européenne adopte des actes délégués pour retirer les exemptions visées à l’article 7 ou la possibilité d’accorder les exemptions visées à l’article 11 à une catégorie particulière de produits en cas d’évolution notable de la situation établie par un rapport élaboré par ses soins.
12. Le 15 juin 2022, en application de la directive 2014/40, la Commission a publié un rapport établissant une évolution notable de la situation pour les produits du tabac chauffés. À la suite de ce rapport, la Commission a adopté l’acte litigieux le 29 juin 2022. L’article 1er de l’acte litigieux a modifié la directive 2014/40 en son article 7, paragraphe 12, et en son article 11, paragraphe 1. Depuis le 23 octobre 2023, date à laquelle les mesures prévues par l’acte litigieux devaient être transposées, les produits du tabac chauffés ne sont plus exemptés des interdictions visées aux articles 7 et 11 de cette directive.
III. La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
13. Par leur recours introduit devant le Tribunal sur le fondement de l’article 263 TFUE, les requérantes ont demandé l’annulation de l’acte litigieux en invoquant deux moyens. Pour sa part, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours.
14. Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a déclaré le recours irrecevable et condamné les requérantes aux dépens. Comme je l’ai indiqué dans l’introduction des présentes conclusions, le Tribunal a jugé que les requérantes étaient directement concernées par l’acte litigieux, mais qu’elles ne l’étaient pas individuellement.
IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
15. Par leur pourvoi formé devant la Cour, les requérantes demandent à celle‑ci 1°) d’annuler l’ordonnance attaquée, 2°) si le litige est en état d’être jugé, de rejeter l’exception d’irrecevabilité, de déclarer le recours recevable et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond, et 3°) de condamner la Commission aux dépens.
16. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens.
17. Par ordonnance du président de la Cour du 25 avril 2024, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
V. Appréciation
18. Il peut être utile de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 263 TFUE, les requérants non privilégiés peuvent former un recours contre les actes de l’Union qui produisent des effets juridiques 1°) lorsqu’ils sont les destinataires de l’acte en question, 2°) lorsque cet acte les concerne directement et individuellement, ou 3°) lorsqu’il s’agit d’un acte réglementaire qui ne comportent pas de mesures d’exécution et qui les concerne directement. La présente affaire relève de la deuxième catégorie et ne porte que sur l’interprétation de la condition de l’« affectation individuelle ».
19. À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent un seul moyen, divisé en deux branches, tiré d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans son examen de la question de savoir si l’acte litigieux les concerne individuellement.
20. Avant d’aborder les arguments des requérantes (aux sections B et C des présentes conclusions), je considère qu’il est utile d’examiner, de manière générale, la jurisprudence Plaumann (Section A des présentes conclusions).
A. Observations liminaires sur le passé, le présent et le futur de la jurisprudence Plaumann
21. Dans la présente section, je tenterai, en premier lieu, de systématiser la jurisprudence Plaumann. J’analyserai, en deuxième lieu, les critiques formulées à l’égard de cette jurisprudence. En troisième lieu, j’exposerai les raisons pour lesquelles je considère que l’idée de base qui sous‑tend la formule Plaumann est, dans une large mesure, correcte, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’abandonner. En quatrième et dernier lieu, j’expliquerai que ce critère a parfois été appliqué de façon excessivement stricte et incohérente. Je proposerai donc à la Cour de rendre un arrêt de principe par lequel elle réexamine, précise et, le cas échéant, ajuste l’application de la jurisprudence Plaumann.
1. La jurisprudence Plaumann en l’état actuel du droit
22. Ainsi que je l’ai indiqué dans l’introduction des présentes conclusions, depuis l’arrêt Plaumann, la Cour a jugé de manière constante que les sujets autres que les destinataires d’un acte sont « individuellement concernés » lorsque cet acte les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle des destinataires (7).
23. Cela signifie très clairement que le requérant ne doit pas nécessairement être la seule personne affectée par l’acte attaqué pour être considéré comme étant individuellement concerné par celui‑ci. Il devra cependant établir l’existence d’une situation qui le caractérise, au regard de la disposition litigieuse, par rapport à toute autre personne affectée par l’acte (8).
24. En principe, les requérants ne sont pas considérés comme étant concernés individuellement par des actes qui s’appliquent à des situations déterminées objectivement et qui comportent des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (9). Néanmoins, le fait qu’un acte attaqué soit de nature législative ou de portée générale ne l’empêche pas, en soi, de concerner individuellement certaines personnes affectées (10).
25. Il en est ainsi, par exemple, lorsque les requérants sont expressément identifiés comme des personnes concernées dans l’acte lui‑même, de sorte que celui‑ci constitue, à la fois, un acte de portée générale dans la mesure où il affecte une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, et un faisceau de décisions individuelles à l’égard des personnes qui y sont nommées (11).
26. En outre, un acte qui affecte un groupe de personnes sur la base de critères généraux et abstraits reste susceptible, même en l’absence de toute référence expresse à des personnes déterminées, de concerner individuellement certaines de ces personnes affectées. Ainsi que la Cour l’a jugé, lorsque la décision affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint de personnes affectées (12). En substance, cela signifie que, au sein de la catégorie générale de personnes relevant du champ d’application personnel de l’acte, il est possible d’identifier une sous‑catégorie constituée d’une ou de plusieurs personnes présentant des spécificités qui les caractérisent par rapport aux autres personnes (13). Je désignerai cette sous‑catégorie par les termes « cercle fermé » (14).
27. Pour être clair, la simple possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que cette application est effectuée en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (15). Il faut donc quelque chose en plus pour pouvoir considérer un requérant potentiel comme étant individuellement concerné.
28. À mon sens, sur la base du critère du cercle fermé, la Cour a admis l’existence de l’affectation individuelle dans quatre situations. Il s’agit des situations dans lesquelles le requérant est affecté par un acte de l’Union parce que cet acte est susceptible 1°) de ne pas avoir tenu compte de la situation du requérant, 2°) d’avoir violé un droit matériel de celui‑ci, 3°) d’avoir enfreint un droit procédural du requérant, et 4°) d’avoir des incidences négatives notables sur un intérêt légitime de celui‑ci.
29. Avant d’apporter des précisions à cet égard, je souhaite clarifier deux éléments. Premièrement, j’utilise le terme « susceptible » car la question de savoir si l’acte attaqué a effectivement violé un droit du requérant ou porté indûment atteinte à un intérêt légitime de celui‑ci relève – évidemment – du fond du recours et non de sa recevabilité. Il suffit, pour le requérant, d’établir que, eu égard aux éléments de droit et de fait produits, il est possible que son droit ait été violé ou que son intérêt légitime ait été indûment affecté (16).
30. Deuxièmement, par « intérêt légitime », j’entends, de manière générale, les situations protégées par le droit de l’Union que l’on ne saurait considérer comme se rapportant à des droits subjectifs stricto sensu (17). Cette expression vise les situations dans lesquelles le droit de l’Union garantit au requérant une liberté ou lui confère un pouvoir ou une immunité (18). Pour ne donner qu’un exemple, les opérateurs économiques peuvent, dans certaines circonstances, agir en justice devant les juridictions de l’Union pour sauvegarder leurs intérêts affectés par des actes de l’Union qui sont susceptibles de fausser la concurrence sur le marché intérieur (19).
31. Pour en revenir aux situations visées au point 28 des présentes conclusions, j’observe que, dans le cadre d’un premier courant jurisprudentiel, la Cour a conclu à l’affectation individuelle des requérants et considéré qu’ils pouvaient former un recours contre un acte dont l’adoption obligeait, conformément à la législation applicable, l’institution en cause à prendre en compte la situation d’un groupe de personne déterminé auquel le requérant appartenait (20). Ces décisions constituent le prolongement logique de la jurisprudence mentionnée au point 25 des présentes conclusions. Leur raison d’être est simple : il se peut que certaines personnes concernées n’aient pas été nommées dans l’acte, mais leur situation spécifique a néanmoins été explicitement distinguée par le législateur lui‑même.
32. Dans le cadre d’un deuxième courant jurisprudentiel, les requérants ont été autorisés à former un recours contre un acte de l’Union qui, contrairement à ce qui était le cas pour la majorité des personnes concernées, avait un effet rétroactif sur des droits acquis ou des relations juridiques en cours des requérants (21). À mon sens, l’on peut considérer que ce courant jurisprudentiel trouve son origine dans plusieurs principes généraux du droit de l’Union : la sécurité juridique, la prévisibilité, l’interdiction de rétroactivité et la protection de la confiance légitime. Il va sans dire que personne au sein de l’Union européenne ne peut s’attendre à ce que la législation de l’Union soit immuable. Néanmoins, les personnes qui ont déjà aligné leur comportement sur la législation existante devraient pouvoir se fier à la stabilité des situations juridiques déjà cristallisées dans le passé et aux relations juridiques déjà nouées, sauf si des circonstances exceptionnelles justifient de conclure en sens contraire (22).
33. Un troisième courant jurisprudentiel s’attache aux droits procéduraux des requérants qui sont susceptibles d’avoir été violés dans le cadre de certaines procédures de l’Union, telles que celles prévues par la réglementation de l’Union relative au contrôle des aides d’État. Il s’agit, par exemple, des situations où la Commission autorise à tort une mesure d’aide au cours de son examen préliminaire, privant ainsi les parties intéressées de la possibilité d’être entendues pendant la phase d’enquête approfondie. Dans ces situations, les parties intéressées ont toujours été considérées comme étant individuellement concernées par la décision de la Commission (23). Si la législation de l’Union confère des droits procéduraux spécifiques à certaines parties, il est logique que les juridictions de l’Union soient directement saisies des litiges ayant pour objet la violation de ces droits, lorsque la procédure est entièrement régie par le droit de l’Union et qu’elle est menée au niveau de celle‑ci.
34. Cette catégorie d’affaires inclut également celles où la Cour a admis l’affectation individuelle d’un requérant ayant formé un recours contre un acte de l’Union qui, bien que n’ayant pas pour destinataire le requérant, avait été adopté à l’issue d’une procédure engagée à la suite des échanges intervenus entre celui‑ci et l’institution européenne en question et était largement basée sur ces échanges (24). Dans ces affaires, le requérant ne bénéficiait peut-être pas de droits procéduraux spécifiques au titre de la législation de l’Union pertinente. Néanmoins, compte tenu du rôle crucial joué par le requérant dans la procédure, l’institution en question était susceptible d’avoir enfreint l’un des droits que celui‑ci tirait du droit à une bonne administration (aujourd’hui consacré à l’article 41 de la Charte).
35. Enfin, relèvent d’un quatrième courant jurisprudentiel les affaires dans lesquelles la Cour a considéré comme étant individuellement concernés les requérants dont la position sur le marché avait été sérieusement affectée par l’acte attaqué. Ces affaires concernent typiquement les domaines du droit de la concurrence, des aides d’État, du contrôle des concentrations, de l’antidumping, mais aussi de l’agriculture (25). Dans ces domaines, l’institution responsable peut généralement exercer ses pouvoirs quasi‑législatifs, exécutifs ou d’application à l’issue d’une procédure administrative ad hoc, afin de répondre à une situation très concrète (impliquant des appréciations de fait et de droit) qui concerne une ou plusieurs personnes identifiées ou identifiables (26). En outre, cet ensemble d’affaires englobe celles où l’institution – ici encore, en réponse à une situation très concrète et à l’issue d’une procédure spécifique – a adopté un acte qui, du moins sur le plan formel, a une nature et une portée législatives tout en ayant un certain contenu décisionnel (27).
36. Dans de telles situations, les personnes directement concernées par le contenu décisionnel se trouvent manifestement dans une situation assez distincte. Par ailleurs, le fait que l’institution puisse favoriser les activités d’une ou de plusieurs personnes (identifiées ou identifiables) a pour conséquence, presque inévitable, que les activités d’une ou de plusieurs personnes (identifiées ou identifiables) sont parallèlement défavorisées, ou inversement (28). Il est raisonnable que les personnes affectées négativement puissent, dans certaines circonstances, former un recours direct contre l’acte de l’Union en question devant les juridictions de l’Union. En revanche, comme je l’indiquerai dans la partie suivante de la présente section, la Cour n’a pas admis l’existence d’un critère fondé sur l’« affectation sérieuse » par des actes de l’Union qui, sur les plans de la forme et du fond, sont de nature générale et découlent, de ce fait, de véritables activités d’élaboration des politiques.
37. Ayant brièvement exposé les principes fondamentaux de la jurisprudence Plaumann, je vais à présent aborder les critiques les plus couramment exprimées à son égard.
2. Les critiques exprimées à l’égard de la formule Plaumann
38. Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’arrêt Plaumann figure parmi les décisions de la Cour les plus largement débattues au cours des quelque 70 ans d’histoire de cette juridiction. On ne peut pas non plus nier qu’il s’agit de l’une des décisions les plus sévèrement critiquées, en particulier par les observateurs de la société civile et du monde académique (29).
39. Les critiques se concentrent souvent sur l’effet restrictif de la jurisprudence développée à partir de cet arrêt. « Une barrière presque infranchissable » ou « [un filet] au travers duquel personne ne peut passer », qui sont basés sur un « [critère] économique irréaliste » offrant « peu [d’orientations] » aux parties et « conduisant à des résultats absurdes » : si on lit tous les commentaires relatifs à la jurisprudence Plaumann, on s’aperçoit qu’ils contiennent une myriade d’hyperboles (30).
40. Il est également vrai qu’une analyse exhaustive de la jurisprudence semble dresser un portrait assez morose donnant l’impression que très peu d’éléments peuvent entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’établir l’affectation individuelle. En effet, les juridictions de l’Union ont indiqué que, en eux‑mêmes, les éléments suivants ne justifiaient pas de conclure à l’« affectation individuelle » : 1°) le requérant est le seul, ou parmi les seuls, à être affecté par l’acte attaqué (31) ; 2°) il est affecté de façon particulièrement sévère par l’acte attaqué (32) ; 3°) il pouvait intervenir ou est effectivement intervenu dans la procédure qui a conduit à l’adoption de l’acte attaqué (33) ; 4°) l’acte attaqué produit « des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels [il] s’applique » (34) ; 5°) l’acte attaqué comporte des limitations ou des dérogations aux règles de portée générale, ou des dispositions de nature transitoire visant un cercle fermé d’opérateurs économiques (35), et 6°) des dispositions spécifiques du droit de l’Union imposaient à l’institution responsable « de tenir compte des conséquences de l’acte qu’ils envisagent d’adopter sur la situation de certains particuliers » (36).
41. En particulier, les auteurs déplorent l’impossibilité pour les particuliers et les associations d’agir en tant que défenseur public contre les mesures qui portent préjudice à un ensemble de personnes. À cet égard, ils mentionnent souvent un paradoxe créé par le critère : au plus la mesure est diffuse et préjudiciable (comme c’est souvent le cas des mesures environnementales), au moins il est probable qu’une ou plusieurs personnes (physiques ou morales) soient considérées comme étant individuellement concernées au titre de la jurisprudence Plaumann (37). Le récent arrêt du 25 mars 2021, Carvalho e.a./Parlement et Conseil (relatif à des mesures de l’Union ayant trait au changement climatique), est cité comme exemple de cette situation (38).
42. Une autre critique de la jurisprudence Plaumann tient à son caractère prétendument obscur qui conduirait lui‑même à des décisions incohérentes. Selon un certain nombre d’auteurs, dans certaines affaires, l’application effective de la formule Plaumann s’est davantage attachée aux éléments formels de l’acte attaqué, tandis que, dans d’autres affaires, elle s’est concentrée sur les obligations de fond découlant de l’acte en cause. Dans de nombreux arrêts, y compris les arrêts « de principe », la motivation à cet égard n’était pas un modèle de clarté. Cette hétérogénéité et cette ambiguïté herméneutiques auraient abouti à un ensemble de décisions assez fragmenté et casuistique dont la tendance commune est difficile à discerner. C’est la raison pour laquelle, dans les décisions des juridictions de l’Union, l’appréciation de la recevabilité des recours introduits par des requérants privés sur le fondement de l’article 263 TFUE appelle souvent de longues discussions (39).
