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Document 62018CC0128

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 30 avril 2019.
    Dumitru-Tudor Dorobantu.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg.
    Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Motifs de refus d’exécution – Article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Interdiction des traitements inhumains ou dégradants – Conditions de détention dans l’État membre d’émission – Appréciation par l’autorité judiciaire d’exécution – Critères.
    Affaire C-128/18.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:334

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 30 avril 2019 ( 1 )

    Affaire C‑128/18

    Dumitru-Tudor Dorobantu

    en présence de

    Generalstaatsanwaltschaft Hamburg

    [demande de décision préjudicielle formée par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg, Allemagne)]

    « Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 4 – Interdiction des traitements inhumains ou dégradants – Obligation des autorités judiciaires d’exécution d’examiner les conditions de détention dans l’État membre d’émission – Portée de l’examen – Critères »

    I. Introduction

    1.

    Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le cadre de l’examen, par l’autorité judiciaire allemande, de la licéité de la remise de M. Dumitru-Tudor Dorobantu à l’autorité judiciaire roumaine, laquelle a délivré, sur la base de la décision-cadre 2002/584/JAI ( 2 ), un mandat d’arrêt européen. Dans un premier temps, ce mandat d’arrêt européen a été émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales puis, dans un second temps, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté.

    2.

    Dans la lignée des arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru ( 3 ), et du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie) ( 4 ), ce renvoi participe à la définition des garanties qui doivent être mises en place afin d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne remise dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen dans une situation où le système pénitentiaire de l’État membre d’émission souffre d’une défaillance systémique ou généralisée.

    3.

    En particulier, ce renvoi invite la Cour à préciser l’intensité du contrôle auquel l’autorité judiciaire d’exécution est tenue de procéder afin d’évaluer le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel serait exposée la personne concernée en raison de ses conditions de détention dans l’État membre d’émission ainsi que les différents facteurs et critères que celle-ci est tenue de prendre en considération aux fins de cette appréciation.

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

    4.

    L’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 5 ), intitulé « Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants », énonce :

    « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    5.

    Les explications relatives à la Charte ( 6 ) précisent que « [l]e droit figurant à l’article 4 [de la Charte] correspond à celui qui est garanti par l’article 3 de la [convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 7 )], dont le libellé est identique [...]. En application de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, il a donc le même sens et la même portée que ce dernier article» ( 8 ).

    2. La décision-cadre 2002/584

    6.

    Le mandat d’arrêt européen institué par la décision-cadre 2002/584 a été conçu afin de substituer au mécanisme classique de l’extradition, qui implique une décision du pouvoir exécutif, un instrument de coopération entre les autorités judiciaires nationales reposant sur les principes de reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires ainsi que de confiance réciproque entre les États membres ( 9 ).

    7.

    Cette décision-cadre instaure ainsi un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale ( 10 ) en limitant les motifs de non-exécution et en fixant des délais d’adoption des décisions relatives au mandat d’arrêt européen ( 11 ).

    8.

    Les considérants 12 et 13 de la décision-cadre 2002/584 sont libellés comme suit :

    « (12)

    La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la Charte [...], notamment son chapitre VI [...]

    (13)

    Nul ne devrait être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    9.

    L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

    « 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

    2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

    3.   La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

    B.   Le droit allemand

    10.

    Les articles 78 à 83k du Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (loi sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale) ( 12 ), du 23 décembre 1982, telle que modifiée par le Gesetz zur Umsetzung des Rahmenbeschlusses über den Europäischen Haftbefehl und die Übergabeverfahren zwischen den Mitgliedstaaten der Europäischen Union (loi transposant la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres) ( 13 ), du 20 juillet 2006, ont transposé dans l’ordre juridique allemand la décision-cadre 2002/584.

    11.

    En vertu de l’article 29, paragraphe 1, de l’IRG, qui, aux termes de l’article 78, paragraphe 1, de l’IRG, est applicable au mandat d’arrêt européen, l’Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur, Allemagne) statue, sur demande du Staatsanwaltschaft (ministère public, Allemagne), sur la licéité de l’extradition lorsque le prévenu n’a pas donné son accord à l’extradition simplifiée. La décision intervient par ordonnance, conformément à l’article 32 de l’IRG.

    12.

    L’article 73 de l’IRG énonce :

    « L’entraide judiciaire, ainsi que la transmission d’informations sans demande préalable, sont illicites si elles contreviennent à des principes essentiels de l’ordre juridique allemand. En cas de demande au titre de la partie huit [...], l’entraide judiciaire est illicite si elle contrevient aux principes énoncés à l’article 6 TUE. »

    III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

    13.

    M. Dorobantu est un ressortissant roumain, résidant à Hambourg (Allemagne).

    14.

    Les autorités judiciaires allemandes ont été saisies d’une demande de remise de l’intéressé en vertu d’un premier mandat d’arrêt européen délivré le 12 août 2016 par la Judecătoria Medgidia (tribunal de première instance de Medgidia, Roumanie). Ce mandat a été émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales pour des faits constitutifs de délits contre les biens ainsi que de faux ou d’usage de faux.

    15.

    Dans le cadre de la mise à exécution dudit mandat, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg, Allemagne) a tenu compte des indices concrets de défaillances systémiques ou généralisées des conditions de détention en Roumanie. En application des principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru, ce tribunal a examiné les informations communiquées par les autorités roumaines quant aux conditions dans lesquelles M. Dorobantu serait incarcéré à la suite de sa remise. Il ressortirait de ces informations que l’intéressé serait détenu, dans l’hypothèse d’une détention provisoire, dans des cellules collectives, soit de quatre personnes (les surfaces seraient de 12,30 m2, de 12,67 m2 et de 13,50 m2), soit de dix personnes (la surface serait de 36,25 m2). En revanche, dans l’hypothèse de l’exécution d’une peine privative de liberté, M. Dorobantu serait incarcéré, pour une période de 21 jours, dans un établissement au sein duquel chaque détenu disposerait d’une surface de 3 m2 et, par la suite, dans les mêmes conditions si l’intéressé devait être soumis au régime ferme de la privation de liberté. Toutefois, si M. Dorobantu devait bénéficier d’un régime ouvert ou semi-ouvert, il bénéficierait d’un espace personnel dont la surface serait de 2 m2 par personne ( 14 ).

    16.

    La juridiction de renvoi a procédé à une appréciation globale de ces conditions de détention sur la base de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Eu égard à l’amélioration considérable du système roumain d’exécution des peines, tant en ce qui concerne les infrastructures que les mécanismes de contrôle, il a conclu à l’absence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant de l’intéressé, au sens de l’arrêt Aranyosi et Căldăraru.

    17.

    Par ailleurs, la juridiction de renvoi a constaté que, dans l’hypothèse où la remise de l’intéressé serait refusée, les infractions que celui-ci aurait commises resteraient impunies, ce qui irait à l’encontre de l’objectif d’assurer l’efficacité de la justice pénale au sein de l’Union européenne.

    18.

    Sur le fondement des ordonnances des 3 et 19 janvier 2017 du Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg), la Generalstaatsanwaltschaft Hamburg (ministère public de Hambourg, Allemagne) a donc autorisé la remise de M. Dorobantu aux autorités roumaines après que celui-ci a purgé la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné pour d’autres infractions commises en Allemagne.

    19.

