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Dokument 62007TJ0461

    Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 14 avril 2011.
    Visa Europe Ltd et Visa International Service contre Commission européenne.
    Concurrence - Ententes - Marché des services d’acquisition des transactions effectuées par cartes de crédit ou de débit différé - Décision constatant une infraction à l’article 81 CE - Restriction de la concurrence - Concurrent potentiel - Amendes - Circonstances atténuantes - Délai raisonnable - Sécurité juridique - Droits de la défense.
    Affaire T-461/07.

    Recueil de jurisprudence 2011 II-01729

    Identifikátor ECLI: ECLI:EU:T:2011:181

    Affaire T-461/07

    Visa Europe Ltd et
    Visa International Service

    contre

    Commission européenne

    « Concurrence — Ententes — Marché des services d’acquisition des transactions effectuées par cartes de crédit ou de débit différé — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Restriction de la concurrence — Concurrent potentiel — Amendes — Circonstances atténuantes — Délai raisonnable — Sécurité juridique — Droits de la défense »

    Sommaire de l'arrêt

    1.      Procédure — Requête introductive d'instance — Exigences de forme

    (Statut de la Cour de justice, art. 21; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c))

    2.      Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire — Respect des droits de la défense — Entreprises mises en mesure de faire connaître leur point de vue sur les faits, griefs et circonstances allégués par la Commission

    (Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 27, § 1)

    3.      Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Critères d'appréciation — Examen des conditions de concurrence sur le marché — Prise en compte de la concurrence actuelle et potentielle

    (Art. 81, § 1 et 3, CE)

    4.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Décision nécessitant une appréciation économique ou technique complexe — Contrôle juridictionnel — Portée

    (Art. 81, § 1, CE )

    5.      Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Notion

    (Art. 81 § 1 CE)

    6.      Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Qualification d'une entreprise de concurrent potentiel — Critères — Élément essentiel — Capacité de l'entreprise à intégrer le marché pertinent

    (Art. 81, § 1, CE)

    7.      Concurrence — Ententes — Preuve — Appréciation de la valeur probante d'un document — Critère — Crédibilité des preuves produites

    (Art. 81, § 1, CE)

    8.      Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Qualification d'une entreprise de concurrent potentiel — Capacité d'intégration rapide du marché en cause — Notion d'intégration rapide

    (Art. 81 § 1 CE; communication de la Commission 2001/C 3/02)

    9.      Concurrence — Amendes — Accord notifié dans le cadre du règlement nº 17 et bénéficiant de l'immunité d'amende — Caducité de la notification et disparition de l'immunité d'amende à compter de l'entrée en vigueur du règlement nº 1/2003

    (Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 5, et nº 1/2003, art. 34, § 1)

    10.    Concurrence — Amendes — Montant — Marge d'appréciation réservée à la Commission — Adaptation du niveau des amendes

    (Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23)

    11.    Concurrence — Amendes — Pouvoir d'appréciation de la Commission — Appréciation en fonction du comportement individuel de l'entreprise

    (Art. 81, § 1, CE)

    12.    Concurrence — Amendes — Décision infligeant des amendes — Obligation de motivation — Portée — Indication des éléments d'appréciation ayant permis à la Commission de mesurer la gravité et la durée de l'infraction

    (Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C)

    13.    Droit communautaire — Principes — Protection de la confiance légitime — Notion — Déclarations de la Commission « laissant entendre » — Exclusion

    14.    Concurrence — Procédure administrative — Obligations de la Commission — Respect d'un délai raisonnable — Annulation de la décision constatant une infraction en raison d'une durée excessive de la procédure — Condition — Atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées

    (Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 41, § 1; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 25)

    15.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Lignes directrices arrêtées par la Commission — Circonstances atténuantes

    (Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

    16.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Critères d'appréciation — Impact sur le marché — Étendue du marché géographique

    (Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23 § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

    17.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Marge d'appréciation de la Commission pour effectuer une appréciation globale

    (Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3)

    1.      En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Si le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête.

    En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale.

    Un rapport d’expertise collectif figurant en annexe à la requête, auquel les parties requérantes font référence dans le cadre de leur critique de la décision de la Commission, ne peut être pris en compte par le Tribunal que dans la mesure où il étaye ou complète les moyens ou arguments expressément invoqués par les requérantes dans le corps de leurs écritures et où il est possible de déterminer avec précision quels sont les éléments qu’il contient qui étayent ou complètent lesdits moyens ou arguments.

    (cf. points 50-51, 53)

    2.      Dans le cadre d'une procédure administrative en matière de concurrence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Le respect des droits de la défense dans une procédure susceptible d’aboutir à des sanctions exige, en effet, que les entreprises et les associations d’entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission. Cette exigence est respectée lorsque la décision constatant une infraction à l'article 81 CE ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l’exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer.

    En outre, pour faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d’invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d’espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n’ont pas eu l’occasion d’être entendues. Dès lors que, dans la communication des griefs, la Commission s'est fondée sur certaines caractéristiques du marché, et, notamment, son importante concentration, pour conclure que la concurrence y était limitée et que, en réponse aux observations des parties requérantes, elle a indiqué, dans sa décision, que la concurrence sur le marché n'était pas inefficace et qu'elle pouvait encore être intensifiée, elle n'a pas énoncé un grief nouveau ni ne s'est fondée sur un élément de fait nouveau, mais s'est bornée à compléter son analyse en prenant en compte les observations des requérantes. Ainsi, cette évolution dans la motivation de la décision attaquée par rapport à celle figurant initialement dans la communication des griefs, loin d'être la manifestation d'une violation des droits de la défense des parties requérantes, démontre, au contraire, que celles-ci ont été en mesure de faire valoir leur point de vue sur le grief retenu par la Commission.

    (cf. points 56, 58-62)

    3.      L’appréciation d’un accord, d’une décision d’association d’entreprises ou d’une pratique concertée au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE doit tenir compte du cadre concret dans lequel ils déploient leurs effets, et notamment du contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, de la nature des produits ou des services visés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché concerné, à moins qu’il ne s’agisse d’un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés. En effet, dans ce dernier cas, ce n’est que dans le cadre de l’article 81, paragraphe 3, CE que de telles restrictions peuvent être mises en balance avec leurs effets prétendument favorables à la concurrence, en vue de l’octroi d’une exemption de l’interdiction contenue au paragraphe 1 du même article.

    L’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies.

    Par ailleurs, si un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l’effet, il convient d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord, de la décision d’association d’entreprises ou de la pratique concertée en cause.

    (cf. points 67-69, 81, 125, 130)

    4.      Si le juge de l’Union exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. Toutefois, la reconnaissance à la Commission d’une marge d’appréciation n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.

    Dès lors que la structure du marché des services d’acquisition des transactions effectuées par cartes de crédit ou de débit différé à des commerçants, en dépit des facteurs que la Commission a retenus comme étant favorables à l’accès d’un nouvel entrant, rend peu plausible son intégration par un établissement financier par le biais d’un accord de façade qui le désavantagerait d’emblée par rapport à ses principaux concurrents établis sur ledit marché, la conclusion de la Commission écartant l’hypothèse d’une telle entrée est suffisamment justifiée par les considérations tenant à la difficulté de trouver un partenaire de façade et par celles tenant à la complexité et aux coûts supplémentaires engendrés par de tels accords, et ne fait pas application d’un critère juridique erroné.

    (cf. points 70, 110-111)

    5.      La circonstance que la Commission ait reconnu que la concurrence sur le marché en cause n'est pas « inefficace » ne l'empêche pas de sanctionner un comportement ayant pour effet d'exclure un concurrent potentiel de ce marché. D'une part, dans la mesure où l'article 81 CE vise, à l'instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais également la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle, la Commission a pu valablement se fonder sur le degré élevé de concentration du marché en cause. D'autre part, l'analyse des effets d'un comportement sur la concurrence potentielle ne saurait être conditionnée à l'examen du degré de concurrence existant actuellement sur le marché en cause. Une telle approche serait en contradiction avec la jurisprudence constante imposant que l'examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle.

    (cf. points 121-131)

    6.      En ce qui concerne les critères juridiques devant être appliqués aux fins de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur le marché en cause, la Commission se doit de vérifier si, en l'absence d'application à cette entreprise d'une règle contestée sur la base de l'article 81, paragraphe 1, CE, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intègre ledit marché et concurrence les entreprises qui y sont établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable. Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché.

    (cf. points 166-168)

    7.      S’agissant de la force probante qu’il convient de reconnaître à des documents, dans le cadre de la constatation d'une infraction aux règles de concurrence, il y a lieu de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité. Ainsi, pour apprécier la force probante d’un élément de preuve, il convient en premier lieu de vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable.

    (cf. point 182)

    8.      La Commission ne commet pas d'erreur de droit en qualifiant un opérateur économique de concurrent potentiel dans la mesure où, d’une part, ses appréciations relatives à la capacité de cet opérateur à intégrer le marché en cause ne sont pas contestées et où, d’autre part, l’hypothèse d’une entrée dudit opérateur sur le marché en cause ne revêt pas un caractère purement théorique. Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que la Commission n’a pas fourni d’estimation du délai qu’il aurait fallu à cet opérateur pour intégrer le marché en cause, et cela en apparente contradiction avec la définition figurant dans les lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 81 CE aux accords de coopération horizontale, qui se réfèrent à un délai d’un an. Il ressort en effet de la lecture de la définition, figurant à la note en bas de page nº 9 de ces lignes directrices, que l’élément essentiel est la nécessité que l’entrée potentielle puisse se faire suffisamment rapidement aux fins de peser sur les participants au marché, le délai d’un an n’étant présenté qu’à titre indicatif.

    (cf. points 187-189)

    9.      La possibilité pour la Commission d’imposer une amende à l’égard d’un accord ayant fait l’objet d’une notification dans le cadre du règlement nº 17 découle de l’article 34, paragraphe 1, du règlement nº 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, qui précise que les notifications deviennent caduques à compter de sa date d’application. Il en résulte nécessairement que l’immunité d’amende pour les accords notifiés en vertu de l’article 15, paragraphe 5, du règlement nº 17 cesse avec l’entrée en vigueur du règlement nº 1/2003. Dès lors, la Commission est, en toute hypothèse, en droit d’infliger une amende aux requérantes pour la poursuite du comportement litigieux, postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement nº 1/2003.

    (cf. point 211)

    10.    La Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes, dès lors que celles-ci constituent un instrument de la politique de concurrence. S’agissant de la circonstance que la Commission n’aurait, dans le passé, pas imposé d’amendes en ce qui concerne des restrictions de concurrence par effet, celle-ci ne saurait la priver de la possibilité d’imposer une amende, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence. Au contraire, l’application efficace des règles de la concurrence exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

    (cf. points 212-213)

    11.    C’est dans le cadre particulier de chaque affaire que la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, décide de l’opportunité d’infliger une amende afin de sanctionner l’infraction constatée et de préserver l’efficacité du droit de la concurrence. En tout état de cause, à supposer que la Commission, dans le passé, ait eu tort de ne pas imposer d’amendes à des entreprises dans des affaires similaires, l’argumentation revenant à invoquer au profit d'entreprises sanctionnées pour violation des règles de concurrence une illégalité commise en faveur d’autrui serait contraire au principe de légalité.

    (cf. points 218-219)

    12.    En ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de violations du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende. De tels éléments portant sur la gravité et la durée du comportement reproché aux parties requérantes, s’ils concernent au premier chef la détermination du montant de l’amende, sont également de nature à permettre de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a estimé qu’il était opportun d’infliger une amende.

    (cf. points 221, 288)

    13.    Dans une procédure relative à la constatation d'une infraction en application de l'article 81 CE, le principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration a fait naître chez lui des espérances fondées, étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l’administration. Ne sauraient être qualifées de telles assurances des « déclarations laissant entendre » que la Commission ne considérait pas un cas déterminé comme une affaire dans laquelle elle infligerait une amende.

    (cf. points 223-224)

    14.    L’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge assure le respect. Ce principe est repris dans l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La violation de ce principe peut conduire à l’annulation de la décision constatant une infraction à l'article 81 CE, à la condition qu’elle ait affecté la capacité des entreprises en cause à défendre leur position et, partant, ait porté atteinte à leurs droits de la défense. Toutefois, tel n'est pas le cas lorsque, d'une part, les parties requérantes ne soutiennent pas que la durée de la procédure administrative ait porté atteinte à leurs droits de la défense et que, d'autre part, la période s’écoulant entre la cessation de l’infraction et la décision attaquée infligeant l’amende est d’une durée inférieure aux délais de prescription prévus à l’article 25 du règlement nº 1/2003. En effet, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée.

    (cf. points 231-234, 238, 298 )

    15.    En matière de détermination du montant d'une amende infligée pour infraction aux règles de concurrence, la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est imposées. En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans ce domaine, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées.

    Aux fins de vérifier si la Commission était tenue d’accorder aux parties requérantes le bénéfice de la circonstance atténuante tirée de l’existence d’un doute raisonnable quant au caractère infractionnel du comportement sanctionné, dans le cas où l’amende n’a pas été infligée sur la base de l’ensemble de la période infractionnelle, mais seulement à compter de la date de la communication des griefs, il importe de tenir compte du fait que c'est à compter de cette date que la Commission a formulé des objections à l’égard du comportement litigieux en expliquant les raisons pour lesquelles elle estimait qu’il contrevenait à l’article 81 CE. Partant, à compter de cette date, les parties requérantes ne peuvent plus soutenir ne pas avoir eu conscience d’enfreindre l’article 81 CE.

    (cf. points 246, 250-252, 297)

    16.    En matière de concurrence, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et au regard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

    (cf. points 266, 268)

    17.    En matière de concurrence, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes relevant du point 3 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA doit être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes. En l’absence d’une indication de nature impérative dans lesdites lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

    (cf. point 303)







    ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

    14 avril 2011(*)

    « Concurrence – Ententes – Marché des services d’acquisition des transactions effectuées par cartes de crédit ou de débit différé – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Restriction de la concurrence – Concurrent potentiel – Amendes – Circonstances atténuantes – Délai raisonnable – Sécurité juridique – Droits de la défense »

    Dans l’affaire T-461/07,

    Visa Europe Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

    Visa International Service, établie à Wilmington, Delaware (États-Unis),

    représentées initialement par M. S. Morris, QC, Mmes H. Davies et A. Howard, barristers, Mmes V. Davies et H. Masters, solicitors, puis par MM. Morris et P. Scott, solicitor, Mmes Howard, V. Davies et C. Thomas, solicitor,

    parties requérantes,

    contre

    Commission européenne, représentée initialement par MM. F. Arbault, N. Khan et V. Bottka, puis par MM. Khan et Bottka, en qualité d’agents,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2007) 4471 final de la Commission, du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/D1/37860 – Morgan Stanley/Visa International et Visa Europe), et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée aux requérantes par ladite décision,

    LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

    composé de MM. M. Jaeger, président, V. Vadapalas et M. Prek (rapporteur), juges,

    greffier : M. N. Rosner, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mai 2010,

    rend le présent

    Arrêt

     Faits à l’origine du litige

    1        Visa International Service, enregistrée aux États-Unis, est une personne morale à but lucratif, détenue par les établissements financiers qui en sont membres (ci-après « Visa International »). Visa International gère et coordonne le réseau international de paiement par carte du même nom (ci-après le « système Visa »), ce qui inclut notamment la fixation des règles du réseau ainsi que la fourniture aux établissements membres des services d’autorisation et de compensation. Les activités d’émission de cartes Visa et la conclusion d’accords d’affiliation avec des commerçants pour l’acceptation de ces cartes relèvent de la responsabilité des établissements financiers membres.

    2        Morgan Stanley (anciennement Morgan Stanley Dean Witter & Co., ci-après « Morgan Stanley ») est un établissement financier enregistré aux États-Unis, pays dans lequel il était propriétaire tout au long de la procédure administrative du réseau Discover Card/Novus fonctionnant avec les cartes Discover (ci-après le « système Discover »).

    3        Le 23 février 1999, Morgan Stanley a créé une filiale au Royaume-Uni, dénommée Morgan Stanley Bank International Ltd.

    4        Le 22 mars 2000, Morgan Stanley a été informée qu’elle n’était pas éligible à la qualité de membre de la région « Union européenne » de Visa International.

