Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62008CJ0198

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 4 mars 2010.
Commission européenne contre République d'Autriche.
Manquement d’État - Directive 95/59/CE - Impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés - Article 9, paragraphe 1 - Libre détermination, par les fabricants et importateurs, des prix maximaux de vente au détail de leurs produits - Réglementation nationale imposant un prix minimal de vente au détail des cigarettes ainsi qu’un prix minimal de vente au détail du tabac fine coupe - Justification - Protection de la santé publique - Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac.
Affaire C-198/08.

Recueil de jurisprudence 2010 I-01645

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:112

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 mars 2010 ( *1 )

«Manquement d’État — Directive 95/59/CE — Impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés — Article 9, paragraphe 1 — Libre détermination, par les fabricants et importateurs, des prix maximaux de vente au détail de leurs produits — Réglementation nationale imposant un prix minimal de vente au détail des cigarettes ainsi qu’un prix minimal de vente au détail du tabac fine coupe — Justification — Protection de la santé publique — Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac»

Dans l’affaire C-198/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 14 mai 2008,

Commission européenne, représentée par MM. W. Mölls et R. Lyal, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par MM. E. Riedl et J. Bauer ainsi que par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Arabadjiev (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2009,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation par laquelle les pouvoirs publics fixent des prix minimaux pour la vente au détail des cigarettes et du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO L 291, p. 40), telle que modifiée par la directive 2002/10/CE du Conseil, du 12 février 2002 (JO L 46, p. 26, ci-après la «directive 95/59»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2

Les deuxième, troisième et septième considérants de la directive 95/59 sont libellés comme suit:

«(2)

considérant que l’objectif du traité [CE] est de créer une union économique comportant une saine concurrence et ayant des caractéristiques analogues à celles d’un marché intérieur; que, en ce qui concerne le secteur des tabacs manufacturés, la réalisation de ce but présuppose que l’application, au sein des États membres, des impôts frappant la consommation des produits de ce secteur ne fausse pas les conditions de concurrence et n’entrave pas leur libre circulation dans la Communauté;

(3)

considérant que, en ce qui concerne les accises, l’harmonisation des structures doit, en particulier, avoir pour effet que la concurrence des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit pas faussée par les effets de l’imposition et que, par là-même, l’ouverture des marchés nationaux des États membres soit réalisée;

[…]

(7)

considérant que les impératifs de la concurrence impliquent un régime de prix formés librement pour tous les groupes de tabacs manufacturés».

3

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive:

«Sont considérés comme tabacs manufacturés:

a)

les cigarettes;

b)

les cigares et les cigarillos;

c)

le tabac à fumer:

le tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes,

les autres tabacs à fumer,

tels que définis aux articles 3 à 7.»

4

L’article 8 de la directive 95/59 dispose:

«1.   Les cigarettes fabriquées dans la Communauté et celles importées de pays tiers sont soumises dans chaque État membre à une accise proportionnelle calculée sur le prix maximal de vente au détail, droits de douane inclus, ainsi qu’à une accise spécifique calculée par unité de produit.

2.   Le taux de l’accise proportionnelle et le montant de l’accise spécifique doivent être les mêmes pour toutes les cigarettes.

[…]»

5

Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive:

«Est considérée comme fabricant la personne physique ou morale établie dans la Communauté, qui transforme le tabac en produits manufacturés confectionnés pour la vente au détail.

Les fabricants ou, le cas échéant, leurs représentants ou mandataires dans la Communauté ainsi que les importateurs de pays tiers déterminent librement les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits pour chaque État membre dans lequel ils sont destinés à être mis à la consommation.

La disposition du deuxième alinéa ne peut, toutefois, faire obstacle à l’application des législations nationales sur le contrôle du niveau des prix ou le respect des prix imposés, pour autant qu’elles soient compatibles avec la réglementation communautaire.»

6

L’article 16 de ladite directive prévoit:

«1.   Le montant de l’accise spécifique sur les cigarettes est établi par référence aux cigarettes de la classe de prix la plus demandée d’après les données connues au 1er janvier de chaque année, à commencer par le 1er janvier 1978.