    Néanmoins, ces ordonnances ont été annulées par une ordonnance du 19 décembre 2017 du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne). En effet, celui-ci a jugé que l’appréciation relative à la légalité de la remise de l’intéressé supposait, au préalable, que la Cour de justice soit saisie à titre préjudiciel afin que celle-ci se prononce sur les facteurs pertinents aux fins de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission.

    20.

    Par une décision du 8 février 2018, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg) a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Aux fins de la décision-cadre 2002/584, à quelles exigences minimales les conditions de détention doivent-elles répondre pour être conformes à l’article 4 de la Charte ?

    a)

    Notamment, le droit de l’Union impose-t-il un seuil “absolu” en ce qui concerne la taille de l’espace de détention, en dessous duquel l’article 4 de la Charte se trouve en tout état de cause violé ?

    i)

    Le point de savoir s’il s’agit d’une cellule individuelle ou d’une cellule collective a-t-il une incidence lors de la détermination de l’espace de détention par détenu ?

    ii)

    La surface occupée par des meubles (lit, armoire, etc.) doit-elle être portée en déduction lors du calcul de la taille de l’espace de détention ?

    iii)

    Concernant les infrastructures, quels éléments revêtent, le cas échéant, de la pertinence pour la conformité des conditions de détention au droit de l’Union ? Quelle importance revêtent, le cas échéant, la possibilité d’accéder directement (ou seulement indirectement), depuis la cellule, aux installations sanitaires par exemple, ou à d’autres pièces, ainsi que l’approvisionnement en eau froide et chaude, les conditions de chauffage, d’éclairage, etc. ?

    b)

    Dans quelle mesure des différences quant au “régime d’exécution de la peine”, à savoir concernant les heures d’ouverture des cellules et l’étendue de la liberté de circuler à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, revêtent-elles de l’importance dans le cadre de cette appréciation ?

    c)

    Des améliorations d’ordres juridique et organisationnel intervenues dans l’État membre d’émission (création d’un système de médiation, mise en place de tribunaux de l’exécution des peines, etc.) peuvent-elles également être prises en compte (comme la chambre de céans l’a fait dans ses décisions déclarant la remise licite) ?

    2)

    À l’aune de quels critères les conditions de détention doivent-elles être appréciées en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union ? Dans quelle mesure ces critères influencent-ils l’interprétation de la notion de “risque réel” au sens de l’arrêt [Aranyosi et Căldăraru] ?

    a)

    Les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution ont‑elles à cet égard un pouvoir de contrôle complet en ce qui concerne les conditions de détention dans l’État membre d’émission ou doivent-elles se limiter à un contrôle des illégalités manifestes ?

    b)

    Pour le cas où la Cour conclut, dans le cadre de la première question, que le droit de l’Union impose des exigences “absolues” en ce qui concerne les conditions de détention : le non-respect de ces conditions minimales échappe-t-il à toute mise en balance, en ce sens qu’il existe alors toujours un “risque réel” faisant obstacle à la remise, ou l’État membre d’exécution peut-il néanmoins procéder à une mise en balance ? Des aspects tels que le maintien de l’entraide judiciaire entre États membres, l’efficacité du système européen de justice pénale ou les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles peuvent-ils alors être pris en compte ? »

    21.

    Par une ordonnance du 25 septembre 2018, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg) a signalé à la Cour que M. Dorobantu avait entre-temps été condamné par la Judecătoria Medgidia (tribunal de première instance de Medgidia) à une peine privative de liberté de deux ans et quatre mois en raison des délits commis sur le territoire roumain. Ce jugement a été rendu par défaut le 14 juin 2018. La juridiction de renvoi a alors indiqué à la Cour que le mandat d’arrêt européen délivré le 12 août 2016 aux fins de l’exercice de poursuites pénales avait été « substitué » par un nouveau mandat d’arrêt européen émis le 1er août 2018 aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté. Cette juridiction a néanmoins signalé qu’elle maintenait sa demande de décision préjudicielle dans la mesure où les questions posées conservaient toute leur pertinence aux fins de la procédure au principal.

    IV. Considérations liminaires

    22.

    Avant de procéder à l’examen des questions que le juge de renvoi adresse à la Cour, il me semble nécessaire de faire deux remarques liminaires.

    23.

    La première concerne la « substitution » de mandats d’arrêt européens à laquelle la juridiction de renvoi a fait référence dans son ordonnance du 25 septembre 2018. La seconde est relative à l’état de la jurisprudence de la Cour, laquelle fixe, à mon sens, le cadre dans lequel il convient de répondre aux présentes questions préjudicielles.

    A.   La « substitution » de mandats d’arrêt européens

    24.

    Ainsi que je l’ai indiqué, la juridiction de renvoi a signalé à la Cour, par son ordonnance du 25 septembre 2018, que le mandat d’arrêt européen émis par la Judecătoria Medgidia (tribunal de première instance de Medgidia) à l’encontre de M. Dorobantu aux fins de l’exercice de poursuites pénales a été « substitué » au cours de la procédure au principal par un nouveau mandat d’arrêt européen émis par la même juridiction aux fins, cette fois-ci, de l’exécution d’une peine privative de liberté.

    25.

    Si les questions posées par la juridiction de renvoi gardent toute leur pertinence dans le contexte de l’exécution de ce second mandat d’arrêt européen – ce que l’ensemble des parties ont confirmé lors de l’audience – il est nécessaire, néanmoins, que l’autorité judiciaire d’exécution statue dans les meilleurs délais sur la caducité du premier mandat d’arrêt européen et reprenne ab initio la procédure de mise à exécution du second. Cela s’impose afin de garantir le respect du principe de sécurité juridique ainsi que des droits et des garanties conférés par la décision-cadre 2002/584 à la personne recherchée.

    26.

    En effet, par sa nature même et en raison des conditions juridiques et matérielles de sa mise en œuvre, l’exécution de ce second mandat d’arrêt européen ne peut se faire par simple substitution.

    27.

    Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 que « [l]e mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire ». La « substitution » alléguée ne peut donc pas masquer le fait que le second mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté se fonde sur un nouveau jugement national et constitue une décision judiciaire qui est distincte de la décision sur laquelle repose le premier mandat d’arrêt européen et qui, de ce fait, doit répondre à des conditions juridiques et matérielles particulières. Il suffit ainsi de signaler que l’exécution de ce second mandat d’arrêt européen est susceptible d’entraîner une nouvelle période de détention qui sera assimilée non pas à une mesure de détention provisoire avant jugement – ce qui était le cas sous l’empire du premier mandat d’arrêt européen –, mais bien au début de l’exécution de la peine, la période ainsi subie devant se déduire de la peine à exécuter ( 15 ).

    28.

    La mise à exécution du second mandat d’arrêt européen exige donc de l’autorité judiciaire d’exécution, d’une part, qu’elle prononce la caducité du premier mandat d’arrêt européen et, d’autre part, qu’elle reprenne la procédure de mise à exécution ab initio, contrôlant ainsi la validité de l’ensemble des conditions d’exécution de ce second mandat, ce qui semble se dégager, dans l’affaire au principal, de l’ordonnance du 25 septembre 2018 communiquée par la juridiction de renvoi.

    B.   La jurisprudence « Aranyosi et Căldăraru »

    29.

    La seconde remarque concerne les règles et les principes que la Cour a dégagés dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru et qu’elle a, par la suite, repris dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft. Cette jurisprudence détermine le cadre dans lequel il conviendra d’analyser et de répondre aux présentes questions préjudicielles.