43. Les critiques examinées aux points précédents des présentes conclusions ont été largement partagées par l’avocat général Jacobs qui, dans ses conclusions dans l’affaire UPA, a expliqué en détail pourquoi il estimait que la Cour devait revisiter la jurisprudence Plaumann et, à cet effet, a proposé d’adopter un nouveau critère de détermination de l’affectation individuelle : « une personne [doit être] considérée comme individuellement concernée par une mesure [de l’Union] lorsque, en raison de la situation dans laquelle elle se trouve, la mesure nuit, ou est susceptible de nuire, à ses intérêts de manière substantielle » (40).
44. Peu après la présentation de ces conclusions, le (désormais) Tribunal a rendu son arrêt dans l’affaire Jégo-Quéré dans lequel il est parvenu à des conclusions similaires sur la nécessité de réexaminer la jurisprudence, considérant que, « afin d’assurer une protection juridictionnelle effective des particuliers, une personne physique ou morale doit être considérée comme individuellement concernée par une disposition [de l’Union] de portée générale qui la concerne directement si la disposition en question affecte, d’une manière certaine et actuelle, sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations » (41).
45. La Cour n’a toutefois pas souscrit à l’analyse ni accepté les propositions de l’avocat général ou du Tribunal. Dans son arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, la Cour a 1°) confirmé la formule Plaumann ; 2°) souligné que le « système complet de voies de recours » instauré par les traités reposait, en particulier, sur les rôles complémentaires des recours en annulation et des procédures préjudicielles ; 3°) précisé qu’il incombait aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective ; 4°) reconnu que les conditions de recevabilité d’un recours introduit par des particuliers devaient être interprétées à la lumière du principe de protection juridictionnelle effective, tout en soulignant qu’une telle interprétation ne saurait aboutir de facto à écarter ces conditions, lesquelles sont expressément prévues par les traités, et 5°) déclaré que, si un système de contrôle de la légalité des actes de l’Union de portée générale autre que celui mis en place par le traité originaire est certes envisageable, il appartient aux États membres, en tant qu’auteurs des traités, de réformer le système en vigueur (42).
46. Dans la partie suivante de la présente section, je vais expliquer pourquoi – bien que les critiques que je viens d’exposer ne soient pas dénuées de fondement – je considère que la formule Plaumann demeure toujours acceptable à ce jour, de sorte que la Cour ne doit pas l’abandonner.
3. Les éléments qui plaident en faveur de la formule Plaumann
a) Quelles sont les autres solutions ?
47. Je dois souligner d’emblée que les critiques dirigées contre la formule Plaumann sont souvent axées sur les résultats : pour l’exprimer en des termes simples, le critère est trop strict et, partant, il ne peut pas être correct (ou, à titre subsidiaire, il n’est pas approprié). Toutefois, les commentateurs ne se risquent que rarement à préciser en quoi la Cour se trompe dans son interprétation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et à indiquer comment il conviendrait plutôt d’interpréter la condition de l’« affectation individuelle ». Lorsqu’un autre critère est effectivement proposé, soit il s’inspire des dispositions en vigueur au niveau national, soit il s’apparente (dans une plus ou moins large mesure) à ceux proposés par l’avocat général Jacobs et le Tribunal, tels que je les ai exposés aux points 43 et 44 des présentes conclusions (43).
48. S’agissant des règles relatives à la qualité pour agir au niveau des États membres, je dois dire que, pour ce qui concerne celles qui sont le plus souvent mentionnées (44), elles sont régies par des dispositions formulées en des termes assez différents de ceux de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et s’appliquent dans des systèmes juridictionnels qui, à la différence du système de l’Union, sont autonomes (45).
49. S’agissant des critères proposés par l’avocat général Jacobs et le Tribunal, ainsi que de ceux qu’ils ont inspirés, ils présentent en effet des avantages considérables. En particulier, ces critères permettraient à la Cour, lorsqu’elle cherche à déterminer si la situation du requérant est suffisamment distincte, de prendre en compte, dans chaque cas, 1°) les différentes circonstances de droit et de fait susceptibles d’être pertinentes, et 2°) le caractère sérieux de l’impact produit par l’acte attaqué. En outre, sur le plan théorique, on peut difficilement rejeter l’idée que les particuliers qui subissent des effets dommageables substantiels ou qui se trouvent lésés de manière certaine et actuelle par un acte de l’Union devraient généralement être en mesure de former un recours contre cet acte.
50. La Cour a toutefois décidé de ne pas retenir ces critères. Je perçois également deux inconvénients majeurs dans ceux‑ci.
51. D’une part, lesdits critères présentent des limites structurelles difficilement surmontables. Les critères proposés sont, dans une certaine mesure, à peine prévisibles, puisqu’ils reposent tous sur une appréciation au cas par cas. Ils s’appuient également sur des adjectifs (substantiel, certain, actuel) qui ne sont pas très précis en eux‑mêmes et qui pourraient, en conséquence, être interprétés et appliqués de façon assez différente. En pratique, la condition de l’affectation individuelle devient une question de « degré » de l’effet. Partant, dans de nombreuses affaires, la question de savoir où tracer la limite entre les impacts que l’on peut qualifier de suffisamment substantiels et ceux que l’on ne peut considérer comme tels est susceptible d’impliquer un choix subjectif.
52. D’autre part, il n’est pas évident que ces critères puissent être dégagés de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Cela m’amène au point suivant.
b) Une lecture textuelle et historique de l’article 263 TFUE
53. Il me semble que la formule Plaumann procède d’une interprétation plus authentique et raisonnable du terme « individuellement », qui est utilisé dans presque toutes les versions linguistiques du traité. Dans le langage courant, les synonymes les plus usuels du mot « individuel » sont unique, spécifique, particulier, distinctif et séparé.
54. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que, en conséquence d’un acte de l’Union, plusieurs personnes sont susceptibles de se trouver dans une situation à ce point particulière que l’on pourrait la qualifier d’unique ou de presque unique. Je considère toutefois qu’il est excessif d’affirmer – comme l’a fait le Tribunal dans l’arrêt Jégo-Quéré – que « [l]e nombre et la situation d’autres personnes également affectées par la disposition [attaquée] ou susceptibles de l’être ne sont pas [...] des considérations pertinentes » pour déterminer si le requérant est individuellement concerné par cette disposition (46). Pour l’exprimer dans des termes très simples et schématiques : il se peut qu’une personne soit spéciale, et 10 personnes peuvent probablement l’être également, mais il faudra me présenter des arguments très solides pour me convaincre que chaque individu appartenant à un groupe d’1 millier ou d’1 million de personnes est spécial aux fins de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. À mon sens, plus le nombre de personnes invoquant un effet particulier est important, moins il est probable qu’elles soient toutes considérées comme étant « individuellement concernées » : la mesure en cause semble alors s’appliquer de manière générale sur la base de critères abstraits (47).
55. Une interprétation historique du terme « individuel » plaide également en faveur d’une lecture relativement restrictive de celui‑ci. Il ne faut pas oublier que, en vertu de l’article 33, deuxième alinéa, du traité CECA (qui n’est plus en vigueur), les personnes privées pouvaient former un recours contre « les décisions et recommandations individuelles les concernant ou contre les décisions et recommandations générales qu’elles estiment entachées de détournement de pouvoir à leur égard » (48). Les auteurs du traité de Paris avaient entendu autoriser les personnes privées à contester les décisions qui, en substance, étaient des décisions individuelles tout en étant dissimulées sous les apparences d’un acte de portée plus générale (49). Cependant, dans ses premières décisions, la Cour a fait une interprétation large de la qualité pour agir des personnes privées (50). Il semblerait donc que, lors des négociations relatives au traité de Rome, les auteurs aient volontairement adopté un texte plus strict sur la qualité pour agir (51). À l’examen des documents historiques, il apparaît que l’idée était (ici encore) de permettre aux requérants non privilégiés de former un recours uniquement contre les décisions qui les concernent individuellement, y compris celles qui sont « dissimulées » sous les apparences de règlements ou de décisions adressées à des tiers (52).
56. Il est intéressant d’observer que la question d’un éventuel assouplissement de la condition de l’« affectation individuelle » par la voie d’une modification du traité a été soulevée avant et pendant plusieurs conférences intergouvernementales. Les auteurs des traités – qui, bien sûr, étaient pleinement conscients de la nature « granitique » de la jurisprudence Plaumann – ont toutefois finalement décidé de ne procéder à aucune modification en la matière. Par exemple, le Cercle de discussion sur le fonctionnement de la Cour de justice, institué pendant la convention de 2002 et 2003 sur l’avenir de l’Europe, était partagé sur la question de savoir s’il fallait abroger (ou modifier) la condition de l’affectation individuelle, alors que la majorité de ses membres s’accordaient sur d’autres changements à apporter à la disposition (53). En fait, seuls ces derniers changements ont été intégrés, d’abord, dans la proposition de traité établissant une Constitution pour l’Europe et, ensuite, dans le Traité de Lisbonne (54).
57. La Cour a fait la même constatation dans son arrêt rendu dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, dans laquelle les requérants lui avaient explicitement demandé de réexaminer la formule Plaumann et de la remplacer par le critère de l’« effet dommageable substantiel ». En particulier, la Cour a jugé qu’« il n’existe aucun élément permettant de considérer que les auteurs du traité de Lisbonne avaient l’intention de modifier la portée des conditions de recevabilité déjà prévues à l’article [263], quatrième alinéa, [TFUE] » (55).
58. J’ajouterais qu’il n’y a pas non plus d’élément textuel ou historique suggérant que les auteurs des traités avaient l’intention (lors de l’adoption du traité de Rome ou de ses modifications ultérieures) de permettre aux personnes privées, par la voie de l’article 263 TFUE (actuel), d’introduire une forme d’actio popularis (56) ou un recours constitutionnel (57), ni de leur conférer un droit spécifique d’agir en justice contre les violations alléguées de leurs droits fondamentaux (58).
59. Outre ces éléments textuels et historiques, un élément systémique plaide également en faveur d’une lecture prudente de la condition de l’affectation individuelle.
c) Lecture systémique de l’article 263 TFUE
60. Le système juridictionnel de l’Union a une structure particulière fondée sur deux piliers provenant du fait que l’Union européenne n’est ni une organisation internationale typique ni un État-nation (59). Cette particularité ressort, en premier lieu, de l’article 19, paragraphe 1, TUE qui – en tant qu’il confie à la Cour la mission d’« [assurer] le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » – dispose que « [l]es États membres [doivent établir] les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Il découle de cette disposition que les juridictions nationales sont destinées à être, pour les justiciables cherchant à faire respecter les droits qu’ils tirent du droit de l’Union, le juge de l’Union de droit commun (60).
61. En outre, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, chaque institution doit « [agir] dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci ». Cette disposition doit être lue à la lumière du principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique clé de la structure institutionnelle de l’Union, qui implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres (61). S’agissant de la Cour, on ne saurait ignorer qu’elle a été dotée d’une compétence clairement définie : aux termes de l’article 274 TFUE, « [s]ous réserve des compétences attribuées à la [Cour] par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales ».
62. Les dispositions qui précèdent montrent qu’il y a (évidemment) des limites à ce que la Cour peut lire dans les dispositions des traités pour définir la compétence dont elle est investie au titre de l’article 263 TFUE. Elles attestent également l’existence d’un lien indissociable et d’une interdépendance entre le pouvoir judiciaire de l’Union et celui des États membres (62).
63. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans son avis 1/09, « il est veillé au respect de [l’]ordre juridique et du système juridictionnel de l’Union par la Cour et les juridictions des États membres », et les juridictions nationales remplissent, en collaboration avec la Cour, « une fonction qui leur est attribuée en commun, en vue d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » (63).
64. En fait, le contrôle de la légalité des actes de l’Union repose sur deux procédures juridictionnelles complémentaires : les recours directs (parmi lesquels figurent, notamment, le recours en annulation) et la procédure préjudicielle en matière de validité. Ainsi que la Cour l’a souligné de manière constante dans sa jurisprudence, les traités ont, par les articles 263 et 277 TFUE (64), d’une part, et par l’article 267 TFUE, d’autre part, « établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union » (65). Dans son arrêt Bosphorus, bien connu, la Cour EDH a considéré, en substance, que cette structure particulière était conforme aux normes établies par la CEDH (66).
65. Pour toutes les raisons qui précèdent, je ne suis pas convaincu que la formule Plaumann procède d’une interprétation erronée de la condition de l’affectation individuelle prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Les autres interprétations de cette condition, telles qu’elles ont été proposées sur le plan judiciaire et extra‑judiciaire, 1°) n’offrent pas un degré de sécurité juridique suffisant, et 2°) ne sont pas pleinement conformes à la genèse, à l’esprit et à la lettre de la disposition du traité. Enfin, je considère également qu’il n’est pas déraisonnable, dans de nombreuses situations, d’exiger que la question de la validité des actes de l’Union soit d’abord soulevée devant les juridictions nationales, qui feront office de filtre pour décider de l’opportunité de saisir la Cour de cette question – qui n’est pas dénuée de fondement à première vue – au titre de l’article 267 TFUE.
66. Cela étant dit, pour paraphraser Candide de Voltaire (67), cela signifie‑t‑il que, en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour relative à l’« affectation individuelle », tout est pour le mieux et que l’Union européenne a le meilleur des systèmes juridictionnels ?
67. Je ne pense pas.
4. La jurisprudence Plaumann revisitée
68. À mon avis, bien que la formule Plaumann soit appropriée, la jurisprudence est loin d’être claire et, en outre, certaines interprétations de cette formule ont été trop restrictives et sont inconciliables avec une lecture raisonnable de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, à plus forte raison dans l’Union européenne de 2025. Par conséquent, je vais à présent faire trois suggestions à la Cour et conclurai ensuite par trois observations finales sur les raisons pour lesquelles il serait faisable, souhaitable et opportun de réexaminer la jurisprudence Plaumann.
a) Systématisation de la jurisprudence
69. Ma première suggestion à la Cour serait de systématiser la jurisprudence afin que les potentiels requérants et le Tribunal puissent identifier plus clairement les différentes circonstances dans lesquelles une personne peut être considérée comme étant « individuellement concernée » par un acte de l’Union. Il n’est pas rare que la Cour rende un arrêt de principe par lequel elle met à jour et rassemble plusieurs courants jurisprudentiels pour mettre en place un cadre cohérent et exhaustif concernant une question donnée de nature procédurale (68).
70. Pour une personne qui n’est pas spécialiste du droit de l’Union, il peut paraître surprenant que, dans bon nombre de décisions des juridictions de l’Union, l’appréciation de la recevabilité du recours appelle de longues et complexes discussions. Idéalement, la recevabilité devrait être relativement facile à vérifier. Un système est intrinsèquement étrange si, dans de nombreuses affaires, la question de la recevabilité du recours requiert une longue analyse alors que celle du fond nécessite un examen beaucoup plus court (69).
71. C’est probablement la complexité de cette matière qui a conduit à la jurisprudence Boehringer, dans laquelle la Cour a admis que, si une bonne administration de la justice le justifie, il est possible de rejeter au fond un recours introduit sur la base de l’article 263 TFUE, sans statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par une autre partie (70). Cette jurisprudence offre une solution pragmatique aux problèmes que pose une telle complexité. Toutefois, bien qu’elle soit défendable pour des raisons d’économie procédurale, elle n’aurait probablement pas de raison d’être dans un système moins complexe.
72. L’incertitude créée par la complexité de l’analyse de l’affectation individuelle est également susceptible de poser problème au regard de la jurisprudence TWD Deggendorf. Dans cette jurisprudence, la Cour a considéré, en substance, qu’il serait contraire au principe de sécurité juridique qu’une personne, qui aurait pu sans aucun doute attaquer un acte de l’Union devant les juridictions de celle‑ci et qui a laissé s’écouler le délai impératif prévu à cet égard à l’article 263 TFUE, soit autorisée à remettre en cause la légalité de cet acte devant une juridiction nationale à l’occasion d’un recours dirigé contre les mesures d’exécution dudit acte qui ont été adoptées par les autorités nationales. Toute autre approche reviendrait à permettre au requérant de contourner le caractère définitif qui doit s’attacher à l’acte attaqué après l’expiration des délais de recours. Dans ces circonstances, une demande de décision préjudicielle portant sur la validité d’un tel acte est donc irrecevable (71).