2.   L’élément spécifique de l’accise ne peut être inférieur à 5% ni supérieur à 55% du montant de la charge fiscale totale résultant du cumul de l’accise proportionnelle, de l’accise spécifique et de la taxe sur le chiffre d’affaires perçues sur ces cigarettes.

[…]

5.   Les États membres peuvent percevoir une accise minimale sur les cigarettes vendues à un prix inférieur au prix de vente au détail des cigarettes appartenant à la classe de prix la plus demandée, à condition que cette accise ne dépasse pas le montant de l’accise perçue sur les cigarettes appartenant à la classe de prix la plus demandée.»

7

Les directives 92/79/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les cigarettes (JO L 316, p. 8), et 92/80/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les tabacs manufacturés autres que les cigarettes (JO L 316, p. 10), telles que modifiées par la directive 2003/117/CE du Conseil, du 5 décembre 2003 (JO L 333, p. 49), fixent les taux et/ou montants minimaux de l’accise globale qui frappe respectivement les cigarettes et les tabacs manufacturés autres que les cigarettes. La directive 92/80 contient également certaines règles relatives à la structure de l’accise sur ces derniers.

8

Par la décision 2004/513/CE du Conseil, du 2 juin 2004 (JO L 213, p. 8), la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, signée à Genève le 21 mai 2003 (ci-après la «convention OMS»), a été approuvée au nom de la Communauté. L’article 6 de cette convention, intitulé «Mesures financières et fiscales visant à réduire la demande de tabac», est rédigé comme suit:

«1.   Les parties reconnaissent que les mesures financières et fiscales sont un moyen efficace et important de réduire la consommation de tabac pour diverses catégories de la population, en particulier les jeunes.

2.   Sans préjudice du droit souverain des parties de déterminer et de fixer leur politique fiscale, chaque partie doit tenir compte de ses objectifs nationaux de santé en ce qui concerne la lutte antitabac et adopte ou maintient, selon le cas, des mesures pouvant comprendre:

a)

l’application de politiques fiscales et, le cas échéant, de politiques des prix concernant les produits du tabac afin de contribuer aux objectifs de santé visant à réduire la consommation de tabac, […]

[…]»

La réglementation nationale

9

L’article 2, paragraphe 4, de la loi fédérale sur la fabrication et la mise sur le marché de tabacs manufacturés ainsi que sur la publicité pour les tabacs manufacturés et la protection des non-fumeurs («loi sur le tabac») [Bundesgesetz über das Herstellen und das Inverkehrbringen von Tabakerzeugnissen sowie die Werbung für Tabakerzeugnisse und den Nichtraucherschutz («Tabakgesetz»)], du 30 juin 1995 (BGBl. 431/1995), telle que modifiée par la loi fédérale du 30 mars 2006 (BGBl. I, 47/2006), prévoit:

«La ministre fédérale de la Santé et des Femmes est autorisée, en accord avec le ministre fédéral des Finances, à fixer par décret, dans l’intérêt de la prévention du tabagisme, le prix minimal de vente au détail des tabacs manufacturés afin d’assurer un niveau minimal de prix. La vente de tabacs manufacturés à un prix inférieur au prix minimal de vente au détail est interdite.»

10

L’article 1er du décret de la ministre fédérale de la Santé et des Femmes instaurant un régime de prix minimaux de vente au détail pour les tabacs manufacturés afin d’assurer un niveau minimal de prix (Verordnung der Bundesministerin für Gesundheit und Frauen über die Festsetzung des Mindestkleinverkaufspreises für Tabakerzeugnisse zur Sicherstellung eines Mindestpreisniveaus), du 27 avril 2006 (BGBl. II, 171/2006), dispose:

«Au sens du présent décret, le prix minimal de vente au détail est le prix en dessous duquel la vente de tabacs manufacturés aux consommateurs n’est pas permise.»

11

Aux termes de l’article 2 de ce décret:

«(1)   Pour les cigarettes, le prix minimal de vente au détail par cigarette s’élève à au moins 92,75% du prix moyen pondéré de la totalité des cigarettes vendues au cours de l’année civile écoulée.