    30.

    Dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru, la Cour a, pour la première fois, admis une limitation aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelles entre États membres en exigeant de l’autorité judiciaire d’exécution qu’elle procède à un contrôle des conditions de détention dans l’État membre d’émission, dans le cas où, en raison des défaillances du système pénitentiaire de cet État, la personne concernée est susceptible d’être exposée à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants, contraires à l’article 4 de la Charte.

    31.

    Dans cet arrêt, la Cour a posé le cadre dans lequel doit s’exercer ce contrôle, en déterminant le fondement légal de celui-ci, sa finalité, sa typologie ainsi que sa nature et ses incidences.

    32.

    Ce contrôle repose sur l’article 1er, paragraphe 3, sur l’article 5 et sur l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 et a pour but d’assurer le respect de l’article 4 de la Charte, lequel consacre, ainsi que l’a rappelé la Cour, « l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres» ( 16 ) et « revêt un caractère absolu» ( 17 ).

    33.

    Ledit contrôle est exclusivement mis en œuvre lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate, sur la base des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés dont elle dispose, que le système pénitentiaire de l’État membre d’émission souffre de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention ( 18 ).

    34.

    Dans ces circonstances, l’autorité judiciaire d’exécution est tenue de vérifier de manière « concrète et précise » s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne remise sera exposée, en raison de ses conditions de détention, à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte ( 19 ).

    35.

    Au constat d’une défaillance générale du système pénitentiaire de l’État membre d’émission succède donc une évaluation individuelle et circonstanciée du risque auquel sera exposée la personne remise.

    36.

    Ce contrôle est susceptible d’avoir une incidence majeure sur l’exécution du mandat d’arrêt européen. La Cour a confirmé qu’il peut conduire l’autorité judiciaire d’exécution à reporter, voire à mettre fin, à la procédure de remise de la personne concernée ( 20 ).

    37.

    À la suite de l’arrêt Aranyosi et Căldăraru, le Hanseatisches Oberlandesgericht in Bremen (tribunal régional supérieur hanséatique de Brême, Allemagne) a saisi la Cour de deux nouveaux renvois préjudiciels. Le premier, introduit le 12 septembre 2016 dans le cadre de la procédure d’exécution de deux mandats d’arrêt européens émis à l’encontre de M. Pál Aranyosi, a abouti à l’adoption d’une ordonnance de non-lieu à statuer, les mandats d’arrêt européens émis à l’encontre de l’intéressé ayant été retirés avant que la Cour ne statue ( 21 ).

    38.

    Le second, introduit le 27 mars 2018 dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de ML, a permis à la Cour, dans son arrêt Generalstaatsanwaltschaft, de préciser la portée et l’étendue des principes qu’elle a dégagés dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru ( 22 ), en particulier dans le contexte de l’évaluation individuelle et circonstanciée du risque de traitement inhumain ou dégradant.

    39.

    La Cour a ainsi jugé, dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, que l’article 1er, paragraphe 3, l’article 5 et l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que, « lorsque l’autorité judiciaire d’exécution dispose d’éléments attestant de l’existence de défaillances systémiques ou généralisées des conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission, [...] :

    [...]

    l’autorité judiciaire d’exécution est tenue d’examiner uniquement les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires dans lesquels il est probable, selon les informations dont elle dispose, que [la personne visée par un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté] sera détenue, y compris à titre temporaire ou transitoire ;

    l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier, à cette fin, les seules conditions de détention concrètes et précises de la personne concernée qui sont pertinentes pour déterminer si celle‑ci courra un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la [Charte] ;

    l’autorité judiciaire d’exécution peut prendre en compte des informations fournies par des autorités de l’État membre d’émission autres que l’autorité judiciaire d’émission, telles que, en particulier, l’assurance que la personne concernée ne fera pas l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la [Charte]. »

    40.

    L’arrêt Generalstaatsanwaltschaft a été rendu le 25 juillet 2018, soit quelques mois après l’introduction du présent renvoi préjudiciel. À mon sens, il répond à la plupart des interrogations que se pose la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

    V. Analyse

    41.

    Il est préférable de procéder à l’analyse des questions posées dans un ordre différent de celui dans lequel le juge de renvoi les a exposées.

    42.

    En effet, si, par sa première question et sa seconde question, sous b), le juge de renvoi invite la Cour à se prononcer sur les différents facteurs que l’autorité judiciaire d’exécution doit prendre en compte afin d’apprécier, d’une manière concrète et précise, les conditions de détention dans l’État membre d’émission, il me semble indispensable de déterminer, à titre liminaire, l’intensité de ce contrôle, ainsi que nous y invite le juge de renvoi par sa seconde question, sous a).

    A.   L’intensité du contrôle des conditions de détention dans l’établissement dans lequel il est probable que l’intéressé sera incarcéré

    43.

    Par sa seconde question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser l’intensité du contrôle auquel doit procéder l’autorité judiciaire d’exécution lorsque celle-ci examine, d’une manière individuelle et circonstanciée, si la personne dont la remise est demandée risque d’être exposée à des traitements inhumains ou dégradants en raison des conditions de sa détention dans l’État membre d’émission.

    44.

    En particulier, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’autorité judiciaire d’exécution doit effectuer un examen « complet » des conditions dans lesquelles la personne remise sera détenue dans l’État membre d’émission ou si elle doit plutôt procéder à un contrôle « allégé » de ces conditions, limité aux « illégalités manifestes ». Dans ce contexte, la juridiction de renvoi semble se demander si l’autorité judiciaire d’exécution peut se satisfaire de l’assurance fournie par l’État membre d’émission que la personne concernée ne subira pas un traitement inhumain ou dégradant du fait de ses conditions de détention.

    45.

    Ainsi que je l’ai indiqué, les règles et les principes que la Cour a dégagés dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru et qu’elle a, par la suite, repris dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft permettent de répondre à ces interrogations.

    46.

    Si, dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour a su limiter la portée ratione loci du contrôle auquel l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder en le limitant aux conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires dans lesquels « il est probable» ( 23 ) ou « il est concrètement envisagé » que ladite personne sera détenue, y compris à titre temporaire ou transitoire ( 24 ), elle a, en revanche, pris un soin particulier à démontrer que ce contrôle implique un examen de tous les aspects matériels pertinents de la détention.

    47.

    Il est constant que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte, est un droit absolu, dont la violation ne peut être constatée qu’à l’issue d’un examen tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce.

    48.

    Ce principe a été affirmé en filigrane, tout d’abord, dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru, lorsque la Cour a exigé de l’autorité judiciaire d’exécution qu’elle apprécie de manière « concrète et précise» ( 25 ) l’existence d’un risque réel de traitements inhumains ou dégradants.

    49.

    Ledit principe a, ensuite, été confirmé dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft.

    50.

    Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour était en particulier interrogée sur le point de savoir si le respect de l’article 1er, paragraphe 3, de l’article 5 et de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 impliquait que l’autorité judiciaire d’exécution contrôle « à chaque fois de manière complète les conditions de détention » dans l’État membre d’émission, en vérifiant non seulement la surface de l’espace personnel dont dispose le détenu, mais également « les autres conditions de détention» ( 26 ). Il était aussi demandé si ces conditions devaient être évaluées à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, telle qu’elle ressort de son arrêt du 20 octobre 2016, Muršić c. Croatie ( 27 ).