    5        Le 12 avril 2000, Morgan Stanley a introduit une plainte, en vertu de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), reprochant une infraction aux articles 81 CE et 82 CE en refusant de l’admettre en tant que membre de la région « Union européenne » de Visa International. Parallèlement, Morgan Stanley a introduit une action visant le même comportement devant la High Court of Justice (England & Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles)]. Cette action a été suspendue jusqu’à l’issue de la procédure devant la Commission européenne.

    6        La plainte de Morgan Stanley portait sur l’application à son égard de la règle 2.12, sous b), des statuts de Visa International (ci-après la « Règle ») dont les différentes versions ont été notifiées à la Commission. Depuis le 4 décembre 1989, la Règle est rédigée de la manière suivante : « [s]i la législation applicable le permet, le conseil d’administration (y compris les conseils régionaux et les membres du groupe) n’acceptera pas comme membre un candidat qu’il considère comme un concurrent de la société ».

    7        Avant le 1er juillet 2004, le pouvoir décisionnel s’agissant de la région « Union européenne » de Visa International – qui, outre les États membres de l’Union européenne, englobe l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse, la Turquie et Israël – était délégué au conseil d’administration régional de Visa international pour l’Union européenne. Depuis le 1er juillet 2004, ce pouvoir est désormais exercé par Visa Europe Ltd, dont le conseil régional a autorité exclusive pour réglementer toutes questions au sein de la région « Union européenne » et, notamment, décider de l’opportunité d’accepter ou de refuser toute demande d’octroi de la qualité de membre de Visa Europe. Depuis octobre 2004, la Règle est reprise à la clause 5, paragraphe 3, du règlement d’adhésion de Visa Europe.

    8        Le 2 août 2004, la Commission a adressé une communication des griefs à Visa International et à Visa Europe (ci-après les « requérantes »), pour violation de l’article 81 CE. Le 3 décembre 2004, les requérantes ont transmis des observations écrites en réponse aux griefs retenus par la Commission. À cette occasion, elles ont demandé à bénéficier d’une audition, demande dont elles se sont désistées le 5 avril 2005.

    9        Les 1er et 2 septembre, 19 novembre, 17 décembre 2004 et 12 janvier 2007, les requérantes ont eu accès au dossier de la Commission.

    10      Le 15 octobre 2004, la Commission a communiqué une version non confidentielle de la communication des griefs à Morgan Stanley. Le 22 octobre 2004, Morgan Stanley a soumis ses observations écrites sur la communication des griefs. Le 23 février 2005, celles-ci ont fait l’objet de commentaires de la part des requérantes.

    11      Le 23 décembre 2004, la Commission a adressé aux requérantes une première lettre exposant les faits en cause (ci-après la « première lettre d’exposé des faits »), à laquelle les requérantes ont répondu par courriers des 14 janvier et 23 février 2005.

    12      Le 6 juillet 2006, la Commission a adressé aux requérantes une seconde lettre exposant les faits en cause (ci-après la « seconde lettre d’exposé des faits »), à laquelle les requérantes ont répondu par courrier du 22 septembre 2006.

    13      Le 21 septembre 2006, un accord est intervenu entre Morgan Stanley et les requérantes, reconnaissant la qualité de membre de Visa Europe à Morgan Stanley et prévoyant le retrait de la plainte déposée auprès de la Commission, ainsi que l’abandon de la procédure introduite devant la High Court of Justice.

    14      Le 22 septembre 2006, Morgan Stanley est devenu membre de Visa Europe et a retiré la plainte qu’elle avait déposée auprès de la Commission. La Commission a, cependant, estimé qu’elle conservait un intérêt légitime à adopter une décision sanctionnant le comportement anticoncurrentiel des requérantes.

     Décision attaquée

    15      Le 3 octobre 2007, la Commission a adopté la décision C (2007) 4471 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/D1/37860 – Morgan Stanley/Visa International et Visa Europe) (ci-après la « décision attaquée »), dont les éléments essentiels sont reproduits ci-après.

    A –  Définition du marché pertinent

    16      La Commission a estimé que les services fournis dans le cadre d’un réseau de cartes de paiement peuvent être subdivisés en trois groupes distincts :

    –        les services fournis par un réseau de cartes de paiement à des institutions financières, dans le cadre desquels les différents réseaux de cartes de paiement se font concurrence ;

    –        les services fournis par les banques émettrices de cartes de paiement aux titulaires de celles-ci ;

    –        les services d’acquisition des transactions fournis aux commerçants.

    17      Elle en a déduit que trois marchés distincts pouvaient être différenciés : un marché en amont, constitué par les services de réseaux, au sein duquel les réseaux de cartes fournissent des services aux diverses institutions financières ; un premier marché en aval, dans lequel les émetteurs de cartes de paiement se font concurrence entre eux pour émettre des cartes et fournir des services connexes aux particuliers (ci-après le « marché de l’émission ») ; un second marché en aval, dans lequel les acquéreurs de transactions effectuées avec des cartes se font concurrence aux fins de conclure avec les commerçants un contrat couvrant l’ensemble des services requis pour que ceux-ci puissent accepter les cartes (ci-après le « marché de l’acquisition »).

    18      Tout en soulignant que la Règle pouvait avoir des effets de restriction de la concurrence sur les deux marchés situés en aval, la Commission a déclaré s’être fondée uniquement sur le marché de l’acquisition, dans lequel les effets restrictifs de la Règle sur la concurrence auraient été les plus sensibles .

    19      Dès lors, la Commission a défini le marché pertinent comme étant celui des services d’acquisition des transactions effectuées par cartes de crédit ou de débit différé à des commerçants  au Royaume-Uni (ci-après le « marché pertinent » ou le « marché en cause »).

    B –  Comportement reproché

    20      Au considérant 25 de la décision attaquée, la Commission a souligné que le comportement reproché aux requérantes n’était pas la Règle en elle-même, mais son application à Morgan Stanley (ci-après le « comportement litigieux »).

    C –  Application de l’article 81 CE

    21      Aux fins d’arriver à la conclusion que le comportement litigieux relevait du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, en premier lieu, la Commission a, estimé que les règles et règlements qui définissent le cadre de fonctionnement du système Visa (y compris les statuts de Visa International et le règlement d’adhésion de Visa Europe qui contiennent la Règle) et la décision de les appliquer à une entreprise pouvaient être considérés soit comme un accord entre entreprises, soit comme une décision d’association d’entreprises. Elle s’est fondée sur les circonstances que, d’une part, les requérantes et leurs membres respectifs exercent des activités économiques et, partant, sont des entreprises au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et, d’autre part, les requérantes sont des « organisations associatives » (membership organisations).

    22      En second lieu, elle a retenu que le comportement litigieux avait produit des effets anticoncurrentiels en ce que le refus d’admettre Morgan Stanley au sein de la région « Union européenne » de Visa International puis au sein de Visa Europe (ci-après, pris ensemble, au sein de « Visa ») a eu pour conséquence d’empêcher un concurrent potentiel d’intégrer un marché marqué par un degré élevé de concentration et dans lequel la concurrence, sans être inefficace, aurait pu être intensifiée.

    23      À cet égard, la Commission a noté que le refus d’admettre Morgan Stanley dans Visa ne l’avait pas seulement empêchée d’acquérir des transactions effectuées avec des cartes Visa, mais l’avait, plus généralement, exclue de l’ensemble du marché de l’acquisition, en ce compris celle des transactions effectuées avec des cartes MasterCard. La Commission s’est fondée sur la circonstance que les commerçants souhaitent conclure des contrats d’affiliation pour les cartes les plus répandues au Royaume-Uni, Visa et MasterCard, avec un seul et même acquéreur.

    24      La Commission a analysé dans la décision attaquée la possibilité, évoquée par les requérantes, pour Morgan Stanley d’intervenir sur le marché de l’acquisition en concluant un « accord de façade » avec un établissement financier membre de Visa. La Commission a défini l’accord de façade, en substance, comme visant les circonstances dans lesquelles le membre de Visa, le partenaire de façade, a cessé ses activités d’affiliation de commerçants et agit comme une simple interface entre Visa et un tiers acquéreur, également qualifié d’acquéreur de fait, qui assume la responsabilité de presque tous les éléments du service d’acquisition et supporte le risque relatif au flux de revenus du commerçant. Elle en a conclu que la conclusion d’un accord de façade ne constituait pas, pour une banque internationale telle Morgan Stanley, un moyen efficace d’intégrer le marché pertinent.

    25      En réponse aux différents arguments avancés par les requérantes au cours de la procédure administrative aux fins de justifier le comportement litigieux, la Commission a considéré qu’il n’était pas réaliste de considérer que Morgan Stanley serait en mesure d’étendre son système Discover dans l’Union et ainsi de concurrencer Visa, une fois active sur ce marché. De même, pour la Commission, le refus d’admettre Morgan Stanley ne saurait être justifié par le souci d’éviter l’éventuel « parasitisme » (free-riding) d’un concurrent direct de Visa, qui serait ainsi en mesure d’accéder à des informations confidentielles. À cet égard, la Commission a noté que certains membres de Visa possédaient un système de cartes de crédit ou de paiement différé concurrençant directement Visa et que la Règle ne leur a pas été appliquée.

    26      La Commission a retenu que l’article 81, paragraphe 3, CE ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce.

    27      Enfin, la Commission a estimé qu’elle conservait un intérêt légitime à adopter une décision sanctionnant le comportement anticoncurrentiel des requérantes, en dépit de la cessation de cette infraction par l’admission de Morgan Stanley dans Visa, le 22 septembre 2006.

    D –  Calcul de l’amende

    28      Alors même que la Commission estime que l’infraction a débuté le 22 mars 2000 et a duré six ans et six mois, elle a pris comme point de départ pour le calcul de l’amende une période plus courte, s’étendant de la date de la communication des griefs, le 2 août 2004, à celle de l’admission de Morgan Stanley dans Visa, le 22 septembre 2006. Elle a estimé que l’infraction était grave et qu’il n’existait ni circonstances aggravantes, ni circonstances atténuantes.

    29      Les articles 1er et 2 du dispositif de la décision attaquée se lisent comme suit :

    « Article premier

    [Visa International] et [Visa Europe] ont violé – la première durant la période allant du 22 mars 2000 au 22 septembre 2006, et la seconde de sa création le 1er juillet 2004 jusqu’au 22 septembre 2006 – l’article 81, paragraphe 1, […] CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en refusant le statut de membre de Visa Europe à [Morgan Stanley].

    Article 2

    Pour l’infraction mentionnée à l’article 1er, une amende de 10 200 000 euros est infligée conjointement et solidairement à [Visa International] et à [Visa Europe]. »

     Procédure

    30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2007, les requérantes ont introduit le présent recours.

    31      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2009, les requérantes ont, d’une part, demandé en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal qu’il soit statué de manière liminaire sur la recevabilité de certains arguments et éléments de preuve et, d’autre part, proposé l’adoption de mesures d’organisation de la procédure, en application de l’article 64, paragraphe 4, du règlement de procédure.

    32      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 septembre 2009, la Commission a présenté ses observations sur les demandes des requérantes.

    33      Par ordonnance du 14 décembre 2009, le Tribunal (cinquième chambre) a joint au fond la demande des requérantes effectuée au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

    34      Par décision du président du Tribunal, la composition de la cinquième chambre du Tribunal a été modifiée aux fins de la présente procédure.

    35      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé des questions écrites à la Commission. La Commission y a répondu dans le délai imparti.

    36      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 20 mai 2010.

     Conclusions des parties

    37      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

    –        à titre principal, annuler la décision attaquée ;

    –        à titre subsidiaire, annuler l’article 2 de la décision attaquée ;

    –        à titre encore plus subsidiaire, réduire l’amende infligée dans la mesure nécessaire ;

    –        condamner la Commission aux dépens.

    38      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    –        rejeter le recours ;

    –        condamner les requérantes aux dépens.

     En droit

    A –  Sur la demande tendant à l’annulation de la décision attaquée

    39      À l’appui de cette demande les requérantes avancent trois moyens.

    40      Par leurs premier et troisième moyens les requérantes contestent l’analyse de la Commission selon laquelle le comportement litigieux aurait produit des effets restrictifs de concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

    41      Le deuxième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense des requérantes, en ce que le critère juridique utilisé par la Commission dans la décision attaquée aux fins d’apprécier les effets restrictifs du comportement litigieux serait différent de celui discuté au cours de la procédure administrative.

    1.     Questions liminaires 

    a)     Sur la recevabilité de certains arguments et d’un document

    42      Les requérantes, dans leurs écritures ainsi que par acte séparé du 24 juillet 2009, présenté au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, estiment que la Commission, tant dans la décision attaquée que dans ses écritures, se fonde sur des arguments et un document sur lesquels elles n’ont pas eu l’occasion de faire valoir leur point de vue au cours de la procédure administrative. Il s’agit, d’une part, des arguments portant sur l’existence d’une stratégie de Morgan Stanley basée sur l’acquisition auprès des commerçants des transactions effectuées avec les cartes qu’elle aurait émises (ci-après la « stratégie d’acquisition des transactions ‘on-us’ ») et, d’autre part, de l’annexe 57 de la seconde lettre d’exposé des faits, contenant une présentation de Morgan Stanley en vue de l’audition.

    43      En ce qui concerne les arguments liés à l’existence d’une stratégie d’acquisition des transactions « on-us », les requérantes soutiennent qu’ils n’ont pas été avancés par la Commission au cours de la procédure administrative.

    44      S’agissant de l’annexe 57 de la seconde lettre d’exposé des faits, elles font valoir, en substance, que celle-ci n’a pas été suffisamment portée à leur connaissance, dans la mesure où aucune référence à cette annexe ne figurait dans la corps même de ladite lettre.

    45      La Commission estime qu’elle était en droit, tant dans la décision attaquée que dans le cadre de ses écritures, de se fonder sur ces arguments et ce document.

    46      Le Tribunal analysera la recevabilité de ces arguments et de ce document à l’occasion de l’examen des différents moyens auxquels ils se rapportent.

    b)     Sur la recevabilité d’une annexe de la requête

    47      La Commission conteste la recevabilité de l’annexe A5 de la requête comprenant un rapport d’expertise collectif (ci-après le « rapport d’expertise collectif »).

    48      La Commission prétend que les requérantes font valoir dans le rapport d’expertise collectif des arguments qui ne figurent pas dans la requête et fait observer que cela est contraire à la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes.

    49      Selon les requérantes, les moyens et arguments au soutien desquels le rapport d’expertise collectif est avancé ont été suffisamment développés dans la requête et, partant, les dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure ont été respectées.

    50      En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Si le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête. En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, Rec. p. II‑3601, point 94, et la jurisprudence citée).

    51      En l’espèce, il apparaît, certes, que les différents moyens et arguments à l’appui desquels il est fait référence au rapport d’expertise collectif sont clairement identifiables dans le corps de la requête elle-même. Ainsi, les requérantes font référence à ce document dans le cadre de leur critique de l’analyse de la Commission selon laquelle la concurrence sur le marché en cause aurait pu être intensifiée, pour nier la pertinence des effets qu’auraient eu, dans le passé, sur la concurrence l’entrée d’un établissement financier sur le marché en cause et pour soutenir que c’est à tort que Morgan Stanley a été décrite par la Commission comme un acteur efficace, important et expérimenté.

    52      Toutefois, il y a lieu de constater que le rapport d’expertise collectif dépasse la fonction purement probatoire et instrumentale dévolue aux annexes. La lecture de celui-ci démontre qu’il ne se cantonne pas à étayer ou à compléter des éléments de fait ou de droit expressément invoqués dans le corps de la requête, mais qu’il introduit des arguments nouveaux .

    53      Par conséquent, l’annexe A5 de la requête ne sera prise en compte par le Tribunal que dans la mesure où elle étaye ou complète les moyens ou arguments expressément invoqués par les requérantes dans le corps de leurs écritures et où il est possible de déterminer avec précision quels sont les éléments qu’elle contient qui étayent ou complètent lesdits moyens ou arguments (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Microsoft/Commission, point 50 supra, point 99).

    2.     Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense des requérantes

    a)     Arguments des parties

    54      Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir modifié son analyse au cours de la procédure administrative, sans qu’elles aient eu l’occasion de faire valoir leur point de vue, ce qui constituerait une violation de leurs droits de la défense devant entraîner l’annulation de la décision attaquée. Dans les paragraphes 198 à 200 de la communication des griefs et dans les paragraphes 5 à 9 de la seconde lettre d’exposé des faits, la Commission aurait justifié l’existence d’effets sensibles sur la concurrence par le caractère limité de la concurrence sur le marché de l’acquisition. Or, au considérant 200 de la décision attaquée, elle aurait déclaré, pour la première fois, ne pas considérer que la concurrence soit inefficace sur ce marché. Les requérantes en déduisent que l’analyse de la Commission est fondée sur un critère énoncé pour la première fois dans la décision attaquée selon lequel bien que le marché de l’acquisition au Royaume-Uni connaisse une concurrence efficace, celle-ci pourrait encore être intensifiée.