(2)   Pour le tabac fine coupe, le prix minimal de vente au détail par gramme de tabac fine coupe s’élève à au moins 90% du prix moyen pondéré par gramme de la totalité des tabacs fine coupe vendus au cours de l’année civile écoulée.»

12

En vertu de l’article 4 dudit décret, les prix minimaux de vente au détail sont applicables depuis le 15 mai 2006.

La procédure précontentieuse

13

Après avoir mis la République d’Autriche en mesure de présenter ses observations quant à l’incompatibilité alléguée de la réglementation autrichienne relative à la fixation de prix minimaux pour la vente au détail des cigarettes et du tabac fine coupe avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59, la Commission a, par lettre du 27 juin 2007, adressé un avis motivé à cet État membre, l’invitant à se conformer à ses obligations résultant de cette disposition dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis. Considérant que la situation demeurait insatisfaisante eu égard à la réponse de la République d’Autriche, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

14

Selon la Commission, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 établit le principe selon lequel les producteurs et les importateurs ont le droit de fixer librement les prix maximaux de vente au détail des tabacs manufacturés. Or, la réglementation autrichienne en cause, en instaurant un régime de prix minimaux fixés de manière indirecte pour la vente au détail des cigarettes et du tabac fine coupe, interdirait aux producteurs et aux importateurs de ces produits de les vendre à des prix inférieurs auxdits prix minimaux et limiterait ainsi leur liberté quant à la fixation des prix. Cette réglementation serait donc contraire à ladite disposition du droit communautaire.

15

La réglementation nationale en cause ne serait pas justifiée par des considérations tenant à la protection de la santé publique. Celles-ci auraient déjà été prises en compte par le législateur communautaire lors de l’adoption des directives sur les droits d’accise sur le tabac. En raison de l’absence de taux maximaux de l’accise globale, les règles communautaires concernant la taxation des produits du tabac permettraient aux États membres d’augmenter le niveau de cette taxation et de maintenir ainsi des prix suffisamment élevés pour décourager la consommation de tabac. Une politique fiscale serait donc suffisante pour garantir le niveau souhaité de protection de la santé publique.

16

Selon la Commission, les prix moyens pondérés imposés en Autriche comme prix minimaux pour la vente au détail des produits du tabac concernés résultent non pas des processus du marché, mais de l’action des autorités publiques visant justement à neutraliser lesdits processus. Le fait que ces prix minimaux soient arithmétiquement calculés à partir des prix moyens observés sur le marché ne remettrait pas en cause cette analyse. En outre, il ne serait pas certain que ce régime de prix minimaux affecte moins la concurrence que les régimes d’autres États membres examinés dans des arrêts antérieurs de la Cour. En tout état de cause, l’interdiction d’établir des régimes de prix minimaux pour les tabacs manufacturés découlant de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 ne supposerait pas une appréciation de l’intensité de l’intervention qu’implique chacun de ces régimes eu égard au système sur lequel il repose.

17

La Commission considère, en outre, que l’article 93 CE constitue une base juridique suffisante également pour l’article 9 de la directive 95/59. Le caractère fiscal de cette dernière ne saurait autoriser les États membres à ignorer ses dispositions au motif qu’ils poursuivent d’autres objectifs, notamment celui de protection de la santé publique. En outre, les États membres ne seraient pas autorisés à invoquer l’article 30 CE, s’agissant d’une question réglementée de façon harmonisée.

18

La Commission estime encore que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 est compatible avec la convention OMS, celle-ci n’ayant pas pour effet d’obliger les parties contractantes à fixer des prix minimaux pour les produits du tabac. Selon la Commission, s’il en était autrement, des modifications auraient été apportées à cette directive, ce qui n’est pas le cas. En outre, ladite convention ne conférerait pas aux États membres un droit, opposable à la Communauté, de choisir entre l’application de politiques fiscales et l’application de politiques de prix, car cette question relèverait du fonctionnement interne de la Communauté.

19

Enfin, les dispositions de la recommandation 2003/54/CE du Conseil, du 2 décembre 2002, relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac (JO 2003, L 22, p. 31), invoquées par la République d’Autriche, ne seraient pas contraignantes et, en tout état de cause, ne pourraient pas être interprétées comme incitant à une violation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59.

