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Document 62019CC0451

Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 13 janvier 2022.
Subdelegación del Gobierno en Toledo contre XU et QP.
Demande de décision préjudicielle, introduite par Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha.
Renvoi préjudiciel – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union européenne – Citoyen de l’Union n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation – Demande de carte de séjour d’un membre de sa famille, ressortissant d’un pays tiers – Rejet – Obligation de ressources suffisantes du citoyen de l’Union – Obligation des conjoints de vivre ensemble – Enfant mineur, citoyen de l’Union – Législation et pratique nationales – Jouissance effective de l’essentiel des droits conférés aux ressortissants de l’Union – Privation.
Affaires jointes C-451/19 et C-532/19.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:24

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 13 janvier 2022 ( 1 )

Affaires jointes C‑451/19 et C‑532/19

Subdelegación del Gobierno en Toledo

contre

XU (C‑451/19)

et

Subdelegación del Gobierno en Toledo

contre

QP (C‑532/19)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union européenne – Citoyen de l’Union n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation – Demande de carte de séjour d’un membre de sa famille, ressortissant d’un pays tiers – Rejet – Obligation pour le citoyen de l’Union de disposer de ressources suffisantes – Obligation des époux de vivre ensemble – Enfant mineur, citoyen de l’Union – Législation et pratiques nationales – Jouissance effective de l’essentiel des droits conférés aux ressortissants de l’Union – Privation »

I. Introduction

1.

Les demandes de décision préjudicielle soumises par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, Espagne) dans les présentes affaires jointes portent sur l’interprétation de l’article 20 TFUE en ce qui concerne la reconnaissance du droit de séjour de ressortissants de pays tiers qui sont membres de la famille (le fils de la conjointe et le conjoint, respectivement) d’un citoyen espagnol qui n’a pas exercé son droit de libre circulation, ainsi que l’éventuelle obligation de procéder à l’examen concret et individuel de la question de savoir s’il existe une relation de dépendance entre les membres du noyau familial.

2.

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant la Subdelegación del Gobierno en Toledo (sous-délégation du gouvernement à Tolède, Espagne) (ci-après la « sous-délégation ») à des ressortissants de pays tiers au sujet du rejet, par celle-ci, de demandes d’obtention, à leur profit, d’une carte de séjour en tant que membres de la famille d’un citoyen de l’Union. Ces derniers invoquent, au soutien de leurs prétentions, un droit de séjour dérivé, fondé sur l’article 20 TFUE, ainsi que la jurisprudence de la Cour sur le statut de citoyen de l’Union. Les présentes affaires offrent à la Cour l’occasion de préciser sa jurisprudence relative au droit de séjour dérivé qui, dans certaines circonstances exceptionnelles, doit être reconnu à un ressortissant d’un pays tiers au titre de cette disposition.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1.   La directive 2004/38/CE

3.

L’article 1er de la directive 2004/38/CE ( 2 ) dispose :

« La présente directive concerne :

a)

les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

b)

le droit de séjour permanent, dans les États membres, des citoyens de l’Union et des membres de leur famille ;

[...] »

4.

L’article 3 de cette directive, intitulé « Bénéficiaires », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent. »

5.

L’article 7, paragraphes 1 et 2, de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois :

[...]

b)

s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ; ou,

[...]

d)

si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).

2.   Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c). »

2.   La directive 2003/86/CE

6.

L’article 2 de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial ( 3 ), énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c)

“regroupant” : un ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui demande le regroupement familial, ou dont des membres de la famille demandent à le rejoindre ;

[...] »

7.

L’article 3 de cette directive prévoit :

« 1.   La présente directive s’applique lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique.

[...]

3.   La présente directive ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union. »

8.

Aux termes de l’article 4 de ladite directive :

« 1.   Les États membres autorisent l’entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu’à l’article 16, des membres de la famille suivants :

[...]

c)

les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ;

[...]

6.   Par dérogation, les États membres peuvent demander que les demandes concernant le regroupement familial d’enfants mineurs soient introduites avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de 15 ans, conformément aux dispositions de leur législation en vigueur à la date de la mise en œuvre de la présente directive. Si elles sont introduites ultérieurement, les États membres qui décident de faire usage de la présente dérogation autorisent l’entrée et le séjour de ces enfants pour d’autres motifs que le regroupement familial. »

9.

Selon l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2003/86 :

« La demande est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l’extérieur du territoire de l’État membre dans lequel le regroupant réside.

Par dérogation, un État membre peut accepter, dans des cas appropriés, qu’une demande soit introduite alors que les membres de la famille se trouvent déjà sur son territoire. »

B. Le droit espagnol

10.

L’article 32 de la Constitution espagnole prévoit :

« 1.   L’homme et la femme ont le droit de se marier en pleine égalité juridique.

2.   La loi détermine les formes du mariage, l’âge et la capacité pour se marier, les droits et devoirs des époux, les causes de séparation et de dissolution et leurs effets. »

11.

Aux termes de l’article 68 du Código Civil (code civil) :

« Les époux sont tenus de vivre ensemble, ils se doivent fidélité et assistance mutuelle. En outre, ils doivent partager les responsabilités domestiques ainsi que les soins aux ascendants et descendants et aux autres personnes à leur charge. »

12.

L’article 70 de ce code prévoit :

« Les époux établissent d’un commun accord le lieu du domicile conjugal et, en cas de désaccord, la question est tranchée par le juge, qui tient compte de l’intérêt de la famille. »

13.

Aux termes de l’article 110 dudit code :

« Le père et la mère, même s’ils n’exercent pas l’autorité parentale, sont tenus de s’occuper de leurs enfants mineurs et de pourvoir à leur alimentation. »

14.

Selon l’article 154 du code civil :

« Les mineurs non émancipés sont soumis à l’autorité parentale des parents.

[...] »

15.

L’article 1er du Real Decreto 240/2007, sobre entrada, libre circulación y residencia en España de ciudadanos de los Estados miembros de la Unión Europea y de otros Estados parte en el Acuerdo sobre el Espacio Económico Europeo (décret royal 240/2007 sur l’entrée, la liberté de circulation et le séjour en Espagne des citoyens des États membres de l’Union européenne et des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen) ( 4 ), du 16 février 2007, dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« 1.   Le présent décret royal régit les conditions pour l’exercice des droits d’entrée et de sortie, de libre circulation, de séjour, de séjour permanent et de travail en Espagne pour les ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne et des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, ainsi que les limites des droits précités pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

2.   Le contenu du présent décret royal s’entend sans préjudice des dispositions des lois spéciales et des traités internationaux auxquels l’Espagne est partie. »

16.

L’article 2 de ce décret royal prévoit :

« Le présent décret royal s’applique également, dans les termes qui y sont prévus, aux membres de la famille d’un ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’ils l’accompagnent ou le rejoignent, et qui sont énumérés ci-après :

a)

le conjoint, à condition qu’il n’y ait pas eu d’accord ou de déclaration de nullité du mariage, divorce ou séparation de corps ;

[...]

c)

ses descendants directs, ainsi que ceux de son conjoint ou de son partenaire enregistré, âgés de moins de vingt et un ans ou dépassant cet âge et qui sont à sa charge ou sont incapables, à condition qu’il n’y ait pas eu d’accord ou de déclaration de nullité du mariage, divorce ou séparation de corps ou que l’inscription du partenariat n’ait pas été annulée ;

[...] »

17.

Aux termes de l’article 7 dudit décret royal :

« 1.   Tout citoyen de l’Union ou ressortissant d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen a le droit de séjourner sur le territoire de l’État espagnol pour une durée de plus de trois mois :

[...]

b) s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’Espagne au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète en Espagne ; ou,

[...]

d) si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).

2.   Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent en Espagne le citoyen de l’Union ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c).

[...]

7.   En ce qui concerne les moyens de subsistance suffisants, un montant fixe ne saurait être établi, il y a lieu de tenir compte de la situation personnelle des ressortissants de l’État membre de l’Union européenne ou de l’autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen. En tout état de cause, ce montant ne saurait être supérieur au niveau de ressources financières en dessous duquel les Espagnols reçoivent une assistance sociale ou au montant de la pension minimale de sécurité sociale. »

18.

L’article 8, paragraphe 1, de ce même décret royal dispose :

« Les membres de la famille d’un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen visés à l’article 2 du présent décret royal qui ne sont pas ressortissants de l’un de ces États peuvent, lorsqu’ils accompagnent ce dernier ou le rejoignent, séjourner en Espagne pour une période de plus de trois mois, et sont soumis à l’obligation de demander et d’obtenir une “carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union”. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

A. L’affaire C‑451/19

19.

XU, de nationalité vénézuélienne, est né le 19 septembre 2001, au Venezuela. La mère de XU, ressortissante vénézuélienne, est titulaire d’une Tarjeta de Residencia Comunitaria (carte de séjour communautaire) et vit avec son enfant en Espagne depuis 2004. XU avait obtenu un permis de séjour dans cet État membre.

20.

Le 20 janvier 2011, un tribunal aux affaires familiales du Venezuela a jugé que la garde de XU serait confiée à sa mère, qui pourrait résider en Espagne avec son enfant, sans limitation d’aucune sorte.

21.

La mère de XU et le beau-père de celui-ci, ressortissant espagnol n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union, se sont mariés à El Viso de San Juan (Espagne) le 6 septembre 2014. La validité de ce mariage n’a pas été mise en cause.

22.

Les époux vivent ensemble à El Viso de San Juan (Espagne) depuis le 12 décembre 2008. Le 24 juillet 2009, un enfant, de nationalité espagnole, est né de leur union.

23.

Le 28 septembre 2015, le beau-père de XU a introduit une demande d’obtention, au profit de XU, d’une carte de séjour temporaire de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne, conformément à l’article 2, sous c), du décret royal 240/2007.

24.

Cette demande a été rejetée au motif que le beau-père de XU n’avait pas établi qu’il disposait, comme l’exige l’article 7 du décret royal 240/2007, des ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille.

25.

Le 28 janvier 2016, la sous-délégation a confirmé le rejet de la demande introduite par le beau-père de XU. Celui-ci a formé un recours contentieux administratif contre cette décision devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 1 de Toledo (tribunal administratif au niveau provincial no 1 de Tolède, Espagne).

26.

Cette juridiction a accueilli son recours en considérant que l’article 7 du décret royal 240/2007 n’était pas applicable en l’espèce, le beau-père de XU n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union.

27.

L’administration de l’État a fait appel de cette décision devant le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche), lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Au regard de l’article 68 du code civil espagnol qui prévoit que les époux doivent vivre ensemble, l’obligation pour un ressortissant espagnol qui n’a pas exercé son droit de circulation, de remplir les conditions établies à l’article 7, paragraphe 1, du [décret royal 240/2007], afin que soit reconnu le droit de séjour de l’enfant mineur, ressortissant d’un pays tiers, de son conjoint ressortissant d’un pays tiers, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du [décret royal 240/2007], peut-elle impliquer, dans l’hypothèse où ces conditions ne seraient pas réunies, qu’il y a violation de l’article 20 TFUE si, en conséquence du refus de ce droit, le ressortissant espagnol était tenu de quitter le territoire de l’Union dans son ensemble ?