73. Je pense que l’on peut affirmer que, bien que les personnes concernées se voient accorder le bénéfice du doute (ainsi qu’il ressort des termes « sans aucun doute »), l’analyse requise au titre de la jurisprudence TWD Deggendorf n’est pas facile à effectuer (72). De façon assez évidente, cette situation a pour conséquence que, dans bon nombre d’affaires, les personnes concernées par l’acte devront introduire, par sécurité, deux procédures distinctes : l’une devant les juridictions nationales et l’autre devant les juridictions de l’Union (73). C’est ce qui s’est effectivement produit en l’espèce (74). Pour des raisons évidentes, la multiplication des procédures portant sur la même question, avec les coûts élevés que cela comporte pour les parties et la société, devrait être évitée.
74. Je considère donc qu’il est particulièrement indiqué que la Cour clarifie davantage sa jurisprudence relative à la condition de l’affectation individuelle par la voie d’un arrêt de principe. J’espère que la systématisation proposée aux points précédents des présentes conclusions pourra assister la Cour à cet effet. Pour être clair, cette systématisation n’a pas vocation à illustrer de manière exhaustive toutes les situations possibles dans lesquelles on peut conclure à l’« affectation individuelle » aux fins de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, mais seulement à refléter la jurisprudence existante. En effet, comme l’avocat général Bobek l’a indiqué dans ses conclusions dans l’affaire Nord Stream 2, « [le] critère [Plaumann] est certes strict, mais, du moins à première vue, il est aussi relativement ouvert et souple » (75). La condition de l’affectation individuelle dépend non seulement de la situation concrète du requérant, mais également de la forme et du contenu de l’acte ainsi que de la procédure qui a conduit à son adoption. Par exemple, ainsi qu’il ressort du règlement Aarhus (76), la législation de l’Union peut créer de nouvelles catégories de personnes « individuellement concernées » par certains actes des institutions de l’Union (77).
75. Ainsi, bien que toute systématisation actuelle de la jurisprudence n’exclue pas que la Cour puisse identifier, dans le futur, d’autres situations dans lesquelles un groupe de personnes peut être individuellement concerné par un certain type d’acte de l’Union, elle fournit néanmoins des indications claires sur l’état actuel du droit aux potentiels requérants ainsi qu’au Tribunal.
b) L’ajustement du critère du cercle fermé
76. À la partie 3 de la présente section, j’ai exposé les raisons pour lesquelles je considère que la formule Plaumann procède d’une interprétation plausible de la condition de l’affectation individuelle prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Eu égard à ces considérations, je suis également d’avis que le critère du cercle fermé constitue une application raisonnable de la formule Plaumann. Je rappelle que, selon ce critère typiquement utilisé dans le contexte d’actes de nature générale, lorsque l’acte affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par ledit acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint de personnes affectées.
77. On peut difficilement contester que, lorsque des personnes concernées par un acte de l’Union ne sont ni identifiées ni identifiables, cet acte a été adopté en réaction à un ensemble donné de circonstances envisagées de manière abstraite, sur la base de considérations de politique générale. En même temps, à mon sens, il est également raisonnable que le simple fait que toutes les personnes affectées par un acte de l’Union étaient identifiées ou identifiables lors de l’adoption de cet acte ne suffit pas, en lui‑même, à considérer que ces personnes sont individuellement concernées. En effet, il n’est pas inhabituel que, sur un marché donné, seuls quelques opérateurs soient bien connus des autorités et du public. Le critère de l’affectation individuelle ne saurait être appliqué différemment selon que l’acte concerne, par exemple, la prestation de services d’avocat ou de médecin, ou la fabrication de grands aéronefs ou de véhicules militaires blindés. Il peut toutefois en aller autrement lorsque, en dépit du fait que l’acte soit formulé en des termes généraux et que celui‑ci s’applique indistinctement à toutes les personnes concernées, il a, en substance, été conçu sur mesure pour répondre à la situation d’une ou de plusieurs personnes spécifiques (78).
78. Comme je l’ai indiqué au point 27 des présentes conclusions, il faut donc quelque chose en plus que la simple circonstance que les personnes affectées soient identifiées ou identifiables. C’est pourquoi la jurisprudence exige que ces personnes fassent partie d’un cercle fermé qui, au regard de la disposition attaquée, présente certaines caractéristiques distinctives. Cette approche est conforme à la raison d’être de la disposition qui, comme je l’ai indiqué, a toujours été de traiter la situation dans laquelle un acte de l’Union a un impact sur la situation juridique d’une ou de plusieurs personnes qui va au‑delà de l’impact que cet acte exerce sur le reste des personnes affectées. Cette différence entre l’impact exercé sur les personnes individuellement concernées et celui produit sur les personnes qui ne le sont pas ne saurait résider (uniquement ou principalement) dans le degré de l’impact et devrait dépendre (du moins dans une large mesure) de la nature de celui‑ci (79).
79. Tel que je le comprends, le point commun entre les affaires dans lesquelles la Cour a admis l’affectation individuelle est que l’institution responsable soit a pris en compte (explicitement ou implicitement), soit aurait dû prendre en compte – sur la base de certaines dispositions spécifiques ou de principes généraux du droit de l’Union – la situation particulière des requérants telle qu’elle se présentait avant l’adoption de l’acte attaqué. Il en est ainsi, en substance, lorsqu’il fallait concilier les motifs d’ordre politique qui ont incité l’institution à agir avec les droits et intérêts de certains sujets qui, pour certaines raisons, ne pouvaient pas être pleinement assimilés à ceux des autres personnes affectées. Il est indifférent que l’institution en cause ignorait le nombre ou l’identité de ces personnes, pour autant qu’elle ait été en mesure de recueillir les informations nécessaires (80). À cet égard, il me semble que les quatre situations mentionnées au point 28 des présentes conclusions constituent de bons exemples.
80. Je suis évidemment conscient que certains arrêts de la Cour paraissent aller à l’encontre de cette constatation (81). Ces affaires sont toutefois assez spécifiques et les déclarations faites par la Cour dans ce cadre ne sauraient être généralisées. Les affaires en question portaient sur des recours introduits non pas par des personnes privées agissant pour protéger leurs droits, mais par une autorité régionale (l’un des trois territoires constituant le Royaume des Pays‑Bas) agissant simplement dans l’intérêt général en qualité d’entité responsable des questions d’ordre économique et social sur son territoire, contre une mesure dont l’impact sur son économie était assez limité (82). À cet égard, je rappellerais que, selon une jurisprudence bien établie, le simple fait que, en tant qu’instance compétente pour les matières économiques, sociales ou environnementales sur son territoire, une région ou une autre collectivité locale publique dispose d’une certaine compétence en ce qui concerne la matière réglementée par un acte de l’Union d’application générale ne saurait, à lui seul, suffire pour que cette région soit considérée comme « concernée » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (83). De plus, dans ces affaires, la législation pertinente de l’Union ne faisait référence que de manière vague et générique à la nécessité, pour l’institution responsable, de prendre en compte, parmi d’autres éléments, l’impact de l’acte projeté sur les domaines affectés (84). Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a jugé, l’impact produit par l’acte attaqué sur le territoire du requérant n’était pas différent de celui produit sur les autres territoires affectés (85).
81. Je ne pense donc pas que ces arrêts soient de nature à remettre en cause les considérations que j’ai formulées aux points précédents des présentes conclusions. En fait, une lecture extensive serait non seulement difficilement conciliable avec le reste de la jurisprudence Plaumann, mais elle serait également problématique d’un point de vue systémique. En effet, si une institution de l’Union est juridiquement tenue de prendre en compte la situation spécifique d’une ou de plusieurs personnes déterminées, ces personnes ont un droit correspondant de voir leur situation prise en compte. À l’évidence, il convient d’appliquer le principe ubi ius ibi remedium : dès lors qu’il y a un droit, il doit y avoir un recours. Par conséquent, les personnes concernées devraient être en mesure d’assurer la protection de leur droit devant une juridiction en contestant l’acte qui n’aurait pas tenu compte de leur situation, ou qui en aurait tenu compte de manière erronée. En fait, c’est précisément ce droit (d’être pris en compte) qui – pour rappeler la formule Plaumann – distingue individuellement les requérants « d’une manière analogue à celle dont le seraient les destinataires » (86). En substance, en adoptant un acte donné, il se peut que l’institution responsable ait non seulement institué des règles générales et abstraites qui s’appliquent à un nombre indéterminé de personnes, mais également qu’elle ait traité la situation d’une ou de plusieurs personnes identifiées ou identifiables comme si elle leur avait adressé un acte ayant un certain contenu décisionnel.
82. Cela étant dit, un élément du critère du cercle fermé me rend quelque peu perplexe.
83. Dans certaines décisions, les juridictions de l’Union ont exigé (ou ont semblé exiger) que la catégorie de personnes particulièrement affectée par l’acte attaqué, à laquelle le requérant prétend appartenir, soit composée d’un nombre déterminé de personnes qui ne peut pas augmenter après l’adoption de cet acte (ci‑après l’« élément futur ») (87).
84. J’ai deux réserves à cet égard.
85. Premièrement, d’un point de vue théorique, l’élément futur ne semble pas conforme à la logique qui sous‑tend la jurisprudence Plaumann. En substance, il requiert de comparer la situation d’un certain requérant (ou d’un groupe de personnes auquel il appartient) avec celle de personnes qui, à un moment donné dans le futur, sont susceptibles d’être affectées par l’acte attaqué.
86. Il ne s’agit toutefois pas de la comparaison qu’il incombe au pouvoir judiciaire de l’Union d’effectuer au titre de la jurisprudence Plaumann. L’équation de l’« affectation individuelle » est constituée de deux éléments : 1°) le caractère général du groupe de personnes affectées par l’acte attaqué, qui doivent être identifiées de manière abstraite sur la base du champ d’application personnel de cet acte (ci‑après la « généralité »), et 2°) un sous‑ensemble de ce groupe, c’est‑à‑dire un groupe plus réduit de personnes affectées (auquel le requérant appartient), qui, en raison de certaines spécificités, pourraient se distinguer de la généralité (ci‑après le « cercle restreint ») (88).
87. L’existence du cercle restreint doit s’apprécier in concreto en tenant compte de tous les éléments de droit et de fait susceptibles de caractériser la situation des personnes qui lui appartiennent. En effet, la formule Plaumann impose expressément aux juridictions de l’Union d’examiner les « qualités » et la « situation de fait » spécifiques du requérant. En fait, la Cour a précisé 1°) que l’affectation individuelle devait être établie « sur la base de la spécificité de la situation de [la] personne par rapport à toute autre personne concernée » (89), et 2°) que cette comparaison devait être effectuée « au regard de la disposition litigieuse » (90) et « à la date de [celle‑ci] » (91).
88. Dans ces conditions, l’élément crucial de l’analyse consiste à déterminer si la nature de l’impact exercé par la mesure attaquée diffère entre les deux groupes (est‑elle différente pour la généralité par rapport au cercle restreint ?). Je ne perçois pas clairement quel rôle l’élément futur devrait jouer ni quelle importance il conviendrait de lui attribuer dans le contexte de cette analyse.
89. En particulier, j’éprouve des difficultés à comprendre en quoi la capacité d’une ou de plusieurs personnes à attaquer un acte donné qui a été adopté (prétendument) sans que l’institution de l’Union en question ait dûment pris en compte leur situation spécifique devrait dépendre du comportement futur hypothétique d’autres particuliers (ceux qui, par exemple, sont susceptibles d’entreprendre une activité déterminée, de commencer à exercer une certaine activité commerciale ou de se rendre sur un territoire donné au sein de l’Union européenne). Dans une communauté de droit qui – comme je l’indiquerai aux points suivants des présentes conclusions – reflète les idées fondamentales des démocraties libérales fondées sur une économie de marché libre et ouverte, lesquelles mettent l’accent sur l’autonomie individuelle et la protection des droits fondamentaux, il est extrêmement rare qu’une catégorie de personnes exerçant une activité soit immuable dans le futur (92).
90. À mon avis, l’élément futur découle d’une application erronée de la jurisprudence Plaumann. Il résulte d’une analyse qui s’attache au champ d’application personnel de l’acte attaqué et qui ne tient pas suffisamment compte des caractéristiques effectives du sous‑groupe concerné. En conséquence, les éléments de nature théorique et hypothétique se voient accorder une importance déterminante aux dépens de la situation réelle existante. J’estime qu’une telle approche est difficilement conciliable avec la jurisprudence de la Cour citée au point 87 des présentes conclusions.
91. Deuxièmement, d’un point de vue pratique, je ne suis pas convaincu qu’il soit raisonnable et utile de prendre en considération l’élément futur.
92. Certes, l’élément futur est une caractéristique inhérente à toute situation dans laquelle le critère qui distingue le cercle restreint de la généralité se rapporte à des évènements passés, comme dans les cas visés au point 32 des présentes conclusions. Néanmoins, dans de tels cas, l’examen de l’élément futur par la Cour ne présente aucune valeur ajoutée, précisément parce que son existence est inévitable.
93. Dans d’autres situations également – en particulier celles où le critère qui distingue le cercle restreint ne concerne pas des évènements passés – l’examen de cet élément peut se révéler trompeur ou vain.
94. D’une part, il pourrait conduire à certaines incohérences : un requérant qui, au regard d’une certaine mesure, se trouve dans une situation distincte de celle de la généralité 1°) peut être individuellement concerné alors même que d’autres personnes se trouvent dans une situation identique, mais 2°) pourrait ne pas être individuellement concerné si une autre personne est susceptible de se trouver dans une situation similaire dans le futur. La raison d’une telle distinction m’échappe.
95. D’autre part, je me demande si une identification correcte du cercle restreint (c’est‑à‑dire une identification effectuée in concreto en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents de droit et de fait) ne rendrait pas vaine – ici aussi – l’analyse de l’élément futur.
96. Par exemple, en l’espèce, le Tribunal a concentré son analyse sur les entreprises qui interviennent dans la production et la vente de produits du tabac chauffés en examinant le champ d’application matériel et personnel de l’acte litigieux. Il ne fait aucun doute que les requérantes et toute entreprise qui, à l’avenir, exercera des activités sur le marché concerné sont comparables dans la mesure où elles seront toutes soumises aux mêmes règles, de sorte qu’elles « souffriront » des restrictions imposées à leurs activités par l’acte litigieux.
97. Or, les opérateurs actuels et futurs exerçant des activités sur ce marché se trouvent‑ils véritablement dans une situation similaire aux fins de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ? À mon sens, ce n’est manifestement pas le cas.
98. Ainsi que je l’indiquerai dans de plus amples détails dans mon appréciation du moyen de pourvoi des requérantes, celles‑ci font partie des entreprises qui ont introduit un produit nouveau sur le marché de l’Union et qui ont consenti des investissements considérables à cette fin, y compris le développement d’une nouvelle technologie, la création de nouveaux canaux de distribution et une campagne visant à faire connaître le produit aux consommateurs ainsi qu’à le rendre attractif auprès de ceux‑ci. En outre, pour l’exprimer en des termes simples, l’acte litigieux a été introduit précisément parce que les efforts des requérantes ont été récompensés et que les ventes du nouveau produit ont ainsi augmenté de manière significative sur une période relativement courte. De surcroît, la Commission a constaté cette augmentation – et, en conséquence, la nécessité ainsi que l’opportunité d’adopter l’acte litigieux – en recourant aux données de vente produites, entre autres, par les requérantes elles‑mêmes.
99. Comment pourrait‑on considérer que des entreprises susceptibles d’entrer un jour sur ce marché – par exemple, en profitant (« free riding ») des investissements effectués par les requérantes – se trouvent dans une situation véritablement similaire à celle des requérantes ?
100. Pour conclure sur ce point, je suis d’avis que l’élément futur est difficilement conciliable avec les principes fondamentaux de la jurisprudence Plaumann et que, de surcroît, il peut facilement faire l’objet d’une interprétation et d’une application erronées. C’est pourquoi je suggère à la Cour de confirmer le critère du cercle fermé, mais d’abandonner l’exigence selon laquelle le cercle de personnes en question ne doit pas pouvoir augmenter après l’adoption de l’acte attaqué.
c) Un traitement équivalent de toute personne au regard de tout droit
101. Ma troisième et dernière suggestion à la Cour serait d’appliquer la jurisprudence Plaumann de façon plus cohérente dans les différentes affaires dont elle est saisie, indépendamment du type de requérant ou de la catégorie de droits ou d’intérêts affectés. Il me semble, en effet, que les principes de la jurisprudence Plaumann ont été appliqués avec plus de rigueur à certaines occasions et avec plus d’indulgence à d’autres occasions, dans des affaires qui – du moins lorsqu’on les envisage avec un regard actuel – étaient largement similaires. On peut soutenir que, si une telle situation était justifiable dans la Communauté économique européenne (ci‑après la CEE) de 1963, elle ne l’est plus dans l’Union européenne de 2025.