    55      La Commission estime qu’il n’y a pas eu de violation du droit des requérantes d’être entendues.

    b)     Appréciation du Tribunal

    56      Selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 63). Le respect des droits de la défense dans une procédure susceptible d’aboutir à des sanctions telles que celle en cause exige en effet que les entreprises et les associations d’entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 553). Cette exigence est respectée lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l’exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer. Il en résulte que la Commission ne peut retenir que les griefs au sujet desquels ces derniers ont eu l’occasion de faire connaître leur point de vue (arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, point 47).

    57      Il ressort également d’une jurisprudence constante que la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs. La Commission doit en effet être en mesure de tenir compte, dans sa décision, des réponses des entreprises concernées à la communication des griefs. À cet égard, elle doit pouvoir non seulement accepter ou rejeter les arguments des entreprises concernées, mais aussi procéder à sa propre analyse des faits avancés par celles-ci soit pour abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés, soit pour aménager ou compléter, tant en fait qu’en droit, son argumentation à l’appui des griefs qu’elle maintient. Aussi, ce n’est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu’une violation des droits de la défense devra être constatée. Tel n’est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision finale ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les entreprises concernées s’étaient déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 191, et la jurisprudence citée).

    58      En outre, pour faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d’invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d’espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n’ont pas eu l’occasion d’être entendues. En effet, selon une jurisprudence constante, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, en ce qu’elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l’infraction reprochée aux entreprises concernées (voir arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 57 supra, point 192, et la jurisprudence citée).

    59      Dans les paragraphes 198 à 200 de la communication des griefs, la Commission s’est fondée sur certaines caractéristiques du marché, et, notamment, son importante concentration, pour conclure que la concurrence y était limitée, particulièrement en ce qui concerne l’acquisition des transactions effectuées auprès des commerçants de petite et moyenne dimensions.

    60      Dans leurs observations du 3 décembre 2004, les requérantes ont contesté cette analyse de la Commission en se référant, notamment, à la baisse du prix des frais imputés aux commerçants ou à la facilité pour les commerçants de changer d’acquéreur. C’est en réponse à ces observations que la Commission a indiqué, au considérant 200 de la décision attaquée, que la concurrence sur le marché n’était pas « inefficace » et qu’elle pouvait encore être intensifiée.

    61      Force est de constater que la Commission n’énonce pas, au considérant 200 de la décision attaquée, un grief nouveau à l’encontre des requérantes ni ne se fonde sur un élément de fait nouveau. Elle s’est bornée à compléter son analyse en prenant en compte les observations des requérantes, ainsi qu’elle est tenue de le faire en application de la jurisprudence citée aux points 56 et 57 ci-dessus.

    62      Ainsi, cette évolution dans la motivation de la décision attaquée par rapport à celle figurant initialement dans la communication des griefs, loin d’être la manifestation d’une violation des droits de la défense des requérantes, démontre, au contraire, que celles-ci ont été en mesure de faire valoir leur point de vue sur le grief retenu par la Commission, tiré de ce que, au regard du niveau de concurrence existant sur le marché en cause, le comportement litigieux avait eu des effets restrictifs de concurrence.

    63      La circonstance que la Commission se soit fondée dans la décision attaquée sur la possibilité d’intensifier la concurrence sur le marché pertinent ne constitue donc pas une violation des droits de la défense des requérantes.

    64      Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

    3.      Sur les premier et troisième moyens, contestant le caractère restrictif de concurrence du comportement litigieux

    65      Les requérantes contestent l’appréciation par la Commission des effets restrictifs de concurrence du comportement litigieux au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE. Par leur premier moyen, elles nient que le comportement litigieux ait eu pour conséquence de fermer le marché en cause à Morgan Stanley. Dans le cadre de leur troisième moyen, elles dirigent leurs critiques contre l’appréciation par la Commission des incidences sur la concurrence qu’aurait pu avoir la présence de Morgan Stanley sur ledit marché.

    66      Avant d’analyser le bien-fondé de ces deux moyens, il convient de souligner que les requérantes ne réitèrent pas, dans le cadre du présent recours, les arguments développés au cours de la procédure administrative, tirés de ce que l’application de la Règle à Morgan Stanley s’expliquait par la qualité de concurrent de Visa du système Discover, et ainsi ne remettent pas en cause les appréciations de la Commission contenues dans la décision attaquée niant le caractère objectivement justifié du comportement litigieux.

    67      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’appréciation d’un accord, d’une décision d’association d’entreprises ou d’une pratique concertée au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE doit tenir compte du cadre concret dans lequel ils déploient leurs effets, et notamment du contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, de la nature des produits ou des services visés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché concerné, à moins qu’il ne s’agisse d’un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés. En effet, dans ce dernier cas, ce n’est que dans le cadre de l’article 81, paragraphe 3, CE que de telles restrictions peuvent être mises en balance avec leurs effets prétendument favorables à la concurrence, en vue de l’octroi d’une exemption de l’interdiction contenue au paragraphe 1 du même article (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 136, et la jurisprudence citée).

    68      L’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêt European Night Services e.a./Commission, point 67 supra, point 137).

    69      Par ailleurs, si un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l’effet, il convient d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord, de la décision d’association d’entreprises ou de la pratique concertée en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, Rec. p. I‑3111, point 76, et la jurisprudence citée).

    70      S’agissant de la portée du contrôle juridictionnel sur les appréciations de la Commission, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, si le juge de l’Union exerce de manière générale un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt Deere/Commission, point 69 supra, point 34, et la jurisprudence citée). Toutefois, la reconnaissance à la Commission d’une marge d’appréciation n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt Microsoft/Commission, point 50 supra, point 89, et la jurisprudence citée).

    71      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé des deux moyens invoqués par les requérantes.

    a)      Sur le premier moyen, tiré de l’absence de prise en compte par la Commission de la possibilité pour Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause par le biais d’un accord de façade

     Arguments des parties

    72      Le présent moyen est présenté par les requérantes comme étant constitué de deux branches.

    73      Dans le cadre d’une première branche, les requérantes soutiennent que le raisonnement de la Commission est entaché d’une erreur de droit en raison de l’application d’un critère juridique erroné en ce qu’elle aurait écarté la possibilité d’une entrée de Morgan Stanley par le biais d’un accord de façade aux motifs qu’un tel accord, d’une part, ne garantirait pas en pratique à une banque telle Morgan Stanley l’efficacité requise pour intégrer le marché et, d’autre part, ne constituerait pas pour Morgan Stanley un substitut à l’acquisition en nom propre.

    74      Par la seconde branche, les requérantes font valoir que les différentes justifications avancées par la Commission sont viciées par des erreurs de fait et d’appréciation. Ainsi, en premier lieu, cela serait à tort que la Commission aurait considéré que les accords de façade ne sont pas utilisés par les grandes banques internationales.

    75      En deuxième lieu, l’argument tiré de ce qu’un accord de façade n’aurait pas permis à Morgan Stanley de poursuivre une stratégie fondée sur l’intégration des activités d’acquisition et d’émission serait erroné. Par ailleurs, cet argument, en ce qu’il porte sur une stratégie d’acquisition des transactions « on-us », devrait être déclaré irrecevable, dans la mesure où a été mentionné pour la première fois dans la décision attaquée et n’a pas été porté à la connaissance des requérantes au cours de la procédure administrative.

    76      En troisième lieu, cela serait à tort que la Commission a conclu qu’il aurait été difficile à Morgan Stanley de trouver un partenaire de façade. La Commission aurait, premièrement, exclu sans raison les grandes banques actives sur le marché de l’acquisition, deuxièmement, sous-estimé les possibilités de trouver un partenaire de façade parmi les membres de Visa qui ne sont pas actifs sur le marché de l’acquisition et, troisièmement, ignoré la possibilité pour Morgan Stanley de conclure un accord de façade avec une banque étrangère.

    77      En quatrième lieu, il serait faux de souligner que les accords de façade sont à l’origine de coûts et d’une complexité supplémentaires. Les requérantes font notamment valoir que le chapitre 2.10 du règlement intérieur régional de Visa Europe, auquel la Commission se réfère dans la décision attaquée, ne serait pas applicable aux accords de façade. Par ailleurs, il conviendrait de prendre en compte la circonstance que les membres de Visa sont également exposés à des coûts de recherche de clientèle. Il ressortirait du témoignage de l’un des dirigeants d’une société de traitement que les accords de façade ne sont pas moins efficaces qu’une acquisition directe en tant que membre de Visa mais présenteraient, au contraire, des avantages pour l’acquéreur de fait. Enfin, cela serait à tort que la Commission aurait souligné l’existence d’« inefficacités supplémentaires » dans la conclusion d’un accord de façade au motif que Morgan Stanley est également membre du réseau de paiement par carte MasterCard (ci-après le « système MasterCard »).

    78      La Commission estime que ce moyen n’est pas fondé.

     Appréciation du Tribunal

    79      Le présent moyen implique d’examiner si, et dans quelles circonstances, la Commission aurait dû déduire de la possibilité pour Morgan Stanley de conclure un accord de façade avec un membre de Visa que le comportement litigieux n’avait pas eu pour effet de l’exclure du marché en cause.

    80      À titre liminaire, il y a lieu de constater que les parties s’accordent sur la description des accords de façade effectuée au considérant 110 de la décision attaquée comme suit :

    « [L]es banques ont cessé leurs activités d’affiliation de commerçants et agissent désormais comme une simple interface (ou une ‘façade’) entre Visa et MasterCard, d’une part, et un prestataire tiers, d’autre part. C’est alors le prestataire tiers qui assume la responsabilité de presque tous les éléments du service d’acquisition et qui supporte le risque relatif au flux de revenus du commerçant. Afin de garantir le respect des règles du système Visa, les contrats conclus avec des commerçants sont généralement des contrats tripartites passés entre le commerçant, le prestataire tiers et la banque membre du réseau. Ces accords entre une banque membre de Visa/MasterCard et un prestataire tiers non bancaire sont parfois appelés ‘accords de façade’. »

    81      Ainsi qu’il a été mentionné au point 67 ci-dessus, l’appréciation d’un accord, d’une décision d’association d’entreprises ou d’une pratique concertée au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE doit tenir compte du cadre concret dans lequel ils déploient leurs effets, et notamment du contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, de la nature des produits ou des services visés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché concerné.

    82      La circonstance que les règles du système Visa réservent aux membres l’acquisition des transactions effectuées auprès des commerçants constitue, certes, un élément du contexte économique et juridique dans lequel le comportement litigieux doit être apprécié. Toutefois, il convient également de prendre en compte les autres éléments qui déterminent les possibilités d’accès au marché en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 28 février 1991, Delimitis, C‑234/89, Rec. p. I‑935, point 20).

    83      À cet égard, l’existence d’une possibilité pour des opérateurs ne disposant pas de la qualité de membre de Visa d’intégrer le marché en cause, grâce à la conclusion d’un accord de façade avec un membre de Visa, est un élément du contexte économique et juridique qui aurait dû, le cas échéant, être pris en compte dans l’éventualité où il aurait constitué une possibilité réelle et concrète pour Morgan Stanley d’entrer sur le marché en cause et de concurrencer les entreprises établies (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Delimitis, point 82 supra, point 21).

    84      Aux fins de vérifier si la conclusion d’un accord de façade avec un membre de Visa constituait une possibilité réelle et concrète pour Morgan Stanley d’entrer sur le marché en cause et de concurrencer les entreprises établies, il importe de prendre en compte les conditions dans lesquelles s’accomplit le jeu de la concurrence sur le marché en cause.

    85      Il en résulte nécessairement qu’une possibilité d’intégrer le marché en cause, qui, au regard desdites conditions, serait irréaliste ou purement théorique, ne saurait être prise en considération.

    86      Dans le cadre de la première branche du moyen, tirée de l’existence d’une erreur de droit de la Commission, les requérantes dirigent leurs critiques contre les termes utilisés par la Commission dans le considérant 121 de la décision attaquée, rédigé comme suit :

    « [B]ien que les banques qui envisagent d’intégrer le marché de l’acquisition des transactions de paiement par cartes de crédit et de débit différé auprès des commerçants puissent, en théorie, le faire sur la base d’un accord de façade, un tel accord ne garantit pas en pratique à une banque telle Morgan Stanley l’efficacité requise pour intégrer le marché et ne constitue pas pour elle un substitut à l’acquisition en nom propre. »

    87      Il n’est pas possible de déduire de ce seul considérant une erreur de droit de la Commission du fait de l’application d’un critère juridique erroné, une telle erreur n’étant susceptible d’être décelée que grâce à l’analyse des justifications fondant la conclusion de la Commission, dont le bien-fondé est contesté dans le cadre de la seconde branche du moyen. 

    88      Dès lors, les deux branches du présent moyen seront examinées conjointement.

    89      Dans la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur quatre séries de justifications tenant, premièrement, à la circonstance que les accords de façade ne sont pas utilisés par les grandes banques internationales, deuxièmement, à l’impossibilité pour Morgan Stanley de poursuivre une stratégie fondée sur l’intégration des activités d’acquisition et d’émission par le biais d’un accord de façade, troisièmement, à la difficulté pour Morgan Stanley de trouver un partenaire de façade et, quatrièmement, à la complexité et aux coûts supplémentaires occasionnés par ce type d’acquisition.

    90      Il est suffisant, en l’espèce, d’examiner le bien-fondé des justifications avancées par la Commission portant sur la difficulté pour Morgan Stanley de trouver un partenaire de façade.

    91      Il ressort des exemples d’accords de façade figurant dans la décision attaquée, mais également de ceux fournis par les requérantes, que de tels accords ont essentiellement été conclus avec des acquéreurs de fait déjà présents sur le marché de l’acquisition – établissements financiers ou sociétés de traitement –, et n’ont donc pas eu pour effet de permettre l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché en cause mais plutôt le renforcement de la position concurrentielle de ceux déjà présents sur celui-ci.

    92      Les seuls exemples d’entrée sur le marché en cause d’un nouveau concurrent par le biais de la conclusion d’un accord de façade concernent des sociétés de traitement disposant de liens commerciaux étroits avec le membre de Visa faisant fonction de partenaire de façade. Or, force est de constater que la situation de Morgan Stanley, en raison de sa qualité d’établissement financier et, partant, de concurrent des membres de Visa sur d’autres marchés que celui de l’acquisition, n’est pas comparable à celles de sociétés de traitement n’exerçant aucune activité bancaire.

    93      Dans ces conditions, la possibilité alléguée par les requérantes que Morgan Stanley, établissement financier non présent sur le marché en cause, puisse trouver un partenaire de façade parmi les grandes banques éventuellement susceptibles de quitter le marché en cause, les membres de Visa qui ne sont pas actifs sur ledit marché ou une banque étrangère membre de Visa souhaitant établir une présence bancaire au Royaume-Uni, revêt un caractère essentiellement théorique et spéculatif.

    94      C’est donc à bon droit que la Commission a retenu qu’il aurait été difficile à Morgan Stanley de trouver un partenaire de façade. Il y a lieu de considérer que cette constatation justifiait à elle seule que la Commission écarte l’hypothèse d’une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause par le biais d’un accord de façade.

    95      À titre surabondant, il convient de souligner que le bien-fondé de la conclusion de la Commission est renforcé par les justifications tirées de ce qu’une acquisition dans le cadre d’un accord de façade serait plus complexe et plus coûteuse qu’une acquisition en tant que membre de Visa.

    96      En premier lieu, s’agissant de la complexité plus grande que présenterait l’acquisition dans le cadre d’un accord de façade, il convient de prendre en considération la constatation effectuée au considérant 117 de la décision attaquée selon laquelle les contrats conclus avec les commerçants dans le cadre d’un accord de façade sont généralement de nature tripartite en ce qu’ils incluent également le partenaire de façade. Force est de constater que les requérantes, si elles contestent le contenu précis des obligations de l’acquéreur de fait dans le cadre de ce type de contrat, ne nient pas la nature tripartite des contrats en cause.