2)

En tout état de cause, indépendamment de ce qui précède et de la réponse à la question préalable, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, parmi laquelle figure entre autres l’arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique), C‑82/16, EU:C:2018:308, l’article 20 TFUE s’oppose-t-il à la pratique de l’État espagnol qui consiste à appliquer de manière automatique les dispositions de l’article 7 du [décret royal 240/2007], en refusant le permis de séjour au citoyen d’un pays tiers, enfant mineur du conjoint ressortissant d’un pays tiers d’un citoyen de l’Union n’ayant jamais exercé son droit de libre circulation (conjoints qui, pour leur part, ont un enfant mineur de nationalité espagnole qui n’a jamais exercé non plus son droit de libre circulation), pour la seule raison que le citoyen de l’Union ne remplit pas les conditions prévues dans cet article, sans avoir procédé à l’examen concret et individuel de la question de savoir s’il existe une relation de dépendance entre ce citoyen de l’Union et le ressortissant d’un pays tiers qui soit d’une nature telle que, pour quelque raison que ce soit et compte tenu des circonstances de l’espèce, elle aurait pour conséquence qu’en cas de refus du droit de séjour du ressortissant d’un pays tiers, le citoyen de l’Union ne pourrait pas se séparer du membre de la famille qui dépend de lui et serait tenu de quitter le territoire de l’Union, d’autant plus lorsque le citoyen espagnol et son épouse ressortissante d’un pays tiers sont parents d’un enfant mineur de nationalité espagnole qui pourrait également se voir obligé de quitter le territoire espagnol pour suivre ses parents ? »

B. L’affaire C‑532/19

28.

Le 25 septembre 2015, QP, ressortissant péruvien, a épousé une ressortissante espagnole n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union. La légalité de ce mariage n’a jamais été mise en cause. QP et son épouse sont parents d’une fille, de nationalité espagnole, née le 11 août 2012.

29.

Le 2 octobre 2015, QP a introduit une demande d’obtention d’une carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne, en y annexant, entre autres, le contrat de travail à durée indéterminée de son épouse ainsi que diverses fiches de salaire.

30.

Au cours de l’instruction du dossier, la sous-délégation a informé QP de l’existence à son encontre de trois condamnations pénales, datant du 7 septembre 2010, du 25 octobre 2010 et du 16 novembre 2016, la première et la troisième pour conduite d’un véhicule sans permis de conduire et la deuxième pour conduite en état d’ivresse, afin qu’il présente ses observations, ce qu’il a fait.

31.

Le 14 décembre 2015, la demande de QP a été rejetée par la sous-délégation au motif qu’il n’était pas satisfait aux conditions établies par le décret royal 240/2007, QP ayant un casier judiciaire en Espagne et ne disposant pas, pour lui-même et pour les membres de sa famille, de ressources financières suffisantes.

32.

Le 1er février 2016, la sous-délégation a confirmé le rejet de la demande introduite par QP. Ce dernier a formé un recours contentieux administratif contre cette décision devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 2 de Toledo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Tolède, Espagne) qui a accueilli son recours.

33.

L’administration de l’État a fait appel de cette décision devant le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche), lequel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Au regard de l’article 68 du code civil qui prévoit que les époux doivent vivre ensemble, l’obligation pour un ressortissant espagnol qui n’a pas exercé son droit de circulation de remplir les conditions établies à l’article 7, paragraphe 1, du décret royal 240/2007 afin que soit reconnu le droit de séjour de son conjoint ressortissant d’un pays tiers, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du décret royal 240/2007, peut-elle impliquer, dans l’hypothèse où ces conditions ne seraient pas réunies, qu’il y a violation de l’article 20 TFUE si, en conséquence du refus de ce droit, le ressortissant espagnol était tenu de quitter le territoire de l’Union dans son ensemble ?

2)

En tout état de cause, indépendamment de ce qui précède et de la réponse à la première question, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dans laquelle figure notamment l’arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16 [EU:C:2018:308]), l’article 20 TFUE s’oppose-t-il à la pratique de l’État espagnol qui consiste à appliquer de manière automatique les dispositions de l’article 7 du décret royal 240/2007, en refusant le permis de séjour au membre de la famille du citoyen de l’Union n’ayant jamais exercé son droit de libre circulation, au motif que le citoyen de l’Union ne remplit pas les conditions prévues à cet article, sans avoir procédé à l’examen concret et individuel de la question de savoir s’il existe une relation de dépendance entre ce citoyen de l’Union et le ressortissant d’un pays tiers qui soit d’une nature telle que, pour quelque raison que ce soit et compte tenu des circonstances de l’espèce, elle aurait pour conséquence que, en cas de refus du droit de séjour du ressortissant d’un pays tiers, le citoyen de l’Union ne pourrait pas se séparer du membre de la famille dont il dépend et serait tenu de quitter le territoire de l’Union ? »

IV. La procédure devant la Cour

34.

La décision de renvoi dans l’affaire C‑451/19, datée du 29 avril 2019, est parvenue au greffe de la Cour le 12 juin 2019.

35.

La décision de renvoi dans l’affaire C‑532/19, datée du 17 juin 2019, est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 2019.

36.

Par décision de la Cour du 16 avril 2020, les affaires en cause ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale, ainsi que de l’arrêt.

37.

Le gouvernement espagnol et la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans le délai imparti par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

38.

En application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.

V. Analyse juridique

A. Observations liminaires

39.

Ainsi qu’il a été indiqué en introduction, les présentes affaires portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 20 TFUE en ce qui concerne la reconnaissance du droit de séjour de ressortissants de pays tiers qui sont membres de la famille (le fils de la conjointe et le conjoint, respectivement) d’un citoyen de l’Union qui n’a pas exercé son droit de libre circulation, ainsi que l’éventuelle obligation qui incombe aux autorités compétentes de procéder à l’examen concret et individuel de la question de savoir s’il existe une relation de dépendance entre les membres du noyau familial.

40.

Dans un souci de clarté et de rationalité, ces deux axes thématiques, qui correspondent respectivement aux premières et deuxièmes questions préjudicielles, seront examinés dans ce même ordre. Par conséquent, j’établirai d’abord si un ressortissant de pays tiers bénéficie d’un droit dérivé fondé sur l’article 20 TFUE dans des circonstances telles que celles des présentes affaires ( 5 ). Je me pencherai ensuite sur les exigences que la jurisprudence de la Cour impose à l’examen d’une relation de dépendance ( 6 ). Dans le cadre de mon analyse, je prendrai position sur plusieurs des questions juridiques soulevées par la juridiction de renvoi dans ses demandes de décision préjudicielle. Les conclusions à tirer de cette analyse, résumées dans une synthèse de l’examen de chaque axe thématique ( 7 ), apporteront finalement les réponses aux questions posées.

B. Premier axe thématique : l’examen de l’existence d’un droit dérivé des ressortissants de pays tiers dans les circonstances des présentes affaires

1.   Aspects à prendre en compte dans le cadre de l’analyse

41.

La nécessité d’une analyse approfondie du premier axe thématique portant sur l’existence éventuelle d’un droit de séjour dans les circonstances des présentes affaires résulte du fait que l’on ne saurait exclure que l’article 20 TFUE s’oppose à la pratique des autorités espagnoles consistant à refuser d’octroyer un titre de séjour à un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, au seul motif que ce dernier ne dispose pas de ressources suffisantes pour lui et ce ressortissant (ni d’une assurance maladie).

42.

En effet, il convient de rappeler dans ce contexte que telle est précisément la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans l’arrêt du 27 février 2020, Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real (Conjoint d’un citoyen de l’Union) (C‑836/18, ci-après l’« arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real , EU:C:2020:119). Plus concrètement, la Cour a critiqué dans cet arrêt la décision des autorités espagnoles de rejeter une demande de regroupement familial, introduite par le conjoint, ressortissant d’un pays tiers, d’un citoyen de l’Union, au seul motif que ce citoyen de l’Union ne disposait pas, pour lui et son conjoint, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système national d’assistance sociale, sans avoir examiné s’il existait une relation de dépendance entre ledit citoyen de l’Union et son conjoint d’une nature telle que, en cas de refus d’octroi d’un droit de séjour dérivé à ce dernier, le même citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union afin de pouvoir rester avec son conjoint et assurer ainsi le soutien effectif de la personne qui dépend de lui. La Cour a par la suite jugé que l’article 20 TFUE s’opposait à la pratique administrative des autorités espagnoles qui ne faisaient que mettre en œuvre la législation nationale en vigueur ( 8 ).

43.

Les circonstances des affaires au principal présentent plusieurs similitudes avec celles de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, dans la mesure où, premièrement, les citoyens de l’Union en cause n’ont pas exercé leur liberté de circulation et où, deuxièmement, elles concernent exactement la même législation nationale de transposition de l’article 7 de la directive 2004/38, qui prévoit également une application analogue de cette disposition à ce cas de figure spécifique ( 9 ), allant ainsi au-delà de ce qu’exige le droit de l’Union. Cependant, il importe de relever qu’il existe aussi des différences notables au niveau des faits, qui méritent une appréciation particulière à la lumière des principes développés dans la jurisprudence en matière de citoyenneté de l’Union. En effet, alors que dans l’affaire précitée, il s’agissait d’examiner la possible dépendance entre des conjoints mariés sans enfant à charge, les affaires au principal se caractérisent par la présence dans le noyau familial d’enfants à charge qui sont citoyens de l’Union. À cet égard, je tiens à souligner que les mineurs requièrent, en raison de leur vulnérabilité, une protection accrue de la part des autorités nationales, ce qui devrait, à mon avis, se refléter dans l’application de l’article 20 TFUE au cas d’espèce. Dans cette optique, et compte tenu des différences mentionnées, il est évident que la Cour devra apporter quelques précisions importantes quant à l’étendue du champ d’application de cette disposition.

44.

Toutefois, avant d’examiner la question de savoir si les ressortissants de pays tiers, dans des circonstances telles que celles des présentes affaires, peuvent effectivement se prévaloir d’un droit dérivé fondé sur l’article 20 TFUE, en raison de leur statut de membres de la famille d’un citoyen de l’Union, il me semble nécessaire de rappeler brièvement les principes applicables à la citoyenneté de l’Union, tels qu’ils ont été développés dans la jurisprudence de la Cour ( 10 ). Ce n’est qu’après cet exposé de l’état actuel de la jurisprudence dans ce domaine du droit de l’Union qu’il sera possible de vérifier si lesdits principes trouvent à s’appliquer en l’espèce ( 11 ).

2.   Exposé de l’état actuel de la jurisprudence en matière de citoyenneté de l’Union

a)   Jurisprudence relative au droit de séjour dérivé des ressortissants de pays tiers fondé sur leur statut de membres de la famille d’un citoyen de l’Union

45.

Selon une jurisprudence constante, réitérée dans l’arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, l’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union, lequel a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres. La citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et des mesures adoptées en vue de leur application ( 12 ).

46.

Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’article 20 TFUE s’oppose à des mesures nationales, y compris des décisions refusant le droit de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union, qui ont pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur statut. En revanche, les dispositions du traité concernant la citoyenneté de l’Union ne confèrent aucun droit autonome aux ressortissants d’un pays tiers. En effet, les éventuels droits conférés à de tels ressortissants sont non pas des droits propres à ces ressortissants, mais des droits dérivés de ceux dont jouit le citoyen de l’Union. La finalité et la justification de ces droits dérivés se fondent sur la constatation que le refus de leur reconnaissance est de nature à porter atteinte, notamment, à la liberté de circulation du citoyen de l’Union ( 13 ).

47.

À cet égard, la Cour a déjà constaté qu’il existe des situations très particulières dans lesquelles, en dépit du fait que le droit dérivé relatif au droit de séjour des ressortissants de pays tiers n’est pas applicable et que le citoyen de l’Union concerné n’a pas fait usage de sa liberté de circulation, un droit de séjour doit néanmoins être accordé à un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille de ce citoyen, sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union, si, comme conséquence du refus d’un tel droit, ledit citoyen se voyait obligé de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble, le privant ainsi de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut ( 14 ).

48.

Toutefois, le refus d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers n’est susceptible de mettre en cause l’effet utile de la citoyenneté de l’Union que s’il existe, entre ce ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle aboutirait à ce que ce dernier soit contraint d’accompagner le ressortissant d’un pays tiers en cause et de quitter le territoire de l’Union, pris dans son ensemble. Il s’ensuit qu’un ressortissant d’un pays tiers ne peut prétendre à l’octroi d’un droit de séjour dérivé, au titre de l’article 20 TFUE, que si, à défaut de l’octroi d’un tel droit de séjour, tant ce dernier que le citoyen de l’Union, membre de sa famille, se voyaient contraints de quitter le territoire de l’Union. Dès lors, l’octroi d’un tel droit de séjour dérivé ne peut être envisagé que lorsque le ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, ne remplit pas les conditions imposées pour obtenir, sur le fondement d’autres dispositions et, notamment, en vertu de la réglementation nationale applicable au regroupement familial, un droit de séjour dans l’État membre dont ce citoyen est ressortissant ( 15 ).

49.

Cependant, une fois qu’il a été constaté qu’aucun droit de séjour, en vertu du droit national ou du droit de l’Union dérivé, ne peut être octroyé au ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, le fait qu’il existe entre ce ressortissant et ce citoyen de l’Union une relation de dépendance telle qu’elle aboutirait à contraindre ledit citoyen de l’Union à quitter le territoire de l’Union dans son ensemble, en cas de renvoi, en dehors de ce territoire, du membre de sa famille, ressortissant de pays tiers, a pour conséquence que l’article 20 TFUE oblige, en principe, l’État membre concerné à reconnaître un droit de séjour dérivé à ce dernier ( 16 ).

50.

Il convient de retenir à ce stade de l’analyse que le recours à l’article 20 TFUE exige la présence, entre le ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, d’une relation de dépendance aussi forte que celle décrite au point précédent des présentes conclusions. Cela étant dit, il y a lieu d’observer que la Cour tend à opérer une distinction importante entre deux catégories de relations au sein d’une famille : d’un côté, les relations entre des conjoints adultes et, de l’autre côté, les relations entre les parents et leurs enfants mineurs.

51.

Dans l’arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, ci-après l’« arrêt K.A. e.a. , EU:C:2018:308), la Cour a précisé qu’un adulte est, en principe, en mesure de mener une existence indépendante des membres de sa famille. Selon la Cour, il s’ensuit que la reconnaissance, entre deux adultes, membres d’une même famille, d’une relation de dépendance de nature à créer un droit de séjour dérivé au titre de l’article 20 TFUE n’est envisageable que dans des cas exceptionnels, dans lesquels, eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes, la personne concernée ne pourrait, d’aucune manière, être séparée du membre de sa famille dont elle dépend ( 17 ).

b)   Jurisprudence relative à la relation de dépendance existant entre le ressortissant de pays tiers et le citoyen de l’Union lorsqu’une des personnes concernées est un mineur

52.

Il en va autrement pour les enfants mineurs, surtout si ceux-ci sont des enfants en bas âge ( 18 ), étant donné qu’ils dépendent largement du soutien et de la protection des parents. La Cour semble être parfaitement consciente de la protection spécifique dont ont besoin les mineurs dans le contexte particulièrement sensible d’une décision administrative relevant de la compétence des autorités nationales en matière d’immigration et susceptible d’avoir pour effet de mettre fin à l’unité familiale ( 19 ). En effet, il convient de noter que, selon la Cour, le refus d’octroyer un droit de séjour à un parent ressortissant d’un pays tiers d’un citoyen de l’Union est, en principe, susceptible de ne laisser aucune autre option à ce dernier que de quitter le territoire de l’Union afin d’accompagner le parent dont il dépend ( 20 ).

53.

Cependant, il y a lieu de préciser que la Cour n’accorde pas la même valeur au rôle de chaque parent lorsqu’il est question de déterminer le degré décisif de dépendance des enfants. Une appréciation au cas par cas de la situation familiale est nécessaire, notamment au regard de la responsabilité assumée par chaque parent dans l’entretien de la famille. Dans sa jurisprudence, la Cour a considéré comme étant des éléments pertinents, aux fins de déterminer si le refus de reconnaître un droit de séjour dérivé au parent, ressortissant d’un pays tiers, d’un enfant, citoyen de l’Union, entraîne pour celui-ci la privation de la jouissance effective de l’essentiel des droits que lui confère son statut en contraignant cet enfant, dans les faits, à accompagner son parent et donc à quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble, la question de la garde de l’enfant ainsi que celle de savoir si la charge légale, financière ou affective de cet enfant est assumée par le parent ressortissant d’un pays tiers ( 21 ).

54.

Plus particulièrement, pour apprécier le risque que l’enfant concerné, citoyen de l’Union, soit contraint de quitter le territoire de l’Union si son parent, ressortissant d’un pays tiers, se voyait refuser l’octroi d’un droit de séjour dérivé dans l’État membre concerné, il incombe aux autorités nationales de déterminer quel est le parent qui assume la garde effective de l’enfant et s’il existe une relation de dépendance effective entre celui-ci et le parent ressortissant d’un pays tiers. La Cour a jugé que, dans le cadre de cette appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte du droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), cet article devant être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ( 22 ).

55.

Selon la Cour, la circonstance que l’autre parent, lorsque celui-ci est citoyen de l’Union, est réellement capable de – et prêt à – assumer seul la charge quotidienne et effective de l’enfant constitue un élément pertinent, mais qui n’est pas à lui seul suffisant pour pouvoir constater qu’il n’existe pas, entre le parent ressortissant d’un pays tiers et l’enfant, une relation de dépendance telle que ce dernier serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un droit de séjour était refusé à ce ressortissant d’un pays tiers. En effet, une telle constatation doit être fondée sur la prise en compte, dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de son âge, de son développement physique et émotionnel, du degré de sa relation affective tant avec le parent citoyen de l’Union qu’avec le parent ressortissant d’un pays tiers, ainsi que du risque que la séparation d’avec ce dernier engendrerait pour l’équilibre de cet enfant ( 23 ).

56.

Par ailleurs, selon la Cour, le fait que le parent, ressortissant d’un pays tiers, cohabite avec l’enfant mineur, citoyen de l’Union, est un des éléments pertinents à prendre en considération pour déterminer l’existence d’une relation de dépendance entre eux, sans pour autant en constituer une condition nécessaire. En revanche, le seul fait qu’il pourrait paraître souhaitable à un ressortissant d’un État membre, pour des raisons économiques ou afin de maintenir l’unité familiale sur le territoire de l’Union, que des membres de sa famille, qui ne disposent pas de la nationalité d’un État membre, puissent séjourner avec lui sur le territoire de l’Union ne suffit pas en soi pour considérer que le citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un tel droit n’était pas accordé. Ainsi, l’existence d’un lien familial, qu’il soit de nature biologique ou juridique, entre le citoyen de l’Union mineur et son parent, ressortissant d’un pays tiers, ne saurait suffire à justifier que soit reconnu, au titre de l’article 20 TFUE, un droit de séjour dérivé à ce parent sur le territoire de l’État membre dont l’enfant mineur est ressortissant ( 24 ).

3.   Application aux présentes affaires des principes jurisprudentiels développés par la Cour

a)   Éléments communs à toutes les affaires traitées dans la jurisprudence

57.

Après ce bref exposé de la jurisprudence de la Cour relative au droit de séjour dérivé des ressortissants de pays tiers fondé sur leur statut de membres de la famille d’un citoyen de l’Union ainsi que sur la relation de dépendance qui existe spécifiquement entre un ressortissant de pays tiers et un citoyen de l’Union lorsqu’une des personnes concernées est un mineur, il convient d’établir si les principes issus de cette jurisprudence, évoqués aux points précédents des présentes conclusions, trouvent à s’appliquer aux présentes affaires jointes. Comme je l’expliquerai ci-après en détail, plusieurs raisons m’amènent à répondre à cette question par l’affirmative.

58.

Tout d’abord, il existe des parallèles avec l’affaire Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, auxquels j’ai déjà fait référence dans les présentes conclusions ( 25 ). En effet, comme dans l’affaire précitée, la Cour est appelée, une fois de plus, à se prononcer, même indirectement, sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation espagnole en vigueur qui conditionne le regroupement familial d’un ressortissant d’un pays tiers avec un membre de sa famille, ressortissant d’un État membre n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation, à l’exigence que ce dernier dispose de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système national d’assistance sociale.

59.

À cet égard, la Cour a jugé que le droit de l’Union ne s’applique pas, en principe, à une demande de regroupement familial introduite dans ces circonstances, et qu’il ne s’oppose dès lors pas, en principe, à une réglementation nationale telle que celle décrite au point précédent ( 26 ). La Cour a toutefois précisé que l’imposition systématique, sans aucune exception, d’une telle condition est susceptible de méconnaître le droit de séjour dérivé devant être reconnu, dans des situations très particulières, en vertu de l’article 20 TFUE, au ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union ( 27 ). Cette précision de la part de la Cour me paraît particulièrement importante, car elle a pour effet de définir les limites du champ d’application de cette disposition et, ce faisant, les compétences des États membres en matière d’immigration.

60.

La Cour a expliqué quelles étaient les mesures nationales considérées comme étant incompatibles avec le statut de citoyen de l’Union institué par l’article 20 TFUE, à savoir celles qui privent les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ledit statut. Comme je l’ai indiqué lors de mon exposé de la jurisprudence pertinente, tel est notamment le cas dans une situation dans laquelle le citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union au motif qu’un membre de sa famille, ressortissant d’un pays tiers, se verrait refuser la reconnaissance d’un droit de séjour. Une telle situation, dans laquelle il est fait preuve d’une rigueur particulière, ne peut se produire que s’il existe une relation se caractérisant par un degré de dépendance élevé entre le ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, et ce dernier. Par conséquent, pour déterminer si les personnes concernées en l’espèce peuvent invoquer l’article 20 TFUE afin de bénéficier d’un droit de séjour, il y a lieu d’examiner la situation familiale de chacune d’entre elles.

61.