    51.

    Dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour a d’emblée affirmé que, au titre de l’article 3 de la CEDH, l’appréciation du seuil minimum de gravité d’un mauvais traitement dépend « de l’ensemble des données [de l’espèce]» ( 28 ) et a ainsi exigé de l’autorité judiciaire d’exécution qu’elle demande au besoin des précisions sur « les conditions de détention concrètes et précises » de la personne concernée ( 29 ).

    52.

    S’agissant des conditions de détention, la Cour s’est référée à celles expressément visées par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Muršić c. Croatie ( 30 ). L’autorité judiciaire d’exécution doit non seulement tenir compte de l’espace personnel dont bénéficiera le détenu lors de son incarcération, mais également des autres aspects pertinents susceptibles d’affecter les conditions de sa détention. Cette autorité doit ainsi prendre en considération la durée et l’ampleur de la restriction, mais également la liberté de circulation et l’offre d’activités hors de la cellule dont le détenu peut bénéficier, et enfin tenir compte du caractère généralement décent des infrastructures et des services de l’établissement pénitentiaire concerné. En revanche, la Cour a exclu que l’autorité judiciaire d’exécution fonde son appréciation sur des facteurs qui ne présentent aucune pertinence évidente avec la privation de liberté ( 31 ).

    53.

    Au regard des principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, l’autorité judiciaire d’exécution est donc tenue d’évaluer le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel serait exposée la personne concernée en raison de ses conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire dans lequel il est probable que celle-ci sera incarcéré, en examinant tous les aspects matériels de la détention qui sont pertinents aux fins de cette appréciation. En revanche, et ainsi que je l’avais déjà relevé dans le cadre de mes conclusions rendues dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, cet examen ne peut pas porter sur des aspects qui vont au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de cette évaluation ( 32 ).

    54.

    À présent, s’agissant de l’importance qu’il convient d’accorder à l’assurance fournie par les autorités de l’État membre d’émission, je relève que, dans ledit arrêt, la Cour a jugé qu’elle constitue un élément que l’autorité judiciaire d’exécution « ne saurait ignorer» ( 33 ). En particulier, la Cour a considéré que, dans l’hypothèse où il n’existe aucun élément précis permettant de penser que les conditions de détention existant au sein d’un établissement déterminé sont contraires à l’article 4 de la Charte, l’autorité judiciaire d’exécution « doit se fier à [cette assurance] » compte tenu de la confiance mutuelle sur laquelle repose le mandat d’arrêt européen ( 34 ).

    55.

    Je ne peux donc pas adhérer à l’opinion selon laquelle l’autorité judiciaire d’exécution pourrait mettre en doute et contrôler la fiabilité de cette assurance au regard des données disponibles quant aux conditions de détention dans l’État membre concerné.

    56.

    Une telle vérification, loin d’appeler la confiance mutuelle qui doit présider aux relations entre les autorités judiciaires d’émission et les autorités judiciaires d’exécution, nourrirait une défiance réciproque et, par ricochet, remettrait en question le système simplifié de remise sur lequel repose le mandat d’arrêt européen.

    57.

    En outre, je rappelle que, en droit de l’Union, les engagements pris par une autorité d’un État membre engagent celui-ci, conformément aux principes gouvernant le recours en manquement. À titre d’illustration, si les engagements pris par l’autorité judiciaire d’émission, par l’intermédiaire d’une autorité relevant de l’administration pénitentiaire, comme la direction générale de l’exécution des peines, n’étaient pas respectés, de sorte que la personne remise serait susceptible d’être exposée à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux prescriptions de la Charte et de la CEDH, cela engagerait la responsabilité de l’État membre d’émission. Par ailleurs, ainsi que je l’avais déjà souligné dans mes conclusions dans l’affaire ML (Conditions de détention en Hongrie) ( 35 ), la violation d’un tel engagement pourrait être invoquée devant les juridictions de l’État membre d’émission par la personne remise.

    B.   Les critères sur lesquels repose le contrôle des conditions de détention dans l’établissement dans lequel il est probable que l’intéressé sera incarcéré

    58.

    La première question ainsi que la seconde question, sous b), que le juge de renvoi adresse à la Cour doivent être examinées conjointement. En effet, toutes deux concernent les critères sur la base desquels l’autorité judiciaire d’exécution doit évaluer, d’une manière concrète et précise, le risque réel de traitement inhumain ou dégradant en raison des conditions de détention dans l’État membre d’émission.

    59.

    Tout d’abord, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si le droit de l’Union impose un seuil absolu en ce qui concerne la surface minimale de l’espace personnel devant être alloué au détenu. Elle lui demande, aussi, de préciser les modalités de calcul de ce dernier dans le contexte d’une cellule individuelle ou collective au sein de laquelle se trouvent des meubles et des appareils sanitaires.

    60.

    Ensuite, la juridiction de renvoi s’intéresse aux autres facteurs susceptibles d’être pris en considération aux fins de cette appréciation, faisant, en particulier, référence aux infrastructures de l’établissement pénitentiaire, à la nature du régime d’exécution de la peine ou bien encore aux améliorations d’ordres juridique et organisationnel apportées par l’État membre d’émission quant à l’exécution de la peine.

    61.

    Enfin, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le droit de l’Union impose des exigences « absolues » en ce qui concerne les conditions de détention, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’autorité judiciaire d’exécution pourrait néanmoins procéder à une mise en balance entre le respect de ces exigences et les nécessités qu’imposeraient le respect des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles ainsi que l’efficacité du système sur lequel repose le mandat d’arrêt européen.

    62.

    Une fois encore, l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft donne les lignes que la Cour doit suivre pour répondre au juge de renvoi.

    1. Les apports de l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft

    63.

    Dans cet arrêt, la Cour a d’emblée pris le soin de relever que le droit de l’Union n’institue aucune règle minimale concernant les conditions de détention.

    64.

    Dans la mesure où l’article 4 de la Charte a le même sens et la même portée que l’article 3 de la CEDH, la Cour s’est reposée sur les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ( 36 ).

    65.

    En particulier, la Cour s’est référée à l’arrêt Muršić c. Croatie, dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme, en formation de grande chambre, a résumé les règles et les normes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de surpopulation carcérale et a clarifié les conditions dans lesquelles le manque d’espace personnel en cellule peut être jugé contraire à l’article 3 de la CEDH.

    66.

    La Cour a donc adopté l’approche qu’elle avait déjà retenue dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru. Dans cet arrêt, la Cour s’était, en effet, expressément référée à l’arrêt de principe de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c. Italie ( 37 ), afin de déterminer les obligations générales pesant sur les autorités de l’État membre d’émission quant à la détention de tout prisonnier ( 38 ).

    67.

    Dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour a ainsi rappelé que, au sens de l’article 3 de la CEDH, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité, dont l’appréciation dépend d’un ensemble de données, notamment, de la durée de ce traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime ( 39 ).

    68.

    La Cour s’est ensuite attachée au facteur spatial des conditions de détention, relevant, aux points 92 et 93 de son arrêt, ce qui suit :

    « 92

    Compte tenu de l’importance attachée au facteur spatial dans l’appréciation globale des conditions de détention, le fait que l’espace personnel dont dispose un détenu soit inférieur à 3 m2 dans une cellule collective fait naître une forte présomption de violation de l’article 3 de la CEDH ([arrêt Muršić c. Croatie], § 124).