    97      La Commission a également estimé, en substance, au considérant 118 de la décision attaquée, que le partenaire de façade disposait d’obligations à l’égard de Visa et que de telles obligations étaient également sources de contraintes pour l’acquéreur de fait.

    98      Les requérantes contestent l’étendue de ces obligations en soulignant que le chapitre du règlement intérieur de Visa Europe sur lequel la Commission se fonde n’est pas applicable aux acquéreurs de fait.

    99      D’une part, il convient d’observer que les requérantes n’ont pas explicité les règles précises gouvernant les obligations respectives du partenaire de façade et de l’acquéreur de fait, le formulaire fourni en annexe à leur réplique étant insuffisant à cet égard.

    100    D’autre part, force est de constater que les requérantes ne contestent pas que le partenaire de façade a pour fonction de servir d’interface entre Visa et l’acquéreur de fait. Or, il peut raisonnablement être déduit de ce rôle d’interface l’existence d’obligations pesant tant sur le partenaire de façade que sur l’acquéreur de fait, qui n’existent pas lorsqu’un membre de Visa intervient directement sur le marché de l’acquisition.

    101    Par conséquent, la Commission a pu valablement conclure que l’acquisition dans le cadre d’un accord de façade était plus complexe qu’une acquisition en tant que membre de Visa, et cela sans qu’il soit nécessaire de vérifier la pertinence et le bien-fondé de son appréciation selon laquelle la conclusion d’un accord de façade serait à l’origine « d’inefficacités supplémentaires » en raison de la qualité de Morgan Stanley de membre du système MasterCard.

    102    En second lieu, en ce qui concerne les coûts supplémentaires engendrés par une acquisition par le biais d’un accord de façade, la Commission s’est référée à la circonstance que l’acquéreur de fait non seulement devait rémunérer son partenaire de façade pour l’achat de son portefeuille d’acquisition, mais était également tenu au versement de redevances.

    103    Les requérantes contestent cette analyse au motif qu’un membre de Visa intervenant directement sur le marché de l’acquisition est également soumis à des frais, notamment de recherche de clientèle. Les redevances versées par l’acquéreur de fait à son partenaire de façade seraient ainsi la contrepartie, notamment, des renvois de clientèle opérés par le partenaire de façade.

    104    Cette argumentation n’est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de l’analyse de la Commission. En effet, si une partie des redevances versées peut effectivement correspondre à des coûts qu’aurait, en toute hypothèse, supportés un membre de Visa intervenant directement sur le marché de l’acquisition, la Commission pouvait cependant raisonnablement estimer que les paiements effectués au partenaire de façade rémunèrent également les services d’interface rendus et correspondent, au moins en partie, à des coûts que ne supporte pas un membre de Visa intervenant directement sur le marché de l’acquisition.

    105    Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a souligné qu’une acquisition par le biais d’un accord de façade était plus complexe et coûteuse qu’une acquisition en tant que membre de Visa.

    106    Ainsi qu’il a été souligné au point 84 ci-dessus, c’est au vu des conditions dans lesquelles s’accomplit le jeu de la concurrence sur le marché en cause qu’il y a lieu d’examiner les incidences de telles considérations sur l’hypothèse alléguée par les requérantes d’une possible entrée sur ledit marché de Morgan Stanley par le biais d’un accord de façade.

    107    Il convient de rappeler que la Commission a retenu l’existence de deux facteurs favorables à l’accès au marché d’un nouvel entrant, à savoir la possibilité d’exercer une concurrence sur des variables autres que le prix, et notamment la qualité du service, et l’existence pour les commerçants de procédures simples et peu coûteuses de changement d’acquéreur.

    108    Toutefois, la Commission a également constaté dans la décision attaquée, sans être contredite par les requérantes sur ce point, que la structure du marché en cause était caractérisée par un degré élevé de concentration. Il ressort, ainsi, des considérants 166 à 168 de la décision attaquée que, sur la base des informations en la possession de la Commission, en 2003, les deux acquéreurs principaux représentaient 61 % du marché de l’acquisition et les quatre plus grands acquéreurs représentaient 90 % de ce même marché, le reste du marché étant partagé entre quatre acquéreurs. La Commission a également souligné, au considérant 169 de la décision attaquée, une tendance à la consolidation de ce marché en se référant à la circonstance que plusieurs acquéreurs de taille moyenne avaient cédé ou délégué leurs activités d’acquisition à un petit nombre d’établissements financiers et de sociétés de traitement.

    109    De même, il a été relevé dans la décision attaquée que la dernière entrée sur le marché en cause remontait à 1996 et qu’aucun des établissements financiers interrogés par la Commission n’envisageait de l’intégrer.

    110    Dès lors, il y a lieu de constater que la structure du marché de l’acquisition, en dépit des facteurs que la Commission a retenus comme étant favorables à l’accès d’un nouvel entrant, rend peu plausible l’intégration par Morgan Stanley du marché en cause par le biais d’un accord de façade qui le désavantagerait d’emblée par rapport à ses principaux concurrents établis sur ledit marché.

    111    Au vu de tout ce qui précède, force est de constater que la conclusion de la Commission écartant l’hypothèse d’une entrée de Morgan Stanley par le biais d’un accord de façade est suffisamment justifiée par les considérations tenant à la difficulté de trouver un partenaire de façade et, à titre surabondant, à celles tenant à la complexité et aux coûts supplémentaires engendrés par les accords de façade. La Commission n’a donc pas fait application d’un critère juridique erroné, contrairement à ce que soutiennent les requérantes.

    112    Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner les autres critiques portant sur les justifications avancées par la Commission tirées de ce que les accords de façade ne sont pas utilisés par les grandes banques internationales et de l’impossibilité de poursuivre une stratégie fondée sur l’intégration des activités d’acquisition et d’émission. Partant, il n’est pas nécessaire de répondre aux allégations d’irrecevabilité des requérantes relatives aux arguments de la Commission tirés de la prétendue volonté de Morgan Stanley de poursuivre une stratégie d’acquisition des transactions « on-us ».

    113    Le premier moyen doit donc être rejeté.

    b)     Sur le troisième moyen, relatif aux incidences sur la concurrence de la présence de Morgan Stanley sur le marché en cause

    114    Dans le cadre de ce moyen, les requérantes reprochent à la Commission, premièrement, d’avoir appliqué un critère économiquement et juridiquement erroné aux fins d’évaluer les effets sur la concurrence du comportement litigieux, deuxièmement, d’avoir sous-estimé le degré de concurrence existant sur le marché en cause. Elles critiquent, également, son analyse des effets qu’aurait pu avoir une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause.

     Sur la première branche du moyen, tirée de l’application d’un critère économiquement et juridiquement erroné

    –       Arguments des parties

    115    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en appliquant un critère économiquement et juridiquement erroné, à savoir « la possibilité d’intensifier la concurrence » existant sur le marché en cause, tout en admettant le caractère efficace de ladite concurrence.

    116    Elles rappellent que la concurrence visée par l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE et par l’article 81 CE s’entend d’une concurrence efficace. Partant, assurer une concurrence d’un niveau supérieur à celui de l’efficacité ne constituerait pas un objectif du traité et, en sanctionnant le refus d’admettre Morgan Stanley pour ce motif, la Commission aurait appliqué un critère erroné.

    117    En se référant au rapport d’expertise collectif, les requérantes font valoir que la concurrence est, par sa nature même, un processus dynamique qui peut donc toujours être intensifié, et cela quel que soit son degré d’efficacité. La thèse de la Commission reviendrait, ainsi, à conclure qu’il ne peut jamais y avoir de concurrence efficace sur un marché.

    118    En ce qui concerne l’allégation de la Commission, dans son mémoire en défense, selon laquelle le fait d’empêcher l’entrée sur le marché aurait toujours été considéré comme anticoncurrentiel, les requérantes soulignent, tout d’abord, qu’elle n’est étayée par aucune référence jurisprudentielle. Elles considèrent, ensuite, que cette analyse équivaut à reprocher aux requérantes que le comportement litigieux a eu pour objet de restreindre la concurrence, alors même que la décision attaquée s’est fondée sur les effets du refus d’admission de Morgan Stanley. Enfin, les requérantes notent qu’une telle analyse est en contradiction totale avec la jurisprudence en ce qu’elle implique qu’il peut y avoir restriction, indépendamment du degré de concurrence sur le marché en cause. Elle serait également en contradiction avec certains documents publiés par la Commission et, notamment, ses lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] (JO 2004, C 101, p. 97). Il ressortirait ainsi de la note en bas de page n° 31 de ces lignes directrices que la position de la Commission elle-même est que l’article 81 a pour objet de protéger la concurrence sur le marché dans l’intérêt des consommateurs.

    119    Les requérantes contestent l’argument soulevé dans le mémoire en défense selon lequel l’entrée d’un nouveau concurrent pourrait avoir des effets sur la concurrence dans certains sous-secteurs du marché en cause, plus importants que ceux que l’image globale du marché de l’acquisition pourrait laisser prévoir. Cet argument figurait, certes, dans la communication des griefs mais n’aurait pas été repris par la Commission dans la décision attaquée, à la suite de sa réfutation par les requérantes.

    120    La Commission réfute les allégations des requérantes.

    –       Appréciation du Tribunal

    121    Les requérantes basent, en substance, leur allégation de l’existence d’une erreur de droit sur, d’une part, la reconnaissance par la Commission au considérant 200 de la décision attaquée de l’absence de caractère « inefficace » de la concurrence sur le marché en cause et, d’autre part, la mention aux considérants 187 et 200 de la décision attaquée de la possibilité d’une « intensification de la concurrence » sur le marché en cause. S’agissant de la référence au rapport d’expertise collectif par les requérantes, celle-ci ne sera prise en compte que dans les limites mentionnées au point 53 ci-dessus.

    122    Aux fins de vérifier le bien-fondé de ces arguments, il convient de prendre en compte l’ensemble des développements de la décision attaquée consacrés à l’analyse des effets restrictifs de concurrence du comportement litigieux au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

    123    Il en ressort que la Commission s’est fondée sur plusieurs éléments tenant, d’une part, au degré de concurrence actuelle existant sur le marché en cause et, d’autre part, à la concurrence potentielle. En ce qui concerne le premier aspect, ainsi qu’il a déjà été rappelé aux points 108 et 109 ci-dessus, la Commission a retenu que la structure du marché en cause était caractérisée par un degré élevé de concentration et était en voie de consolidation. S’agissant de la concurrence potentielle, la Commission a estimé, en substance, aux considérants 169 à 174 de la décision attaquée, que celle-ci était limitée aux seules grandes banques ou aux grandes sociétés de traitement internationales qui étaient en mesure d’atteindre la taille requise pour devenir des concurrents des acquéreurs actuels. Elle a noté que Morgan Stanley constituait le seul entrant potentiel ayant exprimé son intention d’intégrer ledit marché.

    124    Force est de constater qu’une telle analyse ne revêt pas le caractère juridiquement erroné allégué par les requérantes.

    125    En effet, d’une part, en application de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle.

    126    D’autre part, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que l’article 81 CE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais également la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle (arrêts de la Cour du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, Rec. p. I‑4529, point 38, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission, C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec. p. I‑9291, point 63).

    127    Par conséquent, la Commission, en fondant son appréciation des effets restrictifs de concurrence du comportement litigieux sur la concurrence potentielle représentée par Morgan Stanley et sur la structure du marché en cause, a suivi une interprétation correcte de l’article 81, paragraphe 1, CE et n’a donc pas commis l’erreur de droit alléguée par les requérantes.

    128    En outre, s’agissant plus précisément du considérant 200 de la décision attaquée, ainsi qu’il a déjà été souligné aux points 60 à 62 ci-dessus, il constitue seulement la reconnaissance par la Commission, en réponse aux arguments présentés par les requérantes au cours de la procédure administrative, de l’existence d’un degré de concurrence entre les acteurs sur le marché en cause.

    129    Toutefois, une telle reconnaissance n’empêche pas que le comportement litigieux ait pu produire les effets restrictifs de concurrence retenus par la Commission.

    130    En premier lieu, suivre l’argumentation des requérantes reviendrait à conditionner l’analyse des effets du comportement litigieux sur la concurrence potentielle à l’examen du degré de concurrence existant actuellement sur le marché en cause. Force est de constater qu’un tel raisonnement serait en contradiction avec la jurisprudence constante mentionnée au point 68 ci-dessus, imposant que l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle.

    131    En second lieu, au vu des caractéristiques du marché en cause, la Commission pouvait à bon droit estimer que l’entrée d’un nouvel acteur aurait permis d’intensifier la concurrence existant sur un marché caractérisé par un degré élevé de concentration. Par conséquent, l’utilisation de l’expression « possibilité d’intensifier la concurrence » aux considérants 187 et 200 de la décision attaquée ne revêt pas le caractère erroné allégué par les requérantes.

    132    Dès lors, la première branche du moyen doit être rejetée.

     Sur la deuxième branche du moyen, tirée d’une analyse erronée du degré de concurrence existant sur le marché en cause

    –       Arguments des parties

    133    Les requérantes estiment que la Commission a sous-estimé de manière manifeste l’intensité de la concurrence existant effectivement sur le marché de l’acquisition. En substance, tout en reconnaissant être d’accord avec la plupart des éléments qu’elle a pris en compte, les requérantes reprochent à la Commission de les avoir mal appréciés et d’en avoir tiré des conclusions incohérentes. Une analyse correcte de ces éléments aurait dû amener la Commission à conclure qu’il existait une concurrence intense sur le marché de l’acquisition.

    134    En premier lieu, la Commission se serait à tort concentrée sur le nombre d’acteurs sur le marché en cause et la tendance de celui-ci à la consolidation, dans la mesure où de tels indicateurs ne seraient pas déterminants en eux-mêmes pour apprécier le niveau de concurrence sur le marché. Selon les requérantes, la Commission aurait dû, plutôt, fonder son analyse sur les indicateurs de concurrence que sont la possibilité d’entrer sur le marché, l’évolution des parts de marché, l’évolution des frais payés par les commerçants à leur banque acquéreur, la concurrence non tarifaire et les changements d’acquéreurs par les commerçants.

    135    En deuxième lieu, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir tiré toutes les conclusions des éléments de preuve qu’elles lui avaient fournis.

    136    Premièrement, à titre d’exemple, elles font valoir que la Commission a considéré l’entrée sur le marché d’acquéreurs de fait comme ayant contribué à une plus grande consolidation du marché – en ce qu’ils auraient simplement remplacé leur partenaire de façade sur ce marché –, tout en admettant que ces nouveaux acteurs pouvaient contribuer à l’amélioration des services d’acquisition et à la réduction de leurs coûts. Les requérantes soulignent, à cet égard, qu’il ressort de la décision attaquée elle-même que certains acquéreurs de fait se sont associés à des banques sans activité d’émission ou avec des banques étrangères.

    137    Deuxièmement, ce serait à tort que la Commission, tout en reconnaissant que certaines banques étrangères ont intégré le marché de l’acquisition au Royaume-Uni, aurait écarté ce phénomène en le qualifiant de « niche », alors qu’il ressortirait des éléments de preuve dont elle disposait que la part des acquéreurs transfrontaliers dans le montant total du chiffre a augmenté de moitié entre 2002 et 2004. Par ailleurs, elles reprochent à la Commission, en substance, de s’être limitée à l’analyse de la concurrence actuelle des acquéreurs transfrontaliers, et d’avoir ainsi omis la concurrence potentielle qu’ils représentaient.

    138    Troisièmement, les requérantes notent que la Commission a admis que le marché en cause se caractérisait par des procédures simples et peu coûteuses de changement d’acquéreur et soutiennent qu’elle aurait dû en tirer la conséquence que cette facilité de changement aboutissait à une concurrence intense entre les sociétés qui sont déjà présentes sur ledit marché.

    139    En troisième lieu, les requérantes reprochent à la Commission de s’être appuyée sur l’expérience tirée de la dernière entrée d’une banque sur le marché en cause en 1996, sans s’être renseignée sur le niveau de concurrence existant à cette époque. Or, il résulterait du rapport d’expertise collectif que la concurrence n’y était pas aussi efficace, ce qui priverait de toute pertinence cette expérience.