102. Jusqu’à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, les Communautés de l’époque s’intéressaient principalement au commerce et à l’économie. La plupart des affaires qui arrivaient au Plateau de Kirchberg avaient trait à des matières telles que la libre circulation, la concurrence, la politique et la défense commerciales, les douanes, l’agriculture et la pêche (93). Il n’est donc pas surprenant que la jurisprudence Plaumann ait été plus réceptive aux éventuelles violations de droits économiques alléguées par des personnes économiquement actives : les travailleurs, les indépendants ou les sociétés. En définitive, le principal objectif des Communautés de l’époque était de créer un marché commun.
103. La situation a considérablement évolué dans l’Union européenne de 2025. Pour atteindre ses objectifs transversaux (promouvoir la paix, ses valeurs et le bien‑être de ses peuples), l’Union européenne doit non seulement établir et renforcer un marché intérieur, mais également, entre autres, « [offrir] à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice », « [œuvrer] pour le développement durable », « qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement », et « [promouvoir] le progrès scientifique et technique ». L’amélioration du bien‑être économique des peuples européens n’est plus le (seul et unique) principe directeur de l’Union européenne.
104. Par conséquent, les droits économiques des citoyens de l’Union ne sauraient se voir accorder le statut de primi inter pares dans le système juridique de l’Union, dès lors qu’ils ont la même importance que les droits et libertés d’une autre nature (civile, politique, sociale, etc.). Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, au sein de l’ordre juridique de l’Union, aucune prééminence n’est reconnue à une catégorie de droit sur une autre (94). Lorsque différents droits sont en cause, leurs exigences doivent être conciliées, autant que possible, dans le respect d’un juste équilibre entre eux (95). En cas de conflit direct, les droits qui doivent prévaloir dépendront des circonstances spécifiques de l’espèce (96).
105. En outre, je n’ai guère besoin de souligner que la Charte garantit aux citoyens de l’Union le droit de poursuivre leurs intérêts communs par la création d’une personne morale, que ces intérêts soient d’ordre économique ou d’une autre nature (97).
106. Il découle des considérations qui précèdent qu’il est peut‑être nécessaire de rééquilibrer la manière d’appliquer la jurisprudence Plaumann dans les différentes affaires. En particulier, lorsqu’il s’agit d’examiner l’affectation individuelle, 1°) les entités sans but lucratif (telles que les associations et les organisations non gouvernementales (98)) devraient généralement être prises en considération selon les mêmes standards que ceux appliqués aux entités à but lucratif (telles que les sociétés), et 2°) il devrait être indifférent de savoir si les droits et intérêts des requérants affectés par les mesures attaquées sont de nature économique ou autre.
107. Je vais à présent donner deux exemples hypothétiques pour illustrer l’impact que cela pourrait avoir en pratique.
108. Premièrement, un acte de l’Union qui, pour préserver les stocks halieutiques, interdit, pendant une période considérable, les prises les plus lucratives dans les zones maritimes entourant une île isolée est susceptible, à mes yeux, de concerner individuellement l’association locale de petits pêcheurs – qui représente les intérêts de toutes les personnes dont les moyens d’existence dépendent entièrement des activités de la pêche – mais pas les autres catégories de personnes qui sont également touchées par l’acte à des degrés divers : les habitants de l’île, les restaurateurs locaux et les grandes entreprises actives dans l’industrie de la pêche (qui pourraient facilement envoyer leurs bateaux ailleurs).
109. Deuxièmement, un acte de l’Union qui affecte sévèrement les espèces animales avis avium vivant sur le site Natura2000 d’Antiqua Silva peut ne pas concerner individuellement les différentes personnes qui résident autour de ce site, les ornithologues amateurs ou les associations environnementales internationales. Cependant, cet acte affecte certainement, de façon très distinctive, l’association locale dont la mission statutaire est précisément de protéger les avis avium sur le site Antiqua Silva.
110. Dans chacune de ces situations, la différence entre la manière dont l’association imaginaire est affectée par l’acte de l’Union en cause et la manière dont les autres personnes sont atteintes par celui‑ci n’est pas une question de degré mais réside dans la nature de l’effet de cet acte. L’intérêt affecté peut être de nature économique (premier exemple) ou non (deuxième exemple). Dans les deux cas, l’acte touche au cœur de l’activité de l’association en affectant un intérêt qui va au‑delà de celui des personnes qui appartiennent à cette association. Par conséquent, conformément à la jurisprudence visée à la note en bas de page 98 des présentes conclusions, ladite association devrait se voir reconnaître qualité pour agir eu égard à l’impact que la mesure hypothétique exerce sur ses propres intérêts en tant qu’association. Considérer que ces personnes morales ne sont pas individuellement concernées par ces actes – pour le seul motif qu’elles ne sont pas les seules à être affectées et/ou qu’elles ne disposent pas d’un monopole de droit ou de fait sur la protection des intérêts en cause – serait non seulement formaliste, mais également détaché de la réalité.
111. Je ne perçois aucune différence de fond entre, d’une part, ces situations hypothétiques et, d’autre part, par exemple, les procédures engagées par des sociétés qui ne sont ni destinataires des décisions adoptées au titre de la réglementation de l’Union relative aux pratiques anticoncurrentielles et aux aides d’État, ni mentionnées dans ces décisions, mais qui sont, en revanche, des concurrents ou des partenaires commerciaux potentiels ou effectifs des sociétés concernées par lesdites décisions.
112. En conclusion, mes trois suggestions à la Cour sont les suivantes : 1°) systématiser la jurisprudence Plaumann afin de fournir davantage de clarté aux potentiels requérants et au Tribunal ; 2°) ajuster le critère du cercle fermé en cessant d’en faire une application excessivement stricte, et 3°) assurer que chacun soit pris en compte de manière équivalente au regard de tout droit. Dans les trois sous‑sections suivantes des présentes conclusions, je vais expliquer pourquoi, selon moi, il serait faisable, souhaitable et opportun de revisiter la jurisprudence Plaumann.
d) Première observation finale : pourquoi est‑il faisable de réexaminer la jurisprudence Plaumann ?
113. Contrairement aux critères proposés par l’avocat général Jacobs, le Tribunal et une partie de la doctrine juridique, mes suggestions relatives à l’interprétation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ne s’écartent pas de l’arrêt Plaumann. Je ne propose pas non plus d’abandonner ni de modifier substantiellement le critère du cercle fermé, auquel la Cour a recouru de manière constante pour établir l’affectation individuelle en présence de mesures de portée générale.
114. En fait, mes suggestions sont de nature systématique et leur portée est relativement modeste. La Cour peut les accepter tout en restant confortablement à l’intérieur du périmètre tracé par la jurisprudence existante, y compris par les récents arrêts de principe tels que ceux rendus dans les affaires UPA, Inuit ou Carvalho. Seul un courant jurisprudentiel assez limité et périphérique serait laissé de côté.
115. Eu égard à ce qui précède, je considère également qu’il serait largement exagéré de craindre que mes suggestions ouvrent la porte à une explosion du nombre des affaires portées devant les juridictions de l’Union. Premièrement, il ne faut pas négliger le fait que les personnes qui remplissent la condition de l’affectation individuelle doivent également satisfaire à l’exigence de l’« affectation directe » et prouver qu’elles ont un « intérêt » à agir (99). Par ailleurs, je n’ai guère besoin d’ajouter que les requérants doivent former leur recours contre un acte de l’Union dans un délai bien défini : ils doivent le faire dans les deux mois à compter de la publication de l’acte, de sa notification aux requérants ou du jour où ceux‑ci en ont eu connaissance (100). Deuxièmement, à mon avis, l’augmentation relative du nombre d’affaires susceptibles d’être recevables sera largement compensée par les économies de ressources que la Cour sera en mesure de réaliser grâce à une systématisation claire de la matière. Troisièmement, le Tribunal étant composé de 54 juges, une augmentation modeste du volume des affaires devrait être tout à fait gérable (101). Enfin, quatrièmement (et il s’agit d’un élément tout aussi important), lorsqu’elle contrôle la validité des actes de l’Union, la Cour laisse généralement une marge d’appréciation relativement large aux institutions de l’Union en ce qui concerne les choix politiques et les appréciations techniques complexes (le contrôle dit « marginal » de la Cour) (102). Il s’ensuit que, même parmi les affaires qui seront considérées comme étant recevables, une partie non négligeable de celles‑ci pourra faire l’objet d’un traitement rapide au fond, dès lors que l’institution en question n’a pas outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation, ce qui aurait conduit à une erreur manifeste d’appréciation.
e) Deuxième observation finale : pourquoi est-il souhaitable de réexaminer la jurisprudence Plaumann ?
116. À mon avis, un autre avantage s’ajoute à ceux déjà exposés aux points précédents des présentes conclusions. Celui‑ci résulte du rôle accru que certaines associations pourront jouer dans les litiges portés directement devant les juridictions de l’Union.
117. Ainsi que l’avocate générale Sharpston l’a observé, en substance, un système qui promeut une canalisation des procédures judiciaires relatives à des intérêts collectifs (tels que la protection de l’environnement) au travers d’organisations non gouvernementales « [reconnaît] que de telles entités n’engorgent ni ne paralysent les tribunaux. Bien au contraire, elles permettent de rassembler dans une seule action les demandes d’un nombre élevé d’individus[, agissant ainsi] comme un filtre qui, à la longue, aboutit à faciliter le travail des juridictions ». Elle a, en outre, relevé que « ces associations disposent souvent d’une expertise technique dont sont normalement dépourvus les particuliers [et que] l’apport d’informations de nature technique au procès constitue également un élément positif situant la juridiction dans une meilleure position pour trancher le litige » (103).
118. Je n’ai pas beaucoup de commentaires à ajouter à ces considérations très raisonnables. Le renforcement du rôle joué par les associations est également un élément qui, dans une certaine mesure, permettra de remédier au paradoxe mentionné au point 41 des présentes conclusions, selon lequel au plus l’intérêt en cause est général et collectif et au plus la mesure est préjudiciable, au moins il est probable que les requérants soient considérés comme étant individuellement concernés en vertu de la jurisprudence Plaumann.
119. Je suis toutefois sensible aux arguments avancés par l’avocat général Cosmas selon lesquels un élargissement jurisprudentiel des conditions de recevabilité en faveur des associations pourrait 1°) être utilisé de façon abusive, puisque les personnes physiques qui n’ont pas qualité pour agir pourraient tenter de contourner cet obstacle procédural en constituant une organisation spécifique et spécialement destinée à être utilisée comme véhicule procédural, et 2°) permettre à un nombre potentiellement important et infini d’associations de former un recours (104).
120. Ces objections sont toutefois facilement surmontables. Premièrement, il serait certainement approprié d’exiger que l’association en question soit véritable et de l’obliger à prouver ses activités passées (105). Deuxièmement, il ne saurait suffire qu’une association soit généralement active dans un domaine affecté par la mesure attaquée ni que ses objectifs incluent la protection de l’intérêt prétendument atteint par cette mesure. En effet, une telle approche augmenterait excessivement le nombre des associations concernées, en contradiction manifeste avec la logique qui sous‑tend la jurisprudence Plaumann. Comme je l’ai indiqué, il conviendra d’examiner si la mesure attaquée est susceptible d’avoir un impact significatif sur l’activité principale de l’association, telle qu’elle est définie dans ses statuts.
121. En fait, il semble que, dans un certain nombre d’États membres, les juridictions nationales aient interprété leurs règles procédurales (y compris celles relatives à la qualité pour agir, le cas échéant) de manière à autoriser les recours dirigés contre des mesures qui auraient porté atteinte à des intérêts collectifs, en particulier lorsque ces recours sont formés par des associations représentatives. Certaines des décisions rendues dans ces affaires sont particulièrement remarquables quant à la mesure dans laquelle elles ont protégé l’intérêt public indûment affecté par les actes attaqués (106).
122. En outre, la Cour EDH s’est également récemment prononcée en ce sens. En fait, je pense que la Cour pourrait s’inspirer des décisions rendues en avril 2024 par la grande chambre de la Cour EDH dans trois affaires relatives au changement climatique. Bien que celle‑ci ait déclaré irrecevables les recours formés par les requérantes individuelles, elle a jugé qu’une association avait le droit d’introduire un recours (107). En substance, compte tenu de la nature collective de l’intérêt protégé par les requérantes, la Cour EDH a reconnu l’importance d’autoriser une association à recourir à l’action en justice, plutôt que de se reposer exclusivement sur des procédures entamées par chaque individu pour son propre compte. Elle a toutefois exigé, à cette fin, que la requérante réponde à trois critères. L’association doit ainsi démontrer 1°) qu’elle a été légalement constituée dans le pays concerné ou qu’elle a la qualité pour agir dans ce pays ; 2°) qu’elle poursuit un but spécifique, conforme à ses objectifs statutaires, dans ledit pays, et 3°) qu’elle peut être considérée comme véritablement représentative et habilitée à agir pour le compte d’adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné.
123. Il me semble que ces critères correspondent, mutatis mutandis, à ceux que j’ai suggérés au point 120 des présentes conclusions en ce qui concerne la nécessité de prendre en compte la mission principale de l’association telle qu’elle ressort de ses statuts et de vérifier le caractère authentique de ses activités. Pour les raisons exposées aux points 101 à 112 des présentes conclusions, l’approche proposée semble s’accorder avec la jurisprudence Plaumann.
124. Dans ce contexte, j’ajouterais, en passant, que d’autres juridictions internationales admettent également des recours similaires. Par exemple, en mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer a également rendu un avis consultatif sur le changement climatique. Il a d’abord confirmé sa compétence pour donner un avis consultatif sur la base de l’article 21 de son Statut, en dépit des avis contraires exprimés par certains participants à l’instance, pour ensuite conclure que les États parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer avaient des obligations particulières « de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de [gaz à effet de serre] » (108).
125. L’on pourrait se demander si une application excessivement restrictive des règles relatives à la qualité pour agir prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ne réduirait pas la probabilité que la Cour soit saisie de litiges soulevant des questions similaires. Les requérants privilégiés sont souvent peu susceptibles de contester des mesures de portée générale devant les juridictions de l’Union, dès lors qu’ils ont généralement participé soit directement (s’agissant des institutions de l’Union), soit indirectement (pour ce qui est des États membres en tant que membres du Conseil) à l’adoption de l’acte attaqué.
126. Par conséquent, dans la plupart des cas, la possibilité pour la Cour de connaître de telles affaires dépendra de la bonne volonté des juridictions nationales devant laquelle une partie privée aura engagé la procédure, généralement dans le but même d’enclencher la procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE. Il n’y a évidemment aucune certitude que cela se produise et la procédure peut également être longue. Cela serait très regrettable, car de telles questions sont appelées à revêtir une importance significative pour l’action future de l’Union européenne dans certains domaines où la Cour a joué un rôle pionnier par le passé (109).
f) Troisième observation finale : pourquoi est‑il opportun de réexaminer la jurisprudence Plaumann ?
127. La sécurité juridique, qui exige un degré élevé de clarté et de stabilité du droit, est un principe de valeur constitutionnelle dans la plupart des systèmes juridiques et sa protection est une mission fondamentale de toute juridiction. Cependant, dans tout système juridique, il se peut que les juridictions suprêmes soient amenées à remettre en cause certaines présomptions et à revisiter une jurisprudence bien établie. La jurisprudence est‑elle toujours conforme aux principes fondamentaux du système juridique envisagé dans son ensemble et traduit‑elle les valeurs et les convictions des entités politiques dont elle constitue l’expression ?
128. À cet égard, la Cour EDH considère que la CEDH est un instrument vivant. La Cour a emprunté cette expression et y a recouru dans le contexte de la Charte, qu’elle a qualifiée d’« instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les États démocratiques [...], de sorte qu’il convient de tenir compte de l’évolution des valeurs et des conceptions, sur les plans tant sociétal que normatif, dans les États membres » (110).