    93

    Cette forte présomption de violation de l’article 3 de la CEDH ne peut normalement être réfutée que si, premièrement, les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m2 sont courtes, occasionnelles et mineures, deuxièmement, elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors de la cellule adéquates et, troisièmement, l’établissement offre de manière générale des conditions de détention décentes et que la personne concernée n’est pas soumise à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention ([arrêt Muršić c. Croatie], § 138). »

    69.

    Aux points 97 à 100 de cet arrêt, la Cour s’est, par ailleurs, prononcée sur la portée du facteur tiré de la durée de la période de détention, insistant, en particulier, sur le fait que « la brièveté relative d’une période de détention ne soustrait pas automatiquement à elle seule le traitement litigieux du champ d’application de l’article 3 de la CEDH lorsque d’autres éléments suffisent pour le faire relever de cette disposition» ( 40 ).

    70.

    Enfin, au point 103 dudit arrêt, la Cour a exclu le fait que l’autorité judiciaire d’exécution apprécie l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en se fondant sur des aspects sans pertinence évidente avec la privation de liberté, tels que ceux relatifs à l’exercice d’un culte, à la possibilité de fumer, aux modalités de nettoyage des vêtements ou bien encore à l’installation de grilles ou de persiennes aux fenêtres des cellules.

    71.

    Malgré les critiques qu’a suscitées l’arrêt Muršić c. Croatie ( 41 ), je pense que, en l’état actuel du droit de l’Union, la Cour a adopté une approche qui permet d’assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH, conformément à l’objectif visé à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte ( 42 ).

    72.

    Certes, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue que celle accordée par la CEDH ( 43 ). Néanmoins, je pense que les conditions matérielles requises à cette fin font en l’espèce défaut. En effet, à l’heure actuelle, il n’existe aucune disposition encadrant les conditions de détention dans l’Union et il n’appartient pas à la Cour de dégager des normes chiffrées quant à l’espace personnel dont un détenu doit disposer, quand bien même il s’agirait d’un standard minimal. Cette tâche relève non pas de ses fonctions, mais de celles du législateur. En outre, il faut reconnaître que la Cour ne dispose pas, aujourd’hui, de l’expertise nécessaire à cet effet, contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme ou aux autres organes du Conseil de l’Europe, qui bénéficient d’une expertise spéciale dans le domaine des systèmes pénitentiaires et d’une connaissance pratique des conditions de détention dans les États, au moyen du contentieux dont la première est saisie ou des rapports et des visites sur place dont le second est en charge.

    73.

    Enfin, je rappelle que les exigences visées par la Cour européenne des droits de l’homme constituent des normes minimales. Au sein de l’Union et, en particulier, dans le cadre de l’espace pénal européen, ces exigences doivent permettre de garantir un seuil uniforme, applicable à l’ensemble des systèmes pénitentiaires des États membres et transcendant leurs différences, ce qui contribue à renforcer la confiance réciproque que doivent se porter les États membres. Je rappelle, également, que, au niveau national, néanmoins, chaque État membre reste libre de prévoir un standard plus généreux s’agissant des conditions de détention dans ses propres établissements pénitentiaires, standard qu’il ne peut pas opposer aux États voisins dans le contexte de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

    74.

    Il convient à présent d’entrer dans le détail des questions que le juge de renvoi adresse à la Cour.

    2. La surface minimale de l’espace personnel devant être alloué au détenu

    75.

    Comme je l’ai déjà indiqué, dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour a d’emblée précisé qu’il n’existe en droit de l’Union aucune règle minimale concernant les conditions de détention ( 44 ). Dans ces circonstances, la Cour a défini la surface minimale de l’espace personnel devant être alloué au détenu par référence au seuil défini par la Cour européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire un seuil de 3 m2.

    76.

    Ce seuil ne constitue pas un seuil absolu.

    77.

    En effet, l’appréciation du seuil minimum que doit atteindre un mauvais traitement pour relever de l’article 3 de la CEDH est relative par essence. Ce seuil ne peut se réduire à la détermination précise du nombre de mètres carrés dont le détenu doit bénéficier, car une telle approche ne permet pas de tenir compte de l’ensemble des conditions de détention dans lesquelles s’inscrit sa réalité quotidienne.

    78.

    Ainsi que le reconnaît la Cour, le facteur spatial est un facteur important ( 45 ). Il doit, toutefois, s’inscrire dans le cadre d’une appréciation globale des conditions de détention qui doit tenir compte de l’ensemble des aspects matériels pertinents. Si une surface minimale inférieure à 3 m2 dans une cellule collective fait ainsi naître une forte présomption de violation de l’article 3 de la CEDH, cette présomption peut, néanmoins, être réfutée s’il existe des facteurs propres à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel. La Cour l’a clairement exposé aux points 92 et 93 de l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft ( 46 ).

    79.

    Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme ne considère pas de manière systématique qu’un écart mineur par rapport à la norme minimale de 3 m2 de surface au sol par détenu en cellule collective constitue, en soi, un traitement inhumain ou dégradant.

    80.

    De la même façon, le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après le « CPT ») ne revendique pas le caractère absolu des normes relatives à l’« espace de vie par détenu » qu’il préconise. Le CPT peut admettre un écart mineur par rapport à la norme de 4 m2 d’espace vital en cellule collective ou de 6 m2 d’espace vital en cellule individuelle lorsqu’il existe d’autres facteurs positifs liés, par exemple, à l’ensemble des activités auxquelles le détenu peut participer en dehors de sa cellule ( 47 ).

    81.

    Afin de déterminer le seuil fixant la surface minimale de l’espace personnel devant être alloué au détenu, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de facteurs.

    82.

    En premier lieu, la détermination de ce seuil dépend du point de savoir si le détenu est hébergé dans une cellule individuelle ou dans une cellule collective ( 48 ).

    83.

    En effet, il s’agit de deux types d’hébergement soulevant des préoccupations distinctes et nécessitant, par conséquent, une appréciation particulière de l’espace de vie du détenu. L’hébergement en cellule individuelle, s’il est souvent considéré comme seul à même d’assurer la dignité et la sécurité physique du détenu, peut exposer celui-ci à des risques particuliers liés à la solitude et à l’absence d’interaction sociale. En revanche, l’hébergement en cellule collective est susceptible d’exposer le détenu à des conditions d’hygiène précaires et à des risques d’intimidation voire de violence accrus en cas d’exiguïté extrême. Dans ces circonstances, les normes minimales que la Cour européenne des droits de l’homme a définies dans l’arrêt Muršić c. Croatie s’agissant de l’hébergement en cellule collective ne sont pas applicables, en tant que telles, à l’hébergement en cellule individuelle, ce qu’elle a par ailleurs reconnu ( 49 ).

    84.

    Quant au CPT, il reconnaît que les normes concernant l’espace vital individuel diffèrent en fonction non seulement du type d’établissement, mais également du niveau d’occupation de la cellule et du régime auquel les détenus sont soumis ( 50 ). S’agissant du niveau d’occupation de la cellule, le CPT distingue très nettement les cellules individuelles des cellules collectives. Dans ce dernier cas, il refuse, par ailleurs, d’assimiler une cellule double à une cellule destinée à accueillir six à dix détenus et prend également le soin de distinguer les dortoirs qui accueillent une petite dizaine de détenus des grands dortoirs occupés par jusqu’à une centaine de personnes.