Il convient donc de retenir que, nonobstant les différences que présentent les cadres factuels de l’affaire Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real et des affaires au principal, l’un des aspects centraux de l’analyse consiste à établir s’il existe, en l’espèce, une relation caractérisée par une dépendance suffisamment marquée, de nature à satisfaire aux exigences que la jurisprudence impose aux fins de l’application de cette disposition. Le fait que les relations familiales en cause impliquent des enfants mineurs requiert une attention particulière pour les besoins de l’analyse. C’est la raison pour laquelle les principes jurisprudentiels énoncés dans l’arrêt K.A. e.a. et évoqués dans les présentes conclusions ( 28 ) pourraient se révéler pertinents et applicables. Dans l’intérêt d’une approche méthodique, visant à tenir dûment compte des circonstances spécifiques de chaque affaire, je propose de les examiner individuellement à la lumière des éléments que la jurisprudence nous fournit.

62.

Il est nécessaire de rappeler dans ce contexte qu’il n’incombe à la Cour ni d’apprécier elle-même la situation des familles en cause dans les affaires au principal ni de décider de son propre chef s’il est opportun d’accorder un droit de séjour aux personnes concernées. Cela vaut à plus forte raison pour l’appréciation de leur situation financière, malgré l’incidence que l’interprétation de l’article 20 TFUE est susceptible d’avoir sur l’application de la disposition nationale de transposition de l’article 7 de la directive 2004/38, qui s’étend à la situation des ressortissants espagnols qui n’ont pas exercé leur liberté de circulation. Les tâches mentionnées relèvent de la compétence exclusive des autorités nationales ( 29 ). La Cour est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui lui permettront de réaliser elle-même un examen approfondi des faits.

b)   Identification d’une relation de dépendance dans le noyau familial comme élément principal de l’analyse

1) Examen de l’affaire C‑532/19

i) Sur les circonstances justifiant l’existence d’un droit de séjour

63.

Dans cette affaire, QP, ressortissant d’un pays tiers, ayant épousé une ressortissante espagnole qui n’a jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union, cherche à obtenir un titre de séjour en Espagne. De leur union est née une fille, de nationalité espagnole. Celle-ci, qui est encore mineure à l’heure actuelle, n’a pas davantage exercé sa liberté de circulation.

64.

D’emblée, je tiens à noter que la juridiction de renvoi indique que, si QP se voyait refuser un titre de séjour en Espagne, lui et son épouse se trouveraient dans l’impossibilité supposée de respecter l’obligation de cohabitation à laquelle ils sont tenus en vertu du droit espagnol. La juridiction de renvoi ne mentionne cependant aucune circonstance susceptible de démontrer l’existence d’une relation de dépendance entre ces deux personnes majeures, autre que cette simple obligation légale de cohabitation.

65.

Or, il découle clairement de la jurisprudence de la Cour, évoquée dans les présentes conclusions, que la reconnaissance, entre deux adultes, membres d’une même famille, d’une relation de dépendance de nature à créer un droit de séjour dérivé au titre de l’article 20 TFUE n’est envisageable que dans des cas exceptionnels ( 30 ). Dans l’arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, la Cour a jugé qu’une telle relation de dépendance n’existe pas au seul motif que le ressortissant d’un État membre, majeur et n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation, et son conjoint, majeur et ressortissant d’un pays tiers, sont tenus de vivre ensemble, en vertu des obligations découlant du mariage selon le droit de l’État membre dont le citoyen de l’Union européenne est ressortissant. Par conséquent, il semblerait, en principe, que la réponse à la première question préjudicielle découle clairement de cet arrêt.

66.

Cela étant dit, je considère néanmoins que, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, la Cour devrait également examiner l’incidence que peut avoir, au regard de l’article 20 TFUE, le fait que QP est le père d’une enfant mineure, citoyenne de l’Union, dont il assure la garde conjointement avec son épouse, ressortissante espagnole et mère de cette enfant. Plus concrètement, il convient de déterminer si l’obligation qui serait faite à QP de quitter le territoire de l’Union imposerait, dans les faits, à sa fille de l’accompagner, alors même que tant cette enfant que sa mère peuvent légalement demeurer en Espagne.

67.

Comme il ressort de mon exposé de la jurisprudence pertinente ( 31 ), la question de la garde de l’enfant ainsi que celle de savoir si la charge légale, financière ou affective de cette enfant est assumée par le parent ressortissant d’un pays tiers constituent des éléments pertinents afin de déterminer s’il existe une relation de dépendance entre ce parent et son enfant mineure, citoyenne de l’Union. La constatation d’une relation de dépendance au sens de l’article 20 TFUE, telle que l’enfant mineur serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un droit de séjour était refusé au parent, doit être fondée sur la prise en compte, dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de son âge, de son développement physique et émotionnel, du degré de sa relation affective tant avec le parent citoyen de l’Union qu’avec le parent ressortissant d’un pays tiers, ainsi que du risque que la séparation d’avec ce dernier engendrerait pour l’équilibre de cet enfant ( 32 ).

68.

Il me paraît découler de cette jurisprudence que, afin d’apprécier dans le cas d’espèce l’existence d’une relation de dépendance, au sens de l’article 20 TFUE, il convient de prendre en compte non pas seulement l’éventuelle dépendance matérielle de cette enfant vis-à-vis de son parent, ressortissant d’un pays tiers, mais aussi l’importance de la relation affective avec ce dernier et les conséquences que son départ pourrait provoquer sur l’équilibre psychologique de cette enfant.

69.

Certes, il ressort également de la jurisprudence de la Cour ( 33 ) que le seul fait qu’il puisse paraître souhaitable à un ressortissant d’un État membre, pour des raisons économiques ou afin de maintenir l’unité familiale sur le territoire de l’Union, que des membres de sa famille, qui ne disposent pas de la nationalité d’un État membre, puissent séjourner avec lui sur le territoire de l’Union ne suffit pas en soi pour considérer que le citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un tel droit n’était pas accordé.

70.

Il ne faut cependant pas oublier, dans le cadre de la présente analyse, que la Cour a rappelé à plusieurs reprises l’importance primordiale que le droit de l’Union accorde au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte. Il en va de même pour la protection de l’enfant, dont l’intérêt supérieur doit être pris en compte par les autorités compétentes, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. Ces considérations impliquent notamment de tenir compte de la nécessité pour un enfant d’« entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents », exprimée au paragraphe 3 du même article. Ce dernier aspect me paraît décisif aux fins de la présente analyse.

71.

À mon avis, ce n’est pas sans raison que la Cour a rappelé le rang constitutionnel des droits susmentionnés dans l’ordre juridique de l’Union lorsqu’elle a inclus dans son raisonnement, outre l’article 20 TFUE, les dispositions de la Charte ( 34 ). Il me semble évident que la Cour a entendu assurer le maintien du lien familial entre l’enfant mineur, citoyen de l’Union, et son parent, ressortissant d’un pays tiers, sur le territoire de l’Union lorsque cela correspond à l’intérêt supérieur de cet enfant ( 35 ). Il s’ensuit que des considérations d’ordre général, invoquées par les autorités nationales, telles que celles liées à une prétendue nécessité de protéger les systèmes nationaux d’assistance sociale, doivent céder le pas lorsqu’il est établi, sur le fondement d’une appréciation de la situation familiale, qu’il existe une véritable relation de dépendance de nature matérielle ou affective entre les personnes concernées, susceptible de rendre indispensable le maintien de l’unité familiale sur le territoire de l’Union. En d’autres termes, le respect de l’ensemble des droits fondamentaux que les traités garantissent à tout citoyen de l’Union en raison de son statut doit primer sur les intérêts purement économiques des États membres ( 36 ).

72.

À la lumière de la jurisprudence précitée, il me semble que l’obtention d’un titre de séjour sur le fondement de l’article 20 TFUE ne devrait pas être refusée à QP au seul motif que la garde de sa fille pourrait être assumée intégralement par sa mère, citoyenne de l’Union, sur le territoire espagnol. En effet, une approche qui se focaliserait uniquement sur les capacités financières de la mère en application du droit national de la famille et ignorerait le rôle éventuellement exercé par le père dans l’éducation, la prise en charge et l’entretien de l’enfant ne prendrait pas suffisamment en compte l’intérêt supérieur de cette enfant à maintenir une relation durable et bénéfique avec son père. Dès lors, une telle approche ne répondrait pas aux exigences établies par la jurisprudence quant à l’examen individuel à effectuer.

73.

Dans le même ordre d’idées, il conviendrait de considérer que les exigences de la jurisprudence ne sont pas respectées lorsque le père n’a pas été en mesure d’apporter les éléments permettant d’apprécier si les conditions d’application de l’article 20 TFUE sont remplies, comme le fait qu’il s’occupe quotidiennement et effectivement de l’enfant mineur. La référence expresse de la Cour à cette exigence dans l’arrêt Chavez-Vilchez e.a. montre que la circonstance que le parent assume sérieusement ses obligations légales envers l’enfant constitue une preuve, parmi d’autres indices pertinents, de l’existence d’une relation de dépendance au sens de la disposition susmentionnée.

74.

S’agissant du cas d’espèce, force est de constater que la décision de renvoi ne fait référence à aucun élément permettant de tirer des conclusions précises quant au rôle du père envers sa fille. Toutefois, il me semble que cette absence d’information est liée à deux facteurs qu’il convient d’élucider afin de mieux comprendre le contexte factuel dans lequel les questions préjudicielles ont été posées. D’une part, les constatations de la juridiction de renvoi s’appuient sur les informations obtenues par les autorités espagnoles qui, comme elle l’indique, n’examinent pas les circonstances qui pourraient se révéler pertinentes pour établir l’existence d’une relation de dépendance susceptible de contraindre le citoyen de l’Union à quitter le territoire de l’Union. D’autre part, l’attention de la juridiction de renvoi se focalise exclusivement sur la relation entre les époux, sans entrer dans les détails de la relation entre l’enfant et ses parents.

75.

Pour ces motifs, j’estime que cette absence d’information ne peut être retenue comme étant l’indice d’un manque d’engagement de la part d’un parent ou de l’autre. Partant, il serait essentiel que la juridiction de renvoi porte son attention sur le rôle que chaque parent exerce au sein du noyau familial selon ses capacités et applique les éléments d’interprétation que la Cour fournira dans l’arrêt à intervenir dans les présentes affaires.

76.

La juridiction de renvoi devra également établir s’il y a cohabitation des membres de la famille et, le cas échéant, dans quelles circonstances. La Cour a considéré dans sa jurisprudence que le fait que le parent, ressortissant d’un pays tiers, cohabite avec l’enfant mineur, citoyen de l’Union, est l’un des éléments pertinents à prendre en considération pour déterminer l’existence d’une relation de dépendance. Bien que la juridiction de renvoi se borne à faire référence, de manière plutôt générale, à l’obligation des époux en droit espagnol de vivre ensemble et d’établir d’un commun accord le lieu du domicile conjugal, il n’en est pas moins possible de supposer l’existence d’un foyer familial. Dans cette hypothèse, une des questions que la juridiction de renvoi devrait éclaircir est celle de savoir si la cohabitation se caractérise par une continuité et une stabilité qui mettent en évidence des liens d’affection et d’attachement et démontrent l’existence d’une assistance mutuelle entre les personnes concernées.