    140    La Commission conteste le bien-fondé des arguments avancés par les requérantes et conclut à leur rejet.

    –       Appréciation du Tribunal

    141    En substance, les requérantes estiment que la Commission a sous-estimé le degré de concurrence tant actuelle que potentielle existant sur le marché en cause. Elles contestent également le bien-fondé de la prise en compte par la Commission des effets sur la concurrence de la dernière entrée sur le marché en cause en 1996.

    142    En ce qui concerne, en premier lieu, la concurrence actuelle sur le marché en cause, il y a lieu de souligner que la Commission a pu valablement fonder son analyse sur le nombre d’acteurs présents sur celui-ci et sa tendance à la consolidation, de tels éléments liés à la structure du marché en cause étant, au vu de la jurisprudence citée au point 126 ci-dessus, particulièrement pertinents.

    143    S’agissant plus précisément des effets sur la concurrence qu’a pu avoir la présence sur le marché en cause de plusieurs acquéreurs de fait, la Commission a retenu, au considérant 115 de la décision attaquée, que, dans la grande majorité des cas, un acquéreur de fait se substituait à une banque active sur le marché de l’acquisition. Elle a également souligné, en substance, au considérant 169 de la décision attaquée, que la présence des grandes banques et des sociétés de traitement agissant en tant qu’acquéreurs de fait contribuait à une consolidation du marché en ce qu’elles avaient tendance à reprendre l’activité d’acquéreurs de plus petite dimension désireux de quitter ce marché.

    144    Force est de constater que cette analyse n’apparaît pas manifestement erronée et que les critiques dirigées par les requérantes à son égard ne sont pas convaincantes. Ainsi, la circonstance que les acquéreurs de fait en question puissent contribuer à l’amélioration des services d’acquisition et à la réduction de leurs coûts n’est pas en contradiction avec l’approche de la Commission fondée sur la structure du marché en cause.

    145    Quant aux exemples donnés par les requérantes d’acquéreurs de fait qui se seraient associés à des banques sans activité d’émission ou avec des banques étrangères, il y a lieu de relever que ces accords n’ont généralement pas abouti à l’entrée d’un nouvel acteur sur le marché en cause mais au renforcement de la position d’acquéreurs déjà présents sur ledit marché.

    146    En ce qui concerne la reconnaissance par la Commission de l’existence de procédures simples et peu coûteuses de changement d’acquéreur, il suffit de rappeler, ainsi qu’il a été souligné aux points 129 à 131 ci-dessus, que celle-ci pouvait à bon droit admettre qu’une concurrence existe entre les acteurs sur le marché en cause tout en concluant que l’exclusion d’un concurrent potentiel a eu des effets restrictifs de concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

    147    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la concurrence potentielle sur le marché en cause, il y a lieu de rappeler que, dans les considérants 169 à 174 de la décision attaquée, la Commission a tiré du degré élevé de concentration et de la consolidation observée sur le marché en cause la conclusion que la concurrence potentielle ne pouvait résulter que de grandes banques ou de grandes sociétés de traitement internationales qui sont en mesure d’atteindre la taille requise pour devenir des concurrents des acquéreurs actuels. La Commission a notamment pris en compte le fait que, pour exercer des activités d’acquisition et être rentables, les entreprises doivent pouvoir travailler sur des volumes substantiels et réaliser d’importantes économies d’échelle. Elle a, à cet égard, souligné que, en matière d’acquisition de transactions, il est essentiel que le chiffre d’affaires, en termes de transactions acquises, soit élevé, car le principal revenu des acquéreurs, à savoir les frais imputés aux commerçants, est calculé sous la forme d’un pourcentage de la valeur des transactions effectuées.

    148    En se basant sur une liste fournie par les requérantes au cours de la procédure administrative, la Commission a estimé que, outre Morgan Stanley, neuf établissements financiers établis au Royaume-Uni pouvaient être considérés comme des concurrents potentiels. Cette considération de la Commission n’est pas explicitement contestée par les requérantes.

    149    En effet, les critiques des requérantes portent sur l’absence de prise en compte de la concurrence potentielle résultant des acquéreurs transfrontaliers. À cet égard, il convient de souligner que, en dépit de l’augmentation de la part des acquéreurs transfrontaliers entre 2002 et 2004 à laquelle les requérantes se réfèrent, il ressort des considérants 65 à 68 de la décision attaquée, dont la matérialité n’est pas contestée, que l’affiliation des commerçants par les principaux acquéreurs transfrontaliers ne représentait en 2004 que 0,3 % de l’ensemble des commerçants affiliés. Au vu de ce chiffre, c’est à juste titre que la Commission a estimé que les conditions de la concurrence entre les différents marchés nationaux d’acquisition en Europe n’étaient pas suffisamment homogènes pour que l’acquisition transfrontalière puisse exercer une pression concurrentielle sur les acteurs présents sur le marché en cause et que, partant, l’évaluation de la concurrence potentielle devait se faire au sein des acteurs établis sur le marché du Royaume-Uni.

    150    En troisième lieu, en ce qui concerne la critique portant sur la prise en compte par la Commission de la dernière entrée d’une banque sur le marché pertinent en 1996, il suffit de souligner que l’approche de la Commission consistant à analyser les effets sur la concurrence de la dernière entrée en date sur le marché en cause à la date d’adoption de la décision attaquée ne procède pas d’un raisonnement erroné.

    151    Par ailleurs, il ressort du considérant 181 de la décision attaquée que cette entrée s’était effectuée dans un contexte de baisse des prix, baisse que la présence de cette banque sur ledit marché avait contribué à accélérer. Il existe donc une indéniable similitude avec la situation du marché pendant la période pertinente, également caractérisée par une baisse des prix facturés aux commerçants. Partant, un tel exemple tend ainsi à démontrer que la circonstance que les prix baissent sur le marché de référence, en raison de la concurrence entre les entreprises qui y sont actuellement présentes, n’enlève rien aux effets sur la concurrence que pourrait avoir la présence d’un nouvel acteur sur ce marché. Au vu des circonstances de l’espèce, il était donc particulièrement pertinent.

    152    Il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

     Sur la troisième branche du moyen, tirée d’une analyse insuffisante et erronée des effets du refus d’admission de Morgan Stanley sur la concurrence

    –       Arguments des parties

    153    Les requérantes soutiennent que la Commission a manqué à son obligation de se livrer à un examen comparatif entre, d’une part, la situation concurrentielle sur le marché en cause en l’absence de Morgan Stanley et, d’autre part, ce qu’elle aurait été si cette dernière avait été admise dans Visa avant septembre 2006.

    154    Dans le cadre d’un premier grief, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en n’appliquant pas les critères tirés de l’arrêt European Night Services e.a./Commission, point 67 supra, aux possibilités d’entrée de Morgan Stanley, dès lors qu’elle se serait satisfaite de l’intention déclarée de celle-ci d’intégrer le marché de l’acquisition au Royaume-Uni.

    155    Les requérantes opposent l’analyse par la Commission des possibilités d’entrée de Morgan Stanley sur le marché de l’acquisition au Royaume-Uni à celle suivie, dans la décision attaquée, s’agissant de l’entrée potentielle du système Discover sur le marché européen des systèmes de cartes de paiement, pour laquelle la Commission se serait référée à l’absence d’éléments, telle l’annonce d’un lancement officiel, de nature à démontrer la mise en œuvre d’une stratégie d’entrée. Elles voient en cela une application rigoureuse des critères issus de l’arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, Rec. p. II‑1279), mentionné dans la décision attaquée. Elles reprochent à la Commission d’avoir ignoré ces mêmes critères lorsqu’elle a entrepris de déterminer si Morgan Stanley était un entrant potentiel sur le marché de l’acquisition au Royaume-Uni.

    156    Le caractère théorique de l’analyse de la Commission serait également incompatible avec ses lignes directrices sur les restrictions verticales (JO 2000, C 291, p.1).

    157    Dans le cadre d’un deuxième grief, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir retenu comme postulat que Morgan Stanley, une fois membre de Visa, aurait intégré le marché de l’acquisition sur la seule base d’une prétendue « intention constante » de cette dernière qui ne serait étayée par aucun élément de preuve indépendant. Elles estiment que Morgan Stanley n’a pas demandé à intégrer Visa aux fins de mettre en œuvre une stratégie particulière impliquant l’acquisition, comme le soutient la Commission, mais que Morgan Stanley était intéressée par la seule possibilité d’émettre des cartes Visa. À cet égard, elles contestent l’interprétation que fait la Commission de la plainte de Morgan Stanley.

    158    Elles font valoir que l’intention déclarée de Morgan Stanley d’intégrer le marché de l’acquisition est apparue postérieurement à la plainte, dans un document interne, le plan stratégique d’affiliation de commerçants en Europe datant de juin 2002, et que ce document est dépourvu de force probante. Elles soutiennent également que le second document sur lequel la Commission s’appuie, le programme de mise en œuvre de Morgan Stanley, constitue un élément de l’annexe 57 de la seconde lettre d’exposé des faits et doit, pour les raisons mentionnées aux points 42 et 44 ci-dessus, être déclaré irrecevable. Il serait, en toute hypothèse, dénué de force probante. Elles considèrent également que c’est à tort que la Commission n’a pas pris en compte le fait que Morgan Stanley, postérieurement à son adhésion à Visa, n’a pas cherché à intégrer le marché de l’acquisition, mais s’est concentrée sur la seule émission de cartes Visa qui constituait, selon les requérantes, son véritable objectif.

    159    Dans le cadre de leur troisième grief, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné par elle-même de manière approfondie les effets possibles d’une entrée de Morgan Stanley sur la concurrence existant sur le marché en cause. Les conclusions de la Commission relatives aux conséquences positives qu’aurait eues sur la concurrence l’entrée de Morgan Stanley ne constitueraient que des affirmations non étayées.

    160    Elles font notamment valoir que Morgan Stanley n’aurait pas été capable, eu égard aux caractéristiques du marché, d’apporter une valeur ajoutée à la qualité et aux prix des services qui étaient déjà proposés sur ce marché. Elles contestent également les différents éléments avancés par la Commission aux fins de qualifier Morgan Stanley d’« acquéreur efficace, important et expérimenté ». En toute hypothèse, à supposer même que ce soit le cas, cela ne la différencierait en rien des acquéreurs déjà présents sur le marché en cause. Aucun des éléments avancés par la Commission ne démontrerait une quelconque supériorité de Morgan Stanley par rapport aux acquéreurs déjà présents.

    161    La Commission conclut au rejet de ces griefs.

    –       Appréciation du Tribunal

    162    S’agissant du premier grief des requérantes, tiré de ce que la Commission aurait appliqué un critère juridique erroné aux fins d’apprécier la possibilité pour Morgan Stanley d’entrer sur le marché en cause, il revient, en substance, à contester la démonstration par la Commission de la qualité de concurrent potentiel de Morgan Stanley.

    163    Il y a lieu de relever que les critiques des requérantes sont essentiellement fondées sur la circonstance que la Commission se serait satisfaite de l’intention déclarée de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause.

    164    Les requérantes se réfèrent également à la définition d’un « fournisseur potentiel » donnée par la Commission dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales. Elles rappellent qu’il en ressort qu’une possibilité d’entrée sur le marché n’est pas suffisante si elle est purement théorique et que l’entrée sur le marché doit pouvoir se faire dans un délai d’un an.

    165    En premier lieu, il convient d’observer que l’intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause n’est pas le seul élément sur lequel s’est fondée la Commission aux fins de conclure à la qualité de concurrent potentiel de Morgan Stanley. En effet, il ressort de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 190 à 198, que la Commission est arrivée à cette conclusion en se fondant, en substance, sur deux séries de justifications, relatives, certes, à l’intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause, mais également à sa capacité à le faire. En ce qui concerne ce second aspect, elle a retenu que Morgan Stanley disposait d’une longue expérience en matière d’affiliation de commerçants. Elle s’est également référée à l’expérience acquise par Morgan Stanley, en tant que membre du système MasterCard, des règles et procédures propres à un réseau quadripartite. C’est sur cette base qu’elle a conclu au considérant 198 ce qui suit :

    « [D]ans le contexte de concentration des marchés de l’acquisition […], Morgan Stanley figure parmi les rares banques internationales de grande envergure qui peuvent être considérées comme des acquéreurs potentiels sérieux à l’échelon européen. Elle a manifesté son intention d’intégrer  les marchés de l’acquisition du Royaume-Uni et de plusieurs États membres de l’EEE, ainsi que son intérêt pour l’acquisition transfrontalière, un domaine qui lui est également interdit en l’absence de licence Visa. »

    166    En deuxième lieu, en ce qui concerne les critères juridiques devant être appliqués aux fins de vérifier si Morgan Stanley constituait un concurrent potentiel sur le marché en cause, il découle de la jurisprudence citée aux points 68 et 69 ci-dessus que la Commission se devait de vérifier si, en l’absence d’application de la Règle à son égard, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intègre le marché de l’acquisition au Royaume-Uni et concurrence les entreprises qui y sont établies.

    167    Il ressort également de la jurisprudence qu’une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent (voir, en ce sens, arrêt European Night Services e.a./Commission, point 67 supra, points 142 à 145). Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, Rec. p. II‑1931, points 123 à 125).

    168    Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché.

    169    Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant actuellement sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché.

    170    Quant au point de savoir s’il convient également de prendre en compte les critères développés par la Commission dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, il y a lieu de souligner que, au vu des circonstances de l’espèce, la référence par les requérantes à la définition du « fournisseur potentiel » figurant dans lesdites lignes directrices n’apparaît pas pertinente. Il convient plutôt de se reporter à la définition, au demeurant équivalente en substance, du « concurrent potentiel » figurant dans les lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 [CE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p.2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération »).

    171    En effet, il est précisé à la note en bas de page n° 9 des lignes directrices sur les accords de coopération qu’ « [u]ne entreprise est considérée comme un concurrent potentiel si certains indices donnent à penser qu’en l’absence d’accord elle pourrait et serait prête à consentir les investissements supplémentaires ou les autres coûts d’adaptation nécessaires pour pouvoir entrer sur le marché en cause, en réaction à une augmentation légère mais durable des prix relatifs ». Par ailleurs, « [c]ette appréciation doit se fonder sur une approche réaliste, la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’étant pas suffisante ». Il est également mentionné que « l’entrée sur le marché doit pouvoir s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pèse sur le comportement des participants au marché » et que, « [n]ormalement, cela signifie que l’entrée doit s’effectuer dans un délai court ». À cet égard, la Commission se réfère à un délai d’un an tout en soulignant que, « [d]ans certains cas, des délais plus longs peuvent néanmoins être pris en considération » et que « [l]e temps nécessaire aux sociétés déjà présentes sur le marché pour ajuster leurs capacités peut servir de critère pour déterminer ce délai ».

    172    Force est de constater qu’une telle définition reprend, tout en les explicitant, les critères issus de la jurisprudence mentionnée aux points 166 et 167 ci-dessus. Partant, dans la mesure où elle n’apparaît pas en contradiction avec la jurisprudence pertinente, elle peut être prise en compte aux fins de vérifier si c’est à bon droit que la Commission a qualifié Morgan Stanley de concurrent potentiel. 

    173    En troisième lieu, s’agissant de l’application de ces critères au cas d’espèce, il convient de souligner que les requérantes, ainsi qu’elles l’ont explicitement reconnu lors de l’audience, ne contestent pas les appréciations de la Commission relatives à la capacité de Morgan Stanley à intégrer le marché en cause.

    174    Ainsi, les critiques des requérantes, en ce qu’elles se fondent essentiellement sur une prétendue absence d’intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause, sont principalement dirigées à l’encontre d’appréciations qui, pour les raisons mentionnées aux points 166 à 169 ci-dessus, ne sauraient constituer l’élément essentiel permettant d’apprécier le bien-fondé de la qualification de concurrent potentiel de Morgan Stanley.

    175    En toute hypothèse, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir pris en compte l’éventualité d’une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause en l’absence du comportement litigieux.

    176    Ainsi, premièrement, la critique des requérantes fondée sur la circonstance que Morgan Stanley n’a pris aucune mesure concrète pour entrer sur le marché n’apparaît pas fondée au vu des circonstances de l’espèce.

    177    D’une part, dans la mesure où la qualité de membre de Visa constituait un préalable nécessaire à l’entrée sur le marché de l’acquisition, il ne saurait être tiré de conclusions de l’absence d’adoption de mesure, telle la mise en œuvre d’une stratégie d’entrée, par Morgan Stanley avant son adhésion à Visa le 22 septembre 2006. En cela, et sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la Commission a ignoré les critères utilisés dans l’arrêt BaByliss/Commission, point 155 supra, auquel les requérantes se réfèrent, il suffit de relever que les circonstances de la présente affaire se distinguent de celles ayant donné lieu à cet arrêt.