129. Je n’ai guère besoin de souligner que le fait de revisiter une jurisprudence bien établie n’emporte pas nécessairement le renversement ou l’abandon de celle‑ci ; il peut simplement impliquer le réexamen, avec un regard neuf, des principes clés qui y sont établis, à la lumière du contexte juridique et social nouveau. Par exemple, dans son arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, la Cour a récemment revisité sa jurisprudence CILFIT de longue date (111). La Cour a finalement choisi de confirmer l’approche globale de cette matière, tout en y apportant certaines précisions et certains ajustements (112).
130. À mon sens, il est temps que la Cour revisite sa jurisprudence Plaumann, non seulement parce que la présente affaire est l’occasion de le faire, mais également, et surtout, parce que – comme je l’ai indiqué aux points précédents des présentes conclusions – le système juridique actuel diffère profondément de celui qui était en vigueur à la date du prononcé de l’arrêt Plaumann.
131. La différence entre la CEE de 1963 et l’Union européenne de 2025 ne réside pas tant dans l’augmentation du nombre des États membres ou dans l’expansion géographique, ni dans l’élargissement des compétences et le renforcement des pouvoirs des institutions. C’est le tissu même de l’Union européenne (actuelle) qui a changé au cours de cette période. À l’époque, la CEE avait été conçue principalement comme une organisation économique et le traité fondateur ne faisait aucune mention explicite des droits fondamentaux ni de l’État de droit (113). Dans ce contexte, il était parfaitement logique d’imposer des exigences strictes en matière d’accès direct des justiciables privés au juge communautaire.
132. Dans un arrêt rendu peu après l’arrêt Plaumann, la Cour a expédié l’examen de l’argument des requérantes selon lequel, « si le recours à l’article 173 [CEE en vigueur à l’époque] devait être refusé en raison de l’interprétation restrictive de ses termes, les particuliers seraient privés de toute protection juridictionnelle, et dans l’ordre communautaire, et dans l’ordre interne, ce qui serait contraire aux principes fondamentaux régissant tous les pays membres ». La Cour a jugé qu’il n’était même pas nécessaire de pénétrer dans ces considérations, au motif qu’« on ne saurait les faire prévaloir à l’encontre du texte clairement restrictif de l’article 173 que la Cour a mission d’appliquer » (114). Il serait impensable d’adopter une approche juridictionnelle aussi minimaliste aujourd’hui.
133. Il ne faut pas perdre de vue, dans ce contexte, que l’arrêt Plaumann a été rendu quelques mois après l’arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos, et un an après l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (115). L’autonomie de l’ordre juridique de la CEE (de l’époque) – fraîchement qualifié de « nouvel ordre juridique de droit international » (116) – était un édifice dont la construction venait à peine de commencer.
134. Toutefois, au cours des décennies qui ont suivi, la Cour a progressivement introduit, dans le système juridique de la CEE (de l’époque), des principes tels que ceux de la démocratie, du respect des droits fondamentaux et de l’État de droit (117). Les États membres ont ensuite « constitutionnalisé » l’approche de la Cour au travers de modifications successives du traité. Le point culminant de ce processus a été l’adoption du traité de Lisbonne qui, en particulier, 1°) a élevé la démocratie, le respect des droits fondamentaux et l’État de droit au rang de valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée à l’article 2 TUE ; 2°) a fait de la Charte un instrument contraignant de droit primaire, et 3°) a introduit dans les traités un certain nombre de principes traduisant la nature démocratique de l’Union européenne. Je me réfère, en particulier, aux principes promouvant une participation plus significative des citoyens, des associations qui les représentent et, plus généralement, de la société civile à la vie démocratique de l’Union européenne (118).
135. On ne saurait ignorer ces changements constitutionnels lorsque des questions se posent au sujet de l’accès des particuliers à la justice. En particulier, le principe de l’État de droit (article 2 TUE) et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective (article 19, paragraphe 1, TUE et article 47 de la Charte) doivent être concrétisés.
136. Il n’en demeure pas moins, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante, que le juge de l’Union « ne peut pas, sans excéder ses compétences, interpréter les conditions selon lesquelles un particulier peut former un recours contre un acte de l’Union d’une manière qui aboutit à s’écarter de ces conditions, qui sont expressément prévues par le traité FUE, et ce même à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective » (119). En fait, comme la Cour l’a itérativement jugé, l’inscription du principe de protection juridictionnelle effective à l’article 47 de la Charte « n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant les juridictions de l’Union » (120).
137. En même temps, la Cour a explicitement reconnu que les règles relatives à sa compétence et, plus généralement, à l’accès des personnes privées à la justice devaient être interprétées, dans la mesure du possible, à la lumière des principes de protection juridictionnelle effective et de l’État de droit. Il en était ainsi avant le traité de Lisbonne (121) et c’est d’autant plus vrai maintenant que ces principes ont été expressément codifiés.
138. En fait, dans plusieurs affaires récentes, la Cour s’est fondée sur ces principes pour interpréter la réglementation de l’Union relative 1°) aux limites fixées à la compétence de la Cour dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune par l’article 24, paragraphe 1, TUE et l’article 275 TFUE (122) ; 2°) à la notion de « personne morale » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (123), et 3°) à la représentation juridique de parties privées dans les recours directs formés devant les juridictions de l’Union au regard du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et du règlement du Tribunal (124).
139. La Cour a enjoint aux juridictions nationales d’exploiter le plein potentiel du principe de protection juridictionnelle effective afin de garantir l’accès à la justice des particuliers et des associations qui les représentent. En effet, dans un certain nombres d’affaires, la Cour est allée assez loin en demandant aux juridictions nationales d’interpréter leurs règles procédurales conformément aux dispositions pertinentes du droit de l’Union ou d’annuler ces règles lorsqu’elles entravent la pleine efficacité de ce droit (125).
140. Je dois me rallier à l’avis des avocats généraux Jääskinen et Bobek selon lesquels il est nécessaire d’adopter une approche cohérente de cette matière : ce qui est requis des juridictions nationales doit l’être également du juge de l’Union (126). À cet égard, une conception timide de l’application du principe de protection juridictionnelle effective par la Cour pourrait donner une impression de « deux poids, deux mesures » (127).
141. Il n’est pas besoin d’avoir une boule de cristal pour savoir que, dans le monde 2.0, les principaux risques auxquels s’exposent les citoyens de l’Union ne seront pas (seulement ou surtout) de nature économique, mais se rapporteront probablement à des droits et libertés tels que ceux liés à la dignité humaine, à la liberté d’expression, au respect de la vie privée et à la santé humaine. De même, l’Union européenne peut être amenée à relever de nombreux défis pour sauvegarder et promouvoir ses valeurs, parmi lesquelles figurent la démocratie, la solidarité, l’État de droit et la protection de l’environnement. La mission de la Cour restera identique, mais les questions qui seront soulevées devant elle seront certainement (encore plus qu’aujourd’hui) différentes de la majorité de celles dont elle a été saisie en vertu des traités CEE ou CE. Dans ce contexte, le juge de l’Union devrait logiquement connaître directement de certaines affaires exigeant d’examiner minutieusement la manière dont l’Union européenne a exercé ses compétences, en mettant en balance des objectifs concurrents.
142. Dans ses conclusions dans l’affaire UPA, l’avocat général Jacobs a expliqué en détail pourquoi il considérait, pour plusieurs raisons, que le recours direct devant les juridictions de l’Union était plus adéquat que le renvoi préjudiciel pour assurer un contrôle approfondi de la validité d’un acte de l’Union (128). À mon sens, ces raisons – qu’il n’y pas lieu de commenter ici – demeurent largement valides aujourd’hui.
143. En outre, ma proposition permettrait d’atténuer le problème – souligné par l’avocat général Wathelet – tenant au fait que, même après les modifications de l’article 263 TFUE qui ont été apportées par le traité de Lisbonne, il se peut qu’aucun recours ne soit ouvert au niveau national pour saisir un juge national de telles questions (129). Dans ce cas, le dogme selon lequel les traités ont établis un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union (130) n’est pas – pour employer un oxymore – une vérité absolue.
144. Dans l’hypothèse où l’Union européenne adhérerait à la CEDH, ainsi que l’exige l’article 6, paragraphe 2, TUE, il serait également de la plus haute importance de combler ces lacunes. Comme la Cour EDH l’a indiqué de manière constante, l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable est une disposition 1°) qui établit notamment l’un des principes fondamentaux de toute société démocratique ; 2°) qui ne saurait recevoir une interprétation restrictive ; 3°) qui protège des « droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et 4°) dont les conditions doivent être remplies dans chaque cas (131). Eu égard à l’arrêt Klimaseniorinnen (132) et à la corrélation qui existe entre l’article 47 de la Charte et l’article 6 de la CEDH, il semble particulièrement opportun de mener une réflexion à ce sujet. En effet, après que les négociations relatives à un accord révisé se sont achevées avec succès en mars 2023 (133) et que la Cour a rendu l’arrêt KS et KD (134), certains observateurs ont estimé que la voie vers l’adhésion était peut‑être à nouveau ouverte (135).
145. C’est à la lumière des considérations qui précèdent que je vais à présent examiner les arguments avancés par les requérantes dans la présente affaire.
B. Première branche du premier moyen de pourvoi
1. Les arguments des parties
146. Par la première branche de leur premier moyen de pourvoi, dirigée contre les points 45 à 52 de l’ordonnance attaquée, les requérantes soutiennent que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et dénaturé les faits en jugeant que le règlement litigieux ne les concernait pas individuellement et, en conséquence, que leur recours en annulation était irrecevable. Selon elles, le Tribunal a fait une appréciation erronée de l’importance juridique des éléments de preuve qu’elles avaient invoqués devant lui et conclu à tort que ces éléments ne suffisaient pas à établir l’affectation individuelle. Les requérantes considèrent que le Tribunal n’a pas procédé à une appréciation globale de leur situation et, au contraire, qu’il a examiné séparément chacun des éléments qu’elles avaient produits. Elles soutiennent que cette approche est contraire à la jurisprudence constante selon laquelle il convient d’identifier le faisceau d’éléments ou l’ensemble d’éléments factuels et juridiques qui pourraient venir caractériser une individualisation des requérantes par rapport aux autres personnes affectées.
147. La Commission fait valoir que la première branche du premier moyen de pourvoi des requérantes est dénuée de fondement. Elle soutient, en particulier, que la circonstance que le Tribunal ait examiné les arguments des requérantes de manière systématique et structurée n’implique pas qu’il n’ait pas tenu compte du faisceau d’éléments dans son intégralité. La Commission affirme que, en première instance, les requérantes ont avancé un nombre relativement limité d’arguments à l’appui de leur allégation tirée de ce qu’elles étaient individuellement concernées. En substance, il s’agit des arguments selon lesquels 1°) elles forment un cercle fermé d’opérateurs économiques identifiables et effectivement identifiés lors de l’adoption de la directive déléguée en raison des déclarations et des notifications effectuées au titre des articles 5 et 19 de la directive 2014/40, et 2°) la directive déléguée serait susceptible de porter une atteinte substantielle à leur position sur le marché. Selon la Commission, ces arguments ont été correctement examinés dans l’ordonnance attaquée. Elle soutient en outre que les requérantes suggèrent à tort que le Tribunal a considéré que l’acte litigieux produisait le même effet sur tous les opérateurs. En fait, toujours selon la Commission, le Tribunal a jugé que cet acte affectait les opérateurs disposant d’une autorisation de commercialiser des produits du tabac chauffés de la même manière qu’il affectait les opérateurs ne disposant pas d’une telle autorisation, mais qui ont l’intention de mettre de tels produits sur le marché.
148. Le gouvernement français soutient les arguments avancés par la Commission. En particulier, il souligne que le simple fait que les requérantes appartiennent à un cercle identifié d’opérateurs n’établit pas, en lui‑même, leur affectation individuelle par l’acte litigieux. Le gouvernement français ajoute qu’il s’agit d’un acte de portée générale dans la mesure où il s’applique à tous les opérateurs concernés ou intéressés par la commercialisation de produits du tabac chauffés, indépendamment du fait qu’ils aient obtenu ou demandé une autorisation de mise sur le marché.
2. Analyse
149. Je considère que cette branche du moyen de pourvoi est fondée, le Tribunal ayant fait une interprétation et une application erronée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Après un bref résumé des passages pertinents de l’ordonnance attaquée [section a)], j’indiquerai en quoi sa motivation relative à la condition de l’affectation individuelle n’est pas convaincante [section b)]. J’expliquerai pourquoi, s’il avait correctement appliqué la jurisprudence Plaumann, le Tribunal serait parvenu à une conclusion différente à cet égard.
a) L’ordonnance attaquée
150. Le Tribunal a commencé par rappeler les principes de base de la jurisprudence Plaumann aux points 34 à 36 de l’ordonnance attaquée. Il a ensuite brièvement commenté les éléments pertinents du système établi par la directive 2014/40 pour la vente de produits du tabac sur le marché de l’Union. Dans ce contexte, il a souligné que « les fabricants et les importateurs ne peuvent mettre sur le marché que les produits du tabac conformes aux exigences de ladite directive et qui ont fait l’objet des déclarations et des notifications prévues par celle-ci, voire, le cas échéant, des autorisations prévues par les États membres ayant instauré un système d’autorisation ». À cet égard, les obligations qui incombent, en particulier, aux fabricants et aux importateurs de nouveaux produits du tabac sont prévues – ainsi que le Tribunal l’a indiqué – aux articles 5 et 19 de la directive 2014/40.
151. Le Tribunal a ensuite examiné si le fait que les requérantes aient effectué ces déclarations et notifications auprès des autorités compétentes et que, en outre, certaines d’entre elles aient obtenu une autorisation de commercialisation pour des produits du tabac chauffés contenant des arômes caractérisant (dans les États membres qui ont instauré un système d’autorisation) suffisait à les distinguer individuellement aux fins de la jurisprudence Plaumann.
152. Le Tribunal a répondu par la négative à cette question.
153. Tout d’abord, il a jugé que la seule circonstance que les opérateurs ayant procédé à une déclaration ou à une notification ou détenant une autorisation étaient identifiables au moment de l’adoption de l’acte litigieux ne saurait suffire lorsque ledit acte s’applique en vertu de considérations générales et abstraites. À cet égard, le Tribunal a relevé que la Commission n’était pas tenue de prendre particulièrement en compte leur situation lors de l’adoption de l’acte litigieux. En outre, il a indiqué que l’argument tiré du fait que seul un faible nombre d’entreprises étaient actuellement affectées par l’acte litigieux ne saurait davantage prospérer.
154. Le Tribunal a, par ailleurs, jugé que, si « l’interdiction absolue de commercialiser des produits du tabac chauffés contenant des arômes caractérisants résultant de l’acte attaqué aura nécessairement pour effet de remettre en cause les autorisations détenues par certaines des requérantes », cet élément ne pouvait pas « être [considéré] comme caractérisant et individualisant la position [des titulaires de ces autorisations] ». En effet, selon le Tribunal, les autorisations en question ne conféraient pas de « droits acquis » à leurs titulaires. Le Tribunal a relevé que les effets de l’acte litigieux se produisaient à l’égard de tous les opérateurs du marché présents et futurs. Il a en outre observé que les autorisations délivrées par les États membres étaient « accordées sans exclusivité, sur la seule base de la conformité des produits, tout comme aucune exclusivité ne découle des déclarations ou des notifications faites par les opérateurs ».
155. Enfin, le Tribunal a souligné que la directive 2014/40 prévoyait que différents actes délégués pouvaient préciser ou modifier les conditions de commercialisation des produits du tabac relevant de son champ d’application, notamment en supprimant les exemptions en cause. Selon lui, il s’ensuit que « les autorisations de commercialiser des produits du tabac chauffés contenant des arômes caractérisants dont bénéficient certaines des requérantes ne pouvaient être considérées comme indéfiniment acquises, tout comme le droit de commercialiser de tels produits suivant une déclaration ou une notification ».
b) Les erreurs de droit commises dans l’ordonnance attaquée
156. Il peut être utile de souligner d’emblée qu’il est constant que l’acte litigieux a, en principe, une portée générale, puisqu’il affecte un certain nombre d’opérateurs du marché (les fabricants et importateurs de produits du tabac et, en particulier, de produits du tabac chauffés) déterminés de manière générale et abstraite. Il est également constant qu’aucun opérateur spécifique n’est expressément mentionné dans l’acte litigieux ni dans l’acte principal que celui‑ci modifie, à savoir la directive 2014/40.