77.

À la lumière des considérations qui précèdent, et sous réserve de l’appréciation des faits, qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, il me semble qu’une « relation de dépendance » au sens de l’article 20 TFUE devrait être reconnue entre le citoyen de l’Union, mineur, et son parent, ressortissant d’un pays tiers, lorsque ce dernier cohabite avec sa mère et que la garde et la charge légale, affective et financière de cet enfant sont, dès lors, partagées quotidiennement par ses deux parents, et ce même si l’autre parent est un citoyen de l’Union et dispose donc d’un droit inconditionnel à demeurer sur le territoire de l’État membre dont il est ressortissant. Une telle conclusion me semble s’imposer d’autant plus qu’il convient d’interpréter cette relation de dépendance à la lumière, notamment, de l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.

ii) Sur l’exception liée au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité publique

78.

L’existence d’une relation de dépendance au sens de l’article 20 TFUE ne signifie certes pas qu’un droit de séjour doive être accordé dans tous les cas. Ce constat est particulièrement vrai lorsque des raisons liées au maintien de l’ordre public ou à la sauvegarde de la sécurité publique s’opposent à une telle décision. Le refus des autorités compétentes de reconnaître un tel droit au motif que le ressortissant d’un pays tiers a commis de graves infractions pénales pourrait constituer un obstacle.

79.

Une telle situation semble se présenter dans le cas d’espèce, dans lequel il est constant que le parent ressortissant d’un pays tiers s’est vu refuser la reconnaissance d’un droit de séjour au motif qu’il a été condamné pour des infractions routières dans son État membre de résidence. Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, le casier judiciaire de QP contient deux condamnations pour conduite sans permis et une autre pour conduite sous l’emprise de l’alcool.

80.

À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’article 20 TFUE n’affecte pas la possibilité pour les États membres d’invoquer une exception liée, notamment, au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité publique. La Cour a néanmoins précisé que, dans la mesure où la situation du ressortissant d’un pays tiers qui invoque un droit de séjour sur le fondement de cette disposition relève du champ d’application du droit de l’Union, l’appréciation de sa situation doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte, cet article devant être lu en corrélation avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ( 37 ).

81.

Autrement dit, les autorités compétentes sont tenues d’effectuer une appréciation concrète de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce avant de prendre une décision sur la nécessité de refuser un droit de séjour au ressortissant d’un pays tiers pour les raisons mentionnées. Dans le cadre de cette appréciation individuelle, les autorités compétentes doivent tenir compte de certains critères que j’évoquerai ci-après.

82.

D’emblée, il y a lieu de noter que, en tant que justification d’une dérogation au droit de séjour des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles, les notions d’« ordre public » et de « sécurité publique » doivent être entendues strictement. Ainsi, en tout état de cause, la notion d’« ordre public » suppose l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Quant à la notion de « sécurité publique », il ressort de la jurisprudence que cette notion couvre la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure et que, partant, l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires peuvent affecter la sécurité publique ( 38 ).

83.

La Cour a déclaré sans ambiguïté que, dès lors que le refus du droit de séjour est fondé sur l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique, compte tenu, notamment, des infractions pénales commises par un ressortissant d’un État tiers, un tel refus serait conforme au droit de l’Union même s’il entraînait l’obligation pour le citoyen de l’Union, membre de sa famille, de quitter le territoire de l’Union ( 39 ). En revanche, cette conclusion ne saurait être tirée de manière automatique sur le seul fondement des antécédents pénaux de l’intéressé. Elle ne saurait découler, le cas échéant, que d’une appréciation concrète de l’ensemble des circonstances actuelles et pertinentes de l’espèce, à la lumière du principe de proportionnalité, de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect ( 40 ).

84.

Parmi les critères qui doivent être pris en considération dans le cadre de cette appréciation figurent le comportement personnel de l’individu concerné, la durée et le caractère légal du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre concerné, la nature et la gravité de l’infraction commise, le degré de dangerosité actuel de l’intéressé pour la société, l’âge des enfants éventuellement en cause et leur état de santé, ainsi que leur situation familiale et économique ( 41 ).

85.

La question qui se pose à ce stade de l’analyse est donc de savoir si, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, la reconnaissance d’un droit de séjour fondé sur l’article 20 TFUE peut être refusée au motif que le parent, ressortissant d’un pays tiers, d’un enfant mineur, citoyen de l’Union, a été condamné pour les infractions routières commises.

86.

La sécurité routière constitue une préoccupation importante pour l’Union et ses États membres dans leurs domaines de compétence respectifs, d’autant plus qu’elle est liée intrinsèquement à la protection de la santé et de la vie humaine ( 42 ). On ne soulignera jamais assez l’importance d’une politique efficace et cohérente, visant à mettre en place sur l’ensemble du territoire de l’Union des mesures destinées à éviter aux usagers de la route d’être tués ou gravement blessés dans des accidents de la route, ou à atténuer les conséquences de ceux-ci.

87.

Or, je doute sérieusement que la mesure en cause, à savoir le refus de reconnaître un droit de séjour, soit justifiée au regard des conditions particulièrement strictes que la jurisprudence a établies et que je viens d’évoquer aux points précédents des présentes conclusions. En tout état de cause, il me semble qu’une telle mesure est manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif de garantir la sécurité routière, surtout si l’on prend en compte les intérêts en jeu.

88.

En premier lieu, il est évident que les infractions commises par QP ne sont pas de nature à mettre en péril le fonctionnement des institutions ou des services publics essentiels ou la survie de la population. Par conséquent, le risque que QP pose pour la sécurité routière en général n’est pas d’une gravité telle que l’on puisse raisonnablement supposer que les critères de la notion de « sécurité publique », telle que définie par la Cour, sont remplis ( 43 ).

89.

En ce qui concerne une éventuelle qualification d’« atteinte à l’ordre public », il me semble que les infractions en cause ne vont pas au-delà du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi. S’il est vrai que les trois condamnations pour des infractions routières pourraient révéler, en raison de leur nombre et de leur fréquence, une certaine réticence de la personne concernée à respecter la loi, il faut toutefois relever que les condamnations remontent à l’année 2010 et qu’un laps de temps considérable s’est écoulé depuis lors. Partant, en l’absence d’indications contraires, et sous réserve de l’appréciation des faits, qui incombe à la juridiction de renvoi, cette circonstance pourrait plutôt être interprétée comme étant le signe d’une réinsertion sociale réussie.

90.

En effet, le fait qu’aucune infraction n’a été commise depuis lors montre que QP ne représente aucune « menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». Dès lors, faute d’indices concrets et compte tenu de la nécessité d’interpréter strictement les exceptions à l’article 20 TFUE, je suis enclin à penser, sur le fondement des informations disponibles, que QP ne représente aucun risque évident pour l’ordre public. Par conséquent, le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’interprété à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant, doit nécessairement primer en l’espèce.

91.

En second lieu, il convient de noter que, à supposer même que les autorités compétentes soient fondées à conclure, dans le cadre de leur appréciation des faits, qu’il ne saurait être exclu que QP représente encore un risque évident pour la sécurité routière, il existe des moyens efficaces et certainement moins radicaux pour prévenir ce type de risques que le refus d’un droit de séjour, éventuellement suivi par des mesures d’expulsion et de reconduite à la frontière. Cette option ne devrait être envisagée que comme une mesure de dernier recours, compte tenu des conséquences graves que celle-ci peut comporter pour le maintien de l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant. De surcroît, il ne faut pas perdre de vue dans ce contexte que, si une relation de dépendance entre le père et sa fille devait être confirmée en l’espèce, un retour forcé aurait très probablement pour conséquence que cette dernière devrait suivre son père en dehors du territoire de l’Union, ce qui la priverait de la jouissance effective de ses droits en tant que citoyenne de l’Union. Les mesures en cause ont ainsi des répercussions qui vont bien au-delà de la situation individuelle de QP.

92.

Enfin, une séparation forcée de la famille dans les circonstances de l’espèce s’apparenterait dans une certaine mesure à une sanction, alors qu’il est constant que QP a déjà été condamné pour les infractions commises. Pour cette raison, je ne vois pas pourquoi QP devrait être soumis à une sanction supplémentaire, et ce d’autant plus que les faits en cause sont déjà anciens. Le principe de proportionnalité s’imposant en l’espèce, j’estime que les autorités compétentes auraient dû privilégier des mesures qui ne compromettent pas l’unité familiale, tout en assurant la prévention des risques ainsi que la réinsertion sociale de l’individu.

93.

Les autorités compétentes n’étant pas fondées à se prévaloir de l’exception liée au maintien de l’ordre public ou à la sauvegarde de la sécurité publique, il me semble qu’elles ne peuvent pas s’opposer valablement à la reconnaissance d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 20 TFUE.

iii) Conclusion intermédiaire

94.

À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’il ne peut être a priori exclu en l’espèce que QP dispose d’un droit de séjour dérivé sur le fondement de l’article 20 TFUE. Ce constat vaut sous réserve de l’appréciation, qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, quant à l’existence d’une relation de dépendance entre QP et son enfant mineure, citoyenne de l’Union, d’une nature telle que, en cas de refus du droit de séjour à QP, la citoyenne de l’Union dépendante serait contrainte de quitter le territoire de l’Union et serait ainsi privée de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut.

2) Examen de l’affaire C‑451/19

95.

À l’instar de l’affaire C‑532/19, l’affaire C‑451/19 concerne une famille composée, notamment, d’une ressortissante d’un pays tiers, de son époux, ressortissant espagnol n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union, et de leur fils mineur, également de nationalité espagnole et n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation. Toutefois, dans cette affaire C‑451/19, et à la différence de l’affaire C‑532/19, la demande de titre de séjour n’a pas été introduite au profit du parent, ressortissant d’un pays tiers, de l’enfant mineur, citoyen de l’Union.

96.

En effet, selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, la ressortissante d’un pays tiers, épouse et mère de citoyens de l’Union, dispose déjà d’un droit de séjour sur le territoire espagnol ( 44 ). Le refus des autorités espagnoles d’octroyer un droit de séjour concerne, en réalité, le premier fils de celle-ci, XU, qui, né d’une précédente union de cette ressortissante, n’est pas citoyen de l’Union et qui était encore mineur à la date à laquelle une telle décision de refus a été adoptée ( 45 ). Il s’ensuit que XU est, d’une part, le fils d’une ressortissante de pays tiers, disposant d’un droit de séjour en Espagne et, d’autre part, le beau-fils et le demi-frère de deux citoyens de l’Union.

97.

Dans de telles circonstances, et compte tenu de l’application subsidiaire du droit de séjour dérivé découlant de l’article 20 TFUE ( 46 ), j’estime opportun d’examiner, tout d’abord, si XU peut tirer un droit de séjour de la directive 2003/86 avant d’apprécier, ensuite, s’il est en mesure d’obtenir un tel droit de séjour sur le fondement de l’article 20 TFUE. Bien que la juridiction de renvoi ait limité sa demande de décision préjudicielle à l’interprétation de cette dernière disposition, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question ( 47 ).

i) Sur l’applicabilité de la directive 2003/86

98.