    178    D’autre part, s’agissant de la circonstance que Morgan Stanley n’a entrepris aucune démarche aux fins d’intégrer le marché de l’acquisition postérieurement à son adhésion, il y a lieu de rappeler que celle-ci lui a été accordée plus de six ans après la demande effectuée en ce sens. Il ne saurait, dès lors, en être tiré un quelconque enseignement sur ce qu’a pu être l’intention ou ce qu’aurait pu être le comportement de Morgan Stanley dans l’éventualité où la qualité de membre de Visa lui aurait été reconnue à une date antérieure 

    179    Deuxièmement, s’il est vrai que Morgan Stanley ne s’est pas explicitement référée au marché de l’acquisition dans la plainte adressée à la Commission le 12 avril 2000, au moins deux documents émanant de Morgan Stanley renvoient au marché en cause.

    180    D’une part, il a été explicitement souligné par Morgan Stanley, dans sa demande introduite devant la High Court of Justice le 27 septembre 2000, que l’application de la Règle avait eu pour effet de l’empêcher d’intégrer le marché de l’acquisition au Royaume-Uni.

    181    D’autre part, Morgan Stanley est à l’origine d’un plan stratégique d’affiliation des commerçants, adopté en juin 2002. Il est certes exact que celui-ci n’a été fourni aux requérantes que sous une version non confidentielle en occultant de nombreux aspects. Néanmoins, de ce document communiqué aux requérantes ressortent différents éléments relatifs à l’analyse du marché de l’acquisition au Royaume-Uni et dans les autres États membres de l’EEE. De même, il permet d’entrevoir ce qu’aurait pu être la stratégie d’entrée de Morgan Stanley.

    182    S’agissant de la force probante qu’il convient de reconnaître à ces deux documents, il y a lieu de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 84). Ainsi pour apprécier la force probante d’un élément de preuve, il convient en premier lieu de vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (arrêts du Tribunal Cimenteries CBR e.a./Commission, point 56 supra, point 1838, et du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP et T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, point 121).

    183    Il est certes exact que ces deux documents ont pour origine Morgan Stanley, ont été adoptés au cours de la procédure administrative et que de telles circonstances influent sur leur force probante.

    184    Toutefois, ainsi qu’il a été souligné au point 177 ci-dessus, et au vu des circonstances de l’espèce, la qualité de membre de Visa constituant un préalable nécessaire à l’entrée sur le marché de l’acquisition, la Commission n’était pas en mesure de se fonder sur des éléments disposant d’une force probante plus importante telle la mise en œuvre d’une stratégie d’entrée.

    185    En outre, la crédibilité de ces éléments de preuve est renforcée par la circonstance, relevée par la Commission, de l’existence d’une expérience de Morgan Stanley dans l’affiliation de commerçants dans d’autres marchés.

    186    Dès lors, l’éventualité d’une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause ne revêtait pas un caractère purement théorique mais constituait, au contraire, une hypothèse vraisemblable. C’est donc à bon droit que la Commission a pu déduire des déclarations de Morgan Stanley une intention d’intégrer le marché en cause.

    187    Dans la mesure où il découle de ce qui précède que, d’une part, les appréciations de la Commission relatives à la capacité de Morgan Stanley à intégrer le marché en cause ne sont pas contestées et, d’autre part, l’hypothèse d’une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause ne revêtait pas un caractère purement théorique, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en qualifiant Morgan Stanley de concurrent potentiel. Le premier grief doit donc être rejeté.

    188    Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que la Commission n’a pas fourni d’estimation du délai qu’il aurait fallu à Morgan Stanley pour intégrer le marché en cause, et cela en apparente contradiction avec la définition figurant dans les lignes directrices sur les accords de coopération, qui se réfèrent à un délai d’un an.

    189    Il ressort en effet de la lecture de cette définition, reproduite au point 171 ci-dessus, que l’élément essentiel est la nécessité que l’entrée potentielle puisse se faire suffisamment rapidement aux fins de peser sur les participants au marché, le délai d’un an n’étant présenté qu’à titre indicatif.

    190    Or, la Commission a retenu au considérant 186 de la décision attaquée l’existence de « facteurs favorables à l’accès d’un nouvel entrant », au nombre desquels figure l’existence pour les commerçants de procédures simples et peu coûteuses de changement d’acquéreur. Force est de constater que cet élément, au demeurant non contesté par les requérantes qui l’invoquent au soutien de leur argumentation, associé aux éléments retenus par la Commission aux fins d’établir la capacité de Morgan Stanley à intégrer le marché en cause, retenue aux considérants 193 à 198 de la décision attaquée, au nombre desquels figure sa longue expérience en matière d’affiliation de commerçants, est de nature à démontrer que l’entrée en question aurait pu se faire suffisamment rapidement au sens de la définition que la Commission donne d’un concurrent potentiel dans les lignes directrices sur les accords de coopération. Partant, l’analyse de la Commission est conforme non seulement à la jurisprudence citée aux points 166 et 167 ci-dessus, mais également à ses propres critères, tels qu’exposés dans les lignes directrices sur les accords de coopération. 

    191    S’agissant du deuxième grief des requérantes, selon lequel la Commission aurait retenu à tort que Morgan Stanley serait entrée sur le marché en cause, il doit être rejeté pour les motifs explicités aux points 175 à 186 ci-dessus, et cela sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si le programme de mise en œuvre de Morgan Stanley figurant dans l’annexe 57 de la seconde lettre d’exposé des faits constituait une élément de preuve recevable.

    192    En ce qui concerne le troisième grief des requérantes, tiré de ce que la Commission n’aurait pas examiné de manière approfondie les effets possibles d’une entrée de Morgan Stanley sur le marché en cause, il ne saurait non plus prospérer.

    193    En premier lieu, il convient de souligner que, dans ce contexte, les requérantes réitèrent leur analyse tendant à conditionner l’analyse des effets du comportement litigieux sur la concurrence potentielle à l’examen du degré de concurrence actuelle existant sur le marché. Or ainsi qu’il a déjà été souligné au point 130 ci-dessus, un tel raisonnement ne saurait être suivi.

    194    En second lieu et en toute hypothèse, force est de constater que l’argumentation des requérantes développée dans le cadre du présent grief repose sur un postulat erroné en fait, à savoir l’existence d’un degré élevé de concurrence sur le marché en cause. Ainsi qu’il a été souligné en réponse à la première branche du présent moyen, le fait qu’existe un degré de concurrence entre les acteurs actuellement présents sur le marché ne s’oppose pas aux constatations de la Commission relatives au niveau élevé de concentration existant sur le marché en cause.

    195    Or, s’agissant d’un marché comprenant un très faible nombre de concurrents, la Commission pouvait légitimement conclure que l’entrée d’un nouvel acteur aurait eu pour conséquence une amélioration de la situation concurrentielle de ce seul fait, sans avoir à démontrer que celui-ci disposait d’une quelconque supériorité par rapport aux acteurs déjà établis.

    196    Par conséquent, la discussion portant sur les capacités relatives de Morgan Stanley par rapport aux acteurs présents sur le marché en cause est inopérante, dès lors que les requérantes ne contestent pas sa capacité à intégrer ledit marché. Il n’y a donc pas lieu d’analyser les arguments des requérantes visant à contester l’expérience et les qualifications de Morgan Stanley.

    197    Il convient donc de rejeter ce troisième grief et, partant, le moyen dans son ensemble.

    198    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter les conclusions en annulation.

    B –  Sur la demande tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

    199    À titre principal, les requérantes estiment que l’imposition d’une amende est en l’espèce entachée d’erreurs de droit et d’appréciation et concluent à l’annulation de l’amende à laquelle elles ont été condamnées. À titre subsidiaire, elles demandent au Tribunal de réduire le montant de l’amende infligée.

    1.     Sur le quatrième moyen, tiré de l’existence d’erreurs de droit et d’appréciation quant à l’imposition d’une amende

    200    Ce moyen est composé de trois branches, tirées, premièrement, de la violation des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique ainsi que d’un défaut de motivation, deuxièmement, de la violation de l’obligation d’adopter la décision attaquée dans un délai raisonnable, et, troisièmement, de l’absence de prise en compte de l’incertitude existant quant au caractère infractionnel du comportement litigieux.

    a)     Sur la première branche du moyen, tirée de la violation des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique ainsi que d’un défaut de motivation

     Arguments des parties

    201    Les requérantes reprochent à la Commission de leur avoir infligé une amende alors même que la Règle avait été notifiée à la Commission sous l’empire du règlement n° 17. Elles soulignent, tout d’abord, que la date choisie par la Commission comme point de départ pour le calcul de l’amende n’est pas celle de l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), mais celle de la réception de la communication des griefs. Ainsi, la Commission elle-même admettrait l’existence d’attentes légitimes en matière d’immunité d’amende jusqu’à cette date. Elles notent, ensuite, qu’il s’agit de la seule affaire dans laquelle la Commission a infligé une amende en vertu du règlement n° 1/2003 à l’égard d’un accord notifié.

    202    Par ailleurs, à plusieurs reprises les fonctionnaires chargés du dossier auraient laissé entendre que la présente affaire ne constituait pas un cas dans lequel une amende serait infligée.

    203    Les requérantes comparent l’imposition d’une amende à leur égard avec la position adoptée par la Commission dans deux affaires qu’elles estiment comparables, mettant en cause, respectivement, MasterCard (affaire COMP/34.579, ci-après l’« affaire MasterCard ») et le Groupement des cartes bancaires (affaire COMP/38.606, ci-après l’« affaire GCB »). Elles font valoir que la Commission n’y a pas infligé d’amende au motif que les mesures en cause avaient été notifiées sous l’empire du règlement n° 17. S’agissant plus particulièrement de l’affaire GCB, les requérantes relèvent, en substance, qu’elle était d’une gravité supérieure à la présente affaire, dans la mesure où, d’une part, était en cause une restriction de la concurrence non seulement par effet, mais également par objet et où, d’autre part, la mesure en cause avait continué à produire ses effets jusqu’à l’adoption de la décision de la Commission.

    204    Les requérantes nient la réalité des différences soulignées par la Commission dans son mémoire en défense.

    205    En premier lieu, les requérantes estiment dépourvue de pertinence la différence tenant à la circonstance que, dans l’affaire MasterCard, la communication des griefs ne mentionnait pas la possibilité d’une amende. Ce qui importerait serait la raison pour laquelle la Commission a adopté dans l’affaire MasterCard une position différente dès la communication des griefs, selon laquelle elle ne devait pas infliger d’amende pour le seul motif qu’il y avait eu une notification.

    206    En deuxième lieu, les requérantes contestent que le comportement litigieux n’ait pas été notifié. Tout d’abord, elles notent qu’il ressort de la décision attaquée elle-même, et notamment de sa note en bas de page n° 312, que l’application de la Règle à Morgan Stanley a été notifiée et que c’est cette circonstance qui a justifié une immunité d’amende jusqu’à la communication des griefs. Ensuite, elles auraient soutenu cette position tout au long de la procédure administrative, sans jamais être contredites par la Commission sur ce point. Enfin, en toute hypothèse, les requérantes rappellent avoir notifié en 1990 non seulement la Règle elle-même, mais également le fait qu’elles aient qualifié Morgan Stanley de concurrent. Depuis, les différentes versions du règlement intérieur de Visa notifiées à la Commission auraient toutes indiqué que Morgan Stanley était considérée comme un concurrent de Visa. Par ailleurs, la Commission aurait été informée dès juillet ou août 2000, en réponse à une demande de renseignements, des raisons pour lesquelles Morgan Stanley ne satisfaisait pas aux conditions d’adhésion.

    207    En troisième lieu, en ce qui concerne la comparaison avec l’affaire GCB, les requérantes soutiennent que, les effets de la mesure en cause ayant perduré en dépit de sa suspension, celle-ci ne peut justifier la différence de traitement effectuée à leur détriment. Par ailleurs, elles font observer qu’il n’y a pas eu de suspension de la mesure litigieuse dans l’affaire MasterCard et qu’aucune amende n’a pourtant été infligée.

    208    Les requérantes déduisent de ce qui précède l’existence d’une violation des principes tant d’égalité de traitement que de sécurité juridique. Dans la mesure où la Commission n’a donné aucune explication sur ce point dans la décision attaquée, elles soutiennent que l’obligation de motivation a également été violée.

    209    La Commission réfute les allégations des requérantes.

     Appréciation du Tribunal

    210    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, il convient de souligner que, à supposer même qu’il soit admis que le comportement litigieux, et non la seule Règle, puisse être considéré comme ayant fait l’objet d’une notification, le raisonnement des requérantes ne saurait prospérer.

    211    Premièrement, la possibilité pour la Commission d’imposer une amende à l’égard d’un accord ayant fait l’objet d’une notification dans le cadre du règlement n° 17 découle de l’article 34, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, qui précise que les notifications deviennent caduques à compter de sa date d’application. Il en résulte nécessairement que l’immunité d’amende pour les accords notifiés en vertu de l’article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17 cesse avec l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003. Dès lors, la Commission est, en toute hypothèse, en droit d’infliger une amende aux requérantes pour la poursuite du comportement litigieux, postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003. Or, la Commission a respecté cette obligation, en prenant comme point de départ pour la fixation de l’amende la date de la communication des griefs, le 2 août 2004, postérieure à celle de l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, fixée au 1er mai 2004.

    212    Deuxièmement, il convient de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes, dès lors que celles-ci constituent un instrument de la politique de concurrence (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59). Cette marge d’appréciation s’étend, nécessairement, à l’opportunité d’infliger ou non une amende (arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 239).

    213    Troisièmement, s’agissant plus particulièrement de la circonstance que la Commission n’aurait, dans le passé, pas imposé d’amendes en ce qui concerne des restrictions de concurrence par effet, celle-ci ne saurait la priver de la possibilité d’imposer une amende, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence. Au contraire, l’application efficace des règles de la concurrence exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 169, et la jurisprudence citée).

    214    Enfin, quatrièmement, il convient de souligner que les requérantes ont été informées, dès le stade de la communication des griefs, du fait que la Commission envisageait d’infliger une amende.

    215    Par conséquent, en infligeant une amende aux requérantes dans la présente affaire, la Commission n’a pas violé le principe de sécurité juridique.

    216    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le grief tiré d’une prétendue violation du principe d’égalité de traitement, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission aurait dû suivre à leur égard la même approche que celle qui aurait été privilégiée dans les affaires MasterCard et GCB.

    217    Certes, il ressort d’une jurisprudence constante que le principe général d’égalité de traitement et de non-discrimination interdit, d’une part, de traiter différemment des situations comparables et, d’autre part, de traiter de la même manière des situations différentes, sauf si des raisons objectives justifient un tel traitement (voir arrêt de la Cour du 15 avril 2005, Belgique/Commission, C‑110/03, Rec. p. I‑2801, point 71, et la jurisprudence citée).

    218    Toutefois, c’est dans le cadre particulier de chaque affaire que la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, décide de l’opportunité d’infliger une amende afin de sanctionner l’infraction constatée et de préserver l’efficacité du droit de la concurrence (arrêt SCK et FNK/Commission, point 212 supra, point 239).

    219    En tout état de cause, à supposer que la Commission ait eu tort de ne pas imposer d’amendes dans les affaires MasterCard et GCB, l’argumentation des requérantes reviendrait à invoquer à leur profit une illégalité commise en faveur d’autrui, ce qui serait contraire au principe de légalité (voir arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T‑120/04, Rec. p. II‑4441, point 77, et la jurisprudence citée).

    220    Il convient donc de rejeter le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

    221    S’agissant, en troisième lieu, du grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation, il ressort d’une jurisprudence constante que, en ce qui concerne la fixation d’amendes au titre du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, SGL Carbon/Commission, T‑68/04, Rec. p. II‑2511, point 31, et la jurisprudence citée). Force est de constater que de tels éléments portant sur la gravité et la durée du comportement reproché aux requérantes, s’ils concernent au premier chef la détermination du montant de l’amende, sont également de nature à permettre de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a estimé qu’il était opportun d’infliger une amende. Ainsi, dans la mesure où la décision attaquée comprend, dans ses considérants 350 à 370, les éléments d’appréciation requis, le présent grief doit être rejeté.