20

Selon la République d’Autriche, un système d’imposition de prix minimaux est le seul instrument efficace et sûr pour contrer rapidement la chute des prix des produits du tabac concernés par la législation nationale en cause dans le contexte d’une guerre des prix. En effet, des mesures fiscales pourraient être contrecarrées par les opérateurs économiques actifs dans le secteur du tabac, parce qu’elles n’empêcheraient pas la vente à des prix de dumping afin d’approcher de nouvelles classes de consommateurs, au prix de pertes financières temporaires. L’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 n’accorderait pas de droit illimité à la libre fixation des prix. En particulier, cette disposition n’exclurait pas la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures appropriées et nécessaires visant à garantir la protection de la santé publique, au sens de l’article 30 CE.

21

La République d’Autriche soutient également que le régime de prix minimaux en cause n’est pas en mesure de fausser la concurrence, parce que ces prix sont en réalité fixés par le marché, le ministre compétent ne faisant que prendre comme référence le prix moyen sur ce marché. Par conséquent, ledit régime présenterait une moindre intensité d’intervention que les dispositions des États membres examinées, notamment, dans les arrêts du 19 octobre 2000, Commission/Grèce (C-216/98, Rec. p. I-8921), et du 27 février 2002, Commission/France (C-302/00, Rec. p. I-2055), qui prévoyaient, par exemple, une augmentation des prix d’au moins 20% par rapport aux prix en vigueur. L’intensité de l’intervention qu’implique une mesure nationale serait également importante pour apprécier la proportionnalité de celle-ci, dès lors qu’il serait nécessaire d’examiner s’il n’existe pas des moyens moins restrictifs pour atteindre l’objectif visé.

22

Selon cet État membre, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 doit être interprété de manière restrictive eu égard à sa base juridique, à savoir l’article 93 CE, qui ne permet ni de poursuivre d’autres objectifs que ceux relevant du droit fiscal ni de restreindre la poursuite de tels autres objectifs. Les États membres auraient donc le droit de fixer le niveau de protection de la santé publique qu’ils jugent approprié ainsi que les mesures adéquates et nécessaires pour atteindre ce niveau, au nombre desquelles pourrait figurer l’imposition de prix minimaux pour les produits du tabac. Par conséquent, la liberté des fabricants et des importateurs de fixer les prix des tabacs manufacturés ne pourrait être exercée que dans les limites fixées par les politiques de santé publique des États membres.

23

En outre, la directive 95/59 devrait être interprétée à la lumière des nouvelles évolutions juridiques, à savoir, d’une part, l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention OMS et, d’autre part, le point 7 de la recommandation 2003/54. Or, celles-ci, qui permettraient le recours à des mécanismes de prix minimaux, ne seraient pas prises en compte dans la jurisprudence de la Cour en la matière.

24

La République d’Autriche soutient, enfin, que les mécanismes prévus par les directives en matière de droits d’accise sur les tabacs manufacturés ne permettent pas aux États membres d’utiliser l’accise comme un instrument visant à assurer un niveau des prix suffisamment élevé pour en décourager la consommation. En effet, d’une part, ces directives limiteraient la possibilité de relever l’accise uniquement pour les cigarettes dont les prix de vente au détail sont les plus bas, sans affecter en même temps l’imposition d’autres classes de cigarettes. D’autre part, les fabricants et les importateurs pourraient décider de ne pas répercuter sur le prix final l’augmentation de la pression fiscale. En outre, une telle augmentation serait susceptible de provoquer une croissance du commerce transfrontalier illégal.

Appréciation de la Cour

25

Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, qu’il résulte du troisième considérant de la directive 95/59 que celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une politique d’harmonisation des structures de l’accise sur les tabacs manufacturés ayant pour but d’éviter que la concurrence entre différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit faussée et, ainsi, de réaliser l’ouverture des marchés nationaux des États membres.

26

À cet effet, l’article 8, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les cigarettes fabriquées dans la Communauté et celles importées de pays tiers sont soumises dans chaque État membre à une accise proportionnelle calculée sur le prix maximal de vente au détail, droits de douane inclus, ainsi qu’à une accise spécifique calculée par unité de produit (arrêt Commission/Grèce, précité, point 19).