Selon son article 1er, le but de la directive 2003/86 est de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. Le considérant 4 de cette directive énonce que le regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. De surcroît, il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de l’Union. Le considérant 9 de ladite directive me semble pertinent dans le présent contexte, puisqu’il en ressort que le regroupement familial devrait viser, en tout état de cause, les membres de la famille nucléaire, c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs. À la lumière de ce qui précède, je considère que certains indices suggèrent que les circonstances de la présente affaire pourraient effectivement relever du champ d’application de la directive 2003/86.

99.

La mère de XU résidant légalement sur le territoire espagnol, elle pourrait être considérée comme étant une « regroupante », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2003/86. Par conséquent, il ne saurait être exclu que son séjour légal ait été d’une telle nature qu’il puisse ouvrir le droit à un regroupement familial, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

100.

Dans ses observations écrites, le gouvernement espagnol s’oppose à une interprétation en ce sens, faisant valoir que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union. Le gouvernement espagnol invoque, à cet effet, l’arrêt rendu dans l’affaire C‑256/11, Dereci e.a. ( 48 ), dans lequel la Cour a jugé, en s’appuyant entre autres sur une interprétation fondée sur la genèse de cette directive, que celle-ci ne s’applique pas au cas de ressortissants de pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui réside dans un État membre, qui envisagent l’entrée et le séjour dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale ( 49 ).

101.

Cet argument ne me paraît pas convaincant puisqu’il vise un cas de figure très différent de celui qui se présente en l’espèce. Certes, il n’est pas contesté que, en vertu de la disposition susmentionnée, la directive 2003/86 ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union. Toutefois, je tiens à faire observer que la Cour s’est référée à cette disposition dans un contexte spécifique dans lequel les requérants étaient des ressortissants d’États tiers qui désiraient vivre avec des membres de leur famille, citoyens de l’Union, résidant dans un État membre dont ces derniers avaient la nationalité. Compte tenu du libellé clair de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86, il est évident que, dans de telles conditions, une demande de regroupement ne pouvait pas se fonder sur cette directive. Or, la situation dans la présente affaire est différente, étant donné que le regroupement familial ne concerne que deux ressortissants de pays tiers, à savoir XU et sa mère.

102.

On pourrait rétorquer que la situation est un peu plus complexe en l’espèce, étant donné que XU est, en fin de compte, le beau-fils et le demi-frère de deux citoyens de l’Union. Néanmoins, je ne suis pas persuadé que cette circonstance soit, à elle seule, de nature à faire obstacle à une application de la directive 2003/86 à la présente affaire. Au contraire, il me semble qu’une interprétation excessivement large de cette disposition aurait plutôt pour effet de priver cette directive de son effet utile dans tous les cas où une demande de regroupement serait présentée par un ressortissant d’un pays tiers qui, d’une manière ou d’une autre, entretient un lien familial avec un citoyen de l’Union. Dans le pire des cas, une telle interprétation pourrait conduire à des résultats imprévisibles en fonction de la composition de la famille en cause. La pratique administrative qui en résulterait pourrait ainsi apparaître arbitraire. Une approche cohérente se révèle nécessaire afin d’éviter un tel scénario. Il convient d’ailleurs de noter que le gouvernement espagnol n’a fourni aucun argument à l’appui de sa position autre que la référence à l’arrêt du 15 novembre 2011, Dereci e.a. (C‑256/11, EU:C:2011:734), qui, comme il a déjà été exposé au point précédent des présentes conclusions, ne vise toutefois pas le présent cas de figure.

103.

Pour aller dans le sens de l’application de la directive 2003/86 aux circonstances de la présente affaire, je souhaiterais citer l’arrêt rendu dans les affaires C‑356/11 et C‑357/11, O e.a. ( 50 ), qui, à mon avis, est susceptible de nous fournir quelques points de repère utiles. Chacune des deux affaires ayant donné lieu à cet arrêt portait sur le refus d’octroyer un titre de séjour à un ressortissant d’un pays tiers, marié à une ressortissante d’un pays tiers, séjournant légalement sur le territoire de l’État membre concerné, ce mariage ayant abouti à la naissance d’un enfant, également ressortissant d’un pays tiers et vivant avec sa mère dans cet État membre. Par ailleurs, dans le cadre d’un précédent mariage avec un citoyen de l’Union, cette ressortissante d’un pays tiers avait également donné naissance à un enfant, citoyen de l’Union, dont elle avait obtenu la garde exclusive.

104.

La Cour a fait observer que la ressortissante d’un pays tiers, dont l’époux d’alors sollicitait un droit au regroupement familial, résidait légalement sur le territoire de l’État membre concerné et que leur enfant commun était aussi un ressortissant d’un pays tiers, ne jouissant donc pas du statut de citoyen de l’Union. Dans ces conditions, elle a jugé que, « [c]ompte tenu de l’objectif poursuivi par la directive 2003/86, qui est de favoriser le regroupement familial [...], et de la protection qu’elle vise à accorder aux ressortissants de pays tiers, notamment aux mineurs, l’application de cette directive ne peut pas être exclue du seul fait que l’un des parents [du] mineur, ressortissant de pays tiers, est également le parent d’un citoyen de l’Union, issu d’un premier mariage » ( 51 ).

105.

D’une part, force est de reconnaître que la structure familiale en cause dans l’affaire C‑451/19 n’est pas tout à fait identique à celles ayant donné lieu à l’arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776). En effet, l’enfant, citoyen de l’Union, de la ressortissante d’un pays tiers n’est pas issu d’un mariage dissous avec un citoyen de l’Union. Par ailleurs, le refus d’octroyer un titre de séjour est opposé, en l’occurrence, à XU, c’est-à-dire à l’enfant de la ressortissante d’un pays tiers séjournant légalement sur le territoire espagnol, et non à son conjoint.

106.

D’autre part, je ne suis pas convaincu que de telles différences soient de nature à empêcher XU de se prévaloir utilement du droit au regroupement familial qui découle de la directive 2003/86. Premièrement, il faut tenir compte du fait que, lorsque les autorités espagnoles lui ont refusé un droit de séjour, XU était mineur et pouvait donc être considéré comme étant « bénéficiaire » d’un tel droit au regroupement familial, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de cette directive. Deuxièmement, il a déjà été expliqué dans les présentes conclusions que la mère de XU remplit, en sa propre qualité, les critères du statut de « regroupante » au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2003/86 ( 52 ). Troisièmement, il est incompréhensible qu’un événement fortuit comme le fait d’être mariée à un citoyen de l’Union empêche la mère de XU d’invoquer les dispositions de cette directive afin d’obtenir le regroupement familial avec son fils.

107.

Comme je l’ai déjà exposé dans le cadre de mon analyse ( 53 ), une pratique administrative ayant pour effet d’exclure le recours à ladite directive lorsque le regroupant ressortissant d’un pays tiers entretient, d’une manière ou d’une autre, un lien familial avec un citoyen de l’Union, malgré le fait que le regroupant remplit, en sa qualité propre, les critères pour obtenir un regroupement familial, risque de compromettre la sécurité juridique. Enfin, il me semble tout à fait illogique que ce soit précisément la qualité de « citoyen de l’Union » du conjoint qui entraîne de graves désavantages pour le ressortissant d’un pays tiers souhaitant un regroupement familial avec son enfant, né d’une relation antérieure. Un des moyens d’éviter un tel résultat consisterait à interpréter l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 de manière plutôt stricte.

108.

Les arguments exposés aux points précédents des présentes conclusions m’amènent ainsi à penser que, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776), l’application de la directive 2003/86 ne peut pas être exclue du seul fait que le regroupant soit ressortissant d’un pays tiers et parent d’un citoyen de l’Union. La jurisprudence devrait reconnaître que le fait d’être le conjoint d’un citoyen de l’Union n’exclut pas la possibilité de solliciter un regroupement familial sur le fondement des dispositions de cette directive.

109.

Compte tenu du fait que la demande de regroupement familial n’a été soumise ni par XU ni par sa mère, mais bien par l’époux de sa mère, citoyen de l’Union, il me paraît opportun que la Cour attire l’attention de la juridiction de renvoi sur l’éventuel droit au regroupement familial de XU avec sa mère, au titre de la directive 2003/86.

110.

À cet égard, il convient de noter que le traitement d’une telle demande exigera de vérifier si toutes les autres conditions légales sont remplies en l’espèce, dont celle relative aux ressources suffisantes, prévue à l’article 7 de la directive 2003/86 ( 54 ). Or, comme je l’ai déjà indiqué dans les présentes conclusions ( 55 ), ce type d’appréciation relève de la compétence des autorités nationales. En outre, en l’absence d’informations plus détaillées, il n’est pas possible de fournir davantage d’indications quant à l’interprétation de cette directive.

ii) Sur l’applicabilité de l’article 20 TFUE

111.

Si la juridiction de renvoi devait estimer que, à la date où la demande de titre de séjour a été rejetée, XU ne pouvait pas bénéficier d’un droit au regroupement familial sur le fondement de la directive 2003/86, il lui appartiendra d’examiner si ce ressortissant de pays tiers pouvait néanmoins bénéficier, à cette date, d’un droit de séjour dérivé en vertu de l’article 20 TFUE.

112.

Conformément à la jurisprudence de la Cour, déjà évoquée dans les présentes conclusions, tel ne pourrait être le cas que s’il existait, entre XU et un citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle que le départ forcé de XU du territoire de l’Union impliquerait que ce citoyen de l’Union soit contraint, dans les faits, à quitter, lui aussi, ce territoire ( 56 ). Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, je propose d’examiner la structure familiale en cause sous l’angle de l’incidence éventuelle qu’un refus de reconnaître un droit de séjour à XU pourrait avoir sur son demi-frère et son beau-père, tous deux citoyens de l’Union.

113.

À cet égard, force est de constater que cette incidence serait surtout indirecte, en raison du rôle prééminent que joue la mère dans le noyau familial. Comme le souligne d’ailleurs la juridiction de renvoi, le départ forcé de XU aurait très probablement comme conséquence que sa mère devrait l’accompagner dans leur pays d’origine. La juridiction de renvoi fonde cette appréciation sur certains indices concrets, à savoir le droit de garde exclusif de la mère ainsi que le fait que XU était encore mineur à cette date. En effet, il n’est pas difficile d’imaginer que le fait pour la mère de XU de devoir, en pratique, quitter le territoire de l’Union afin de pouvoir continuer à remplir ses obligations parentales envers son enfant mineur aurait des répercussions certaines et graves sur la vie de toutes les personnes concernées.

114.

Cet aspect appelle quelques remarques de ma part qui me permettront de mieux illustrer les enjeux de la présente affaire. Dans le cadre de mon analyse, j’ai attiré l’attention sur le contexte particulièrement sensible d’une décision administrative prise par les autorités compétentes en matière d’immigration et susceptible d’avoir pour effet de mettre fin à l’unité familiale ( 57 ). Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait qu’une telle décision administrative a généralement pour conséquence de placer les membres d’une famille devant un choix extrêmement difficile, à savoir accepter leur séparation physique ou partir ensemble à l’étranger. Quelle que soit la décision de la famille dans une telle situation, son avenir sera marqué par de multiples incertitudes. La famille sera amenée à aborder des questions existentielles, car, en fonction de sa situation économique et du lieu d’origine de ses membres, une telle séparation pourrait être seulement provisoire, mais pourrait tout aussi bien devenir définitive. Eu égard à ces considérations, il m’apparaît qu’une interprétation du droit de l’Union qui tolérerait la séparation des membres d’une famille dans les circonstances décrites serait difficilement conciliable avec l’obligation de respecter la vie familiale, telle qu’elle est énoncée à l’article 7 de la Charte.