    222    Enfin, en quatrième lieu, en ce qui concerne les références effectuées par les requérantes aux prétendues déclarations des fonctionnaires de la Commission, il ne ressort pas des écritures des requérantes qu’elles soutiennent que de telles déclarations auraient fait naître une quelconque confiance légitime en l’absence d’imposition d’amende. En toute hypothèse, à supposer que cela soit le sens de leur argumentation, il y a lieu de constater que les conditions pour qu’elles puissent se prévaloir du principe de protection de leur confiance légitime ne sont pas remplies.

    223    Selon une jurisprudence constante, ce principe s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration a fait naître chez lui des espérances fondées, étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 152, et la jurisprudence citée).

    224    Or, force est de constater que les déclarations auxquelles les requérantes se réfèrent ne sauraient être qualifiées d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, ce que les requérantes semblent elles-mêmes admettre en se référant dans leurs écritures à des « déclarations laissant entendre » que la Commission ne considérait pas ce cas comme une affaire dans laquelle elle infligerait une amende.

    225    Au vu de tout ce qui précède, il convient donc de rejeter la première branche du moyen.

    b)     Sur la deuxième branche du moyen, tirée de la violation de l’obligation d’adopter la décision attaquée dans un délai raisonnable

     Arguments des parties

    226    Selon les requérantes, la durée de la procédure administrative de plus de sept ans est inexcusable et leur a causé un préjudice considérable, de nature à justifier l’annulation de l’amende. À défaut d’un tel retard, la Commission aurait adopté la décision attaquée sous l’empire du règlement n° 17 et, partant, aucune amende n’aurait été imposée. Elles rappellent que, en application de l’article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, il n’est possible d’infliger une amende à l’égard d’un accord notifié que dans les seules hypothèses où une décision officielle de retrait de l’immunité a été adoptée. Or, la Commission n’aurait pas adopté une telle décision, en dépit de la demande expresse de Morgan Stanley en ce sens.

    227    En outre, elles soulignent que le respect d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit dont le non-respect peut constituer un motif d’annulation, s’il a affecté la capacité de l’entreprise concernée à se défendre.

    228    Aux fins de vérifier si la procédure a été anormalement longue, il conviendrait de prendre en compte l’ensemble de sa durée. À cet égard, les requérantes rappellent la chronologie de l’affaire et soutiennent qu’il en ressort que la Commission a accumulé les retards. Elles font notamment valoir que, pendant les trois ans qui ont suivi le dépôt de la plainte, la Commission ne leur a adressé que deux demandes de renseignements et qu’aucune demande de renseignements n’a été adressée aux commerçants.

    229    La durée de la présente procédure administrative serait d’autant plus critiquable que Morgan Stanley elle-même avait demandé une action urgente de la Commission et qu’une procédure parallèle était suspendue devant les juridictions du Royaume-Uni, ce qui imposait que la présente affaire soit traitée de manière prioritaire.

    230    La Commission nie qu’il y ait eu un retard excessif et injustifiable de sa part au regard de la complexité de la présente affaire. En tout hypothèse, seule importerait la circonstance qu’elle ait respecté le délai de prescription prévu à l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.

     Appréciation du Tribunal

    231    L’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge assure le respect (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 35). Ce principe est repris dans l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1).

    232    Il y a lieu de rappeler que la violation de ce principe peut conduire à l’annulation de la décision, à la condition qu’elle ait affecté la capacité des entreprises en cause à défendre leur position et, partant, ait porté atteinte à leurs droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 231 supra, points 42 et 43).

    233    Toutefois, en l’espèce, les requérantes ne soutiennent pas que la durée de la procédure administrative ait porté atteinte à leurs droits de la défense.

    234    Dans ces conditions, il convient de rappeler la jurisprudence constante relative au règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), applicable aux amendes infligées dans le cadre de la mise en œuvre du règlement n° 17. Selon cette jurisprudence, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission était en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable devait être écartée (voir arrêt du Tribunal du 1er juillet 2008, Compagnie maritime belge/Commission, T‑276/04, Rec. p. II‑1277, point 41, et la jurisprudence citée).

    235    Les délais de prescription fixés par le règlement n° 1/2003 figurent dans son article 25, qui reprend les dispositions pertinentes du règlement n° 2988/74 sur la base desquelles la jurisprudence mentionnée au point 234 ci-dessus a été établie.

    236    Ainsi, l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003 prévoit que le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, dudit règlement, la prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise ou, pour les infractions continues ou répétées, à compter du jour où l’infraction a pris fin. La prescription est toutefois susceptible d’être interrompue ou suspendue, en application de l’article 25, paragraphes 3, 4 et 6. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption, la prescription étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte.

    237    Dès lors, la jurisprudence relative au règlement n° 2988/74 trouve également à s’appliquer s’agissant des amendes infligées dans le cadre de la mise en œuvre du règlement n° 1/2003.

    238    En l’espèce, l’infraction en cause est de nature continue et a cessé à la date d’admission de Morgan Stanley au sein de Visa le 22 septembre 2006. La période s’écoulant entre la cessation de l’infraction et la décision attaquée infligeant l’amende est donc d’une durée très inférieure aux délais de prescription prévus à l’article 25 du règlement n° 1/2003.

    239    Il convient donc de rejeter la deuxième branche du moyen.

    c)     Sur la troisième branche du moyen, tirée de l’absence de prise en compte de l’incertitude existant quant au caractère infractionnel du comportement litigieux

     Arguments des parties

    240    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir respecté les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 1998 »), applicables au cas d’espèce. Elles rappellent que celles-ci prévoient que l’existence d’un « doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif » constitue une circonstance atténuante qui justifie la réduction du montant de base de l’amende. En substance, elle font valoir, en se référant à l’approche suivie dans l’affaire COMP/38.096 (ci-après l’« affaire Clearstream »), que, dans les circonstances où existe une véritable insécurité juridique quant au point de savoir si le comportement litigieux est constitutif d’une infraction, la Commission ne doit imposer aucune amende. La complexité de la présente affaire, admise par la Commission elle-même, aurait dû l’amener à suivre une approche identique en l’espèce. 

    241    En effet, en premier lieu, il n’existerait pas de pratique décisionnelle de la Commission ni de jurisprudence communautaire relative à la question en cause dans la présente affaire, le seul précédent étant constitué par un arrêt d’une juridiction des États-Unis. Par conséquent, aux fins de vérifier si elles étaient en droit de refuser la demande d’adhésion de Morgan Stanley et, le cas échéant, sous quelles conditions, les requérantes se devaient d’interpréter par analogie la jurisprudence communautaire existante. L’intense débat ayant opposé les requérantes à la Commission quant à l’applicabilité de l’article 81, paragraphes 1 et 3, CE attesterait de cette difficulté.

    242    En deuxième lieu, les requérantes soulignent, en substance, que la circonstance que la présente affaire porte sur une restriction de la concurrence par effet est à l’origine d’une complexité et, partant, d’une incertitude juridique supplémentaires. La Commission aurait elle-même éprouvé des difficultés face à la nouveauté et à la complexité de l’affaire. À cet égard, elles rappellent leur argumentation développée dans le cadre des conclusions en annulation selon laquelle la Commission aurait fait évoluer son appréciation de la concurrence existant sur le marché en cause. Elles notent, également, que ce n’est qu’au stade de la seconde lettre d’exposé des faits que la Commission a abordé la question de la possibilité pour Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause par le biais d’un accord de façade.

    243    Sans nier l’existence d’un pouvoir de principe d’infliger une amende à l’encontre d’un comportement constituant une restriction de concurrence par effet, les requérantes rappellent que la Commission n’a cependant jamais infligé d’amende dans une affaire dans laquelle aucun objet anticoncurrentiel n’avait été constaté.

    244    En troisième lieu, les fonctionnaires de la Commission auraient indiqué aux requérantes que ce qui importait n’était pas tant l’application de la Règle à Morgan Stanley que la Règle elle-même, en ce que celle-ci ne serait pas suffisamment transparente ou objective. Partant, une incertitude réelle aurait existé quant à la nature du grief en cause.

    245    La Commission nie que les requérantes aient eu des motifs réels et solides de croire que leur refus d’admettre Morgan Stanley ne constituait pas une infraction au droit communautaire.

     Appréciation du Tribunal

    246    Il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est imposées (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 53, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est imposées (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 57 ; du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 89, et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 267).

    247    Il ressort des considérants 350 à 370 de la décision attaquée que la Commission y a fait application de la méthode exposée dans les lignes directrices de 1998 aux fins de calculer le montant de l’amende infligée aux requérantes.

    248    Le point 3 des lignes directrices de 1998 prévoit une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances atténuantes, au nombre desquelles figure l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement en cause.

    249    En l’espèce, les requérantes estiment que l’incertitude existant quant au caractère infractionnel du comportement litigieux était telle que l’application des lignes directrices de 1998 aurait dû conduire la Commission à ne pas imposer d’amende.

    250    Aux fins de vérifier si la Commission était tenue d’accorder aux requérantes le bénéfice de la circonstance atténuante tirée de l’existence d’un doute raisonnable, voire le cas échéant, ainsi que le demandent les requérantes dans le cadre du présent moyen, de ne pas imposer d’amende, il convient de vérifier si ces dernières auraient raisonnablement dû avoir conscience d’enfreindre l’article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 503).

    251    Il importe de constater que l’amende n’a pas été infligée sur la base de l’ensemble de la période infractionnelle, mais seulement à compter de la date de la communication des griefs.

    252    Or, par ce document, la Commission a formulé des objections à l’égard du comportement litigieux en expliquant les raisons pour lesquelles elle estimait qu’il contrevenait à l’article 81 CE. Partant, à compter de cette date, les requérantes ne peuvent plus soutenir ne pas avoir eu conscience d’enfreindre l’article 81 CE (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 314).

    253    À cet égard, il existe une différence importante avec l’affaire Clearstream, évoquée par les requérantes, dans laquelle les comportements litigieux avaient cessé avant même l’adoption de la communication des griefs.

    254    Dès lors, les arguments des requérantes, tirés d’une prétendue absence de pratique décisionnelle antérieure ou de la complexité de l’affaire sont inopérants en ce qu’ils ne pourraient, en toute hypothèse, que démontrer l’existence d’un doute raisonnable antérieurement à la communication des griefs, c’est-à-dire pour une période qui n’a pas été prise en compte dans le calcul du montant de l’amende.

    255    Enfin, est sans incidence la circonstance que certains arguments mentionnés par la Commission dans la décision attaquée ne figuraient pas dans la communication des griefs, tel le caractère inefficace d’un accès au marché en cause par le biais d’un accord de façade. En effet, les informations contenues dans la communication des griefs étaient en elles-mêmes suffisantes pour que les requérantes ne puissent plus entretenir un doute raisonnable sur le caractère infractionnel du comportement litigieux.

    256    Il y a donc lieu de rejeter la troisième branche et, partant, le moyen dans son intégralité.

    2.     Sur le cinquième moyen, tiré de l’existence d’erreurs de droit et d’appréciation quant au calcul du montant de l’amende infligée

    257    Dans le cadre de ce moyen, les requérantes contestent les appréciations de la Commission relatives à, premièrement, la détermination du montant de départ de l’amende, deuxièmement, l’absence de prise en compte de circonstances atténuantes et, troisièmement, la durée de l’infraction.

    a)     Sur la première branche du moyen, relative à la détermination du montant de départ de l’amende

    258    Les requérantes contestent, à titre principal, la qualification de l’infraction de « grave » et, à titre subsidiaire, le choix d’un montant de départ de 8,5 millions d’euros.

     Sur la nature de l’infraction

    –       Arguments des parties

    259    Selon les requérantes, l’infraction qui leur est reprochée aurait dû, au regard des lignes directrices de 1998, être qualifiée de « peu grave ». À supposer même qu’elle ait eu un effet sur le marché, un tel effet n’aurait pas eu l’impact économique que la Commission lui attribue, l’infraction ayant concerné un seul opérateur, dans un marché très spécifique et dans un seul État membre.

    260    Elles font valoir que, si un impact potentiel est suffisant aux fins de constater l’existence d’une infraction à l’article 81 CE, s’agissant du calcul du montant de l’amende, la Commission se devrait de démontrer, preuves à l’appui, l’existence d’un impact réel sur le marché. En l’espèce, la Commission reconnaîtrait qu’elle n’a pas quantifié l’impact réel et admettrait s’être contentée de le déduire des constatations relatives à l’infraction.

    261    La Commission estime ne pas avoir commis d’erreur quant à la qualification de l’infraction.

    –       Appréciation du Tribunal

    262    Dans la décision attaquée, la Commission a fondé la qualification de « grave » de l’infraction en cause sur plusieurs éléments.

    263    Elle a, tout d’abord, rappelé aux considérants 358 et 359 de la décision attaquée que Morgan Stanley avait été empêchée de proposer des services d’acquisition pour les cartes de crédit et de débit différé en général, et non pour les seules cartes Visa.

    264    La Commission a, ensuite, estimé que l’infraction avait eu un impact effectif sur la concurrence. Tout en reconnaissant, au considérant 357 de la décision attaquée, qu’il n’était pas possible de mesurer précisément un tel impact, la Commission a déduit de la mise en œuvre du comportement litigieux qu’il était raisonnable « de tenir pour probable que l’infraction [avait] eu un grand impact sur le marché ». Au considérant 360 de la décision attaquée, la Commission a également renvoyé aux différents éléments sur lesquels elle s’est fondée pour constater l’infraction.

    265    Elle s’est, enfin, référée, au considérant 362 de la décision attaquée, à la circonstance que la restriction avait concerné le Royaume-Uni qui constitue un marché majeur pour les cartes de paiement.

    266    Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, au regard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 153, et la jurisprudence citée).

    267    Ainsi qu’il a déjà été souligné au point 247 ci-dessus, la Commission a fait application de la méthode exposée dans les lignes directrices de 1998 aux fins de calculer le montant de l’amende infligée aux requérantes.

    268    Selon le point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices de 1998, l’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

    269    Il découle de la description des infractions peu graves et graves contenue dans les lignes directrices de 1998 que celles-ci se différencient essentiellement par leur impact sur la concurrence et la portée géographique de leurs effets. En effet, les infractions graves sont décrites comme étant « le plus souvent de[s] restrictions horizontales ou verticales de même nature que dans le cas [des infractions peu graves], mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun ». Les infractions « peu graves » sont décrites comme étant d’un « impact sur le marché […] limité, ne concernant […] qu’une partie substantielle et relativement étroite du marché communautaire ».

    270    En premier lieu, en ce qui concerne l’impact de l’infraction sur le marché, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir démontré sa réalité. Elles font également valoir que, en toute hypothèse, il ne pourrait être que limité.

    271    Selon une jurisprudence constante, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 83, et la jurisprudence citée).

    272    Au considérant 357 de la décision attaquée, la Commission a souligné ce qui suit :

    « Bien qu’il ne soit pas possible de mesurer précisément l’impact effectif sur le marché, la décision excluant Morgan Stanley a été mise en œuvre et il est donc raisonnable de tenir pour probable que l’infraction a eu un grand impact sur le marché. »

    273    Certes, l’établissement automatique d’un lien de causalité entre la mise en œuvre d’un comportement anticoncurrentiel et l’existence d’un impact procède d’un raisonnement erroné (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Prym et Prym Consumer/Commission, T‑30/05, non publié au Recueil, points 109 et 110).

    274    Toutefois, il ressort des considérants 358 à 360 de la décision attaquée que la Commission se fonde également à cet égard sur deux autres séries de considérations, tirées, d’une part, de ce que le comportement litigieux avait eu pour effet d’empêcher Morgan Stanley de proposer des services d’acquisition pour l’ensemble des cartes et non pour les seules cartes Visa et, d’autre part, des effets positifs qu’aurait pu avoir la présence de Morgan Stanley sur le marché en cause.

    275    Or, premièrement, les requérantes ne contestent pas que le comportement litigieux a bien eu pour effet d’empêcher Morgan Stanley de proposer des services d’acquisition pour l’ensemble des cartes et non pour les seules cartes Visa.

    276    Deuxièmement, il a été considéré dans le cadre de l’examen des conclusions en annulation que les appréciations de la Commission portant sur les effets restrictifs de concurrence du comportement litigieux, à savoir le degré de concurrence actuelle et potentielle, la qualité de concurrent potentiel de Morgan Stanley et son intention d’intégrer le marché en cause, ne sont pas entachées d’une illégalité.