    85.

    En second lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que des recommandations du CPT que la surface minimale de l’espace personnel ne doit pas comprendre la surface occupée par les sanitaires qui se trouvent à l’intérieur d’une cellule ( 51 ).

    86.

    En revanche, cette surface doit, en principe, inclure l’espace occupé par le mobilier au sol. La Cour européenne des droits de l’homme va néanmoins tenir compte de la mesure dans laquelle l’espace de vie du détenu est en réalité réduit par le mobilier présent afin de s’assurer que le détenu a la possibilité de se mouvoir normalement dans la cellule ou de se déplacer librement entre les meubles ( 52 ).

    87.

    Dans l’hypothèse où l’espace personnel dont dispose le détenu est inférieur à 3 m2 dans une cellule collective, la Cour européenne des droits de l’homme examine les effets cumulés des autres conditions matérielles de détention, de façon à déterminer si ces dernières, en raison de leur déficience, constituent des circonstances aggravantes ou si, en revanche, en raison de leur conformité avec les standards définis, elles permettent de « compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel» ( 53 ) et ainsi de réfuter la présomption de violation de l’article 3 de la CEDH.

    88.

    La juridiction de renvoi invite alors la Cour à préciser ces autres aspects matériels de la détention qui sont pertinents aux fins de l’évaluation des conditions concrètes de l’incarcération.

    3. Les autres aspects matériels de la détention

    89.

    Au point 93 de l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour a énoncé une série d’aspects que l’autorité judiciaire d’exécution est tenue d’examiner afin d’apprécier si le manque d’espace personnel s’accompagne ou non de conditions matérielles de détention compatibles avec les droits fondamentaux du détenu.

    90.

    Le premier aspect est relatif à la durée et à l’ampleur de la restriction.

    91.

    Je rappelle que, aux points 97 à 100 de cet arrêt, la Cour a donné des indications quant à la manière d’apprécier la durée et l’ampleur de la restriction. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour a rappelé que la durée de la période de détention est un facteur pertinent. Néanmoins, la Cour a pris le soin de préciser que la brièveté relative d’une période de détention ou le caractère temporaire ou transitoire de celle-ci ne sont pas à eux seuls de nature à exclure un risque de traitements inhumains ou dégradants lorsque d’autres éléments suffisent pour le faire relever de l’article 3 de la CEDH.

    92.

    Le deuxième aspect concerne la liberté de circulation et l’offre d’activités hors de la cellule dont le détenu peut profiter.

    93.

    L’autorité judiciaire d’exécution doit ainsi apprécier l’espace personnel dont dispose le détenu au regard du temps qu’il passe dans sa cellule. Dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft, la Cour n’a pas donné de précisions quant à la manière d’apprécier cet aspect de la détention. Néanmoins, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme synthétisée dans l’arrêt Muršić c. Croatie y supplée. Selon cette dernière, les détenus doivent pouvoir consacrer une partie raisonnable de leur journée hors de leur cellule dans le cadre d’activités professionnelles ou de formation ou bien encore d’activités sportives, mais aussi à l’occasion de promenades dont elle apprécie les conditions qualitatives et quantitatives. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme tient compte de la configuration des installations extérieures, celles-ci devant offrir un espace suffisant et ouvert sur l’extérieur.

    94.

    Enfin, le troisième aspect concerne le caractère globalement décent des conditions de détention.

    95.

    La Cour n’a pas non plus donné d’indications quant à l’appréciation de cet aspect dans l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft. Néanmoins, si l’on se réfère aux précisions données par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Muršić c. Croatie, on comprend que l’autorité judiciaire d’exécution doit ici procéder à un examen de l’aménagement de la cellule ainsi que des services et des infrastructures essentiels de l’établissement pénitentiaire dans lequel la personne concernée sera probablement incarcérée ( 54 ).

    96.

    J’insiste sur le caractère « essentiel » des services et des infrastructures pénitentiaires pertinents aux fins de cette appréciation. En effet, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut examiner et, à cette fin, formuler des demandes d’informations complémentaires concernant des aspects de la détention qui ne présentent absolument aucune utilité sous l’angle de l’article 4 de la Charte. Ce fut le cas dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft. La Cour a alors expressément relevé que seuls peuvent faire l’objet d’une demande d’informations complémentaires les aspects de la détention qui sont pertinents aux fins de l’appréciation de la gravité de la souffrance ou de l’humiliation subies par un détenu du fait de ses mauvaises conditions de détention. Comme je l’ai déjà signalé, elle a ainsi exclu des aspects tels que ceux liés à l’exercice d’un culte, à la possibilité de fumer ou à des services tels que celui de nettoyage des vêtements ( 55 ).

    97.

    Je souligne que l’appréciation de ces différents facteurs doit nécessairement tenir compte du type d’établissement pénitentiaire dans lequel le détenu est incarcéré ainsi que du régime d’exécution de la peine auquel il est soumis.

    98.

    En effet, les conditions de détention d’un détenu incarcéré en « maison centrale », c’est-à-dire dans un établissement accueillant des personnes condamnées pour de longues peines ou présentant des risques particuliers, sont très différentes de celles que connaît un détenu placé dans un centre de semi-liberté ou bénéficiant d’un régime de placement en extérieur. La Cour européenne des droits de l’homme juge ainsi que le premier doit bénéficier de dispositions plus favorables en ce qui concerne sa liberté de circulation au sein de l’établissement et l’offre d’activités hors de sa cellule (travail, loisirs, formation). Cela est logique dans la mesure où le second est autorisé à s’absenter de l’établissement durant la journée afin d’exercer une activité professionnelle, suivre un enseignement ou s’investir dans tout autre projet d’insertion ou de réinsertion.

    99.

    C’est au regard de ces différents aspects que l’autorité judiciaire d’exécution doit apprécier si le manque d’espace personnel est compensé ou non par des conditions matérielles de détention adéquates.

    100.

    Dans une situation telle que celle en cause au principal où il ressort des informations communiquées par l’État membre d’émission que l’espace au sol dont bénéficiera la personne remise sera inférieur ou égal à 3 m2 ( 56 ), je rappelle que le facteur spatial est déterminant et fait naître une forte présomption de violation de l’article 4 de la Charte. L’appréciation des effets cumulés de ces différents aspects doit alors permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de déterminer si cette présomption peut être réfutée.

    101.

    En revanche, la situation est tout autre lorsque la surface au sol dont dispose le détenu est comprise entre 3 et 4 m2. Si le facteur spatial reste un élément important, il ne fait naître aucune présomption de violation. L’autorité judiciaire d’exécution doit alors déterminer si ce manque d’espace personnel s’accompagne de conditions matérielles de détention qui sont adéquates ou, au contraire, incompatibles avec les droits fondamentaux du détenu, de sorte qu’il conviendrait de conclure à une violation de l’article 4 de la Charte.

    4. La pertinence des facteurs tirés des mesures législatives et structurelles portant amélioration de l’exécution des peines dans l’État membre d’émission

    102.

    La juridiction de renvoi demande à la Cour si l’autorité judiciaire d’exécution peut tenir compte des améliorations apportées par l’État membre d’émission en ce qui concerne tant ses infrastructures pénitentiaires que ses mécanismes de contrôle de l’exécution des peines.

    103.