157. Eu égard à ce qui précède, j’estime qu’il est raisonnable que, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal ait indiqué que, pour pouvoir être considérées comme étant individuellement concernées par l’acte litigieux, les requérantes devaient établir qu’elles répondaient au critère du cercle fermé. À cet effet, le Tribunal a poursuivi en appréciant – ici encore, à juste titre selon moi – si, lors de l’adoption de l’acte, les requérantes 1°) figuraient parmi les personnes pouvant être identifiées comme étant affectées par celui‑ci, et 2°) appartenaient à un cercle restreint d’opérateurs pouvant être suffisamment distingués du reste des personnes affectées.
158. Après avoir examiné les éléments produits par les parties pendant la procédure, le Tribunal a conclu 1°) que les requérantes figuraient effectivement parmi les personnes qui pouvaient être identifiées comme étant affectées par l’acte, mais 2°) qu’elles ne pouvaient pas être suffisamment distinguées de tous les autres opérateurs économiques concernés par celui‑ci.
159. Si la première conclusion tirée par le Tribunal est tout à fait correcte, la seconde est – à mon sens – problématique pour plusieurs raisons. Cela ne signifie pas que les constatations du Tribunal ne sont pas étayées par certains arrêts des juridictions de l’Union. Néanmoins, il me semble assez clair que, si l’on envisage la jurisprudence dans son ensemble et qu’on l’applique de manière réaliste et non formaliste, ces constatations ne sauraient être confirmées.
160. Certes, ainsi que le Tribunal l’a relevé, les requérantes sont affectées par l’acte litigieux parce qu’il s’agit d’entreprises qui se livrent à une activité économique (la fabrication et/ou la mise sur le marché de produits du tabac chauffés) qui peut être exercée, à l’heure actuelle et à l’avenir, par toute entreprise souhaitant opérer sur ce marché. Par conséquent, si l’on procède à une analyse abstraite, en ce sens que l’on ne s’attache qu’au champ d’application personnel de l’acte litigieux, il est exact que l’impact de cet acte sur les activités des requérantes n’est pas différent de celui exercé sur tout opérateur du marché présent ou futur. En substance, l’acte litigieux rendra impossible la vente de produits aromatisés sur le marché de l’Union et obligera les entreprises actives sur ce marché à afficher certains avertissements sur l’emballage.
161. Toutefois, lorsque le Tribunal a analysé la situation effective des requérantes – afin de vérifier l’existence d’un cercle restreint de personnes affectées – il l’a fait, à mon avis, de manière incomplète et peu approfondie. Selon moi, 1°) le Tribunal a fait une appréciation erronée de l’importance de certains éléments avancés par les requérantes, et 2°) il n’a pas pris en compte d’autres éléments invoqués par celles‑ci.
162. En fait, il me semble que la présente affaire s’inscrit globalement dans ce que je considère comme étant la logique de la jurisprudence Plaumann, qui est de permettre à des personnes dont la situation particulière a été prise en compte (explicitement ou implicitement) ou aurait dû être prise en compte par l’institution responsable avant d’adopter un acte de former un recours contre cet acte (136). Plus précisément, lorsqu’on examine la situation des requérantes, en droit et en fait, au regard de la jurisprudence passée, il apparaît que cette situation présente de nombreux points communs avec celle qui prévalait dans les affaires où les juridictions de l’Union ont conclu à l’affectation individuelle des requérants.
163. Premièrement, en l’espèce, on peut difficilement contester que, en vertu de la législation applicable, la Commission devait, au moment de l’adoption de l’acte litigieux, prendre en compte la situation d’une catégorie spécifique d’opérateurs du marché, à savoir ceux qui fabriquent et commercialisent un nouveau produit du tabac à l’égard duquel les exemptions ont été retirées (137). Selon la Commission, ce sont les ventes combinées réalisées par ces opérateurs et l’âge de leurs clients – calculés sur la base des données produites par les entreprises elles‑mêmes – qui sont à l’origine du retrait des exemptions (138).
164. Il est constant que, dans la présente affaire, la Commission a notamment pris en compte les ventes réalisées par les requérantes et la part des jeunes consommateurs dans la clientèle avant d’adopter l’acte litigieux (139). La question de savoir si elle l’a fait correctement fait toutefois l’objet d’une controverse et relève de l’un des moyens invoqués par les requérantes en première instance. Il s’agit d’un élément commun entre la présente affaire et celles mentionnées au point 31 des présentes conclusions.
165. Deuxièmement, la présente affaire ressemble également à celles où les juridictions de l’Union ont admis – comme je l’ai indiqué au point 32 des présentes conclusions – l’affectation individuelle de personnes ayant prouvé que l’acte attaqué avait un impact sur un droit acquis. En effet, ainsi que le Tribunal l’a précisé au point 47 de l’ordonnance attaquée, « il n’est pas douteux que l’interdiction absolue de commercialiser des produits du tabac chauffés contenant des arômes caractérisants résultant de l’acte attaqué aura nécessairement pour effet de remettre en cause les autorisations [délivrées par les autorités des États membres, comme le permet l’article 19, paragraphe 3, de la directive 2014/40,] détenues par certaines des requérantes ».
166. À cet égard, je ne partage pas le point de vue du Tribunal qui estime que la détention de telles autorisations est dénuée de pertinence au motif 1°) qu’elles n’étaient pas requises dans certains États membres ; 2°) qu’elles avaient été accordées sans exclusivité, et 3°) qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme « indéfiniment acquises » étant donné que les dispositions de la directive 2014/40 autorisait la Commission à retirer les exemptions accordées pour les produits du tabac chauffés. En effet, à mes yeux, aucune de ces considérations n’est convaincante.
167. Tout d’abord, je ne vois pas en quoi la circonstance que certains États membres choisissent de ne pas instaurer un système d’autorisation préalable pour la commercialisation de nouveaux produits du tabac serait un motif de rejet. Dans un domaine soumis à une compétence partagée, où le législateur de l’Union n’a procédé qu’à une harmonisation partielle en laissant aux États membres la liberté de réglementer certaines matières spécifiques (dans les limites imposées par les dispositions pertinentes du droit de l’Union, en l’occurrence l’article 19 de la directive 2014/40), rien ne justifie de considérer que seuls les droits conférés par les autorités de l’Union et/ou qui concernent l’ensemble du territoire de l’Union méritent une protection spécifique au niveau de l’Union. Lorsqu’un acte de l’Union viole le droit acquis d’une personne, celle‑ci devrait pouvoir former un recours contre cet acte, indépendamment de l’origine du droit ou de sa portée territoriale.
168. En outre, la question de l’éventuelle exclusivité des droits qui auraient été violés par l’acte litigieux est, à mon sens, dénuée de pertinence aux fins de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Ainsi que je l’ai indiqué aux points 23 à 26 des présentes conclusions, en vertu de la jurisprudence Plaumann, le requérant ne doit pas nécessairement être la seule personne affectée par l’acte attaqué ni être la seule personne atteinte de manière distinctive. Il suffit, en effet, qu’il appartienne à un cercle restreint de personnes affectées d’une telle manière. De toute évidence, l’exclusivité des droits est un élément qui peut être pertinent pour l’analyse de l’« affectation individuelle » (comme, par exemple, dans l’arrêt Infront (140) auquel renvoie l’ordonnance attaquée), mais il ne s’agit certainement pas d’une condition sine qua non (ainsi qu’il ressort d’arrêts tels que l’arrêt Stichting Woonpunt (141), également mentionné dans l’ordonnance attaquée).
169. Enfin, l’exigence selon laquelle le droit doit être indéfiniment acquis est également déconcertante d’un point de vue conceptuel. À cet égard, je n’ai guère besoin de souligner que, dans certaines limites, les législateurs nationaux et de l’Union peuvent toujours adopter des mesures qui modifient la durée, la portée ou la nature des droits qu’une personne tire de la législation existante. Je suppose donc que, dans ce passage de l’ordonnance attaquée, le Tribunal entendait souligner que les requérantes savaient (ou auraient dû savoir) que les exemptions accordées pour les produits du tabac chauffés pouvaient, conformément aux dispositions de la directive 2014/40, être retirées dans le respect de certaines conditions. Dans le cadre de leur recours introduit devant le Tribunal, les requérantes ont toutefois fait valoir 1°) que les dispositions de cette directive autorisant le retrait des exemptions ne s’appliquaient pas aux nouveaux produits du tabac, et 2°) que, en tout état de cause, les conditions de retrait prévues par ladite directive n’étaient pas remplies en l’espèce. Il me semble que les requérantes devraient être en droit de voir ces arguments examinés par les juridictions de l’Union. Le contrôle incident et indirect de ceux‑ci, effectué en passant par le Tribunal (au point 50 de l’ordonnance attaquée) alors qu’il statuait sur la recevabilité du recours, ne respecte certainement pas le droit des requérantes à une protection juridictionnelle effective.
170. En fait, dans une certaine mesure, la présente affaire est similaire à celle qui a donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, dans lequel la Cour a jugé que différentes entreprises titulaires d’une autorisation qui ne pouvait plus être renouvelée à la suite de l’acte de l’Union attaqué étaient individuellement concernées au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (142).
171. Troisièmement, la présente affaire est largement semblable à celles – rappelées aux points 33 et 34 des présentes conclusions – dans lesquelles il a été conclu à l’affectation individuelle de personnes qui avaient joué un rôle crucial dans la procédure ayant conduit à l’adoption de l’acte attaqué. En particulier, la situation des requérantes équivaut, à mon sens, à celle d’entreprises dont les informations ont été utilisées pour calculer des paramètres cruciaux dans le cadre de procédures antidumping (143).
172. Le Tribunal a ignoré cet élément malgré le fait que l’un des deux moyens d’annulation invoqués par les requérantes portait précisément sur l’utilisation par la Commission des données qu’elles avaient produites. Le groupe BAT étant l’un des deux principaux fabricants et vendeurs de produits du tabac chauffés sur le marché de l’Union, les données qu’il a produites se sont manifestement vu accorder une importance très significative dans les calculs effectués par la Commission pour déterminer s’il y avait eu une évolution notable de la situation aux fins de la directive 2014/40. Les requérantes devraient donc être en droit de voir ces calculs vérifiés par les juridictions de l’Union.
173. Quatrièmement, l’acte litigieux n’est pas un acte du législateur de l’Union faisant usage de ses pouvoir d’élaboration des politiques pour réglementer, de manière générale et abstraite, une activité économique donnée. L’acte litigieux est en effet un acte réglementaire adopté par la Commission en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués par le législateur de l’Union, à l’issue d’une procédure qui n’est pas de nature législative et qui a été motivée par une situation très spécifique (l’augmentation des ventes des produits du tabac chauffés). Par conséquent, en dépit de sa nature quasi‑législative, l’acte litigieux a manifestement un certain contenu décisionnel (à l’instar d’une décision administrative). La présente affaire me semble donc relever pleinement du courant jurisprudentiel mentionné aux points 35 et 36 des présentes conclusions, qui concerne les situations où les juridictions de l’Union ont conclu que les personnes dont la position sur le marché avait été sérieusement affectée par les mesures attaquées avaient qualité pour agir contre celles‑ci.
174. L’argument des requérantes tiré de ce que leur position sur le marché a été sérieusement affectée par l’acte litigieux est, du moins à première vue, raisonnable eu égard au volume des ventes de produits du tabac chauffés contenant des arômes qu’elles réalisent sur le marché de l’Union. J’irais néanmoins plus loin et constate que, de ce point de vue également, elles ont été affectées de manière assez singulière.
175. En première instance, les requérantes avaient fait état (et produit des preuves pertinentes) de l’ampleur des investissements réalisés au cours des dernières années pour les produits du tabac chauffés. Toutefois, le Tribunal a ignoré, à mon sens, erronément, cet élément dans son ensemble. En fait, il est constant que les requérantes figurent parmi les (très peu nombreuses) entreprises ayant introduit un nouveau produit du tabac sur le marché de l’Union. À cette fin, elles ont dû consentir des investissements considérables pour, entre autres, développer une nouvelle technologie, créer de nouveaux canaux de distribution, faire connaître le produit aux clients et le rendre attractif auprès de ceux‑ci. Comme je l’ai indiqué au point 98 des présentes conclusions, il ne serait pas inexact d’affirmer que l’acte litigieux a été adopté précisément parce que les requérantes rencontraient un grand succès dans ce cadre et que, en conséquence, les ventes du produit en question avaient connu une forte augmentation sur une période relative courte.
176. Dans ce contexte, il est absurde, d’un point de vue économique, de considérer que les entreprises qui sont récemment entrées, ou qui entreront dans le futur, sur le marché de l’Union des produits du tabac chauffés – en profitant (« free riding ») éventuellement des investissements réalisés par des entreprises telles que les requérantes – se trouvent dans une situation analogue à celle des requérantes.
177. Il ressort des considérations qui précèdent que, eu égard à la jurisprudence Plaumann, les requérantes auraient dû être considérées comme étant individuellement concernées par l’acte litigieux pour quatre raisons distinctes. Il est tout à fait possible que chacune de ces raisons suffise en elle‑même à cette fin. L’affectation individuelle s’impose d’autant plus lorsque l’on envisage ces raisons conjointement, ce qui – comme le soulignent les requérantes – est la pratique constate des juridictions de l’Union (144).
178. Par conséquent, je conclus que la première branche du moyen de pourvoi des requérantes est fondée.
C. Seconde branche du moyen de pourvoi
1. Les arguments des parties
179. La seconde branche du moyen de pourvoi des requérantes est dirigée contre les points 54 et 55 de l’ordonnance attaquée dans lesquels le Tribunal examine leurs arguments tirés de ce qu’elles devraient être considérées comme étant individuellement concernées en vertu du critère de l’atteinte substantielle à la position sur le marché. Les requérantes soulignent 1°) qu’il n’existe que deux opérateurs importants sur le marché de l’Union des produits du tabac chauffés, qui vendent pratiquement tous ces produits achetés dans l’Union européenne (plus de 99 %), et 2°) que la gamme de produits du tabac chauffés proposée par le groupe BAT dans l’Union européenne est largement axée sur les produits aromatisés (environ 70 % de leurs ventes).
180. La Commission et le gouvernement français considèrent que ces arguments ne suffisent pas à conclure à l’« affectation individuelle ». L’atteinte de l’acte litigieux à la position des requérantes sur le marché, quand bien même elle serait substantielle, ne justifierait pas, en elle‑même, une telle conclusion.
2. Analyse
181. Étant donné que j’ai conclu au caractère fondé de la première branche du moyen de pourvoi des requérantes, il n’est manifestement pas nécessaire d’examiner la seconde branche de ce moyen. En tout état de cause, à mon sens, il est clair que, pour les motifs exposés aux points 35, 36 et 173 à 176 des présentes conclusions, cette seconde branche est également fondée.
182. Néanmoins, dans l’hypothèse où la Cour ne souscrirait pas à mon analyse de la première branche du premier moyen de pourvoi, la seconde branche de ce moyen devrait également être rejetée comme non fondée. Dans un tel cas, je devrais alors adhérer au point de vue de la Commission et du gouvernement français selon lequel la simple circonstance que l’acte litigieux affecte, de manière particulièrement sévère, les activités économiques des requérantes – en raison de la part de marché considérable qu’elles détiennent sur le marché de l’Union et/ou de l’importance des produits concernés au sein de leur gamme – ne justifie pas, en elle‑même, de conclure à leur affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (145).
VI. Les conséquences de l’appréciation
183. Le moyen de pourvoi des requérantes étant fondé, il y a lieu d’annuler l’ordonnance attaquée.
184. En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle‑ci peut, après avoir annulé une décision du Tribunal, lui renvoyer l’affaire pour qu’il statue ou, si le litige est en état d’être jugé, statuer elle‑même définitivement sur celui‑ci.
185. En l’espèce, je considère que le litige est en état d’être jugé pour que la Cour statue définitivement sur la recevabilité du recours en annulation introduit par les requérantes devant le Tribunal.
186. Aux points 18 à 33 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission par laquelle celle‑ci faisait valoir que les requérantes n’étaient pas directement concernées par l’acte litigieux. Cette partie de l’ordonnance attaquée n’a pas fait l’objet d’un pourvoi et est donc définitive.
187. Par conséquent, étant donné que les requérantes doivent être considérées comme étant individuellement et directement concernées par l’acte litigieux, leur recours introduit en première instance est recevable.