115.

Si le demi-frère et le beau-père de XU étaient contraints de suivre la mère (et son fils) dans le but de maintenir l’unité familiale en dehors du territoire de l’Union, il est évident que ces derniers seraient privés de la jouissance effective des droits qui leur sont reconnus, en leur qualité de citoyens de l’Union. D’ailleurs, il importe de noter dans ce contexte que le départ forcé de XU et de sa mère aurait, sur la jouissance effective des droits que leur demi-frère ou fils et leur beau-père ou époux tirent de leur statut de citoyens de l’Union, une incidence probablement identique à celle observée dans l’affaire C‑532/19, pour autant que la juridiction de renvoi, après avoir apprécié les faits, conclue à l’existence d’une relation de dépendance au sens de l’article 20 TFUE ( 58 ).

116.

Le fait que la juridiction de renvoi mentionne explicitement la possibilité que le demi-frère et le beau-père de XU soient contraints de suivre la mère (et son fils) constitue, à mon avis, un indice qu’il ne s’agit pas d’un scénario purement hypothétique. Cela étant dit, la juridiction nationale sera certainement tenue de se livrer à une appréciation des faits pour établir s’il existe entre les différents membres de la famille des relations qui, parce qu’elles se caractérisent par un degré de dépendance élevé, sont susceptibles de créer un droit de séjour pour XU sur le fondement de l’article 20 TFUE.

117.

En ce qui concerne, plus particulièrement, la constatation d’une relation de dépendance dans les circonstances du cas d’espèce, les observations qui précèdent mettent en évidence que la présente affaire est beaucoup plus complexe que la plupart des autres affaires déjà traitées par la Cour, lesquelles se caractérisaient – à l’instar de l’affaire C‑34/09, Ruiz Zambrano ( 59 ), qui est à l’origine de la jurisprudence relative au droit de séjour fondé sur l’article 20 TFUE – par l’existence d’une relation de dépendance entre deux personnes seulement, à savoir un ressortissant d’un pays tiers et un citoyen de l’Union. Comme je l’ai déjà indiqué aux points précédents ( 60 ), dans la présente espèce, le risque pour la jouissance effective des droits conférés aux citoyens de l’Union ne naît pas directement du départ forcé de XU. Le risque est plutôt indirect, au motif que la mère serait, dans les faits, contrainte de quitter le territoire de l’Union afin de suivre son enfant XU, alors qu’elle dispose d’un droit de séjour. Ainsi, la relation entre la mère (et non pas nécessairement XU) et l’enfant mineur, citoyen de l’Union, est au cœur de l’examen de l’affaire, en raison du rôle prééminent joué par la mère dans le noyau familial, et notamment du fait qu’elle exerce la garde (exclusive pour l’un et conjointe pour l’autre) de ses deux enfants.

118.

Par conséquent, j’estime qu’il y a lieu de privilégier une approche plus analytique et plus souple qui permette de tenir dûment compte des incidences indirectes au sein du noyau familial. La jurisprudence de la Cour devrait dès lors être précisée afin d’étendre le champ d’application de l’article 20 TFUE et d’englober également de tels cas. En ce qui concerne la présente affaire, je suggère d’inviter la juridiction de renvoi à centrer son appréciation des faits sur la relation de dépendance qui existe entre la mère et son fils citoyen de l’Union (demi-frère de XU), même si c’est bel et bien XU qui est directement affecté par le refus des autorités nationales de lui reconnaître un droit de séjour. En vertu de cette approche, XU devrait être en mesure de tirer un droit de séjour de la disposition susvisée.

119.

Dans un souci d’exhaustivité, je tiens à souligner qu’une telle approche n’implique nullement une extension démesurée du champ d’application de l’article 20 TFUE à des cas de figure qui ne méritent assurément pas la protection du droit de l’Union. Afin de démontrer la cohérence de l’approche proposée, j’estime nécessaire d’évoquer une fois encore l’affaire O e.a., avec laquelle l’affaire au principal présente certaines similitudes, comme le fait qu’elles concernent toutes les deux la prise en charge d’enfants au sein de familles recomposées.

120.

Il convient de rappeler que, dans l’arrêt rendu dans cette affaire, la Cour a pris soin de préciser que la juridiction de renvoi avait la possibilité de conclure qu’il n’existait pas de relation de dépendance, au sens de l’article 20 TFUE, entre le ressortissant d’un pays tiers, sollicitant un droit de séjour au titre de cet article, et le fils, citoyen de l’Union, de son épouse, ressortissante d’un pays tiers séjournant légalement sur le territoire de l’État membre concerné. À cet effet, la Cour a invoqué, d’une part, le droit de séjour permanent sur le territoire de l’État membre concerné, dont disposait la mère du citoyen de l’Union, et, d’autre part, le fait que son mari n’assumait pas la charge légale, financière ou affective du citoyen de l’Union, dont il n’était pas le père, une telle charge revenant exclusivement à son épouse, mère de ce citoyen. Dans son arrêt, la Cour semble également s’être fondée sur la prémisse que l’enfant, ressortissant d’un pays tiers, qui était né de l’union entre le demandeur du titre de séjour et son épouse, pouvait demeurer sur le territoire de l’État membre concerné avec sa mère. Ainsi, cette dernière était en mesure de vivre avec ses deux enfants sur le territoire de l’Union ( 61 ).

121.

En revanche, dans la présente affaire, c’est l’enfant de la ressortissante d’un pays tiers, séjournant légalement en Espagne, qui s’est vu refuser un titre de séjour. Dès lors, cette dernière ne pourrait pas continuer à vivre sur le territoire de cet État membre avec ses deux enfants. Par ailleurs, si elle décidait d’accompagner XU en dehors du territoire de l’Union, son deuxième enfant, citoyen de l’Union, ne pourrait demeurer au sein de l’Union qu’en étant privé de la garde conjointe de ses parents. Dans les faits, le seul moyen de préserver cette garde conjointe serait, au contraire, que tant cet enfant que son père, également citoyen de l’Union, quittent le territoire de l’Union.

122.

Dans la mesure où ces deux affaires présentent des différences déterminantes, il me semble justifié de conclure à l’absence d’une « relation de dépendance » au sens de l’article 20 TFUE dans l’affaire O e.a., comme l’a fait la Cour, et à l’existence d’une telle relation dans la présente affaire. La reconnaissance d’une telle relation de dépendance est légitime uniquement lorsque les critères établis par la jurisprudence sont remplis, ce qui, comme je viens de le démontrer, n’était manifestement pas le cas dans l’affaire O e.a. Nonobstant la complexité des deux affaires, il ne fait aucun doute que les membres de la famille dans la présente affaire méritent une protection effective, notamment afin de ne pas priver les deux citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut. L’approche proposée est dès lors parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour.

iii) Conclusion intermédiaire

123.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’il ne peut être a priori exclu en l’espèce que XU dispose d’un droit de séjour dérivé sur le fondement de l’article 20 TFUE. Ce constat vaut sous réserve de l’appréciation, qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, quant à l’existence d’une relation de dépendance entre la mère de XU, ressortissante d’un pays tiers, et son enfant mineur, citoyen de l’Union, d’une nature telle que, en cas de refus du droit de séjour à XU, le citoyen de l’Union dépendant serait contraint de quitter le territoire de l’Union et serait ainsi privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut.

4.   Synthèse de l’analyse du premier axe thématique

124.

Il ressort de l’analyse du premier axe thématique qu’il ne peut être a priori exclu, dans les circonstances des présentes affaires, que le ressortissant d’un pays tiers dispose d’un droit de séjour dérivé sur le fondement de l’article 20 TFUE ( 62 ). Sous réserve de l’appréciation qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer à la lumière du droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que de l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, il y a lieu de constater que, dans chacune des affaires au principal, il semble que les citoyens de l’Union se trouvent dans une relation de dépendance de nature telle que, en cas de refus du droit de séjour au ressortissant du pays tiers, le citoyen de l’Union dépendant serait contraint de quitter le territoire de l’Union et serait ainsi privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut.

C. Second axe thématique : les exigences de la jurisprudence applicables à l’examen d’une relation de dépendance

1.   Incompatibilité de la pratique administrative espagnole avec l’approche développée par la Cour

125.

Le second axe thématique porte, en substance, sur l’éventuelle conformité de la pratique administrative espagnole avec les exigences de la jurisprudence applicables à l’examen d’une relation de dépendance au sens de l’article 20 TFUE.

126.

Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, cette pratique se caractérise par le refus d’octroyer un titre de séjour à un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, au seul motif que ce dernier ne dispose pas de ressources suffisantes pour lui et ce membre de sa famille (ni d’une assurance maladie), sans examiner s’il existe, entre eux, une relation de dépendance, au sens de l’article 20 TFUE, à savoir une relation telle qu’elle contraindrait, dans les faits, le citoyen de l’Union à quitter le territoire de l’Union dans son ensemble si ce membre de la famille était privé d’un titre de séjour sur le territoire espagnol.

127.

Comme je l’ai indiqué dans mon analyse du premier axe thématique ( 63 ), la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, aux points 34 à 54 de l’arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, qu’une telle pratique n’est pas compatible avec l’article 20 TFUE.

128.

Les critères pertinents permettant d’établir si le ressortissant d’un pays tiers peut tirer un droit de séjour dérivé de l’article 20 TFUE ont également été présentés dans le cadre de cette analyse. J’ai expliqué en détail que l’un des aspects centraux de l’appréciation à réaliser par les autorités compétentes consiste à établir s’il existe une relation se caractérisant par un degré de dépendance élevé entre le ressortissant du pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, et ce dernier ( 64 ). Tout en insistant sur l’importance de la protection des enfants en bas âge et de la préservation, dans la mesure du possible, de l’unité familiale, j’ai rappelé qu’il ne suffit pas que les autorités nationales prennent en compte l’éventuelle dépendance matérielle d’un enfant, citoyen de l’Union, vis-à-vis de son parent, ressortissant d’un pays tiers, mais qu’il convient également d’établir l’importance de la relation affective avec ce dernier et les conséquences que son départ pourrait provoquer sur l’équilibre psychologique de cet enfant ( 65 ).

129.

Cela étant dit, il convient de souligner que, même en présence d’une telle relation de dépendance, un titre de séjour peut être refusé au ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, lorsque ce ressortissant constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique, compte tenu, notamment, d’infractions pénales qu’il a commises ( 66 ). Dans le cadre de mon analyse du premier axe thématique et, plus concrètement, de l’affaire C‑532/19, j’ai fourni, en ce qui concerne le casier judiciaire de QP, quelques éléments utiles d’interprétation des notions d’« ordre public » et de « sécurité publique » ( 67 ). Enfin, j’ai rappelé qu’une telle qualification de « menace » pour ces intérêts publics ne peut être établie de manière automatique, mais doit découler d’une appréciation concrète de l’ensemble des circonstances actuelles et pertinentes de l’espèce, à la lumière du principe de proportionnalité, de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits fondamentaux ( 68 ).