27

Il résulte, en outre, du septième considérant de la directive 95/59 que les impératifs de la concurrence impliquent un régime de prix formés librement pour tous les groupes de tabacs manufacturés.

28

À cet égard, l’article 9, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les fabricants ou, le cas échéant, leurs représentants ou mandataires dans la Communauté ainsi que les importateurs de pays tiers déterminent librement le prix maximal de vente au détail pour chacun de leurs produits, ce afin de garantir que la concurrence puisse effectivement jouer entre eux (arrêt Commission/Grèce, précité, point 20). Cette disposition vise à assurer que la détermination de l’assiette de l’accise proportionnelle sur les produits du tabac, à savoir le prix maximal de vente au détail de ces produits, soit soumise aux mêmes règles dans tous les États membres. Elle vise également, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 40 de ses conclusions, à préserver la liberté des opérateurs susmentionnés, qui leur permet de bénéficier effectivement de l’avantage concurrentiel résultant d’éventuels prix de revient inférieurs.

29

Or, l’imposition d’un prix minimal de vente au détail par les autorités publiques a pour effet que le prix maximal de vente au détail déterminé par les producteurs et les importateurs ne pourra pas, en toute hypothèse, être inférieur à ce prix minimal obligatoire. Une réglementation imposant un tel prix minimal est donc susceptible de porter atteinte aux relations concurrentielles en empêchant certains de ces producteurs ou importateurs de tirer avantage de prix de revient inférieurs afin de proposer des prix de vente au détail plus attractifs.

30

Par conséquent, un système de prix minimal de vente au détail des produits du tabac manufacturé ne saurait être considéré comme compatible avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59 pour autant qu’il n’est pas aménagé de façon à exclure, en toute hypothèse, qu’il soit porté atteinte à l’avantage concurrentiel qui pourrait résulter, pour certains producteurs ou importateurs de tels produits, de prix de revient inférieurs et que, partant, une distorsion de la concurrence se produise (voir arrêts du 4 mars 2010, Commission/France, C-197/08, Rec. p. I-1599, point 38, et Commission/Irlande, C-221/08, Rec. p. I-1669, point 41).

31

C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la réglementation nationale en cause.

32

Cette réglementation impose aux producteurs et aux importateurs actifs sur le marché autrichien un prix minimal de vente au détail des cigarettes, fixé à 92,75% du prix moyen pondéré de la totalité des cigarettes vendues au cours de l’année civile écoulée, ainsi que du tabac fine coupe, fixé à 90% du prix moyen pondéré par gramme de la totalité des tabacs fine coupe vendus au cours de l’année civile écoulée.

33

Ce régime ne permet pas d’exclure, en toute hypothèse, que les prix minimaux imposés portent atteinte à l’avantage concurrentiel qui pourrait résulter, pour certains producteurs ou importateurs de produits du tabac, de prix de revient inférieurs. Au contraire, ainsi que la Commission l’a relevé lors de l’audience, sans être démentie sur ce point par la République d’Autriche, un tel régime, qui, en outre, détermine le prix minimal par référence au prix moyen pratiqué sur le marché, est susceptible d’avoir pour effet de supprimer les écarts entre les prix des produits concurrents et de faire converger ces prix vers le prix du produit le plus cher. Ledit régime porte donc atteinte à la liberté des producteurs et des importateurs de déterminer leur prix maximal de vente au détail, garantie par l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 95/59.

34

S’agissant de la convention OMS, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 50 et 51 de ses conclusions, cette convention n’impose aux parties contractantes aucune obligation concrète au regard de la politique des prix en matière de produits du tabac, et ne fait que décrire les solutions possibles pour tenir compte des objectifs nationaux de santé en ce qui concerne la lutte antitabac. En effet, l’article 6, paragraphe 2, de cette convention se borne à prévoir que les parties contractantes adoptent ou maintiennent des mesures «pouvant comprendre» l’application de politiques fiscales et, «le cas échéant», de politiques des prix concernant les produits du tabac.

35

De même, aucune indication concrète en ce qui concerne le recours à des systèmes de prix minimaux ne peut être déduite de la recommandation 2003/54, laquelle est, par ailleurs, dépourvue de force contraignante. En effet, le passage auquel se réfère la République d’Autriche traduit simplement l’idée que les prix élevés des produits du tabac ont pour effet d’en décourager la consommation.