188. En revanche, le litige n’est pas en état d’être jugé au fond par la Cour.
189. Les requérantes ont invoqué deux moyens contre l’acte litigieux dans leur requête introduite devant le Tribunal. Pour pouvoir examiner ces moyens, il conviendrait de procéder à une appréciation détaillée, en droit et en fait, des arguments avancés par toutes les parties à la procédure, à la lumière des éléments de preuve produits par celles‑ci. En l’absence d’une telle appréciation dans l’ordonnance attaquée, il serait inapproprié que la Cour statue définitivement en l’espèce.
190. Partant, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
VII. Conclusions
191. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour :
– d’annuler l’ordonnance du 20 septembre 2023, Nicoventures Trading e.a./Commission (T‑706/22, EU:T:2023:579) ;
– de déclarer le recours recevable ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond du recours, et
– de réserver les dépens.
1 Langue originale : l’anglais.
2 Publié pour la première fois en 1915. Traduction en langue française de Bernard Lortholary.
3 Arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, ci‑après l’« arrêt Plaumann », EU:C:1963:17, p. 223).
4 T‑706/22, ci‑après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:579.
5 Directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission, du 29 juin 2022, modifiant la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le retrait de certaines exemptions pour les produits du tabac chauffés (JO 2022, L 283, p. 4) (ci‑après l’« acte litigieux »).
6 Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1).
7 Pour la jurisprudence récente, voir, par exemple, arrêts du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, ci‑après l’« arrêt Nord Stream 2 », EU:C:2022:548, point 156), et du 4 octobre 2024, Commission et Conseil/Front Polisario (C‑779/21 P et C‑799/21 P, EU:C:2024:835, point 107).
8 Voir arrêt du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, ci‑après l’« arrêt Codorniu », EU:C:1994:197, point 22).
9 Voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 31 et jurisprudence citée).
10 Voir, par exemple, arrêt Codorniu (point 19).
11 Voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil (C‑478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 56). Voir, également, arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil (138/79, EU:C:1980:249, points 15 et 16), et du 17 avril 2008, Flaherty e.a./Commission (C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P, ci‑après l’« arrêt Flaherty », EU:C:2008:230, points 26, 27 et 41).
12 Voir, entre autres, arrêts du 13 mars 2008, Commission/Infront WM (C‑125/06 P, ci‑après l’« arrêt Infront », EU:C:2008:159, point 71), et du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, ci‑après l’« arrêt Stichting Woonpunt », EU:C:2014:100, point 59).
13 Dans le même ordre d’idées, Hartley, T.C., The Foundations of European Union Law, 8e édition, Oxford University Press, 2014, p. 373 ; et Gratsias, D., « Άμεση δικαστική προστασία των ιδιωτών κατά το άρθρο 263 ΣΛΕΕ: Μερικές σκέψεις », dans Το Δικαστήριο της ΕΕ– Εγγυητής της εύρυθμης λειτουργίας της Ευρωπαϊκής Ένωσης και των δικαιωμάτων των πολιτών, Sakkoulas, 2016, p. 19 à 44.
14 Dans un souci d’exhaustivité, j’ajouterais que, pendant un certain temps, la Cour a appliqué le critère du cercle fermé parallèlement à un autre critère (alternatif) souvent désigné par les termes « critère de la terminologie abstraite ». Ce critère consiste, en substance, à vérifier si l’acte attaqué constitue une véritable décision et non un acte de portée générale (voir, par exemple, arrêts du 5 mai 1977, Koninklijke Scholten Honig/Conseil et Commission, 101/76, EU:C:1977:70, points 7 et 8, et du 17 juin 1980, Calpak et Società Emiliana Lavorazione Frutta/Commission, 789/79 et 790/79, EU:C:1980:159, points 7 et 8). Ce critère alternatif était fondé sur le libellé de l’article 173 du traité CE, en vigueur à l’époque, qui mentionnait « les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, [...] concernent directement et individuellement [le requérant] » (mise en évidence par mes soins). Ce critère a été abandonné après la fin des années 1980 parce qu’il allait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour qui s’attachait, aux fins de l’article 263 TFUE (en vigueur actuellement), à la substance de l’acte et non à sa forme. En tout état de cause, cette approche serait aujourd’hui incompatible avec le nouveau libellé de l’article 263 TFUE, le traité de Lisbonne ayant remplacé le terme « décisions » par le terme « actes ».
15 Voir, entre autres, arrêt Nord Stream 2 (point 157).
16 Voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, ci‑après l’« arrêt Piraiki-Patraiki », EU:C:1985:18, points 20 et 21).
17 C’était clair dès les tout premiers jours : voir, par exemple, Bebr, G., Judicial Control of the European Communities, Stevens & Sons, 1962, p. 69 à 76.
18 La terminologie que j’emploie s’inspire largement des travaux de W.N. Hohfeld. De cet auteur, voir, par exemple, « Some Fundamental Legal Conceptions as Applied in Judicial Reasoning », Yale Law Journal, Vol. 23, 1913, p. 16 à 59, point 30.
19 Bien que le droit de l’Union ne confère aucun droit spécifique à cet égard, un régime de concurrence non faussée est essentiel à l’établissement du marché intérieur [voir article 3 TUE et protocole (no 27) sur le marché intérieur et la concurrence] et peut également être considéré comme un corollaire de la liberté d’entreprise [inscrite à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »)]. Voir, cependant, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 43).
20 Voir, entre autres, arrêt du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission (C‑152/88, EU:C:1990:259, point 11) ; arrêt Piraiki-Patraiki (points 15 à 19), et arrêt du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission (C‑390/95 P, EU:C:1999:66, points 25 à 30).
21 Voir, par exemple, arrêt Codorniu (point 21) ; arrêt Infront (point 72), et arrêt Stichting Woonpunt (points 61 et 62). Voir, également, Craig, P. et De Burca, G., EU Law : Text, Cases, and Materials, 4e édition, Oxford University Press, 2008, p. 513, qui soulignent ce point dans la doctrine.
22 Cela ne signifie pas que la situation du requérant doit avoir été entièrement cristallisée dans le passé. Voir, par exemple, arrêt du 27 novembre 1984, Agricola commerciale olio e.a./Commission (232/81, EU:C:1984:358, points 10 et 11), et arrêt Flaherty (points 40 et 41).
23 Voir, par exemple, arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission (C‑198/91, EU:C:1993:197, points 23 à 26), et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 45 à 48).
24 Voir arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission (26/76, EU:C:1977:167, point 13) ; du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264/82, EU:C:1985:119, points 13 à 16) ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169/84, EU:C:1986:42, points 24 et 25) ; du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100, points 92 à 95), et du 11 juillet 2007, Alrosa/Commission (T‑170/06, EU:T:2007:220, point 40).
25 Voir, entre autres, arrêts du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C‑358/89, EU:C:1991:214) ; du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100, points 87 à 117) ; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 46 à 57), et du 20 janvier 2022, Deutsche Lufthansa/Commission (C‑594/19 P, EU:C:2022:40, points 74 à 76).
26 Voir, par exemple, arrêt du 6 novembre 1990, Weddel/Commission (C‑354/87, EU:C:1990:371, points 20 à 23). À cet égard, Hartley, T.C. a fait référence à des « actes de nature quasi‑judiciaire » (par opposition aux « actes purement politiques et discrétionnaires »). Voir note en bas de page 13 des présentes conclusions, p. 371.
27 Tel était le cas, en particulier, des droits antidumping introduits par des règlements du Conseil avant l’adoption du règlement (UE) no 37/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2014, modifiant certains règlements relatifs à la politique commerciale commune en ce qui concerne les procédures d’adoption de certaines mesures (JO 2014, L 18, p. 1). Voir, parmi de nombreux autres exemples, arrêt du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission (239/82 et 275/82, EU:C:1984:68, point 11).
28 Voir, par exemple, arrêts du 30 juin 1988, CIDA e.a./Conseil (297/86, EU:C:1988:351, point 13) ; du 24 mars 1994, Air France/Commission (T‑3/93, EU:T:1994:36, point 82), et du 14 juillet 2022, Italie et Comune di Milano/Conseil et Parlement (Siège de l’Agence européenne des médicaments) (C‑106/19 et C‑232/19, EU:C:2022:568, points 69 à 72 et 76).
29 Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:21, point 1).
30 Voir, entre autres, Barav, A., « Direct and Individual Concern : An Almost Insurmountable Barrier to the Admissibility of Individual Appeal to the EEC Court », Common Market Law Review, 1974, p. 191 ; Enchelmaier, S., « No-One Slips Through the Net? Latest Developments, and Non-Developments, in the European Court of Justice’s Jurisprudence on Art. 230(4) EC », Yearbook of European Law, 2005, p. 173 ; Craig, P. et De Burca, G., note en bas de page 21 des présentes conclusions, p. 512, et Kombos, C.C., « The Recent Case Law on Locus Standi of Private Applicants under Art. 230 (4) EC : A Missed Opportunity or A Velvet Revolution? », European Integration online Papers, no 17, 2005.
31 Voir, par exemple, arrêts du 29 janvier 1985, Münchener Import-Weinkellerei Binderer/Commission (147/83, EU:C:1985:26, points 10 et 13) ; du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil (T‑13/99, EU:T:2002:209, point 89), et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, EU:C:2004:210, point 46).
32 Voir, par exemple, ordonnances du 30 avril 2003, VVG International e.a./Commission (T‑155/02, EU:T:2003:125, points 43 et 44), et du 13 novembre 2008, Lemaître Sécurité/Commission (T‑301/06, ci‑après l’« ordonnance Lemaître », EU:T:2008:495, point 24).
33 Voir ordonnance Lemaître (point 25) ; ordonnance du 5 mai 2009, WWF‑UK/Conseil (C‑355/08 P, EU:C:2009:286, points 44 et 45), et arrêt du 28 février 2002, BSC Footwear Supplies e.a./Conseil (T‑598/97, EU:T:2002:52, point 61).
34 Voir ordonnance du 18 décembre 1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission (C‑409/96 P, EU:C:1997:635, point 37), et arrêt du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico (C‑312/00 P, EU:C:2002:736, point 77).
35 Voir arrêt du 29 juin 1993, Gibraltar/Conseil (C‑298/89, EU:C:1993:267, point 18), et ordonnance du 15 septembre 1998, Michaïlidis e.a./Commission (T‑100/94, EU:T:1998:197, point 60).
36 Voir arrêts du 22 novembre 2001, Nederlandse Antillen/Conseil (C‑452/98, ci‑après l’« arrêt Nederlandse Antillen », EU:C:2001:623, points 70 à 75), et du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen (C‑142/00 P, EU:C:2003:217, points 70 à 75).
37 Voir, par exemple, Gormley, L.W., « Judicial review in EC and EU law – Some architectural malfunctions and design improvements? », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2001, p. 174, et Winter, G., « Plaumann withering: standing before the EU General Court underway from distinctive to substantial concern », European Journal of Legal Studies, 2023, p. 85.
38 C‑565/19 P, ci‑après l’« arrêt Carvalho », EU:C:2021:252.
39 Voir, par exemple, Krämer, L., « The environment before the European Court of Justice », dans Voigt, C. (éd.), International Judicial Practice on the Environment, Cambridge University Press, 2019, p. 25, et Arnull, A., « Private applicants and the action for annulment since Codorniu », Common Market Law Review, 2001, p. 8 et 9.
40 Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, ci‑après les « conclusions dans l’affaire UPA », EU:C:2002:197, points 33 à 103). Je reviendrai sur certains arguments avancés par l’avocat général Jacobs dans le reste des présentes conclusions.
41 Arrêt du 3 mai 2002, Jégo-Quéré/Commission (T‑177/01, EU:T:2002:112, points 27 à 51).
42 C‑50/00 P, EU:C:2002:462, points 34 à 75.
43 Voir, par exemple, le critère de l’« acte portant atteinte aux intérêts du requérant » proposé par Arnull, A., « Challenging Community acts – An introduction », dans Micklitz, H.W. et Reich, N. (éd.), Public Interest Litigation Before European Courts, Nomos, 1996, p. 51, et celui de l’« affectation personnelle et sévère » proposé par Winter, G., note en bas de page 37 des présentes conclusions, p. 105 et suivantes.
44 Voir exemples donnés, entre autres, dans Kombos, C., « Locus standi of representative groups in the shadow of Plaumann: Limitations and possible solutions », Acta Juridica Hungarica, Vol. 47, no 4, 2006, p. 375, et Winter, G., note en bas de page 37 des présentes conclusions, p. 95 et 107.
45 Comme je l’indiquerai aux points 60 à 64 des présentes conclusions.
46 Arrêt du 3 mai 2002, Jégo-Quéré/Commission (T‑177/01, EU:T:2002:112, point 51) (mise en évidence par mes soins).
47 Il peut toutefois y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles un nombre relativement important de personnes affectées sont susceptibles d’être « individuellement concernées ». À mon sens, l’affaire Danielsson constitue un exemple par excellence de ce type d’affaires. Cette affaire concernait une demande en référé introduite par trois citoyens de Polynésie française contestant la légalité de la décision de la Commission, adoptée au titre des règles du traité Euratom, qui, en substance, ne s’opposait pas à ce que les autorités françaises effectuent des essais nucléaires dans les atolls polynésiens de Mururoa et Fangataufa. Le président du Tribunal de première instance des Communautés européennes de l’époque a déclaré la demande manifestement irrecevable à défaut d’affectation individuelle. Il a considéré que, « à supposer même que les requérants puissent, le cas échéant, subir un préjudice personnel lié aux prétendues conséquences néfastes des essais nucléaires en cause pour l’environnement ou pour la santé de la population, cette circonstance ne suffirait pas, à elle seule, à les individualiser [...] dans la mesure où un préjudice du type de celui qu’ils invoquent pourrait affecter, de manière indifférenciée, toute personne résidant dans la zone considérée ». Il a ensuite souligné que les requérants n’avaient fourni aucun élément susceptible d’établir que, prima facie, la décision attaquée les concernait pour une raison particulière. Voir ordonnance du 22 décembre 1995, Danielsson e.a./Commission (T‑219/95 R, EU:T:1995:219, points 71 et 72).
48 Mise en évidence par mes soins.
49 Voir conclusions de l’avocat général Lagrange dans l’affaire Assider/Haute Autorité (3/54, EU:C:1954:6, p. 171).
50 Voir, en particulier, arrêts du 11 février 1955, Assider/Haute Autorité (3/54, EU:C:1955:2, p. 139), et du 29 novembre 1956, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité (8/55, EU:C:1956:11, p. 257 et 258).
51 Voir arrêt du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil (16/62 et 17/62, EU:C:1962:47, p. 917), et, pour de plus amples détails, conclusions de l’avocat général Lagrange dans les mêmes affaires jointes (16/62 et 17/62, EU:C:1962:40, p. 926 et 927).
52 Voir, entre autres, N., « La protezione giurisdizionale nel sistema del trattato CEE. nei confronti degli atti non normativi », Foro Italiano, 1965, partie V, col. 77. Voir, également, avec des références à d’autres documents contemporains, Boerger-De Smedt, A., « La Cour de Justice dans les négociations du traité de Paris instituant la CECA », Journal of European Integration History, 2008, p. 7, et Arena, A., « The Community system of judicial protection: A tale of two legal revolutions », Yearbook of European Law, 2025, p. 13 à 20.
53 Voir Convention européenne, Rapport final du cercle de discussion sur le fonctionnement de la Cour de justice, CONV 636/03, points 17 à 27.
54 Voir Convention européenne, Praesidium, Articles sur la Cour de justice et le Tribunal de grande instance, CONV 734/03, p. 17 à 21.
55 Arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 69 à 71). Mise en évidence par mes soins.
56 Comme l’avocat général Cosmas l’a indiqué dans ses conclusions dans l’affaire Greenpeace Council e.a./Commission (C‑321/95 P, EU:C:1997:421, point 53), « l’ordre juridique [de l’Union] ne reconnaît pas l’action populaire ». J’ajouterais que la plupart des systèmes juridiques des États membres ne connaissent pas cette forme de recours. Voir, par exemple, Eliantonio, M., e.a., Standing up for your right(s) in Europe – A comparative study on legal standing (Locus Standi) before the EU and Member States’ courts, Parlement européen, Étude, 2012, p. 60.