2.   Synthèse de l’analyse du second axe thématique

130.

Il convient de constater que, dans la mesure où la pratique administrative espagnole ne prévoit pas une telle analyse afin d’établir l’existence d’un droit de séjour dérivé au titre de l’article 20 TFUE, celle-ci ne satisfait pas aux exigences imposées par la jurisprudence de la Cour. Par conséquent, cette pratique administrative ne peut pas être considérée comme étant conforme au droit de l’Union.

131.

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure l’analyse du second axe thématique par la constatation que l’article 20 TFUE, tel qu’interprété dans la jurisprudence de la Cour, s’oppose à la pratique administrative décrite ci-dessus.

VI. Conclusion

132.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, Espagne) :

1)

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre refuse le droit de séjour d’un ressortissant d’un pays tiers qui est membre de la famille d’un citoyen de l’Union adulte, ressortissant de cet État membre et qui n’a jamais exercé sa liberté de circulation, au seul motif que ce citoyen de l’Union ne dispose pas, pour les membres de l’unité familiale, de ressources économiques suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système national d’assistance sociale, lorsqu’au sein de la famille, il existe une relation de dépendance d’un citoyen de l’Union, et en particulier d’un mineur, de nature telle que, en cas de refus d’octroi du droit de séjour au ressortissant du pays tiers, le citoyen de l’Union dépendant serait contraint de quitter le territoire de l’Union européenne pris dans son ensemble et serait ainsi privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut.

2)

L’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une relation de dépendance, de nature à justifier l’octroi d’un droit de séjour dérivé au titre de cette disposition, n’existe pas au seul motif que le ressortissant d’un État membre, majeur et n’ayant jamais exercé sa liberté de circulation, et son conjoint, majeur et ressortissant d’un pays tiers, sont tenus de vivre ensemble, en vertu des obligations découlant du mariage selon le droit de l’État membre dont le citoyen de l’Union européenne est ressortissant.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).

( 3 ) JO 2003, L 251, p. 12.

( 4 ) BOE no 51, du 28 février 2007, p. 8558, ci-après le « décret royal 240/2007 ».

( 5 ) Voir points 41 et suivants des présentes conclusions.

( 6 ) Voir points 125 et suivants des présentes conclusions.

( 7 ) Voir points 124 et 130 des présentes conclusions.

( 8 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, points 48 et 49.

( 9 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 30.

( 10 ) Voir points 45 et suivants des présentes conclusions.

( 11 ) Voir points 57 et suivants des présentes conclusions.

( 12 ) Arrêts du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 69 et 70), ainsi que Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, points 35 et 36.

( 13 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, points 37 et 38.

( 14 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 39.

( 15 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, points 40 et 41.

( 16 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 42.

( 17 ) Arrêt K.A. e.a., point 65.

( 18 ) Arrêt K.A. e.a., point 65.

( 19 ) Peyrl, J., « Kinderbetreuungsgeld für Drittstaatsangehörige, die aus der Kernbestandsdoktrin des EuGH ein Aufenthaltsrecht ableiten können », Das Recht der Arbeit, 3/2018, p. 236, indique que les exigences imposées par la jurisprudence en matière de preuve du degré de dépendance sont moins strictes pour les enfants mineurs que pour les adultes, compte tenu de leur vulnérabilité.

( 20 ) Arrêts du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a. (C‑133/15, ci-après l’« arrêt Chavez-Vilchez e.a. , EU:C:2017:354, point 65), et du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur) (C‑112/20, EU:C:2021:197, point 26).

( 21 ) Arrêts Chavez-Vilchez e.a., point 68, et K.A. e.a., point 70.

( 22 ) Arrêts Chavez-Vilchez e.a., point 70, et K.A. e.a., point 71.

( 23 ) Arrêts Chavez-Vilchez e.a., point 71 ; K.A. e.a., point 72, et du 11 mars 2021, État belge (Retour du parent d’un mineur) (C‑112/20, EU:C:2021:197, point 27).

( 24 ) Arrêts du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291, point 38), et K.A. e.a., points 73 à 75.

( 25 ) Voir point 43 des présentes conclusions.

( 26 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 33.

( 27 ) Arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 34.

( 28 ) Voir points 52 à 56 des présentes conclusions.

( 29 ) Voir, en ce sens, Neier, C., « Residence right under Article 20 TFEU not dependent on sufficient resources : Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real », Common Market Law Review, vol. 58, 2021, no 2, p. 566.

( 30 ) Voir point 51 des présentes conclusions.

( 31 ) Voir point 53 des présentes conclusions.

( 32 ) Voir point 55 des présentes conclusions.

( 33 ) Voir point 56 des présentes conclusions.

( 34 ) Van Eijken, H., et Phoa, P., « The scope of Article 20 TFEU clarified in Chavez-Vilchez : Are the fundamental rights of minor EU citizens coming of age ? », European Law Review, vol. 43, no 6, 2018, p. 969, relèvent que la Cour a créé un lien entre la citoyenneté de l’Union et la Charte, ce qui peut être interprété comme constituant une nouvelle étape vers le développement d’un statut de citoyen plus supranational et politique, au-delà de ses racines économiques et transnationales.

( 35 ) Di Comite, V., « Derecho de residencia de los progenitores nacionales de terceros Estados e interés superior del niño “europeo” », Revista de derecho comunitario europeo, 12/2017, no 58, considère que la référence aux droits fondamentaux consacrés dans la Charte constitue un indice de l’importance croissante des droits de l’enfant dans le droit de l’Union et notamment dans la jurisprudence de la Cour.

( 36 ) Voir, à cet égard, Réveillère, V., « La protection statutaire du citoyen : demeurer sur le territoire de l’Union (dans son État de nationalité) », Revue trimestrielle de droit européen, 11/2020, no 3, p. 721, qui estime que, en considérant, au point 48 de l’arrêt Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, que les droits du citoyen de l’Union priment sur l’intérêt lié à la préservation des finances publiques de l’État membre concerné, la Cour a effectué une pesée des valeurs selon le modèle du juriste et philosophe du droit Robert Alexy.

( 37 ) Arrêts du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 36) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 81), et K.A. e.a., point 90.

( 38 ) Arrêts du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, points 37 à 39) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 82 à 83), et K.A. e.a., point 91.

( 39 ) Arrêts du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 40) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 85), et K.A. e.a., point 92.

( 40 ) Arrêts du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 41) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 85), et K.A. e.a., point 93.

( 41 ) Arrêts du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 42) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 86), et K.A. e.a., point 94.

( 42 ) Voir conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans l’affaire Commission/Portugal (C‑265/06, EU:C:2007:784, points 55 et 56), dans lesquelles l’avocate générale indique que la santé et la vie des personnes constituent des « valeurs dont la protection est au cœur même de la prévention des accidents de la circulation routière à l’échelle [de l’Union] ».

( 43 ) Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Wiener Landesregierung e.a. (Révocation d’une assurance de naturalisation) (C‑118/20, EU:C:2021:530, points 111 à 113), dans lesquelles l’avocat général considère que les infractions routières ne constituent pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique. L’avocat général estime que, en tout état de cause, il serait disproportionné de priver un citoyen de l’Union de la jouissance des droits que lui confère ce statut au motif que celui-ci a commis des contraventions au code de la route. Voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Tjebbes e.a. (C‑221/17, EU:C:2018:572, point 88).

( 44 ) Voir point 19 des présentes conclusions.

( 45 ) Aux fins d’une meilleure compréhension du problème, il importe de préciser que la présente analyse se fonde sur la prémisse que le refus par les autorités espagnoles d’accorder un droit de séjour à XU entraîne l’obligation pour celui-ci de quitter le territoire de l’Union. La décision de renvoi ne contient pas d’informations précises sur le statut juridique actuel de XU, se bornant à indiquer que celui-ci « avait obtenu un permis de séjour en Espagne » (voir point 19 des présentes conclusions) à l’époque où il avait émigré avec sa mère du Venezuela vers cet État membre, c’est-à-dire en 2004. Cette interprétation des faits est néanmoins étayée par plusieurs indices, notamment par la référence à la nécessité de reconnaître à XU un droit de séjour afin d’éviter que sa mère doive quitter le territoire de l’Union, suivie par son fils cadet et son mari, tous deux ressortissants espagnols, alors qu’elle-même dispose déjà d’un droit de séjour en Espagne. Par conséquent, il est logique de supposer que le statut juridique actuel de XU se caractérise par une certaine précarité.

( 46 ) Arrêts Chavez-Vilchez e.a., point 63 ; K.A. e.a., point 51, et Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real, point 41.

( 47 ) Arrêts du 7 août 2018, Smith (C‑122/17, EU:C:2018:631, point 34), et du 5 décembre 2019, Centraal Justitieel Incassobureau (Reconnaissance et exécution des sanctions pécuniaires) (C‑671/18, EU:C:2019:1054, point 26).

( 48 ) Arrêt du 15 novembre 2011 (C‑256/11, EU:C:2011:734).

( 49 ) Arrêt du 15 novembre 2011, Dereci e.a. (C‑256/11, EU:C:2011:734, points 48 et 49).

( 50 ) Arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776).

( 51 ) Arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 69). Mise en italique par mes soins.

( 52 ) Voir point 99 des présentes conclusions.

( 53 ) Voir point 102 des présentes conclusions.

( 54 ) Voir, notamment, à propos de ces conditions et de l’examen individualisé qu’elles requièrent, arrêt du 3 octobre 2019, X (Résidents de longue durée – Ressources stables, régulières et suffisantes) (C‑302/18, EU:C:2019:830, points 40 à 44).

( 55 ) Voir point 62 des présentes conclusions.

( 56 ) À l’instar de l’affaire C‑532/19, l’attention de la juridiction de renvoi se focalise sur la relation entre les époux, sans entrer dans les détails de la relation entre les enfants et leurs parents. En tout état de cause, j’ai déjà expliqué au point 65 des présentes conclusions qu’une simple obligation légale de cohabitation, telle que prévue par le droit espagnol, n’est pas suffisante pour y voir une relation de dépendance de nature à créer un droit de séjour au titre de l’article 20 TFUE.

( 57 ) Voir point 52 des présentes conclusions.

( 58 ) Voir point 94 des présentes conclusions.

( 59 ) Arrêt du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano (C‑34/09, EU:C:2011:124).

( 60 ) Voir point 113 des présentes conclusions.

( 61 ) Arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, points 51, 56 et 57).

( 62 ) Voir points 94 et 123 des présentes conclusions.

( 63 ) Voir point 42 des présentes conclusions.

( 64 ) Voir points 60 et 61 des présentes conclusions.

( 65 ) Voir point 68 des présentes conclusions.

( 66 ) Voir point 83 des présentes conclusions.

( 67 ) Voir points 87 à 93 des présentes conclusions.

( 68 ) Voir point 83 des présentes conclusions.

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