36

En tout état de cause, ainsi qu’il résulte du point 30 du présent arrêt, la directive 95/59 ne s’oppose pas à une politique des prix dès lors que celle-ci ne va pas à l’encontre des objectifs de ladite directive, notamment celui d’exclure une distorsion de la concurrence des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe.

37

La République d’Autriche fait également valoir que le régime de prix minimaux en cause est justifié par l’objectif de protection de la santé et de la vie des personnes prévu à l’article 30 CE. Selon cet État membre, l’augmentation du niveau des taxes ne serait pas susceptible de garantir des prix suffisamment élevés des produits du tabac, parce que cette augmentation pourrait être absorbée par les producteurs ou les importateurs en sacrifiant une partie de leur marge bénéficiaire, voire en vendant à perte.

38

Il convient de relever, à cet égard, que l’article 30 CE ne saurait être compris comme autorisant des mesures d’une nature autre que les restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation ainsi que les mesures d’effet équivalent envisagées aux articles 28 CE et 29 CE (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2002, Commission/France, précité, point 33). Or, en l’espèce, la Commission n’a pas invoqué une violation de ces dernières dispositions.

39

Il n’en demeure pas moins que la directive 95/59 n’empêche pas la République d’Autriche de poursuivre la lutte contre le tabagisme, qui s’inscrit dans l’objectif de protection de la santé publique.

40

De même, il ne saurait être soutenu que cet objectif n’est pas pris en compte dans le cadre de cette directive parce que celle-ci est adoptée sur la base de l’article 93 CE.

41

En effet, ainsi qu’il est mentionné au septième considérant de la directive 2002/10, dernier acte modificatif de la directive 95/59/CE, dont l’article 9 est toutefois demeuré inchangé, le traité CE, et en particulier l’article 152, paragraphe 1, premier alinéa, CE, exige que la définition ainsi que la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la Communauté assurent un niveau élevé de protection de la santé humaine.

42

Il est également précisé à ce même considérant que le niveau de taxation est un élément fondamental du prix des produits du tabac, qui, à son tour, influence les habitudes tabagiques des consommateurs. De même, la Cour a déjà jugé que, s’agissant des produits du tabac, la réglementation fiscale constitue un instrument important et efficace de lutte contre la consommation de ces produits et, partant, de protection de la santé publique (arrêt du 5 octobre 2006, Valeško, C-140/05, Rec. p. I-10025, point 58) et que l’objectif d’assurer que les prix desdits produits soient fixés à des niveaux élevés peut adéquatement être poursuivi par une taxation accrue de ces produits, les augmentations des droits d’accise devant tôt ou tard se traduire par une majoration des prix de vente au détail, sans que cela porte atteinte à la liberté de détermination des prix (voir, en ce sens, arrêt Commission/Grèce, précité, point 31).

43

En outre, si les États membres souhaitent éliminer définitivement toute possibilité pour les producteurs ou les importateurs d’absorber, même de façon temporaire, l’impact des taxes sur les prix de vente au détail des tabacs manufacturés en vendant ceux-ci à perte, il leur est notamment loisible, tout en permettant ainsi auxdits producteurs et importateurs de bénéficier effectivement de l’avantage concurrentiel résultant d’éventuels prix de revient inférieurs, d’interdire la vente des produits du tabac manufacturé à un prix inférieur à la somme du prix de revient et de l’ensemble des taxes (voir arrêts précités du 4 mars 2010, Commission/France, point 53, et Commission/Irlande, point 55).

44

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours de la Commission doit être accueilli.

45

Il convient, par conséquent, de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation par laquelle les pouvoirs publics fixent des prix minimaux pour la vente au détail des cigarettes et du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59.

Sur les dépens

46

En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

 

1)

En adoptant et en maintenant en vigueur une législation par laquelle les pouvoirs publics fixent des prix minimaux pour la vente au détail des cigarettes et du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés, telle que modifiée par la directive 2002/10/CE du Conseil, du 12 février 2002.

 

2)

La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.

Top