57 La distinction opérée entre les requérants privilégiés et les requérants non privilégiés va manifestement à l’encontre de cette idée. Ce type de procédure n’est pas requis par l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la « CEDH »). Ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») l’a jugé, « l’article 6 […] ne garantit pas un droit d’accès à un tribunal ayant compétence pour invalider ou remplacer une loi émanant du pouvoir législatif » (Cour EDH, 24 septembre 2002, Posti et Rahko c. Finlande, CE:ECHR:2002:0924JUD002782495, § 52).
58 Voir, à nouveau, Rapport final du cercle de discussion sur le fonctionnement de la Cour de justice (note en bas de page 53 des présentes conclusions), point 19. Voir, également, arrêt Carvalho (points 47 et 49) ; arrêt du 10 septembre 2024, KS e.a./Conseil e.a. (C‑29/22 P et C‑44/22 P, ci‑après l’« arrêt KS et KD », EU:C:2024:725, point 73), et ordonnance du 14 janvier 2021, Sabo e.a./Parlement et Conseil (C‑297/20 P, EU:C:2021:24, point 29).
59 Voir, en particulier, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, points 157 et 158).
60 Voir, avec des références supplémentaires, mes conclusions dans l’affaire Commission/Royaume-Uni (Arrêt de la Cour suprême) (C‑516/22, EU:C:2023:857, point 76).
61 Voir, entre autres, arrêt du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève) (C‑24/20, EU:C:2022:911, point 83).
62 Voir, à ce sujet, Eliantonio, M. et Lees, E. (éd.), The Legitimacy of EU Environmental Governance and the Role of the European Courts, Oxford University Press, 2025, en particulier le chapitre 7.
63 Avis 1/09 (Accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets) du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, points 66 et 69).
64 L’article 277 TFUE institue l’« exception d’illégalité » qui autorise le contrôle incident de la légalité des actes de l’Union. Il permet à toute partie, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de l’Union de portée générale, de se prévaloir des moyens d’annulation prévus par le traité pour invoquer l’inapplicabilité de cet acte, même après l’expiration du délai au cours duquel un recours peut être formé contre ledit acte.
65 En ce sens, voir, entre autres, arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, ci‑après l’« arrêt Les Verts », EU:C:1986:166, point 23) ; arrêt Inuit (point 92), et arrêt du 15 juillet 2021, FBF (C‑911/19, EU:C:2021:599, point 60).
66 Cour EDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Șirketi c. Irlande (CE:ECHR:2005:0630JUD004503698, § 159 à 165).
67 François-Marie Arouet (alias Voltaire), Candide, ou l’Optimisme, publié pour la première fois en 1759.
68 Un exemple à cet égard est l’arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874).
69 Voir, en ce sens, Bobek, M., « Why is it better to treat every provision of a directive as a (horizontally) directly effective one », International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations, 2023, p. 220. Voir, également, conclusions dans l’affaire UPA (points 64 à 67).
70 Avec renvoi à l’arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52). Voir également, entre autres, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission (C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 68).
71 Jurisprudence trouvant son origine dans l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, EU:C:1994:90, points 17 et 18). Voir, plus récemment, arrêts du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português (C‑667/13, EU:C:2015:151, point 28 et jurisprudence citée), et du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:582, points 43 et 44).
72 Voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes Atzeni e.a. (C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2005:256, point 88).
73 Voir, entre autres, arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), et ordonnance du 14 février 2012, AJD Tuna/Commission (T‑329/08, EU:T:2012:72). À cet égard, voir Mastroianni, R. et Pezza, A., « Striking the right balance: Limits on the right to bring an action under Article 263 (4) of the Treaty on the Functioning of the European Union », American University International Law Review, 2015, p. 743. Voir également, plus récemment, conclusions de l’avocat général Ćapeta dans l’affaire WhatsApp Ireland/Comité européen de la protection des données (C‑97/23 P, EU:C:2025:210, points 174 et 175).
74 La présente procédure coexiste, en fait, avec celle dans l’affaire C‑759/23, PJ Carroll et Nicoventures Trading, dans laquelle j’ai présenté mes conclusions le 30 janvier 2025 (mes conclusions dans l’affaire PJ Carroll et Nicoventures Trading, C‑759/23, EU:C:2025:44), qui est actuellement pendante devant la Cour.
75 Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2021:831, point 191). Mise en évidence par mes soins.
76 Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l’Union européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), dans sa version modifiée.
77 Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans les affaires jointes BEI/ClientEarth et Commission/BEI (C‑212/21 P et C‑223/21 P, EU:C:2022:1003, points 47 à 57).
78 Voir, en ce sens, arrêt Nord Stream 2 (points 159 à 163).
79 Voir, en ce sens, arrêt Carvalho (point 40). Voir, également, arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil (T‑16/04, EU:T:2010:54, point 104). Le caractère sérieux de l’impact d’un acte attaqué sur la situation du requérant peut toutefois constituer un élément qui, combiné à d’autres, peut être pris en considération pour établir l’affectation individuelle. Voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Zippo Manufacturing et Zippo/Commission (T‑402/20, EU:T:2023:640, point 26).
80 Voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 1965, Toepfer et Getreide-Import Gesellschaft/Commission (106/63 et 107/63, EU:C:1965:65, p. 533), et arrêt Piraiki-Patraiki (point 31).
81 Voir affaires visées à la note en bas de page 36 des présentes conclusions.
82 Voir, en particulier, arrêt Nederlandse Antillen (points 57 et 62 à 64).
83 Voir, avec des renvois à la jurisprudence, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, ci‑après les « conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles‑Capitale », EU:C:2020:588, point 62).
84 Voir article 109 et annexe IV de la décision 91/482/CEE du Conseil, du 25 juillet 1991, relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté économique européenne (JO 1991, L 263, p. 1).
85 Voir, en particulier, arrêt Nederlandse Antillen (points 73 et 74).
86 Voir point 3 des présentes conclusions (mise en évidence par mes soins).
87 Voir, par exemple, arrêt du 14 juillet 1983, Spijker Kwasten/Commission (231/82, EU:C:1983:220, point 9), et ordonnances du 28 mars 1996, Kik/Conseil et Commission (C‑270/95 P, EU:C:1996:155, point 36), ainsi que du 12 décembre 2003, Bactria/Commission (C‑258/02 P, EU:C:2003:675, points 35 et 36). Voir, également, conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU:C:1992:406, point 38), et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2021:831, point 190).
88 Voir conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU:C:1992:406, points 39 et 52).
89 Voir arrêt du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission (C‑390/95 P, EU:C:1999:66, point 28) (mise en évidence par mes soins).
90 Voir arrêt Codorniu (point 22) (mise en évidence par mes soins).
91 Voir arrêt Flaherty (points 26 et 41) (mise en évidence par mes soins).
92 Voir, parmi beaucoup d’autres exemples, Craig, P. et De Burca, G., note en bas de page 21 des présentes conclusions, p. 512.
93 Voir, par exemple, premier rapport annuel publié par la Cour en 1998 (concernant l’activité juridictionnelle de 1997) et, en particulier, les p. 172 et 178.
94 Voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 85).
95 Voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 65).
96 Voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a. (C‑547/14, EU:C:2016:325, points 152 à 156).
97 Voir, en particulier, article 12 (« Liberté de réunion et d’association ») et article 16 (« Liberté d’entreprise ») de la Charte.
98 À cet égard, il ressort de la jurisprudence constante que les recours formés par des associations sont recevables dans trois situations bien définies : premièrement, lorsqu’elles représentent les intérêts d’entreprises qui seraient recevables à agir à titre individuel et qui auraient donc pu elles-mêmes introduire un recours recevable ; deuxièmement, lorsqu’elles sont individualisées en raison de l’affectation de leurs intérêts propres en tant qu’association, et, troisièmement, lorsqu’une disposition légale leur reconnaît expressément une série de facultés à caractère procédural. Voir conclusions de l’avocat général Medina dans l’affaire China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products e.a./Commission (C‑478/21 P, EU:C:2023:117, point 35 et jurisprudence citée).
99 Cela signifie que le modeste élargissement de la jurisprudence, tel qu’il est suggéré, 1°) concernera principalement des situations dans lesquelles il est peu probable que le requérant ait accès à la juridiction nationale susceptible d’effectuer un renvoi préjudiciel à la Cour en ce qui concerne la validité de l’acte de l’Union en question sur le fondement de l’article 267 TFUE (puisqu’il se peut qu’il n’y ait pas de mesures d’exécution nationales), et 2°) exclut toute utilisation du recours en annulation comme une forme d’actio popularis.
100 Cela signifie également que la sécurité juridique relative aux actes attaqués sera renforcée, puisque les juridictions de l’Union seront saisies de toute question en matière de validité sur une courte période, contrairement aux affaires portées devant la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE qui peuvent prendre plusieurs années.
101 Voir conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale (point 142).
102 Voir, pour de plus amples détails, mes conclusions dans l’affaire BCE/Crédit lyonnais (C‑389/21 P, EU:C:2022:844, points 41 à 74).
103 Conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (C‑263/08, EU:C:2009:421, point 62).
104 Conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire Greenpeace Council e.a./Commission (C‑321/95 P, EU:C:1997:421, point 117).
105 Voir, en ce sens, Harding, C., « The private interest in challenging community action », European Law Review, 1980, p. 354.
106 Voir, par exemple, Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas), arrêt du 20 septembre 2019, State of the Netherlands v. Stichting Urgenda (19/00135, NL:HR:2019:2007) ; Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), ordonnance du 24 mars 2021, Klimabeschluss (1 BvR 2656/18, 1 BvR 288/20, 1 BvR 96/20, 1 BvR 78/20, DE:BVerfG:2021:rs20210324.1bvr265618) ; et Conseil d’État (France), décision du 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe contre France (no 427301, FR:CECHR:2021:427301.20210701).
107 Cour EDH, arrêt du 9 avril 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse (CE:ECHR:2024:0409JUD005360020) (ci‑après l’« arrêt Klimaseniorinnen ») ; Cour EDH, décisions du 9 avril 2024, Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres (CE:ECHR:2024:0409DEC003937120), et du 9 avril 2024, Carême c. France (CE:ECHR:2024:0409DEC000718921).
108 Avis consultatif du 21 mai 2024, affaire no 31/2022, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international.
109 Pour ne donner qu’un exemple, dès 1985, la Cour a déclaré que la protection de l’environnement était « un des objectifs essentiels de la Communauté » (arrêt du 7 février 1985, ADBHU, 240/83, EU:C:1985:59, point 13), en dépit du fait que les traités communautaires en vigueur ne faisaient alors aucune mention expresse de l’environnement. Aujourd’hui, assurer un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement fait partie des objectifs de l’Union européenne (article 3 TUE) et les exigences liées à la protection de la santé humaine et de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union européenne (articles 9 et 11 TFUE).
110 Arrêt du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 77).
111 Arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335), et du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑561/19, EU:C:2021:799).
112 Voir mes conclusions dans l’affaire KUBERA (C‑144/23, EU:C:2024:522, points 90 à 99).
113 Voir, en détail, Mancini, G. F. et Keeling, D. T., « Democracy and the European Court of Justice », The Modern Law Review, 1994, no 2, p. 175 à 190.
114 Arrêt du 1er avril 1965, Sgarlata e.a./Commission (40/64, EU:C:1965:36, p. 296).
115 Arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1), et du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66).
116 Arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1, p. 23) (mise en évidence par mes soins).
117 Arrêts du 12 novembre 1969, Stauder (29/69, EU:C:1969:57, point 7) ; du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil (138/79, EU:C:1980:249, point 33), et arrêt Les Verts (point 23).
118 Voir, en particulier, article 11 TUE et article 15 TFUE.
119 Voir, le plus récemment, arrêt Carvalho (point 69 et jurisprudence citée).
120 Voir arrêt du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission (C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 52 et jurisprudence citée).
121 Voir, par exemple, arrêt Les Verts (point 33) ; arrêt UPA (point 44), et arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 281 et 316).
122 Voir, en particulier, arrêts du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a. (C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 58), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, points 72 à 75), ainsi qu’arrêt KS et KD (points 77 et 115 à 119).
123 Voir arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers) (C‑872/19 P, EU:C:2021:507, points 48 à 52).
124 Voir arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, points 54 à 63).
125 Voir, entre autres, arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission (C‑97/91, EU:C:1992:491, point 13) ; du 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (C‑263/08, EU:C:2009:631, point 45) ; du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, points 30 et 31) ; du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, point 13) ; du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 78), et du 17 mai 2022, Unicaja Banco (C‑869/19, EU:C:2022:397, points 39 et 40).
126 Voir, respectivement, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans les affaires jointes Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2014:310, point 132), et conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale (point 117).
127 Voir, par exemple, Arnull, A., « The action for annulment: A case of double standards? », dans O’Keeffe, D. et Bavasso, A. (éd.), Judicial review in the European Union, Kluwer, 2000, p. 185, et Krämer, L., « Access to environmental justice: the double standards of the ECJ », Journal for European Environmental & Planning Law, 2017, p. 159.
128 Voir points 45 à 48 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, EU:C:2002:197) : en raison, entre autres, d’un débat contradictoire complet, d’une plus grande possibilité pour les tiers d’intervenir et d’une sécurité juridique accrue découlant de l’obligation de former un recours contre l’acte dans un court délai.
129 Conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2013:335, points 59 à 63).
130 Voir points 45 et 64 des présentes conclusions.
131 Voir, entre autres, Cour EDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande (CE:ECHR:1979:1009JUD000628973, § 24) ; Cour EDH, 8 décembre 1983, Pretto et autres c. Italie (CE:ECHR:1983:1208JUD000798477, § 21) ; Cour EDH, 23 octobre 1990, Moreira de Azevedo c. Portugal (CE:ECHR:1990:1023JUD001129684, § 66) ; Cour EDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c. Pays‑Bas (CE:ECHR:1993:1027JUD001444888, § 33), et Cour EDH, 17 janvier 2008, Ryakib Biryukov c. Russie (CE:ECHR:2008:0117JUD001481002, § 37).
132 Voir note en bas de page 107 des présentes conclusions.
133 Version consolidée finale des projets d’instruments d’adhésion tel qu’approuvés provisoirement par le groupe 46+1 lors de sa 18e réunion, 46+1(2023)36 du 17 mars 2023 (disponible sur le site Internet du Conseil de l’Europe).
134 Voir note en bas de page 58 des présentes conclusions.
135 Voir, par exemple, Iglesias Sánchez, S., « The jurisdiction of European courts in the CFSP: Between exceptionalism and consistency of legal remedies in a union based on the rule of law », EU Law Live, Week-end Edition, 9 mai 2025.
136 Voir point 79 des présentes conclusions.
137 Voir article 2, point 28, article 5, paragraphes 6 et 7, article 7, paragraphe 12, article 11, paragraphe 6, et article 28, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/40.
138 Ce point est toutefois contesté par les requérantes. Voir point 169 des présentes conclusions.
139 Voir considérants 5 et 6 de l’acte litigieux et rapport de la Commission mentionné au considérant 5 (voir point 12 des présentes conclusions).
140 Voir points 73 à 77 de l’arrêt Infront (auquel renvoie le point 41 de l’ordonnance attaquée).
141 Voir points 60 à 62 de l’arrêt Stichting Woonpunt (auquel renvoie également le point 41 de l’ordonnance attaquée).
142 C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, points 61 à 64.
143 Voir, entre autres, arrêts du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission (264/82, EU:C:1985:119, points 14 et 15) ; du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil (C‑305/86 et C‑160/87, EU:C:1990:295, points 19 et 20), et du 18 septembre 2014, Valimar (C‑374/12, EU:C:2014:2231, points 30 à 32). Voir également, de manière plus générale, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Philips Lighting Poland et Philips Lighting/Conseil (C‑511/13 P, EU:C:2015:206, points 92 à 106).
144 Voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C‑358/89, EU:C:1991:214, point 17) ; du 18 mai 2022, Uzina Metalurgica Moldoveneasca/Commission (T‑245/19, EU:T:2022:295, points 66 et 69) ; du 18 octobre 2023, Zippo Manufacturing et Zippo/Commission (T‑402/20, EU:T:2023:640, points 26 et 28), et du 20 juin 2024, Euranimi/Commission (C‑252/23 P, EU:C:2024:538, points 38 à 40).
145 Voir points 36, 43 à 45, 57 et 78 des présentes conclusions ainsi que la jurisprudence qui y est mentionnée.