    L’autorité judiciaire d’exécution peut tenir compte de l’ensemble des mesures adoptées par l’État membre d’émission qui, de nature législative ou structurelle, participent au renforcement de la protection des personnes privées de liberté contre le risque réel de traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, la reconnaissance d’un droit de plainte dans le chef du détenu, la mise en place d’un système efficace de recours auprès de l’administration pénitentiaire et des autorités chargées de surveiller l’exécution des peines ou bien encore l’institution d’un organe indépendant chargé de garantir le respect des droits de l’homme au sein des lieux privatifs de liberté sont autant de mesures qui contribuent à la mise en place d’un régime d’exécution des peines respectueux des droits fondamentaux.

    104.

    Néanmoins, comme je l’avais déjà relevé dans mes conclusions rendues dans l’affaire ML (Conditions de détention en Hongrie) ( 57 ), ces mesures pourraient ne pas suffire si l’autorité judiciaire d’exécution devait nourrir des doutes fondés quant à l’éventualité que la personne concernée puisse être immédiatement soumise à un traitement inhumain ou dégradant, et ce indépendamment de la réparation ultérieure de cette atteinte par des actions en justice efficaces dans l’État membre d’émission. Ainsi, quelle que soit leur nature, ces mesures conservent, en principe, une portée générale et, en tant que telles, elles ne pourraient compenser le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel l’intéressé serait exposé en raison de ses conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire dans lequel il est probable qu’elle sera incarcérée.

    5. La pertinence des facteurs tirés des principes généraux sur lesquels repose l’espace pénal européen

    105.

    Par sa seconde question, sous b), la juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans l’hypothèse où elle considérerait que le droit de l’Union impose des exigences « absolues » en ce qui concerne les conditions de détention, l’autorité judiciaire d’exécution peut, dans le cadre de son appréciation du risque réel de traitement inhumain ou dégradant, procéder à une mise en balance de façon à tenir compte des nécessités qu’imposeraient le respect des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles ainsi que la sauvegarde de l’efficacité du système sur lequel repose le mandat d’arrêt européen.

    106.

    Si le droit de l’Union impose une exigence absolue, celle-ci ne concerne pas les normes relatives aux conditions de détention, mais bien le respect, conformément aux articles 1er et 4 de la Charte, de la dignité humaine et de l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant en raison de ces conditions de détention.

    107.

    Or, le droit à la dignité humaine et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants sont des droits dont la nature est absolue, ce qui exclut, en soi, toute mise en balance. La Cour a pris le soin de le rappeler dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru en relevant que la CEDH interdit en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants quel que soit le comportement de la personne concernée, et ce en toutes circonstances, y compris dans le cas de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé ( 58 ). Ces droits ne peuvent donc faire l’objet d’aucune des limitations prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

    108.

    Dans le cadre du contrôle auquel l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder, il est donc exclu que celle-ci procède à une mise en balance entre, d’une part, la nécessité de garantir que la personne concernée ne sera soumise à aucun traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et, d’autre part, les nécessités qu’imposeraient le respect des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles ainsi que l’efficacité du système sur lequel repose le mandat d’arrêt européen.

    109.

    En outre, la prise en compte de ces facteurs est exclue en raison de l’essence et de la nature même du contrôle auquel l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence Aranyosi et Căldăraru, ce contrôle constitue, en soi, une exception aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, et il ne peut porter que sur les conditions de détention dans l’État membre d’émission, qu’il s’agisse des conditions générales qui prévalent dans cet État ou des conditions précises dans lesquelles il est envisagé de détenir la personne concernée dans ledit État, à l’exclusion de toute autre considération relative aux principes sur lesquels repose l’espace pénal européen.

    110.

    Au regard de l’ensemble de ces considérations, il appartient à présent à l’autorité judiciaire d’exécution d’apprécier, au regard des informations communiquées par les autorités de l’État membre d’émission, si les conditions dans lesquelles M. Dorobantu sera détenu à l’issue de sa remise ne risquent pas de porter atteinte au droit qui lui est garanti par l’article 4 de la Charte.

    111.

    À cet égard, je note que le doute quant à la licéité de la remise de M. Dorobantu avait été dissipé dans un sens favorable par l’autorité judiciaire d’exécution avant que le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) n’annule les ordonnances des 3 et 19 janvier 2017, pour défaut de renvoi préjudiciel auprès de la Cour.

    112.

    Je relève que, dans le cadre de la procédure au principal, l’autorité judiciaire d’exécution avait procédé à une appréciation globale des conditions dans lesquelles M. Dorobantu serait incarcéré à la suite de sa remise, en mettant en perspective les informations communiquées par les autorités roumaines avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

    113.

    Je note également que, lors de l’audience, le gouvernement roumain a confirmé que M. Dorobantu serait, à l’issue de sa remise, détenu dans le cadre d’un régime semi-ouvert. De ce fait, il a indiqué que l’intéressé pourrait bénéficier d’une grande liberté de mouvement et pourrait, en outre, travailler, ce qui limiterait le temps passé dans sa cellule.

    VI. Conclusion

    114.

    Eu égard aux réflexions qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg, Allemagne) comme suit :

    L’article 1er, paragraphe 3, l’article 5 et l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, lus conjointement avec l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que :

    lorsque l’autorité judiciaire d’exécution dispose d’éléments attestant de l’existence de défaillances systémiques ou généralisées des conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission, elle est tenue d’évaluer le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel serait exposée la personne concernée en raison de ses conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire dans lequel il est probable que celle-ci sera incarcérée, en procédant à une appréciation globale de tous les aspects matériels de la détention qui sont pertinents aux fins de cette évaluation ;

    l’autorité judiciaire d’exécution doit accorder une importance particulière au facteur tiré de la surface minimale de l’espace personnel dont bénéficiera la personne remise pendant sa détention. En l’absence de normes définies par le droit de l’Union, ce facteur est déterminé par référence au seuil défini par la Cour européenne des droits de l’homme, lequel ne constitue pas un seuil absolu ;

    lors de la détermination de la surface minimale de l’espace personnel dont bénéficiera la personne remise, l’autorité judiciaire d’exécution doit tenir compte du caractère individuel ou collectif de la cellule dans laquelle celle-ci sera probablement hébergée. Cette autorité doit inclure l’espace occupé par le mobilier au sol, mais exclure la surface occupée par les sanitaires ;

    s’il ressort des informations communiquées par l’État membre d’émission que la surface minimale de l’espace personnel dont bénéficiera la personne remise est inférieure ou égale à 3 m2, l’autorité judiciaire d’exécution doit déterminer si les autres aspects matériels de la détention sont propres à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel et à réfuter la présomption de violation de l’article 4 de la Charte. En particulier, cette autorité doit apprécier les conditions relatives à l’aménagement de la cellule dans laquelle la personne remise sera hébergée, le caractère globalement décent des services et des infrastructures essentiels de l’établissement pénitentiaire ainsi que les aspects relatifs à la liberté de circulation et à l’offre d’activités hors de la cellule dont elle bénéficiera ;

    l’appréciation de ces différents aspects doit nécessairement tenir compte de la durée et de l’ampleur de la restriction, du type d’établissement pénitentiaire dans lequel la personne remise sera incarcérée ainsi que du régime d’exécution de la peine auquel cette dernière sera soumise ;

    l’autorité judiciaire d’exécution peut également tenir compte des mesures législatives et structurelles portant amélioration de l’exécution des peines dans l’État membre d’émission. Néanmoins, compte tenu de leur portée générale, ces mesures ne peuvent, en tant que telles, compenser le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel la personne concernée serait exposée en raison de ses conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire concerné ;

    dans le cadre de son appréciation, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut procéder à une mise en balance entre, d’une part, la nécessité de garantir que la personne concernée ne sera soumise à aucun traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et, d’autre part, les nécessités qu’imposeraient le respect des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles ainsi que la sauvegarde de l’efficacité du système européen de justice pénale.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

    ( 3 ) C‑404/15 et C‑659/15 PPU, ci-après l’« arrêt Aranyosi et Căldăraru », EU:C:2016:198.