    277    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission a souligné, au considérant 174 de la décision attaquée, avoir interrogé l’ensemble des établissements financiers identifiés comme étant des concurrents potentiels sur le point de savoir s’ils avaient envisagé d’entrer sur le marché en cause et en a conclu que Morgan Stanley constituait le seul concurrent potentiel ayant exprimé son intention d’intégrer ledit marché.

    278    Dès lors, en concluant sur la base de ces éléments que le comportement litigieux avait eu un impact important sur le marché, la Commission n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation.

    279    En second lieu, s’agissant de l’examen par la Commission de l’étendue géographique des effets du comportement litigieux, les requérantes estiment que, dans la mesure où seul le marché du Royaume-Uni a été concerné par le comportement litigieux, la Commission aurait dû privilégier la qualification d’infraction « peu grave ».

    280    Il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’un marché géographique de dimension nationale correspond à une partie substantielle du marché commun (voir arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 176, et la jurisprudence citée).

    281    Au considérant 362 de la décision attaquée, la Commission s’est référée à la circonstance que « le Royaume-Uni constitue un marché majeur pour les cartes de paiement ». Or, au vu de l’importance économique de ce marché, qui n’est, par ailleurs, pas contestée par les requérantes, la Commission pouvait à bon droit estimer que le marché en cause s’apparentait à une « zone étendue du marché commun » au sens des lignes directrices de 1998.

    282    Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter les griefs des requérantes portant sur la nature de l’infraction.

     Sur le montant de départ de l’amende

    –       Arguments des parties

    283    Selon les requérantes, le montant de départ de 8,5 millions d’euros retenu par la Commission est disproportionné et est entaché d’un défaut de motivation. Ainsi, la Commission aurait dû déterminer un montant de départ se situant dans la partie inférieure de l’échelle prévue pour les infractions graves par les lignes directrices de 1998, au vu de l’impact de l’infraction, du fait qu’est en cause une restriction de la concurrence par effet, ainsi que de sa pratique en matière de fixation d’amendes. Elles rappellent que, si la Commission est en droit de s’écarter de sa pratique antérieure en matière de fixation des amendes, elle doit appliquer les lignes directrices de 1998 et indiquer les motifs objectivement justifiables étayant le chiffre fixé.

    284    Dans leur réplique, les requérantes soutiennent que la circonstance que la Commission ait appliqué des montants de départ équivalents dans plusieurs décisions antérieures  démontre le caractère disproportionné de celui en cause dans la présente affaire, dans la mesure où les comportements visés par ces décisions constituaient des infractions beaucoup plus graves au droit de la concurrence.

    285    La Commission estime que le montant de départ n’est pas disproportionné et que la décision est motivée à suffisance de droit.

    –       Appréciation du Tribunal

    286    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’un défaut de motivation en ce que la Commission n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles elle a fixé le montant de départ de l’amende infligée aux requérantes à 8,5 millions d’euros, il doit être rejeté.

    287    Certes, la décision attaquée ne comprend pas de justifications explicites sur la détermination du montant de départ, la Commission se contentant d’effectuer un renvoi, au considérant 353 de la décision attaquée, aux raisons qui l’ont amenée à qualifier l’infraction de grave.

    288    Toutefois, force est de constater que la Commission n’était pas tenue de fournir une explication sur ce point. En effet, ainsi qu’il a déjà été souligné au point 221 ci-dessus, il ressort d’une jurisprudence constante que, en ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de violations du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé.

    289    Dès lors, la Commission n’était pas dans l’obligation d’expliciter les raisons pour lesquelles elle a fixé précisément le montant de départ de l’amende à 8,5 millions d’euros. Partant, la décision attaquée n’est pas entachée d’un défaut de motivation à cet égard.

    290    En ce qui concerne, en second lieu, le caractère prétendument disproportionné de ce montant, il convient de rappeler que les lignes directrices de 1998 prévoient un montant de départ pour les infractions qualifiées de « graves » compris entre 1 et 20 millions d’euros.

    291    Le point 1 A, troisième, quatrième et cinquième alinéas des lignes directrices de 1998 précise ce qui suit :

    « À l’intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites graves et très graves, l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises.

    Il sera en outre nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

    De manière générale, il pourra également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence. »

    292    Ainsi, dans la mesure où les requérantes ne remettent pas en cause la légalité des lignes directrices de 1998, c’est à la lumière des critères mentionnés au point 291 ci-dessus qu’il y a lieu d’examiner le caractère proportionné ou non du montant de départ déterminé par la Commission.

    293    Or, au vu, d’une part, de l’importance économique des requérantes et, d’autre part, de la nécessité de conserver un caractère dissuasif à l’amende, un montant de 8,5 millions d’euros, se situant dans la moitié inférieure de la fourchette envisagée par les lignes directrices de 1998 pour les infractions graves, n’apparaît pas manifestement disproportionné.

    294    Il y a donc lieu de rejeter la première branche du moyen.

    b)     Sur la deuxième branche du moyen, relative aux circonstances atténuantes

     Arguments des parties

    295    Les requérantes soutiennent que l’incertitude quant au caractère infractionnel du comportement litigieux aurait, à tout le moins, dû être qualifiée de circonstance atténuante. Pour cette raison, la Commission aurait dû, en outre, ne pas appliquer de majoration au titre de la durée de l’infraction. Elles lui reprochent également de ne pas avoir pris en compte le fait qu’elles ont, d’une part, proposé de modifier et effectivement modifié la Règle et, d’autre part, conclu un accord avec Morgan Stanley au cours de la procédure administrative. Enfin, le retard de la Commission dans le traitement de l’affaire aurait justifié, à tout le moins, une réduction de l’amende.

    296    La Commission estime que c’est à bon droit qu’elle n’a retenu aucune circonstance atténuante. Elle réfute notamment la réalité de la modification qui aurait été apportée à la Règle, en ce qu’elle consisterait seulement en l’ajout de critères d’évaluation qui n’ont, en toute hypothèse, pas été appliqués à Morgan Stanley.

     Appréciation du Tribunal

    297    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré de ce qu’aurait dû être prise en compte en tant que circonstance atténuante l’incertitude quant au caractère infractionnel du comportement litigieux, il doit être rejeté pour les motifs exposés aux points 250 à 255 ci-dessus. En effet, il y a lieu de rappeler que la Commission a calculé l’amende sur la base d’une période débutant avec la communication des griefs. Or, à cette date, les requérantes ne pouvaient plus nourrir un doute raisonnable quant au caractère infractionnel du comportement litigieux.

    298    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le grief tiré de ce que le retard pris par la Commission dans le traitement de l’affaire aurait également justifié une réduction de l’amende, il ne saurait prospérer pour les raisons explicitées aux points 231 à 238 ci-dessus, l’intervalle séparant la cessation de l’infraction de la décision attaquée étant inférieur au délai de prescription figurant à l’article 25 du règlement n° 1/2003.

    299    S’agissant, en troisième lieu, de la référence à l’accord conclu avec Morgan Stanley et à son admission dans Visa, il y a lieu de relever que, en procédant de la sorte, les requérantes ont mis fin à l’infraction qui leur était reprochée plusieurs années après avoir été averties par la Commission du caractère infractionnel de leur comportement. Partant, c’est à juste titre que la Commission n’a pas accordé de réduction de l’amende aux requérantes pour ce motif.

    300    En quatrième lieu, c’est également à tort que les requérantes font valoir que la Commission aurait dû tenir compte de la circonstance que les requérantes ont modifié la Règle au cours de la procédure administrative.

    301    Il est, certes, exact que les requérantes ont modifié la Règle le 24 mai 2006. Cette modification pourrait être considérée comme une réponse à l’une des critiques adressées par la Commission aux requérantes dans sa communication des griefs qui, dans ses paragraphes 247 et 248, soulignait que la formulation de la Règle se prêtait à une application discriminatoire, au regard, notamment, du caractère insuffisamment objectif et précis de la notion de « concurrent » y figurant. Force est également de constater que la décision attaquée, adoptée postérieurement à cette modification de la Règle, ne reprend pas cette critique.

    302    Toutefois, la Commission n’était nullement tenue de traiter cette modification de la Règle comme une circonstance atténuante et d’accorder une réduction de l’amende aux requérantes.

    303    En effet, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes relevant du point 3 des lignes directrices de 1998 doit être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes. En l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 182 supra, point 275).

    304    Or, dans la mesure où le comportement litigieux ne concernait pas tant la Règle elle-même que son application à Morgan Stanley, ainsi que les requérantes le reconnaissent elles-mêmes, et que ce refus d’admission a perduré pendant plus de deux ans postérieurement à la communication des griefs, la Commission a pu valablement ne pas prendre en compte la modification apportée par les requérantes à la Règle, modification qui, en outre, n’est intervenue qu’à un stade très avancé de la procédure administrative.

    305    Il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

    c)     Sur la troisième branche du moyen, relative à la durée de l’infraction 

     Arguments des parties

    306    Les requérantes contestent la détermination par la Commission des dates de début et de fin de l’infraction. Elles estiment que l’infraction a, tout au plus, duré sept mois entre août 2005 et février 2006. Partant, la Commission n’aurait pas dû appliquer une majoration en raison de la durée.

    307    En premier lieu, les requérantes estiment que l’infraction n’a pas débuté avant août 2005. Elles se fondent sur la circonstance qu’une entrée sur le marché en cause nécessite l’adoption d’un plan concret de mise en œuvre. Dans la mesure où, d’une part, la première preuve relative à un plan de mise en œuvre serait datée du 20 mai 2005 et, d’autre part, la réalisation effective d’un tel plan demanderait en général au moins trois mois, Morgan Stanley n’aurait pas pu intégrer le marché en cause avant août 2005.

    308    Ce serait donc à tort que la Commission estime que le début du comportement infractionnel remonte au verrouillage du marché, le 22 mars 2000. Les requérantes nient également la réalité d’une intention de Morgan Stanley d’entrer sur le marché de l’acquisition dès 1998. Les preuves supposées démontrer l’existence d’une telle intention ne concerneraient en réalité que le marché de l’émission de cartes. Les requérantes reprochent, en outre, à la Commission de ne pas avoir analysé les preuves qu’elles ont avancées, alors que celles-ci démontreraient l’absence d’intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause.

    309    En second lieu, dans la mesure où la Commission se fonde sur la prétendue intention constante de Morgan Stanley d’exercer des activités d’acquisition pour déterminer la durée de l’infraction, les requérantes soutiennent qu’elle se devait de prouver la réalité de cette intention pour l’ensemble de la durée de l’infraction. Or, la décision attaquée ne mentionnerait pas la moindre preuve de cette intention pour la période comprise entre mai 2005 et le 22 septembre 2006. Par conséquent, la Commission aurait manqué à ses obligations, telles qu’explicitées par l’arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission (T‑43/92, Rec. p. II‑441, points 79 et 80). En toute hypothèse, la Commission aurait dû considérer que l’infraction avait pris fin en février 2006, lorsque les négociations en vue de l’adhésion de Morgan Stanley ont débuté, cette dernière n’ayant, à cette occasion, démontré aucune intention d’intégrer le marché de l’acquisition.

    310    Quant à la réponse de la Commission tirée de ce que la seule qualité de membre de Visa suffit à donner le droit d’acquérir, les requérantes soulignent qu’elle procède d’un raisonnement erroné. La question essentielle serait celle de l’existence ou non d’une intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause. Dès lors, la circonstance que Morgan Stanley n’ait pas souhaité répondre aux demandes des requérantes en ce sens lors des négociations d’adhésion constituerait un élément tout à fait pertinent. Elles rappellent, en outre, que Morgan Stanley n’a pas intégré le marché en cause après son admission.

    311    La Commission estime qu’elle n’a pas commis d’erreur dans l’établissement des dates de début et de fin de l’infraction.

     Appréciation du Tribunal

    312    Les requérantes soutiennent, en substance, que la détermination de la durée de l’infraction est erronée en ce que l’intention de Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause n’aurait pas perduré pendant l’ensemble de la période retenue par la Commission. Elles lui reprochent également de ne pas avoir déduit les délais inhérents à l’entrée sur le marché en cause.

    313    Toutefois, ainsi qu’il a été souligné dans le cadre de l’examen des conclusions en annulation, c’est à bon droit que la Commission a estimé que Morgan Stanley constituait un concurrent potentiel sur le marché en cause. Dès lors, le comportement litigieux a produit des effets restrictifs de concurrence à son égard tant qu’a duré l’exclusion dudit marché. C’est donc à juste titre que la Commission a retenu l’existence d’une infraction d’une durée équivalente à celle du refus de la qualité de membre de Visa qui lui a été opposé. Dans la mesure où ce refus a perduré entre le 22 mars 2000 et l’adhésion de Morgan Stanley le 22 septembre 2006, il y a donc bien eu une infraction continue au droit de la concurrence entre ces deux dates. La Commission n’a donc commis aucune erreur dans la fixation des dates de début et de fin de l’infraction.

    314    Par conséquent, il n’existe aucun doute sur la durée exacte de l’infraction. En cela, la présente affaire se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt Dunlop Slazenger/Commission, point 309 supra (points 79 et 80), auquel les requérantes se réfèrent.

    315    Il y a donc lieu de rejeter la troisième branche et, partant, le moyen dans son ensemble.

    316    Compte tenu de tout ce qui précède, l’ensemble des demandes présentées dans le cadre du présent recours doivent être rejetées.

     Sur les dépens

    317     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

    déclare et arrête :

    1)      Le recours est rejeté.

    2)      Visa Europe Ltd et Visa International Service sont condamnées aux dépens.

    Jaeger

    Vadapalas

    Prek

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 2011.

    Table des matières


    Faits à l’origine du litige

    Décision attaquée

    A –  Définition du marché pertinent

    B –  Comportement reproché

    C –  Application de l’article 81 CE

    D –  Calcul de l’amende

    Procédure

    Conclusions des parties

    En droit

    A –  Sur la demande tendant à l’annulation de la décision attaquée

    1.  Questions liminaires

    a)  Sur la recevabilité de certains arguments et d’un document

    b)  Sur la recevabilité d’une annexe de la requête

    2.  Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense des requérantes

    a)  Arguments des parties

    b)  Appréciation du Tribunal

    3.  Sur les premier et troisième moyens, contestant le caractère restrictif de concurrence du comportement litigieux

    a)  Sur le premier moyen, tiré de l’absence de prise en compte par la Commission de la possibilité pour Morgan Stanley d’intégrer le marché en cause par le biais d’un accord de façade

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    b)  Sur le troisième moyen, relatif aux incidences sur la concurrence de la présence de Morgan Stanley sur le marché en cause

    Sur la première branche du moyen, tirée de l’application d’un critère économiquement et juridiquement erroné

    –  Arguments des parties

    –  Appréciation du Tribunal

    Sur la deuxième branche du moyen, tirée d’une analyse erronée du degré de concurrence existant sur le marché en cause

    –  Arguments des parties

    –  Appréciation du Tribunal

    Sur la troisième branche du moyen, tirée d’une analyse insuffisante et erronée des effets du refus d’admission de Morgan Stanley sur la concurrence

    –  Arguments des parties

    –  Appréciation du Tribunal

    B –  Sur la demande tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

    1.  Sur le quatrième moyen, tiré de l’existence d’erreurs de droit et d’appréciation quant à l’imposition d’une amende

    a)  Sur la première branche du moyen, tirée de la violation des principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique ainsi que d’un défaut de motivation

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    b)  Sur la deuxième branche du moyen, tirée de la violation de l’obligation d’adopter la décision attaquée dans un délai raisonnable

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    c)  Sur la troisième branche du moyen, tirée de l’absence de prise en compte de l’incertitude existant quant au caractère infractionnel du comportement litigieux

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    2.  Sur le cinquième moyen, tiré de l’existence d’erreurs de droit et d’appréciation quant au calcul du montant de l’amende infligée

    a)  Sur la première branche du moyen, relative à la détermination du montant de départ de l’amende

    Sur la nature de l’infraction

    –  Arguments des parties

    –  Appréciation du Tribunal

    Sur le montant de départ de l’amende

    –  Arguments des parties

    –  Appréciation du Tribunal

    b)  Sur la deuxième branche du moyen, relative aux circonstances atténuantes

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    c)  Sur la troisième branche du moyen, relative à la durée de l’infraction

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    Sur les dépens


    * Langue de procédure : l’anglais.

    Začiatok