    ( 4 ) C‑220/18 PPU, ci-après l’« arrêt Generalstaatsanwaltschaft », EU:C:2018:589.

    ( 5 ) Ci-après la « Charte ».

    ( 6 ) JO 2007, C 303, p. 17.

    ( 7 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».

    ( 8 ) Voir explication ad article 4.

    ( 9 ) Article 82, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE ainsi que considérants 5, 6, 10 et 11 de la décision-cadre 2002/584.

    ( 10 ) Voir arrêts du 29 janvier 2013, Radu (C‑396/11, EU:C:2013:39, point 34), et du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 37).

    ( 11 ) Voir arrêt du 30 mai 2013, F (C‑168/13 PPU, EU:C:2013:358, points 57 et 58).

    ( 12 ) BGBl. 1982 I, p. 2071.

    ( 13 ) BGBl. 2006 I, p. 1721, ci-après l’« IRG ».

    ( 14 ) Ces informations figurent dans les ordonnances des 3 et 19 janvier 2017 du Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur hanséatique de Hambourg), jointe au dossier national dont dispose la Cour. Lors de l’audience, le représentant du gouvernement roumain a précisé que M. Dorobantu passera un temps très limité dans cet espace inférieur à 3 m2 dans la mesure où il sera détenu dans le cadre d’un régime semi-ouvert, bénéficiant ainsi de la possibilité de se déplacer sans être accompagné et de travailler.

    ( 15 ) Voir article 26, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584.

    ( 16 ) Arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 87).

    ( 17 ) Arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 85).

    ( 18 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 89).

    ( 19 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 92).

    ( 20 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru (points 98 et 104).

    ( 21 ) L’affaire « Aranyosi II » a ainsi perdu son objet, ainsi que la Cour l’a déclaré dans l’ordonnance du 15 novembre 2017, Aranyosi (C‑496/16, non publiée, EU:C:2017:866).

    ( 22 ) Dans l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), la Cour a adopté les mêmes principes et a suivi la même logique que celle retenue dans les arrêts Aranyosi et Căldăraru et Generalstaatsanwaltschaft à propos du risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte en raison de défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission.

    ( 23 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 117).

    ( 24 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 87).

    ( 25 ) Arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 92).

    ( 26 ) Je reprends ici les termes mêmes employés par le Hanseatisches Oberlandesgericht in Bremen (tribunal régional supérieur hanséatique de Brême) dans son renvoi préjudiciel.

    ( 27 ) CE:ECHR:2016:1020JUD000733413, ci-après l’« arrêt Muršić c. Croatie ».

    ( 28 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 91).

    ( 29 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 101).

    ( 30 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (points 92 et 93).

    ( 31 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 103).

    ( 32 ) Conclusions dans l’affaire ML (Conditions de détention en Hongrie) (C‑220/18 PPU, EU:C:2018:547, points 62 et 76).

    ( 33 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 111).

    ( 34 ) Arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 112).

    ( 35 ) C‑220/18 PPU, EU:C:2018:547 (point 64).

    ( 36 ) La Cour a fondé son raisonnement sur les termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte (voir point 5 des présentes conclusions).

    ( 37 ) CE:ECHR:2013:0108JUD004351709, § 65.

    ( 38 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 90).

    ( 39 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 91).

    ( 40 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 98).

    ( 41 ) Voir, à cet égard, opinions dissidentes jointes à cet arrêt ainsi que, dans la doctrine, Tulkens, F., « Cellule collective et espace personnel, un arrêt en trompe-l’œil (obs. sous Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Muršic c. Croatie, 20 octobre 2016) », Revue trimestrielle des droits de l’homme, no 112, Anthemis, Wavre, 2017, p. 989 à 1004 ; Robert, A-G., « Conséquences du manque flagrant d’espace personnel », AJ Pénal, Dalloz, Paris, 2017, p. 47.

    ( 42 ) Voir explication ad article 52 de la Charte (voir note en bas de page 6 des présentes conclusions).

    ( 43 ) Voir arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a. (C‑203/15 et C‑698/15, EU:C:2016:970, point 129 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 62 à 67), dans lequel la Cour s’est notamment appuyée sur l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), afin d’énoncer le contenu de l’article 47 de la Charte qui garantit un droit à un tribunal indépendant et impartial.

    ( 44 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 90).

    ( 45 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 92).

    ( 46 ) Voir point 68 des présentes conclusions.

    ( 47 ) Voir normes du CPT relatives à l’« Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires », du 15 décembre 2015, disponibles à l’adresse Internet suivante : https://rm.coe.int/16806ccb8d (point 21).

    ( 48 ) De la même façon, la détermination de cet espace dépend du point de savoir si la personne est détenue à l’isolement ou sous d’autres régimes de détention analogues, ou encore dans les locaux de rétention ou les espaces similaires utilisés pour de très courtes périodes (locaux de garde à vue, établissements psychiatriques, centres de rétention pour étrangers), ce qui n’est toutefois pas évoqué en l’espèce [voir arrêt Muršić c. Croatie (§ 92)].

    ( 49 ) Voir, en ce sens, arrêt Muršić c. Croatie (§ 92).

    ( 50 ) Voir normes du CPT (point 7) citées à la note en bas de page 47.

    ( 51 ) Arrêt Muršić c. Croatie (§ 114) ainsi que normes du CPT (point 10) citées à la note en bas de page 47.

    ( 52 ) Voir, à cet égard, Cour EDH, 2 février 2010, Marina Marinescu c. Roumanie (CE:ECHR:2010:0202JUD003611003, § 66 et jurisprudence citée), ainsi que 10 janvier 2012, Ananyev et autres c. Russie (CE:ECHR:2012:0110JUD004252507, § 148).

    ( 53 ) Arrêt Muršić c. Croatie (§ 126).

    ( 54 ) Ces facteurs sont visés dans l’arrêt Muršić c. Croatie (§ 132 à 135).

    ( 55 ) Voir arrêt Generalstaatsanwaltschaft (point 103).

    ( 56 ) Je rappelle qu’il ressort de l’ordonnance du 3 janvier 2017, jointe au dossier national dont dispose la Cour, que M. Dorobantu devrait exécuter sa peine dans une cellule lui offrant un espace personnel de 3 m2 s’il est soumis au régime ferme de privation de liberté et de moins de 3 m2 s’il est soumis au régime de semi-liberté.

    ( 57 ) C‑220/18 PPU, EU:C:2018:547 (point 57).

    ( 58 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 87). La Cour s’est ici référée à l’arrêt de la Cour EDH du 28 septembre 2015, Bouyid c. Belgique, (CE:ECHR:2015:0928JUD002338009, § 81 et jurisprudence citée).

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